Edmond Régnier
Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne (p. 24-38).

l’abbaye à son apogée

À la date du xiie siècle, les religieux des Écharlis possèdent de vastes domaines et jouissent de la protection des autorités religieuse et civile. Ils doivent être commodément installés dans de vastes bâtiments claustraux avec de grandes dépendances. Ils sont sans doute très nombreux. Beaucoup sont disséminés dans les granges ou fermes appartenant à l’abbaye, pour les cultiver, et il faut une immense maison pour les recevoir quand ils viennent aux retraites. De plus, comme les lettres, les sciences et les arts ne sont guère en honneur que dans les monastères, il est probable que des élèves s’instruisent aux Écharlis. Les communs sont considérables, car tout se fait à l’intérieur du couvent.

L’abbaye possède aussi son église, dédiée, comme toutes les églises cisterciennes, à la Sainte Vierge : beaucoup de donations sont faites, en effet, à « l’église Sainte-Marie des Écharlis et aux frères qui y servent le Seigneur, sanctœ Mariœ de Scarleiis et fratribus ibi Domino servientibus ». Mesurant environ 75 m. sur 20 m.[1], elle est très belle et très vaste, si nous en jugeons par les églises monacales construites à cette époque. Aucun document ne mentionne la date de construction, ni les architectes, ni les bienfaiteurs.

Le monastère peut remplir son but : adorer Dieu, honorer les lettres, les sciences et les arts, défricher les terres, les cultiver, enseigner à les cultiver. Son église se prête aux belles cérémonies. L’un des religieux a écrit la vie de Sainte Alpais, certains ont fait construire les bâtiments claustraux et l’église ; d’autres s’adonnent aux arts libéraux ou aux travaux des champs ; tous donnent l’exemple d’une vie sainte et laborieuse.

Si, jusqu’à la guerre de Cent Ans, les donations sont moins nombreuses, l’abbaye, habilement dirigée, accroît encore ses propriétés par des acquisitions, fruit de ses économies, et est choisie, par de nombreux personnages, comme lieu de sépulture. C’est l’apogée !

Au commencement du xiiie siècle, les religieux deviennent propriétaires des grands moulins de Vincelles. Ils les reçoivent (1197)[2] de Villerme, seigneur de Migé, et de Laure, sa femme ; ils achètent la part de Léteric de Vincelles (1201), la part de Rahaud d’Appoigny et de sa femme, d’après des lettres d’Itier de Toucy (1201)[3], avec les terres et prés qui en dépendent, la part de l’abbaye de Saint-Laurent de Cosne, par l’intermédiaire du prieur de Saint-Eusèbe d’Auxerre. Rahaud attaque ensuite la vente qu’il a faite et convient de s’en rapporter au jugement du chantre, sacriste et archidiacre d’Auxerre, qui rejette ses prétentions en 1215[4]. Jean de Froucheaccord leur donne (1216) un tiers de ces moulins. Cette donation nous en révèle l’importance : il y a trois roues ou meules pour le blé et une quatrième pour le battoir.

Par une charte de Henri, évêque d’Auxerre, du mois de décembre 1223[5], Alexandre et Jean, fils de défunt Léteric de Vincelles, chevalier, abandonnent à (perpétuité à l’abbaye leurs droits sur les moulins de Vincelles, la maison, le vivier, les eaux. Les religieux sont tenus de donner chaque année à Alexandre, à Jean et à leurs héritiers, cinq setiers et une mine de grain tel que les moulins en moulent, c’est-à-dire six bichets de froment et seize bichets de mouture à chacun des deux frères. Alexandre et Jean annulent toutes les conventions qu’ils ont faites avec l’abbaye de Reigny au sujet de ces moulins.

L’abbaye de Reigny (sur la Cure, près de Vermenton) possède une partie de ces moulins. Cette copropriété amène des contestations et les deux monastères prennent pour arbitres les vénérables abbés de Pontigny, Clairvaux et Morimont. Ceux-ci décident (1219)[6] que l’abbé de Reigny fera construire des moulins, selon la coutume, avec trois roues pour le blé et une quatrième à foulon et battoir. La quatrième sera en propre à l’abbaye de Reigny, mais le produit des trois autres sera partagé entre les deux monastères.

En 1226, Reîgny cède ses droits aux Écharlis qui deviennent seuls propriétaires de ces importants moulins[7].

Les comtes de Joigny leur continuent leurs bienfaits. Guillaume donne (1207)[8] le droit perpétuel de prendre des pierres dans sa carrière d’Eseolives. Pierre donne (1221)[9] 50 livres de rente (5.700 fr,) à prendre sur ses terres de Joigny et de Coulanges. Les religieux promettent de faire participer le donateur et sa femme à tous les biens de l’église et aux suffrages des messes. En échange de cette rente, Guillaume, frère de Pierre, leur abandonne[10] (février 1225), pour en faire ce qu’ils voudront, 225 arpents de bois contigus à ceux de l’église, se réservant seulement le droit de justice et de chasse. Le même Pierre leur avait laissé en dépôt trente livres ( environ 3.360 fr.) et des joyaux estimés cinquante livres (environ 5.600 fr.). Sa femme, après les avoir poursuivis à ce sujet, leur donne[11] le droit d’en disposer à leur gré[12]. En avril 1229, Gaucher de Joigny et Amicie, sa femme, abandonnent[13] au couvent, pour un anniversaire, leur four de Villefranche. Ils veulent en outre que deux pitances y soient distribuées, chaque année, le second dimanche de l’Avent et le dimanche de Lætare. Garin, maréchal, laisse (1238) six deniers de cens sur ses maisons du bourg de Saint-Jean de Joigny. L’importance des biens du monastère dans les environs de Joigny y réclame la présence d’un mandataire. Aussi le comte de Joigny lui accorde[14] (1238) la faculté d’y acquérir une maison pour un cellérier. En mai 1301, Isabelle de Mello, comtesse de Joigny, donne[15] à l’abbaye vingt livres de rente (environ 1.700 fr.) à prendre sur les fours de Saint-Bris et sur cent livres qu’elle a droit de prendre sur les tailles de ce lieu, à charge d’un anniversaire.

L’abbaye ne reçoit pas seulement des terres, mais, pour leur sanctification ou pour une vie plus douce et plus facile, des familles et des hommes se donnent ou sont cédés au monastère par leurs seigneurs.

Henri, comte de Vienne et marquis de Namur, confirme (1231)[16] les dons en hommes et en terres, que Ferry, seigneur de Cudot, a fait aux Écharlis. Baudoin, empereur de Constantinople, dans une charte datée d’Auxerre, en juillet 1247[17], atteste que Ferry, pour le salut de l’âme de défunt sa femme, a donné au monastère quatre hommes de Courtenay, Gautier Rufus, Dœth Rufus, Archambaud Poisson, Gautier Force, avec tous leurs biens, et ratifie cette donation.

D’après une lettre[18] de Léger, doyen de Courtenay[19], de 1236, Guy, dit l’Impie, de Villefranche, et sa femme, Aremberge, reconnaissent qu’ils se sont donnés à perpétuité, eux et leurs biens meubles et immeubles, aux Écharlis, et investissent le cellérier, Pierre de Ansa.

Les religieux font aussi des échanges[20].

Ils abandonnent entièrement à Philippe-Auguste et à ses successeurs leur droit d’usage dans la forêt royale située entre Cerisiers et Arces. En échange, le Roi leur donne (1211)[21] 140 arpents de bois dans cette forêt et le droit de pâture, excepté dans les taillis au-dessous de quatre ans. En novembre 1217, il cède[22] aux moines pour le droit d’usage qu’ils avaient dans la forêt d’Othe et de Palestel, 300 arpents de bois dans cette même forêt.

Gautier, archevêque de Sens, approuve (1225)[23] les transactions entre les prieurs de Chéroy et de Jouy et l’abbaye pour des terres concédées à des laïques.

En 1235, le prieur de Cudot, avec l’approbation de l’abbé et du couvent de Saint-Jean de Sens, laisse[24] au monastère la partie de dîmes qu’il prend sur certaines terres abandonnées par les religieux à des particuliers sur le territoire d’Arblay et de Guillens, c’est-à-dire toutes les dîmes de blé et de vin qu’il perçoit et celles qu’il pourra percevoir sur les autres terres que les Écharlis pourront abandonner sur le territoire de Cudol. En échange, les religieux cèdent au prieur et à ses successeurs un muid d’avoine qui leur a été donné sur le territoire de Gudot par Manassère et la partie de dîmes qu’ils avaient le droit de prendre près de Sainte-Geneviève en vertu de la donation de Foucher de Couffrault et de Landry son père.

Guy de Basenville, précepteur des maisons du Temple en France, fait un échange de prés[25] (1249).

L’abbaye, de plus en plus prospère, fait d’importantes acquisitions.

Elle achète (1210)[26] pour dix livres de Provins (environ 1.437 fr.) et une vache le droit que Jobert de Brochuns prétend avoir sur un bois attenant à la forêt des religieux.

L’année suivante (1211), Mathieu de Toquin[27], avec l’approbation de sa femme et de ses trois enfants, vend pour 700 livres provinoises (environ 100.625 fr,) toute la vieille dîme qu’ils possèdent à Précy. Tous ceux qui cultivent des terres sur la paroisse et seigneurie de Précy seront tenus, avant d’enlever leurs récoltes des champs, de payer la dîme aux frères comme ils la payent à Mathieu. Cette dîme et ce terrage seront rassemblés, tant qu’il plaira aux moines, dans la grange de Mathieu, à Précy, de sorte que l’on ne pourra ni demander ni recevoir le terrage sans le dîmeur des moines. Quand on aura rassemblé la dîme et le terrage, le grain et la paille seront partagés de façon égale entre Mathieu et l’abbaye, à l’exception de la dîme, qui est due dans la paroisse même sans terrage par certains hommes, qui sera la propriété exclusive des moines. Dans cette vente, ne sont pas comprises la dîme de Sorberai due au curé de Précy, la dîme de Touche de Saint-Léon et de la petite partie de terre qui touche à cette ouche, la dîme de la terre du puits et de toute la partie d’ouche d’Odon de Charmes. Quant aux dîmes des champs qui seront cultivés à l’avenir sur la paroisse de Précy et de Toquin, les moines décident que l’abbaye donnera chaque année, à perpétuité, au curé et à ses successeurs, dix setiers de grain, mesure de Précy. Pierre de Corbeil, archevêque de Sens, confirme cette vente la même année. Guillaume, comte de Joigny, et sa femme la confirment aussi (1212) comme seigneurs du fief[28].

Manassère, sire de Précy, qui a déjà affranchi des serfs, et sa femme, Aveline, cèdent[29] pour 300 livres (environ 34.500 fr.) toutes leurs terres situées entre la grande forêt des Échaiiis et les haies de Cudot, avec le droit de pâture sur toutes leurs terres, approuvent en 1232 toutes les donations faites par les seigneurs de Précy et en sont loués par le comte de Joigny. Mathieu, leur fils, approuve[30], à son tour (1248), le don fait au couvent par Manassère, d’un muid d’avoine à prendre sur ses terres de Cudol, Anseau de Prunoy, damoiseau, fils de Augalo de Prunoy, chevalier, reconnaît[31] (1254) qu’il doit aux religieux quarante livres de rente (environ 5.750 fr.) à prendre sur sa terre de Précy à raison de trois setiers et cinq bichets de froment que sa mère a légués au monastère. Guillaume, seigneur de Prunoy, ratifie[32] (1259) toutes les aumônes faites par ses oncles, Renaud de Verrières, écuyer, et Élisabeth, sa femme, abandonnent[33] (1260) tous leurs droits sur les terres que feu Manassère et Aveline ont vendues aux religieux des Écharlis. D’après une charte[34] (mai 1260) de Guillaume Motiaus, bailli de Châteaurenard, Pierre de Précy abandonne aussi tous ses droits sur ces mêmes terres et est tenu d’en garantir la propriété à l’abbaye. De plus, en 1273, Pierre s’oblige[35] à servir la rente de trois setiers de froment donnée aux Écharlis par Mathieu, son frère, pour son anniversaire. Hugues, seigneur de Précy, et Hélissandre, sa femme, confirment[36] (1289) les biens des religieux à Précy et à Cudot, pour la fondation de leur anniversaire.

Autre achat considérable : Erard de Vallery vend[37] (1255) à l’abbaye la forêt de la Conche, contenant 250 arpents, et 30 arpents y attenant près d’une propriété des religieux qui donnent mille livres (environ 108.000 fr. à Erard et vingt livres (environ 2.160 fr.) à sa femme. Cet acte important est ratifié par ses héritiers en 1257, dans une charte de Thibault, roi de Navarre.

Dans une charte[38] (février 1271) de Henri, roi de Navarre, de Champagne et de Brie, Thomas Brunel et Adam de Grès, chargés par Henri d’établir les propriétés des abbayes, des églises et des bourgeois de ses fiefs et arrière-fiefs, font l’état de tous les biens des Écharlis et, pour cinq cents livres tournois (environ 54.000 fr.), leur en assurent, en décembre 1270, la perpétuelle propriété. Le roi donne son approbation : « Volons, loons, confirmons et otroions aux devant dis religieux et à leurs successors, à perpétuité, à tenir an mein-morte sans rapeler. Et pour ceu que ces choses soient fermes et estables à touz jourz, nous avons feit ces letres saaler de notre seau. Ce fut feit an l’an de l’Incarnacion N. S. mil et deus cenz et sexante onze ou mois de février. »

Des possessions aussi immenses donnent lieu à des difficultés, mais les moines savent reconnaître les droits d’autrui[39] et faire valoir les leurs[40].

Un territoire donné par les seigneurs de Sépeaux et surtout certains champs situés entre les Vieux-Écharlis et la forêt de l’Abbé que les moines ont entourés de fossés provoquent[41] un désaccord entre l’abbaye et Mathieu de Toquin. Ce dernier réclame pour lui et ses hommes de Précy le droit d’usage et de pâture et le droit de passer par un chemin obstrué par les religieux. Ne pouvant se mettre d’accord, les moines et Mathieu conviennent de faire juger leur différend par l’abbé de Fontainejean et P., seigneur de Champvallon. Les arbitres fixent le jour où ils rendront leur sentence. Mathieu n’attend pas ce jour : il renonce totalement à sa réclamation (1210).

Renaud, chevalier, curé de Sépeaux, et ses hommes mènent leurs troupeaux, malgré la défense de l’abbaye, dans des pâturages situés près de la maison des Vieux-Écharlis, entourés de fossés et paisiblement possédés par les moines depuis plus de trente ans ; ils causent des dommages dont les religieux demandent le paiement, ainsi qu’un châtiment pour Renaud et ses hommes. Ils prétendent avoir ce droit après la fenaison et la moisson, mais Philippe, officiai de Sens[42] (juin 1210), donne tort à Renaud.

En novembre 1217, Philippe-Auguste tranche[43] un différend survenu entre ses hommes de Vaumort et les religieux. Les moines feront ce qu’ils voudront pour clore, élever, couper la forêt qui sera exempte de tout droit d’usage, sauf les conventions, s’il y en a, avec les moines de l’hôpital ou avec d’autres. Les hommes de Vaumort et de la Rivière auront le droit d’usage dans les quatre autres parties des mêmes bois, mais les religieux ne pourront ni les arracher, ni les vendre, ni les donner. De plus, le roi concède à l’abbaye, tout en maintenant les coutumes ou les accords, s’il y en a, la paisible possession de toutes les terres cultivées ou incultes qu’elle possède, selon les recherches de ses baillis, Guillaume de La Chapelle, Barthélémy de Druyes et Garnier du Pré, depui

plus de trente ans, sur son domaine, dans les limites que la charte détermine. Il veut aussi qu’elle jouisse en paix de out ce que le roi Louis lui a donné depuis la grange de Talouan jusqu’à la chapelle de Vault-de-Lucère et la forêt du comte de Joigny.

D’après un accord fait[44], en 1219, entre les religieux et Haton, curé de Villefranche, toutes les dîmes et novales seront conduites dans une grange construite dans l’enclos des religieux, partagées par moitié et levées une année par les mornes» et une année par le curé. La grange sera commune, mais les réparations seront à la charge exclusive de l’abbaye[45].

Le monastère possède à Villeneuve-sur-Yonne une place où il a fait construire une maison appelée la Maison-Rouge. L’abbé et les religieux de Saint-Marien d’Auxerre disent qu’ils ont reçu cette maison de défunt Adon de Salère et en sont les légitimes propriétaires* Les moines des Écharlis rétablissent la vérité : le couvent de Saint-Marien a bien possédé cette place, mais il l’a vendue à Robert qui l’a donnée à son frère Thibaut ; c’est de ce dernier que les religieux l’ont reçue. Le prieur de Saint-Pierre et R M chantre à Auxerre, sont charges par le légal du pape de trancher ce différend, Après une sérieuse enquête, ils déclarent[46], en décembre 1228, que la Maison-Rouge appartient régulièrement aux Écharlis et que le couvent de Saint-Marien n’y a aucun droit. Étienne, dit de Montereau, bourgeois de Villeneuve, et Félix, homme d’armes, fils de défunt Dreux de Villeneuve, chevalier, renoncent[47] à s’opposer à l’acquisition faite par les religieux d’une place tenant à la Maison-Rouge du côté de la Maison-Dieu[48].

Enfin, Étienne, moine des Écharlis, et le prieur de Jully rendent[49] (1283) une sentence arbitrale au sujet de l’eau qui vient de l’étang du prieur de Dicy. Le meunier du prieur de Dicy devra laisser couler l’eau, lorsqu’il en sera requis pour servir aux deux moulins des moines et prêtera serment dans l’église de Villefranche» Les religieux pourront prendre de la marne dans la marnière située dans la justice du prieur de Dicy, à condition de payer les dommages qu’ils pourront causer[50].

On ne se contente pas de faire des dons aux moines pour obtenir leurs prières ou faire célébrer un anniversaire, mais l’on tient aussi à avoir sa sépulture dans l’abbaye.

Il y a un certain nombre d’années, on voyait[51] dans le jardin du cloître du monastère une très belle tombe qui portait cette épitaphe ; « Hic jacet vir nobilis bone memorie Hericus ou Fericus, dominus Cudoti, cujus anima per misericordiam Dei requiescat in pace. » Sur la dalle est tracé un personnage revêtu d’une toge ou plutôt d’un manteau, à son côté gauche est une épée, à son côté droit un bouclier en partie. Près de la tête, deux anges balancent des encensoirs. Les bords de cette tombe sont sculptés et ornés de belles frises : elle devait probablement recouvrir un monument primitivement élevé. Comme l’inscription qui encadre la pierre est en très beaux caractères gothiques du xiiie siècle, ce monument a probablement été élevé à la mémoire de Ferry de Seignelay qui vivait en 1231 et eut ainsi sa sépulture dans l’abbaye. Cette pierre, achetée par la famille de Saint-Phalle de Cudot, se trouve actuellement dans l’église de Cudot.

En 1301, Hugues, seigneur de Conflans et de Précy, maréchal de Champagne, déclare[52] que « pour le remède de son âme et pour la très grande dévotion que lui et Alexandra, sa femme, ont envers l’abbaye de la bienheureuse Marie des Écharlis », ils y choisissent l’un et l’autre leur sépulture. Les seigneurs de Prunoy[53] y ont aussi leur sépulture. Deux bénédictins, Dom Martène et Dom Durand, racontent, dans le Voyage littéraire qu’ils ont publié en 1717, qu’ils trouvèrent, dans le Chapitre, plusieurs tombes sur lesquelles étaient gravées les inscriptions suivantes :

« 1° Cy gist messire Guillaune de Prunay, chevalier, qui trépassa l’an de grâce 1292 la vaule de Saint-Climent. Priez pour lui, bone jant, que mercy ly facent. Amen.

« 2° Cy gist Madame Gilles, dame de Prunoy, femme jadis monseigneur Guillaume, chevalier, seigneur de Prunoy qui trépassa l’an de grâce MCC quatre vingt dix huit, le dimanche dans la quinzaine de Pâques.

« 3° Cy gist noble dame Madame de Prenoy, jadis femme de Monseigneur Jean de Prenoy, chevalier, laquelle trépassa l’an de grâce 1312, landemain de Pasques, Diex ly fasse mercy. »

Des comtes de Joigny y sont enterrés :

Comitissa Aulidis Joviniaci,
Verbo veraci pollens et mente sagaci.
Ecce Johengniaci requiescit in ecclesia cit,
Coines ornatus meritis, miles pfobatus,
Nobiliter natus, largus bene morigeratus.
Hic tibi, Christe, cornes sit sirie fine cornes.

Voici l’épitaphe d’un seigneur d’Ordon :

Hic sum pauper mis, Guillelmus cornes intermis
Materies vermis, miserere super me pater, mis.

Armipotens miles Guillelmus, qui fuit hœrcs
Ordonis, viles solvitur in cineres.
Testis sum mortis, qui legis esto menior tis
Ora pro me Jesum Christum.

On remarque, dans ces deux épitaphes, des syllabes insignifiantes, telles que : cit, mis et tis. Elles n’ont été ajoutées que pour faire rimer ces vers entre eux ou seulement la fin du vers avec le premier hémistiche. L’usage de ces vers, appelés léonins, était fort commun aux xiiie et xive siècles.

Plusieurs seigneurs de Villefranche[54] ont fondé des chapelles à l’abbaye afin d’y être enterres, eux et leurs parents. Le monastère jouit donc d’une très légitime considération. On ne peut, en effet, comparer le pays avant sa fondation et l’état actuel des terres, considérer le bien-être matériel et moral répandu dans toute la contrée, et la vie si exemplaire des religieux, sans être rempli de vénération. C’est pourquoi les rois continuent de le protéger.

En 1247, Saint Louis[55], par des lettres adressées au bailli de Sens, établit ce magistrat défenseur et protecteur des Écharlis, lui et ses prévôts.

Philippe le Bel accorde[56] de précieux privilèges à l’abbaye en juin 1304. « Il renonce aux droits d’amortissement qui lui sont dus pour les biens acquis. Les biens meubles du monastère ne seront pas soumis aux juges séculiers. Si on saisit ses immeubles, on ne les détruira pas» on ne les consumera pas par des dépenses superflues ; si on est obligé d’y établir garnison, on ne mettra qu’un sergent par maison et ce sergent devra vivre de son salaire. Les sujets de l’abbaye ne pourront, à son préjudice, se mettre sous la protection ou avouerie du roi ; ceux qui s’y sont mis depuis peu seront remis sous la juridiction des Escharlis. Les officiers royaux feront serment d’exécuter, sans difficulté, le contenu des lettres que le roi leur accordera. Le monastère ne sera pas obligé de se défaire de ce qu’il a acquis dans les fiefs, arrière-fiefs ou censives, dans lesquels il a haute et basse justice, ni de payer finance au roi à ce sujet. On ne fera pas de prises sur ses biens ni sur ceux de ses sujets pour les provisions de l’hôtel du roi. Le roi nommera des auditeurs pour faire justice à l’abbaye sur les vexations qui lui ont été faites. Elle ne sera punie pour les délits des moines particuliers, des convers ou de ses domestiques que si elle y est tenue par le droit ou la coutume.

Elle pourra faire arrêter, même à main armée, les personnes de son ordre, saisir leurs biens mobiliers et conserver le droit d’arrêter ceux qui commettront des délits dans le monastère et les lieux qui en dépendent. » Enfin, Philippe VI remet[57] (1343) aux religieux la moitié des arrérages qu’ils devaient au roi pour la jouissance pendant « six vingt ans » de dix arpents de bois qu’ils croyaient leur appartenir[58].

Il semble que, désormais, les Écharlis vont continuer paisiblement leur œuvre morale et civilisatrice[59]. Hélas ! la pérennité n’est point de ce monde : bientôt l’abbaye ne sera plus que des ruines.



  1. Salomon, Histoire de l’abbaye des Écharlis.
  2. Salomon, Histoire de l’abbaye des Écharlis.
  3. H 651, registre.
  4. Salomon, Histoire de l’abbaye des Écharlis.
  5. Quantin, Cartulaire de l’Yonne, III, p. 130.
  6. H 651, registre.
  7. Étienne Chauvet donne (1205) aux religieux les droits de dîmes sur la paroisse de Douchy (H 654, liasse) ; Garnier d’Hermenic, damoiseau, et sa femme, Adeline, comme l’atteste (1207) Geoffroy, officiai de Saint-Julien, le droit de pacage sur leurs terres de Précy (H 656, liasse) ; Étienne Chauvet (1214), tous ses droits et ceux de ses hommes, sur une forêt entourée de fossés, depuis la forêt des Frères jusqu’au chemin de Cudot ; Eudes des Barres (1210), le droit de pâture sur sa terre de Dixmont pour les bestiaux des granges de Vaumorin et de Talouan (H 651, registre); Haya de La Ferté, veuve de Droin Farde (1213), trois maisons, près de La Ferté et le grand moulin entre La Ferté et Saint-Romain ; Landry de Gouffrault et sa femme Élisabeth, comme l’atteste l’archevêque de Sens (1214), les deux tiers de la grande dîme de Montcorbon, le troisième tiers appartenant au curé (H 651, registre) ; Pierre, comte d’Auxerre, et sa femme, Yolande, cent sous parisis de rente (143 fr.) pour faire célébrer leur anniversaire le jour des morts (H 651, registre); Toscelin de Marnay, chevalier (1218), du consentement de sa femme, de ses six fils et de sa fille, ses droits sur la dîme du territoire des Vieux-Écharlis et la censive de la paroisse de Villefranche et tout le droit qu’il avait dans la nouvelle forêt de la grange des Vieux-Écharlis (H 658, liasse); dans une lettre, Henri de l’lnfernat fait savoir (1219) que sa femme, Aalez, a abandonné un terrage à Montcorbon et une grange. Leur fille, Élisabeth, cède sa part des mêmes biens (Salomon, Hist. de l’abbaye) ; Pierre, seigneur de Sépeaux, confirme (1222) toutes les possessions de l’abbaye dans son fief.
  8. H 651, registre.
  9. Id., ibid.
  10. Quantin, Cart. de l’Yonne, III, p. 146.
  11. H 651, registre.
  12. Narjot Farsit abandonne (1225) 3 setiers de blé sur ses coutumes de Laduz (H 651, registre); Thibault, comte de Champagne, cède (1226), pour le repos de son âme, une partie de la gruerie qu’il a sur les bois des Écharlis, le long de la grange de Beauciard ; Robert de Courtenay consacre (1231) le don fait par Aalez, fille de défunt Landry de Couffrault, chevalier, de toutes les terres et de la juridiction lui appartenant dans la grange commune de Montcorbon, et accorde l’amortissement général des biens compris dans cette donation. Gauthier, chevalier, mari d’Aalez, approuve l’acte de sa femme (Salomon); Hugues, seigneur de Branches, et Nazarie, sa femme, donnent (1232) une maison à Branches (H 65l, registre).
  13. Quantin, Cart. de l’Yonne, III, p. 146.
  14. H 651, registre.
  15. Id., ibid.
  16. Essai généalogique de la maison de Saint-Phalle, p. 20. Voir plus loin.
  17. Essai généalogique de la maison de Saint-Phalle, p. 21.
  18. Quantin, Cartulaire de l’Yonne, III, p. 196.
  19. Devant le même doyen de Courtenay, Geoffroy de Villefranche abandonne (1238) le pré de Lanoë, près du moulin de Villefranche. L’évêque d’Auxerre permet aux religieux (1240) d’avoir un oratoire dans leur maison au-dessous d’Escolives et d’y exercer le droit paroissial (H 651, registre) ; Henri d’Épineau, écuyer, vend à Geoffroy de Léchères, trois deniers de cens dus à l’abbaye sur une terre près du pont tenant au clos des moines (H G58, liasse), Landry de Fleury, chevalier, donne (1247) dix sous de rente sur sa terre de Neuilly (H 651, registre) ; Édeline, veuve Dodon (1248), la vigne du clos de Boichelle, près du pont d’Auxerre, et le seigneur de Prunoy, pour son anniversaire, celui de sa femme et de ses enfants, quarante sols parisis, outre la pitance ; Geoffroy, fils de Garnier de Foissy (1260), ses droits sur les bois de Heauciard (H 651, registre).
  20. Élisabeth de Châteaurenard et ses frères Gauthier, Pierre et Geoffroy ratifient (1211) un échange de vignes fait par les moines. (H 651, registre.)
  21. Quantin, Cart. de l’Yonne, III, p. 46.
  22. Id., ibid. t III, p. 87.
  23. H 657, liasse.
  24. H 653, liasse.
  25. H 654, liasse.
  26. H 658, liasse.
  27. Quantin, Cart. de l’Yonne, III, p. 48.
  28. Trouvant que la quatrième partie du bois Joscelin leur rapporte peu à cause du droit de pacage appartenant aux hommes de Saint-Julien, les religieux la vendent en 1214 à Pierre, archevêque de Sens, pour 40 livres provinoises (5.750 fr.) et. achètent en 1222 deux arpents de vigne à Escolives. (Quantin, Cart. de l’Yonne, III, p. 65.) Le 3 février 1229, Hugues, abbé des Écharlis, vend à Joscelin d’Égriselles et à sa femme deux pièces de vignes situées près de la Maison-Rouge. (H 666, liasse.)
  29. H 649, liasse. Essai généalogique de la maison de Saint-Phalle, p. 21.
  30. Essai généalogique, p. 21.
  31. H 656, liasse.
  32. H 651, registre.
  33. H 656, liasse.
  34. H 658, liasse. Quantin, Cart. de l’Yonne,III, p. 288.
  35. H 656, liasse.
  36. Id., ibid.
  37. Salomon, Histoire de l’abbaye des Écharlis.
  38. H 649, liasse. Quantin, Cart. de l’Yonne, III, p. 334.
  39. En mars 1226, Hugues, abbé des Écharlis, reconnaît qu’il est tenu de payer chaque année à Pierre de Cheny six bichets de froment et 18 de mouture. (Salomon.)
  40. Jean Henry et autres, propriétaires d’une maison appelée la Barre, font aux religieux une reconnaissance de cinq setiers de fiomenl et de quatre muids de grain sur leurs terres de Dixmonl (H 654, liasse) ; Guillaume Perdriat reconnaît qu’il est détenteur une maison située près du cimetière d’Escolives moyennant 20 sous auxerrois de rente (145 fr.) (H (655, liasse); Pierre des Barres invite (1258) Eudes Chaumart, bourgeois de Dixmont, à acquitter la rente de 4 muids de grain, un de froment, un de seigle, et deux d’avoine qu’il doit sur son ferrage de Dixmont selon la reconnaissance de 1227. (H 651, registre ; H 654, liasse).
  41. Quantin, Cart. de l’Yonne, III, p. 41.
  42. Id. ibid. t III, p. 81.
  43. Id. ibid., III, p. 87.
  44. H 658, liasse.
  45. Renaud Oiselet et ses hommes de Lampée qui prétendent avoir droit de pacage dans certains clos des religieux, le long de l’étang de la Chaumotte, près de la grange d’Arblay, reconnaissent, le 3 juin 1226, que leurs prétentions sont mal fondées (H 653, liasse) ; selon une sentence de Nicolas de Haut-Villars, bailli du roi à Villeneuve, Guillaume d’Archicère, chevalier, et les habitants de Lampée n’ont aucun droit dans le clos qui se trouve près de la grange d’Arblay et l’étang de la Chaumotte, ni dans la forêt située devant l’abbaye. Les religieux sont exempts du droit de pâture et libres de faire clore (H 653, liasse) ; en 1242, Guy de La Porte, sa femme et leurs enfants renoncent au droit de pâture qu’ils croyaient avoir dans le clos près de l’étang de la Chauniotte (H 653, liasse) et, en 1246, Gille Cheurelle déclare n’avoir aucun droit dans cet étang, dans l’enclos qui est contigu et dans les autres possessions de l’abbaye. (H 653, liasse.)
  46. H 666, liasse. Quantin, Cart. de l’Yonne, III, p. 165.
  47. H 660, liasse.
  48. Arbitrage et sentence de l’archevêque de Sens (1236 et 1239) donnant aux moines la moitié des dîmes de La Celle-Saint-Cyr. (H 651, registre.)
  49. H 658, liasse.
  50. Catherine de Courtenay, impératrice de Constantinople, avait interdit aux religieux les pâturages et usages qu’ils prétendaient avoir sur ses terres labourables près de le tir clos d’Arblay, Pour 20 sols (85 fr.), elle leur cède (octobre 1300) le droit de pâture et deux setters de mouture qui leur ont été donnés par Auberi le Sec et qu’ils ont le droit de prendre sur le moulin d’Henry de St-Hilaire. (H 653, liasse. Essai généalogique, p. 45.) — Guiard de Goulfrault, sire d’Arblay, écuyer, reconnaît (1312 et 1333) qu’il est obligé de payer aux religieux, en la fête de Sainte-Croix de septembre, quatre livres tournois de rente sur les terres et appartenances d’Arblay. Ces quatre livres ont été données en pure aumône par les prédécesseurs de Guiard. (H 653, liasse.)
  51. Quantin, Répertoire archéologique de l’Yonne, Voir Famille de Saint-Phal et Essai généalogique, pp. 20 et 21.
  52. H 648, liasse.
  53. Recherches historiques par Tarbé. Sens, 1848.
  54. Voir Famille de Dicy, pp. 16, 17, 18. Bulletin de la Société des Sciences, 1912, 2e semestre, pp. 694, 695, 696.
  55. Salomon, Histoire de l’abbaye des Écharlis.
  56. Id., ibid, Collection des ordonnances du Roi.
  57. H 651, registre, p. 49.
  58. D’après une lettre du maître des eaux et forêts (1346), les religieux ont anticipé de neuf arpents sur les bois du roi.
  59. Le sceau de l’abbaye des Écharlis est ainsi décrit par Douët d’Arcq (Collection de sceaux, III, no 8218) d’après un sceau appendu à une charte de 1469 : « Dans une niche gothique à fond ouvragé, la Vierge debout, avec l’Enfant Jésus, et tenant à la main droite une fleur de lys. En bas, deux grandes fleurs de lys. »
    Dans Gaignières (Bibl. Nat., manuscrit latin 17097, pp. 63 et 73), le sceau représente un moine assis tenant une crosse de sa main droite et un livre dans sa main gauche.
    Sur un acte du 27 mars 1513 (Armoriai de Bourgogne), les armes des Écharlis portent : un bras vêtu mouvant du sceau entre deux fleurs de lys, tenant une crosse adextrée d’un croissant, celui-ci accompagné d’une crosse plus petite à dextre et au-dessus d’un objet à demi détruit, indéterminé. Sur une attestation de profession du 5 octobre 1745 : main droite emmanchée vêtue, tenant une crosse dont la hampe tient lieu de montant à une échelle. Croissant. Le tout surmontant 3 fleurs de lys. (Voir figure p. 257.) (Archives de la Côte-d’Or, H. II, L. 406.)