Histoire de l’Asie centrale/Afghanistan

Traduction par Charles Schefer.
Ernest Leroux (p. 1-92).

AFGHANISTAN


En l’année 1222 de l’Hégire[1], je partis de Boukhara en compagnie de Mirzâ Mehemmed Youssouf, fils de Soufy Redjeb Bay, fils de Bay Kichy, qui se rendait à Constantinople en qualité d’ambassadeur. Nous prîmes la route de la Russie, nous traversâmes ensuite la Bessarabie, la Moldavie, la Valachie et nous passâmes par les villes de Roustchouq, de Razquat[2], de Choumla, d’Islimyé et d’Andrinople.

À la fin du mois de Redjeb de cette même année (septembre 1807), nous arrivâmes à Constantinople. On nous logea dans l’hôtel de Saïd Efendi situé à Baghtchèh Qapou Meïdandjiq[3] et nous fûmes traités avec la plus grande considération et les plus grands honneurs.

Une année s’écoula ; au bout de ce temps, par l’effet de la prédestination et des ordres divins, il advint que l’ambassadeur, les gens de sa suite et mes propres serviteurs moururent de la peste. À la suite de cet événement, je restai longtemps sans savoir à quel parti m’arrêter ni que devenir. Obéissant aux décrets éternels, je me mariai selon les lois de l’orthodoxie et de la doctrine hanéfite, dans le village de Béchiktâch[4] dont le charme égale celui du paradis.

Je fus alors présenté à Arif Bey dont les brillantes qualités et l’affabilité envers les étrangers sont connues de tout le monde, et dont la générosité et la noblesse de caractère sont célébrées par ses amis et par ses ennemis, par les grands et par les petits.

Vers. « Ses manières sont généreuses, et son rang est élevé ; il a les qualités du Messie et son caractère est celui de Yahya[5]. Doué d’une vive intelligence, sage, libéral, les enfants de la tribu de Thay ne sont auprès de lui que de vils esclaves. L’intelligence et le bonheur d’Edhem[6] l’accompagnent ; il a bridé le coursier de la fortune. Ô Nédim ! mets fin à ces louanges, car la brièveté caractérise le meilleur discours. »

J’avais toujours eu le plus vif désir d’être admis en sa présence, et ce fut pour moi le plus heureux des instants que celui où il me fut possible enfin d’obtenir cette audience.

Vers. « Il fut pour moi le moment le plus fortuné, celui où je vis ce bosquet de beauté et de perfection ; louange à Dieu ! J’ai oblenu la récompense que j’ambitionnais. J’ai vu ce joyau de notre époque, cet homme rare dans les révolutions du temps ; jamais le monde n’a produit une perle aussi resplendissante. Je suis, on ne peut le mettre en doute, le serviteur dévoué de ce personnage qui inspire une affection pure et sincére. Il est doué des plus nobles qualités ; que Dieu daigne aussi lui accorder ces cinq choses : la prospérité, le bonheur, une longue vie, la santé, le succes. Ses amis, en le voyant content, sont transportés de joie, ses ennemis soucieux s’écrient : « Que ne suis-je poussière[7] ! » Nédim répète soir et matin ce vœu : « Exauce mes prières en sa faveur, ô Dieu propice ! »

Ce haut personnage avait manifesté le désir de connaître la situation des États de l’Asie centrale et l’histoire des souverains, afghans et autres, qui, depuis l’année 1160 (1747), ont régné sur le Khorassan et sur une partie de l’Hindoustan, de ceux qui y règnent encore, ainsi que de ceux qui ont gouverné les pays du Touran (Turkestan). Il voulait aussi être instruit de l’état de cette partie du monde et connaître celui de ses habitants. Moi, son humble serviteur sans mérite, qui depuis ma jeunesse jusques à présent, ai consacré mon temps à voyager et à parcourir le monde, qui ai obtenu l’honneur d’être admis dans les réunions des grands, des savants, des gens instruits et des sages, j’ai exposé dans les pages suivantes la situation de ces états, dont j’ai vu une grande partie de mes propres yeux. J’ai cherché à connaître les autres par les récits véridiques, clairs et sincères des voyageurs. J’ai écrit ce livre, moi l’humble serviteur de Dieu, Mir Abdoul Kerim, fils de Mir Ismâyl, secrétaire particulier de l’ambassadeur de Boukhara à Constantinople, capitale de l’Islamisme, dans le mois de Rebi second de l’an 1233 (février 1818). Je l’offre comme un souvenir à Son Excellence Arif Bey Efendi, ce personnage revêtu d’un haute dignité, doué des qualités les plus louables et d’une nature angélique. Il est le refuge des hommes : il est doux, bienfaisant, la gloire de son siècle, ami des savants musulmans, compatissant envers les étrangers. (Que Dieu prolonge la durée de sa prospérité et augmente ses faveurs envers lui !) J’espère qu’il jettera sur cet ouvrage un noble regard.

NOMS DES POSSESSIONS QUI DÉPENDENT DU SOUVERAIN DES AFGHANS, DANS L’HINDOUSTAN ET DANS LE KHORASSAN[8].

Dans le Khorassan (comprenant l’Afghanistan) : Hérât, Balkh, Chibreghân, Fâryâb, Endkhou, Qoundouz, Méiménéh, Tchidjektou, le Ghardjistan, Bout Bâmiân, Firouz Kouh, la province de Ghour, le district de Taimen, les districts des Hézârèh, Isfezâr, Ghoutian, Khâf, Bâkherz, Djâm, Mouhavvelat, le Qouhistan, le Séïstan, le Zâdestan, Qaleh Gâh, Ferâh, Khoch Nichin, Bemm, Dèrèh, Zekykeddèh, Hirmend, Zemin Daver, Qandahâr, Kélâti Ghildjâï, Ghazna, qui fut la capitale du sultan Mahmoud, Kâboul, les cantons du Béloutchistan, Kelâti Nacir Khan, etc., Khabis, Nermâchir.

Dans l’Hindoustan : Laghmân, Vekêh, Tchârik Kâr, Djelal Abâd, Pichâver, Galkar, Mefâkhir Abâd, Badjour, Atek, Pind Halim, Kachmir, Bir, le district des Youssouf Zey, Lyièh, le district de Bendi Khéïber, Tcherkhi Louguer, Kich, Déïrèhi Ghâzhi Khan, Déïréhi Ismayl Khan, Khéïrpour, Khalpour (Thalpour), Chikarpour, Moultan, le district du Sind, Kouner, Pichout, Lahore, Pindi, le district des Lohâny, celui des Kaukery, etc.

Tous ces noms qui viennent d’être énumerés, désignent des provinces ou des villes, dont chacune est administrée par un hâkim ou gouverneur particulier ; elles comprennent des arrondissements, des districts et des tribus nomades. Dans quelques-unes des provinces, on trouve des mines de cuivre, d’argent, de fer, de plomb, d’or et de mercure ; les mines de soufre y sont en grand nombre. Dans les campagnes, il croît beaucoup d’indigo ; on y cultive la canne à sucre, le gingembre, le curcuma et diverses sortes de plantes médicinales ; la pistache y est abondante.

Les différents cantons composant chaque province fournissent un revenu qui est versé chaque année au trésor royal ou qui sert à payer la solde des troupes. La monnaie en usage dans ce pays est la roupie : chaque roupie vaut deux piastres de Constantinople. La monnaie de compte est le lak ; un lak vaut cent mille roupies, et en monnaie de Constantinople, deux cent mille piastres ; chaque lak vaut donc au juste quatre cents bourses.

Voici le revenu des principales provinces :

Revenu de Kachmir, Mozaffer-Abâd, etc. 24 laks de roupie

— de Djelal Abâd 4 —

— de Kâboul 5 —

Revenu de Qandahâr 2 laks de roupies

— de Chikarpour 9 —

— de Moultan 6 —

— des provinces du Sind, en tout 10 —

— de Déïrèhi Ismayl Khan 14 —

— de Déïrèhi Ghazhi Khan 16 —

— de Pichâver 6 —

— d’Hérât et de ses dépendances 3 —

— de Bout Bâmiân et de ses dépendances, les Hézârèh 2 —

— de Tcherki Louguer et Nebkechy, etc. 2 —

— du Béloutchistan et de ses dépendances 2 —

— de Khéïrpour, Thalpour, et leurs dépendances 6 —

— de Balkh, ses dépendances, le district de la tribu afghane de Youssouf Zey, en tout 2 —

— d’Atek, Halim, etc. 1 —

— des districts de Lyièh, Kouner, Pichout, Lahore, Pindi 4 —

— du district des Kaukery 1 —

— des districts de Tchârik-Kâr et des Lohâny 2 —

Il y a en outre d’autres districts dont les revenus s’élèvent de 5 à 10,000 roupies, plus ou moins. On ne les trouve point mentionnés ici, l’énumération en aurait été trop longue.

DISTANCES DES PRINCIPALES VILLES ENTRE ELLES[9]

La distance de Hérât à Qandahâr est de 120 fersakhs ; de Qandahâr à Kâboul, 80 fersakhs ; de Kâboul à Pichâver, 60 ; de Pichâver à Kachmir, 90 ; de Kâboul à Balkh, 80 ; de Balkh à Boukhara, 60.

Entre Boukhara et la Russie il y a 50 étapes ; entre Boukhara et Mervi Chahidjan, il y a 50 fersakhs ; entre Merv et Hérât, 60 ; entre Merv et Mechhed, 60 ; entre Merv et Kharezm (Khiva), 60 ; entre Merv et Balkh, 80 ; entre Mechhed et Hérât, 60 ; entre Hérât et le Séïstan, 70.

De Qandahâr à Chikarpour on compte 120 fersakhs ; de Chikarpour à Moultan, 80 ; de Moultan au Sind, 8. ; entre Kâboul et les Déïrèh, il y 100 fersakhs. Nous écrivons ces chiffres, pour qu’on s’en souvienne en lisant ce livre. C’est en l’année 1233 (1818).

SOUVERAINS AFGHANS.

C’est de l’Afghanistan que Zémân Khan Abdâli Dourani Sadou Zey, Afghan, vint s’établir à Hérât. Le gouverneur de cette dernière ville était Essed Oullah Khan Sadou Zey.

Hadji Mir Véïs essayait secrètement de soulever les populations : « La puissance des Qizilbachs (Persans) décline, disait-il ; elle n’a plus de prestige ; nous qui, par lâcheté, leur obéissons, unissons-nous, tuons ces misérables qui nous commandent et gouvernons-nous nous-mêmes pour notre propre compte. » La tribu des Abdâlis embrassa son parti, mais en lui disant : « Lève d’abord l’étendard de la révolte à Qandahâr ; alors nous te suivrons. » Hadji Mir Véïs se rendit à Qandahâr : il réunit les Ghildjàïs, leur dépeignit la faiblesse du gouvernement persan et leur fit connaître l’engagement que les Afghans Abdâlis avaient pris et la promesse qu’ils avaient faite de se révolter. Tous acceptèrent ses propositions.

À cette époque[10], Châh Nuvâz Khan, Géorgien, était gouverneur de la ville pour le sultan Housseïn de la dynastie des Séfévis : il fut attiré hors de la ville sous prétexte de passer en revue les troupes Ghildjäi. L’armée était rangée en ligne des deux côtés de la route ; Châh Nuvaz Khan passait entre les rangs des soldats, lorsque ceux-ci se jetèrent sur lui et le massacrèrent ainsi que tous les Persans qu’ils rencontrèrent. Les Afghans prirent possession de la ville, et la khoutbeh fut prononcée et la monnaie frappée au nom de Hadji Mir Véïs.

Vers. « L’illustre Mir Véis Khan, qui a mis à mort le chef géorgien, a battu monnaie et fait réciter la khoutbeh en son nom à Qandahär, la demeure du repos et de la durée[11]. »

Mir Véïs porta par dépêche ces événements à la connaissance d’Essed Oullah Khan Sadou Zevy, gouverneur de Hérät ; mais les Abdälis n’osèrent pas, par leur défection, affaiblir la puissance persane ; touf au contraire, ils firent connaître à Ispahan la conduite de Hadji Mir Véïs et protestèrent de leur dévouement pour la cour de Perse. Le sultan Houssein Séfévi donna l’ordre à un général de marcher contre les révoltés à la tête d’une armée soutenue par les Afghans de Hérât. Le général, dans l’intention de livrer bataille, vint à Hérât, et se dirigea accompagné par les Afghans de cette ville sur Qandahâr. Les deux armées se rencontrèrent près de cette dernière ville[12] ; les Persans furent mis en déroute. Une autre armée envoyée une seconde fois fut également battue[13]. Dès lors la cour de Perse ne fit plus marcher de troupes ; la dynastie des Séfévis touchait à son déclin et n’avait plus la force nécessaire pour faire la guerre. La puissance de Mir Véïs s’accrut, il devint souverain indépendant et maître du pays jusqu’à Kâboul. Il se brouilla avec les Afghans de Hérât ; ceux-ci, à cette époque, se révoltèrent contre les Persans et défirent leurs troupes dans une rencontre.

Mir Véïs mourut a Qandahâr[14]. Il eut pour successeur son fils Châh Housseïn qui, pour ménager ses intérêts, se montra l’ami des Persans ; il conduisit son armée contre Hérât dans l’intention de leur venir en aide. Essed Oullah Khan sortit de la ville et se porta à la rencontre de l’armée Ghildjâï ; les deux adversaires se trouvèrent en face l’un de l’autre à Khâvy, entre Qandahâr et Hérât. Essed Oullah Khan fut tué ; les Afghans de Hérât, mis en fuite, se réfugièrent dans la ville. Châh Housseïn informa le roi de Perse de la victoire et de la mort d’Essed Oullah et il lui fit parvenir ses protestations de dévouement. Les poètes de la Perse célébrèrent dans leurs vers la mort d’Essed Oullah et les preuves de bon vouloir de Châh Housseïn.

Hémistiche. « Le chien du roi de Perse a déchiré Essed (le lion). »

À cette époque Zémân Khan Abdâli fut tué. Il est le père d’Ahmed Châh ; son tombeau se trouve à Hérât. Après cet événement, Allah Yar Khan fut nommé gouverneur de cette ville. Mehemmed Khan et Ekrem Khan, frères de Zemân Khan et d’Essed Oullah Khan firent cause commune ; ensuite eurent lieu les expéditions des Ghildjâïs qui s’emparèrent du Kermân, de Yezd et d’Ispahan. Mahmoud, frère de Châh Housseïn, régna dans cette dernière ville. Après sa mort (1722), Echref son cousin devint roi. Il resta sur le trône jusqu’aux victoires de Châh Tahmâsp et jusqu’au moment où Nadir Châh s’empara du pouvoir. Ce prince chassa Echref de la Perse (1729) ; il reprit Hérât sur les Afghans (1731) et soumit Qandahâr (1738). La puissance persane se trouva rétablie, mais après la mort de Nadir Châh, ces villes retombèrent aux mains des Afghans. Cette situation dure encore à présent (1233-1818).

Le père de la nation afghane se nommait Abdàl ; de là vient le nom d’Abdâli que l’on donne aussi à ce peuple. Lorsque Ahmed Châh monta sur le trône, à Qandahâr, il favorisa plus particulièrement les Dourânis.

Primitivement, la tribu de Sadou Zey était établie à Moultan, dans la contrée située sur les bords du Sind dans l’Hindoustan. On rapporte que tous les Afghans descendent d’un même père, qui avait dix fils. Le fils aîné se nommait Sadou ; le second, Foulfoul ; le troisième, Bârik ; le quatrième, Alikou ; le cinquième portait le nom de Nour ; le sixième, celui d’Ishâq ; le septième, celui d’Ali Zou ; le nom du huitième était Khoukan ; le neuvième s’appelait Berdourân et le dixième enfin, Ender.

Du vivant de leur père, leurs familles étaient devenues nombreuses ; d’un commun accord ils vinrent le trouver et lui dirent. « Choisis l’un d’entre nous pour être notre chef, et nous lui obéirons. » Leur père répondit : « J’y consens, à la condition que vous lui serez soumis. » Tous le promirent ; il désigna Sadou comme leur magistrat suprême et leur souverain. Les Afghans prirent l’engagement de considérer les descendants de Sadou comme leurs chefs ; ils décidèrent, qu’en aucun cas, il ne serait permis de tirer l’épée contre eux ni de les tuer, quand même ils auraient commis de grands crimes ; que personne ne prendrait en mariage une fille de la tribu de Sadou ; que sa race serait supérieure a la leur et qu’ils ne seraient pas considérés comme ses égaux. Le pacte fut conclu sur ces bases ; la tribu de Sadou a eu toujours la prééminence sur les autres et elle est encore souveraine. Elle est originaire du Moultan. Quant aux autres tribus, elles se séparèrent et se fixèrent dans les contrées montagneuses de Chikarpour et des Déïreh, jusqu’aux limites de Ghazna et de Kâboul. La tribu des Ghildjâïs avoisine celle des Abdâlis jusqu’auprès de Qândahâr, et elle habite aussi à Qandahâr même.

Sous le règne des rois Séfévis de Perse, les Ghildjâïs se montrèrent soumis. Les Afghans Abdâlis dominèrent dans la province d’Hérât ou soixante mille familles étaient venues s’établir. Sous Thahmasp Châh, ils restèrent d’abord dans les limites de l’obéissance. Ils persévérèrent dans cette ligne de conduite, à l’égard des Persans, jusqu’au règne du sultan Housseïn Séfévy. À cette époque Hadji Mir Véïs, Ghildjâï de naissance, se rendit de Qandahâr à Hérât et de cette dernière ville à Ispahan, où résidait le sultan Housseïn. Pendant six mois, il présenta des requêtes auxquelles personne ne prêta attention, et il s’aperçut qu’il n’y avait ni ordre, ni organisation, que l’empire n’avait aucune force et que le pouvoir souverain était nominal. Il se rendit en pèlerinage à la Mecque ; à son retour à Ispahan, voyant les affaires dans le même désordre, il conçut de soulever les Afghans.

Lorsque Nadir Châh eut repris Hérât sur les Abdâlis, il les dispersa dans la province du Khorassan et en Perse. Il fit d’Ahmed Khan un de ses écuyers[15], et il leva parmi cette population un millier d’hommes pour son armée ; il leur donna pour chef Mehemmed Ghany Khan Alikou Zey. Dans la bataille que livra Nadir à l’armée turque à Basra, les Afghans firent preuve de courage et combattirent vaillamment ; Nadir était tombé de cheval sur le champ de bataille, et les troupes persanes avaient lâché pied, lorsque les escadrons afghans sous les ordres de Mehemmed Ghany Khan chargèrent l’armée de Basra qui fut mise en déroute ; ils enlevèrent Nadir Châh du milieu de la mêlée et rejoignirent le reste de l’armée[16]. Nadir fut satisfait et content de leur conduite et il leur dit : « Je suis très-heureux de votre bravoure ; en échange de ce que vous avez fait pour mon service, adressez-moi une demande, elle vous sera accordée. »

Ces Afghans voyant l’esprit du souverain bien disposé en leur faveur lui soumirent cette requête : « Nous souhaitons, dirent-ils, deux choses : d’abord que l’ordre soit donné à tous les Afghans dispersés dans les différentes provinces, de retourner dans les lieux qu’ils habitaient autrefois, dans le Khorassan, depuis Hérât jusqu’à Qandahâr : en outre, lorsque notre souverain aura enlevé Qandahâr à Châh Housseïn fils de Hadji Mir Véïs Ghildjâï, que cette ville soit donnée aux Douranis Abdâlis. » Nadir Châh acquiesça le jour même à ces deux demandes. Deux ans après, il s’empara de Qandahâr ; il fit prisonnier Châh Housseïn, qu’il relégua dans le Mazendérân où il fut mis à mort. Il dispersa la tribu des Ghildjâïs, et il donna la ville de Qandahâr aux Abdâlis.

Lorsque Nadir Châh, en l’année 1159 (1746), fut assassiné près de Thous, dans le Kurdistan[17], au milieu de la nuit, par le Persan Sâlih Mehemmed Khan Karakly Efchâr, les troupes afghanes qui formaient la garde particulière du roi apprirent cette catastrophe la nuit même. Mehemmed Ghany Khan et Ahmed Khan firent cause commune ; après avoir pillé une partie des bagages du roi, ils quittèrent le camp le matin et se dirigerent vers Qandahär par la route de Qâin[18] et du Séistan. Pendant la route, les Afghans s’entendirent entre eux ; ils élurent pour chef Ahmed Khan après avoir assassiné Mehemmed Ghany Khan. Ils le proclamèrent roi et lui donnèrent pour ministre Vély Khan Foulfoul Zey. Ils entrèrent à Qandahâr sans coup férir, et tous les Afghans vinrent y saluer le nouveau souverain.

Sur ces entrefaites, un convoi d’argent considérable, venant de l’Hindoustan, du Sind et du Moultan et destiné à Nadir Châh, fut saisi par Ahmed Khan ; il rassembla une armée nombreuse, et en l’année 1164 (1750), il prit le titre de souverain indépendant et s’empara de Ghazna, de Kâboul, de Djelal-Abâd, de Chikarpour, du Séïstan et du Zâdjistan. Il marcha contre Hérât, dont le gouverneur était alors l’émir persan Khan Michmest ; au bout de six mois, il emporta la ville de vive force, et il envoya en enfer nombre de misérables Persans[19]. Il s’empara de tout le pays, jusqu’auprès de Mechhedi Thous. Il marcha ensuite sur l’Hindoustan (1782) et il enleva Pichâver, Kachmir, Lahore, Routhas, Amber-Nechr et Djihan Abâd à l’empereur Mehemmed Châh, descendant de Timour, avec lequel il conclut un traité. Dans une autre expédition, il se dirigea vers le Sind et conquit les provinces du Moultan, du Sind, des Déïreh, de Khéïrpour, de Nebkech, de Tcherkhi Louguer, le pays des Béloutch, ete. ; il soumit Balkh, Endkhou, Bâmian, Qoundouz, la province du Ghouristan, Ysfezâr, Mouhavvelat, Qâïn, Nichapour, Sebzvâr, Mechhed, Kouhi Mich, Merv, Serakhs, Sohrâb Abâd, Djâm, Tourbet, Tirchiz et d’autres villes. Il fut en paix avec Kérim Khan Zénd souverain de Chiraz. Il établit son fils aîné le prince Timour à Hérât et le déclara son héritier présomptif. Il fit de Qandahâr sa capitale ; il y bâtit une nouvelle ville qu’il appela Ahmed-Châhy. Qandahâr est connu aujourd’hui sous ce nom. C’était vraiment un souverain digne de ce nom, juste et généreux ; il était le père de ses sujets ; il était doué d’un caractère saint, affable, doux, hospitalier. (Que Dieu lui fasse miséricorde !) Il régna pendant trente années qui furent prospères ; sous son règne in n’y eut ni troubles, ni séditions. Il laissa pour héritiers six enfants. Son vézir était Châh Vély Khan, ministre doué de la sagesse d’Aristote, rempli d’intelligence et de connaissance. Sous son administration le royaume fut tranquille ef les peuples en repos.

La population afghane augmenta ; cinquante mille hommes de cette nation recevaient une solde permanente. Ahmed Châh donna la ville de Mechhed à Châh Roukh, petit-fils de Nadir Châh, qui avait été aveuglé par Alim Khan, Arabe de la tribu de Khozéïma établie dans le Kouhistan. Alim Khan fut arrêté et mis à mort[20]. Ahmed Châh mourut à Qandahâr en l’année 1185 (1771) ; il y est enterré[21].

Légende des monnaies d’Ahmed Châh : « Cet ordre fut donné par le Tout-Puissant, l’inexplicable, à Ahmed le souverain : Frappe le coin sur l’or et sur l’argent, depuis la région du poisson (qui supporte la terre) jusqu’à celle de la lune. »

Légende de son sceau : « L’empire est à Dieu ; ô Lui ! — Ahmed Châh, la perle des Dourânis. — Ô victorieux ! »

De ses six fils, l’un, le prince Mahmoud mourut dans le qafès[22] ; le second, le prince Goher, eut le même sort ; le troisième, le prince Dârâb mourut à Kâboul ; le quatrième, le prince Chehâb vivait encore en 1233 (1818) ; il est mort depuis. Les deux autres étaient le prince Houmay mort dans le qafès et le prince Iskender.

Timour Châh parvenu au pouvoir fît enfermer ses frères dans le qafès du Bâla Hiçar[23] de Kâboul ; il fit de cette ville sa capitale. Plusieurs émirs, après s’être concertés dans des conciliabules secrets, creusèrent un souterrain qui, partant de la boutique d’un boulanger, débouchait au milieu du château. Ils en firent sortir le prince Iskender ; mais, par mesure de prudence, ils l’emmenaient chaque nuit, et le ramenaient au plus vite. Ce manège dura pendant plusieurs jours. Le chef des eunuques, instruit de cette circonstance, en informa le roi ; on se saisit de ces conspirateurs, qui furent tous exécutés, et le prince Iskender fut étranglé. Les émirs dont nous venons de parler étaient Kâlou Khan Nour Zéy, Zâl Bey Foulfoul Zey, Rahman Khan Alikou Zey et d’autres.

TIMOUR CHÂH, FILS D’AHMED, FILS DE ZEMAN KHAN ABDALI.

Légende du sceau de Timour : « L’établissement du pouvoir de Timour Châh dans le monde a été un signe de la faveur divine. »

Légende de la monnaie : « Le ciel fait venir l’or du soleil et l’argent de la lune, pour imprimer sur leur surface le coin de la monnaie de Timour. »

Lorsque la nouvelle de la mort de son père lui parvint à Hérât, il convoqua les supérieurs des ordres religieux, les savants, les lettrés et les chefs de l’armée et les réunit en conseil : « Mon père, leur dit-il, m’avait désigné pour son héritier présomptif ; mais, à ses derniers moments, son vézir l’a fait changer d’avis ; il a choisi pour lui succéder mon frère Souléïman ; aujourd’hui celui-ci fait battre à Qandahâr le tambour de la souveraineté ; le trésor paternel est en son pouvoir, ses forces sont considérables ; que jugez-vous convenable de faire ? » Tous le saluèrent et s’inclinèrent devant lui, en s’écriant : « Le rang suprême vous appartient ; nous sacrifierons notre vie pour que votre droit soit assuré et mis hors de toute atteinte. »

Tous les gens de loi et les émirs se rassemblèrent ensuite dans le jardin qui entoure le mausolée d’Abd Oullah Enssary connu sous le nom de Piri Hérât (le patron de Hérât)[24] ; il y eut un festin royal ; le Séyid Yahya de la famille Qitalièh, qui était l’un des plus grands cheikhs de l’époque, ceignit Timour de la ceinture royale, et lui donna l’investiture. Timour posa ensuite la couronne sur sa tête. Il fit réciter la khoutbeh et frapper la monnaie en son nom, il leva des troupes et marcha sur Qandahâr.

Sur la route, les Afghans vinrent en grand nombre se joindre à lui ; bref, Timour fit mettre à mort le vézir de son père, et enfermer à cause de son jeune âge le prince Souléïman dans le qâfès. Il se dirigea ensuite vers l’Hindôustan et s’empara de Kachmir et de Lahore qui s’étaient révoltées, mais il n’alla pas à Djihan Abâd. Il fit la paix avec Ali Kou Goher, fils de Mehemmed Ghâh, et il le traita toujours avec bienveillance. Il se rendit maître des provinces du Moultan et du Sind, et de tous les pays qui avaient été soumis au pouvoir de son père.

Il confia chaque province à un gouverneur digne de sa confiance ; il donna le gouvernement d’Ahmed Châhy à son fils aîné, le prince Houmâyoun ; il laissa d’abord comme gouverneur, dans Hérât, Islam Khan Foulfoul Zey ; quelques années plus tard il y envoya le prince Mahmoud. Il établit comme lieutenant dans Kâboul son fils Zeman qui était arrivé à l’âge d’homme et qui était doué de brillantes qualités. Il gouverna d’une façon tout à fait indépendante. La fermeté distingua son administration et il rendit le peuple heureux ; les habitants d’Hérât l’aimaient beaucoup. Il avait dans son palais trois cents filles esclaves ; il ne prit pas de femme parmi les Afghans, toutes ses femmes étaient persanes ; il laissa trente-six fils.

Lorsque Châh Mourad Bi souverain de Boukhara eut enlevé de vive force la ville de Mervi Châhidjan à Beyram Ali Khan Kadjar qui fut tué et qu’il en eut transporté les habitants à Boukhara, quelques-uns des grands personnages de cette ville, ainsi que le fils de Beyram Ali, se réfugièrent auprès de Timour Châh, et lui dirent : « Merv fait partie de votre empire ; nous tous nous sommes vos sujets ; les Uzbeks, injustes et violents, ont dévasté et pillé notre pays, et ils en ont emmené les habitants prisonniers ; nous confions à votre foi religieuse le soin de venger notre honneur. » Timour Châh, à la tête d’une armée d’environ cent cinquante mille hommes, marcha de Kâboul sur Balkh par la route de Bout Bâmian avec l’intention de tirer vengeance ; des troupes de toutes les provinces de son empire se joignirent à lui.

Châh Mourad, de son côté, mit trente mille hommes sous les armes et éleva des retranchements sur la rive du Djihoun. Mais la crainte et la terreur s’emparèrent de son esprit ; après de nombreuses intrigues, il se décida à envoyer le qadi Abou Nasr et quelques autres personnages porteurs d’un mémoire appuyé sur des décisions juridiques auprès du qadi Feiz oullah qui possédait la confiance de Timour.

« C’est donc vous, était-il dit dans cette pièce, qui prenez à cœur l’honneur des Persans, et qui venez attaquer des musulmans ! Qu’est-ce à dire ? En cas de conflit, vos morts seront des apostats, et les nôtres des martyrs. »

Ces arguments étaient basés sur la vérité : le qadi Feiz oullah fit changer d’avis au roi. La paix fut conclue et Timour s’éloigna. Il mourut à la fin de l’année suivante ; c’était un souverain ami de la religion et des savants. (Que Dieu lui fasse miséricorde !)[25].

SOULÉÏMAN CHÂH, FILS D’AHMED CHÂH.

Au moment de la mort de son père, il se trouvait à Qandahâr. Vély Khan, gendre du roi, et qui était aussi son vézir, importunait Ahmed Châh en lui disant : « Timour est loin de vous ; l’empire sera livré au désordre ; faites du prince Souléïman votre héritier présomptif. » Bien qu’Ahmed Châh eut conscience de l’inimitié du vézir à l’égard de Timour, il fut, par ses obsessions, forcé de consentir à laisser le pouvoir à Souléïman. Souléïman Châh fit donc frapper la monnaie et réciter la khoutbeh en son nom dans la ville d’Ahmed Châhy ; il distribua une gratification à l’armée. Le vézir, entièrement maître, excitait le peuple à reconnaître Souléïman comme roi. Celui-ci envoya des ordres de tous les côtés, nomma des fonctionnaires et retint ses frères auprès de lui.

Sur ces entrefaites, on apprit que le prince Timour avait, à Hérât, posé sur sa tête la couronne de la souveraineté, qu’il avait fait battre monnaie, prononcer son nom dans les prières, et qu’il équipait et soldait une armée. La plus grande partie des Afghans qui étaient à Qandahâr avaient le cœur plein de ressentiment contre le vézir ; ils s’éloignèrent et gagnèrent Hérât. Timour Châh marcha sur Qandahâr suivi d’un nombre considérable de partisans. L’armée de Souléïman l’abandonna et passa tout entière au camp de Timour. La fortune et l’étoile de Souléïman inclinant au malheur, les efforts du vézir restèrent sans résultat. Bref, il ne resta personne à Qandahâr auprès de Souléïman et de son ministre. Celui-ci, voyant le bonheur l’abandonner, se rendit au-devant de Timour avec ses deux fils, son petit-fils, et des présents considérables, après avoir dicté à Souléïman la conduite qu’il avait à tenir : « Lorsque Timour Châh approchera, vous-même, avec les gens de loi et les religieux, le sabre et le linceul au cou, allez à sa rencontre pour le recevoir. » Le vézir rejoignit l’armée de Timour à l’endroit appelé Siâh Ab ; il s’avança pour saluer le roi ; mais Timour Châh ne jeta même pas un regard sur lui. Lorsqu’on eut campé, le vézir et ses enfants furent arrêtés et mis tous à mort. (Que Dieu leur fasse miséricorde !) Leurs biens furent confisqués au profit du trésor royal. L’armée approchant de la ville d’Ahmed Châhy, Souléïman se porta à la rencontre du roi, accompagné par les gens de loi et les religieux : il avait le sabre et le linceul au cou ; il mit pied à terre et salua le roi. Timour Châh lui accorda le pardon de ses fautes, et lui fit signe de remonter à cheval. Il lui ordonna de demeurer une semaine enfermé dans le mausolée d’Ahmed Châh et de venir ensuite le saluer. « Je vous rends vos biens, lui dit-il ; mais livrez-moi le trésor. » Souléïman obéit de tout cœur, et, au bout d’une semaine, il vint à l’audience royale ; Timour partit pour Kâboul.

La crainte que ses frères lui inspiraient avait déterminé Timour Châh à les emprisonner dans le Bâla Hiçar de Kâboul, château très-bien fortifié.

Il n’eut point de vézir ; le cheikh Abdoul Lethif, un des fils du cheikh Ahmed Djâmi, était son intendant et son conseiller ; le qadi Feiz oullâh Daoulet Châhy, Afghan d’origine, était chargé du soin des affaires de l’État. Il choisit pour capitale Kâboul qui devint le siège du gouvernement.

Quant au prince Souléïman, il passait son temps à copier la parole de Dieu (le Qoran) ; il avait une belle écriture. Il resta vingt-cinq ans en prison et il y mourut. Il laissa quatre fils qui, à présent (1233-1818), sont renfermés dans le qafès.

LE PRINCE HOUMAYOUM, FILS DE TIMOUR CHÂH

Lorsque la nouvelle de la mort de son père parvint à Quandahâr, Houmâyôun se déclara souverain ; il était l’aîné de tous les enfants de Timour. Il rassembla une armée ; mais, dans une rencontre qu’il eut avec les troupes de Zéman Châh, à la quatrième étape entre Kâboul et Qandahâr[26], il ne put résister, prit la fuite et se réfugia à Hérât.

Il s’établit dans cette ville et sollicita du prince Mahmoud un secours que celui-ci ne lui fournit point. Au bout de quelque temps, il pilla des caravanes se rendant de Hérât à Qaiidahâr. Il tira de ces expéditions deux millions de poûls[27], avec lesquels il put solder une armée. Le fils de Zéman Châh, le prince Hayder et le général Ahmed Khan sortirent de Qandahâr pour se porter à sa rencontre. Le prince Houmayoun les battit, s’empara de Qandahâr et mit à la torture des négociants et des notables de la ville ; il se procura ainsi des ressources.

Sur ces entrefaites, l’armée de Zéman Châh arriva ; Houmayoun prit la fuite du côté du Moultan : le gouverneur de cette province, ayant appris son arrivée, lui livra bataille ; Sultan Ahmed, fils de Houmayoun, fut tué, et lui-même fait prisonnier[28]. En route, il fut aveuglé par ordre de Zéman Châh, qui céda aux suggestions de son vézir Rahmet oullah Khan, fils de Feiz oullah Khan Sadou Zey. Il mourut dans le château de Kâboul, sans laisser d’enfants. Son règne avait duré huit mois.

ZÉMAN CHÂH, FILS DE TIMOUR CHÂH

Sceau de Zéman Châh : « Lorsque Timour eut quitté le trôné de la royauté, la fortune (Zéman) donna la souveraineté à Zéman. »

Légende de ses monnaies : « C’est par l’ordre de Dieu, maître de l’univers, que la monnaie de l’empire porte le nom de Châh Zéman. »

Après la mort de son père à Kâboul, il obtint le pouvoir royal, grâce aux efforts du qadi Feiz oullah[29] et du serdar Pâyendèh Khan Bârik Zey et de tous les émirs ; il fit frapper monnaie et réciter la khoutbeh en son nom. Les poètes mirent en vers la légende rhythmée de son sceau ; la voici :

Vers. « Lorsque Timour eut quitté le trône de la royauté, la fortune donna la souveraineté à Zéman. »

Il envoya dans chaque province des firmans et des lettres royales ; il prit pour ministre Rahmet oullah Khân fils de Feth oullah Khan Sadou Zey, bien que les principaux personnages de l’empire voulussent secrètement l’en empêcher, en lui disant : « Rahmet oullah ne convient pas à la dignité de vézir ; de plus, il est un de vos cousins ; Dieu veuille que votre choix ne fasse naître aucun malheur ! » Il ne prêta point l’oreille aux discours de ceux qui lui donnaient ce sage conseil. Il fit de Rahmet oullah son ministre et il lui donna tout pouvoir ; à la fin, le déclin de sa fortune désorganisa l’État ; son histoire sera racontée plus loin.

Zéman Châh s’empara de Kachmir, du Sind, du Moultan, des Béïreh, de Chikarpour et de Balkh, puis il marcha sur Qandahâr. Le prince Houmayoun ne put résister ; il fut battu, s’enfuit du côté de l’Hindoustan, et fut fait prisonnier dans le Moultan. Zéman Châh poussé par son vézir Hahmet oullah Khan donna l’ordre de le priver de la vue. Il fut conduit à Kâboul et enfermé dans le Bâla Hiçâr, où il mourut desa mort naturelle.

Le prince Mahmoud s’était, dans Hérât, déclaré prétendant au trône ; il fit frapper la monnaie et réciter la khoutbeh au nom de son père défunt, et il mit une armée sur pied. Il marcha sur Qandahâr, et Zéman Châh, de son côté, sortit de cette ville avec ses troupes. La bataille se livra à Ghourek, près de la rivière de Hirmend[30], Zéman Châh désirait la paix, mais le prince Mahmoud, trop plein de confiance dans ses forces la refusa. Il fallut en venir aux mains. Le vent de la victoire souffla du côté de Zémân ; les troupes du prince Mahmoud, mises en déroute, abandonnèrent le camp et le trésor et s’enfuirent sans s’arrêter jusqu’à Hérât. Beaucoup de soldats et d’émirs furent faits prisonniers ; Zéman Châh leur fit à tous des présents et leur remit une somme d’argent pour qu’ils pussent retourner chez eux[31]. Il envoya un ambassadeur au prince Mahmoud. À la fin, il fut convenu que la province d’Hérât avec Férah appartiendrait à Mahmoud qui, l’année suivante, fit frapper la monnaie et réciter la khoutbeh au nom de Zéman Châh. Ce prince marcha alors sur Lahore, avec l’intention d’aller à Djihan Abâd ; il s’empara de vive force de Lahore et de Routhas, où l’armée fit un riche butin.

Sur ces entrefaites arriva la nouvelle que le prince Mahmoud, rompant le traité conclu, levait une armée dans l’intention de s’emparer d’Ahmed Châhy (Qandahâr)[32]. Zéman Châh revint en toute hâte à Kâboul, laissant ses bagages derrière lui. Il acquit, d’après les renseignements qui lui furent donnés, la certitude que le prince Mahmoud avait des projets hostiles. Il distribua alors une gratification à ses troupes et marcha sur Qandahâr ; de cette ville, il se dirigea sur Hérât[33]. Mahmoud informé de sa prochaine arrivée fut saisi de trouble et d’effroi. Il envoya sa mère, avec Zéman Khan, son lieutenant, porteur de nombreux présents, à la rencontre de Zéman Châh pour négocier un arrangement. Il sortit lui-même de Hérât avec ses troupes et il vint, dans le dessein de faire face aux arrivants, se placer à une fersakh de distance, à Raouzhè Bagh[34]. Il laissa dans la ville le prince Firouz oud Din, son frère cadet.

Son vézir, Houssein Aly Khan, était Persan : les émirs afghans et ouïmaks haïssaient ce ministre et nourrissaient contre lui les sentiments d’une vive inimitié. Ils écrivirent en secret à Zéman Châh et à son vézir Rahmet oullah Khan des lettres pour leur faire savoir qu’ils ne devaient point consentir à la paix, mais qu’il leur fallait sans retard arriver à Hérât ; que Zéman Khan, envoyé par

Mahmoud dans un but de conciliation, agissait par ruse ; qu’il enlèverait Zéman Châh pour le conduire à Hérât. Un personnage nommé Qilidj Khan, de la tribu turcomane des Ouïmaks Timouris qui compte trente mille familles, se trouvait à Hérât avec mille cavaliers. Tous les jours, il annonçait qu’il se rendrait au camp ; mais il se jeta à l’improviste dans le château d’Ikhtiar oud Din, très-forte citadelle bâtie par les rois Ghourides, en fit la garnison prisonnière et ouvrit un feu de mousqueterie sur la ville et le palais royal. Le prince Firouz oud Din s’éveilla du sommeil de la négligence ; il vit ce désordre et en envoya secrètement la nouvelle au camp. C’était au moment de la prière de l’Asr (de l’après-midi) ; le prince Mahmoud éperdu, quitta l’armée pendant, qu’elle était plongée dans le sommeil, et, suivi de ses confidents et de Housseïn Aly le Persan, il enleva son trésor et se dirigea vers la ville. La nuit même, les soldats s’aperçurent de son départ : ils en profitèrent pour piller le camp. Le prince Mahmoud rentré dans Hérât s’empressa aussitôt de prendre toutes ses dispositions ; il fit pointer des canons sur la citadelle qu’il battit vigoureusement, mais sans produire d’effet. Au bout d’un jour et d’une nuit, quand il vit que l’attaque n’avait aucun succès, sous le coup des circonstances, il envoya à Qilidj Khan, l’astrologue Séyid Mehemmed qui était lié d’amitié avec lui. Il le chargea de lui dire : « Je m’engage, sur la parole de Dieu, à te pardonner ton crime et à souscrire à toutes tes demandes. » Le Séyid Mehemmed accompagné de quelques autres descendants du Prophète alla trouver Qilidj Khan dans la citadelle ; il lui fit part des propositions du prince Mahmoud et se porta garant de leur sincérité. Qilidj Khan répondit, avec les dehors de la soumission : « Je suis l’humble serviteur et l’esclave du prince ; des hommes pervers m’avaient fait concevoir des craintes ; mais, puisque le prince me pardonne mes crimes, à moi qui suis coupable, tant que je vivrai, je ferai pour lui et pour le service de Dieu le sacrifice de ma vie. Je n’agirai pas avec duplicité ; mais puisque ceux qui possèdent la confiance de la cour du prince et ont toute autorité sont Housseïn Aly Khan et Mirza Hachim Khan le chef des secrétaires de la chancellerie, que ces deux personnages viennent ici avec quelques émirs afghans, et qu’ils s’engagent par serment, pour que je sois rassuré et que j’aie l’esprit en repos. »

Séyid Mehemmed sortit de la citadelle et retourna auprès du prince Mahmoud. Il lui rapporta fidèlement les paroles de Qilidj Khan. La nouvelle s’était répandue de bouche en bouche que le prince Qaïsser fils de Zéman Châh s’était approché de Hérât à la distance de dix fersakhs, avec le serdar Ahmed Khan, tous les émirs et six mille hommes et qu’il s’avançait rapidement en doublant les étapes. Inquiet et troublé, le prince Mahmoud, ne trouvant pas d’autre moyen de se tirer de sa position, manda auprès de lui, sous le coup de la nécessité, Housseïn Aly Khan, Mirza Hachim Khan et d’autres émirs de haut rang : « Allez auprès de Qilidj Khan, leur dit-il, rassurez-le de ma part et portez-vous garants de tout ce qui pourrait arriver. » Housseïn et Mirza Hachim se mirent à se lamenter et assurèrent au prince que le but de Qilidj Khan était de se saisir de leur personne : « Il n’a point d’autre but, dirent-ils ; nous nous rendrons auprès de lui, mais nous ne reviendrons pas. » Le prince se voyait pressé par le temps et à bout d’expédients : « Partez, leur dit-il, espérons qu’il ne vous sera fait aucun mal. » Housseïn Aly Khan, suivi de personnages de haut rang se dirigea, la chaîne au cou, vers la citadelle. Qilidj Khan vint à leur rencontre et reçut leurs hommages. Après un long préambule, Qilidj Khan dit à Housseïn et à Mirza Hachim : « Moi qui commande mille familles ouïmaks, je suis sans pouvoir, tandis que vous qui êtes d’une religion étrangère, qui êtes des gens de basse condition et des Persans, vous êtes devenus, l’un vézir, et l’autre intendant des finances ! L’heure de votre disgrâce est arrivée, car le pouvoir n’appartient plus au prince Mahmoud. » îl ordonna qu’on les arrêtât tous deux et qu’on laissât partir les khans afghans. Il donna ensuite l’ordre de tirer des tours de la citadelle des coups de fusil sur la ville et sur le palais royal. Les émirs, rendus à la liberté, exposèrent ce qui s’était passé au prince Mahmoud qui éclata en gémissements. À ce moment, on apporta la nouvelle que le prince Qaïsser et le serdar Ahmed Khan n’étaient plus qu’à la distance de quatre fersakhs. Ayant perdu tout espoir, le prince Mahmoud, suivi de son fils Kamran, de son frère le prince Firouz oud Din, de Mélik Qacim et de ses conseillers intimes, sortit de la ville par la porte de l’Iraq, lorsque tout le monde se livrait au sommeil ; il se réfugia en Perse auprès de Feth Aly Châh Qadjar, qu’il alla trouver à Kachan ; la suite de ces événements sera racontée plus loin.

Le matin même du jour où le prince Mahmoud avait pris la fuite[35], le prince Qaïsser entra dans la ville. Zéman Khan, lieutenant de Mahmoud, entra dans la citadelle où il fut reçu par Qilidj Khan. Zéman Châh et son vézir Rahmet Oullah Khan arrivèrent quatre jours plus tard : ils tirèrent de prison Housseïn Aly Khan et Mirza Hachim qui furent mis à mort. Le prince Qaïsser fut mis en possession du gouvernement de Hérât et Zéman Khan devint son vézir et son lieutenant. Zéman Châh retourna à Kâboul ; le prince Qaïsser comblé par la fortune prit possession du gouvernement ; la charge d’inspecteur général et de beylerbeg fut donnée à Qilidj Khan. Les événements qui suivirent seront racontés dans la suite.

LE PRINCE QAÏSSER, FILS DE ZÉMAN CHÂH, FILS DE TIMOUR CHÂH.

Lorsque Hérât fut enlevé au prince Mahmoud, Qaïsser s’y établit ; Zéman Khan Foulfoul Zey fut son vézir. Il resta quelques années dans cette ville ; lorsque le prince Mahmoud, dans sa révolte, s’empara de Qandahâr et fit prisonnier le père de Qaïsser, celui-ci s’enfuit de Hérât et gagna Mechhed avec sa famille et ses éléphants : Qilidj Khan l’accompagna. Il se réfugia auprès de Feth Aly Châh Qadjar. Qilidj Khan et ses gens s’établirent à Tourbet et à Khaf, et jusqu’auprès de Mechhed ; le prince Qaïsser alla trouver le Châh. Au bout de quelque temps, on apprit que Mahmoud avait été fait prisonnier à Kâboul et que Châh Choudja oncle paternel de Qaïsser était devenu roi. Qaïsser demanda au châh de Perse la permission de partir et il se dirigea vers Kâboul par la route de Qaïn. Châh Choudja le reçut affectueusement.

Quelque temps après, il se révolta contre son oncle et fut fait prisonnier ; Châh Choudja en eut compassion et rejeta cette faute sur sa grande jeunesse. Mahmoud s’échappa ensuite du qafès de Kâboul où il était renfermé, et il leva des troupes avec l’aide de Fethy Khan fils de Payendèh Khan. Châh Choudja, n’ayant pu lui résister s’enfuit à Pichâver. L’empire de Kâboul retomba entre les mains de Mahmoud ; Qaïsser fut fait prisonnier et mis à mort par le fils de Mahmoud, le prince Kamran. Jamais le temps n’avait donné naissance à un prince aussi accompli.

Le prince Hayder, fils de Zéman Châh, était gouverneur de Qandahâr sous le règne de son père. Il serait en état de rébellion contre le prince Houmayoun, son oncle ; mais il reçut un coup de sabre en plein visage et il fut fait prisonnier. Lorsque son père, venant de Kâboul, arriva à Qandahâr, Houmayoun s’enfuit et se dirigea du côté de Moultan ; le prince Hayder redevint gouverneur de la ville ; mais lorsque le prince Mahmoud, accompagné de Fethy Khan, vint l’attaquer, il ne put la défendre et il s’enfuit auprès de son père, avec Mir Aly Khan grand écuyer. Zéman Châh le laissa dans Pichâver auprès de Châh Choudja, lorsqu’il tomba dans les fers. Hayder se rendit à Atek avec Châh Choudja ; durant le règne de celui-ci, il resta à Kâboul. Lorsque Mahmoud expulsa Châh Choudja de Kâboul, Hayder l’accompagna ; ils errèrent quelque temps dans divers pays, et enfin ils se rendirent tous les deux dans l’Hindoustan auprès des Anglais ; ils s’y trouvent actuellement.

Le prince Mançour, fils de Zéman Châh, mourut de mort naturelle.

Le prince Nacir, fils de Zéman Châh, fit le pèlerinage de la Mecque avec son père, en 1233 (1818).

Légende rhythmée du sceau de Chekour Khan, frère de Zéman Khan : « Chekour se distingue du milieu de ses amis par la faveur de Mahmoud dont il est l’Ayaz[36]. » Ce personnage était le kiaya (intendant) du prince Mahmoud.

Voici les événements qu’il nous reste à raconter. Lorsque le gouvernement d’Hérât eut été remis aux mains de Zéman Khan et de Qilidj Khan, Zéman Châh partit pour Kâboul avec son ministre.

Quelque temps après, Feth Aly Châh envoya une armée dans le Khorassan pour soutenir le prince Mahmoud, et il se rendit de sa personne à Mechhedi Thous. Zéman Châh partit alors de Kâboul pour Hérât avec une armée composée de soldats aguerris et il demanda en outre des secours à Châh Mourad Beg vâly de Boukhara. Celui-ci se dirigea de Boukhara sur Mervi Chahidjan avec vingt mille Uzbeks avides de combats. Feth Aly Châh voyant s’avancer contre lui un ennemi formidable, demeura irrésolu ; on dit que, dans cette circonstance, Rahmet oullah Khan vézir de Zéman Châh envoya secrètement des présents à Hadji Mirza Ibrahim Khan Chirâzy, vézir du prince de la dynastie des Qadjars ; mais, en tout cas, que le fait soit vrai ou faux, Feth Aly Châh demanda la paix ; elle fut conclue et Châh Murad s’en retourna de Merv à Boukhara ; quant à Zéman Châh, il reprit la route de Qandahâr.

Le vézir Rahmet oullah nourrissait du ressentiment contre Zéman Khan lieutenant du prince Qaïsser à Hérât : il le fit destituer et rappeler à la cour et il nomma lieutenant et directeur des affaires de Qaïsser, Mir Efzhel Khan, fils de Meded Khan Ishaq Zey ; puis il partit avec le roi pour Qandahâr ; arrivés dans cette ville, ils y restèrent quelque temps.

Rahmet oullah avait conçu le désir de devenir lui-même souverain ; il préparait et disposait peu à peu tous les moyens nécessaires pour atteindre ce but ; seulement, la crainte que lui inspiraient quelques émirs dévoués à Zéman Châh l’empêchait de dévoiler ses projets ; il songea à faire naître dans l’esprit du roi des préventions contre ces émirs, afin de pouvoir les faire mettre à mort. Il aurait ainsi affaibli le pouvoir de Zéman Châh et avancé ses propres affaires. Plein de cette pensée, il ne cessait, nuit et jour, de faire au roi des insinuations diaboliques : « Ces émirs lui disait-il, sont les ennemis de votre empire ; les lettres adressées au prince Mahmoud, ce sont eux qui les ont écrites ; ce sont eux encore qui ont encouragé Feth Aly Châh et provoqué la guerre ; il est nécessaire que nous les fassions disparaître du milieu de nous. » La fortune de Zéman Châh inclinant vers la ruine, les discours de ce ministre firent impression sur son esprit ; il s’imagina que ces personnages, ses partisans dévoués, étaient ses ennemis ; il consentit à leur exécution. Le vézir prit alors ses dispositions pour arrêter en un seul jour quatorze émirs ; Payendèh Khan Bârik Zey, général illustre, chef d’une tribu qui comptait soixante mille familles, et qui, de plus, avait contribué par ses efforts à placer Zéman Châh sur le trône, fut saisi par son ordre. Il avait vingt-deux fils, dont l’aîné se nommait Fethy Khan ; ce jour-là, Fethy Khan et ses frères s’enfuirent de Qandahâr et se rendirent d’une seule traite en Perse, auprès du prince Mahmoud.

Lorsque tous les émirs furent dans les fers, il y eut quelques jours d’attente et de répit ; Zéman Châh était soucieux et préoccupé ; mais le vézir, ne lui laissa pas le loisir de revenir sur sa décision : tous les émirs lui furent livrés, et il leur fit à tous trancher la tête.

Voici les noms de ces quatorze émirs : Payendèh Khân Bârik Zey, Hukoumet Khan, gouverneur de Balkh, son fils ; Rehim Dad Khan, Qamar oud Din Khan, Émir Arslân Khan, Djafer Khan, Cheker Khan Djendâvoul, le fils de Mir Hézar Khan Alikou Zey, Mehemmed Azhim Khan ; Zéman Khan, Zebed Bey Alikou Zey, Rehim Khan Nour Zey, Ahmed Khan Pany.

Ces exécutions causèrent de l’agitation dans l’armée de Zéman Châh ; le vézir, rempli de crainte, quitta Qandahâr et se rendit à Kâboul avec le roi ; le prince Hayder et le directeur des affaires intérieures Mir Aly Khan, grand écuyer, furent laissés à Qandahâr.

À l’approche de l’hiver, Zéman Châh, accompagné par Châh Choudjâ et suivi de l’armée, se transporta à Pichâver, parce que le froid est très-rude à Kâboul ; Chir Mehemmed Khan fils de Châh Vély Khan, l’ancien vézir d’Ahmed Châh, resta dans cette dernière ville comme gouverneur. Mais le respect de l’autorité de Zéman Châh s’affaiblissait dans le cœur du peuple ; sa puissance perdait son éclat et déclinait ; chaque jour elle s’amoindrissait davantage. On resta tout l’hiver à Pichâver, jusqu’à ce qu’on apprit l’arrivée, près de Qandahâr, du prince Mahmoud qui s’était rendu aux suggestions de Fethy Khan, fils de Payendèh Khan. Mir Aly Khan grand écuyer fut battu. Assiégé dans Qandahâr, il écrivit au vézir et à Zéman Châh pour leur annoncer l’arrivée du prince Mahmoud et celle de Fethy Khan. Le vézir différa pendant trois mois d’informer le roi de la situation des affaires ; il en résulta que, pendant deux mois encore, Mir Aly Khan écrivit des lettres au roi ; mais aucun secours ne lui parvenant, les forces du prince Mahmoud augmentèrent de jour en jour. L’assaut fut donné à la ville, qui succomba. Mir Aly Khan et le prince Hayder s’enfuirent à Pichâver auprès de Zéman Châh. Ils lui exposèrent la situation. Le roi en fut profondément attristé ; il reconnut que le meurtre des émirs était la cause de sa détresse et que c’était une perfidie de son ministre. La situation étant sans remède, les regrets furent inutiles. Zéman Châh partit alors pour Kâboul avec l’armée qu’il avait auprès de lui ; il laissa dans Pichâver le prince Choudja avec ses femmes et ses éléphants : il s’arrêta à Kâboul, puis il envoya du côté de Qandahâr le général Ahmed Khan Nour Zey avec deux mille cavaliers afghans et deux mille Persans de Kâboul pour combattre à l’avant-garde ; quelques jours après, il sortit de Kâboul avec ses troupes et campa à quatre étapes de distance, dans la bourgade de Seri Meïdan[37], attendant les nouvelles qui lui viendraient d’Ahmed Khan.

Le prince Kâmrân et Fethy Khan, de leur côté, à la tête de dix mille cavaliers, arrivèrent d’Ahmed Châhy et prirent position en face d’Ahmed Khan ; celui-ci avait, ainsi que les Persans, du ressentiment, contre le vézir Rahmet-oullah Khan, à cause du meurtre des émirs martyrs ; il passa du côté du prince Kâmrân et se joignit à lui.

Zéman Châh se trouvait à Seri Méïdan lorsqu’arriva, le soir, la fâcheuse nouvelle de la défection d’Ahmed Khan ; Zémân Châh et son vézir furent consternés. Ils donnèrent l’ordre cependant de battre le tambour en signe de réjouissance, et de proclamer, pour que l’armée ne se débandât point, qu’Ahmed Khan avait défait le prince Kâmrân. Au moment de la prière de la nuit, le roi, son ministre, les émirs et quatre cents hommes quittèrent l’armée et s’enfuirent dans la direction de Kâboul. En apprenant ce départ, les soldats se mutinèrent et se mirent à piller les bagages, le trésor et tout le camp. Au matin, tous embrassèrent le parti du prince Kâmrân et allèrent se joindre à lui. Zéman Châh, en arrivant à Kâboul, fit part de la nouvelle de ce désastre à Chir Mehemmed Khân gouverneur de la ville. Celui-ci lui recommanda de n’y point entrer et de se rendre sans retard à Pichâver, parce que les habitants de Kâboul lui étaient hostiles, « Ils n’auront pour vous, dit-il, ni égards ni respect. Que Dieu garde que le mal dont ils sont capables n’arrive au roi. Le trésor, des troupes, vos femmes et vos serviteurs ainsi que le prince Choudja sont à Pichâver. Il faut espérer qu’une fois arrivé dans cette ville, vous pourrez rétablir vos affaires. » Après avoir reçu cette affligeante communication, Zéman Châh se dirigea des portes de Kâboul vers Pichâver. Des quatre cents cavaliers qui raccompagnaient, trois cents l’abandonnèrent et retournèrent à Kâboul ; lui-même, accompagné par son vézir, par Zéman Khan gouverneur d’Hérât, par Semender Khan, frère du vézir par quelques-uns des grands officiers de l’État, tels que Mir Aly Khan, grand écuyer, Khan Oloum, par quelques autres en petit nombre, et par quelques soldats d’escorte il marcha avec la plus grande célérité, nuit et jour, sans prendre de repos, et il parvint à Bendi Kheyber. Bendi Kheyber est une vallée dans laquelle passe une route resserrée de tous côtés entre des montagnes et aussi étroite que les yeux des avares ; ce lieu est à la distance de quatre étapes de Pichâver. Au pied de la montagne, près de la route, se trouve un château, qui était un apanage du vézir : le commandant était un de ses parents et un de ses hommes de confiance[38].

Le vézir et le roi n’étaient pas descendus de cheval depuis sept jours entiers ; ils étaient épuisés, mourant de faim et de soif ; le vézir, s’adressant au roi, lui dit : « Grâce à Dieu ! nous voici loin de l’ennemi ; mais nous sommes sur le point d’expirer de fatigue et de froid ; ce château m’appartient ; demeurons-y une nuit pour nous reposer ; demain nous nous remettrons en route pour Pichâver ; il nous reste encore deux journées de marche à faire. » Zéman Châh était exténué et à bout de forces ; il y consentit. Mais Khan Oloum, Mir Aly Khan, grand écuyer, et quelques soldats de l’escorte refusèrent de s’arrêter ; ils dirent au roi : « Dans les circonstances actuelles, on ne doit avoir confiance en personne ; il n’est pas nécessaire de faire halte ; il vaut mieux supporter la peine et la fatigue deux nuits encore et parvenir au rivage du salut.

Le bonheur et la vie de ce vézir funeste étaient arrivés à leur terme, le malheur le saisit ; sourd à ces bons conseils, il tourna les rênes de son cheval vers le château. Zéman Châh, Semender Khan, Zéman Khan et quelques autres émirs, suivis d’un petit nombre de personnes, le suivirent. Khan Oloum, le grand écuyer et d’autres personnes ne se fièrent pas aux paroles du vézir et se dirigèrent sur Pichâver. Le roi et le vézir arrivèrent à la porte du château ; les gens qui s’y trouvaient vinrent à leur rencontre et se mirent à leur service ; ils prirent leurs chevaux pour les abreuver et leur donner du fourrage ; ils s’empressèrent de servir leurs hôtes et préparèrent de l’eau et des aliments. À la nuit tombée, le commandant du château conçut des pensées perverses ; il s’entendit avec les gens placés sous ses ordres et leur dit : « Emparons-nous du roi et du vézir et conduisons-les à Mahmoud ; nous acquerrons ainsi de grandes dignités, des présents et de l’honneur. » Tous acceptèrent cette proposition.

Tout à coup, en ce même moment, arrivèrent mille cavaliers persans qui s’étaient enfuis du camp établi à Pichâver par le prince Choudja. Entre cette ville et Bendi Kheyber, ils avaient rencontré Khan Oloum et le grand écuyer et leur avaient demandé des nouvelles. Khan Oloum leur avait répondu : « Mahmoud Châh est défait ; quant à nous, nous allons porter cette bonne nouvelle à la mère du roi et au prince Choudja. » Ces Persans comprirent juste ce qu’il y avait de vrai dans cette réponse. Arrivés au château, ils apprirent que Zéman Châh s’y trouvait avec le traître vézir ; ils dirent alors au commandant : « Saisis le roi et le vézir : sinon, Mahmoud brûlera ta maison ; c’est le moment pour toi d’acquérir de l’honneur. »

Le commandant et ses gens se mirent ensuite tous en devoir de s’emparer de la personne du roi. Le matin, le roi et le vézir se levèrent et demandèrent des chevaux ; mais les gens du château leur répondirent : « Tenez-vous tranquilles : vous n’avez pas la permission de vous éloigner. » Malgré les promesses et les prières du roi et celles de son ministre, malgré les cadeaux considérables qui leur furent faits, ces gens se refusèrent à les laisser partir ; ils saisirent les chevaux et les armes, et placèrent auprès d’eux des sentinelles et des gardiens. Le roi, le vézir et leurs compagnons gémirent, sanglotèrent, supplièrent : ces hommes ingrats et sans foi les repoussèrent et envoyèrent immédiatement un courrier à Kâboul, auprès de Fethy Khan et de Mahmoud, pour leur annoncer l’arrestation du roi. La nouvelle en parvint à Kâboul le jour même ou Mahmoud y avait fait son entrée ; il en manifesta sa joie, et il envoya son écuyer Redjeb Mehemmed en compagnie de Mehemmed Azhim Khan, frère de Fethy Khan, à Pichâver pour qu’ils lui ramenassent prisonniers Zéman Châh et les émirs.

Les envoyés, à leur arrivée, vinrent saluer le roi dans le château où il était détenu et partirent ensuite pour Kâboul. À moitié route, ils furent rejoints par un courrier et un chirurgien nommé Rustem, qui avait reçu ordre de priver Zéman Châh de la vue. Lorsqu’ils furent descendus à une station, quelques hommes tinrent solidement Zéman Châh dans l’intérieur d’une tente et le chirurgien Rustern donna un coup de lancette ; le roi se répandit inutilement en gémissements et en plaintes. On le plaça dans une litière et on continua la marche vers Kâboul. Le vézir et quelques-uns des émirs et des grands personnages de la cour furent dépouillés de leurs vêtements ; on leur mit des chaînes aux mains et au cou, et, lorsque l’on fut près de Kâboul ; on fit monter le vézir sur un âne et, après l’avoir couvert d’un vêtement fait de nattes de roseau, on le conduisit, à travers le bazar, à la maison de Fethy Khan fils de Payêndèh Khan devenu ministre de Mahmoud Châh. Fethy Khan couvrit de malédictions et de reproches le vézir Rahmet oullah Khan ; il ordonna ensuite qu’on le mît à la torture. Pendant quelques jours, on lui fit subir la question en lui disant : « Il nous est revenu de tous côtés que tu as des richesses considérables en espèces et en objets précieux arrachées à notre faiblesse. » On découvrit la couronne royale qu’il avait fait faire et sa trahison fut dévoilée ; on recommença alors à le torturer dans le palais du roi pour lui faire livrer l’argent qu’il possédait ; se tournant, vers Fethy Khan, il lui cria ; « Ô lâche ! ô nature de femme ! je suis maintenant prisonnier entre tes mains, pourquoi me tortures-tu ainsi ? Lorsque c’était mon tour d’être puissant, j’ai agi comme un homme ; maintenant, c’est ton tour, fais tout ce que tu veux ; mais délivre-moi vite ; j’ai fait le mal et j’en vois la rétribution ; ne me torture pas davantage. »

Mahmoud donna ordre de mettre à mort le vézir, ses deux frères, Zéman Khan, gouverneur de Hérât et quelques autres émirs avec leurs familles tous eurent la tête tranchée. Zéman Châh fut enfermé dans le qâfès du Bâla-Hiçar de Kâboul, ainsi que ses fils, les princes Hayder, Mançour et Faghfour ; le prince Qaïsser s’enfuit de Hérât et se réfugia auprès de Feth Aly Châh ; j’ai déjà exposé ce qui lui arriva. Mahmoud Châh s’assit sur le trône de Kâboul. Le reste des aventures de Zéman Châh sera raconté plus loin, s’il plaît au Dieu très-haut.

Sceau de Ethâ Mehemmed, gouverneur de Kachmir : « Je désire un don (Etha) de toi, ô Tout-Puissant ! »

Sceau du qadi Feiz oullah : « La poussière de tes pieds, ô envoyé de Dieu, est le collyre des deux yeux de Feiz oullah. »

Sceau de Cheker Khan, fils de Chir Mehemmed, fils de Aziz, fils de Mozhaffer Khan : « Depuis que Aziz, notre aïeul, a été victorieux (Mozhaffer), le vrai successeur de Chir (le lait) est Cheker (le sucre). »

Sceau de Mourtezha Khan, fils de Cheker Khan. « Ma bouche est pleine du nom de Cheker (sucre), je suis satisfait (Mourtezha) du nom de Aziz (puissant, chéri). »

CHÂH MAHMOUD, FILS DE TIMOUR CHÂH.

Légende de son sceau : « Mahmoud est le successeur du roi du monde. »

Légende de ses monnaies : « Mahmoud Châh, maître de la terre, semblable à Darius, a frappé le coin de sa monnaie sur l’argent et l’or, depuis la région du poisson (qui supporte la terre) jusqu’à celle de la lune. »

Lorsque Zéman Châh eut enlevé Hérât à Mahmoud Châh, ce dernier, au moment de la prière de la nuit, partit pour la Perse par la route de l’Iraq, avec son frère le prince Firouz ôud Din, le fils de celui-ci le prince Qâssem, son propre fils le prince Kâmrân et ses conseillers privés. Leur suite se composait d’une centaine de cavaliers. Ils se rendirent par Terchiz et Yezd, à Kâchân, auprès de Feth Aly Châh, roi de Perse qui accueillit le prince avec les honneurs qui lui étaient dus ; un mihmândâr fut désigné pour veiller à son entretien et le châh lui témoigna toutes ses sympathies. Le prince Mahmoud séjourna quelque temps dans cette ville[39].

Le châh de Perse ayant envoyé une armée à Mechhed[40], dans le Khorassan, pour soutenir la cause de Mahmoud, Zéman Châh partit de Kâboul pour Hérât dans le dessein de repousser cette attaque ; Châh Mourad, vâli de Boukhara, par dévouement à la vraie foi et par conformité d’opinions religieuses, se rendit également de Boukhara à Merv. Feth Aly Châh, voyant en face de lui deux ennemis puissants, s’aperçut qu’il était tombé dans le piège du malheur. Il se repentit de sa démarche et chercha à faire la paix. Tout à coup, le vézir de Zéman Châh envoya des présents, et demanda à conclure un arrangement. Le châh de Perse le désirait et on tomba bientôt d’accord. Feih Aly Châh dit au prince Mahmoud : « On ne peut, à cause de vous, combattre deux souverains à la fois ; Dieu seul sait ce qui arrivera de bien ou de mal. D’ailleurs, Timour Châh a laissé trente-six fils ; quel est celui dont on doit soutenir les droits ? Soyez le bienvenu ; vous êtes notre hôte. » Il lui assigna une pension annuelle de trente mille toumans[41], et il retourna de Mechhed à Téhéran ; le prince Mahmoud établit sa résidence à Kâchân.

Quelque temps après, Feth Aly Châh envoya de nouveau dans le Qouhistan l’ordre de soutenir le prince qui se rendit dans cette province : il rassembla une armée d’environ quatre mille hommes, et il marcha sur Hérât. C’était l’époque de la foire ; il assiégea la ville. Le gouverneur Zéman Khan la défendit vigoureusement et la conserva. Le siège durait depuis deux mois, lorsque Abd oul Djebbâr l’un des émirs du prince Mahmoud déserta et entra dans la ville ; cette défection accrut le courage des assiégés et porta le trouble dans l’armée du prince ; la crainte s’empara de l’esprit de ses soldats. Un matin, la garnison, sous les ordres de Qilidj Khan et de Zéman Khan fit une sortie ; elle attaqua l’ennemi et combattit victorieusement ; l’armée du prince Mahmoud fut mise en déroute et le plus grand nombre de ses soldats fait prisonnier ou tué. Le prince prit la fuite et s’égara pendant la nuit ; au matin, il se trouva sur la route de Boukhara : n’osant revenir en Perse, il se dirigea vers cette ville et entra à Merv dont le gouverneur, nommé par Châh Mourad, le traita avec considération et fit parvenir à Boukhara la nouvelle de son arrivée. L’émir Châh Mourad envoya un officier pour le recevoir, et lui fit faire à Boukhara une entrée solennelle.

Celui qui a tracé ces lignes, Abd oul Kérim, accompagnait le prince qui fut logé dans le quartier de Aq Mesdjed, sur la chaussée de Boukhara. Quarante hommes avaient suivi Mahmoud ; il lui fut alloué une indemnité de quatre tillâs par jour. (Quatre tillâs valent quatre-vingts piastres de Constantinople.) Quelque temps après son arrivée, le prince Mahmoud se rendit la nuit chez Châh Mourad Beg, et eut une entrevue avec lui ; Châh Mourad lui prodigua des consolations et le rassura ; le prince séjourna huit mois à Boukhara.

Lorsque Mahmoud s’était rendu dans le Qouhistan avec l’intention de s’emparer de Hérât, il avait laissé son frère le prince Firouz oud Din à Yezd près de Kâchân, avec le prince Kamran ; Firouz, désirant visiter le sanctuaire de la Mecque, se rendit à Ispahan et de là à Bagdad auprès de Suléïman Pacha. Celui-ci lui témoigna beaucoup de considération, et le fit conduire avec les plus grands honneurs à Damas, dont le gouverneur le traita selon toutes les règles de l’hospitalité ; de là il se rendit à la Mecque la vénérée, et à son retour, il se fixa à Yezd.

Au bout de huit mois de séjour à Boukhara, Mahmoud s’aperçut qu’il n’y avait à attendre de la part de Châh Mourad ni secours ni commisération ; Châh Mourad le remettant de jour en jour, il se convainquit qu’il ne fallait espérer aucune aide ; le prince demanda donc à la fin la permission de partir : « J’ai renoncé, dit-il, à toute prétention à la souveraineté ; j’ai l’intention de faire le pèlerinage de la Mecque ; je désire qu’il me soit permis d’aller en Russie par la route du Kharezm, et de là à Constantinople et à la Mecque. » Après de nombreuses sollicitations, comme il était impossible de rejeter sa demande, la permission lui en fut accordée. Le prince sollicita de Châh Mourad, pour les frais de son voyage, mille tillâs ; celui-ci se borna à lui accorder quelques chevaux de charge et cent tillâs.

On prétend que le prince Mahmoud, après la mort de son père et lorsque Zéman Châh s’empara de la couronne, avait envoyé une fois à Châh Mourad Beg, dans l’espoir d’en être secouru et d’obtenir sa protection, un éléphant et cent châles de Kachmir ; une seconde fois seize mille lingots de plomb ; une autre fois, il lui envoya des châles, des tapis et deux sabres ; mais lorsque enfin la fortune du prince périclita, Châh Mourad ne lui donna aucun secours, et cessa de le traiter avec amitié et considération. Quoiqu’il en soit, le châhzadeh Mahmoud se hâta de sortir de Boukhara : il gagna sans s’arrêter nulle part Khiva, capitale du Kharezm, et il se rendit auprès de Yvaz Beg Inâq[42] ; celui-ci vint à sa rencontre jusqu’en dehors de la ville ; il fit préparer une habitation digne d’un tel hôte, le traita d’une façon flatteuse et bienveillante ; il considéra la venue du prince comme un sujet d’honneur pour lui. Il lui assigna une pension de cent vingt piastres, outre les rations de fourrages, d’orge et de fruits qu’il lui fournissait ; tous les jours il se rendait à la demeure du prince, et s’entretenait avec lui.

La nouvelle de l’arrivée de Mahmoud à Boukhara étant parvenue à Kâboul, le vézir Rahmet oullah Khan désigna aussitôt un ambassadeur qu’il dépêcha auprès de Châh Mourad Beg ; la lettre dont il était chargé, du moins à ce que nous avons appris, était rédigée en ces termes : « Quand la première fois la fortune fut défavorable au châhzadeh Mahmoud, il se réfugia auprès du roi de Perse, qui lui donna une armée. Par un effet de la destinée, nous nous trouvions à cette époque, le roi et moi, à Lahore : le sort des armes nous était favorable et nous avions l’intention de nous rendre à Djihan Abâd, lorsque tout à coup nous fûmes informés que le châhzadeh Mahmoud était venu attaquer Hérât, avec l’aide des Persans ; l’union et une amitié sincère étant la base des relations entre le gouvernement de Zéman Châh et le vôtre, les deux États n’en font qu’un. Envoyez donc le châhzadeli Mahmoud à Kâboul, et pendant le règne de Zéman Châh, il vous sera payé par an soixante bourses fournies par le trésor ; si vous ne l’envoyez pas à Kâboul, mais, si vous le gardez en prison à Boukhara, vous recevrez néanmoins la même somme. »

Le prince Mahmoud avait été instruit de ces propositions avant l’arrivée de l’ambassadeur à Boukhara ; il avait donc insisté nuit et jour jusqu’à ce qu’il eût obtenu la permission de s’éloigner et il s’était dirigé vers le Kharezm. Deux jours après son départ, arriva l’envoyé de Kâboul : Châh Mourad Beg, après avoir lu le message qui lui était adressé, se repentit d’avoir laissé partir Mahmoud. Il envoya en toute hâte sur ses traces cinquante cavaliers qui ne purent l’atteindre, et qui ayant appris qu’il était en sûreté, revinrent sur leurs pas. Châh Mourad en fut désolé, mais ce fut inutilement. Il envoya un ambassadeur à Yvaz Inâq du Kharezm pour lui dire en substance : « Renvoyez le prince à Boukhara, sinon, préparez-vous à la guerre, car je marcherai contre vous à la tête d’une puissante armée. » Cette exigence troubla Yvaz Beg Inâq ; il assembla en conseil les principaux personnages de l’État et leur dit : « Quelle résolution me conseillerez-vous de prendre ? De quelle façon répondriez-vous à Châh Mourad ? » Un des ak-sakals (Barbe blanche, notable) du Kharezm, nommé Seyid Qouly Bay, prit la parole : « Le prince, dit-il, après avoir été quelque temps l’hôte de Châh Mourad, a reçu la permission de partir ; il reçoit maintenant notre hospitalité ; dût notre pays être dévasté de fond en comble, nous ne le livrerons pas. Châh Mourad se croit un homme pieux et religieux ; quel est donc le précepte religieux et quelle est la loi divine qui permettent d’user de violence envers un hôte et d’être sans respect pour lui ? La décision appartient à Dieu. Telle est ma réponse. » Tous les conseillers d’Yvaz approuvèrent ce langage, et ils rédigèrent dans ce sens la lettre qui fut expédiée à Châh Mourad Beg. Celui-ci, lorsqu’il eut connaissance de la réponse rapportée par son envoyé, se tut et se tint coi.

Il rédigea en ces termes sa réponse à l’ambassadeur de Kâboul : « Avant la réception de votre lettre, le châhzadeh Mahmoud avait sollicité la permission de partir : il accomplit maintenant le pèlerinage de la Mecque ; s’il n’en avait pas été ainsi, assurément j’eusse agi conformément à ce que vous m’avez mandé ; c’est-à-dire, je l’eusse gardé à Boukhara : mais, à présent, il s’est échappé de mes griffes. »

Le prince Mahmoud, après avoir passé quatre mois entiers à Khiva, demanda son congé ; Yvaz le fit conduire à Ester-Abâd, auprès du roi de Perse et accompagner par cent cavaliers Turkomans, Yomouts, Gouklans, Orsendjis et Tekehs et par quelques-uns de ses officiers les plus considérés ; il lui avait donné en outre des provisions et de l’argent pour ses frais de route. Il fut reçu à Téhéran par le châh de Perse ; Feth Aly Châh l’accueillit encore avec bienveillance et avec considération, il le confia aux soins d’un mihmândâr et il lui assigna comme séjour une habitation délicieuse, à Màçoum Qadem.

Quelque temps après, Zéman Châh revint à Hérât, et il fut convenu avec Feth Aly Châh que ce prince ne prendrait pas parti pour Mahmoud ; les esprits s’apaisèrent. Zéman Khan, gouverneur d’Hérât fut destitué et Zéman Châh retourna à Qandahâr. Puis, trompé par son vézir aux conseils diaboliques, il fit mettre à mort les quatorze émirs respectés ; cette exécution ébranla sa fortune ; il partit pour Kâboul et se rendit à Pichaver pour y passer l’hiver.

Fethy Khan fils de Payendèh Khan, lors de l’arrestation de son père à Qandahar, s’était enfui avec ses frères et une troupe d’Afghans ; ils passèrent tous ensemble en Perse et rejoignirent Mahmoud. Ils l’entraînèrent avec eux et ils passèrent dans le Séïstan ; ils réunirent une troupe de quatre cents cavaliers, et marchèrent sur Qandahar. Mir Aly Khan, grand écuyer, se porta à leur rencontre à la tête de deux mille hommes de cavalerie ; le châhzadeh Mahmoud, Fethy Khan et Kamran chargèrent à la tête de leurs quatre cents cavaliers et culbutèrent l’armée ennemie. Mir Aly Khan prit la fuite et ses troupes passèrent toutes du côté du châhzadeh Mahmoud ; son trésor et ses bagages furent pillés.

Mir Aly Khan se retrancha dans Qandahar et fit savoir ce qui s’était passé au vézir et à Zéman Châh, à Pichaver ; Mahmoud investit Qandahar ; dix mille soldats Ledjarehs se joignirent à lui. Au bout de deux mois, il se rendit maître de la ville. Mir Aly Khan et le prince Hayder, ne se voyant pas secourus, s’enfuirent et allèrent rejoindre Zéman Châh à Pichaver. Le roi, arrivé à Seri-Meïdan, apprit que le général Ahmed Khan, envoyé en reconnaissance, avait passé à Mahmoud avec les troupes persanes. Zéman Châh s’enfuit ; arrivé dans un château près de Khéïber, il fut fait prisonnier ; il fut aveuglé en route et enfermé dans le Balâ Hiçar de Kâboul.

Mahmoud resté à Qandahar avait envoyé son fils le prince Kamran pour combattre en éclaireur. Lorsqu’il sut que le général Ahmed Khan s’était joint au prince Kamran, il se rendit à Kâboul sans tarder et monta sur le trône de la domination universelle. Il envoya dans chaque province un gouverneur en son nom ; il donna la lieutenance de Kâboul à Chir Méhémmed Khan fils de l’ancien vézir et celle de Qândahâr au prince Kamran.

Firouz oud Din frère de Mahmoud réfugié en Perse apprenant la chute de Zéman Châh et l’élévation de son frère au trône de Kâboul, se dirigea en toute hâte sur Hérât. Le prince Qaïsser, fils de Zéman Châh et Qilidj Khan Ouïmaq, informés de sa marche, abandonnèrent Hérat et se réfugièrent à Mechhed la sainte : Firouz oud Din put alors entrer dans la ville sans opposition et s’emparer du gouvernement, tandis que Mahmoud s’établissait à Kâboul.

Mahmoud envoya une armée contre Pichâver pour combattre le prince Choudja qui, ne pouvant résister, prit la fuite et se réfugia dans la tribu des Yousouf Zey Ghildjaï, dans les montagnes de Pichâver ; cette ville fit sa soumission. Kachmir fut donné à Abdoullah Khan Alikôu Zey, et le Moultan jusqu’aux limites du Sind, Chikarpour et Balkh furent entièrement soumis.

Mahmoud régnait depuis deux ans à Kâboul, quand les sunnites de cette ville, poussés par un zèle religieux, s’émurent de sa passion pour l’opium et du penchant qu’il manifestait pour la doctrine des chiites, Ils s’entendirent avec Mir Vaïz, seyid respecté et prédicateur des sunnites de Kâboul ; ils mirent aussi dans leur parti Chir-Mehemmed Khan gouverneur de la ville. Ils écrivirent, sans en faire part aux chiites, une requête à Châh Choudja pour le prier de revenir. Les Persans qui en furent informés écrivirent aussi, de leur côté, une supplique pour le rappeler. Puis, sunnites et chiites, d’un commun accord, arrêtèrent Mahmoud, qu’ils enfermèrent dans le Bâla Hiçar. Ils firent sortir de prison l’aveugle Zéman Châh, pour gouverner jusqu’à l’arrivée de Châh Choudja, et ils battirent le tambour et la timbale de la souveraineté au nom de ce dernier.

Cinq jours après, Châh Choudja fît son entrée dans Kâboul ; le peuple célébra son arrivée par des réjouissances. On conduisit Mahmoud devant Zéman Châh : « Qu’ordonnez-vous ? lui demanda-t-on. Il vous a privé de la vue, vous pouvez vous venger, décidez ! » Zéman Châh eut compassion de Mahmoud : « J’ai fait, dit-il, crever les yeux de mon frère, le prince Houmayoun ; Dieu (qu’il soit exalté !), m’en a justement puni. Un autre ne doit pas souffrir le châtiment que j’ai supporté ; et, pour que cette coutume barbare ne s’établisse pas, je lui pardonne ses fautes. »

Mahmoud fut ensuite enfermé dans le Bâla Hiçar et on lui attribua un revenu journalier ; le reste de ses aventures, sa fuite et son retour au pouvoir seront racontés plus tard, s’il plaît à Dieu.

On prétend que, lorsque Mahmoud fut conduit devant Zéman Châh, il pria qu’on lui permit de présenter une requête. On fit part de cette demande à Zéman Châh, qui répondit : « Qu’on le fasse venir et qu’il parle. » Mahmoud, en le voyant, se mit à pleurer et à gémir : « Ô lumière de mes yeux ! s’écria-t-il, ne me faites pas ce que je vous ai fait ; pardonnez-moi mon crime ! »

« Je te pardonne, répondit Zéman Châh, » puis on conduisit Mahmoud au Bâla Hiçar.

Mahmoud ne tarda pas à s’apercevoir bientôt de la négligence de la garnison du château, il se concerta avec les princes enfermés comme lui ; ils se saisirent des gardiens et s’échappèrent, s’enfuyant chacun d’un côté différent. Le prince Alemguir sortit par la porte de Djelal Abâd et gagna le Kachmir sans être reconnu ; il arriva au milieu des Lohânis et de là il se rendit chez les Yousouf Zey, puis il se réfugia à Kachmir auprès d’un seyid dont il était l’ami ; il se dirigea ensuite vers le Djemou ; depuis, on n’a pas su où il était allé. Le prince Dârâb, fils d’Ahmed Châh, s’était échappé de sa prison en même temps que Mahmoud ; la nuit même de sa délivrance il sortit de Kâboul sous un déguisement et se dirigea du côté de Badakhchan. Quelque temps après, il alla à Boukhara ; il se rendit de là à Hérât sans être reconnu, puis à Mechhed où il se retira auprès de Vély Méhemmed Mirza, fils de Feth Aly Châh, qui le traita avec beaucoup de considération et le fit conduire à Téhéran avec les plus grands honneurs. Feth Aly Châh le reçut comme il convenait et le fit asseoir à une place supérieure à celle de ses propres enfants. Après avoir séjourné quelque temps auprès de ce prince, il manifesta l’intention de se rendre à la Mecque ; on lui accorda des frais de voyage et il partit pour Bagdad, de là il gagna Damas et la Mecque. Depuis, on n’a pas su où il était allé ni ce qu’il était véritablement devenu (1233, 1818). Cependant nous avons ouï dire qu’il était revenu à Kâboul et qu’il y était mort.

LE PRINCE ALEMGUIR, FILS DE TIMOUR CHÂH.

Sceau de feu Zeynel Khan, gouverneur de Bâmiân : « Par la faveur de Mohammed et la grâce de Dieu, Zeynel Khan est le serviteur du roi du siècle. » (Il y a ici une lacune dans le texte.)

Châh Choudja était aussi sorti de Pichâver a la tête de l’armée : mais lorsqu’ils arrivèrent l’un en face de l’autre, Châh Choudja envoya l’un de ses confidents, auprès de Chir Mehemmed Khan avec ce message.

« Expliquez la cause de votre rébellion ; nous ressentons pour vous une grande commisération ; cessez d’être notre adversaire et nous vous pardonnerons vos fautes. » Malgré les conseils qui lui furent donnés, Chir Mehemmed Khan ne se croyant pas en sûreté, rejeta les offres de la conciliation. Alors la lice fut ouverte : les braves s’avancèrent pour combattre, et les deux armées se précipitèrent l’une contre l’autre comme des vagues dévorantes.

Vers. « Les têtes amoncelées formaient des collines dans cette plaine ; le ciel n’avait pas souvenir d’un pareil événement. »

Après une lutte acharnée, l’armée du roi fut mise en déroute ; lui-même se trouva isolé avec deux cents cavaliers. Chir Mehemmed Khan le chargea à la tête de cent hommes. Le roi ne voulant pas périr de la main de Chir Mehemmed battit en retraite tandis que celui-ci continuait à combattre avec impétuosité ; à la fin le roi s’aperçut du petit nombre d’hommes qui accompagnaient Chir Mehemmed : « Ô braves ! s’écria-t-il, comment fuyez-vous devant un ennemi si peu nombreux ? Retournez sur vos pas ! » Ses cavaliers firent volte-face et s’élancèrent sur Chir Mehemmed ; un des sergents d’armes du roi le joignit et lui porta en pleine poitrine un coup qui le fit tomber de cheval ; il lui coupa la tête sur-le-champ. Quelques-uns des officiers de marque de Chir Mehemmed furent tués, les autres demandèrent quartier.

Lorsque la mort de Chir Mehemmed fut connue de l’armée de Châh Choudja, les soldats dispersés se rallièrent, et l’armée ennemie tout entière demanda à se rendre, le roi lui accorda quartier, et le crime de la révolte fut rejeté sur Chir Mehemmed. Les deux armées se réunirent en une seule et se dirigèrent sur Kâboul avec toute la pompe de la souveraineté. Qaïsser, se repentant de sa conduite, vint exposer sa situation à son père Zéman Châh que Chir Mehemmed avait fait enfermer dans le Bâla Hiçar : « C’est Chir Mehemmed, dit-il, qui m’a jeté dans cette affaire ; sans lui, je n’aurais pas eu l’intention ni de parvenir à la royauté, ni de me révolter contre mon oncle. Maintenant il est mort, et Châh Choudja est près de Kâboul, que dois-je faire ? ». Zéman Châh lui conseilla d’aller à la rencontre du roi et d’implorer sa grâce et le pardon de ses fautes. Il ajouta qu’il adresserait lui-même une requête au roi. Le prince Qaïsser prit la lettre de son père, et, accompagné d’un petit nombre de personnes, il se porta à la rencontre du roi qui lui pardonna et ferma les yeux, en rejetant le crime et la trahison sur Chir Mehemmed Khan ; puis ils entrèrent ensemble à Kâboul.

À cette époque, Mir Vaïz s’enfuit de cette ville, et se réfugia auprès des Seyids qui habitent au pied des montagnes des Hézâreh. C’est un pays dont l’accès est difficile et qui est fortifié par la nature ; il envoya de là une missive au roi, pour lui exposer qu’il n’avait pris aucune part aux événements qui venaient de se passer, que Chir Mehemmed, seul, les avait provoqués, et que sans lui il serait toujours resté l’humble serviteur du roi. Tous les émirs s’empressèrent de rassurer Mir Vaïz et ils lui firent obtenir son pardon. Son fils vint d’abord, et quelque temps après il arriva lui-même. On commença par le traiter avec beaucoup de considération ; puis, au bout de quelques jours, ce Seyid d’un caractère éminent, fut mis à mort avec ses deux fils et ses serviteurs et leurs biens, furent livrés au pillage. Ce crime ne permit pas à Châh Choudja de jouir de la royauté.

Fethy Khan qui se trouvait à Qandahâr, s’échappa de prison et s’enfuit dans les montagnes où il fut rejoint par le prince Kamran ; ils y attendirent une occasion favorable.

Châh Choudja avait quitté Kâboul à la tête d’une nombreuse armée pour attaquer Kachmir où se trouvait Ethâ Mehemmed fils de Chir Mehemmed Khan. Après être resté quelque temps dans Pichâver, il se rendit à Mouzhaffer Abâd, ville située à mi-chemin de Kachmir, et il y campa. Bientôt un ambassadeur porteur de présents vint le trouver de la part d’Ethâ Mehemmed ; la lettre dont il était chargé était conçue en ces termes : « Mon père s’est révolté ; il a reçu la juste récompense de son indigne action ; mais moi, humble et ancien serviteur du roi, je n’ai pas d’autre pensée, d’autre souci que ceux de lui obéir et de me dévouer pour lui. Cependant, la crainte m’a saisi, et je n’ose espérer qu’il m’admette à l’honneur de baiser ses pieds ; s’il plaît au Dieu très-haut, chaque année je verserai au trésor royal les revenus du Kachmir, et je me regarderai comme un de ses esclaves. Il est vrai que mon père, trompé par d’infâmes intrigants s’est révolté, mais mes ancêtres ont tous été dévoués aux rois vos prédécesseurs. »

Châh Choudja admit les excuses d’Ethâ-Mehemmed et le confirma dans le gouvernement de Kachmir et d’Atek ; puis il se mit en marche pour revenir sur ses pas. Sur ces entrefaites, un exprès vint de Kâboul annoncer que Châh Mahmoud et les autres princes, ayant vu la garnison de Bâla Hiçar livrée au sommeil insouciant du lièvre, s’étaient concertés, avaient massacré leurs gardiens et étaient sortis de la citadelle et descendus dans la ville ; que Mahmoud, sans rester une minute dans Kâboul avait rejoint Fethy Khan, et que des autres princes, les uns s’étaient enfuis, les autres avaient été repris ; qu’à la suite de cet événement, des troubles avaient éclaté à Kâboul. Châh Choudja partit en toute hâte, doubla les étapes, et trouvant la capitale dans l’état qu’on lui avait décrit, il en fut profondément attristé et affligé.

Parmi les princes qui s’étaient échappés du Bâla Hiçar, Dârâb, fils d’Ahmed Châh, avait atteint Badakhchan : il se rendit de là à Boukhara, puis auprès du roi de Perse, ensuite à la Mecque ; il revint plus tard à Kâboul, où il mourut.

Châh Mahmoud surmontant mille difficultés et mille fatigues avait rejoint Fethy Khan et le prince Kamran. De tous côtés des pillards se réunirent à eux ; ils s’avancèrent jusqu’à Isfezâr près de Hérât, pour demander des secours au prince Firouz oud din. Celui-ci leur répondit qu’il n’avait ni assez de troupes ni assez d’argent dans son trésor pour les soutenir ; il leur envoya seulement quelques subsides, et ne s’occupa plus d’eux. Le prince Mahmoud se rendit à Hérât sous un déguisement, et logea dans le Raouzhé d’Abd oullah Ençâri ; lorsque le prince Firouz oud Din connut sa présence, il alla le trouver et eut une entrevue avec lui ; il lui fit présent d’un vêtement d’honneur complet. Il ne permit cependant pas à Mahmoud de prolonger son séjour, il lui fit ses adieux en lui présentant ses excuses. Mahmoud, déçu dans ses espérances, s’en retourna à Isfezâr où il resta quelque temps. Sur ces entrefaites deux caravanes venant de Qandahâr arrivaient à Hérât et deux autres partaient d’Hérât pour Qandahâr ; Fethy Khan conseilla à Châh Mahmoud de piller ces quatre caravanes, pour se procurer de l’argent et pouvoir ainsi marcher sur Qandahâr et peut-être s’en emparer.

Mahmoud y consentit ; Kamran, Fethy Khan et tous leurs adhérents se mirent en campagne et pillèrent ces quatre caravanes ; puis après avoir organisé un corps de quatre mille cavaliers Ledjârehs, ils marchèrent sur Qandahâr. Mir Alem Khan, alors gouverneur de cette ville, sortit à leur rencontre avec l’armée qu’il avait sous ses ordres ; une bataille eut lieu ; Mir Alem fut fait prisonnier ; Fethy Khan donna immédiatement l’ordre de le mettre à mort, malgré les bienfaits qu’il en avait reçus. Après cette victoire la ville fut attaquée et prise au bout de peu de temps. Le prince Qaïsser fut fait prisonnier et Kamran, par suite d’une inimitié qu’il avait conçue contre lui, fit étrangler, pendant la nuit, ce prince semblable à Joseph par la beauté. La fortune n’avait jamais mis au monde son pareil. Voici la cause de cette inimitié : la première fois que le prince Qaïsser vint à Qandahâr, Kamran qui prenait la fuite laissa dans la ville sa fiancée, fille d’un haut personnage, et qui par la perfection de ses charmes, ressemblait aux houris et aux péris ; le mariage n’avait pas encore été consommé au moment de la fuite de Kamran. Qaïsser épousa cette jeune fille à la beauté céleste. Tel fut le motif pour lequel Kamran fit mettre à mort le prince Qaïsser qui avait gouverné Kâboul pendant six mois.

Après ces événements, Mahmoud rassembla dans Qandahâr environ vingt mille hommes de troupes et marcha sur Kâboul pour en faire le siège et livrer bataille à Châh Choudja. Celui-ci surpris et abattu par cette nouvelle et voyant sa fortune décliner, fit sortir de la ville toutes ses troupes pour s’opposer à la marche de l’ennemi. Son vézir Mehemmed Ekrem Khan Foulfoul Zey, qui était un Rustem pour la vigueur, fut chargé de conduire l’avant-garde. Les deux armées se rencontrèrent à Ghazna ; le vézir Mehemmed Ekrem sortit des rangs et s’avança sur le champ de bataille ; de l’autre côté, Abdoul Djebbâr Khan, frère de Fethy Khan, répondit à son défi, et courut à sa rencontre. Après plusieurs passes, Mehemmed Ekrem chargea son ennemi et d’un seul coup de sabre le coupa en deux ; Abdoul Djebbâr chancela et roula sur lui-même, comme un oiseau à moitié égorgé ; personne ne se présenta plus pour un combat singulier et la bataille devint générale.

Après une longue lutte, Mehemmed Ekrem, atteint par une balle, fut tué ; Châh Choudja en fut péniblement affecté et commença à désespérer. Sur ces entrefaites, quelques officiers du corps persan de Kâboul lâchèrent pied avec leurs troupes et passèrent du côté de Mahmoud ; la déroute se mit dans l’armée de Châh Choudja ; un grand nombre des émirs les plus braves ayant été tués, le roi ne put résister plus longtemps et prit la fuite dans la direction de Kâboul ; n’osant se fier aux habitants de cette ville, il gagna Pichâver, emmenant avec lui les bagages de son vézir qui avait perdu la vie et le prince Hayder, fils de Zéman Châh ; ce dernier resta à Kâboul.

Châh Mahmoud rentra pour la seconde fois en possession du trône et du gouvernement, avec l’éclat de Djemchid et la pompe de Cosroès ; il s’assit sur le siège de la toute-puissance et il étendit sa clémence sur ses sujets ; Fethy Khan devint son ministre avec un pouvoir absolu. Le prince Kamran eut le commandement de Qandahâr, et Fethy Khan établit chacun de ses frères comme gouverneur dans une ville.

L’année suivante, Châh Choudja fut chassé de Pichâver et réduit à errer dans les montagnes qui avoisinent cette ville. Il envoya un messager à Ethâ Mehemmed Khan, à Kachmir, pour lui demander soit une armée, soit de l’argent pour soutenir ses droits contre Châh Mahmoud. Ethâ répondit : « Qu’on me donne en gage le diamant nommé Deryâ i Nour (mer de lumière)[43], et je prêterai trente laks de roupies. Châh Choudja n’ayant pas d’autres ressources, envoya le Deryâ i Nour ; le frère d’Ethâ nommé Ghoulâm Aly Khan vint alors lui remettre quinze laks, en lui disant qu’il recevrait plus tard les quinze autres et qu’on lui amènerait des troupes, mais qu’il fit usage en attendant de l’argent qu’il versait entre ses mains. Châh Choudja y consentit : les intrigants se rassemblèrent de tous côtés autour de lui, comme des mouches qu’attire l’odeur d’une friandise, et se firent accorder des subsides.

Quand Châh Choudja se rendit à Pichâver dans l’intention d’attaquer Kâboul, Mahmoud dit à Zéman Châh qu’il avait toujours traité avec égards et bienveillance : « Depuis la mort de notre père, l’empire est dévasté et le trésor est vide ; cette guerre n’a d’autre résultat que la ruine des sujets, le meurtre des musulmans et le sang versé injustement. Kâboul, la capitale, est à présent en mon pouvoir, et je suis votre aîné à tous, la royauté me revient de droit ; je demande donc que vos frères cessent de m’attaquer, tant que je vivrai ; en échange, je jure de ne plus traiter en ennemis ni vous ni vos enfants et de vous accorder sur mon trésor une pension et des revenus journaliers. Je ferai mettre en liberté tous les princes qui sont enfermés dans le Bâla Hiçar ; que ceux qui veulent rester à Kâboul, y demeurent, ils recevront une pension ; sinon qu’ils se rendent dans l’endroit qu’ils auront choisi. »

Tous les princes se soumirent à Mahmoud et résidèrent à Kâboul. « Que mon frère Châh Choudja cesse d’écouter les paroles de cet Ethâ Mehemmed maudit et qu’il renonce à lever une armée ; je le nommerai mon lieutenant à Kâboul ; qu’il s’abstienne de toute révolte tant que je vivrai ; après ma mort il sera libre[44]. » Zéman Châh approuva ces propositions et envoya à Châh Choudja une lettre écrite en son nom et un engagement au nom de Mahmoud ; ces promesses tentèrent Châh Choudja, qui les fit connaître à Ethâ Mehemmed, en le menaçant, s’il ne le secourait ni en hommes ni en argent, de faire la paix avec son frère. Ethâ Mehemmed fut fort troublé par cet événement ; réfléchissant que, si les deux frères se réconciliaient, ils viendraient l’attaquer, il réunit à la hâte cinq mille cavaliers intrépides et il se transporta le plus vite possible à Pichâver. Châh Choudja se réjouit de le voir venir à son secours ; mais Ethâ Mehemmed entra dans le camp et s’empara de Châh Choudja au milieu de la nuit. Le matin, il partit pour retourner à Kachmir, emmenant le harem et les bagages de son prisonnier qu’il enferma dans le qafès. Immédiatement après son arrivée, il s’occupa d’approvisionner Kachmir, de mettre la ville en état de défense et de réunir une armée. Il se mit en révolte ouverte contre Châh Mahmoud ; de plus, il expédia secrètement des lettres aux Anglais, pour les engager à envoyer des troupes, et il ajouta qu’il tiendrait prêt de son côté quarante mille hommes, L’empire de Lahore devait être attaqué de deux côtés à la fois et enlevé à Râdjah Sing l’idolâtre : il se réservait, après la campagne, le Kachmir, abandonnant aux Anglais Lahore, Routhas, Nemir-Chir et le Djemou[45]. Lorsque le messager porteur de ces lettres arriva à Lahore, les espions que Râdjah Sing avait de tous côtés l’arrêtèrent ; les missives dont il était porteur furent découvertes. Râdjah Sing les envoya à Kâboul à Châh Mahmoud en lui faisant savoir que, s’il dirigeait une armée contre Kachmir, lui, de son côté, marcherait de Lahore sur cette ville, s’emparerait d’Ethâ Mehemmed Khan et rendrait le Kachmir à Mahmoud.

À la suite de cette proposition, Fethy Khan reçut l’ordre de se porter sur Kachmir à la tête d’une armée, tandis que Râdjah Sing s’avancerait de l’autre côté. Ethâ Mehemmed était dans l’ignorance de tout ce qui se passait ; il vit tout à coup arriver par la route de Bembeh[46] et par celle d’Atek l’armée du Radjah de Lahore et celle de Fethy Khan ; il ne put s’échapper et fut fait prisonnier ; son trésor et toutes ses richesses tombèrent au pouvoir de Fethy Khan. La mère d’Etha Mehemmed était la sœur de Fethy Khan ; cette considération détermina celui-ci à épargner la vie de son prisonnier ; il lui rendit même une partie de ses biens et lui assigna une pension.

Fethy Khan confia le gouvernement de Kachmir à son frère Mehemmed Azhim ; et, après avoir fait sortir de prison Châh Choudja, il vint, ainsi que Râdjah Sing, le saluer comme un souverain. Il lui proposa de l’accompagner à Kâboul auprès de Mahmoud ; Choudja lui répondit : « J’irai demander l’hospitalité à Râdjah Sing, qui est à la fois notre ami et le vôtre. » Celui-ci ayant aussi manifesté le désir d’emmener Choudja avec lui, ils partirent tous deux pour Lahore, après que Choudja eut reçu de Fethy Khan une somme comme frais de route et des présents considérables consistant en châles et en autres objets précieux. De son côté, le vézir de Mahmoud se dirigea vers Kâboul, emmenant avec lui les femmes, les domestiques et les bagages d’Ethâ Mehemmed ; Mahmoud ratifia le pardon accordé par Fethy Khan.

Un an après ces événements, Râdjah Sing conçut le projet de s’emparer de Kachmir ; il demanda conseil à Châh Choudja qui lui répondit : « Ce n’est point une chose facile ; mais au surplus, vous êtes le maître de l’entreprendre. » Râdjah Sing réunit une armée de quatre-vingt mille hommes, fantassins et cavaliers, et marcha sur Kachmir. À cette nouvelle, Mehemmed Azhim, qui n’avait sous la main que dix mille cavaliers, vint cependant à sa rencontre dans un défilé de la montagne dont la route est sablonneuse, et il s’en remit à Dieu sur l’issue du combat. Lorsque tous ces infidèles furent entrés dans la vallée, les musulmans, paraissant des quatre côtés, les prirent par devant et par derrière ; ils se précipitèrent tous à la fois contre l’ennemi, la lance en arrêt. L’aide de Dieu leur donna la victoire ; les infidèles furent mis en déroute ; quarante mille d’entre eux furent tués ou faits prisonniers et le reste ne put gagner un lieu sûr qu’au prix de mille difficultés. Râdjah Sing, honteux et confus, s’empressa d’écrire à Kâboul une lettre d’excuses, disant qu’il n’avait agi que d’après les conseils perfides de Châh Choudja ; comme il rougissait de sa conduite, il en rejetait toute la faute sur ce prince. Mais ce dernier apprenant ce que Râdjah Sing disait de lui, en fut indigné et songea à s’enfuir. Le Râdjah lui demanda le diamant Deryâ i Nour ; mais Choudja s’excusa et ne voulut point souscrire à cette proposition. Il lui remit cependant à la fin cette pierre précieuse en lui disant : « Je ne la vendrai pas pour de l’argent ; mais vous la tiendrez en garde. » Râdjah Sing se mit à réfléchir et alla se mettre au lit. Pendant la nuit, Choudja s’enfuit du côté de la province de Djemou avec le prince Hayder, quelques gens d’escorte et ses trois fils.

Râdjah Sing se repentit alors de ses paroles ; il envoya quelqu’un prier Châh Choudja de revenir, l’assurant qu’il se mettrait à son service pendant toute sa vie ; mais celui-ci s’y refusa et lui réclama son harem ; à la fin, Râdjah Sing lui renvoya avec les plus grands honneurs son harem et ses domestiques, ainsi que le Deryâ i Nour. Châh Choudja se rendit alors auprès des Anglais établis dans l’Hindoustan. Ceux-ci considérèrent sa venue comme un sujet de gloire et un honneur ; on lui donna pour demeure une habitation splendide et on lui attribua une pension digne d’un tel hôte. À présent en l’année 1232 (1817) il est encore dans l’Inde auprès des fonctionnaires anglais. Dieu est celui qui connaît le mieux le véritable état des choses.

Cependant Zéman Châh l’aveugle était resté dans Kâboul, où il était traité avec la plus grande bienveillance par Mahmoud, reconnaissant de la pitié qu’il lui avait témoignée lorsqu’il avait été fait prisonnier. Plein de gratitude de ce qu’il ne lui avait pas fait crever les yeux, Mahmoud lui témoignait la plus grande considération et déférait à tous ses désirs. Partout où il se rendait, il l’emmenait avec lui ; il lui avait assigné une pension qu’il touchait tous les mois ; les jours de Zéman Châh s’écoulaient heureusement dans Kâboul. Fethy Khan et les autres ministres de l’empire allaient lui faire visite, car en vérité c’était un souverain plein de mérite, intelligent, et instruit, ami de ses sujets, et ne passant ni un jour ni une nuit sans entretenir les savants.

Dans l’année 1130 (1814) il demanda la permission à Châh Mahmoud de se rendre à Balkh, pour y faire un pèlerinage au tombeau du roi des hommes (Aly) ; elle lui fut accordée, Zéman Châh partit de Kâboul et prit la route de Bout Bâmian. Il se dirigea sur Khoulm[47] près de Balkh, accompagné par l’un de ses fils le prince Nâcir, par l’une de ses femmes et trois de ses filles. Il avait avec lui un éléphant et il était suivi par plus de soixante domestiques. Le gouverneur de Balkh, Qilidj Aly Khan, vint à sa rencontre et lui donna une hospitalité magnifique. Ensuite il alla visiter le tombeau du roi des hommes, qu’on appelle l’Imâm. C’est un tombeau au-dessus duquel est une construction solide en marbre blanc ; sur la pierre on lit cette inscription (en arabe) : « Ceci est le tombeau du lion de Dieu, le victorieux Aly, fils d’Abou Thâlib. »

Il fut découvert sous le règne du sultan Housséïn Mirzâ Bâïqara ; ce n’était alors qu’un monceau de terre. Lorsque Bedi ouz Zémân Mirzâ était gouverneur de Balkh, il lut un jour dans les chroniques, que dans tel endroit se trouvait le tombeau d’Aly (que Dieu soit satisfait de lui !).

Il fit déblayer la butte de terre et l’on mit au jour le tombeau : il informa de cette circonstance son père qui se trouvait à Hérât. Sultan Housseïn Mirzâ se rendit lui-même à Balkh et se convainquit par ses yeux de la réalité du fait. Il fit surmonter le tombeau d’une coupole ; il y annexa un collège, un couvent, un lieu de refuge pour les voyageurs : il assigna pour l’entretien de ces monuments des revenus considérables ; il établit un inspecteur, un imâm, un gardien et il donna ordre que toutes les nuits, on fit des distributions de soupe et d’aliments. Ces constructions pieuses et ces revenus qui témoignent de la noblesse du caractère de ce grand prince existent encore aujourd’hui[48]. Si un millier de voyageurs vient à se présenter, l’inspecteur des legs pieux leur fait distribuer de la soupe et des aliments et il remet à chacun d’eux quelque argent. Tous les ans des pèlerins se rendent à Balkh des différentes parties de l’Inde, du Khorassan et du Turkestan. Des aveugles, des paralytiques et des gens affligés de différentes maladies viennent visiter le tombeau et quelques-uns d’entre eux y obtiennent leur guérison.

Châh Zéman, comme nous l’avons dit, se rendit à ce lieu de pèlerinage et y resta vingt jours, il prit ensuite le chemin de Boukhara. Emir Hayder Châh, instruit de son arrivée, fit partir pour aller à sa rencontre plusieurs personnages de distinction. Zéman Châh s’arrêta plusieurs jours en leur compagnie à Qarchy et à Nakhcheb[49] où il fut traité avec tous les égards que l’on doit à un hôte, et de la il se rendit à Boukhara où on lui assigna une résidence magnifique ; la nuit l’émir se rendit auprès de Zéman Châh pour lui faire sa visite ; il lui prodigua ses consolations et il lui assigna une pension de deux cents tillâs par mois.

Zéman Châh avait une fille âgée de quatorze ans : Emir Hayder désira l’épouser et en fit la demande : le châh invoqua toutes sortes d’excuses ; mais Emir Hayder finit par lui dire : « Votre fille doit être mariée : où pourrez-vous trouver un gendre plus digne de vous que moi ; la loi religieuse ne permet pas qu’on promène de ville en ville une fille qui a atteint l’âge de la vôtre. » Zéman Châh reconnut que, bon gré mal gré, Emir Hayder s’emparerait de sa fille. Ce dernier appuya du reste sa demande de promesses : « Je m’emparerai de Balkh, lui dit-il, et je vous remettrai cette ville. » Le désir de posséder Balkh le fit consentir à cette amertume et il cessa d’opposer de la résistance à ce qui était prédestiné. Le mariage fut conclu : Emir Hayder fit préparer pour la fille du châh des vêtements et des objets mobiliers d’une valeur de vingt mille tillâs de Boukhara, équivalant à la somme de trente mille ducats de Hongrie. Il ne voulut point accepter le trousseau et le mobilier qui devaient lui être donnés en dot. Il fit faire lui-même les vêtements ornés de pierreries, et les objets mobiliers qu’il offrit étaient enrichis de pierres précieuses et excitaient l’admiration générale.

Zéman Châh resta pendant quelque temps à Boukhara, et finit par s’apercevoir qu’il n’avait ni aide ni secours à attendre : il demanda la permission de partir et d’aller se fixer dans le château d’Aqtchèh[50], situe à proximité de Balkh. « Je m’y rendrai, dit-il, et si l’émir Hayder veut me secourir, il m’y trouvera prêt. Il est possible, en outre, qu’étant aussi près de Balkh, les habitants de cette ville veuillent se soumettre à moi. » C’est en usant de cet expédient et de cette ruse qu’il parvint à sortir de Boukhara. Il séjourna une semaine dans le château d’Aqtehèh, puis accompagné de toute sa suite il se rendit à Hérât par la route de Meïmenèh et de Fariab.

Le châhzadèh Firouz oud Din se porta à sa rencontre et ils firent tous deux leur entrée dans la ville. Au bout d’une année Châh Zéman demanda la permission de se rendre en pèlerinage à la maison de Dieu. Le prince Firouz le fit conduire à Mechhed avec tous les honneurs qui lui étaient dus et Housséïn Aly Mirza, fils de Feth Aly Châh le fit partir pour Téhéran. Féth Aly Châh l’accueillit avec les plus grands égards et lui témoigna la plus haute considération. Tous les fils du roi lui firent visite, Feth Aly Châh lui-même le reçut la nuit en audience particulière, le traita avec la plus grande bienveillance et chercha à le consoler. Zéman Châh offrit au roi de Perse l’éléphant et des objets précieux qu’il avait conservés. Il séjourna à Téhéran pendant quatre mois, puis il sollicita la permission de se rendre à Bagdad pour de là aller à la Mecque. Feth Aly Châh lui fit cadeau de quatre mille ducats de Hongrie et il offrit à son harem, à ses filles, à ses fils et à Zéman Châh lui-même des vêtements complets de toutes sortes. Toutes les personnes attachées à son service reçurent aussi des habits d’honneurs. On attacha à sa personne un officier chargé de le traiter dans toutes villes où il passerait. Il prit la route de Bagdad et aujourd’hui (1233-1817) il est dans cette ville. Le gouverneur de Bagdad est Daoud Pacha[51].

LE PRINCE ABBAS, FILS DE TIMOUR CHÂH, FILS D’AHMED CHÂH, FILS DE ZÉMAN KHAN.

Il fut pendant deux ans gouverneur de Pichâver du vivant de son père ; il avait épousé la fille du khan de Khaïber. Cette circonstance lui avait fait donner ce gouvernement. C’était un homme d’une grande bravoure et d’une force si prodigieuse qu’il déracinait un arbre planté depuis trois ans ; il excellait dans le maniement du sabre. L’impétuosité de son caractère, et les suggestions de son beau-père le portèrent à se révolter contre son père. Timour Châh rassembla des troupes et marcha sur Pichâver ; son fils se repentant de sa conduite, envoya un intermédiaire peur intercéder en sa faveur, lui dire qu’il n’était point criminel, et que le père de sa femme était le seul coupable. C’était la vérité. Timour Châh lui accorda son pardon et fit son entrée dans Pichâver. Mais le beau-père du châhzadèh Abbas et quelques-uns des chefs afghans firent assaillir le palais en plein jour par une troupe de Khaïberis ; peu s’en fallut qu’ils ne s’emparassent de la personne de Timour Châh. Une esclave informée de ce qui s’y passait, avertit le roi qui s’enfuit du harem et alla se réfugier dans le pavillon du château du Bengalah[52]. Les troupes chargées de la garde du palais crurent un moment que le châh avait disparu, mais on entendit tout à coup du haut du Bengalah un cri s’élever : « Le châh vient d’arriver, faites main basse sur les rebelles ! » On ordonna un massacre général : les soldats mirent le sabre à la main et tuèrent tous les gens qu’ils rencontrèrent portant un turban blanc. Émir Khan, gouverneur de Kachmir, qui s’était précédemment révolté et que l’on avait fait prisonnier, était renfermé dans le château de Bengalah ; en entendant la voix du roi, il sortit de sa prison, s’empara du sabre d’un soldat et tua de sa main deux cents rebelles. Timour Châh enchanté de sa valeur lui rendit le gouvernement de Kachmir. Beaucoup d’innocents périrent dans ce massacre, parce que tous les habitants de Pichâver portaient également le turban blanc. Le châhzadèh Abbas fut conduit à Kâboul, et Zéman Châh le fit enfermer dans le Bâla Hiçar. Sur les suggestions du vézir, il fut étranglé à cause du meurtre de Djan Nîçar (sous le règne de Zéman Châh).

HADJI FIROUZ OUD DIN, FILS DE TIMOUR CHÂH, FILS D’AHMED.

Lorsque Zéman Châh marcha contre Hérât, son frère le châhzadèh Mahmoud se porta avec ses troupes à sa rencontre à une fersakh de distance, à Raouzèh Bagh, où se trouvent le tombeau de Zéman Khan, père d’Ahmed Châh, et celui de Essed Oullah Khan. Il avait envoyé à la rencontre de Zéman Châh sa mère et son lieutenant Zéman Khan avec des cadeaux et des présents. Dans l’espérance de faire la paix, on attendait l’arrivée de Zéman Châh. Firouz oud Din était resté dans la ville pour veiller à sa garde : Qilidj Khan Ouïmak nourrissait dans son cœur des projets de révolte et de trahison. Il avait promis à Zéman Khan, au moment où ce dernier se rendit auprès de Zéman Châh, de s’emparer de la ville par un moyen quelconque, « et vous, lui avait-il dit, faites-vous accompagner par Zéman Châh et venez avec lui. »

Qilidj Khan sous prétexte de faire des provisions d’orge était resté dans la ville avec deux mille hommes dévoués. À midi, au plus fort de la chaleur du jour, le châhzadèh Firouz dormait dans l’appartement des femmes. Qilidj Khan avec sa troupe se dirigea vers le château, fit prisonniers les soldats qui gardaient la porte et s’en rendit maître. Les fusiliers montèrent sur les tours et tirèrent des coups de feu en signe de réjouissance. Le châhzadèh Firouz vit à son réveil ce qui venait de se passer et il en fit parvenir la nouvelle au camp. Mahmoud rentra dans la ville. Qilidj Khan fit venir par ruse dans la citadelle Housseïn Aly Khan et Mirza Hachim Khan et s’empara de leur personne. Les châhzadèhs Mahmoud et Firouz oud Din et les personnages de marque attachés à leur personne se réfugièrent en Perse et se mirent sous la protection de Feth Aly Châh.

Firouz oud Din resta pendant quelque temps à Yezd, puis il prit la résolution d’aller à la Mecque et il se rendit à Bagdad dont le gouverneur le reçut avec les plus grands égards. De Bagdad il alla à la Mecque. À son retour il passa par Bagdad et par Ispahan pour revenir à Yezd et s’y établir. Le châhzadèh Mahmoud était, de son côté, revenu de Boukhara et il avait traversé le Kharezm pour se rendre dans les États de Feth Aly Châh. Les deux frères se revirent en Perse après avoir été pendant quelque temps séparés l’un de l’autre.

Enfin Fethy Khan fit prisonnier Châh Mahmoud et le conduisit à Qandahâr ; il s’empara aussi de Kâboul et Zéman Châh devint son prisonnier : il mit la main sur le royaume des Afghans. À cette nouvelle, Firouz oud Din partit dans l’espérance de reprendre Hérât. Le prince Qaïsser qui se trouvait dans cette ville se réfugia à Mechhed accompagné par Qilidj Khan.

La tribu des Ouïmaks Timourys s’établit dans les districts de Khaf et de Bakherz jusqu’à Djam. Qilidj Khan et Qaïsser se rendirent à Téhéran et firent leur soumission au roi de Perse. Hadji Firouz entra dans Hérât sans contestation et il gouverna cette ville sous le règne de Châh Mahmoud et sous celui de Châh Choudja.

Le châhzadèh Kamran désirait ardemment la possession de Hérât ; Firôuz dominé par la crainte se mit sous la protection du roi de Perse et implora son appui : il envoyait constamment des présents et des ambassadeurs à la cour de Perse. Lorsqu’il entra à Hérât et que son pouvoir n’était pas encore bien établi il y fut attaqué par Qilidj Khan et Mehemmed Mirza fils de Feth Aly Châh à la tête d’une armée persane[53]. Le châhzadèh Firôuz, de son côté, rassembla des troupes afghanes et ouïmaks et il proposa au cheikh ul Islam, que l’on appelait Soufy ul Islam, de se joindre à lui. Ce personnage comptait cent cinquante mille disciples ; il était Uzbek d’origine et né à Boukhara. Il avait quitté cette ville sous le règne de Châh Mourad Beg et s’était fixé à Hérât, où Timour Châh l’avait établi dans le palais de Karkh. Il prétendait avoir des révélations divines et manifester sa sainteté par des miracles. Un autre personnage nommé Hadji Molla Moussa était le chef des ulémas de Hérât : il avait fait sept fois le pèlerinage et il était le disciple de Séyid Okeil qui résidait à la Mecque. Il était l’ennemi du Soufy ul Islam avec lequel il rivalisait d’influence. Hadji Firôuz proposa à ces deux saints personnages de combattre contre les hérétiques persans ; ils ne purent refuser et ces deux cheikhs avec leurs disciples durent prendre part à la guerre et se réunir aux troupes de Firôuz. La bataille se livra au village de Chadèh situé à douze fersakhs de Hérât. D’un côté se trouvaient Firouz Châh et ses troupes, les Afghans et les deux cheikhs avec les soldats Firouz Kouhis qui sont une tribu ouïmak. L’armée persane était placée sous le commandement de Qilidj Khan, de Mehemmed Khan Hezarèh avec Ishak Khan Turbety. Il y avait en outre des soldats Kizilbachs et Qadjars.

Les Afghans fondirent sur les soldats de la tribu de Qadjar et leur firent lâcher pied. Un grand nombre d’entre eux furent tués. Qilidj Khan, Mehemmed Khan et la tribu de Ishak Khan Ghoury de leur côté attaquèrent les troupes de Firouz Kouh commandées par les deux cheikhs.

Les Firouz Kouhis furent mis en déroute et perdirent beaucoup de monde, tant tués que blessés. Les deux cheikhs restèrent sur le champ de bataille et leurs disciples battus et mis en déroute se dispersèrent comme les étoiles de la constellation de l’Ourse. Les Persans se rallièrent, et ayant reçu des renforts, ils mirent en fuite les Afghans. Plusieurs émirs afghans furent tués. Nous citerons Bedel Khan, Ahmed Khan, fils de Islam Khan, Abdoul Djebbar Khan, Redjeb Mehemmed Khan, Chady Khan et autres. Hadji Firouz s’échappa avec mille difficultés et se réfugia à Hérât dont il fit fermer les portes. Les Persans tannèrent la peau de la tête de Soufyul Islam et l’envoyèrent à Téhéran. Son corps fut brûlé. Hérât fut investi[54]. Au bout de deux mois, la ville n’ayant pu être prise, la paix fut conclue. La ligne de démarcation des frontières fut établie à Ghourian, à dix fersakhs de Hérât, Tous les biens et toutes les propriétés que Qiiidj Khan possédait dans la province lui furent rendus ; les troupes persanes se retirèrent après la conclusion de cet arrangement. Hadji Firouz, craignant toujours les visées de son neveu, entretint des relations constantes avec la Perse et il invoqua l’aide et l’appui de cette puissance.

Quand Châh Mahmoud monta, pour la seconde fois, sur le trône de Kâboul, il envoya un ambassadeur pour mander Hadji Firouz à la cour. Celui-ci refusa et ne se rendit pas à l’invitation qui lui était adressée. Fethy Khan et Kamran nourrissaient à l’égard de Firouz les sentiments d’une vive inimitié et ils attendaient une occasion favorable pour le renverser. Hadji Firouz, s’étant brouillé avec son frère, s’appuya sur le châh de Perse. En dernier lieu, Vély Mehemmed Mirza, qui était gouverneur de Mechhed, demanda en mariage la fille de Hadji Firouz. Celui-ci, après une longue hésitation, consentit à la donner au fils du roi de Perse, pensant que cette alliance le rendrait plus fort. Mais les émirs et les grands fonctionnaires afghans n’accordèrent point leur consentement à cette union : ils alléguaient que toujours les Afghans avaient épousé des filles persanes et que jamais ils n’avaient marié leurs filles à des Persans. « Comment un musulman sunnite pourrait-il consentir à un mariage avec une hérétique chiite, disaient-ils. Cette conduite serait blâmée et réprouvée partout. » Toutes les raisons alléguées par les conseillers de Hadji Firouz ne le firent pas changer d’avis et il se décida au mariage de sa fille. Celle-ci, apprenant que son père voulait la livrer à un Persan, s’empoisonna pendant la nuit. Hadji Firouz en fut désolé, mais les Afghans témoignèrent une grande satisfaction. Ce fait fut porté à la connaissance de Châh Mahmoud qui voulut se débarrasser de Hadji Firouz.

En 1232 (1816) Fethy Khan et le châhzadèh Kamran, marchèrent contre Hérât à la tête des troupes de Qandahâr et d’autres milices. La ville fut assiégée pendant trois mois : au bout de ce temps, les habitants réduits à toute extrémité capitulèrent. Hadji Firouz oud Din fut fait prisonnier et envoyé à Kâboul. Châh Mahmoud et Hadji Firouz oud Din étant, l’un et l’autre, fils de Timour Châh et de la même mère, il ne lui fut fait aucun mal. La mère de ces deux princes est encore vivante. Fethy Khan donna Hérât au châhzadèh Kamran et il mit à côté de lui, en qualité de lieutenant, son frère Kouhendil Khan. La paix fut conclue avec la Perse à la condition que les Persans rendraient tout ce qu’ils avaient conquis sur l’empire afghan.

Telle est la situation aujourd’hui 1233 (1817). Que se passera-t-il plus tard ?

En cette année 1233 (1817), un ambassadeur persan est arrivé à Constantinople à la cour ottomane : il se nomme Mouhibb Aly Khan, fils de Kelb Aly Khan Khouldj. Les cadeaux qu’il a présentés consistaient en un éléphant, cinq chevaux de race, des châles, des étoffes de brocart d’or et deux sabres Keianys. On lui témoigna beaucoup d’honneur et de considération.

Aujourd’hui règne le sultan le plus grand, l’empereur le plus généreux, celui qui est l’honneur des Arabes et des peuples étrangers, le pôle de l’islamisme, le sultan vainqueur des infidèles, le sultan Mahmoud Khan, fils du sultan Abdul Hamid Khan, fils du sultan Ahmed Khan. Que Dieu veuille rendre éternels son royaume et sa prospérité ! Nous espérons que, pendant de longues années, il sera assis d’une manière inébranlable sur le trône de l’empire.

LE CHÂHZADÈH CHÂPOUR, FILS DE TIMOUR-CHÂH, FILS D’AHMED CHÂH

Légende du sceau du mufti de Hérât : « La bonté divine et la bienveillance de Timour Châh ont fait de Hachim le serviteur de la loi du Prophète. »

Lorsque Timour Châh, son père, mourut à Kâboul, Zéman Châh son frère ceignit la couronne et s’assit sur le trône ; il fit enfermer dans la prison d’Etat du Bâla Hiçar tous les princes de la famille royale. Le gouverneur du Bâla Hiçar était Abdoullah Khan, un des personnages jouissant de la confiance de Zéman Châh et auquel ses nombreux services avaient fait donner le nom de Djan Niçar Khan[55].

Dans l’année où Zéman Châh marcha sur Hérât pour enlever cette ville au châhzadèh Mahmoud, Djan Niçar Khan se voyant hors de toute surveillance se laissa entraîner à l’ingratitude ; décrivit à la mère de Châpour, qui était la fille de Cherbet Aly, un billet dans lequel il lui disait que depuis longtemps il était éperdument amoureux d’elle, qu’il n’avait pas la force de maîtriser et de dominer sa passion. « Aujourd’hui, ajoutait-il, vous avez perdu votre époux, vous êtes libre de votre personne. C’est moi qui suis chargé de recevoir les revenus assignés au Bâla Hiçar et de les dépenser : si vous voulez céder à mes vœux, je vous donnerai à vous et à votre fils des marques de mon dévouement, si vous refusez, vous perdrez la pension qui vous est assignée. » Quand ce billet parvint à la mère de Châpour, elle versa des larmes abondantes en pensant que la femme bien-aimée de Timour Châh en était réduite à demander un morceau de pain, et que son amour était recherché par un grossier soldat. Elle repoussa les propositions de Djan Niçar qui lui enleva tout subside ; elle eut à supporter avec son fils toutes sortes de mauvais traitements. Tous les jours Djan Niçar lui adressait des billets remplis d’expressions de colère. À la fin, la mère de Châpour dévoila cette situation à son fils et au châhzadèh Abbas. Ceux-ci lui dirent de faire prévenir Djan Niçar que le châhzadèh Châpour était malade et qu’il vint le voir. « Ajoutez dirent-ils, que vous vous soumettez à lui. » La mère de Châpour écrivit donc un billet pour faire savoir qu’elle consentait à tout et qu’elle le priait de venir voir Châpour. Djan Niçar, enchanté et ravi de cette bonne nouvelle, arriva le soir même pour faire visite au prince et s’assit au chevet de son lit. Au bout d’une demi-heure Châpour se dressa sur son séant, et tirant le poignard qu’il avait à la ceinture, il en frappa Djan Niçar au ventre et l’envoya en enfer. Le neveu de Djan Niçar, informé du meurtre de son oncle, se saisit des portes, empêcha qui que ce fut de sortir et fit prévenir, à Hérât, Zéman Châh de ce qui venait de se passer. Zéman Châh accourut immédiatement à Kâboul. Sur le conseil de son vézir, Châpour et sa mère furent empoisonnés : le châhzadèh Abbas fut épargné ; nous en parlerons plus tard.

La mère de ces deux princes était l’intendante du harem, elle était fille de Cherbet Aly Khan Djindavoul, d’origine persane. Timour Châh avait pour elle une vive affection, elle était belle, bien faite, et avait un visage de péri : elle n’avait pas d’égale pour la facilité de l’élocution et les arts d’agrément. Timour Châh avait trois cents femmes ; deux fois par semaine il y avait dans l’intérieur du harem réunion de toutes les femmes. Les jours fixés, l’intendante du harem donnait l’ordre à toutes les esclaves de mettre sur leur tête un diadème et de revêtir leurs plus beaux habits. Elles se rassemblaient dans une cour ouverte auprès de la salle où se trouvait le trône du roi. Au milieu de cette cour était un bassin à jet d’eau ; les femmes se plaçaient sur deux rangs, derrière chaque femme se tenaient deux esclaves, une blanche et une noire. Le roi entrait, s’asseyait sur son trône et l’audience commençait. La fille de Cherbet Aly, à cause de sa haute situation, se tenait près du roi : elle avait sur la tête une couronne enrichie de pierreries de la plus belle eau. Le roi descendait de son trône, et, passant dans les rangs, causait avec enjouement, s’arrêtait devant chaque femme, parlait et s’éloignait. La fille de Cherbet Aly marchait à côté de lui. Les eunuques suivaient le roi et prenaient note des femmes qu’il paraissait remarquer plus particulièrement. Après les avoir toutes vues, il leur permettait de se retirer. Parmi toutes ces femmes, on avait pris le nom d’environ dix d’entre elles, et à l’entrée de la nuit on les faisait paraître devant le roi ; elles entraient une à une dans son appartement secret. Il arrivait quelquefois qu’il retenait auprès de lui les dix femmes qu’on lui avait amenées. Toute l’année le châh se livrait ainsi à ses plaisirs.

Chaque semaine, on lui amenait une jeune fille vierge. Chacune de ses femmes avait outre ses revenus, une somme fixée pour ses dépenses journalières et une pension annuelle. Une année on distribua dans le harem deux mille châles de cachemire. Le châh donnait une pension et des moyens de subsistance aux femmes dont il ne voulait plus ; il assignait à celles qui étaient mères une résidence particulière pour elles et pour leurs enfants. Timour Châh traitait avec considération les princes qui étaient renfermés dans le Bâla Hiçar et il leur envoyait de jeunes esclaves. Chaque année, on dépensait pour le Bâla Hiçar quatre laks de roupies, formant le revenu de Djelal Abâd.

Timour Châh avait aussi l’habitude de réunir la nuit après la prière du coucher du soleil, une fois par semaine, les ulémas : il dînait avec eux, et après le repas on se livrait à des discussions religieuses. Au moment de se coucher il récitait la prière et entrait ensuite dans son harem ; une fois par semaine aussi il réunissait ses enfants et dînait avec eux.

Il eut trente-six fils. Voici leurs noms : Le Châhzadèh Humaioun, le Châhzadèh Mahmoud, le Châhzadèh Zéman, le Châhzadèh Choudja, le Châhzadèh Firouz oud Din, le Châhzadèh Abbas, le Châhzadèh Djihan Vala, le Châhzadèh Eyoub, le Châhzadèh Hassan, le Châhzadèh Hamid, le Châhzadèh Châpour, le Châhzadèh Goher, le Châhzadèh Qaïsser, le Châhzadèh Ekber, le Châhzadèh Alemguir, le Châhzadèh Ahmed, le Châhzadèh Yakoub, le Châhzadèh Sélim, le Châhzadèh Faghfour, le Châhzadèh Djihan, le Châhzadèh Chahroukh, le Châhzadèh Mehemmed, le Châhzadèh Osman, le Châhzadèh Omar, le Châhzadèh Kamar, le Châhzadèh Rustem, le Châhzadèh Deriadil, le Châhzadèh Kouhendil, le Châhzadèh Rahmel, le Châhzadèh Ferroukh, le Châhzadèh Aureng Zib, le Châhzadèh Sabir, le Châhzadèh Tipou, le Châhzadèh Darab, le Châhzadèh Zekeria.

Tous ces princes étaient vivants pendant le règne de leur père. Zéman Châh les fit ensuite enfermer dans la prison d’État du Bâla Hiçar.

  1. L’année 1222 de l’Hégire a commencé le 11 mars 1807.
  2. Razgrad.
  3. La petite place de Baghtchèh Qapou est située entre la pointé du Seraï et la mosquée de Yeny Djami.
  4. Village situé sur la côte d’Europe à l’entrée du Bosphore. Il doit son nom (Berceau de pierre) à une cuve ou sarcophage antique découvert par un prêtre grec et qui fut transporté à Sainte-Sophie. Depuis le XVIe siècle, la flotte turque mouille pendant l’été devant Bechiktach. (V. Les Muntekhibat ou extraits des voyages d’Evlia Efendy, Boulaq, 1264 (1847).
  5. Yahia, fils de Khalid, de la famille des Barmekides, fut nommé par le khalife Mehdy gouverneur de son fils Haroun Errechid. Sous le règne de ce prince il exerça pendant dix-sept ans le pouvoir suprême, et son administration est citée comme un modèle par les auteurs orientaux.
  6. Edhem, Abou Ishak Ibrahim fils d’Edhem, fils de Souleyman, fils de Mansour, originaire de Balkh, était de famille royale. Obéissant, dans une partie de chasse, à une inspiration divine, il renonça au mondé pour embrasser la vie religieuse, se rendit à la Mekke et se retira, en Syrie où il mourut en l’année 161 ou 162 selon les uns, 166 selon les autres. (777-782 A.D.)
    Son tombeau se trouve à Djebeleh, qui doit à cette circonstance le surnom d’Edhemieh. (Lives of the Soofis, by Mawlana Noor Aldin Jamt. Calcutta, 1858, pages 45-46.)
    L’auteur joue dans ce vers sur les mots d’Edhem et d’Ablak, dont le premier signifie un homme ou un cheval dont la couleur tire sur le noir, le second un cheval gris blanc.
  7. Qoran, chap. 78, vers. 41.
  8. Voir l’appendice I.
  9. La fersakh ou ferseng (parasange) usitée dans le Nord de la Perse et dans le Turkestan, doit être évaluée à plus de dix kilomètres.
  10. Châh Nuvâz Khan était le titre donné par la cour de Perse au prince Georges Bagration, gouverneur de la Géorgie sous la suzeraineté de la Perse. Il s’était révolté en 1114 (1702, A.D.) : abandonné par ses troupes à l’approche de l’armée persane commandée par Kelb Aly Khan, gouverneur de Guendjèh (aujourd’hui Elisabethpol), il alla à Ispahan, faire sa soumission et implorer un pardon qui lui fut accordé. Il conserva la vice-royauté de la Géorgie que son frère administra en son nom, et il reçut le gouvernement du Kerman et de Qandahâr dont l’empereur de Delhi venait de revendiquer la possession. Il emmena avec lui des troupes géorgiennes pour contenir les tribus afghanes.
  11. Hanway raconte d’une manière différente l’assassinat de Chah Nuvâz Khan par les Afghans.
    The revolutions of Persia containing the reign of Shah Hussein, etc., by Jona Hanway. London, 1762, tome I, p. 112. Cet événement eut lieu en 1709.
  12. L’auteur veut sans doute parler ici de l’expédition commandée par Khosrew Khan, oncle de Châh Nuvaz Khan, qui fut tué sous les murs de Qandahâr en 1711.
  13. La dernière armée envoyée par les Persans était commandée par Mehemmed Rustem Khan qui fut mis en déroute en 1713.
  14. Mir Véïs mourut en 1715, laissant deux fils : Mir Abdallah lui succéda. Ce prince d’un caractère pacifique ayant ouvert des négociations avec la cour de Perse pour lui restituer Qandahâr, fut assassiné dans son palais à l’instigation de Mir Mahmoud, qui fut proclamé souverain.
  15. Il s’agit ici d’Ahmed Khan, fils de Zeman Khan Abdali, qui devint souverain de l’Afghanistan après la mort de Nadir sous le nom d’Ahmed Châh.
  16. L’auteur appelle bataille de Basra la bataille que Nadir livra à Topal Osman Pacha, près de Leitam et Kerkouk, les 22 et 29 octobre 1733.
    Riza Qouly Khan dans le Fihris out tewarikh mentionne l’action décisive des Afghans pour le résultat de la journée.
  17. Nadir Châh était campé à Feth-Abâd, près de Khabouchan, à peu de distance de Mechhed et des ruines de Thous.
    Cette partie du Khorassan a reçu le nom de Kurdistan, à cause des tribus kurdes qui y furent transplantées par Châh Abbas.
    (J. Fraser’s journey into Khorassan. Londres, 1825, p. 242, et append., p. 42.
  18. Qâïn est située au S.-O. de Hérat, non loin de Thabès, dans une plaine couverte d’un sable imprégné de sel.
    Cette ville était autrefois la capitale du Kouhistan.
    Sa forteresse commandait la route du Kerman et celle du Khorassan.
    Les habitants de Qâïn descendent d’une tribu arabe qui s’y est établie à l’époque des khalifes. Cette ville est renommée pour ses fabriques de tapis de feutre et de tissus de poil de chèvre.
  19. L’expédition d’Ahmed Châh contre Hérat eut lieu en 1750.
    Ce prince attaqua la ville à la tête de soixante-dix mille hommes : elle était alors gouvernée au nom de Châh Roukh Mirza par le serdar Djelil Beg connu aussi sous le nom d’Emir Khan et surnommé Michmest (le bouc ivre ou furieux). Il était d’origine arabe et il avait commandé l’artillerie dans l’armée de Nadir. Il s’était distingué dans la campagne d’Arménie en 1735 et avait fait prisonnier de sa main, à la bataille de Zengui Tchai, Mustapha Pacha, gendre du sultan Mahmoud et gouverneur général de Diarbekir.
    Après une défense vigoureuse, qui dura quatorze mois et non six, les habitants, abandonnés par Châh Roukh et réduits à toute extrémité, se rendirent à discrétion. Lorsque les troupes afghanes entrèrent dans les faubourgs, Emir Khân sortit de la citadelle à la tête d’une poignée de soldats, fondit sur elles et périt avec tous les siens les armes à la main.
  20. Nasroullah Mirza, fils de Châh Roukh, avait suscité la révolte du Khorassan, révolte à laquelle prirent part tous les chefs persans, à l’exception de Kerim Khan Vekil de Chiraz. Une bataille livrée dans les environs de Mechhed, fut gagnée par Ahmed Châh, grâce à la vigueur de Nassir Khan et des Beloutchis. La ville de Mechhed, sur laquelle on ne pouvait tirer sans commettre un acte d’impiété, fut investie et elle capitula après quelques mois de blocus. Châh Roukh en conserva le gouvernement à la condition de donner sa fille à Timour fils d’Ahmed Châh et de fournir un contingent de troupes pour servir dans l’armée afghane.
  21. Ahmed Chah mourut d’un cancer à la face, dont il souffrait depuis longtemps. Il était âgé de cinquante ans.
  22. Le mot qafès désigne une maison ou un appartement dont les fenêtres sont grillées et où sont enfermés les princes de sang royal. Ils ne peuvent communiquer avec le dehors et ils sont l’objet d’une surveillance incessante.
  23. M. Charles Masson a donné, dans le second volume de ses voyages, Narrative of various journeys in Balochistan, Afghanistan and the Panjab. London, 1842, une description détaillée du Bâla Hiçar de Kâboul que le lecteur trouvera à l’appendice.
  24. Abou Ismayl, Abdallah ibn Abou Mansour Mohammed el Hérévy, connu sous le nom de Cheikh oul Islam, naquit à Hérât, en 395 de l’hégyre (1004 A.D.) et mourut dans cette ville en 481 (1084), Les poésies spirituelles et les prières qu’il a composées jouissent de la plus grande réputation et ont été plusieurs fois oubliées à Téhéran et à Tebriz.
    Sa biographie est insérée dans le « Medjalis oul ouchchaq » par Kemal oud Din Housseïn Kazergahy et dans les « Vies des Saints personnages par Djamy, » dites par le major Nassau Lees, Calcutta, 1858, pp. 376-380.
  25. Timour Chah mourut à Kâboul, dans la nuit du 8 chevval de l’année 1207 (1792).
  26. La bataille eut lieu sous les murs de Kelati Ghildjaï.
  27. Le poûl est une monnaie de cuivre valant 1 centime et 38 millièmes : 35 poûls équivalent à un tenga, pièce d’argent de la valeur de 76 centimes. Le tilla (pièce d’or) vaut 16 francs ou 21 tengas. Voyage d’Orenbourg à Bouhhara fait en 1§20, rédigé par le baron G. de Meyendorff, et revu par M. le chevalier P. A. Jaubert. Paris, 1826, p, 212.
    Deux millions de pouls représentent donc une somme de 232,000 francs. Les différentes monnaies frappées à Boukhara au commencement de ce siècle, ont été gravées et se trouvent annexées au Mémoire de M. Joseph-Julien Senkowski, placé à la suite du voyage à Boukhara.
  28. Houmayoun se réfugia dans le Moultan ; il y était lorsqu’en 1210 (1795) Châh Zéman passa le Sind et s’établii, avec son armée dans les environs de Hassan Àbdal et de Routhas. Houmayoun, qui se trouvait dans le canton du Righistan et aux environs de sa ville de Lyièh, voulut essayer de gagner le Kachmir avec une centaine de serdars et de nobles afghans, qui lui étaient demeurés fidèles.
    Châh Zéman instruit de la présence de Houmayoun envoya au gouverneur de Lyièh, Mehemmed Khan Sadou Zey, l’ordre de l’arrêter et de l’envoyer au camp. Mehemmed Khan ne put surprendre Houmayoun. Un combat acharné eut lieu. Sultan Ahmed fils de Houmayoun, atteint par une balle, tomba de cheval et rendit l’âme. Son père, désespéré, so jeta sur son corps qu’il ne voulut point abandonner ; il fut fait prisonnier et conduit à Lyièh. Zéman Châh y envoya de suite son premier valet de chambre, le Persan Hassan Khan, avec l’ordre de lui crever les yeux et de le conduire en litière à Caboul.
    Tarikhi Ahmed, par Abdoul Kerim Mounchy, Laknau, 1266 (1849), page 32.
  29. Le qadi Feiz oullah qui avait été le confident et le ministre de Timour Châh fut à l’avènement de Zéman Châh, disgracié et emprisonné dans le Bâla Hiçâr de Kâboul, où il resta jusqu’en l’année 1212 (1797). Il fut remplacé par Hafiz Chir Mehemmed Khan Bamy Zey, fils de Châh Vély Khan, vézir d’Ahmed Châh.
  30. Ghourek est un gros village situé entre Guirichk et le Zemin-Daver.
  31. Zéman Châh partit de Kâboul à la tête de son armée pour marcher à la rencontre de Mahmoud Châh et établit son camp à Mioun, sur les bords de la rivière Hirmend. Mahmoud Chah passa le Hirmend à Tekris et les deux armées en vinrent aux mains dans la plaine de Khakriz, où est situé Ghourek. Méhemmed Azhim Khan Alicou Zey commandait l’avant-garde de Mahmoud, le Serdar Mihr Aly Khan, grand écuyer, celle de Châh Zéman. Au milieu de l’action la cavalerie de Mahmoud s’empara de l’artillerie de Châh Zéman. Celui-ci désespérant de la victoire avait déjà enlevé de sa tête la couronne royale et l’avait remplacée par un bonnet noir pour ne point être reconnu, lorsque le combat fut rétabli par Tevekkoul Khan et Kechen Khan, officiers kalmouks de la garde du roi, et qui s’étaient convertis à l’islamisme avec des membres de leurs tribus sous le règne de Timour Châh.
    Les troupes de Mahmoud furent mises en déroute et la panique fut si grande que Mehemmed Azhim Khan, au lieu de prendre la route d’Hérât, s’enfuit du côté de Qandahâr. Il fut arrêté à cinq kurouh de Qandahâr, dans le village de Zaker, par un derviche nommé Abdoul Hamid qui l’envoya le sabre nu et le linceul au cou à Zéman Chah, qui lui accorda son pardon. Les autres chefs faits prisonniers rentrèrent chez eux après avoir visité les tombeaux des saints personnages enterrés à Tchecht.
    (V. Tarikhi Ahmed, page 35.)
  32. Mahmoud avait cédé aux suggestions de Etha Mehemmed Khan Aly Zey qui, ayant eu à se plaindre de Zéman Châh, avait abandonné Qandahâr avec sa famille et cinq mille de ses partisans et s’était réfugié à Hérât. Zéman Châh, qui était à Lahore, partit en toute hâte de cette ville le 1er Chaâban 1211 (1797), arriva le 27 du même mois à Pichaver, où il ne resta que quatre jours, et il entra le 17 du mois de Ramazan à Kâboul. (V. Tarikhi Ahmed, page 36.)
  33. L’avant-garde de l’armée afghane, commandée par le prince Qaïsser et Serdar Ahmed Khan, marcha sur Férah et s’y établit. Zéman Châh ne tarda pas à l’y rejoindre avec le reste de l’armée. Le manque de fourrages fit périr presque tous les chevaux et toutes les bêtes de somme ; les troupes furent décimées par les maladies. L’entrevue de la mère de Mahmoud et de Zéman Châh eut lieu à Férah. (V. Tarikhi Ahmed, page 36.)
  34. La résidence royale de Raouzhè Bagh, célèbre par ses jardins ef sa longue avenue de pins, a été détruite par les Persans lors du siège de Hérât.
  35. Chez les musulmans, le jour de vingt-quatre heures commence au coucher du soleil.
  36. Ayaz était le favori du célèbre Mahmoud le Ghaznévide.
  37. Séri Méïdan est une belle et fertile vallée que traverse la route de Qandahâr à Kâboul. Le village de Méïdan est situé sur la rive gauche de la rivière de Kâboul et à quatre fersakhs de la ville de ce nom.
  38. Le nom de ce château est Qaléi Achour.
  39. Riza Qouly Khan dans le Fihris out Tewarikh donne un résumé de la lettre que Mahmoud écrivit à Feth Aly Châh pour solliciter un bon accueil. Le châh envoya à la rencontre de Mahmoud et de Firouz, Ismayi Aga Mekry l’un de ses chambellans. Les princes fugitifs arrivèrent à Téhéran, le 28 ramazan de l’année 1212 de l’hégyre (1797). Tchiragh Aly Khan Nevay fut attaché à leur personne : au bout d’un mois de séjour à Téhéran, ils reçurent l’ordre de se rendre à Kâchân et le gouverneur de la ville Essed oullah Khan fut désigné pour être leur mihmândêr. Mirza Abd our Rezzaq donne les mêmes détails dans son histoire de Feth Aly Châh (Meaciri Sulthaniéh, édit. de Tauriz, 1241 (1825), page 31.
  40. (1214-1799)
  41. Au commencement du siècle le touman valait douze francs de notre monnaie.
  42. Yvaz Beg Inâq était le père de Iltouzer Khan dont il sera question dans le chapitre qui a trait à l’histoire de Khiva.
  43. Les célèbres diamants connus sous le nom de Kouh i Nour (montagne de lumière) et Deryâ i Nour (océan de lumière), avaient été rapportés de Dehly en Perse par Nadir Châh.
    Le Deryâ i Nour fait aujourd’hui partie des joyaux de la couronne de Perse. Le Kouh i Nour tombé aux mains des Anglais lors de la prise de Lahore est maintenant dans le trésor de la Reine.
    Les Persans prétendent que ces deux diamants ornaient le sabre d’Afrassyab et qu’ils avaient été portés dans l’Inde par Timour.
    M. Eastwick a visité le trésor du Châh de Perse et a rendu compte de ses impressions dans son ouvrage qui a pour titre « Journal of a diplomate’s three years residence in Persia, » Londres, 1864, tome II, pp. 115-121.
    Mir Abdoul Kerim se trompe en alléguant que Chah Choudja remit le Deryâ i Nour à Randjit Singh. C’est le Kouh i Nour qui fut enlevé par ce prince au souverain afghan. Cunningham. History of the Sikhs, London, 1849, p. 163.
  44. Châh Choudja avait trois fils : Iskender, jeune homme très-beau et très-savant, qui accompagnait toujours son père, soit qu’il fût en campagne ou qu’il restât dans son palais ; les deux autres, Souléïman et Châpour suivirent leur père dans l’Hindoustan. (Note de l’Auteur.)
  45. Le Djemou comprend aujourd’hui la partie méridionale des domaines du Maharajah de Kachmir, Il est borné au nord par la province de Kachmir dont il est séparé par les monts Pendjal, au nord-est par le Baltistan et le Ladakh, également soumis au Maharajah de Kachmir ; du côté du Baltistan la frontière est marquée par les monts Nan-Kan. À l’est, il a pour limites le tchamba, territoire britannique dépendant de Penjab. Au sud-est, la frontière est définie par le Ravi, affluent du Tchinab qui lui-même se jette dans le Setledje.
    Le Djemou confine au sud au Pendjab dont les plaines se continuent dans la partie méridionale du territoire sous le nom de Dameni Koub. À l’ouest, ce pays est séparé du Pendjab par le Djhelam, affluent du Tchinab.
    D’après sa configuration physique, le territoire de Djemou peut se diviser en deux régions : la plaine et la région des montagnes ; la plaine arrosée par le Tchinab est la partie la plus peuplée ; là se trouvent les principales villes, entre autres Djeftou, la capitale. Administrativement, le Djernou est divisé en sept zila ou districts ; à la tête de chaque district est un sahib-i-zila. Les habitants de race aryenne parlent le tchibhali et le dogri à l’ouest, le pohari à l’est ; quelques vallées, entre les hautes montagnes de l’est, sont habitées par une population se rattachant à la race tibétaine. Les habitants de la partie occidentale du Djemou sont musulmans, ceux du sud et de l’est professent le bramahnisme ; les Tibétains sont bouddhistes.
    M. Frédéric Drew vient de publier une description des plus complètes du Djemou. The Jumoo and Kashmir territories. A geographical account. London, 1875. in-8o, cartes et gravures.
  46. Bembeh ou Bember est une ville de la province de Lahore située à 105 milles au N. de Lahore sur la route qui conduit à Kachmir.
  47. Khoulm ou Tach Kourghân est une ville du Turkestan afghan, à 82 fersakhs N.-N.-0. de Kâboul, à 83 fersakhs de Boukhara et à 13 fersakhs de Balkh. Elle est située dans une plaine au N. de la gorge d’où s’échappe la rivière de Khoulm et elle se compose de quatre ou cinq quartiers réunis l’un à l’autre par des jardins.
    Elle renferme des bazars, des bains et des caravanseraïs, et sa population s’éleve environ à 15,000 âmes.
    Au commencement de ce siècle, Qilidj Aly beg était gouverneur ou ataliq de Khoulm. Par son mariage avec la fille de Khal Mourad beg de Koundouz, il établit son influence sur cette ville et il réussit à faire nommer, par Châh Choudja, son fils gouverneur de Balkh. À sa mort, en 1817, ses deux fils, Mir Baba et Mir Valy sa disputèrent le pouvoir. Après une longue guerre, Mir Baba dut se contenter de la possession d’Aïbak et Mir Valy resta maître de Khoulm.
    Ferrier, Voyages en Perse, dans l’Afghanistan et le Turkestan. Paris, tome I, page 396.
    Moorcroft, Travels, etc. London, 1841, t. II, p. 447 et suiv.
    Burnes. Voyages de l’embouchure de l’Indus à Lahore, Caboul, Balkh, etc. Paris, 1835, t. II, p, 105 et suiv.
    Mohan Lal, Travels in the Panjab, Afghanistan and Turkistan. London, 1846. Pag. 97 et suivantes.
    Les ruines de l’ancienne ville occupent une étendue plus vaste que celle de la Khoulm moderne. Elles sont situées à une fersakh au nord de la nouvelle ville et sont occupées par des familles arabes.
  48. Le prétendu tombeau d’Aly se trouve à Mezar, à une distance de 2 fersakhs de Balkh.
    Voyages en Perse, dans l’Afghanistan, le Beloutchistan et le Turkestan, par J.-P. Ferrier. Paris, tome 1er, page 395.
    Wood, A journey to the source of the river Oxus. Londres, 1872, p. 135.
    W. Moorcroft, Travels, etc. Londres, 1841, tome II, page 490.
    Mirkhond a consacré un chapitre à la découverte du tombeau d’Aly dans les environs de Balkh.
    Selon cet auteur, un saint personnage nommé Aziz Chems oud Din Mohammed, descendant de Sulian Bayézid Besthamy, aurait quitté Gazna et se serait rendu à Balkh dans le courant de l’année 885 (1480), pour mettre sous les yeux de Mirza Baïqara un ouvrage historique, composé sous le règne du prince Seldjoukide Sultan Sendjar et dans lequel on alléguait que le tombeau d’Aly se trouvait à trois fersakhs de Balkh, dans le village de Khadjèh Kheiran.
    Des fouilles faites en présence du prince, des cadis, des chérifs et des notables de Balkh, amenèrent la découverte d’une table en pierre blanche sur laquelle se trouvait une inscription arabe portant ces mots :
    CECI EST LE TOMBEAU DU LION DE DIEU VICTORIEUX,

    ALY FILS D’ABOU THALIB

    COUSIN DU PROPHÈTE DE DIEU

    LE BIEN AIMÉ DE DIEU.

    Le Sultan Houssein Baïqara, instruit de cette découverte, se rendit lui-même de Hérat à Balkh. Il fit construire près du tombeau un bazar, des boutiques, un bain dont les revenus furent affectés à l’entretien du monument, ainsi que ceux d’une des rivières de Balkh appelée depuis cette époque Neheri Chahy.
    Le premier cheikh attaché à la mosquée fut le cheikh zadèh Besthamy, et le premier nakib, le Seyid Tadj oud Din Endkhouy.
    Chaque année le Sultan Housseïn envoyait au tombeau d’Aly une somme de près de cent toumans keupeguis.
    Raouzet ous Sefa, édit. de Bombay, 1266 (1849), t. VII, p. 27 et 28
    Khondemir, Habib ous Sier, édit. de Téhéran, 1271 (1853).

  49. Les noms de Qarchy et Nakhcheb, l’un arabe, l’autre turc, désignent la même ville.
  50. Aqtchèh est située à onze fersakhs de Balkh et à cinq fersakhs de Chibreghan. La ville est entourée d’une muraille et d’un fossé et elle est défendue, en outre, par une citadelle où réside le gouverneur. Sa population est Uzbek et s’élève à 7 ou 8,000 âmes.
    Les environs de la ville sont fertiles et bien cultivés.
  51. L’auteur du Douhet al Yuzera, histoire des gouverneurs généraux de Bagdad sous la domination ottomane, imprimée à Bagdad en 1246 (1830), ne fait pas mention de l’arrivée de Zéman Chah dans cette ville.
    Daoud Pacha avait reçu en 1232 (1816) l’investiture du gouvernement des provinces de Bagdad, Basrah et Chehirzour.
  52. Bengalah ou Bangla désigne ordinairement dans le nord de l’Inde et dans les pays limitrophes une maison de plaisance. Ce mot est orthographié Bungalow dans les relations anglaises. Voy. H. H. Wilson, A glossary of judicial and revenue terms and useful words occurring in official documents, etc. London, 1845, art. Bangla, page 59.
  53. Vély Mehemmed Mirza, fils de Feth Aly Châh et gouverneur du Khorassan résidait à Mechhed. L’armée qui marcha contre Hérât était commandée par Mehemnied Khan Qadjar et non par le prince Vély Mehemmed Mirza.
  54. La narration de l’auteur est entièrement conforme au récit de Riza Qouly Khan, dans le Fihris out Tewarikh, et à celui de Mirza Taqy Sipehr dans son histoire de la dynastie des Qadjars qui fait partie de son grand ouvrage intitulé : Nassiklh out Tewarikh.
    L’armée d’Hérat se concentra à Kalehi Chekiban et les troupes persanes qui s’étaient établies à Châh Dèh, offrirent la bataille le 28 du mois de rebi second 1222 (1807). Soufy ul Islam assistait au combat dans une litière dorée placée sur un éléphant, et il était entouré par 366 de ses disciples les plus dévoués.
    Cent cinquante Khans Afghans, Ouïmâks, Djemchidis, Taïmenis, et six mille soldats restèrent sur le champ de bataille.
    Les Persans firent trois mille prisonniers : le camp de Firouz oud Din avec son trésor et son artillerie tomba entre leurs mains.
    Firouz oud Din réfugié à Hérat avec son vézir Aga Khan s’empressa d’envoyer à Méhemmed Khan Qadjaf qui commandait l’armée persane deux années du revenu de Hérat et de livrer Youssouf Aly Khan Gouray, l’instigateur de la résistance.
  55. Djan Niçar signifie celui qui répand son âme, qui fait le sacrifice de sa vie.