Histoire de l’Affaire Dreyfus/T6/4

Eugène Fasquelle, 1908
(Vol. 6 : La revision, pp. 376–448).

CHAPITRE IV

LA REVISION

I. André et l’affaire Dautriche, 376. — Mise en liberté provisoire des officiers inculpés, 378. — Cassel et Targe, 379. — Ordonnance de non-lieu en raison de l’amnistie, 381. — Le général Dessirier refuse de le signer et renvoie les officiers devant le conseil de guerre, 381. — Les dix audiences du procès Dautriche, 382. — Projet de réquisitoire du colonel Rabier, 384. — André ordonne l’abandon de l’accusation et rejette la responsabilité du procès sur les généraux Delanne et de Lacroix ; acquittement des officiers, 385. — Lettres de Cuignet à André ; André ordonne de faire visiter et contre-visiter Cuignet au point de vue mental, 388. — Débats devant la Chambre, 389. II. La question de l’avancement des officiers au choix, 391. — Waldeck-Rousseau et André, 392. — Les commissions de classement, 393. — Décret d’André ; commentaire qu’il en présente à la Chambre, 394. — « Corinthe et Carthage », 395. — Les fiches, 395. — Le capitaine Mollin et le Grand-Orient, 396. — Lettres de Mollin à Vadecard, 398. — Le général Percin, Waldeck-Rousseau et Combes, 399. — Bidegain vend à Syveton et à Guyot de Villeneuve les lettres de Mollin et un lot de fiches, 400. — Discours de Guyot de Villeneuve sur la délation, 402. — Répliques de Combes et d’André, 403, 405. — Le ministère maintenu par quatre voix de majorité, 407. — André réclame la démission de Mollin, 408. — Publication des fiches par les journaux, 409. — Lettre du général Peigné à Vadecard, 410. — Mon article contre les « fiches » ; je donne ma démission de membre du Comité central de la Ligue des Droits, 412. — Séance du 4 novembre, 413. — Les « dissidents », 417. — André souffleté par Syveton, 420. — Démission d’André, 421. — Suicide de Syveton, 422. — III. Résumé politique des trois années pendant lesquelles la Cour de cassation poursuit la revision du jugement de Rennes, 422. — Mort de Waldeck-Rousseau, 425. — Conséquences politiques de l’Affaire ; lutte contre les congrégations ; séparation des Églises et de l’État, 426. — Conséquences sociales ; lois ouvrières ; universités populaires, 428. — Socialisme révolutionnaire ; la grève générale ; l’hervéisme, 429. — Les mœurs politiques, 433. — IV. Élections de 1906 ; nouvelles victoires républicaines, 436. — Audience solennelle de la Cour de cassation ; Mathieu Dreyfus et Picquart, 437. — Mémoire de Mornard et réquisitoire écrit de Baudouin, 438. — Rapport de Moras, 440. — Les faits nouveaux, 443. — Réquisitoire de Baudouin, 444. — La dépêche du colonel Guérin, 447. — V. Réclamations provoquées par le réquisitoire de Baudouin, 448. — Lettre d’Esterhazy à Drumont, 450. — Silence de Boisdeffre, 452. — La Libre Parole somme Mercier de parler, 454. — Lettre de Mercier à Ballot-Beaupré, 455. — VI. Plaidoirie de Mornard, 457. — L’anti-sémitisme et l’Affaire, 458. — Cassation sans renvoi, 464. — Dreyfus refuse de former une demande d’indemnité, 465. — VII. Délibéré des Chambres réunies ; la majorité se prononce pour l’annulation sans renvoi, 468. — Audience du 12 juin 1906 ; Ballot-Beaupré donne lecture de l’arrêt, 470. — VIII. Accueil fait à l’arrêt qui innocente Dreyfus et clôt l’Affaire, 477. — Le Sénat décide que les bustes de Scheurer-Kestner et de Trarieux seront placés dans la galerie qui précède la salle des séances, 478. — Le gouvernement décide de décorer Dreyfus et de présenter un projet lui conférant le grade de chef d’escadron pour prendre rang du jour de la promulgation de la loi, 479. — Réparation militaire insuffisante ; conséquences qu’elle entraînera, 480. — Anciens projets d’André pour la réintégration de Picquart, 481. — Projet d’Étienne conférant à Picquart le grade de général de brigade, avec une ancienneté supérieure d’un jour, à celle du plus ancien des officiers généraux qui occupait le même rang que lui, le jour de sa mise en réforme, 483. — Projet d’Étienne portant ma réintégration dans l’armée territoriale, 484. — Le gouvernement en ajourne le dépôt, 486. — IX. Séance du 13 juillet 1906 à la Chambre, 487. — Rapports de Messimy sur les projets relatifs à Dreyfus et à Picquart, 488. — Discours de Messimy et de Cochin, 489. — Interpellation et discours de Pressensé sur les sanctions disciplinaires, 493. — Réponses de Sarrien et d’Étienne, 495. — Proposition de loi sur le transfert des cendres de Zola au Panthéon, 495. — X. Séance du Sénat ; rapports de Bonnefoy-Sibour, 496. — Discours de Mercier, de Delpech et de Barthou, 497. — XI. Cérémonie, dans l’une des petites cours de l’École militaire, pour conférer au commandant Dreyfus la croix de la Légion d’honneur, 500.



I

L’une des tristesses de l’histoire, c’est d’avoir, si souvent, à montrer des hommes gâtant de leurs propres mains l’œuvre qui leur faisait honneur. Ce fut le cas d’André.

Il avait voulu avec courage la Revision. Son enquête terminée, la Cour de cassation saisie, il n’avait plus qu’à laisser faire la justice, à attendre la part assez belle qu’il aurait dans la victoire maintenant certaine. Une espèce de démangeaison le prit d’opérer seul, d’écrire sans collaboration, d’avoir son affaire à lui, de faire voir quel justicier, quel procédurier il était ; sur quoi il montra, par un exemple de plus, que, militaires ou civils, l’on peut professer des opinions différentes et avoir la même mentalité. Ceux qui ont le plus réclamé contre l’injustice, dès qu’ils ont la force, ne la mettent pas seulement au service de la justice. André, contre des officiers de l’ancien État-Major, emploie des procédés de l’ancien État-Major.

Cinq ans de ministère, une popularité bruyante dans les milieux radicaux et socialistes, la violence des partis de réaction, leurs injures et leurs calomnies savourées comme des éloges, avaient accru sa confiance en lui aux limites de l’infaillibilité. Il ne consultait personne, ni le Garde des Sceaux, dans les questions de Droit, ni Combes qui, absorbé dans sa lutte contre l’Église, ne voyait rien en dehors. Par contre, des subordonnés le menaient, à son insu, le poussaient, au besoin agissaient de leur propre chef, trouvant « le patron » trop mou[1].

L’arrestation des officiers de l’ancien bureau des Renseignements surprit, puis inquiéta l’opinion. Ni Rollin, convaincu d’avoir menti à Rennes[2], ni Mareschal et François, instigateurs de la machination qui avait abouti à la démission de Galliffet, n’intéressaient ; Dautriche, qui donna son nom à l’affaire, était jusqu’alors inconnu et, manifestement, un comparse ; surtout, cette histoire de comptabilité altérée restait obscure et impropre à passionner les esprits. Mais, d’autre part, c’était l’évidence que l’amnistie couvrait les officiers poursuivis ; ainsi c’était une nouvelle comédie de justice qui se jouait, et sans profit pour personne, hors les amateurs de scandales militaires, les amis d’Hervé dont l’audace croissait et la contagion s’étendait.

Cette parodie de justice s’accompagna, du fait d’André, d’incidents fâcheux ; en juin, mise au secret de Dautriche pendant vingt jours et refus d’autoriser sa femme à lui rendre visite[3] ; en juillet, quand le gouverneur de Paris accorde la liberté provisoire des accusés[4], décision du conseil des Ministres, du même jour, pour l’inviter à la refuser ; puis, devant le fait accompli, colère d’André qui reproche violemment à Dessirier son ordonnance et requiert Vallé de la déférer à la Cour de cassation, « dans l’intérêt de la loi ». Vallé a beau objecter « qu’un pourvoi à l’occasion d’une mesure de bienveillance semblerait empreint d’inhumanité » ; André s’obstine et Vallé finit par céder, « parce que l’opinion publique a été saisie de la question par la presse[5] ».

Tout cela était dur, maladroit, en contradiction trop rapide, trop brutale, avec tant de belles paroles, de déclarations d’autrefois. Seul des principaux promoteurs de la Revision, Jaurès appuyait André ; les autres se turent, le blâmant intérieurement.

L’instruction, malgré les efforts du rapporteur, n’avança point sur l’enquête d’Atthalin. Dessirier, dès le début, avait interdit à Cassel « toute relation » soit avec la Cour de cassation, soit avec Targe[6]. Cassel continua à voir Targe, « pour orienter ses recherches », ne pouvait, en vérité, faire autrement[7], y fut autorisé par André[8], mais n’en tira rien. Le reçu que Rollin affirmait avoir eu d’Austerlitz ne se trouvait toujours pas, à moins que ce ne fût celui de 10.000 francs, qui n’était point daté[9] ; il en serait résulté que les officiers auraient gardé 15.000 francs pour leur « caisse noire », — quelques milliers de francs pour Przyborowski et Cernuski, d’autres sommes pour payer le séjour de la Bastian à Marly et le silence de Brücker[10] ; — mais Mareschal soutenait que le reçu s’appliquait à l’opération de 1898, du temps d’Henry ; Austerlitz, en 1899, avait réclamé de plus grosses sommes ; et il en donnait pour preuve les lettres de l’officier allemand à cette époque. Targe ignorait cette correspondance, « ne l’avait point vue », quand il déposa devant la Cour et, s’engageant, engageait André[11]. L’Allemand, faisant valoir sa marchandise, avait réclamé une première fois 30.000, une seconde fois 60.000 francs, et encore à titre d’acompte[12], ce qui ne justifiait pas le paiement d’une somme de 25.000 francs pour des documents qui valaient, selon Mareschal lui-même, dix ou vingt fois moins, mais ce qui rendait cependant plausible la deuxième version des officiers. D’autre part, il devenait plus inexplicable encore qu’ils eussent d’abord affirmé avoir donné seulement 5.000 francs et que cette exigence de 60.000 francs fût sortie alors, comme tout le reste, de leur mémoire. De quelque côté que Cassel se tournât, il se heurtait à des contradictions, des invraisemblances, des impossibilités apparentes ou réelles. Il ne savait comment sortir de ce cul-de-sac.

Il y avait pourtant un moyen, très simple, celui qui est toujours le plus simple, bien qu’il paraisse toujours le plus difficile, parce que l’homme hait naturellement la vérité : convenir de la vérité, à savoir « qu’il n’y avait point présomption suffisante » que des sommes eussent été détournées, et conclure en conséquence au non-lieu. Accorder à temps ce qu’on sera finalement obligé de concéder est une des formes de la sagesse et l’une des règles les plus sûres de la politique. Mais ni André, qui avait fait sienne l’affaire Dautriche, ni Targe, qui l’embarqua dans l’aventure, ni Cassel et le commissaire du Gouvernement, qui se piquaient au jeu, ne s’y résignèrent. On s’arrêtera donc à la pire solution ; le non-lieu en raison de l’amnistie, parce que les faits imputés aux officiers, longuement exposés dans un véritable réquisitoire, « se rattachaient à l’affaire Dreyfus » ; — c’est-à-dire les officiers à la fois indemnes et déshonorés[13].

Le gouverneur de Paris crut avec raison que la justice militaire s’était chargée déjà d’assez de fautes et qu’il était inutile d’y ajouter. La justice civile, quand elle se trouve impuissante à fournir la preuve d’un crime ou d’un délit, se venge parfois en salissant par des considérants le bénéficiaire du non-lieu, accusé qui est présumé innocent. Cette procédure répugna à Dessirier ; les menaces, sinon d’André, du moins des journaux socialistes, ne lui imposèrent pas. Il refusa de ratifier les conclusions de Cassel et prit un ordre de jugement qui envoyait les quatre officiers au conseil de guerre. Les officiers, qui lui avaient écrit le même jour pour protester contre les motifs du non-lieu et demander à être traduits devant des juges, furent à nouveau écroués au Cherche-Midi[14]. L’inculpation était, contre Dautriche, « d’avoir commis un faux en matière d’administration militaire » et, contre les trois autres, « d’avoir soustrait frauduleusement une somme d’environ 20.000 francs appartenant à l’État ».

Un tel rappel au Droit, à ce droit supérieur qui n’est pas toujours le droit écrit, frappa durement André. Et nulle riposte possible. Il aurait cassé Dessirier que l’ordre de mise en jugement n’en subsistait pas moins, désormais irrévocable.

Entamé bien qu’il fût manifestement insoutenable, abandonné parce que la condamnation était, de par la loi, impossible, repris parce que l’acquittement était certain, le procès n’offrait plus d’intérêt. Il occupa cependant dix audiences[15] où les accusés eurent beau jeu à opposer leur parole de soldats aux assertions des trois espions absents, Wessel en prison, Przyborowski en fuite, Mathilde « qui demandait de l’argent pour faire le voyage ». Le commissaire du gouvernement, Rabier, « étant donnée la moralité de cette personne », renonça à son témoignage[16], sur quoi il ne restait plus à Dautriche qu’à expliquer ses retouches, additions et grattages, ce qu’il fit de deux ou trois façons différentes, mais également obscures[17], et aux officiers qu’à excuser l’absence, puis la précision de leurs souvenirs. François, d’intelligence vive et prompte, toujours d’attaque, parole abondante et claire, le plus soldat des accusés et plus avocat que les avocats, trouva ceci, qu’il avait indiqué déjà dans sa lettre à Dautriche[18], quand ils convinrent de leur commune version : « L’on ne peut pas admettre que je n’aurais eu aucun souvenir d’un acte criminel… Si j’avais réellement payé le témoignage de Cernuski, j’aurais répondu avec aplomb : « Parfaitement, nous avons payé 25.000 ou 30.000 francs, en août 1899, les documents d’Austerlitz. » L’argument porta beaucoup, parut un coup droit ; pourtant le général Bertin, président du conseil de guerre, observa que la réponse « serait topique », si l’accusation était que François, Mareschal et Rollin avaient détourné toute la somme pour payer Cernuski, mais « qu’elle perdait de sa valeur si, au lieu de s’appliquer à une dépense totale, la somme s’appliquait à une succession de dépenses[19] » Seulement, il n’y avait plus d’accusation : Rabier ajournait à son réquisitoire la production de ses preuves ; — Targe défendit surtout son rôle dans l’enquête qui avait amené les poursuites, raconta, par une habile diversion, comment Henry avait organisé non seulement « une masse noire », mais une agence de renseignements sur les hommes politiques, « un service de fiches » et de dossiers[20] ; — si Cavard restait persuadé que « l’arrestation de Wessel à Nice avait été une machination du service des Renseignements contre le gouvernement[21], Tomps n’avait aucune preuve qui permît d’établir que le faux témoignage de Cernuski eût été payé[22] ; — lecture ayant été donnée des dépositions des deux généraux à l’instruction, ils les confirmèrent par leurs réponses aux questions qui leur furent posées ; pourtant, Delanne, à la réflexion, tenait comme possible que l’achat des documents d’Austerlitz eût été directement réglé entre le général Brault, chef d’État-Major, et le colonel Rollin, bien qu’il n’eût aucun souvenir que François le lui eût dit à l’époque[23] ; et de Lacroix, tout en maintenant « qu’il n’avait pas eu connaissance » de l’affaire de Zurich, convint que les officiers lui avaient souvent parlé d’Austerlitz, que « cet informateur était très exigeant » et « qu’on tenait beaucoup à le garder[24] ». Les témoins à décharge s’exprimèrent en termes très chaleureux, Krantz, Paléologue, le général Metzinger, Galliffet, qui demanda la permission de s’approcher du banc des accusés et « de tendre la main à ces messieurs[25] ». — À chaque audience, le coup de théâtre de la quadruple arrestation, le bruit qu’en avaient mené les metteurs en scène, tout ce gros scandale parut plus fâcheux, André moins excusable, soit d’avoir tenté cette méchante entreprise contre des innocents, soit d’avoir compromis par sa maladresse ce qu’on tenait de vérité, et provoqué ainsi, par une manière de choc en retour, un courant de sympathie envers des coupables. — Enfin, comme il y avait toujours avec lui une faute de plus à commettre, il arrêta le réquisitoire du colonel Rabier qui, dans cette bataille perdue d’avance, aurait couvert avec honneur la retraite.

Rabier avait brossé à larges traits le tableau des machinations du service des Renseignements sous le ministère de Galliffet, les portraits des successeurs et lieutenants d’Henry, encore empreints de sa tradition et lui ayant gardé un culte[26], et, finalement, une vigoureuse esquisse de la seule hypothèse (la complicité dans le faux témoignage de Cernuski à Rennes), qui permît d’expliquer les falsifications d’écriture de Dautriche et les opérations de Mareschal et de François. « Jusqu’à quel point ces officiers étaient-ils coupables ? » Rabier accusait la fièvre contagieuse de l’Affaire, l’air empesté du fameux bureau, d’où la folie avait fait sortir déjà tant d’étranges aberrations, et le métier même imposé à ces soldats, avec tout ce qu’il comportait professionnellement de basses compromissions et d’accommodements périlleux avec l’honneur. « Ainsi, écrivait-il, si jamais la loi d’oubli et de pardon votée par les Chambres a lieu d’être appliquée », c’est bien dans ce douloureux procès. Il a cherché à montrer que les faits allégués sont « constants », mais ces faits tombent sous le coup de la loi d’amnistie ; il en requiert en conséquence le bénéfice pour les accusés.

C’était encore la défaite ; elle était inévitable ; mais ce n’était pas la fuite et ni les officiers ni leurs avocats[27], pour certains qu’ils fussent de l’acquittement, n’abordaient sans émotion cette dernière rencontre[28].

André commanda la fuite. Impulsif et incohérent d’un bout à l’autre de cette affaire qu’il avait témérairement engagée et brutalement conduite, troublé, ce jour-là, jusqu’au désarroi par le scandale de « l’affaire des fiches » qui venait d’éclater[29], il envoya à Rabier l’ordre le plus extravagant[30]. C’était d’abandonner l’accusation, non point parce que les débats en auraient révélé l’insuffisance ou en raison de l’amnistie couvrant des faits établis, mais parce que « l’information dirigée contre Rollin, François et Mareschal avait été décidée après l’audition des généraux de Lacroix — ce qui était matériellement inexact[31] — et Delanne » ; et que « ces officiers généraux avaient, dans leurs dépositions à l’audience, modifié sensiblement, dans un sens favorable aux accusés, celles qu’ils avaient faites à l’instruction ». Il avait écrit lui-même les dix lignes de cette déclaration que Rabier se borna à lire, au début de la dernière audience, comme il en avait l’ordre[32].

Ainsi, non seulement il refusait le combat, mais il rejetait la responsabilité à la fois du procès qu’il avait voulu et de l’acquittement dont il n’avait pu douter à aucun moment, sur deux de ses subordonnés qui, à l’audience publique comme à l’instruction, avaient déposé selon leur conscience. Ce qu’ils avaient ajouté l’un et l’autre, lors de l’audience publique, venait certainement à la décharge des accusés[33], mais il avait été donné lecture de leurs déclarations antérieures et ils les avaient confirmées[34].

Juges et témoins, accusés et avocats, et tout le public s’attendaient à l’abandon de l’accusation, mais pas à cela. La surprise, indignation chez les uns, joie chez les autres, fut profonde. Les avocats, d’abord, renoncent simplement à la parole, puis, se ravisant, demandent une suspension d’audience. Bertin, qui avait présidé ces longs et confus débats avec une haute et forte impartialité, ne cacha point son étonnement[35]. On suspend l’audience. Les avocats rédigent une déclaration, dont l’un d’eux (Auffray) donne lecture à la reprise ; elle constate la ruine de l’accusation, l’effondrement du procès qui n’a eu d’autre objet que de chercher un fait nouveau « pour une cause deux fois perdue déjà ». Les officiers prononcent quelques paroles vibrantes. Leur conscience a été toujours tranquille, des « angoisses terribles » leur ont été imposées. « Jamais, dit Dautriche, j’en ai tant souffert. » « Mes tortures, dit Rollin, je les offre à la France et à la République. »

Le verdict n’était plus qu’une formalité. À l’unanimité, sur les neuf questions posées aux juges, les accusés sont reconnus non-coupables. Acquittement général[36]. Les officiers rentrent dans leurs régiments, y sont reçus en vainqueurs[37].

Dure défaite pour André, non moins dure, disons-le, et non moins méritée pour ceux des partisans de Dreyfus qui avaient suivi André dans l’aventure, ne s’étaient point inquiétés de l’arbitraire grimé en justice. Mais la politique avait tout envahi et il en suffit d’une goutte dans la conscience, comme d’un virus dans l’organisme, pour l’empoisonner.

Au cours de l’instruction du procès des quatre officiers, un autre acte d’André, révélé par la presse de droite, fut traité d’abord de fable par les journaux de gauche[38], puis, quand André en eut fait l’aveu, amnistié par le « bloc ».

Cuignet, son temps de mise en non-activité achevé, était rentré au service, mais à peine calmé. Sa comparution devant la Chambre criminelle ralluma ses colères, toute la manie soupçonneuse de ce cerveau fumeux, hypnotisé par l’Affaire. Il écrivit à André qu’il avait été insulté par le Procureur général et qu’il allait porter une plainte en faux contre le lieutenant-colonel Bourdeaux, sous-chef du cabinet du ministre, pour avoir relaté inexactement, dans un procès-verbal communiqué à la Cour, un entretien qu’ils avaient eu[39]. Ces lettres, sans être injurieuses, étaient de ce ton âpre et hargneux qu’affectait Cuignet. André, qui n’avait qu’à lui infliger quelques jours d’arrêt, imagina « de le faire visiter et contre-visiter au point de vue mental » par le service de santé[40].

Combes connut l’incident par les journaux, ne cacha point sa surprise[41] dont André s’étonna. Avant, dit-il, de prononcer contre Cuignet une punition « méritée », il a voulu savoir « si cet officier supérieur avait conscience entièrement de ses actes et devait en porter la pleine responsabilité[42] ». L’eût-il fait interner si les médecins militaires, complaisants, avaient pris cet échauffé pour un fou ?

Les nationalistes (Lasies, Gauthier de Clagny), renseignés par Cuignet, portèrent l’incident devant la Chambre[43]. André, nullement troublé, expose son idée, vante sa bienveillance, raconte qu’ayant causé un jour avec Cuignet, « il n’a pas été satisfait de sa manière de raisonner ». Les radicaux et les socialistes l’appuyèrent[44] ; pourtant plusieurs parurent gênés, se refusaient à remplacer la lettre de cachet par la maison de santé.

Au moins, Vazeille protesta, dit fortement que la vérité et la justice ne se défendent point « par des moyens indignes et par la calomnie ».

On put croire qu’André contremanderait le second examen médical, le premier ayant été favorable à Cuignet. Au contraire, il s’obstina, confirma ses ordres ; Cuignet dut passer la contre-visite à Limoges, le lendemain même de la discussion à la Chambre[45].

Cela parut un défi. Montebello, l’un des républicains du Centre qui avaient voté contre la loi de dessaisissement, demande à interpeller[46]. Comme André était absent, Bos, député de Paris, propose d’attendre pour fixer la date du débat que le ministre soit à son banc. Combes réclame le renvoi de l’interpellation à la suite de l’ordre du jour. Il craint de nouvelles maladresses d’André, si la discussion s’engage, et, tout mécontent qu’il soit de lui, ne se résigne pas encore à laisser « effeuiller l’artichaut ».

Le terrain était si glissant, l’affaire si mauvaise, que la Chambre, au scrutin, se partagea exactement par moitié (273 voix pour, 273 contre) sur la motion de Bos. Celle de Combes, l’ajournement à la session d’automne, fut adoptée à la majorité de 13 voix.

Tout autre qu’André aurait compris, mais il était dans l’engrenage, et, bien plus, ne voulait pas s’en dégager. S’il y avait une mesure d’élémentaire équité, c’était de communiquer à Cuignet les rapports médicaux qui lui reconnaissaient la pleine jouissance de ses facultés ; André s’y refusa. Cuignet adresse une pétition à la Chambre ; la Commission conclut à la communication des rapports ; nouveau refus d’André. Cuignet insiste et reçoit en réponse des arrêts de rigueur[47].

II

Moins d’un mois après ces incidents, huit jours après la fin du procès Dautriche, André donna sa démission, avançant la chute de Combes (15 novembre 1904).

Nous l’avons vu entrer au ministère de la Guerre à une heure troublée, où l’armée fermentait encore. L’opinion républicaine continuait à s’inquiéter de l’hostilité, déclarée ou latente, des officiers et cherchait aux problèmes militaires des solutions démocratiques. La réduction de la durée du service à deux ans, la suppression des conseils de guerre, l’amélioration du sort matériel du soldat, plus d’humanité dans les règlements, plus d’intelligence, chez l’officier, de son rôle social dans le service militaire universel[48], la réforme des commissions de classement, seules distributrices des grades, autant de questions pressantes, autant d’efforts.

Le problème de l’avancement au choix, difficile en tout temps et sous tous les régimes, était devenu aigu sous la République. La politique s’y était mêlée sous les régimes précédents, mais pour favoriser leurs amis les plus zélés. Au contraire, sous la République, c’était ses adversaires qu’elle privilégiait. La grande majorité de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, qui ne s’était point ralliée, exclue des fonctions publiques ou s’en excluant elle-même, avait dirigé ses fils vers l’armée ; ainsi s’était formé un corps d’officiers qui tenait le dévouement aux institutions du pays pour une tare. Comme ce corps d’officiers était maître de l’avancement par ses commissions de classement, les républicains avaient sujet de s’alarmer d’un commandement qui leur était plus contraire de jour en jour et se perpétuerait mécaniquement en vertu de la loi. Il y avait nécessité à extirper de l’armée cette hérésie, devenue souvent une vérité de fait : que la haine ou le dédain de la République était la première condition requise pour avancer.

Avant d’appeler André à la succession de Galliffet, Waldeck-Rousseau l’avait longuement entretenu de cette question du choix des officiers, plus grave tous les ans et que l’Affaire avait violemment éclairée. André apercevait deux moyens de mettre un terme à l’ostracisme dont étaient frappés les officiers suspects d’attachement à la République : l’un, qu’il qualifia lui-même de « révolutionnaire » : suspendre pour un temps, comme on avait fait de l’inamovibilité des juges, la loi de 1834 sur l’état des officiers et la propriété des grades ; l’autre « pacifique » : réduire le rôle des commissions de classement à dresser des listes de présentation, dépassant du double ou du triple les nominations à faire ; le ministre y choisira dans l’ordre qui lui conviendra[49]. Waldeck-Rousseau écarta la première de ces mesures, sans s’étonner assez qu’André la lui eût proposée ; la seconde lui parut acceptable, parce qu’André lui fit valoir le précédent de Galliffet qui avait déjà réservé au ministre seul la nomination des officiers généraux[50]. Il lui recommanda toutefois de procéder avec beaucoup de prudence[51] ; s’il était juste de faire enfin leur part aux officiers républicains, il ne fallait pas retourner l’injustice contre les autres ; il ne fallait demander de profession de foi à aucun, parce que « l’armée ne doit jamais juger la politique[52] » ; il fallait seulement exiger de tous qu’ils fussent loyaux et fidèles, parce que la fidélité et la loyauté envers le gouvernement légal du pays est l’une des vertus professionnelles du soldat qui commande à d’autres soldats[53].

Mieux instruit des choses de l’armée, Waldeck-Rousseau aurait repoussé également la seconde des solutions que lui offrait André.

Elle était moins brutale que la suspension de la propriété du grade ; elle était plus malicieuse. C’était tout autre chose de promouvoir sur de simples listes de présentation une cinquantaine de généraux, comme Galliffet l’avait décidé, ou des milliers d’officiers. Le ministre de la Guerre peut étudier lui-même les dossiers des uns qu’il doit connaître personnellement ; il ne peut examiner à lui seul les dossiers des autres ; quelle que soit sa capacité de travail, il abandonnera aux officiers de son cabinet « la formidable tâche de contrôler » les présentations et d’y faire un choix[54]. Les commissions de classement peuplaient les grades hauts et moyens d’officiers bien apparentés, qui se targuaient d’opinions hostiles au régime et étaient protégés par les meneurs des partis de réaction et par les dignitaires des congrégations[55] ; le cabinet du ministre nommera les officiers qui seront, ou se diront pour le besoin, républicains et produiront les plus pressants ou les plus habiles des parrains parlementaires. Ainsi le décret qui retire la principale de leurs fonctions aux commissions de classement[56] et met dans la main du seul ministre l’avancement de 20 à 30 mille officiers, n’est qu’une autre machine à moudre de l’arbitraire ; la protection restera le meilleur titre ; le mérite continuera à moins peser que les recommandations ; l’intrigue se poursuivra autour du « choix du Roi » avec la même âpreté qu’autour des dispensateurs d’hier.

André, interpellé sur son décret, l’explique ainsi : « Le ministre responsable substitué à la Commission irresponsable, cela veut dire que l’avancement des officiers est actuellement dans les mains du Parlement[57]. » Devant le scandale de la formule, il atténue : ce ne sont ni les députés ni les sénateurs qui nommeront les officiers, ils contrôleront seulement les choix, au besoin en demanderont compte au ministre. Finalement, André promet d’établir un projet, qu’il déposera[58], mais qu’il laissera dormir, sur l’avancement à l’ancienneté par sélection en temps de paix, l’ancienneté étant la règle, comme en Allemagne, et la sélection subordonnée à des épreuves fixes[59]. Cependant le mot a été dit, et parlementaires et officiers l’ont recueilli.

Depuis plusieurs années, André tenait deux registres qu’il avait intitulés « Corinthe » et « Carthage » ; il inscrivait sur l’un les noms des officiers qui lui étaient connus ou signalés par des amis sûrs comme républicains, sur l’autre les noms des officiers qu’il savait être hostiles ou qui lui étaient indiqués comme tels[60]. « Provoquer et recueillir » de toutes mains des renseignements pour allonger ces deux listes ; à défaut des chefs militaires qui, pour la plupart, « s’obstinent » à ne pas rendre compte de l’attitude résolument hostile de certains officiers ou des actes de grossière intolérance qui se produisent dans certaines garnisons, s’adresser à la Sûreté générale et aux préfets ; inviter les « parlementaires » à fournir des indications et des noms ; en demander « aux associations et aux groupements républicains », notamment à la franc-maçonnerie ; écouter les officiers qui viennent attester, soit « leurs propres sentiments », soit les sentiments de leurs subordonnés, c’était, maintenant qu’il était ministre, le seul moyen « de découvrir ceux qu’il cherchait et de reconstituer ainsi l’esprit républicain dans l’armée[61] ». Les noms ainsi ramassés sont transcrits sur des « fiches », Les préférences d’André, « à égalité de titre », porteront sur les officiers républicains ; ainsi seront-ils récompensés de leur loyauté, et leur sera-t-il tenu compte, « dans la mesure du possible », « des retards de carrière » que leur avaient valu leurs opinions ; ce sera l’œuvre de réparation républicaine. Pourtant, André ne s’y arrêtera pas toujours et tel officier, « signalé comme nationaliste ou comme clérical[62] », ou « comme allant régulièrement à l’église », « faisant élever ses enfants au petit séminaire », « jésuite et plus propre à faire un moine qu’un colonel », « anti-dreyfusard », « grand ami du curé », « fréquentant l’évêché et les vicaires généraux[63] », sera promu par lui au grade supérieur.

Voilà l’organisation, telle qu’il l’expose lui-même, et, nécessairement, dès que l’appareil commence à fonctionner, arrivent à la fois les recommandations et les dénonciations des civils, les protestations empressées et, aussi, les délations des militaires[64]. Hier, c’étaient les officiers juifs, ou qui portaient seulement un nom à consonnance juive, ou ceux qui avaient épousé des femmes divorcées, ou qui se disaient simplement républicains, dont l’avancement était arrêté ou que des camarades « mettaient en quarantaine[65] ». La tare, aujourd’hui, ou le danger, c’est de porter un nom à particule, ou d’aller à la messe, ou d’avoir une femme qui se confesse et des enfants chez les religieux.

L’officier d’ordonnance, le capitaine Mollin, qu’André avait chargé principalement de tenir à jour ses registres et de confectionner les fiches, était franc-maçon[66]. Le sénateur Desmons l’aboucha avec le secrétaire général du Grand-Orient[67]. Vadecard accepta, sans hésiter, d’envoyer une circulaire à toutes ses loges ; il leur demanda de le renseigner, « au point de vue philosophique et politique », sur les officiers des corps de troupes qui se trouvaient dans leur ville[68]. Et bientôt les fiches affluèrent — 25.000 en quatre ans — les unes véridiques, rédigées par des informateurs sincères, mais qui n’auraient jamais dû se prêter à telle besogne, les autres fournies par des sectaires du dernier ordre, par d’anciens officiers qui satisfaisaient des rancunes ou, encore, par des fournisseurs, bouchers, boulangers et épiciers, qui jugeaient le client[69]. Et tout cela enflait « Carthage » et « Corinthe »[70], passait sur les feuillets des officiers retardait où avançait des soldats dans leur carrière.

« Le travail imposé gratuitement au secrétaire général du Grand-Orient était considérable[71]. »

Mollin ne s’en tint pas là ; à l’insu d’André[72], il engagea avec Vadecard la correspondance la plus extraordinaire. Ainsi il lui communiqua des listes d’officiers « figurant déjà au tableau d’avancement[73] », de généraux de brigade et de division proposés, les uns pour le grade supérieur, les autres pour commandants de corps d’armée[74], d’officiers brevetés, « devant, par conséquent, être affectés à un service d’État-major », afin que Vadecard s’informât spécialement de chacun. « Les républicains auront satisfaction, les autres non » ; sur les notes de Vadecard, on fera avancer les uns et marquer le pas aux autres ; « on enverra dans les états-majors importants et agréables ceux qui seraient par hasard républicains », « pendant qu’on classera au contraire les autres dans des endroits comme Gap, Briançon et autres lieux de plaisance[75] ». Et, comme Vadecard, toujours « gratuitement », s’acquittait à merveille de la besogne, Mollin l’en remerciait avec effusion : « Je vous envoie, lui écrivait-il, deux listes dont l’une représente les officiers qui, ne réunissant pas les conditions d’ancienneté suffisantes pour être maintenus au tableau de concours pour la Légion d’honneur, l’ont été cependant grâce à leurs opinions républicaines qui nous ont été connues par vous ; et dont l’autre représente au contraire les officiers qui réunissaient toutes les conditions d’ancienneté et de notes militaires pour être maintenus, mais que nous avons éliminés parce que vous nous les avez signalés comme étant hostiles à nos institutions[76]. » Et encore : « Avez-vous vu la dernière promotion ? Si oui, je pense que vous devez être content, car les généraux, les colonels et les officiers supérieurs nommés sont presque tous républicains. Vous êtes pour beaucoup, mon cher ami, dans ce résultat, et nous ne saurions trop vous remercier[77]. » Il lui annonçait enfin un travail plus vaste « sur l’État-major tout entier », qui ne pouvait être « poursuivi utilement sans son concours[78] ». Aussi bien fallait-il se hâter, car il n’était pas certain qu’André « restât longtemps au pouvoir[79] ».

Bien que le général Percin, chef du cabinet d’André, fût lui-même en rapports avec Vadecard[80], il finit par s’inquiéter, avertit Waldeck-Rousseau[81], demanda s’il ne devait pas donner sa démission. Waldeck-Rousseau l’en dissuada, tout en lui recommandant de s’abstenir, pour son compte, de pratiques aussi détestables, puis prévint Combes de ce qu’il avait appris, l’avertit que, le jour où les procédés mis en vigueur par André seraient connus, « ils déchaîneraient de légitimes colères[82] ». Combes négligea l’avertissement, ou bien André eut vite fait de le rassurer, atteint de cette immoralité qui, trop souvent, vient aux hommes au pouvoir du pouvoir lui-même, de l’usage de la force[83]. Percin se confia également à Clemenceau, à Picquart et à Hartmann. Un autre officier du cabinet, le capitaine Humbert, rédigea une note qu’il fit remettre à André, signalant le danger et la honte des procédés de délation, « coutumiers aux jésuites », auxquels avaient recours, « sous prétexte de républicanisme », « des officiers tarés ou incapables ». André, pour toute réponse, envoya Humbert dans un régiment. Humbert répliqua par sa démission[84].

La besogne qui se faisait au Grand-Orient, pour le compte d’André, était trop grave pour que la pensée d’en vendre le secret et les preuves aux nationalistes ou aux cléricaux ne vînt pas à quelque misérable. Bidegain, secrétaire de Vadecard, déroba les lettres les plus importantes de Mollin et plusieurs centaines de fiches, qui étaient en double au Grand Orient, et les vendit pour quarante mille francs[85] à Guyot de Villeneuve et à Syveton[86]. Villeneuve, ancien officier, parut plus qualifié pour porter le dossier à la tribune (28 octobre 1904).

Aubaine, joie inespérée pour l’opposition de droite. Depuis plus de deux ans, tous ses efforts contre l’exécution de la loi sur les associations avaient échoué, invocations au droit, à la liberté, éternelle patronne des jours malheureux, manifestations touchantes ou bruyantes, chouanneries de commande, douloureux exodes de ces religieuses que Combes lui-même avait honorées[87]. — Dès les premiers jours de son ministère, les paysans bretons, grisés de prédications et d’alcool, dressèrent des barricades pour obstruer l’accès des écoles condamnées, sonnèrent le tocsin, accueillirent les magistrats et les soldats à coups de pierres, les inondèrent d’ordures et de boue. Tout de suite ces laides émeutes irritèrent l’opinion républicaine, la décidèrent à poursuivre la lutte « jusqu’à désarmement complet de l’ennemi[88] ». — La popularité de Combes s’étendit sous les colères qui éclataient à la tribune ou remplissaient les journaux. Ce petit vieillard, inconnu la veille, incapable de reculer, qui ne parlait pas pour les académies, surprit par sa résolution. Si la démocratie était repartie en guerre contre les moines, ce n’était point pour s’arrêter devant des textes de loi, Combes lui-même se fut-il arrêté d’abord devant eux ; ou devant les principes qui, après l’avoir aidée à vaincre, la gênaient ; ou encore devant la liberté sous le plus noble de ses aspects : celle des autres. Tout ce gros du parti républicain n’avait point cessé, un seul jour, de suivre Combes. — La démocratie est la force et le nombre : l’Église, si elle était le nombre et la force, que ferait-elle ? Cet argument suffisait. Combes a pour lui « le peuple », « le sentiment populaire, force immense, écrit un ancien défenseur de Dreyfus, à laquelle rien ne résiste dans une démocratie[89] ». Discuter Combes, même dans ses variations, c’est l’hérésie, s’exclure soi-même du parti républicain. — Et maintenant, on le tenait, on pensait le tenir par la faute d’André, par sa complicité certaine avec André, par ce bas espionnage des officiers systématiquement organisé, par le mot qui s’enfonçait comme une flèche au cœur même de ce pays honnête et loyal : la délation.

« Il fallait bien, dira un ami de Combes[90], que les républicains fournissent des armes à l’adversaire. » Nulle arme plus redoutable que celle-là, plus empoisonnée.

Une campagne de presse adroitement menée[91] avait commencé à révéler qu’il existait au ministère de la Guerre une organisation régulière de la « délation ». André, en réponse à une interpellation du lieutenant-colonel Rousset[92], et ignorant tout de la trahison de Bidegain, insista sur la question de l’avancement au choix. Il affirma à plusieurs reprises « que rien ne le guidait dans la distribution de l’avancement que l’idée de le donner au plus digne ».

Villeneuve demanda alors la parole, donna lecture des lettres de Mollin à Vadecard et d’un certain nombre de fiches. Du frère Bénicourt, de Saint-Quentin, sur le général Lacoste : « Fripouille de mauvais aloi… » Du frère Bernardin, juge de paix à Pont-à-Mousson, sur le général Heurtault : « Jésuite, sale jésuite, triple jésuite qui salit l’armée. » Il en existait des milliers et des milliers de pareilles. Des officiers, qu’il nomma, se seraient faits « délateurs », fournisseurs en gros de l’agence maçonnique[93].

Les députés ministériels, surtout les socialistes, crient d’abord que les documents sont apocryphes, que ce sont des faux ; sous la stupeur, l’honnêteté se révolte ; nul n’eût songé à prendre la défense de ces procédés de basse police, de plaider seulement les circonstances atténuantes. André, fatigué depuis longtemps, à l’été, il avait demandé à Combes de s’en aller[94], — malade ce jour-là, était affalé à son banc. Il ne connaissait pas les lettres de Mollin, mais sut bien, dès la première ligne que Villeneuve en lut, qu’elles étaient authentiques ; et il connaissait les fiches des francs-maçons, en avait fait abondamment usage, avec l’intime conscience d’une faute. Depuis que les journaux, avertis, avaient lancé l’accusation, Mollin, par ordre, avait emporté les fiches, afin qu’on pût affirmer qu’il n’y en avait pas au ministère de la Guerre[95].

Combes, les autres ministres, demandent des explications à André. Il répond qu’il entend, connaît pour la première fois ces lettres, qu’il s’informera, qu’il n’en sait pas plus.

Le malheureux est frappé d’un tel coup qu’il n’a point la force d’arrêter Villeneuve, de donner cette explication. C’est Combes qui la produit, dit tout de suite que « l’officier d’ordonnance du ministre a eu tort de faire appel à la personne dont il a été si souvent question » ; puis, avec sa vigueur, sa combativité ordinaire, il prend l’offensive, approuve André de s’être renseigné auprès des préfets, « rien n’étant plus logique ni plus légal », — ce qui avait été aussi l’avis de Waldeck-Rousseau[96] — se félicite d’avoir, par une circulaire[97], invité les préfets à fournir des indications, aidé ainsi à « commencer l’épuration dont se plaint la droite », et il jette à Villeneuve et à ses amis qu’ils étaient moins susceptibles « quand les portes du ministère étaient toutes grandes ouvertes à la Congrégation ».

Diversion qui n’excusait rien, bien plus aggravait le cas d’André et de tous ceux qui avaient tant protesté contre l’influence de la Congrégation. C’est de ce sophisme que Mollin s’est intoxiqué, perverti. « Autrefois le père Du Lac présidait à la confection des tableaux d’avancement et des tableaux de concours. Les républicains ne furent pas contents. Ils ont le rare bonheur de trouver un ministre qui se renseigne sur les sentiments politiques des officiers. Voulait-on qu’il les devinât[98] ? » Mollin s’admirait comme le père Du Lac des républicains, y trouvait sa gloire.

Villeneuve a terminé ses lectures, il en tire la conclusion. André et Combes, d’accord avec le Grand-Orient, « ont organisé contre l’armée la délation et l’espionnage », « divisé les officiers, semé la discorde parmi eux ». « André ne peut plus rester sur ces bancs ; il a trahi l’armée. L’armée n’a plus de chef, en appelle au Parlement. »

Il descendit de la tribune au milieu des acclamations de la Droite, des applaudissements du Centre, d’une partie de la Gauche. Concert d’indignations loyales, de fausses vertus, de haines et de convoitises politiques.

Que pouvait répondre André ? Qu’il blâmait très énergiquement « les agissements qui venaient d’être déroulés devant la Chambre » ; qu’il n’admettait point ces procédés ; qu’il demandait pourtant à examiner les documents, « certains pouvant être considérés comme faits pour les besoins de la cause » ; que, si les faits étaient exacts, il prendrait les mesures nécessaires ; bien plus, qu’il n’hésiterait pas à considérer sa responsabilité comme engagée et qu’il viendrait l’offrir à la Chambre[99].

Il ne pouvait parler autrement ; mais les gauches attendaient autre chose, se raccrochaient à l’espoir d’un démenti, de l’affirmation, véridique ou cynique, qu’on était en présence d’une immense mystification. Compromises par lui, par la sottise de Mollin, muettes, elles le regardèrent capituler, flotter, sombrer comme une épave.

Il y avait à la Chambre plusieurs des hommes qui, trois ans durant, avaient lutté, non pas seulement pour Dreyfus, pour l’homme de l’île du Diable, mais pour le droit, la justice, l’épuration, non pas de l’armée par des procédés déshonnêtes, mais de la politique par la morale. C’était à eux de parler, d’arracher aux nationalistes, aux glorificateurs d’Esterhazy et d’Henry, leur récente vertu. Il y a des idées si hautes qu’aucune catastrophe ne peut, ne doit les atteindre ; il fallait les porter plus haut encore. Si toutes les belles croyances étaient mortes, il fallait faire comme ceux des catholiques qui ont perdu la foi : « en garder l’attitude[100]. »

Il y avait une chose à ne pas faire : s’approprier les dépouilles, les façons de raisonner, les accommodements de conscience, les distinguo de l’ennemi qui tenait sa revanche morale.

Sauf Vazeille, c’est ce qu’ils firent pourtant. Gérault-Richard est allé chercher à la Bibliothèque les listes de la souscription Henry, que Mollin avait compulsées avant lui[101]. Il y a trouvé les noms de trente-cinq généraux, de quatre colonels, de quatre-vingt-neuf commandants, de cent quatre-vingt-quatre capitaines, ne dit pas qu’ils étaient presque tous en retraite[102], donne lecture de quelques citations. Est-ce que « la République n’a pas le droit de connaître les tendances politiques des officiers » ? Lui, du moins, « il n’a pas envie d’être bouté hors de France, de recevoir des lavements au vitriol, de se voir tanner la peau ». Puis, voici Jaurès : « Sera dupe qui voudra ! Sera complice qui voudra ! »

Tout à l’heure, Barthou, interrompant Villeneuve, s’est étonné « qu’il n’y eût pas dans la Chambre un mouvement d’indignation unanime devant les faits abominables qui lui étaient dénoncés ». Jaurès le prend à parti, lui rappelle « la journée tragique » où Chanoine déserta, trahit Brisson à la tribune : que fit ce jour-là Barthou ? Il donna le coup de poignard à Brisson, et la République faillit « aller aux abîmes, avec menace de coup d’État ». Aussi, lui, Jaurès, supplie les républicains de retrouver leur sang-froid, de ne pas renouveler cette faute. « Ils n’aideront pas les césariens, entrepreneurs de guerres et d’aventures, à renverser le gouvernement. »

Ainsi, les anciens partisans de Dreyfus, qui siégeaient dans la Chambre, laissèrent à d’autres, à des adversaires ou à des ralliés de la dernière heure, Barthou, Doumer, Noulens, Mirman, Klotz, l’honneur de réprouver ces indignités. « L’immense majorité des membres de la Chambre les condamne », dit Doumer. Pourquoi ne le disent-ils pas ?

Ils finirent par le dire, timidement, mais ne pouvant se résigner à frapper André qui aurait entraîné Combes. Les dignitaires de la Maçonnerie, qui siégeaient à la Chambre, Réveillaud, Meslier, affirment que le Conseil de l’ordre du Grand-Orient n’a rien connu de cette correspondance de Vadecard et de Mollin. Maujan rédige un ordre du jour qui permet d’attendre[103]. Il n’ose pourtant pas écrire le mot de confiance. André accepte.

Par 4 voix seulement[104], la Chambre accorde le sursis[105]. Sans le vote des membres du cabinet, ministres et sous-secrétaires d’État, André était par terre.

Pendant qu’on dépouillait, pointait le scrutin, le bruit s’était répandu que le ministère était en minorité. André, aussitôt, écrivit sa démission, la remit à Combes. Le vote connu, il la reprit.

André, rentré au ministère de la Guerre, s’informe de l’exactitude des lettres, « Réponse navrante. Les lettres sont authentiques. Elles ont été bien écrites sur papier officiel, telles qu’on les a lues[106]. » Où sont les cent autres ? celles où « la manie épistolaire de leur auteur » s’est épanchée contre André ? où Mollin, certainement, a déploré que, malgré les fiches maçonniques, André ait promu tant d’officiers dénoncés comme cléricaux, réactionnaires, anti-dreyfusards ? « Personne ne peut répondre[107]. »

Apparemment, elles étaient encore au Grand-Orient. Une dernière fois, on eût pu causer avec Vadecard.

Le lendemain (29 octobre), au Conseil des ministres, on décida le sacrifice de Mollin ; André y consentit.

Mollin l’avait vu avant le conseil, « Triste, ennuyé, nullement hostile[108] ». Il lui expliqua, par le secret maçonnique, qu’il ne l’eût point informé de sa correspondance avec Vadecard. Vers le soir, André l’appela, lui signifia « qu’il eût à quitter son cabinet et à rejoindre son régiment » ; Mollin préféra donner sa démission[109]. Selon Mollin[110], André, « fiévreux, agité », lui aurait tout de suite demandé sa démission qu’il aurait d’abord refusée. Puis, André insistant, Mollin, « fou de douleur », consent. Sur quoi, André, redevenu « froid et sec », lui donne l’ordre d’aller chercher les fiches, qui sont aussitôt brûlées ; un contrôleur dresse « un procès-verbal d’incinération[111] ».

Pour les qualité officiers que Villeneuve avait dénoncés comme des « délateurs », André les fit interroger. Ils protestèrent « qu’ils n’avaient jamais donné ou demandé à des camarades des renseignements sur d’autres camarades. Ils avaient donné seulement à leurs loges, et sans passer par aucun intermédiaire, des renseignements sur les officiers qu’ils connaissaient personnellement et qui demandaient à entrer dans la maçonnerie[112] ». L’explication, pour deux d’entre eux au moins, Pasquier, commandant des prisons militaires de Paris, et le commandant Bouqueiro, était matériellement inexacte[113]. André l’accepta pourtant : c’étaient d’excellents soldats, de vieux républicains, qui n’avaient reçu aucune faveur ; « il n’y avait à prendre contre eux aucune mesure ».

Maintenant tous les jours, les journaux de l’opposition[114] publiaient des « fiches », en remplirent leurs colonnes pendant deux mois, jusqu’à la fin de décembre, tant Bidegain en avait volé. Et c’était toujours la même accusation monotone, vraisemblablement exacte pour beaucoup d’officiers, qu’ils n’étaient point républicains, qu’ils professaient des opinions cléricales, qu’ils allaient à l’église, qu’ils n’avaient point cru à l’innocence de Dreyfus ; parfois des indications grossières sur la vie privée ; et il n’était que trop vrai qu’André s’était renseigné là, car Bidegain avait encore livré à Syveton un tableau de concours pour la Légion d’honneur, paraphé par le ministre, avec renvoi, pour chaque candidat, aux fiches de Mollin. Parmi ces candidats se trouvaient des officiers qui étaient en Chine ou au Tonkin. Un commandant de corps d’armée, suivant l’exemple d’en haut, avait correspondu avec Vadecard, réclamé le concours de la maçonnerie pour « désensoutaner l’armée des officiers inféodés à Sarto » (le pape Pie X) ; le général Peigné se targuait encore d’avoir fait envoyer à la frontière de l’Est, comme en punition, un chef de bataillon et quatre capitaines[115]. On publia également la note de Waldeck-Rousseau sur ses conversations avec Percin et avec Combes.

À chaque liste de fiches qui paraissait, le dégoût des honnêtes gens montait. Le mal fait à l’armée, au corps d’officiers était immense. La « délation maçonnique » était un mal : quelque légitime qu’en fut la révélation, cette publicité incessante, inlassable, était un autre mal, de conséquences aussi graves.

Défendre les « fiches », aucun moyen de mieux servir ceux qui les avaient achetées et profitaient du scandale. Que le conseil de l’ordre du Grand-Orient, après avoir déféré Bidegain à la justice maçonnique, lançât à tous les frères un appel public, où il « glorifiait » les actes qu’on lui reprochait[116], décrétait que la société « avait bien mérité de la République » et « signalait à tous les ateliers, à tous les maçons présents et à venir, les votes de défaillance, de peur et de lâcheté d’un certain nombre de républicains » qu’il excommuniait, cela prêtait surtout au ridicule. Mais Jaurès et les socialistes tiennent le même langage, se reprochent comme une faiblesse d’avoir cédé, un instant, au premier mouvement, quand ils ont paru regretter, comme indignes de la République, les procédés de Mollin, et ils font grief à André d’avoir accepté ou requis la démission de « ce bon et courageux serviteur ». L’indignation de la Chambre n’a été qu’« hypocrisie », « impudence » et « pharisaïsme » chez les uns, « panique » chez les autres[117]. Jaurès allègue enfin les « fiches » de Guénée et d’Henry sur des hommes politiques, dont Targe a révélé l’existence à l’une des audiences du procès Dautriche[118], le même jour où Villeneuve a porté celles de Mollin et de Vadecard à la tribune de la Chambre.

Clemenceau, qui souhaitait la chute de Combes, se souvint des idées qu’il avait défendues pendant l’Affaire. Qu’André recommençât, « avec ou sans la franc-maçonnerie, les dossiers secrets de l’affaire Dreyfus », il n’y avait là, dit-il, « que du jésuitisme retourné ». Le secret, en lui-même, était un mal, invitait au mensonge, à la diffamation « pour perdre l’ennemi[119] ».

Je ne fus pas moins net dans un article du Siècle[120] :


Quand j’ai raconté, pour la première fois, que le P. Du Lac, dans sa cellule, avait toujours l’Annuaire militaire sur sa table, le scandale fut grand. L’annuaire a changé de table. Ce n’est pas pour cela que nous avons combattu à Marathon… L’homme qui a vendu ces lettres qui parurent d’abord des faux, on l’appelle partout « misérable » et « Judas ». Certes, oui ! Comment oublier que des officiers furent « notés » sur les indications de ce « misérable » et de ce « Judas » ? … Qu’un gouvernement ait le droit de se renseigner par ses propres agents, ses agents directs, responsables devant la loi, sur la loyauté des officiers, nul, sous aucun régime, ne l’a jamais contesté. La loyauté d’un officier envers le gouvernement, ce n’est pas sa conscience, politique, philosophique, religieuse — domaine impénétrable, — c’est son attitude respectueuse de la constitution et des institutions, ou hostile, et qui, à proprement parler, fait partie de la discipline. Mais le droit s’arrête là. Plus loin, c’est l’Inquisition. Avec d’autres agents, c’est la délation, l’espionnage à l’intérieur, la corruption, toute une semaille affreuse de haines et, finalement, nécessairement, la trahison, le Bidegain qui vend ses papiers, « vos » papiers, et passe la frontière… Est-ce décidément une loi de l’histoire que les vainqueurs n’ont pas plus tôt triomphé qu’ils prennent aux vaincus leurs vices ? Au moins le jésuite d’hier ne trafiquait pas de ses secrets… On veut attacher l’armée à la République ; si on voulait l’en détacher, comment s’y prendrait-on ?


Un peu plus tard, comme le comité central de la Ligue des Droits de l’homme avait refusé, malgré de pressantes instances[121], de se prononcer contre le système des fiches, « abdiquant ainsi sa fonction moralisatrice[122] », j’adressai ma démission à Pressensé. Successeur de Trarieux à la présidence de la Ligue, il avait écrit de notre émotion « qu’elle faisait plus d’honneur à notre probité qu’à notre sens critique ». « Je sais, lui dis-je, qu’il est dangereux de refuser d’incliner sa conscience devant les sophismes des partis ; je sais aussi que ces sophismes sont éphémères, comme les intérêts qu’on croit ainsi défendre ne sont qu’apparents ; et que les partis, qui se détachent des principes d’où leur sont venues la force et la victoire, vont au devant des pires aventures[123]. » Je fus remplacé au Comité central, dont je faisais partie depuis le premier jour de la Ligue, par Anatole France, dont Mollin était alors le gendre.

La discussion reprit le 4 novembre, sur trois interpellations (Guyot de Villeneuve, Berteaux, Jaurès) ; la Chambre en ordonna la jonction.

André se tint en selle, mais douloureux à voir. Il a compris enfin, par le scandale, toute la laideur des notes secrètes, des procédés » d’investigation secrète empruntés à l’adversaire[124] », souffre de son nom éclaboussé et n’a point le courage du seul acte vraiment noble : avouer son tort.

Il plaida longuement, se couvrant de Waldeck-Rousseau, revendiquant pour le ministre de la Guerre « le droit et le devoir de s’informer de toutes parts ». Alors même qu’il eût été exact « que les qualités militaires eussent passé pour lui en première ligne[125] », — et les lettres de Mollin, les feuilles signées de lui, avec renvoi aux fiches, le démentaient, — le système qu’il avait pratiqué ne restait pas moins « détestable[126] » et profondément corrupteur. Il allégua ensuite les actes d’intolérance, de grossière suspicion, dont avaient été victimes, en d’autres temps, des officiers juifs, puis d’autres faits, inexacts ou puérils[127]. Cela parut le procès de l’armée elle-même, intolérable dans la bouche de celui qui était encore le chef de l’armée. Enfin il reconnut que « Mollin avait été autorisé à demander des renseignements et à en recevoir » ; son tort avait été « d’en donner » ; « le manquement au devoir professionnel était là », et c’était pour cela qu’André avait accepté sa démission.

Guieysse, vieux républicain, qui avait été ministre avec Bourgeois, lui dit rudement : « Vous vous cachez derrière un subordonné. »

Tout le temps qu’il parla, la Droite, le Centre, hachèrent son discours d’interruptions et d’injures. Il ne trouva pas une phrase, pas un mot qui portât. Il dit en terminant « qu’il n’était pas monté à la tribune pour défendre son portefeuille », « qu’il restait à son poste pour y défendre la République et rassurer les officiers républicains ».

Berteaux, sous couleur de l’interpeller, plaida les circonstances atténuantes, insista sur le danger qui était apparu à Galliffet lui-même, à l’époque de l’Affaire, d’un commandement dominé « par l’esprit clérical et réactionnaire », pendant que » les officiers républicains, traqués, brimés, réduits au silence, étaient condamnés à être des parias dans l’armée de la République ». Mais il dit aussi que le remède n’était point « les notes secrètes » ; que le mal profond, c’était le régime de la faveur par l’avancement au choix, qu’il s’exerçât dans un sens ou dans l’autre, car « les caractères les mieux trempés s’y abaissaient ». Il était urgent, en conséquence, « de faire aboutir une loi sur l’avancement », avec majoration d’ancienneté pour les titres exceptionnels, et d’assurer ainsi au corps d’officiers « toutes les garanties de la justice et du droit ».

Jaurès, au contraire, n’apercevait aucune limite « au contrôle civique », dépassant ainsi Combes et André lui-même[128], et plus furieuses étaient les clameurs contre lui, plus il s’exaltait, à la manière d’un prophète, s’envolant en de magnifiques périodes sans souci d’ailleurs de se contredire. Tantôt, il réclama « le dévouement à la République comme la vertu par excellence de l’officier sous la République[129] » ; tantôt, il proclama « qu’avec le perpétuel renouvellement des problèmes techniques que l’officier moderne doit résoudre, les premières des affirmations républicaines étaient le travail et la science[130] » ; et, tout à coup, des hauteurs nuageuses ou des sphères limpides où il s’était élevé, il descendait, fonçait sur l’interrupteur, le frappait, l’étourdissait ; « Ne méprise pas qui veut ! » dit-il à l’un d’eux[131], ou, encore, de sa belle voix sonore et gaie : « Une des joies les plus exquises de ma vie sera d’avoir offensé la délicatesse de M. Lasies. »

Combes, lui, avec sa finesse de vieux théologien, sa vieille pratique des manœuvres sur le terrain aux accidents variés qu’est un Parlement, se garda de l’apologie. Dix fois, il répéta « qu’il blâmait les moyens employés au cabinet du ministre de la Guerre » ; d’ailleurs, l’officier coupable « s’était fait justice » et il ne supposait pas « qu’on voulût le fusiller ». Pourtant, il entendait que « les fonctionnaires militaires, comme les fonctionnaires civils », fussent soumis au contrôle « soit des préfets », « soit de l’opinion publique ». Ainsi avait il conscience « de n’avoir pas mérité l’animadversion que l’opposition appelait sur sa tête », et avait-il confiance dans la Chambre, dans sa majorité républicaine « qui ne livrerait pas l’armée aux hasards d’un changement de cabinet ».

Il sentait son « bloc » crevassé, prêt à se disloquer, cherchait à le retenir, à le cimenter, une fois de plus, par la peur des réactions.

Ce qu’il redoutait toutefois, ce n’était point la Droite, dont les violences le servaient, ni même le Centre, mais les anciens ministres de Waldeck-Rousseau, les amis, radicaux ou socialistes, de Doumer et ceux de Clemenceau qui s’étaient séparés de lui et le combattaient. Les uns lui reprochaient d’avoir méconnu l’esprit et, même, la lettre de la loi sur les associations qu’il eût fallu appliquer « dans un esprit d’apaisement et de justice » ; « il en avait fait une loi d’exclusion, quand elle était une loi de contrôle » ; après avoir repoussé la société religieuse dans ses frontières, il l’y avait poursuivie ; il n’a tenu compte ni du passé « auquel le présent tient encore par de profondes racines », ni de l’avenir, qui insensiblement modifie les choses ; il a arraché aux Chambres des lois dures dont le résultat est vain ou à peu près ; il a fermé dix mille écoles congréganistes, pour voir se rouvrir aussitôt cinq mille écoles libres, « où l’extérieur, l’apparence et le costume sont seuls changés, où les sentiments sont les mêmes » ; il ne sait pas vivre un jour « sur les idées qu’il s’est faites la veille », les sacrifie à la fraction la plus violente de sa majorité, à ses amis les plus impatients et, s’il se trouve quelqu’un d’assez hardi pour reprendre sa propre solution de la veille, il la dénonce comme une intrigue[132]. — Les autres, qui l’avaient suivi dans cette guerre à outrance contre les associations religieuses, lui faisaient grief de tout réduire « à cette âpre lutte contre les forces du passé » ; il ne poursuit que « les démolitions », ajourne sans fin « les constructions impatiemment attendues », « abandonne à d’autres le soin de résoudre les problèmes sociaux[133] », néglige pareillement tant d’autres questions urgentes, économiques, juridiques, financières ; « pourvu qu’il ait chaque matin sa charretée de moines et de nonnes[134] », tout est bien ; il a fermé ainsi les yeux sur la désorganisation de la marine, livrée à Pelletan, « qui devient un péril national[135] », et sur l’imprudente politique de Delcassé, qui ne parle de rien moins que « d’isoler l’Allemagne » ; il a laissé passer le gouvernement aux groupes, à l’irresponsable délégation des gauches, à l’intolérable dictature oratoire de Jaurès ; il traite en suspect, fait traquer en ennemi par ses préfets, fait surveiller, jusque dans les couloirs de la Chambre, cherche même à déshonorer quiconque n’abdique pas devant lui sa liberté de penser, de parler et d’écrire.

C’étaient là, bien plus que les nationalistes ou les catholiques, les ennemis à craindre. Ceux qui avaient été ministres voulaient le redevenir ; ceux qui ne l’avaient pas été voulaient l’être. On pouvait contester leur politique ; leur reprocher d’être prêts à l’appliquer au pouvoir était injuste. La Droite et le Centre votaient pour eux. Les amis de Combes les appelaient les « dissidents », c’est-à-dire schismatiques.

Leygues, puis Ribot et Millerand, donnèrent l’assaut, ramenèrent, d’un vigoureux effort, la Chambre à la question précise qui s’effaçait, disparaissait sous l’accumulation des sophismes et des arguties politiques : les notes secrètes, les dossiers secrets, la délation.

Éloquence vibrante et lyrique de Leygues, ample et hautaine discussion de Ribot, puissante et drue logique de Millerand, mais mêmes arguments, mêmes évocations historiques (le billet de confession de la Restauration, les procédés des Jésuites dans tous les temps, les pièces secrètes et les bas rapports policiers de l’Affaire), qui sortaient, jaillissaient du sujet. Et ce n’était pas la moindre singularité de ces débats que d’entendre les radicaux et les socialistes crier, les nationalistes et les catholiques applaudir quand Ribot demandait « aux républicains s’ils voulaient être les plagiaires honteux de la Restauration », et Leygues « s’ils avaient chassé les influences cléricales du ministère de la Guerre pour livrer l’armée aux délateurs ».

Millerand dit avec force : « On parle de l’intérêt des officiers républicains ; ils n’ont pas mérité cette injure Vous croyez que c’est par de pareils procédés que vous constituez une armée républicaine ; ne voyez-vous pas que vous ne faites ainsi que donner une prime à l’hypocrisie ? »

L’issue de la journée dépendait d’une douzaine de républicains, anciens opportunistes, indécis entre deux peurs : d’être excommuniés, pour avoir voté avec la Droite, ou d’avoir honte d’eux-mêmes, pour n’avoir pas voté selon leur conscience. Pour leur venir en aide, leur savonner le devoir, Vazeille proposa l’ordre du jour pur et simple.

Combes le repoussa, dit que ce serait « une équivoque ».

Deux voix de majorité lui donnèrent raison : 277 pour l’ordre du jour pur et simple, 279 contre ; vingt députés s’abstinrent.

Il était dix heures du soir. La Chambre siégeait depuis deux heures de l’après-midi. Lasies appela encore André à la tribune (sur l’affaire du colonel de Quinemont). André, épuisé, les nerfs brisés, refuse de répondre : « Mes ennemis ont juré d’avoir ma peau ; je resterai à mon poste. »

Comme il venait de regagner sa place, Syveton s’approcha de lui, le souffleta avec tant de violence que le vieux soldat tomba sur son pupitre.

Une vague humaine, cent députés descendus de leurs bancs, rejeta Syveton vers les gradins de l’extrême-Droite, « où quelques amis le protégèrent[136] ».

Brisson suspend la séance, puis, à la reprise, propose la censure avec exclusion temporaire. Toutes les Gauches, la majorité de la Droite, la votent. Syveton refusant de quitter la salle, où il ne devait plus rentrer, il fallut chercher la troupe.

Déroulède le félicita « d’avoir souffleté tout un régime[137] », Barrès « d’avoir accompli un de ces actes qui, bien plus qu’aucun discours, agissent sur l’âme des partis[138] ».

La délation, les lettres de Mollin, les fiches, tout disparut, pour une heure, devant l’ignoble agression. L’ordre du jour de confiance fut adopté à une forte majorité[139].

André dit que, « se croyant seul visé », il se résolut, « sans avoir reçu aucun conseil, subi aucune pression », à donner sa démission (plus de dix jours après l’agression de Syveton), et que Combes « le supplia de rester[140] ». Selon Clemenceau, Combes, « s’étant mis dans l’idée qu’André était la principale cause de faiblesse pour son ministère », le « démissionna », lui fit dire « par une troupe d’amis » de se sacrifier, « l’étrangla à la turque », alors « qu’il n’était pas moins responsable que lui des fautes que Syveton avait sauvées provisoirement d’une sanction parlementaire[141] », Il le remplaça par Berteaux[142].

Syveton ayant déclaré formellement à l’instruction et établi par témoins qu’il avait prémédité son acte, son renvoi devant la Cour d’assises s’imposait. C’était pour lui la certitude d’un procès retentissant, la probabilité d’un acquittement triomphal ou d’une condamnation légère. Dès qu’il connut l’ordonnance du juge, « sa joie éclata[143] » son procès ne serait pas le sien, mais celui d’André ; il écrivit son plaidoyer :« J’ai outragé, j’ai souffleté un ministre de la Guerre… Je l’ai souffleté, non par derrière, mais par sa face, non pas pour le blesser matériellement, mais pour l’outrager, non pas pour satisfaire une animosité personnelle, mais pour venger l’armée livrée et la patrie trahie[144]. »

La veille du jour où il devait comparaître aux assises, vers trois heures de l’après-midi, sa femme, entrant dans son cabinet de travail, le trouva mort, étendu sur le tapis, la tête sur les bûches d’amiante d’une cheminée à gaz dont le robinet était ouvert[145]. Lemaître, Coppée, Guyot de Villeneuve, dirent aussitôt qu’on l’avait assassiné, que c’était un nouveau crime maçonnique. Il fallut ordonner une instruction. Sa femme déposa qu’ayant reçu, trois jours avant, de sa fille, qu’elle avait eue d’un premier lit, « des révélations effroyables » sur son mari, elle lui dit qu’il n’avait plus qu’à se tuer. La fille confirma au juge les aveux qu’elle avait faits à sa mère et qu’elle avait répétés, devant elle, à Syveton. Lemaître reconnut qu’étant trésorier de la Patrie française, Syveton avait dérobé cent mille francs ; sa femme les avait restitués[146].

III

Les trois années pendant lesquelles la Cour de cassation poursuivit dans le silence la revision du jugement de Rennes furent marquées par un très grand nombre d’autres événements intérieurs et extérieurs, les uns amenant souvent les autres : cette longue lutte contre les congrégations qui domina la politique de Combes (dispersion de toutes les congrégations non autorisées d’hommes, de toutes les congrégations enseignantes, non autorisées, de femmes ; loi portant interdiction aux congréganistes, autorisés ou non, de donner l’enseignement à aucun degré) ; — la conclusion de l’entente cordiale avec l’Angleterre et d’un traité d’arbitrage avec l’Italie, accompagnée d’un échange de visites entre les souverains des deux pays et le Président de la République ; le voyage de Loubet à Rome considéré par le Vatican comme une offense au Souverain Pontife Pie X, successeur de Léon XIII, qualifié ainsi non seulement dans une note au gouvernement français, mais dans une circulaire adressée à tous les gouvernements catholiques ; et les ripostes successives : le rappel de l’ambassadeur de France auprès du Vatican, la suppression de l’ambassade, la déclaration de Combes, jusqu’alors concordataire, qu’il est favorable désormais à la dénonciation du Concordat ; — l’affaire de la « délation » dans l’armée se poursuivant, malgré le sacrifice d’André, sous son successeur ; Combes se refusant aux sanctions réclamées de lui, la radiation des délateurs légionnaires, la mise en disponibilité du général Peigné ; l’institution officielle des délégués administratifs par une circulaire aux préfets ; la réponse des oppositions coalisées, au scrutin secret : l’élection de Doumer à la présidence de la Chambre contre Brisson ; et Combes, malgré six voix de majorité dans un dernier scrutin, s’en allant, cédant la place à Rouvier[147] ; — la législature, arrivée à sa dernière année, d’une activité intense, pressant la marche, renversant les obstacles accumulés, tenant ses promesses, avec ou sans le concours du gouvernement, parfois contre lui : réduction du service militaire à deux ans, loi sur l’assistance aux vieillards, loi sur le repos hebdomadaire, loi (votée seulement par la Chambre) sur les caisses de retraites ouvrières, et la grande loi sur la séparation des Églises et de l’État, vérité théorique devenue, par la force des choses, par la marche accélérée des faits, nécessité politique, donnant toute la liberté et toute la justice, pendant qu’éclate une crise extérieure, « l’alerte du Maroc » : le voyage de Guillaume II à Tanger, la peur d’un conflit avec l’Allemagne, la démission de Delcassé, l’acceptation, par Rouvier, d’une conférence internationale ; — puis, à l’expiration des pouvoirs présidentiels de Loubet, l’élection de Faîtières contre Doumer ; les troubles à l’occasion des inventaires dans les églises, prescrits par la loi sur la séparation ; la chute de Rouvier, à la veille de la clôture de la conférence d’Algésiras, et la constitution, à la veille des élections, d’un cabinet Sarrien, de réconciliation républicaine, où Clemenceau, à plus de soixante ans, était, pour la première fois, ministre. Barthou, qui venait de Dupuy et de Méline ; Leygues, hier, avec Millerand, le chef des « dissidents » ; Doumergue, qui venait de Combes, y entraient avec Poincaré et Bourgeois, avec Étienne, Thomson et Ruau, qui restaient du ministère Rouvier, et Briand, socialiste, qui avait rapporté et défendu la loi de séparation devant la Chambre[148].

Au cours de ces temps troublés et féconds, Waldeck-Rousseau était mort[149]. Il s’était séparé de Combes avec éclat, lui reprochant d’avoir faussé et outré sa loi sur les associations, de ne se montrer assez respectueux ni des engagements pris ni de la conscience religieuse, et d’étendre dangereusement le champ de bataille. Par deux fois[150], il parla au Sénat, avertissant ses amis, protestant qu’il resterait, lui, du moins, « prisonnier de sa parole », et demandant aux républicains de ne point laisser passer dans d’autres mains cette force incomparable qui, tant de fois, leur avait donné la victoire : « le sens et le respect de la légalité ». Il lui répugnait d’enlever aux catholiques « le droit d’élever leurs enfants selon leur conscience ». Il fallait savoir attendre quelque chose du temps. « Lorsqu’une source tarit, ses eaux continuent, pendant quelque temps, de glisser dans les plaines, mais bientôt leur courant s’affaiblit et le lit se dessèche. » Il avait horreur du monopole « de la cité antique, si belle, si admirable par ses lettres et par ses arts, si détestable par sa souveraine indifférence, par son inconscience sereine du droit individuel ». — Ainsi cherchait-il à retenir le flot devant lequel il avait lui-même ouvert l’écluse.

Le mal qui devait l’emporter avait fait déjà de terribles ravages. La seconde fois qu’il monta péniblement à la tribune du Sénat, il avait la mort sur le visage ; on la vit, il se rendit compte qu’on la voyait et, comme s’il avait eu l’instinct, qu’il exerçait pour la dernière fois son art, il s’y éleva au plus haut. Le Sénat l’écouta avec émotion, l’admira, puis vota contre lui. Il mourut, à la fois fier et anxieux de son œuvre, comme il avait vécu.

L’Affaire, qui n’était plus que le cas d’un particulier, ne pesait plus sur la politique. Cependant on l’évoquait souvent, chaque fois que la liberté, le droit semblaient en cause. Plus on s’éloignait d’elle, mieux on se rendait compte de son importance historique, comme de la hauteur d’une montagne qu’il faut voir à distance pour la mesurer.

Aux temps « héroïques », à mesure que le combat autour de Dreyfus devenait plus intense, que plus de passions, éclataient et que le fond du peuple était plus remué, les promoteurs de la Revision avaient élevé et élargi leur ambition : la réparation de l’injustice n’est plus le but unique de leurs efforts ; elle sera le point de départ et l’instrument, non seulement d’une évolution politique et d’une évolution sociale accélérées, mais d’une révolution dans les mœurs, d’une révolution morale : la justice dans la politique.

La vieille lutte du pouvoir civil, de la société civile, de l’esprit laïque, contre l’esprit théocratique et l’envahissement des religieux, a rempli une partie de l’histoire de France, sous l’ancien Régime comme depuis la Révolution. Elle sera poussée, cette fois, jusqu’au bout. Des étapes, qui semblaient ne devoir être parcourues qu’en plusieurs années, seront franchies en quelques mois. Les meneurs laïques du parti catholique, beaucoup moins préoccupés de religion que de politique, poussent aux violences, accusent d’« inertie », presque de lâcheté, les moines enseignants qui se résignent ; ils prêchent « la grève générale des congrégations ». Ils auraient voulu que les associations religieuses épargnées, qu’elles fussent autorisées ou non, se déclarassent « solidaires de celles qui étaient frappées ». « Aux premiers scellés posés sur les portes des écoles », il eût fallu que les congrégations hospitalières répondissent en fermant leurs établissements, « crèches, asiles, hospices », jetassent à la rue, à la charge de Combes, « leurs malades et leurs orphelins », « prissent en masse le chemin de l’exil ». Et ils font appel au Pape, le conjurent, le somment d’intervenir, de lancer ses foudres, « de se montrer décidé à dénoncer lui-même le Concordat[151] ». Ces paroles sont entendues à Rome. En conséquence, Pie X, théologien étroit, avec l’instruction d’un curé de campagne, ignorant des choses françaises, même de la langue française, si bien que, pour cela, il n’avait point paru « papable »[152], menace, décrète, prétend révoquer des évêques, excommunie, comme si Rome avait été encore la maîtresse du monde, si la Réforme, l’Encyclopédie et la Révolution n’avaient point modifié quelque chose dans les esprits et si l’Europe, du jour de son élection, était retombée au Moyen Age. Dès lors, les faits, encore une fois, sont plus forts que les hommes, imposent non seulement à Combes, mais aux plus sages, aux plus prudents, une force plus grande d’action qu’ils ne s’étaient avisés de prévoir, les jettent en avant dans une marche plus rapide et qui se précipite. Waldeck-Rousseau s’arrête ; tout le gros du parti républicain le dépasse. Combes, parfois, hésite ; Clemenceau le gourmande : « Vous vous êtes rué avec un grand bâton sur tout ce que vous avez rencontré devant vous et, assurément, vous avez fait un carnage. Pourtant, vous n’aurez rien fait tant que vous continuerez à entretenir de votre argent la guerre que l’Église poursuit contre la République[153]. » De loi en loi, de représailles en représailles, l’évolution politique s’accomplit, jusqu’à la sécularisation complète de l’État.

Parallèlement à l’évolution politique se poursuit l’évolution sociale. Elle est plus lente dans les lois ; les intérêts offrent plus de résistance que les principes ; la propriété compte plus de défenseurs que la liberté ; la majorité radicale, très bourgeoise, est plus conservatrice que beaucoup de conservateurs ; presque tous les députés socialistes ajournent leur programme, qui les rejetterait dans l’isolement, la théorie et l’opposition, alors qu’à prendre la tête du mouvement contre les partis d’Église, ils sont ou paraissent les maîtres du pouvoir et participent largement à ses avantages. — Pourtant, Waldeck-Rousseau, chez qui là préoccupation des questions ouvrières est héréditaire, Millerand, qu’il a près de lui, comme le symbole de l’alliance que travailleurs manuels et travailleurs de la pensée ont conclue, un jour, dans un commun élan vers la justice, réalisent des réformes partielles (décrets sur les conditions et accidents du travail, protection efficace du travail des femmes et des enfants, réduction de la journée de travail à dix heures pour plus d’un million d’ouvriers), en préparent d’autres[154]. Les universités populaires naissent du rapprochement qui s’est opéré pendant l’Affaire entre la bourgeoisie libérale et la classe ouvrière ; les délégués de la bourgeoisie, « aimant la liberté pour elle-même, non pour ses profits », les intellectuels, heureux et fiers de collaborer à l’émancipation des travailleurs, s’en vont vers les ouvriers, leur apportent les démonstrations scientifiques, philosophiques, se persuadent qu’ils vont aider ainsi à la fusion des classes, à supposer qu’il y ait des classes[155]. Nobles et intelligents efforts vers la paix sociale, vers la fin d’une lutte aussi périlleuse pour ceux qui possèdent que pour ceux qui veulent posséder ; tentatives qui resteront un titre d’honneur pour ceux qui les ont essayées, que l’expérience, trop courte, n’a pas condamnées, qui ont échoué momentanément, pour d’autres causes, par la faute surtout des socialistes parlementaires. En effet, ils ont pensé contenter le peuple en lui jetant tous les matins, comme les Césars d’autrefois le pain et les jeux de cirque, des moines et des prêtres ; loin de le satisfaire, ils l’ont déçu à la fois dans son besoin de bien-être et dans sa soif d’idéal ; finalement, ils ont eux-mêmes renvoyé les masses laborieuses vers les prédicants de la violence, le syndicalisme, les bourses et la Confédération du travail. « Il y a, dans le socialisme français, deux courants : le réformiste et le révolutionnaire ; donc, deux méthodes : la pénétration et l’opposition, brutale et violente[156]. » Jaurès, qui figure le socialisme réformiste, par ses habitudes d’esprit, sa haute culture, ses accès d’intelligence politique, alimente le socialisme révolutionnaire en attendant qu’il capitule devant lui. Pour combattre Guesde, rival surtout personnel, âpre et dur, mais logique et probe, il lance Briand, avocat qui, quelque dossier qu’on lui remette, le plaide à merveille, mais encore à la recherche de lui-même et sans philosophie. La panacée de Briand, sa menace, qui, de son propre aveu[157], n’est qu’une manœuvre, c’est la grève générale, qui « mettra debout, en face du patronat, le prolétariat tout entier » et sera l’instrument, « le moyen de la Révolution[158] ». Ainsi, peu à peu, le parti ouvrier retourne à la force, à l’action directe, à la lutte des classes, à la guerre contre le capital ; « prisonnier lui-même des anarchistes », il s’irrite « du jacobinisme que le gouvernement oppose à la démagogie », rouvre l’oreille « aux curés de la sociale qui promettent le paradis à leurs ouailles » et, « au lieu d’épouser la vie », formulent des dogmes[159].

Ce socialisme révolutionnaire, s’exaspérant de jour en jour, ne peut manquer de s’appuyer sur l’anti-militarisme et sur l’anti-patriotisme, mots barbares, doctrines grossières qui traduisent moins cette haine de la guerre, « qui fut toujours au cœur de l’élite de l’humanité[160] », que la répugnance au devoir, qui incombe, dans la société moderne, à chaque citoyen, tenu de la dette envers l’armée, et la peur, la basse peur physique de risquer sa peau. La longue obstination de l’État-major contre la vérité, les crimes de quelques soldats, les généralisations des Gohier et des Hervé, rattachent à l’Affaire ces sophismes, imbéciles ou scélérats, où Jaurès ne voit « un objet de scandale que pour les esprits faibles[161] ». Dans l’avant-garde du socialisme internationaliste, l’âme même de la patrie a péri. Hervé écrit : « Les patries actuelles ne sont pas pour nous des mères, mais des marâtres, d’ignobles mégères que nous détestons… Il nous est parfaitement indifférent d’être Français ou Allemand… Les guerres civiles sont les seules guerres où les peuples aient quelque chose à gagner. Toute guerre est criminelle ; à l’ordre de mobilisation, vous répondrez par la grève immédiate et par l’insurrection… Marcherez-vous pour défendre la frontière du capital, le patrimoine des riches ? Vous ne devez à la patrie ni dévouement ni obéissance. » Nécessairement, en cas de grève, de conflit entre les ouvriers et la troupe, les soldats refuseront de « décharger leurs fusils » ; « ils ne tireront pas sur les camarades, mais sur les soudards galonnés qui oseront leur donner de pareils ordres[162] ». L’impudente propagande sévit dans les écoles, chez les instituteurs, pénètre aux casernes. Mais tous les républicains se jettent au travers, radicaux comme modérés ; sauf Jaurès, tous les promoteurs de la Revision, surtout Clemenceau et moi ; la majorité des socialistes s’effraye d’avoir attisé le feu. Briand, hier, défendait Hervé devant le conseil supérieur de l’Instruction publique, approuvait « les jeunes militants de s’employer à faire comprendre à l’ouvrier qui va quitter l’atelier, au paysan qui va déserter les champs pour aller à la caserne, qu’il y a des devoirs supérieurs à ceux que la discipline voudrait lui imposer… » « Si », en temps de grève, « l’ordre de tirer était donné, persistait, les fusils pourraient partir, mais ce ne serait peut-être pas dans la direction indiquée[163]. » Aujourd’hui, Briand, averti, condamne de toutes ses forces éloquentes Hervé, les idées qui conduiraient à « ce crime monstrueux : laisser écraser, anéantir, seulement affaiblir le pays, berceau de la Révolution, où sont nées toutes les libertés[164] ». — Ni l’armée ne peut cohabiter impunément avec l’injustice, ni la justice avec l’anarchie. Toutes deux ont commis ces fautes. L’armée se dissoudrait, le corps social tomberait en désagrégation, s’ils n’expulsaient l’un et l’autre les poisons variés qui les ont pénétrés et qui sont également mortels. À cette condition seulement la société politique redeviendra organisée, ordonnée, et l’armée saine et forte.

Quelques mois après le procès de Rennes, Zola reçut d’un groupe d’admirateurs une médaille commémorative de sa fameuse lettre ; il leur dit, à propos de l’amnistie : « Je ne chante pas d’avoir été vainqueur ; Dreyfus est libre, mais notre France reste malade[165]. »

De quelle maladie ? Du mal profond de ce peuple, de la vieille habitude, monarchique, napoléonienne, de subordonner la justice à la politique, le droit à l’intérêt, c’est-à-dire, en fin de compte, à la force.

De cette maladie, la France pouvait-elle guérir en quelques mois, en quelques années ? Nul progrès plus lent que celui des mœurs, surtout des mœurs politiques. À quelque pays qu’ils appartiennent et à toutes les époques, les hommes qui ont été les témoins ou même les acteurs d’un de ces grands événements d’où sortent les révolutions morales, n’opèrent point cette révolution, ne la voient pas se réaliser en eux. L’événement les a ébranlés, mais comme une balle qui frappe sur une cuirasse et ne pénètre point dans la chair. Si le progrès s’accomplit, ce sera par la génération qui suivra, qui n’a point eu le choc direct de l’événement historique, qu’il soit politique ou religieux, mais qui, naissant à la vie dans une atmosphère modifiée par ce déplacement d’impondérables sans lequel on ne peut rien, voit et sent toute chose autrement que ses pères. Sa mentalité n’est pas la même ; ces hommes nouveaux sont nés dans un autre climat intellectuel et moral.

Il y avait donc chez Zola quelque naïveté à s’étonner que la France ne fût pas déjà guérie, alors que la tragédie n’était même pas achevée ; et la tragédie achevée, la France ne sera pas encore guérie. La nécessaire, l’indispensable laïcisation de l’État ne s’est point accomplie dans le respect scrupuleux du droit, le retour de l’armée à l’ordre républicain ne s’est point opéré par la lente et sûre application d’une règle équitable ; qu’elle sorte de la justice ou de l’injustice, la force se grise d’elle-même ; le nombre oublie qu’il fut la minorité hier, se refuse à croire qu’il pourra être la minorité demain, et il lui suffit qu’il soit le nombre. Cependant le progrès moral s’accomplit, tout comme le progrès politique et le progrès social. Rien que de constater qu’il est lent à venir et d’en souffrir, c’est un progrès. Tant de luttes, de déchirements tragiques, de douleurs, d’héroïsmes et même de crimes, n’ont pas été inutiles. Ni sur les champs de bataille où se heurtent les armées, ni dans les arènes où se mêlent les partis politiques, ni dans les sphères où se rencontrent les idées, il n’y a jamais de victoire ni de défaite complète. Elle aussi, cette victoire de la Justice dans la cause de ce petit capitaine juif, ne sera pas complète. Mais pourtant ce sera la victoire, la plus belle victoire que la France ait remportée sur elle-même, et il n’y en a de telles dans l’histoire d’aucun autre peuple.

IV

Les trois chambres de la Cour de cassation se réunirent en audience solennelle le 18 juin[166].

Il y avait déjà plusieurs mois que Mornard avait achevé son mémoire, Baudouin son réquisitoire écrit[167], Moras son rapport[168], et que le premier président Ballot-Beaupré eût pu procéder aux débats. Mais il avait paru sage à Rouvier d’abord, puis à Sarrien, de les ajourner après les élections. S’ils ne doutaient pas que la requête de Dreyfus serait accueillie, ils étaient fort incertains si la Cour casserait sans renvoi, comme le lui demandaient le Procureur général et Mornard, ou si, renonçant par quelque scrupule juridique à dire le dernier mot sur l’affaire, elle renverrait Dreyfus devant un troisième conseil de guerre, comme c’était le sentiment de Moras[169]. Or, certainement, si la Cour admet les conclusions de Mornard, fait droit aux réquisitions de Baudouin et proclame l’innocence de Dreyfus, son arrêt, à la veille des élections, tombera lourdement sur les partis de réaction, puisqu’ils s’obstinent, après douze années écoulées comme au premier jour, dans l’injustice. Mais, non moins certainement, si les Chambres réunies refusent de statuer au fond, à regret, parce qu’elles ne s’en reconnaîtraient pas le droit, aussitôt cléricaux et césariens se reprendront à l’espoir d’une troisième condamnation militaire et, du coup, tel un nuage que ramène un vent de tempête, l’Affaire envahira à nouveau la politique. Déjà la lutte est dure ; beaucoup s’en inquiètent. Le suffrage universel a-t-il marché du même pas que le temps ? Quelle sera, sur cette grande masse, dont nulle astronomie ne peut calculer le flux et le reflux, la répercussion de tant d’événements qui ont mis aux prises tant de passions ? Ainsi la prudence commande de ne pas compliquer d’un tel risque une telle bataille et, encore une fois, de faire attendre la justice[170].

Dreyfus accepta ce nouveau retard avec son ordinaire patience ; Picquart en fit voir de la mauvaise humeur, s’en prenant un peu à tout le monde, et d’abord à ceux des anciens soldats de la revision « qui ne tenaient plus beaucoup à se battre, parce qu’ils s’étaient mis à ramasser le butin[171] ».

Pour Clemenceau, depuis qu’il était ministre, il avait cessé de penser que les Chambres réunies, si elles cassaient sans renvoi, « desserviraient l’intérêt public[172] » ; il n’aurait rien tant redouté, pour le gouvernement dont il faisait partie, qu’« une nouvelle édition » du procès de Rennes.

Il était monté alertement au pouvoir, revenant de loin, d’autant plus décidé à marquer sa trace, à agir, et il mena vivement la campagne électorale, « tenant la ligne droite entre ces deux aberrations », la révolution et la réaction[173], et, mieux encore, donnant la sensation du mouvement et de la vie. Contre les catholiques criant à la persécution, les faits parlèrent, les églises ouvertes, les offices toujours célébrés, les curés encore pensionnés. Une fois de plus, les partis d’opposition furent battus, les royalistes gardant à peu près leurs positions, mais les « progressistes » décimés et les nationalistes écrasés, pendant que les « revisionnistes » les plus notoires étaient élus ou réélus[174]. Je fus nommé à Digne. La Droite et le Centre perdaient plus de cinquante sièges[175].

Maintenant que la victoire républicaine était gagnée, l’heure de la justice pouvait enfin sonner. Bien que les conseillers fussent restés impénétrables, le bruit se répandit qu’il y avait une majorité pour statuer au fond et proclamer l’innocence.

Déroulède, le vieux Quesnay, Drumont lui-même y étaient résignés, renonçaient à disputer, presque à injurier. Le seul homme qui aurait tenu jusqu’au bout, réclamé jusqu’au bout contre la justice civile, Cavaignac, était mort[176].

Le temps avait si bien accompli son œuvre, un tel apaisement, voisin de l’oubli, était tombé sur la tumultueuse affaire, que ces audiences publiques des Chambres réunies, envahies sept ans auparavant par une foule haletante, ne furent suivies que par la famille de Dreyfus et un petit nombre d’anciens militants et d’avocats. Nulle précaution de police ; aux abords, dans les galeries du Palais, le calme des jours ordinaires.

Mais où le temps n’avait point réussi, c’était à effacer, même dans ces heures de la commune victoire, les divisions entre les principaux artisans de la revision. Mathieu Dreyfus, dès qu’il aperçut Picquart à l’audience, alla vers lui ; Picquart lui fit signe de la main qu’il n’eût pas à l’aborder ; Mme Zola, témoin de la scène, en eut les larmes aux yeux. Mathieu dit simplement : « Il a tous les droits et j’ai tous les devoirs. »

La destinée avait porté Picquart plus haut que sa taille ; Mathieu avait l’âme plus haute que sa destinée.

Demange prit place à côté de Mornard ; Labori, cette fois, s’abstint. Boyer, le rapporteur de 1903, et Chambareaud étaient morts[177]. Le président de la Chambre des requêtes était toujours Tanon ; la présidence de la Chambre criminelle avait passé à Bard, le rapporteur de 1898 ; celle de la Chambre civile à Sarrut, avocat général, qui avait guidé autrefois Scheurer de ses conseils[178].

Tous les membres de la Cour avaient reçu le compte rendu sténographique des dépositions devant la Chambre criminelle et les commissions spéciales[179] ; ils avaient également le réquisitoire écrit de Baudouin et le mémoire de Mornard, construits sur des plans à peu près semblables, d’une égale science juridique, d’une argumentation incisive, mais qui, parfois, voulaient trop prouver et mêlaient, à tant de réalités qui suffisaient, d’inutiles hypothèses. Ainsi, Baudouin ne repoussait pas comme absurde, jugeait au contraire fort acceptable l’impudente invention d’Esterhazy que Sandherr, enragé d’antisémitisme, déjà à demi fou, lui avait fait écrire le bordereau afin de fournir par la similitude d’écriture une preuve matérielle contre le juif[180] ; et Mornard, qui n’acceptait pas toute la fable d’Esterhazy, en tirait cependant qu’il avait joué le rôle d’espion double, avec l’assentiment, sinon de Sandherr, du moins d’Henry ; qu’Henry et Esterhazy fournissaient Schwarzkoppen de documents sans valeur ou frelatés, dupant le Prussien et se partageant son argent ; et que le bordereau n’était pas arrivé à Henry, mais à Sandherr[181]. D’où cette conclusion commune, malgré leur désaccord sur le rôle d’Esterhazy (complice, selon Baudouin, d’une machination antisémite, agent de contre-espionnage, selon Mornard), que toute l’Affaire n’a été « qu’une immense mystification » ; c’était le mot de Dupuy à l’enquête de 1899[182]. — La trahison a été fictive, que le bordereau ait été ou non accompagné des documents qu’il annonçait ; en fait, en droit, ni crime ni délit.

C’était l’un des dangers de l’étude, la captivante, la passionnante étude de l’Affaire. Parce qu’elle était extraordinaire, on la voulait plus extraordinaire encore ; il n’y avait que les explications compliquées qui séduisissent ; on ajoutait au drame ; les choses claires, simples, brutales, on les faisait mystérieuses et confuses. Quand s’évanouissaient, s’en allaient en fumée les « dames voilées » et les « Syndicats de trahison », c’étaient les partisans de Dreyfus qui inventaient des assassins masqués, Henry assassin de Lemercier-Picard, Gonse assassin d’Henry, Mercier assassin de Labori. Maintenant, Baudouin, Mornard lui-même, imaginaient Esterhazy contre-espion avec Henry ou porte-plume de Sandherr, ou acceptaient que Sandherr, tout en restant « honnête homme[183] », eût été l’auteur principal d’une machination de mélodrame. Pour résister à la tentation, il fallait, comme Ulysse au mât, s’attacher aux faits.

C’est ce que fit Moras[184]. Il déblaye d’abord le terrain des hypothèses de Mornard et de Baudouin, sans autres assises que le dernier roman d’Esterhazy, la dernière invention, en contradiction avec ses précédentes menteries, du misérable aux abois et, aussi, à l’abri ; puis il revient à l’interprétation simple, celle qui résulte de tous les faits et de tous les témoignages autres que celui du traître lui-même, à la vieille question également simple : « L’envoi du bordereau constitue en soi un crime ; est-il prouvé que Dreyfus en soit l’auteur ? » Car tout le procès est là ; l’unique charge du début est redevenue, de l’aveu même de Mercier, l’unique charge de la fin. Aussi bien n’est-ce point l’affaire de Dreyfus que le rapporteur a charge d’élucider, mais le cas de Dreyfus, l’aventure de l’homme à travers tant d’événements dont le malheureux ne fut que l’occasion ou le prétexte.

Il procède à l’examen du procès de Rennes, « comme si la procédure avait été régulière ». La loi y fut méconnue ; « ces violations de la loi auraient peut-être pu servir de base à une demande d’annulation ; mais ce recours n’a pas été exercé[185] ».

Ceux qui connaissaient le mieux cette douloureuse histoire ne la virent pas, en écoutant Moras ou en le lisant, sous une lumière nouvelle, mais dans une clarté plus vive qui en détachait avec un singulier relief les contours et les détails. Il la raconte avec une loyauté, une probité d’esprit parfaites, discute les témoignages comme c’est son droit et son devoir, mais laisse parler les documents, ne les sollicite pas, n’écarte aucun fait, fût-il en apparence insignifiant, qui peut devenir un clément utile d’appréciation, et chaque fait est dix fois contrôlé, à toutes les sources, maintenant abondantes, presque trop nombreuses, de la vérité judiciaire. Il a pris pour modèle, et n’en pouvait choisir de meilleur, Ballot-Beaupré, se couvre souvent de son autorité, s’astreint, comme lui, à ne pas laisser deviner son sentiment intime, avant que l’auditeur ou le lecteur de bonne foi ne soit arrivé par l’exposé des faits à la même conclusion, marche à travers les textes de droit et les versions contradictoires du même pas précis, continu, lent, parfois un peu lourd, et le suit jusque dans ses artifices. Ainsi, après avoir exposé avec une minutieuse exactitude les systèmes du procureur général et de Mornard sur la cassation sans renvoi, il recherche, avec le même scrupule, les arguments que pourrait faire valoir l’avocat de la partie adverse, s’il y en avait dans l’instance[186]. Il veut être impartial, objectif, et il l’est, toujours comme Ballot-Beaupré, dans la forme comme au fond, dans l’allure calme, pacifique du récit, la belle simplicité d’un style sans épithètes, sans surcharges. Et s’il ne trouve pas l’équivalent du cri fameux, si puissant par la conviction, longtemps comprimée, qui éclate, et par le contraste avec le reste du discours : « En mon âme et conscience, le bordereau est d’Esterhazy ! » — c’est qu’un pareil cri ne se pousse qu’une fois, ne retentit qu’une fois ; les échos fatigués ne le répétaient plus.

Regret commun à beaucoup de tard venus dans l’Affaire que ceux qui les y ont précédés aient dit avant eux ce qu’ils aimeraient à dire, qu’ils aient eu, avant eux, leurs colères et leurs pitiés.

Autre cause d’infériorité pour les orateurs de 1906 : la médiocrité, au moins relative (beaucoup plus apparente que réelle), des faits nouveaux, au sens précis de la loi, treize selon Mornard, six selon Baudouin, trois seulement selon Moras, qui ont été découverts au cours de l’enquête d’André[187]. La vérité que l’écriture du bordereau, les Lettres d’un Innocent, l’infamie avérée d’Esterhazy, les gros faux et les machinations d’Henry, n’ont pas fait éclater aux yeux des juges de Rennes, qui n’a point rayonné pour eux de ces grandes preuves matérielles et morales, va-t-elle sortir à présent de la minute retrouvée du commandant Bayle, d’une fausse date sur la pièce des « chemins de fer » et de l’initiale D substituée à l’initiale P sur une lettre de Panizzardi ? Les juges de Rennes ont-ils condamné à cause de cette pièce disparue ou cachée et de ces deux autres pièces frelatées ? Si ces fraudes n’avaient point été commises, auraient-ils acquitté[188] ? Nulle base plus mince, semble-t-il, pour l’arrêt historique qui va être rendu. — Seulement, cette opinion, accréditée par les adversaires impénitents de la revision, assez généralement répandue, repose sur une erreur de droit. Car le fait nouveau, pour petit soit-il, n’est que la clef qui ouvre la revision, parce que c’est une des plus nobles fictions de la loi que, si une parcelle de vérité a été caché à un seul juge par le nuage d’un mensonge, alors que tout le reste de la vérité étincelait devant lui, cette seule parcelle suffit à infirmer la sentence. La revision une fois ouverte, aucun élément de vérité n’est périmé ou prescrit, la cause tout entière appartient aux nouveaux juges.

Ainsi Moras, et, après lui, Baudouin, puis Mornard, poursuivent deux opérations distinctes. Ils prennent les « faits nouveaux » et, quand ils ont montré que le conseil de guerre les a, en effet, ignorés et que, s’il lui fut menti, si les généraux ont fait usage de deux de ces pièces, si Mercier en a jugé l’une assez importante pour l’introduire rétroactivement au dossier secret de 1894, avant qu’elle ne fût écrite, si l’autre a paru à tel point décisive à Cavaignac qu’il la porta, avec son fameux discours, à la tribune de la Chambre, apparemment le tribunal militaire en a tenu compte : la revision s’impose. Ils prennent une à une toutes les charges successives et, parfois, contradictoires qui ont été alléguées contre Dreyfus, écriture naturelle du bordereau et écriture sur « gabarit », « soupçons nés de l’accusation », rapports de Guénée, « déductions de l’esprit » de Du Paty ou de Mercier, « conjectures » de Gonse ou de Cuignet, faux d’Henry, faux témoignages de Cernuski ou de Rollin, lettres ou notes de l’Empereur allemand, folies frauduleuses de Bertillon ou de Valério, — et, quand rien n’en reste, Dreyfus est innocent.

Grand contraste entre l’esprit prudent, la prose pondérée de Moras, et la pensée bouillonnante, l’éloquence irritée de Baudouin. Mais leurs rôles, tels que la loi elle-même les a tracés, sont aussi différents que les tempéraments qu’ils ont reçus de la nature ; et chacun, demeurant dans son caractère, reste dans son rôle.

Un réquisitoire n’est pas une catilinaire ou une philippique ; il n’est pas davantage un rapport, un simple exposé des faits. Le Procureur général n’est pas un juge ; il est l’avocat de la loi. Moras, assis, a lu d’une voix toujours égale son historique toujours équitable. Baudouin, debout, parle d’abondance, pendant huit audiences[189], infatigable, d’une voix toujours forte et pleine, pressant, tordant les arguments, évoquant les hommes, d’une verve qui ne tarit point, en bataille, en colère, retroussant ses manches, frappant parfois trop dur et, ce qui est plus grave, à côté, insoucieux de l’élégance, prenant les mots tels qu’ils lui viennent, les adjectifs usés qui ont perdu toute saveur, mais toujours vigoureux et sain, réconfortant, dédaigneux des haines, s’il s’inquiète trop des injures, et, s’il ne contente pas toujours la raison, soulageant les consciences.

Ayant cru Dreyfus coupable jusqu’à l’heure où il a ouvert le dossier, avec la certitude d’y trouver la preuve du crime, Baudouin n’est pas de ces néophytes grossiers qui font dater du jour où ils se sont convertis la mauvaise foi certaine et la corruption de cœur de leurs coreligionnaires d’hier ; mais il en veut, comme d’un crime de plus, à Mercier et aux associés de Mercier de l’avoir, si longtemps, abusé et trompé par tant « d’ignominies[190] » et de faux. Or, c’est l’état d’esprit de tous les détrompés, d’année en année plus nombreux ; la vérité, presque à leur insu, s’est infiltrée en eux ; leur cerveau s’est guéri du mensonge, insensiblement, dans une atmosphère plus calme, comme un organisme ravagé reprend la santé et la force dans un air plus tiède et plus pur ; d’autres encore se sont persuadés de l’innocence du capitaine juif, depuis que la roue de la fortune a tourné et qu’ils ont vu les promoteurs de la revision, l’un après l’autre, rentrer dans les assemblées, monter au pouvoir et aux honneurs. Brisson à nouveau président de la Chambre, Clemenceau ministre, sont des arguments qui valent les appels de Duclaux à la raison ou de Zola à la pitié.

Baudouin, avec son argumentation passionnée, son manque d’indulgence, sa haine récente, toute fraîche, est la voix de ces retardataires qui se pressent, de cette immense arrière-garde qui rejoint la petite armée victorieuse.

Il a persisté dans son paradoxe du bordereau « par ordre », de la trahison fictive, d’ailleurs pour se contredire ensuite et se réfuter lui-même. Il montre, en effet, Esterhazy dans son emploi d’espion actif ; Lajoux et Cuers l’ont signalé ; dès que paraît le fac-similé de la lettre qui lui aurait été dictée par Sandherr, le misérable s’affole ; dès que Scheurer-Kestner menace Billot, il supplie Schwarzkoppen d’intervenir, d’affirmer à Mme Dreyfus la culpabilité de son mari, sinon il se brûlera sur place la cervelle[191]. Mais presque tout le reste du réquisitoire est solide, bâti de bons matériaux, d’une certitude parfois excessive, mais fortement cimentée. Baudouin a saisi Mercier, Gonse, Cuignet, d’une poigne de paysan, qui ne lâche pas ; il perce à jour Du Paty et Bertillon, déshonore définitivement le lot de comparses, officiers ou journalistes, qui vont au devant des basses complaisances et tiennent toujours un mensonge tout prêt. S’il se dégage du procès Dautriche[192], il refuse de dire avec Moras[193] que le faux témoignage de Cernuski n’a pas été machiné au bureau des Renseignements, et, sans tout accepter de Przyborowski et des Wessel, croit, avec Voltaire, que « l’infamie même n’empêche pas qu’on ait pu bien voir et bien entendre[194] »

Son tort le plus sérieux fut envers le colonel Guérin qu’il accusa de déloyauté sans assez de réflexion, puis, par entêtement, refusant de se dédire[195]. — Guérin, ayant été chargé par Saussier d’assister à la dégradation de Dreyfus, lui avait télégraphié, la parade sitôt terminée : « Dreyfus a protesté de son innocence et crié : Vive la France ! Pas d’autre incident… » Il lui avait rendu compte ensuite, verbalement, des prétendus aveux dont il tenait le récit de Lebrun-Renaud. Baudouin n’acceptait pas que la dépêche pût avoir trait seulement à la cérémonie de la parade, où il ne s’était, en effet, point produit d’autre incident que la protestation de Dreyfus, exactement relatée par l’officier ; il l’appliquait à toute la tragique matinée et en concluait que Guérin n’avait point cru tout d’abord à la réalité de l’aveu. Il n’y avait pourtant rien de singulier à ce que Guérin eût réservé pour sa conversation avec Saussier le récit de Lebrun-Renaud, et rien d’étonnant qu’il n’eût pas attaché sur le moment aux aveux l’importance qu’il y attribua par la suite ; la culpabilité de Dreyfus ne faisait doute alors pour à peu près personne ; les quelques hommes qui s’en inquiétaient n’appuyaient leur intuition que sur des preuves morales et la parole de Demange. Baudouin tenait en outre « la découverte de ce lamentable télégramme » pour un fait nouveau[196], bien que Guérin eût mentionné sa dépêche dans sa déposition de Rennes et qu’il en eût limité le sens, dès qu’il avait su l’accusation portée contre lui au cours de l’Enquête[197]. Guérin, que je ne connaissais point, mais qui me croyait équitable, était venu alors me trouver. Les commentaires de Targe sur sa dépêche, le réquisitoire écrit de Baudouin, lui avaient valu de tomber en disgrâce, arrêtaient sa nomination au grade de général, malgré les plus beaux états de service. Ayant eu l’idée de lui demander comment Saussier avait accueilli le rapport qu’il lui avait fait des propos de Lebrun-Renaud, il me répondit aussitôt que le général observa que les aveux concordaient mal avec l’obstiné cri d’innocence de Dreyfus[198] ; puis, comme je lui reprochais de n’avoir pas fait connaître cette remarque de Saussier, quand il avait déposé à Rennes, il me dit d’abord que la question ne lui avait pas été posée, ce qui était vrai, et, enfin, comme je le pressais, que Saussier l’avait prié de ne pas le mettre en cause. Je lui déclarai qu’il était de son devoir de faire connaître à la Cour de cassation cet incident dont il avait eu le tort de se taire ; il comprit qu’il le devait pour son honneur et en écrivit en conséquence à Baudouin[199]. Mais celui-ci, ayant son siège fait, retourna la lettre contre Guérin, l’accusant de bassesse : il l’avait seulement écrite « parce que le vent semblait avoir tourné[200] ». Moras, au contraire, mit hors de doute la loyauté du vieux soldat[201].

  1. André, Cinq ans de Ministère, 325 : « On disait volontiers autour de moi : Il est heureux que nous soyons là pour pousser le patron ; sans nous, il ne marcherait guère. »
  2. Voir p. 254.
  3. Il fallut qu’Auffray, avocat de l’archiviste, saisit l’opinion par une lettre à Drumont et que j’écrivisse directement à André que « ni la justice ni la pitié humaine n’ont deux poids ni deux mesures », qu’il s’agît de Mme Dautriche ou de Mme Dreyfus. (11 juin 1904). Il me fit répondre, le 17, par un de ses officiers : « Le ministre a pris votre demande en considération et a invité le gouverneur de Paris à donner, si aucun motif ne s’y opposait, l’ordre de laisser Mme Dautriche approcher de son mari. »
  4. Dessirier, à qui la requête des officiers était adressée, demanda « l’avis du ministre de la Guerre ». Il rappelle, dans sa lettre, que le Code de justice militaire est muet sur la liberté provisoire, mais fait valoir qu’André lui-même l’a inscrite dans le projet d’un nouveau Code déposé depuis deux ans (17 octobre 1902), que l’instruction se prolongera longtemps et que la détention préventive « constitue une aggravation inutile du traitement infligé aux quatre officiers ». (Lettre du 25 juillet 1904.) Ne recevant aucune réponse, même verbale, le gouverneur interpréta le silence du ministre comme l’autorisation pour lui « d’agir sous sa responsabilité » et ordonna la mise en liberté provisoire (29 juillet).
  5. Lettres d’André, du 1er août 1904, au ministre de la Justice et au gouverneur de Paris ; de Vallé, du 5 août 1904 ; d’André, du 9 août ; de Vallé, du 11.
  6. Lettre de Dessirier, du 10 novembre 1904, à André (Revision, II, 141).
  7. >Lettre d’André, du 15 novembre 1904, à Dessirier.
  8. >Lettre d’Étienne, du 15 mars 1906, à Baudouin.
  9. >Voir p. 365.
  10. Voir t. V, 471. — « N’ayant pu atteindre la preuve mathématique, on ne saurait évidemment fixer le détail des dépenses qu’aurait occasionnées chacune des affaires Bastian, Brücker, Cernuski. » (Procès Dautriche, 35, rapport Cassel.)
  11. « Quand le commandant Targe lançait la Cour de cassation sur la piste d’Austerlitz, en affirmant, le 19 mars 1904, s’être fait présenter les documents d’un dossier qu’à l’audience du huis clos, en fin des débats (du procès Dautriche), il avouait n’avoir pas vu, quelle qualification peut mériter cette… légèreté de parole ? » (Auffray, L’Affaire Dautriche, 46.) — « Ce que le commandant Targe n’avait pas vu, c’est le dossier de la correspondance d’Austerlitz et c’est ainsi qu’il a déclaré, en effet, qu’il ne l’avait jamais vu. La confusion manifeste que Me Auffray commet entre les documents appréciés par le commandant Targe devant la Cour de cassation et le dossier de la correspondance d’Austerlitz produit à l’audience du conseil de guerre, permet de juger l’injustice du reproche formulé dans la brochure en question. » (Lettre du ministre de la Guerre, du 25 mars 1906, au Procureur général Baudouin.)
  12. Le chiffre de 60.000 francs donna lieu à de longues et fastidieuses discussions. Mareschal et ses co-inculpés lisaient ce chiffre sur deux lettres d’Austerlitz antérieures à l’entrevue de Zurich et relatives à la fourniture que l’Allemand promettait d’y apporter. (Voir t. V, 464.) Cassel, lui aussi, avait commencé par lire 60.000 ; mais le traducteur juré, le commandant Pierra, professeur d’allemand à l’École de guerre, lisait 10.000, et Cassel se laissa convaincre. (Procès Dautriche, 473, Pierra.) Or, Austerlitz avait bien écrit 60.000, comme Pierra finit par le reconnaître, mais seulement à l’audience.
  13. 22 septembre 1904. (Avis et rapport du capitaine Cassel, Procès Dautriche, 13 à 36, et conclusions, du lieutenant-colonel Rabier, Ibid, 36 à 43.)
  14. 8 octobre 1904. — L’ordre de jugement porte « qu’il y a prévention suffisamment établie » contre Dautriche d’avoir altéré ses écritures et contre Rollin, François et Mareschal « d’avoir frauduleusement soustrait une somme d’environ 20.000 francs appartenant à l’État ». (Procès Dautriche, 6.)
  15. 25 octobre au 7 novembre 1904.
  16. Procès Dautriche, 8, Rabier.
  17. Ibid., 15, le général Bertin, président : « Hier (à la première audience), vous n’avez pas dit la même chose, vous rejetiez toute responsabilité. » Réponse de Dautriche : « Je confondais, j’étais un peu troublé. »
  18. Voir p. 367.
  19. Procès Dautriche, 198 et 199.
  20. Ibid., 284, Targe — Voir p. 93.
  21. Ibid., 509, Cavard.
  22. Ibid., 563, Tomps.
  23. Procès Dautriche, 410, Delanne.
  24. Ibid., 425 et 426, de Lacroix. — Voir p. 369.
  25. Ibid., 618, 619, 638, 658.
  26. Lettre de François, du 28 avril 1900, à Lætitia T… Voir p. 92.
  27. Auffray et Louis Rollin pour Dautriche, Alpy et Colin de Verdière pour Rollin, Henri Bonnet et Gaston Lacoin pour Mareschal, Chenu et Bazile pour François.
  28. « Je me vois encore tout enfiévré de l’attente… » (Auffray, Affaire Dautriche, 14).
  29. Voir p. 402.
  30. 7 novembre 1904, dixième audience.
  31. Voir p. 370.
  32. Procès Dautriche, 691, Rabier : « Messieurs les membres du conseil, l’information dirigée contre M. le lieutenant-colonel Rollin, MM. les capitaines François et Mareschal avait été décidée après l’audition de MM. les généraux Delanne et de Lacroix. Ces officiers généraux ayant, dans leurs dépositions à l’audience, modifié sensiblement dans un sens favorable aux accusés, celles qu’ils avaient faites à l’instruction, je suis autorisé par l’autorité supérieure à abandonner l’accusation. Il est bien entendu que, dans ma pensée, la même mesure s’applique à M. Dautriche, dont la culpabilité serait liée à celle des autres officiers. »
  33. Voir p. 384.
  34. La démission d’André (15 novembre 1904) suivit de quelques jours la fin du procès Dautriche (7 novembre). Delanne et de Lacroix protestèrent alors auprès du successeur d’André contre les assertions du commissaire du gouvernement à leur endroit Delanne écrivit à Berteaux : « À l’audience, au cours de ma déposition orale, il a été donné lecture de ma déposition écrite devant le capitaine rapporteur ; la comparaison des textes de ces deux dépositions fait nettement ressortir leur similitude, quant au sens même de mes déclarations. Si les termes employés ne sont pas rigoureusement les mêmes, on ne saurait s’en étonner, si l’on veut bien considérer que l’un de ces documents a été rédigé, à tête reposée, dans le cabinet du capitaine rapporteur, tandis que l’autre est constitué par des réponses verbales. »
  35. Procès Dautriche, 692, Bertin.
  36. Ibid., 696 à 698 ; Auffray, loc. cit., 18.
  37. Gribelin et Dautriche furent déplacés peu après (à l’État-Major du commandant de la place forte et du port de Brest et à l’État-Major du 7e corps). Gribelin prit sa retraite. Rollin fut mis à la retraite d’office, après l’arrêt de Revision, en raison de son témoignage de Rennes (1er septembre 1906).
  38. Action du 3 juillet 1904 : « Telle est la fable que nous servent les feuilles des faussaires. » De même le Radical, l’Humanité, la Petite République, etc.
  39. Lettres du 23 mai et du 8 juin 1904. (Chambre des députés séance du 5 juillet.)
  40. Lettre du 18 juin 1904 au commandant du XIe corps d’armée. (même séance.). — Clemenceau : « L’idée saugrenue s’est présentée à lui… » (Aurore du 10 juillet 1904.) Je protestai également dans le Siècle contre la décision d’André.
  41. Chambre des Députés, séance du 5 juillet 1904, discours d’André.
  42. « Le cas de Cuignet ne relève pas plus de la psycho-pathologie que celui de son ministre. » (Clemenceau, dans l’Aurore du 10 juillet 1904.)
  43. 5 juillet 1904. — Lasies donna également lecture d’une lettre particulière de Cuignet sur la prétendue falsification du dossier secret. (Voir p. 312.)
  44. « Cela vaut mieux que d’envoyer des innocents au conseil de guerre. » (Henry Bagnol.) « Mais s’il est malade ! » (Pressensé.) « Il nous embête, le commandant Cuignet ! » (Derveloy.) Interruptions analogues de Breton, Gérault-Richard, Zévaès, etc.
  45. 6 juillet 1904.
  46. 8 juillet.
  47. La discussion d’une interpellation de Montebello sur le nouvel acte d’arbitraire d’André fut ajournée, à la rentrée d’octobre, par 305 voix contre 270. Lasies réclama alors, mais sans l’obtenir, la discussion immédiate du rapport de la commission des pétitions (25 octobre 1904). Les rapports médicaux ne furent communiqués à Cuignet qu’après la chute d’André.
  48. Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel, par le commandant (depuis général) Lyautey, dans la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1891.
  49. Cinq ans de Ministère, 12 à 16.
  50. Voir p. 45 et 65.
  51. Chambre des députés, séance du 4 novembre 1904, discours d’André : « Il me dit : Agissez avec prudence et résolution. »
  52. Cinq ans, 16 : « Tout cela fut résumé par Waldeck-Rousseau en quelques-unes de ses formules concrètes et pleines, frappées comme des médailles. » Voir p. 415,
  53. Chambre des Députés, séance du 4 novembre 1904, discours de Jaurès : « Cette vertu professionnelle par excellence de l’officier sous la République, le dévouement aux institutions républicaines… »
  54. Chambre des députés, séance du 17 janvier 1902, discours d’Adrien de Montebello, de Le Hérissé et de Berteaux.
  55. Lettres libres, par un Colonel, sur la Nation et l’Armée, publiées dans le Temps. — Voir p. 66.
  56. Décret du 9 octobre 1900.
  57. 17 janvier 1902, interpellation de Cunéo d’Ornano.
  58. 21 octobre 1902.
  59. L’interpellation fut close par le vote de l’ordre du jour suivant : « La Chambre, approuvant les déclarations du ministre de la Guerre » (adopté par 287 voix contre 243) « et comptant sur le gouvernement pour préparer la loi réglant l’avancement des officiers » (adopté à l’unanimité de 307 votants).
  60. Capitaine Mollin, La Vérité sur l’affaire des Fiches, 52.
  61. Chambre des députés, séance du 4 novembre 1904, discours d’André, et Cinq ans de Ministère, 304 et 306.
  62. Discours du 4 novembre 1904.
  63. Cinq ans, 316 et suiv.
  64. « Je n’ai jamais admis, sauf en cas de missions spéciales et ostensibles, que des renseignements de cette nature puissent être fournis par des officiers sur leurs camarades. » (Cinq ans, 307.) — « Il me fut facile d’établir que des officiers indignes, heureusement fort rares, dénonçaient leurs camarades : j’en pris deux sur le fait. Je reçus bientôt toutes les pièces nécessaires pour éclairer le ministre. À ce dossier complet, je joignis la note suivante… » (Capitaine Humbert, ancien officier d’ordonnance d’André, dans le Figaro du 13 janvier 1906). — Voir 409.
  65. Discours du 4 novembre 1904, et Cinq ans, 302 et suiv.
  66. Mollin, L’affaire des Fiches, 76 :« J’étais, au cabinet du ministre, le seul officier maçon à cette époque. »
  67. Ibid, 77.
  68. Lettre du 20 juillet 1901 : « Très cher F.·., je vous serais très obligé de vouloir bien nous faire parvenir les renseignements dont il est question dans la note ci-jointe. Vous nous rendriez service… Veuillez agréer, C.·. F.·., nos remerciements et l’expression de mes sentiments frat.·. dévoués. » Note : « Pourrait-on avoir des renseignements très complets et très détaillés au point de vue politique et philosophique sur tous les officiers supérieurs et généraux, commandants, lieutenants-colonels, colonels et généraux de… ? »
  69. Quelques francs-maçons refusèrent de faire les enquêtes qu’on leur demandait : « Je n’ai ni le loisir, ni le goût, écrivait le journaliste Jougla, de faire des enquêtes sur les officiers de la garnison de Périgueux. » (9 novembre 1901.)
  70. Mollin, Ibid., 76 et 95.
  71. Ibid., 92.
  72. Mollin, loc. cit., 91. — Voir p. 403.
  73. Lettre du 31 octobre 1901, sur papier officiel, République française, Ministère de la Guerre, Cabinet du Ministre et timbre du Grand Orient, n° 9437 ; du 25 mars, des 6 et 15 avril 1902, etc.
  74. Lettre du 7 février 1902.
  75. Lettre du 8 mars 1902.
  76. Lettre du 11 mars 1902.
  77. Lettre du 16 octobre 1901.
  78. Lettre du 11 mars 1902.
  79. Lettre du 4 mai 1902.
  80. Mollin, Ibid., 88 et 87, fac-similé de deux lettres de Percin à Vadecard.
  81. 24 décembre 1902.
  82. 30 décembre 1902. — Note de Waldeck-Rousseau. (Testament politique, 63 à 65.)
  83. Chambre des députés, séance du 4 novembre 1904, discours de Combes : « Il ne m’était resté de la conversation qu’un souvenir assez vague. » Il dit ensuite qu’il avait demandé des explications à André et qu’André lui avait répondu qu’il faisait contrôler toutes les fiches « par les services compétents, soit les services militaires, soit les services civils que Combes avait mis à sa disposition ».
  84. Lettres d’Humbert à André, du 8 août 1902 ; à Jaurès, du 8 octobre 1904. — Je fus renseigné par un autre officier du ministère de la Guerre et j’avertis, inutilement, André.
  85. Fernand Hauser, L’Affaire Syveton ; Bonnamour, Gabriel Syveton, 137 ; lettre de Bidegain à l’Éclair, du 12 août 1906.
  86. Syveton, après son invalidation, avait été réélu, le 7 juin 1903, par 6578 voix contre 5001, à quatre concurrents.
  87. Chambre des députés, séance du 12 juin 1902, discours de Combes : « Les œuvres d’assistance et de dévouement, celles où sont en œuvre la seule foi religieuse et le désir d’utilité à l’humanité souffrante, »
  88. Chambre des Députés, séance du 9 juillet 1902, discours de Combes.
  89. Anatole France, préface d’Une Campagne laïque, 36.
  90. Gérault-Richard (Voir p. 406).
  91. Matin et Figaro.
  92. Sur des incidents qui s’étaient produits dans les écoles militaires.
  93. Le capitaine Baltzinger, les commandants Bouqueiro, Pasquier et Rat.
  94. Chambre des députés, séance du 4 novembre 1904, discours d’André.
  95. Mollin, loc. cit., 219 et 220.
  96. « J’admettais très bien que les préfets, représentants du pouvoir central, fussent consultés pour les avancements importants. » (Note sur sa conversation avec Percin. — Voir p. 399).
  97. Du 20 juin 1902.
  98. Mollin, loc cit., 94.
  99. « Très bien ! très bien ! à gauche. » Pas un applaudissement. « Mouvements divers. » (Compte rendu sténographique.)
  100. C’est ce que dit Sainte-Beuve de quelques-uns des derniers jansénistes. (Port-Royal, IV, 347.)
  101. Loc. cit., 95.
  102. Voir t. IV, 440.
  103. « La Chambre, blâmant, s’ils sont reconnus exacts, les procédés inadmissibles signalés à la tribune, et convaincue que le ministre de la Guerre donnera, dans ce cas, les sanctions nécessaires… »
  104. Le paragraphe : « Convaincu que le ministre… » est accepté par 278 voix contre 274 ; l’ensemble fut adopté par 294 voix contre 263.
  105. Noulens avait déposé un ordre du jour de blâme. La priorité fut accordée à l’ordre du jour de Maujan par 298 voix contre 282. — La majorité était composée de tous les socialistes (Jaurès, Briand, Pressensé, Rouanet), de presque tous les radicaux (Sarrien, Bourgeois, Buisson, Guyot-Dessaigne, Cruppi, Berteaux) et d’un certain nombre de modérés (Étienne, Thomson, Siegfried). La minorité comprenait le centre, la droite, les nationalistes et les principaux dissidents (Millerand, Leygues, Lanessan, Caillaux, Baudin, Doumer, Klotz, Barthou, Charles Bos, Noulens, Vazeille).
  106. Cinq ans, 330.
  107. Ibid., 331.
  108. Mollin, loc cit., 206.
  109. Chambre des députés, séance du 4 novembre 1904, discours d’André.
  110. Loc. cit., 212.
  111. Ibid., 224.
  112. Chambre des députés, séance du 4 novembre 1904, discours d’André.
  113. La plupart des officiers, plus de cent, qui avaient été l’objet de renseignements donnés par Pasquier à Vadecard, n’avaient point demandé à entrer dans la maçonnerie, ainsi que cela résulte de la publication des fiches. Bouqueiro avait rédigé notamment deux fiches sur le général Silvestre, « actuellement chef de la mission française en Mandchourie, venant de l’Élysée, sournois, hypocrite, capable de toute trahison, qui devrait être exclu de la garnison de Paris ; démissionnerait alors et débarrasserait l’armée », et sur le général Lachouque, « craintif, désireux de ménager tous les partis, ayant évidemment ses sympathies du côté clérical »
  114. Figaro, Gaulois, Écho de Paris.
  115. Lettre du général Peigné, commandant du 9e corps d’armée au T.·. C.·. F.·. Vadecard, du 29 août 1904.
  116. « Dont nous nous glorifions justement… Et c’est devant les cris de pudeur effarouchée de ces gens-là que tant de républicains de la Chambre, parmi lesquels tant de maçons, se sont un instant émus ! Si bien qu’aucun n’a pu dire, au moment opportun, la parole qu’il fallait, ni saisir l’occasion de glorifier la Maçonnerie, attaquée par ses éternels adversaires, et proclamer, à la face de tous, qu’elle avait bien mérité de la République… Beaucoup, nous l’espérons, auront le temps de se ressaisir. Nos ateliers, en attendant, tiendront l’œil sur eux … » (Appel du 4 novembre, signé : le président du Conseil de l’Ordre Lafferre, député ; les vice-présidents : Sincholle, J.-B. Morin).
  117. Humanité du 5 novembre 1904.
  118. Voir p. 383.
  119. Aurore du 4 novembre 1904. — Picquart s’expliqua dans la Gazette de Lausanne : « Les pratiques de délation qui ont été révélées et que je trouve odieuses et détestables… » (5 janvier 1905.)
  120. 3 novembre 1904.
  121. De plusieurs présidents des sections de province, Bouglé, Louis Comte, Charles Rist, etc.
  122. Lettre de Bouglé.
  123. 19 et 20 décembre 1904. — Émile Bourgeois, professeur à la Sorbonne, donna sa démission pour le même motif.
  124. Clemenceau, Le Système des fiches secrètes, dans la Dépêche du 3 décembre 1904.
  125. Cinq ans, 332.
  126. C’est ce que dira Combes dans son discours du 17 novembre 1904.
  127. « Qu’un officier de la garnison de Paris « évitait de saluer le président de la République » (l’officier ne le connaissait pas) ; « qu’un colonel avait sorti un fanion portant les insignes de la royauté pour remplacer à la manœuvre le drapeau tricolore » (il dut convenir que le fanion habituel était en réparation et que le colonel ne s’était servi qu’une fois d’un fanion historique, conservé dans la salle d’honneur du régiment). — André ne nomma pas l’officier qu’il mettait en cause. Combes le désigna : « Le colonel dont il était question commandait un régiment à Valence. » Lasies dit aussitôt qu’il s’agissait du colonel de Quinemont. Chautemps, radical, le tenait en haute estime et avait demandé qu’il fût promu général. André l’avait mis à la retraite d’office.
  128. Les socialistes allemands, Kautsky, dans le Vorwærts, lui donnèrent tort : « La surveillance policière ou même privée doit être réprouvée, qu’il s’agisse des officiers ou des autres serviteurs de l’État ; les plus grandes canailles d’un pays sont les dénonciateurs. »
  129. Le lieutenant-colonel Rousset, nationaliste : « Vous avez raison ; sur ce point, nous sommes d’accord. »
  130. Millevoye : « Voilà de l’excellent militarisme. »
  131. Pugliesi-Conti.
  132. Discours de Waldeck-Rousseau au Sénat, séances du 27 juin et du 20 novembre 1904,
  133. Discours de Millerand à la Chambre, séance du 17 mars 1904.
  134. Clemenceau.
  135. Discours de Doumer à la Chambre, séance du 30 mars 1904.
  136. Bonnamour, G. Syveton, 147.
  137. Dépêche de Saint-Sébastien du 5 novembre 1904.
  138. Lettre à Syveton, citée par Barrès dans l’Éclair du 8 décembre 1907 : « Ce qu’il faut savoir de l’affaire Syveton ».
  139. Par 297 voix contre 221. — Les principaux « dissidents », Leygues, Millerand, Barthou, Doumer, s’abstinrent. — L’ordre du jour, signé de Bienvenu-Martin, Berteaux, Jaurès et Thomson, était ainsi conçu : « La Chambre, convaincue que le devoir de l’État républicain est de défendre contre les exigences de l’esprit de caste et de réaction et par les moyens de contrôle réguliers dont il dispose, les fidèles et courageux serviteurs de la République et de la nation, compte sur le Gouvernement pour assurer, dans le recrutement, et l’avancement des officiers, avec la reconnaissance des droits, des mérites et des services de chacun, le nécessaire dévouement de tous aux institutions républicaines… »
  140. Cinq ans, 339. — « J’ai trop de fierté de moi-même et de mon œuvre, j’ai trop l’amour de la Patrie et de la République pour accepter, même une minute, l’hypothèse que je pourrais être une cause de désunion dans la majorité républicaine. » (Lettre à Combes, du 15 novembre 1904.)
  141. Aurore du 16, Dépêche des 20 et 26 novembre 1904.
  142. 16 novembre 1904.
  143. Bonnamour, loc. cit., 153.
  144. Ibid., 280 et suiv.
  145. 8 décembre 1904.
  146. « Dix jours après la mort de son mari, le 18 décembre, Mme Syveton se présentait chez Jules Lemaître et lui remettait un paquet de titres, représentant une somme de 98.000 francs, qu’elle affirmait avoir été détournés par son mari, en 1902, des fonds électoraux dont disposait la Patrie française. Lemaître, sous bénéfice d’inventaire, accepta la restitution. » (Bonnamour, loc cit., 200.)
  147. Le ministère du 24 janvier 1905 était ainsi composé : Présidence du Conseil et Finances, Rouvier ; Intérieur, Étienne ; Affaires étrangères, Delcassé ; Justice, Chaumé ; Instruction publique, Bienvenu-Martin ; Travaux publics, Gauthier ; Agriculture, Ruau ; Guerre, Berteaux ; Marine, Thomson ; Commerce, Dubief ; Colonies, Clémentel. — À la suite des démissions successives de Berteaux et de Delcassé, Étienne passa au ministère de la Guerre, Dubief à l’Intérieur, Rouvier aux Affaires étrangères, Merlou aux Finances et Trouillot au Commerce.
  148. Le ministère du 13 mars 1906 était ainsi composé : Présidence du Conseil et Justice, Sarrien ; Intérieur, Clemenceau ; Affaires étrangères, Bourgeois ; Finances, Poincaré ; Instruction publique, Briand ; Commerce, Doumergue ; Travaux publics, Barthou : Agriculture, Ruau ; Guerre, Étienne ; Marine, Thomson ; Colonies, Leygues.
  149. À Corbeil, le 10 août 1904.
  150. 27 juin et 20 novembre 1903.
  151. Jules Delafosse, député du Calvados, dans le Gaulois du 26 juillet 1902.
  152. « Un des cardinaux français se trouva voisin d’un collègue étranger qu’il ne connaissait pas et avec lequel il engagea la conversation suivante : « Votre Éminence est sans doute archevêque en Italie ? Dans quel diocèse ? — Non parlo francese. — Non loqueris gallice ? Ergo non es papabilis, siquidem papa débet gallice loqui. — Verum est, Éminentissime domine. Non sum papabilis. Deo gratias. » (Cardinal Mathieu, Les Derniers Jours de Léon XIII et le Conclave, 71).
  153. Aurore du 7 septembre 1901.
  154. Voir Millerand, Travail et Travailleurs, 61, 157, etc.
  155. Charles Guieysse, Les Universités populaires et le Mouvement ouvrier, 14 et Suiv.
  156. Fournière, La Course à l’Abîme, dans la Revue Socialiste de novembre 1906.
  157. Chambre des députés, séance du 13 mai 1907, discours de Briand en réponse à Jaurès : « Ce n’est pas dans une réunion publique, c’est dans un congrès que j’ai développé ma thèse dans un discours prononcé à votre service. C’était un effort de tactique, destiné à jeter le désordre dans les rangs de vos adversaires, des amis, des partisans de MM. Guesde et Vaillant ».
  158. Discours sur la grève générale, au Congrès général du parti socialiste français, décembre 1899.
  159. Fournière, loc. cit.
  160. Chambre des députés, séance du 27 novembre 1905, discours de Deschanel sur la propagande anti-patriotique.
  161. Discours du 27 mai 1905, prononcé à une conférence d’Hervé, présidée par Jaurès.
  162. Appel de la Fédération anti-militariste aux conscrits (octobre 1905).
  163. Discours au Congrès général du parti socialiste (décembre 1899).
  164. Discours du 1er octobre 1905 à Saint-Étienne.
  165. 12 janvier 1900. — Ce discours, reproduit dans le Petit Temps du 13, ne figure pas, bien à tort, dans la collection des articles de Zola sur l’Affaire : La Vérité en marche.
  166. Elles avaient procédé, le 15 et le 16, à l’examen du dossier secret.
  167. Revision du procès de Rennes, I, 370, Baudoin : « Voilà plus d’un an que, personnellement, je suis prêt et que j’attends. »
  168. Décembre 1905.
  169. Revision, I, 368, Moras.
  170. Baudouin, dans son réquisitoire, donna comme raison à ce dernier retard « les exigences impérieuses du service ordinaire et quotidien de la Cour qui ne pouvait être suspendu, et, tout particulièrement, à la veille même du jour où les débats allaient pouvoir s’engager, cette avalanche de pourvois en matières d’inscriptions électorales qui devaient être nécessairement jugés avant l’élection de mai ». (Revision, I, 370).
  171. Gazette de Lausanne du 2 avril 1906. « La meilleure partie du butin », selon Picquart, serait revenue aux juifs ; ils se seraient poussés, surtout dans l’armée, « aux bons emplois… » « On a pu même constater, il n’y a pas longtemps, ce phénomène, dont la réalisation eût paru invraisemblable en 1898, en 1899 : celui de deux juifs, de deux coreligionnaires de Dreyfus, occupant l’emploi de chef de Cabinet, l’un à la Guerre (le général Valabrègue), l’autre à la Marine (l’ingénieur Dupont), c’est-à-dire dans les deux ministères auxquels est confiée la défense nationale ! » L’article fut reproduit avec empressement par la Libre Parole.
  172. Aurore du 31 janvier 1904. — Voir p. 285.
  173. Discours du 3 mai 1906 à Lyon.
  174. Jaurès, Pressensé, Labori, Edmond Gast, Vazeille, Laroche, Guieysse, Viviani, etc.
  175. 6 et 20 mai 1906.
  176. Le 25 septembre 1905.
  177. Boyer, le 18 mai 1904 et Chambareaud, le 11 mars 1905.
  178. Mémoires de Scheurer.
  179. Deux volumes de l’imprimerie nationale.
  180. Réquisitoire écrit, 7 à 19, et Revision, I, 384 et suiv.
  181. Mémoire, 651 et suiv. — Voir p. 351 et t. I, 45. — Ce qui rend inadmissible l’hypothèse de Mornard, c’est d’abord que le bordereau a été remis à Henry, non pas à Sandherr, comme on me l’avait raconté à tort en 1898 (voir t. IV, 433). — Mornard s’appuie sur le témoignage de Matton qui dit, en effet, que Sandherr lui a montré le bordereau ; mais de ce que Sandherr a montré le bordereau à Matton, il ne résulte nullement que Sandherr ait reçu le bordereau des mains de l’agent, quel qu’il soit ; Henry venait de le lui remettre après l’avoir fait voir à Lauth et à Gribelin. Matton, selon Lauth, aurait été présent « à l’exhibition » qu’Henry leur fit du bordereau. Il est vraisemblable que le souvenir de Lauth, sur ce point comme sur tant d’autres, est inexact ; Matton, quoiqu’il en soit, n’a pas été questionné à cet égard, et, comme il ne parle point, dans sa déposition, de la scène dans le cabinet d’Henry, on peut en conclure qu’il n’y a pas assisté. — En second lieu, si Esterhazy avait été un contre-espion, Sandherr l’aurait su. À supposer qu’Henry eût employé Esterhazy au contre-espionnage, sans en avertir Sandherr, il n’avait qu’à s’en confesser, après l’arrivée du bordereau et il le pouvait sans courir de grands risques. Tout le rôle d’Henry, dans l’hypothèse de Mornard, reste inexplicable, ou le devient plus encore, et, bien plus, celui d’Esterhazy lui-même le devient. S’il a été un contre-espion, comment expliquer son affolement, en 1896, quand Picquart est à ses trousses et que le Matin publie le fac-similé du bordereau ? sa visite désespérée chez Schwarzkoppen en 1897 ? ses lettres de menaces à Félix Faure ? sa fuite en 1898 ? etc. Ces dernières objections s’appliquent, avec plus de force encore, à l’hypothèse de Baudouin. (Voir p. 446).
  182. Voir t. IV, 452 et Cass., I, 450.
  183. Revision I, 394, Baudouin.
  184. 18 à 22 juin 1906. — Revision, I, 5 à 368.
  185. Revision, I, 125, Moras. — Voir t. V, 520 et 536.
  186. Revision, I, 363. — Voir t. V, 93.
  187. Ibid., I, 18, Moras : « Les faits nouveaux ne renferment aucune de ces révélations éclatantes qui ont précédé et motivé la première revision. »
  188. Revision, I, 271 et suiv. — « Il n’est pas possible de déterminer la part d’influence que tel motif inégalement retenu parmi d’autres non critiquables a pu avoir sur la décision attaquée. » (Arrêts de la Cour de cassation des 17 juin. 1876, 31 juillet 1880, 25 novembre 1882, etc.)
  189. 25, 26, 27, 28, 30 juin, 2, 3 et 5 juillet 1906.
  190. Revision, I, 598, Baudouin.
  191. Revision, II, 60, Baudouin. — Ces contradictions sont relevées par Esterhazy dans sa lettre, du 8 juillet 1906, à Drumont. (Libre Parole du 10.) « Après avoir expliqué, d’abord, comment ma déposition devant le consul général de France avait tous les caractères de la vérité, Baudouin déclare que je suis l’auteur de tous les actes criminels reprochés à Dreyfus et qu’ils s’appliquent tous à moi. L’autre jour, il établissait que j’étais un agent du colonel Sandherr ; aujourd’hui, je suis le traître, et tout s’applique à moi. ». Il est tout au moins certain qu’il n’a pas beaucoup de suite dans les idées. Après avoir reconnu que tout tend à justifier mes affirmations, il reprend le lendemain, la thèse opposée, agrémentée d’injures grossières. » — Voir p. 78 et 452.
  192. Revision, II, 141, Baudouin. (Il a signalé à André les aveux de Dautriche sur l’inscription en interligne dans le relevé des comptes individuels, mais c’était « le devoir de sa charge ». De Rollin, de François et de Mareschal, « il n’a pas dit un mot ».)
  193. Revision, I, 300, Moras.
  194. Ibid., II, 128, Baudouin.
  195. Ibid., I, 483, Baudouin.
  196. Revision, I, 482, Baudouin. — De même Mornard (II, 316).
  197. Lettre du 19 mais 1905 au Procureur général (Revision, I, 284, Moras).
  198. Voir t. V, 443.
  199. Lettre du 24 juin 1905.
  200. Revision, II, 483, Baudouin.
  201. Revision, I, 78 et 284, Moras. — Guérin ne fut nommé général que sous le ministère Picquart.