Histoire de l’Affaire Dreyfus/T3/2

Eugène Fasquelle, 1903
(Vol. 3 : La crise : Procès Esterhazy – Procès Zola, pp. 55–104).

CHAPITRE II

L’ENQUÊTE DE PELLIEUX

I. La première enquête, 55. — Scheurer chez Saussier, 57. — Pellieux entend Mathieu Dreyfus et Esterhazy, 58. — II. Scheurer chez Pellieux, 59. — III. Déposition de Leblois, 60. — Picquart appelé à Paris, 65. — Premier rapport de Pellieux, 66. — IV. Articles de Zola dans le Figaro, 66. — La presse socialiste : les libéraux, 73. — V. Pellieux trompé par le faux d’Henry, 74. — Henry chez Pellieux, 75. — Accusations contre Picquart, 79. — Injures et calomnies contre les Alsaciens, 83. — VI. Bertulus, 84. — Christian Esterhazy et Du Paty, 85. — La note « aux deux écritures », 89. — Tézenas, 91. — Il reçoit la visite de Du Paty, envoyé par Gonse, 92. — VII. Esterhazy réclame une perquisition chez Picquart, 92. — Perquisition illégale, 94. — Indifférence de l’opinion devant la violation de la loi, 96. — VIII. Christian écrit les lettres à la dame voilée, 97. — Le manuel d’artillerie ; Bernheim, 100. — L’alibi de date, 101. — Lettre d’Esterhazy à Jules Roche sur la mobilisation, 103. — IX. Picquart à Paris, 104. — Ses dépositions, 105. — Lemercier-Picard et le faux « Otto », 107. — Piège qui m’est tendu, 110. — XI. Scheurer porte à Pellieux les lettres d’Esterhazy à Mme de Boulancy, 112. — Esterhazy veut prendre la fuite, 114. — XII. Publication des lettres d’Esterhazy, 115. — Intervention de Billot, 117. — Lettre du duc d’Orléans, 119. — Scène entre Scheurer et Pellieux, 121. — Confrontation entre Mme de Boulancy et Esterhazy, 123. — XIII. Campagne de presse contre les protecteurs d’Esterhazy, 124. — Note du Sénat contre le ministre de la Justice, 126. — Pellieux saisit le bordereau au ministère de la Guerre, mais ne le fait pas expertiser, 127. — Inquiétude de Boisdeffre, 128. — XIV. Pellieux prépare un rapport tendant au refus d’informer contre Esterhazy, 129. — Esterhazy demande à passer devant un conseil de guerre : marché qu’il conclut avec l’État-major, 131. — Lettre d’Esterhazy à Pellieux, 132. — Mercier : démarche des commandants de corps d’armée à l’Élysée, 133. — XV. La fausse dépêche de Boisdeffre à Esterhazy : article de la Patrie, 134. — Comédie jouée par Boisdeffre : le démenti de l’Agence Havas, 135. — Question de Castelin sur l’ordre d’informer contre Esterhazy, 136. — Discours de Méline, 137. — Intervention d’Albert de Mun, 139. — Il dénonce le prétendu complot contre l’armée, 141. — XVI. Déclaration de Billot sur Dreyfus, 144. — Discours de Millerand, 144. — La Chambre flétrit les promoteurs de la Revision ; mon duel avec Millerand, 145. — XVII. Scheurer demande à interpeller, 147. — Picquart refuse de laisser produire devant le Sénat sa correspondance avec Gonse, 148. — Discours de Scheurer, 150. — Nouveau mensonge de Billot, 152. — Discours de Trarieux, 153. — XVIII. La mélopée de l’outrage, 155.



I

Le gouverneur de Paris avait confié l’enquête sur Esterhazy au général de Pellieux[1] ; les officiers en non-activité, qui résident à Paris, relèvent du commandant du département de la Seine. L’enquête faillit être escamotée en quelques heures.

La Chambre, quand elle entendit la déclaration de Billot, et le pays tout entier, quand il la lut, et le monde entier, avaient compris qu’il s’agissait d’une instruction approfondie et complète. Mais, comme Billot, peut-être sans songer à mal, s’était tenu dans le vague, Saussier, sous la pression de Boisdeffre, prit les paroles du ministre dans le sens le plus restrictif. Il ne désigna pas Pellieux à titre d’officier de police judiciaire, mais de simple enquêteur, comme s’il s’agissait d’une dénonciation quelconque, pour une dette de jeu impayée ou quelque aventure féminine, et il lui donna des ordres en conséquence[2]. Mathieu Dreyfus sera simplement mis en demeure de fournir la preuve de son accusation[3]. S’il n’apporte aucune autre preuve que l’écriture, Pellieux alléguera aussitôt, dans un rapport sommaire, qu’un jugement a attribué le bordereau à Dreyfus et que, « ce jugement ayant gardé toute la force de la chose jugée », il n’est pas possible, par respect de la loi, de procéder à une nouvelle expertise[4]. Dès lors, il n’y a pas lieu de suivre.

Pellieux, Alsacien d’origine[5]. était de belle taille, l’air et le port élégants, le visage agréable, la parole facile, le son de voix énergique, d’accès prévenant, avec de la grâce dans les manières, l’œil doux, mais le regard fuyant qui savait devenir dur, l’allure souple et inquiétante. Il se piquait d’esprit et d’honneur ; mais ses deux grandes passions, la religieuse et la militaire, l’emportèrent à des actes indignes d’un officier et d’un galant homme.

Il avait connu Esterhazy en Tunisie et le tenait « pour un brave soldat[6]. » D’autre part, homme du beau monde, clérical et très ambitieux, à bon droit, d’avancement, son intérêt lui commandait de l’innocenter. « Lui seul, dit Esterhazy, il fut honnête[7]. »

Le jour même où Pellieux fut désigné, Scheurer rendit visite à Saussier. Leblois, enfin, l’avait autorisé à tout dire au gouverneur. Mais Saussier refusa de l’entendre ; il l’eût fait la veille, mais il était dessaisi maintenant. Il fit un vif éloge de Pellieux. « Vous me connaissez depuis longtemps, dit Scheurer en prenant congé. — Vous êtes le plus honnête homme de France. — Après vous, mon général. (Il n’observa pas si Saussier rougit.) Eh bien, je veux vous dire que Dreyfus est innocent, qu’on le sait à l’État-Major, que Boisdeffre et Gonse sont des criminels. » Saussier n’objecta pas un mot[8].

Pellieux, le lendemain[9], fit venir Mathieu Dreyfus, l’accueillit avec courtoisie et lui demanda ses preuves. Mathieu lui présenta la justification de son frère, s’appliqua à montrer l’identité entre l’écriture d’Esterhazy et celle du bordereau, réclama une expertise. « Rien de plus juste, répliqua Pellieux pour l’amuser ; votre malheureux frère a été condamné, en effet, sur des rapports d’experts. » Il convint aussi que les notes du bordereau étaient sans valeur, qu’elles n’émanaient pas forcément d’un officier d’État-Major. Quand Mathieu parla de la moralité d’Esterhazy : « Inutile d’insister, nous sommes fixés[10]. »

Pellieux considéra que Mathieu lui avait apporté seulement des allégations[11] et, dès lors, que « son enquête était virtuellement terminée[12] ». Pourtant l’émotion publique était bien forte et, pris de scrupule ou par peur de la trop lourde responsabilité, il hésitait à s’en tenir là[13].

Il s’y fût peut-être décidé si Mathieu, sur ces entrefaites[14], ne lui avait écrit pour le prier d’entendre Scheurer.

Il n’était pas possible d’écarter le témoignage d’un personnage de cette importance ; Pellieux le convoqua donc pour le lendemain ; mais, dans le courant de la journée, il manda Esterhazy et lui fit le meilleur accueil. Il lui dit qu’il le laisserait en liberté et ne ferait aucune perquisition chez lui[15].

Esterhazy lui débita son conte. Pellieux ne fit aucune objection, s’inquiéta seulement de ce manuel d’artillerie prêté par un officier juif. Il fit demander, en conséquence, au lieutenant Bernheim s’il était exact qu’il eût prêté le manuel à Esterhazy, dans quelles conditions, puis à quelle date et par quelle voie son emprunteur l’avait restitué[16].

Quand Esterhazy prit congé, Pellieux le reconduisit et lui serra ostensiblement la main. Cette poignée de mains fut célébrée par les journaux patriotes[17].

II

Mathieu avait été enchanté de l’accueil de Pellieux. Scheurer, le lendemain, eut des doutes sur la sincérité du général. Il le trouva trop prévenant, lui donnant du « Monsieur le Président » à chaque phrase. « J’ai déjà fait remarquer à Mathieu Dreyfus, dit le général, que contester l’expertise qui a provoqué la condamnation de son frère, et en réclamer une autre contre Esterhazy, cela est contradictoire. » Scheurer, stupéfait, répliqua que cette prétendue contradiction, c’était toute l’affaire ; ne pas faire procéder à un examen approfondi des écritures serait défier tout bon sens et toute justice. Pellieux, toujours souriant, se garda d’insister. Il demanda à Scheurer s’il avait des documents, un dossier. Scheurer répondit qu’il n’en avait point, mais qu’il l’engageait à faire venir Leblois qui fournirait toutes les explications nécessaires[18]. Il parla alors de Picquart, « que d’ailleurs il ne connaissait pas, avec qui il n’avait eu aucun rapport direct ou indirect » ; mais il tenait de Leblois « qu’il existait au ministère de la Guerre un dossier contre Esterhazy et que ce dossier contenait une pièce qui prouvait la trahison de cet homme ». Puis, il dicta : « Il n’y aura ni enquête sérieuse, ni enquête loyale, ni enquête… — Complète, interrompit Pellieux qui écrivait lui-même — … si le colonel Picquart n’est pas appelé à déposer. Son témoignage est indispensable[19]. » Pellieux observe : « Je sais que le général Saussier a parlé de le faire venir, mais je ne crois pas que ce soit dans les intentions du ministre[20]. » Scheurer, vivement : « Ne vous laissez pas faire, général. Insistez. C’est votre devoir. Il le faut. » Pellieux : « Grosse affaire. Le capitaine Dreyfus, puis le commandant Esterhazy, le colonel Picquart… » Et, de la main, il trace une ligne brisée qui monte vers le plafond : « Oui, dit nettement Scheurer, il y aura peut-être deux ou trois échelons encore à monter. Il vous appartient d’éviter un tel scandale en faisant la lumière. Aucun homme de bonne foi ne peut douter qu’Esterhazy est l’auteur du bordereau[21]. »

En rentrant Scheurer nota sur ses carnets : « Ou Pellieux est un honnête homme, cherchant la vérité, comme l’a dit Saussier, ou c’est un fameux jésuite. »

Pellieux reçut pour consigne de « vider » Leblois, s’il ne réussissait pas d’abord, ce qui vaudrait mieux, à le faire taire.

III

Aux journalistes qui le harcelaient depuis qu’Esterhazy avait révélé son nom à Drumont, Leblois avait déclaré son intention de ne rien dire sur le fond de l’affaire qu’aux chefs de l’armée. Il commença par montrer à Pellieux un article de journal qui relatait sa réponse ; excipant de sa qualité d’avocat[22], il lui demanda ensuite « s’il était autorisé par le ministre de la Guerre et par le gouverneur de Paris à recevoir ses confidences[23] ».

Le général répondit affirmativement ; puis, à mi-voix, avec un peu d’émotion : « Je veux sauver le colonel Picquart. »

Leblois ne voulut pas comprendre. Pellieux, évidemment par ordre, lui offrait le salut de Picquart au prix du sacrifice de Dreyfus. Mais l’ignominie d’un tel marché, dès le premier mot, aurait dû le mettre sur ses gardes. Au contraire, il se laissa aller à son impatience de servir la cause qu’il savait juste, et, pendant trois heures d’horloge, il rapporta à Pellieux tout ce qu’il avait appris de Picquart et beaucoup plus qu’il n’en avait jamais dit à Scheurer. Il lui montra les lettres de Gonse et convint, sur une insidieuse question, qu’il connaissait l’existence d’un dossier avec une pièce grave contre Esterhazy[24]. Il remit enfin à Pellieux, de la part de Scheurer, le billet anonyme d’Esterhazy du 9 novembre : « Piquart est un gredin[25]. »

Le général le laissa aller, très attentif. Il vit (ou voulut voir) des roueries dans les distinctions, parfois subtiles, de Leblois. La vérité, sur les lèvres d’un avocat, prend parfois les apparences du mensonge ; le mensonge du soldat a souvent l’air de la vérité. Pellieux conclut que Picquart avait trahi le secret professionnel, entretenu son ami du petit bleu, et, par Leblois, dans l’ombre, documenté Scheurer, déchaîné le scandale[26].

Quand Leblois, dans une chaleureuse péroraison, exposa que l’homme dénoncé par le frère de Dreyfus était bien le traître, Pellieux, risquant une pointe, l’engagea à réclamer l’arrestation immédiate d’Esterhazy. Mais l’avocat répondit qu’il n’avait pas qualité pour le faire[27].

Pellieux dit encore qu’il ne comprenait point pourquoi Picquart avait communiqué à un tiers de tels renseignements. « Dans l’intérêt de sa défense », reprit Leblois. Pellieux objecta que « Picquart n’était pas accusé[28] ».

Le lendemain, Pellieux consentit, avec beaucoup de bonne grâce, à ce que Leblois rédigeât lui-même un résumé très succinct de sa déclaration[29]. Ce sont, quelque fois, les paroles qui restent. Pellieux rapporta à Saussier, comme il le devait, et à Gonse, tout le discours de Leblois.

En fait, ce discours rassura Boisdeffre, qui n’eût pas excédé le droit à l’hypothèse en supposant plus d’entente entre les divers défenseurs de Dreyfus. Si Leblois a dit la vérité, Picquart n’est nullement un révolté qui conspire et cherche en secret à avoir raison contre les chefs, à délivrer l’homme de l’île du Diable. C’est seulement quand il a été menacé par Henry et pour assurer sa défense que Picquart a eu recours à l’avocat, et avec quelle discrétion ! Quand Leblois a entretenu Scheurer, c’est à l’insu de Picquart. Mathieu n’a pas connu par Scheurer le nom d’Esterhazy.

On eut, d’ailleurs, de Picquart lui-même, incapable (Boisdeffre le savait) de mentir, la confirmation des dires de Leblois. Quatre jours avant la déposition de l’avocat, le jour même où Mathieu dénonça Esterhazy, le ministre avait télégraphié au général Leclerc : « Le gouvernement a reçu des lettres l’informant que le colonel Picquart a fait des révélations à des personnes étrangères à l’armée ou leur a communiqué des documents au sujet des faits relatifs à son service. » — Scheurer avait entretenu Méline des lettres de Gonse ; Méline en avait parlé à Billot. — Picquart répondit qu’il n’avait fait de communications qu’au seul Leblois et dans quelles circonstances[30].

Cependant, pour réservé qu’ait été Picquart, s’il est interrogé, il dira la vérité, et le danger est là. Lui seul, en effet, connaît d’autres preuves de la trahison d’Esterhazy que le bordereau. Or, Scheurer exige que Picquart soit appelé à Paris pour y déposer ; sinon, l’enquête sera déloyale et une comédie !

On s’aperçut aussi qu’Henry avait commis sa faute habituelle de frapper un coup de trop. S’il n’avait pas fait jeter, par Esterhazy et Drumont, le nom de Picquart à tous les vents, il eût été possible d’étouffer dans le huis clos de Pellieux la protestation de Scheurer. Maintenant, le public, mis en goût, demande Picquart. N’oublions jamais que nous sommes à Paris, entendez : au théâtre. Esterhazy est un personnage de théâtre, « l’innocent de l’Ambigu ». C’est une raison de son succès. Le mystère qui entoure le nom, brusquement révélé, de Picquart a excité de même les imaginations. On était las des autres acteurs du drame, du peu tragique Leblois, de Scheurer devenu aussi impopulaire, en quelques jours, que moi-même. Qu’est-ce que ce jeune colonel, accusé par les uns des pires méfaits, salué par les autres comme le justicier idéal ? C’est à lui que la dame voilée a dérobé le document libérateur ; on la connaîtra par lui. Pourquoi a-t-il été relégué en Afrique ? Pour la première fois, les amis de Scheurer se trouvent d’accord avec l’opinion en réclamant l’audition de Picquart. Le parterre veut savoir quelle figure est derrière ce nom, ce masque énigmatique. Pour applaudir ou pour huer ? On veut voir.

Cette curiosité devint vite impérieuse. La veille encore, au Conseil des ministres, à l’Élysée[31], Billot, affectant un grand dédain pour la naïveté de Scheurer et attestant que Mathieu n’avait fourni nulle preuve, pas même un semblant, annonçait la fin imminente de l’enquête et de cette piteuse tentative. Picquart étant très occupé en Tunisie, il serait fâcheux de le déranger de sa mission, de le faire, pour si peu, venir à Paris. Billot proposa l’un de ses moyens termes ordinaires : une commission rogatoire.

Les ministres, presque tous favorables à Esterhazy et qui ne s’en cachaient pas, trouvèrent la combinaison excellente ; mais il eût fallu la brusquer et s’en taire. Au contraire, les journaux l’annoncèrent, et les ministres eux-mêmes dans les couloirs des Chambres. Le coup rata.

En effet, dès que Scheurer fut informé de la déloyauté qui se tramait, il pria l’un de ses collègues du Sénat, Jules Siegfried, de faire une démarche pressante auprès de Félix Faure. Si Picquart, qui sait toute la vérité, n’est pas appelé à Paris, un tel déni de justice sera porté aussitôt à la tribune du Sénat. Je tins le même langage à l’un des ministres, Turrel : il parut troublé ; je le quittai sur ces mots : « Vous êtes indignement trompés par Billot. Mais ni lui ni personne n’est de force à étouffer la vérité ; elle éclatera malgré tout ; alors, vous et vos collègues, les dupes comme les autres, vous serez déshonorés. » Turrel informa Méline de ces propos comminatoires. Clemenceau écrivit que « ce serait trop simple de livrer un officier en pâture à la presse et de lui refuser le droit de venir présenter sa défense[32] ». Picquart, spontanément, avait sollicité par télégramme l’autorisation de venir déposer à Paris.

Billot, Boisdeffre plièrent. Une note officielle annonça que l’enquête du général de Pellieux allait continuer et que Picquart serait entendu. Billot télégraphia au général Leclerc de faire partir immédiatement le colonel et de lui demander sa parole qu’il ne communiquerait avec personne avant d’avoir été entendu par Pellieux[33],

Ce n’était qu’une escarmouche de perdue ; on prendrait sa revanche.

Drumont raconta que Billot, pour être agréable à Scheurer, avait invité Picquart à rester en Tunisie ; mais Méline avait ordonné de le faire venir[34].

Le même jour, Pellieux remit son rapport à Saussier. Il concluait ainsi : « Aucune preuve contre le commandant Esterhazy ; une faute grave relevée contre le colonel Picquart qui a donné connaissance de renseignements secrets à un tiers non qualifié et lui a remis des lettres de l’un de ses chefs, ayant trait uniquement à une affaire de service[35]. » Or, le récit de Leblois, qui devenait ainsi le premier réquisitoire contre Picquart, il l’avait reçu à titre confidentiel[36].

Toutefois, comme on l’informa de la dernière décision de Billot, il demanda que Picquart fût entendu, ainsi que cela avait été réclamé par Scheurer.

IV

Ce premier succès, si vivement emporté, encouragea les partisans de la revision. Encore bien peu nombreux, — quelques milliers d’esprits sains qui avaient échappé à la contagion, deux ou trois douzaines d’écrivains, de savants et de politiques, — ils comprirent enfin que la justice ne descend pas du ciel, qu’il la faut conquérir. Il leur en eût moins coûté de défendre tout de suite leurs avant-postes. Mais, désormais, chaque jour, à chaque combat, à chaque défaite, ils gagneront des adhérents, élargiront la trouée de lumière.

Ce fut Zola qui donna le premier coup de clairon.

Depuis quelques jours, l’étonnante aventure l’avait pris tout entier, dans son cœur de poète et d’homme. Il se passionnait pour « ces documents d’une beauté tragique », ne connaissait rien qui fût « d’une psychologie plus haute[37] ». Il venait d’achever son triptyque (Lourdes, Rome, Paris), méditait ses Quatre Évangiles. « Si j’avais été dans un livre, je ne sais pas ce que j’aurais fait[38]. » Cependant, il hésitait à se lancer dans la bataille, étranger à la politique.

Sous la tempête, Scheurer, fort de sa conscience, recommençait, Clermont-Tonnerre : « Que peut-on nous opposer ? Des injures. Nous nous tairons[39]. » Zola lui écrivit : « Votre attitude, si calme au milieu des menaces et des plus basses insultes, me remplit d’admiration. Vous livrez le combat pour la vérité ; c’est le seul bon, le seul grand. Même dans l’apparente défaite, la victoire est au bout, certaine[40] ».

La semaine d’après, Fernand de Rodays, directeur du Figaro, lui raconta qu’ayant assisté à la parade d’exécution, dès ce jour, il avait cru à l’innocence de Dreyfus. Zola proposa d’écrire trois articles qui, dans sa pensée première, seraient trois portraits : Scheurer, Dreyfus, Picquart.

Du premier de ses articles, qui parut le 25 novembre il dit lui-même : « On y remarquera que le professionnel, le romancier, était surtout séduit, exalté, par un tel drame. Et la pitié, la foi, la passion de la vérité et de la justice, sont venues ensuite[41]. » L’article commence par ces mots : « Quel drame poignant et quels personnages superbes ! » En sera-t-il le poète ou, lui aussi, l’un des héros ? Il l’ignore encore. Il raconte l’idée du doute chez Scheurer, la hantise sans cesse renaissante, « la minute redoutable » où il a tenu la certitude ; puis, ce projet, si noble, de laisser au Gouvernement « le mérite d’être juste en réparant une erreur » ; « tout en faisant son œuvre, il disparaîtra lui-même », sans même « l’ambition de se faire gloire d’avoir apporté la vérité » ; enfin, l’amère déception quand il trouva les cœurs sourds, et ce silence, « souverainement beau », depuis les longs jours « où tout un peuple affolé le suspecte et l’injurie ». « Dressez donc cette figure-là, romanciers ! » Lui, « dont c’est le métier de se pencher sur les consciences », il salue cet homme, cette vie nette, « de cristal », sans une tare, sans une défaillance. Heure triste où de tels citoyens, l’honneur d’un peuple, sont méconnus, où, « la délation étant partout, les plus purs et les plus braves n’osent faire leur devoir, dans la crainte d’être éclaboussés » ! « La nation entière semble frappée de folie, lorsqu’un peu de bon sens remettrait tout de suite les choses en place. » Mais « la vérité est en marche et rien ne l’arrêtera plus ».

Zola, malgré ses millions de lecteurs, n’était pas populaire. Dans son œuvre immense, où il a voulu tout peindre, il a montré trop souvent le bas et le répugnant de la nature humaine ; de plus, il voit gros et cette main puissante est lourde. L’auteur de tant de tableaux hideux ou sales est bon, compatissant à la misère, indulgent, encore tout vibrant, bien qu’il s’en défende, de l’idéal romantique. Et cette âme, parfois naïve, simple, très droite, très honnête, si vous avez le fil conducteur, vous la retrouverez dans tous ses livres, même dans ceux qui ont causé le plus de scandale ou de dégoût. Mais le lecteur ordinaire ne l’y découvre pas, ni même des critiques pénétrants. Leur sens du beau s’irrite de cette recherche perpétuelle du laid, leur goût de la propreté se révolte contre tant d’ordures, leur pudeur contre trop d’indécence et, sans qu’ils osent se l’avouer, leur inquiète conscience contre une si terrible divination de ce qu’il y a de boue au fond de la bête humaine. On lui pardonnerait de montrer l’homme nu ; il montre l’homme intérieur. « Je sais, disait un moraliste, ce que c’est qu’un honnête homme : c’est affreux ». Zola le sait trop. D’ailleurs, sans autre philosophie qu’un lourd fatalisme physiologique, il ne connaît que les forces aveugles de la nature ; il n’aime, n’adore que les énormes symboles. Et, comme il n’est épris que de vérité (bien qu’il lui arrive souvent de prendre l’exception pour la règle et qu’il généralise, lui qui a fait des méthodes expérimentales sa poétique, avec une injuste promptitude) ; comme nul ne fut jamais moins courtisan, ni des puissances d’en haut, ni de celles d’en bas, ni des soldats, ni du prêtre, ni du paysan ou de l’ouvrier, ni du bourgeois ou de l’artiste, ni de l’argent, ni du travail, ni même de la Vertu fragile et de l’éphémère Beauté ; et comme il dit crûment, avec une brutalité voulue, ses visions et sa pensée, chacune de ses vingt mille pages lui a fait, et successivement dans toutes les couches sociales, des milliers d’ennemis. Tous, les uns après les autres, l’ont accusé de les avoir calomniés. Encore s’il avait pris l’adroite précaution de montrer, comme dans les livres d’enfants, le bon élève bien sage à côté du méchant garçon. Mais ce n’est pas sa manière, et, s’il s’essaye dans la pureté, il la fait impure. Dès lors, de longues rancunes, de sourds désirs de vengeance, couvaient contre lui dans toutes les classes comme dans tous les partis, parmi les aristocrates et dans la démocratie, chez les amis comme chez les exploiteurs de ce peuple qu’il a, tout à la fois, méconnu et connu trop bien. Comme l’étranger dévorait ses romans et croyait y trouver une peinture d’autant plus exacte qu’elle était plus cruelle de la France, il n’y avait pas seulement des rhéteurs, mais d’innombrables braves gens pour détester dans cet Italien d’hier un détracteur de son pays d’adoption. Parce qu’il a raconté la débâcle de l’armée comme un géologue dirait la débâcle d’un glacier ou d’une montagne, avec la même sérénité scientifique et épique, il a commis un crime contre la patrie. Et ce poème de l’armée vaincue, d’année en année, lui a été reproché avec plus de fureur, parce qu’il avait, dans ses deux derniers ouvrages, analysé l’hystérie religieuse de Lourdes avec la même science impitoyable que l’alcoolisme de « l’Assommoir », et disséqué la Rome papale avec le même scalpel aigu que le Paris des « Rougon-Macquart »[42]. Les moines, plutôt que de l’excommunier comme impie, ameutaient plus sûrement contre lui en le dénonçant comme un mauvais Français. Naguère, irrités de ce manque de goût qui est, parfois, le propre du génie, des artistes délicats, des classiques sévères ont durement traité Zola. « Sa gloire est détestable. Jamais homme n’a fait un pareil effort pour avilir l’humanité. Jamais homme n’a méconnu à ce point l’idéal des hommes. Son œuvre est mauvaise, et il est un de ces malheureux dont on peut dire qu’il vaudrait mieux qu’ils ne fussent pas nés[43]. » On va décrocher ces vieilles armes.

C’était l’étrange fatalité qui pesait sur Dreyfus qu’aucun homme populaire n’embrassât sa cause et qu’aux haines, factices ou sincères, qui pesaient sur lui s’ajoutassent toutes les haines qu’avaient accumulées ses défenseurs.

Mais, aussi, cette parole de Zola était si haute et si claire, elle sonnait, après un silence si prolongé, avec un tel éclat que tous ceux qui étaient convaincus de l’innocence de Dreyfus ou qui en avaient seulement le soupçon, furent réconfortés et ceignirent plus fortement leurs reins pour la lutte.

Comme tous les hommes qui ont beaucoup d’ennemis, Zola avait des amis passionnés ; ils le suivirent. Une partie de la jeunesse des écoles, petite minorité encore, mais énergique et résolue, fut secouée d’un premier frisson.

Zola, insensible depuis longtemps aux injures, riposta aux attaques par un second article[44], et, cette fois, alla droit au monstre lui-même, au fantôme du « Syndicat ». Il empoigne, sans peur des représailles, les inventeurs de la légende : les bureaux de la Guerre, qui s’obstinent à couvrir les personnages compromis », et, surtout, « cette presse immonde, où se mêlent les passions et les intérêts les plus divers », et qui, volontairement, a déchaîné « la folie publique ». Puis, tout de suite, l’argument topique, le plus cuisant : « Ce qui me tracasse, c’est que, s’il existe un guichet où l’on touche, il n’y ait pas quelque gredin avéré dans le Syndicat. Voyons, vous les connaissez bien : comment se fait-il qu’un tel et celui-ci, et cet autre n’en soient pas ? Quelques hommes travaillant à des lieues et sans se connaître, mais marchant tous par des chemins divers au même but, « se sont rencontrés fatalement au carrefour de la vérité, au rendez-vous de la justice ». Voilà tout ce « noir complot ». Ils ne veulent qu’une œuvre de « suprême réparation » ; ils se sont jetés au travers de ceux qui « sont en train de faire commettre à la France, à elle la juste, la généreuse, un véritable crime » ; et ils mèneront la campagne jusqu’au bout, « même si des années de lutte sont nécessaires ». « De ce Syndicat, ah ! oui, j’en suis, et j’espère bien que tous les braves gens de France vont en être ! »

En effet, de nouvelles recrues rejoignirent, non pas, comme de l’autre côté du champ de bataille, par masses compactes, mais des isolés, des indépendants, partis, eux aussi, comme les chefs, des quatre bouts de l’horizon, étonnés de se trouver ensemble, mais, aussitôt, unis étroitement.

Et, de part et d’autre, dans une même excitation, apparut chez les simples soldats cette marque des convictions profondes, l’impossibilité de comprendre que quiconque ne pense pas exactement comme vous, puisse avoir raison ou, même, ne soit pas aliéné. Et, pis encore, l’absurde prétention que les âmes se sont classées naturellement : les unes en haut, les autres en bas.

Les écrivains socialistes commirent une grave faute. La plupart n’étaient encore ni pour Dreyfus ni contre lui[45], mais, habitués à guetter les scandales, dès qu’ils eurent constaté la peur de Billot à avancer sur un sol crevassé, « d’où l’on exhumera des trahisons aux premiers coups de pioche », ils commencèrent aussitôt le procès de l’armée elle-même : « Jusqu’alors, elle était intacte ; il était presque impossible de la discuter sans être traité de sans-patrie. Voici que soudain tout le prestige militaire se dissipe, que la vieille institution est ébranlée. Et par qui ? Par des conservateurs. Ce sont des conservateurs qui déconsidèrent la haute armée. La Révolution a des ressources imprévues[46] ».

Assertion inexacte, car Scheurer et ses amis en étaient encore à supplier les chefs de l’armée de ne pas confondre son honneur avec l’intérêt d’Esterhazy ; Zola, très politique, avait écrit : « Cette affaire est la plus simple du monde ; il n’y a pas d’autre difficulté que de reconnaître qu’on a pu commettre une erreur et qu’on a hésité ensuite devant l’ennui d’en convenir[47] ». En conséquence, la bourgeoisie et toute cette grande majorité du peuple qui n’était pas socialiste recueillirent seulement l’âpre parole des révolutionnaires, et elles y trouvèrent une raison de plus, ou un prétexte, de rester sourdes à la justice.

Les bourgeois libéraux d’avant la loi Falloux eussent été les premiers à prendre parti pour une telle cause ; ils n’eussent pas laissé à Jaurès, tour à tour imprudent et plein de sens, l’honneur d’écrire : « Il s’agit de savoir si, sous un prétexte quelconque, prétexte de juiverie, ou de drapeau, ou de patrie, des juges militaires peuvent saisir et frapper sans garanties légales un citoyen quel qu’il soit ; voici la question, la vraie, la seule[48] ». Mais les Dufaure, les Léon Say[49] et les John Lemoinne n’avaient pas laissé d’héritiers.

V

Dès que Billot eut consenti au rappel de Picquart, Pellieux reçut l’ordre de procéder, comme officier de police judiciaire, à une seconde enquête[50].

Boisdeffre, sans plus tarder, avisa à « mettre à l’abri la conscience » de cet officier qui devenait un juge. Il le manda au ministère, et lui fit communiquer par Gonse la lettre de Panizzardi où Dreyfus était nommé, et d’autres faux[51],

La première pièce, d’ailleurs, suffisait à le tromper ; elle a déterminé bien d’autres convictions d’une sincérité qui défie le soupçon ; et l’idée ne pouvait lui venir qu’elle n’était pas authentique, que les généraux, Boisdeffre et Gonse, et le ministre de la Guerre faisaient sciemment usage d’un faux pour sauver un traître. Lauth venait de photographier la pièce et « la trouvait merveilleuse[52] ».

Pellieux s’étonna-t-il que les ministres et l’État-Major, armés d’une telle preuve (qui expliquait tout, répondait à tout) la gardassent secrète, qu’elle ne fut même pas au dossier ? Henry avait ses raisons pour ne pas produire son faux en public. Il préférait le montrer à huis clos. Gonse invoqua des raisons supérieures d’ordre diplomatique.

Pellieux, pourtant, ne se rendit pas sans résistance à ces prétextes.

Gonse lui révéla encore comment Schwarzkoppen pouvait affirmer à bon droit qu’il n’avait pas connu Dreyfus ; Panizzardi était l’intermédiaire. C’est ce que Gonse et Henry ont dit à Paléologue, Boisdeffre à Picquart, Mercier aux juges de 1894. À l’appui de cette version, le faux d’Henry.

Tout cela se tenait très bien.

Henry, en sa qualité de chef du bureau des renseignements, porta à Pellieux les dossiers secrets (arrangés par lui) de Dreyfus et d’Esterhazy. Le dossier de Dreyfus comprenait la pièce Canaille de D… et la récente déclaration de Lebrun-Renaud ; celui d’Esterhazy, le petit bleu, avec l’adresse grattée et récrite.

Pellieux savait en quelle estime l’État-Major tenait Henry. Il venait d’être promu lieutenant-colonel en récompense de ses services, de son dévouement à toute épreuve, de son impeccable loyauté. C’est Boisdeffre lui-même qui parle par sa bouche. Dans le passé qui s’éloigne, les ombres de Sandherr et de Miribel le protègent. L’excellent prince d’Arenberg[53], qui avait été l’ami de Miribel et l’était de Boisdeffre et de Galliffet, me disait pour expliquer sa perplexité : « Il n’y a pas de plus honnête homme que Picquart ni de plus brave homme qu’Henry ».

Nécessairement, Pellieux le croira sur parole, ou c’est Boisdeffre qu’il eût suspecté d’imposture. Henry sera désormais le grand témoin, à la fois témoin et accusateur. Avant de déposer sous serment, il met Pellieux au courant. — Il était légitime que Pellieux se fît renseigner. Et par qui plus sûrement que par le chef du service de statistique ? — Or, c’est dans ces tête-à-tête qu’excelle Henry, car la grande lumière des audiences publiques le gêne ; il n’y connaît de ressources, contre la dialectique trop serrée d’un contradicteur, que la violence calculée des coups d’éclat qu’il ne serait pas adroit de renouveler trop souvent. Rien de tel à craindre dans le cabinet de Pellieux. Sa ruse de paysan y est à l’aise, se joue des crédulités complaisantes. Ce qu’il montre, tout ce qu’il dit, devient article de foi[54].

Henry ne cacha pas qu’il avait connu autrefois Esterhazy, tout comme Pellieux lui-même. D’ailleurs, il ne le déchargeait que de l’accusation de trahison : le bordereau a été décalqué par Dreyfus sur l’écriture d’Esterhazy et le petit bleu est une pièce suspecte. Il n’essaya nullement de faire passer Esterhazy, dans sa vie privée ou militaire, pour un modèle. On peut calomnier un joueur, un libertin, comme un honnête homme.

Aussi bien, Henry lui-même n’a-t-il pas été accusé de trahison et presque en même temps qu’Esterhazy ?

En effet, après avoir raconté, à sa façon, les entrevues de Bâle et de Luxembourg avec Cuers, Henry confia à Pellieux que l’officier français incriminé par l’agent étranger, c’était lui-même. « D’une lettre, dit-il, qui existe au ministère de la Guerre et qui est arrivée dans les premiers jours de novembre, il ressort que c’est moi qui étais le chef de bataillon visé[55]. »

Il eût fallu du génie à Pellieux pour observer alors que cette lettre (qui n’a jamais été produite) arrivait à l’État-Major à un moment bien opportun.

Donc, Cuers est un misérable, indigne de toute créance, quelque agent à la solde ou de l’État-Major prussien ou du Syndicat juif.

Coup d’une admirable audace et qui porta fortement.

Du moment qu’il se trouve des hommes assez pervers ou assez fous pour accuser Henry, quoi d’étonnant qu’il s’en trouve pour accuser Esterhazy, viveur endetté et imprudent…?

Ces contradictions d’un agent étranger, qui tantôt nomme Henry, tantôt semble désigner Esterhazy, prouvent à la fois et l’inanité de ses dénonciations et l’intérêt des Allemands à disculper Dreyfus.

Si Cuers, initié aux mystères du fameux Thiergarten, a vraiment signalé Henry comme l’informateur d’Esterhazy, cette allégation (qui aurait pu être redoutable), maintenant qu’Henry la révèle lui-même, ne pèse plus rien.

Henry eût pu taire cet incident à Pellieux. Ah ! l’honnête homme qui fonce sur la calomnie ! Le témoignage d’un tel soldat est « inattaquable[56] ».

Les premiers propos de ce misérable Cuers, qui paraissaient viser Esterhazy, Picquart, naturellement, les a accueillis.

Henry dut charger son ancien chef de l’air d’un soldat qui accomplit, dans un intérêt supérieur, un pénible devoir. Et Gribelin, Lauth vont confirmer tous ses mensonges. Et, eux aussi, ce sont des hommes honorables.

Ces accusations qui vont se préciser, en se renouvelant, de vagues devenir formelles, s’accroître de détails nouveaux (retrouvés subitement dans la mémoire de ces officiers qui se suggestionnent les uns les autres), et, encore, s’exagérer des inventions de la presse, et devenir ainsi, à force d’être répétées, des faits acquis, Henry les a, de longue date, préparées. Non pas d’un seul coup, mais au jour le jour, profitant de cent menus faits qu’il a recueillis, toujours en éveil, dénaturés et signalés à Gonse, tantôt avec la collaboration presque inconsciente de Lauth et de Gribelin, tantôt avec celle de ses faussaires habituels, Lemercier-Picard et Guénée.

Premier chef d’accusation :

Picquart a communiqué à l’avocat Leblois le dossier secret du procès Dreyfus et, notamment, la pièce Canaille de D… « Un jour qu’Henry est entré brusquement dans le bureau », il les a vus ensemble qui compulsaient le dossier, ouvert devant eux, et d’où sortait la photographie de la pièce secrète. Il précise la date : en octobre 1896, et que la pièce était près du coude du colonel. (Leblois, en octobre, n’était pas à Paris.) « Mon opinion, dit Henry à Pellieux, c’est que cette pièce (le document libérateur) n’a pu sortir du ministère que par la faute ou la négligence de Picquart. »

Dès lors, tout s’enchaîne et s’explique : Picquart, par Leblois, a renseigné Scheurer et les Dreyfus ; il a emporté chez lui l’une des photographies de la pièce secrète ; une femme la lui a volée et l’a remise à Esterhazy.

Ainsi, Henry, après Billot, authentique le roman de la dame voilée. Le hasard, qui l’a fait entrer « brusquement » chez Picquart, lui a permis d’assister à la genèse de la félonie.

À l’appui de ces dires (à supposer qu’ils en aient besoin), Henry invoquera le témoignage de Gribelin, qui, lui aussi, a surpris Picquart et Leblois, elles rapports contemporains de Guénée à qui le colonel s’est ouvert de ses conciliabules avec l’avocat. Et Pellieux tient de Leblois lui-même qu’il est l’ami intime de Picquart, son confident, le dépositaire des lettres de Gonse, — pourquoi pas d’autres documents, plus graves encore ? — qu’il allait le voir au ministère, qu’il a reçu de lui des dossiers à examiner.

Second chef d’accusation :

C’est le petit bleu qui aurait mis Picquart sur la piste d’Esterhazy. Henry expose que c’est lui, toujours, qui a reçu les cornets de la femme Bastian, trié les papiers et collé « tout ce qui était en français », passant à Lauth « ce qui était en allemand ». (De la consigne de Picquart qui a ordonné que les cornets lui soient remis intacts, il ne dit rien.) Or, « dans aucun des paquets qui lui furent remis, il n’a remarqué aucun des fragments qui composent la carte-télégramme ». Il l’a connue par Lauth qui, d’ailleurs, avait négligé quelque temps de lui en parler. Il lui exprima alors son étonnement (peut-être aussi à Picquart), vu « qu’il regarde toujours morceau par morceau ». Ce qui rend l’aventure plus suspecte encore, c’est toute une série d’incidents dont Lauth et Gribelin déposeront : Picquart a gardé, pendant plus d’un mois, avant de les remettre à Lauth, les fragments du petit bleu ; sur les photographies qu’il en a fait tirer par Lauth et Junck, il a cherché à faire disparaître les traces des déchirures, afin de faire croire à Boisdeffre qu’il l’avait intercepté à la poste ; il s’est vanté « qu’il ferait marcher les chefs récalcitrants » ; il avait le projet (dont il s’est ouvert à Lauth) de faire apposer un timbre sur la carte reconstituée et s’est renseigné auprès de Gribelin sur la façon d’y procéder ; enfin, il a voulu faire déclarer mensongèrement par Lauth que la pièce est de l’écriture de Schwarzkoppen, alors que l’écriture du petit bleu est entièrement inconnue au bureau. Le document, au surplus, n’a aucun caractère de vraisemblance. Enfin, Picquart, depuis longtemps, guettait Esterhazy ; il a fait saisir sa correspondance ; dès l’année d’avant, il avait commencé un dossier contre lui, témoin l’article nécrologique du marquis de Nettancourt (antidaté par Henry).

Henry accuse-t-il formellement Picquart d’avoir fabriqué la carte-télégramme et de l’avoir introduite lui-même dans le cornet, après, l’avoir déchirée pour faire croire qu’elle venait de l’ambassade ? Il n’en a garde ; l’accusation franche sera portée par Esterhazy qui peut le faire à bon droit, étant renseigné par la dame voilée, par la maîtresse de Picquart[57]. Mais le récit d’Henry tend à faire naître, dans le cerveau de Pellieux, la pensée accusatrice qu’il hésite, en bon camarade, à formuler. L’une des beautés de la diffamation chez Henry, c’est le crescendo. Il a lu Beaumarchais ou il l’a deviné. Il va toujours du simple au composé, de l’insinuation qui rase le sol à la calomnie qui éclatera comme la tempête.

Et, encore une fois, la fourberie qu’il attribue à Picquart, c’est celle qu’il a commise lui-même quand il a déchiré le bordereau que Brücker lui avait remis intact.

Il ne dénonça pas à Pellieux le grattage de l’adresse du petit bleu, réservant sans doute, pour l’avenir, cette autre preuve matérielle de la vilenie de Picquart ; mais il imputa formellement à Souffrain, agent du Syndicat, la dépêche où Speranza avertit Picquart que « tout est découvert ». Pour l’autre dépêche, celle qui prévient Picquart qu’on a la preuve qu’il a fabriqué le petit bleu, il n’avait encore aucune indication, sauf que la signature « Blanche » était le prénom de la comtesse de Comminges.

Cependant, il a « toujours considéré Picquart comme un honnête homme, mais c’est un sceptique, un névrosé, qui pose pour le décadent ; il est adonné à l’occultisme et fait tourner les tables dans des milieux interlopes[58] ». Henry est convaincu que son ancien chef, à travers cette intrigue, « a agi par impulsion, agent inconscient, (il ne dit pas : payé) de gens qui ont intérêt à le pousser ». Si Henry n’avait pas été en congé quand Picquart a demandé à Gribelin le dossier de 1894, « il ne lui aurait pas permis d’en prendre connaissance, comme c’était sa consigne, autrement qu’en présence du sous-chef d’État-Major ».

Enfin, ce que ni Gonse ni Henry n’osent dire eux-mêmes, par prudence, sinon par pudeur, les journaux l’impriment. Déjà Esterhazy a attribué à Picquart des origines juives. Drumont, pour lier plus étroitement Picquart au Syndicat, raconte maintenant que c’est moi qui l’ai fait nommer au service des renseignements[59], pour préparer la revision, tout comme j’avais précédemment, pour préparer la trahison, imposé Dreyfus à Miribel[60].

Pendant quelques jours, comme sur un mot d’ordre, toute cette presse, acharnée contre Picquart, en oublie Dreyfus. L’enquête n’est pas contre Esterhazy, mais contre lui. Il est avéré déjà qu’il a commis des fautes graves contre la discipline. Gonse redoute de voir publier sa correspondance avec Picquart ; Henry en fait parler par ses journaux, prend les devants, procédé infaillible. L’État-Major ne craint pas ces lettres, puisqu’il en révèle lui-même l’existence ; et, d’avance, on les déprécie[61]. Picquart va être arrêté. En tous cas, il arrivera à Paris « accompagné » ; « on sait ce que cela veut dire[62] ».

Et tous ces Alsaciens fidèles sont des « Prussiens », Picquart comme Mathieu, « officier dans l’armée allemande », a affirmé Georges Berry, député de Paris ; comme Leblois, le fils du vieux pasteur de Strasbourg qui, chargé d’ans, vient de se coucher pour ne plus se relever ; comme Lalance qui a osé dire publiquement son ancienne conviction ; ou comme Scheurer, « industriel allemand ». On vend, dans les rues, un placard illustré : Esterhazy, « victime des juifs », en bel uniforme, la cravache à la main, entre ces deux Prussiens, Dreyfus et Scheurer.

L’Alsace ressentit cruellement cette nouvelle blessure.

Ainsi Pellieux fut convaincu par Gonse, d’ordre de Boisdeffre, que Dreyfus était coupable, et par Henry qu’Esterhazy était la victime des machinations de Picquart, complice des juifs. Sans la félonie de Picquart, ce scandale n’eût pas éclaboussé l’armée.

VI

Pellieux, tout résolu qu’il était, eût voulu se couvrir d’une autorité juridique. Peut-être eut-il un scrupule sur le comique du prétexte qu’on lui suggérait pour refuser l’expertise : le respect de la chose jugée, le bordereau déjà attribué à Dreyfus. Il demanda à consulter un magistrat sur la façon de conduire son enquête ; Henry lui indiqua Bertulus.

C’était un homme jeune encore, d’intelligence alerte, précautionné, mais capable d’audace, qui n’hésitait pas à revenir quand il avait été trompé, un peu apprêté, avec de l’esprit naturel, adroit sans platitude, inquiétant d’abord et n’inspirant confiance qu’à l’user, très moderne d’allure, se plaisant dans le monde et y plaisant. On lui réservait, depuis quelques années, les affaires d’espionnage. Il était entré ainsi en relations avec le bureau des renseignements, avec Sandherr et surtout avec Henry. Quand Picquart prit le service, Bertulus voulut le connaître. Henry lui fit un portrait peu engageant de son nouveau chef, personnage plein de lui-même, prétentieux, tatillon, grand coupeur de cheveux en quatre, faiseur d’embarras, dont il n’aurait que de l’ennui[63]. Mieux valait continuer à n’avoir affaire qu’à lui, Henry, avec qui il était accoutumé de travailler, à la bonne franquette.

Bertulus, qui détestait l’espèce de gens que lui avait décrite Henry, en resta là.

Cependant, quand il reçut l’invitation de Pellieux à collaborer avec lui, il demanda d’abord des instructions au garde des Sceaux. Darlan lui dit de n’en rien faire ; seulement, de se mettre à la disposition de Pellieux pour l’éclairer sur des questions de procédure[64].

Pellieux passa outre.

Esterhazy continuait à être renseigné exactement, par Du Paty et par Henry. Il connut, au jour le jour[65], les dépositions des témoins accusateurs. Pellieux le pria de moins fréquenter les journaux, ou moins ostensiblement. Il s’y engagea[66], mais ne tint pas parole.

Boisdeffre (par Gonse) interdit à Du Paty de se rencontrer désormais avec Esterhazy[67] ; — donc, il n’ignorait pas leurs entrevues antérieures. — Du Paty ne doit plus communiquer qu’avec les intermédiaires.

Esterhazy se servait maintenant de Christian qui, dès qu’il avait appris l’accusation portée contre son cousin, était accouru à Paris[68].

Il y trouva Mme Esterhazy dans les larmes. La pauvre femme avait reconnu l’écriture de son mari dans le bordereau. Sa vieille amie, la veuve du général Grenier, lui dit un jour : « Vous êtes, vous et Mme Dreyfus, les deux femmes les plus malheureuses qui soient au monde. — Ah ! sanglota l’infortunée, je suis bien plus à plaindre qu’elle ! »

Esterhazy expliqua à Christian qu’il était la victime d’un abominable complot des juifs, « tous des bandits ». — Dès octobre, il l’avait avisé, en termes vagues, qu’il était menacé de gros ennuis, « inexplicables ou, plutôt, trop explicables[69] ». — Mais les généraux sont résolus à le défendre ; il n’a qu’à suivre leurs instructions. Seulement, pour que sa victoire soit plus éclatante, ils veulent paraître étrangers à sa défense. Il a compté sur Christian comme intermédiaire.

Le brave garçon répliqua : « Disposez de moi, de ma personne, de ma vie[70]. » Selon Esterhazy, il aurait ajouté : « Disposez de ma fortune ; puisez au tas ; l’argent n’est rien. » Christian croyait toujours ses fonds chez Rothschild ; il eût voulu les ravoir. Laisser de l’argent chez des juifs, même pour une bonne affaire, cela n’était plus digne. Esterhazy allégua qu’il était filé ; en ce moment, il ne saurait aller chez Rothschild, même pour reprendre son argent ; ce sera pour plus tard, après la bataille ; il crachera alors son mépris à la face du banquier.

Le comte Nicolas-Maurice, au nom des Esterhazy d’Autriche, avait publiquement protesté n’avoir rien de commun avec le Walsin, accusé de trahison ; la branche française des Esterhazy est éteinte ; ni la branche française, ni la branche hongroise n’ont jamais reconnu les Walsin comme comtes Esterhazy[71] ». Ce désaveu fut très sensible à l’impudent comédien qui, dans ses lettres à Félix Faure et ses discours aux journalistes, avait tant joué de son cousinage avec l’illustre famille. Il chargea Christian de riposter dans la Libre Parole ; la note, très exacte, établissait leur droit, bien que d’une branche bâtarde, à porter le nom d’Esterhazy[72].

Marguerite Pays mit Christian en relation avec Du Paty. Ils se virent, pour la première fois, au pont de l’Alma ; le marquis lui jeta ces mots : « Ce soir, à six heures, devant le n° 8 de l’avenue Gabriel[73]. »

Une vague inquiétude se mêlait maintenant à l’ardeur de Du Paty. Gonse, enfin, lui avait fait voir le dossier de Picquart contre Esterhazy, celui d’Henry contre Picquart[74] ; le faux d’Henry le laissa sceptique[75]. Il s’exprima sur Picquart avec sympathie[76], comme par quelque obscur instinct qu’ils avaient les mêmes ennemis.

Du Paty et Christian se rencontrèrent presque tous les soirs[77], dans des endroits écartés, sur les berges de la Seine, par le brouillard et la pluie. Du Paty allait lire dans les vespasiennes les billets d’Esterhazy, y rédigeait ses réponses. Très nerveux, il discourait beaucoup, sur « son cousin » Cavaignac qui prendrait la défense d’Esterhazy à la tribune, sur Félix Faure « qui se tenait très bien » : « Tant que je serai Président, a-t-il dit, la revision ne se fera pas. » Il se rassurait lui-même en proclamant que la victoire était sûre. « Comme dans l’Évangile », il sera beaucoup pardonné à Marguerite Pays. « Quand tout cela sera fini, je réglerai leur compte à mes insulteurs. (Quelques journaux avaient mal parlé de lui ; ces articles avaient été commentés dans les cercles.) Aux uns, je donnerai des coups de bottes ; aux autres, à ceux de mon monde, des coups d’épée. » Il soupçonna Souffrain, « agent des juifs », d’avoir voulu enlever la marquise Du Paty pour faire croire qu’elle était la dame voilée[78]. En tout cas, ce lui fut un prétexte pour faire sortir sa femme de l’affaire.

Tard, dans la nuit, après avoir ramené Esterhazy du logis de sa maîtresse au domicile conjugal, Christian portait encore des lettres chez Pellieux, pour que le général les eût à son réveil. D’ordinaire, des agents de la Sûreté suivaient Esterhazy jusque chez lui[79].

Il accompagna Mme Esterhazy à Dommartin pour vérifier si « les juifs « n’avaient pas glissé des papiers compromettants dans un meuble à secret.

Ses fonctions n’étaient pas une sinécure. Mais il ne se plaignait pas, d’une absolue confiance que n’effleura aucun doute, plein d’admiration pour ces grands personnages qu’il voyait attelés, dans un commun effort, à la défense de l’innocence calomniée. Il tenait pour mensongers les récits des journaux qui dépeignaient Esterhazy comme sans ressources. Ne sait-il pas qu’il n’est pas d’homme d’affaires plus consommé, et qu’il a été, pendant des années, l’heureux associé des Rothschild[80] ?

Il était prêt à tout, pour cette belle cause, à se battre, à écrire des lettres anonymes, à faire des faux. Et nul confident plus discret. Il ne chercha même pas à savoir le contenu des billets échangés chaque soir entre Du Paty et Esterhazy. Plus tard, seulement, il en vit un qu’avait conservé Marguerite ; elle en avait brûlé beaucoup ; sur celui-là, il lut, en toutes lettres, le nom de Boisdeffre[81].

C’était une note où Du Paty avait, vers la fin, altéré son écriture de façon assez singulière[82]. S’il est interrogé par Pellieux sur ses rapports avec Esterhazy, voici ce qu’il dira et qui sera « sensiblement vrai ». Il est intervenu auprès d’Esterhazy « pour empêcher un acte de désespoir », « modérer une exaspération légitime » ; il doit taire les moyens qu’il a employés, « pour ne pas compromettre des tiers vis-à-vis desquels il est engagé d’honneur » ; « le général de Boisdeffre n’est pas sans savoir qu’il a eu des relations indirectes avec Esterhazy ». Du Paty ne sait rien de la dame voilée ; il n’a rien communiqué de secret à Esterhazy ; il la engagé à rendre le document libérateur, « faisant appel à ses sentiments patriotiques », et il y a « réussi sans difficulté ». Ce n’est pas lui qui a dénoncé Picquart à Esterhazy. Tant qu’Esterhazy n’aura pas reçu « une lettre officielle de lui », le dégageant de sa parole, il n’est pas censé le connaître.

En conséquence, Du Paty priait Esterhazy de bien se pénétrer de ces indications, « car il importait qu’ils fussent bien d’accord ».

Enfin, la note « aux deux écritures » se terminait par ces bonnes nouvelles :

Tout va bien. La personne qui a été chercher les fameuses lettres de Picquart en style convenu est précisément l’auteur du télégramme signé Blanche, lequel est de son écriture un peu déguisée. La police a mis la main dessus. C’est une amie de Curé. On pourra prouver que le Roumain n’a rien reçu.

Ainsi Du Paty a appris seulement à cette date (20 novembre) que la correspondante de Picquart est bien Mlle de Comminges. Il en est joyeux, ayant eu maille à partir avec cette famille[83]. Et il s’empresse d’en aviser Esterhazy, qui, lui aussi, en sera fort aise, ayant gardé rancune à Curé pour avoir médit de lui à Picquart. Cette lettre confidentielle (qu’il recommande à son correspondant de détruire) est d’une sincérité manifeste. Toute la sottise méchante de l’homme y paraît. S’il avait fabriqué lui-même, avec Esterhazy, la fausse dépêche, il ne jouerait pas à son complice cette imbécile comédie.

Esterhazy dut rire dans son épaisse moustache ; il garda la « directive[84] ».

La Roumanie est une satellite de la Triple Alliance. Les attachés militaires roumains travaillaient avec leurs collègues allemand, autrichien et italien. L’un d’eux[85] était un ancien élève de l’École de Saint-Cyr, qui eût voulu entrer dans l’armée française, à qui Galliffet avait barré la route, puis élève de l’École supérieure de guerre à Bruxelles et capitaine d’État-Major en Roumanie. On le soupçonnait (peut-être à tort) d’avoir procuré, en 1895, le manuel de tir à Panizzardi qui le fit copier par un de ses agents ; or, c’était un agent double (Corninge) qui avait averti Picquart.

Du Paty eût préféré ne pas déposer à l’enquête ; Esterhazy pria Pellieux de l’entendre, « le plus tôt possible, dans l’intérêt de sa défense[86] ».

Enfin, Esterhazy fit choix d’un avocat. Un député radical, Bazille, eût voulu plaider ce procès retentissant ; il brouillonna, bourdonna autour de lui. Mais Vervoort conseilla à son ami de s’adresser plutôt à Maurice Tézenas, dont il avait été le client.

Tézenas était alors l’un des plus réputés parmi les jeunes avocats d’assises, souple, aimable, sceptique dès l’enfance (il est mon camarade de collège), qui avait érigé le scepticisme en sagesse, orateur facile, avec du trait, la parole tantôt caressante, tantôt vigoureuse, et, sous un joli laisser-aller, un grand soin de parvenir et une non moins grande habileté à débrouiller les causes les plus compliquées ; avec cela, crédule et, séducteur lui-même, facilement séduit.

Esterhazy lui demanda, par téléphone, de se charger de sa défense et l’avertit que, pauvre, il ne lui donnerait pas d’honoraires. Tézenas répondit qu’il serait heureux de plaider gratuitement pour un officier accusé à tort.

Et, tout de suite, il fut convaincu, tant Esterhazy, qui s’appliqua à lui plaire, sut l’intéresser. Tout ce que le fourbe lui conta, il le tint pour vrai ; les secrétaires de Tézenas (qui seront plus tard d’ardents revisionnistes) ne furent pas moins suggestionnés que leur patron. Esterhazy causait pendant de longues heures avec Tézenas des sujets les plus variés, encyclopédie vivante, sachant tout et parlant de tout avec beaucoup d’agrément et d’imprévu.

Pourtant, l’irrégularité des procédures suivies contre Dreyfus inquiétait l’avocat. Des confrères jaloux le disaient sans scrupule ; il avait celui de la légalité.

Esterhazy vit ce doute et, par Henry, avertit Gonse de faire le nécessaire. Gonse, docile à son ordinaire, et d’accord avec Billot, envoya aussitôt Du Paty chez Tézenas[87] ; il lui recommanda toutefois d’être prudent et de mettre des conserves bleues, en route, pour n’être pas reconnu[88].

Du Paty fit un beau discours à Tézenas : il protesta que, dans une pareille affaire, le défenseur doit tabler sur une complète certitude ; qu’il a été, lui, l’un des instructeurs du procès de Dreyfus ; que la culpabilité de Dreyfus est certaine, cent fois démontrée ; que la vie d’Esterhazy est sans doute irrégulière, mais indemne de crime, et que c’est un galant homme.

Il renouvela sa visite et ses propos. Esterhazy avait confié à Tézenas que la dame voilée n’était autre que la marquise Du Paty elle-même. Tézenas n’en dit rien à Du Paty. L’affaire s’annonçait très belle.

VII

Henry, infatigable, travaillait toujours à la rendre meilleure.

Bien qu’il eût accumulé déjà une montagne de mensonges sur Picquart, il le redoutait encore. Une partie du public semblait incrédule aux monotones diffamations des journaux. Rien qu’un acte éclatant de la justice militaire pouvait le mettre, officiellement, en posture de suspect.

Le jour même où Pellieux commença sa seconde enquête[89], Esterhazy, coup sur coup, lui adressa deux lettres. Il a revu, le soir précédent, sa mystérieuse protectrice. Elle lui a révélé que Picquart, au sixième étage de la maison où il habite, détient, « dans une armoire de forme spéciale, des papiers et des documents dont la saisie prouvera que c’est le dernier des gueux ». « Si le ministère, lui a-t-elle dit, avait montré de l’énergie, il y a longtemps que cette saisie serait faite. » En conséquence, Esterhazy réclame une perquisition immédiate chez Picquart[90]. Pellieux reçut, en même temps, une lettre anonyme ; l’un des scribes d’Henry le menaçait de dénoncer à la presse la mollesse de son attitude[91].

Esterhazy invoquait, à l’appui de sa requête, un article du Code de justice militaire qui s’applique seulement aux accusés[92]. Mais la description de la petite chambre où se trouvaient des papiers était exacte. Picquart, un jour, y avait envoyé Gribelin.

Dès le lendemain[93] — le jour même où Picquart s’embarqua à Tunis, — le commissaire de police Aymard et Henry, en civil, assistés d’un serrurier et de trois inspecteurs de la Sûreté, se présentèrent, à sept heures du matin, à l’immeuble désigné par Esterhazy[94]. Le commissaire s’y introduisit avec sa bande, sous un prétexte que lui avait soufflé Henry[95]. Il allégua qu’il venait rechercher, au nom de l’administration des Contributions indirectes, s’il n’y avait pas dans la maison une fabrique d’allumettes de contrebande, ou, tout au moins, un dépôt de cette marchandise prohibée. Fabrique ou dépôt devant être dans les chambres du sixième, Henry et les policiers montèrent aussitôt et procédèrent à une perquisition sommaire, au nom de la Régie, chez un employé de la Banque de France, puis chez une modiste qui était encore au lit et chez deux autres femmes ; ces pauvres gens réclamèrent à peine, effrayés par l’écharpe du commissaire et la rudesse de son allure, et parce que, dans notre démocratie aux habitudes césariennes, le domicile privé n’est tenu pour sacré par personne, pas même par les victimes de ces attentats. Cette comédie jouée, on arriva à la mansarde fermée. Le commissaire fit alors chercher le gérant de la maison, exhiba un mandat de l’autorité militaire, et fit quérir un serrurier. On trouva, dans la mansarde, une cantine pleine de papiers ; Aymard y fouilla « avec une évidente satisfaction[96] » et la fit emporter, ainsi que plusieurs malles et valises, mais sans en examiner le contenu. On força ensuite la porte de Picquart, au quatrième étage. C’était un logis très modeste, d’un loyer de 700 francs[97], une chambre à coucher, la salle à manger servant de cabinet de travail, une petite cuisine. L’or du Syndicat, Picquart, évidemment, ne l’a pas dépensé pour son habitation. La perquisition dura deux heures. Toutes les armoires furent ouvertes, ainsi que tous les meubles et tiroirs, et tous les papiers saisis, paquetés, emportés. Le commissaire questionna le gérant sur le genre de vie du colonel[98].

Henry, en s’en allant, dit à haute voix, pour être entendu : « Ce que nous avons trouvé ne fait que confirmer ce que nous savions déjà[99]. »

Les papiers furent dépouillés, des travaux particuliers, la correspondance du jeune officier avec sa mère ; on n’y découvrit pas une seule lettre, une seule note suspecte ; Pellieux, avant la fin de la semaine, restituera le tout à Picquart[100]. Donc, encore une fois, Esterhazy a menti. Mais l’effet a été produit sur la galerie. Si la justice militaire n’a pas attendu quelques heures pour perquisitionner en présence de l’intéressé, comme le veut la loi[101], si une telle hâte a été nécessaire, il faut que Picquart soit cent fois coupable (ce n’est plus un témoin, mais un accusé), et Drumont encore a eu raison ! Au surplus, demain, dès son arrivée, Picquart sera mis au secret, gardé à vue[102].

Quel contraste avec Esterhazy, laissé libre, chez qui nulle saisie n’a été pratiquée[103] !

En Angleterre, une telle violation de la loi eût soulevé l’opinion ; magistrats, policiers, officiers, on les eût traînés, comme des malfaiteurs, devant les tribunaux[104]. À Paris, quelques journaux à peine protestèrent[105] ; le Journal des Débats refusa un article de George Picot, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales, qui dénonçait l’illégalité. Le vice, peut-être le plus profond, de la Révolution et de la société qui en est issue, c’est le dédain des droits personnels, le mépris de l’individu. Billot ayant décliné, dans une note officielle, toute responsabilité de l’incident, les tribunes des deux Chambres restèrent muettes. Il ne s’agissait pourtant pas d’un pauvre hère quelconque, mais d’un colonel. On aurait su que la perquisition chez Picquart avait été réclamée, ordonnée par Esterhazy, on ne se serait incliné que plus bas. Les locataires, chez qui la police s’était introduite sous un prétexte mensonger, furent sollicités de déposer une plainte[106] ; ils s’y refusèrent, s’estimant heureux d’en être quittes pour la peur. Le sabre, ne sentant nulle résistance, enfonça plus avant.

VIII

Pellieux, cette expérience faite, poussa vivement son enquête.

Il commença par entendre à nouveau Mathieu Dreyfus, qui s’étonna de le trouver sec et tranchant, Esterhazy et Scheurer[107]. Comme Scheurer entrait chez Pellieux, Esterhazy sortait ; le général parla durement à l’espion ; puis, s’adressant à Scheurer : « C’est lui. »

La première fois qu’Esterhazy avait raconté son roman à Pellieux, il lui avait indiqué les lieux de ses rendez-vous avec la dame voilée : à l’Esplanade des Invalides, derrière la palissade du pont Alexandre III, au parc Montsouris, à l’endroit même où il s’était rencontré avec Du Paty et Gribelin[108]. Depuis, il l’avait revue à Montmartre, en face de la vieille église, à côté du Sacré-Cœur. L’inconnue était brune, de trente à trente-cinq ans, les allures distinguées, peut-être du monde diplomatique, très emmitouflée, parlant avec une grande volubilité. Elle l’avait convoqué, par de petits billets, à chacune de ces entrevues.

Cette fois-ci, à l’enquête judiciaire, plus sérieuse, Pellieux lui réclama des preuves matérielles de cette aventure, les lettres de la dame voilée. Le lendemain, Esterhazy les versa au dossier[109].

Il les avait fait écrire, en caractères d’imprimerie, par Christian, toujours heureux de rendre service[110]. La fille Pays envoya sa concierge à Montmartre pour préciser le nom de la rue (Saint-Eleuthère), près de la vieille église, où la dame avait donné l’un de ses rendez-vous[111] — Christian se servit d’une encre différente de celle dont Esterhazy faisait usage pour écrire à Pellieux. Le plus ancien des billets fut froissé et sali, pour qu’il parût plus authentique.

Christian n’en continua pas moins, avec une absolue sincérité, à croire Esterhazy innocent. Il n’y avait d’invraisemblable pour Pellieux que l’hypothèse de Scheurer, l’innocence de Dreyfus[112].

Esterhazy n’avait pu aller à un dernier rendez-vous de son amie, il y a trois jours, « parce qu’il était entouré d’une bande de gredins qui le suivaient botte à botte, ne le lâchaient pas d’une semelle ». Cela, aussi, parut très plausible.

Tout ce qu’Henry a raconté de Picquart à Pellieux, la dame voilée l’a révélé à Esterhazy. En effet, Picquart lui avait fait ses confidences sur l’oreiller. La confirmation était décisive.

Une seule fois, à la demande de Billot, Picquart avait envoyé un agent dans l’appartement d’Esterhazy absent ; l’agent y avait ramassé seulement une carte de Drumont que Boisdeffre avait fait photographier. Esterhazy accusa Picquart d’avoir fait « cambrioler » son appartement, ouvrir par effraction les meubles et les armoires, tout fouiller, tout retourner[113].

Telle a été, hier, la perquisition chez Picquart, provoquée par Esterhazy. Ici encore, Esterhazy transpose, ne change qu’un nom. Et Pellieux sourit : il n’a donc fait à Picquart que ce que Picquart a fait à Esterhazy. C’est la loi juive du talion. Pourtant, l’imprudente presse du Syndicat crie au scandale !

Dans un deuxième interrogatoire[114], Pellieux donna lecture à Esterhazy de la déposition de Mathieu[115] ; il l’invita ensuite à y répondre. Ce lui fut un jeu. Il lui montra ensuite le document libérateur, qu’Esterhazy avait affecté ne pas bien connaître[116], et, aussi, mais hors séance, la lettre qu’il avait reçue de Bernheim[117]. Celui-ci déclarait n’avoir pas prêté le manuel d’artillerie à Esterhazy, mais seulement le règlement (non confidentiel) sur le service des bouches à feu et une réglette de correspondance.

Esterhazy s’empara de cette version, meilleure, pour sa défense, que son propre récit à Billot et à Millet : « J’ai eu entre les mains, comme je l’ai dit au ministre, un manuel de tir dont je ne me rappelle plus le titre exact. » Et, feignant d’ignorer que Bernheim avait, depuis quatre jours, répondu à Pellieux : « Bernheim pourra dire de quel ouvrage il s’agit, à quelle date il me la envoyé. «

Si c’est un autre document que le manuel cité par le bordereau, l’accusation tombe d’elle-même. Si c’est le manuel, l’accusation tombe aussi, car Esterhazy affirme n’avoir pas rencontré Bernheim avant le mois d’août 1894, et Mathieu lui-même place le bordereau en mai[118].

Bernheim, quand il déposa le lendemain, eût voulu s’en référer simplement à sa lettre. Pellieux dit que cela ne se pouvait pas. Le lieutenant obéit, redit, plus sommairement, ce qu’il avait écrit[119]. Pellieux le congédia alors, sans lui poser de questions, mais se garda de consigner au procès-verbal que Bernheim avait fait, précédemment, une déclaration écrite. Ainsi Esterhazy ne parle pas d’après Bernheim ; c’est le juif Bernheim qui confirme Esterhazy.

La fausse date qui, en 1894, avait été attribuée au bordereau, servit puissamment Esterhazy. D’Aboville, qui, le premier, avait nommé Dreyfus, s’était arrêté à une objection : « Est-il allé aux manœuvres ? » Le colonel Fabre s’était souvenu alors que Dreyfus, en juin, avait pris part à un voyage d’État-Major[120]. Dès lors, pour ne pas rester sans traître, on avait décidé que la « lettre missive » avait été écrite au printemps, bien qu’elle fût parvenue seulement en automne ; et nul, pas plus Picquart que Du Paty, ne s’était demandé ce que le bordereau était devenu dans ce long intervalle. Pourtant, bien que tout l’argument de d’Ormescheville impliquât cette date[121], il ne l’avait pas précisée[122]. On réservait ainsi l’avenir. Mais ce fut la date officielle, celle qui fut toujours donnée au bureau des renseignements[123].

Pellieux sait, lui aussi, que le bordereau, qui a été saisi en septembre, n’est pas d’avril[124] ; mais il laisse croire à Mathieu que la lettre a été prise au printemps, donc écrite vers la même époque, et il aide Esterhazy à exploiter l’équivoque.

Le manuel, dit Esterhazy, ou tout autre document d’artillerie, je l’ai eu seulement en août ; comment l’aurais-je promis en mars à Schwarzkoppen ? Les troupes de couverture ? Je n’ai eu quelques détails sur la mobilisation du 74e de ligne qu’en septembre. À moins qu’un officier d’État-Major ne m’ait renseigné, car, sur ce sujet, on ne peut avoir d’indication intéressante qu’à l’État-Major. De même, pour les nouvelles formations de l’artillerie. Pour le frein de 120, il n’en a pas été question aux écoles à feu de 1894, et l’on n’a même pas tiré cette pièce à Châlons. Mais eussé-je été documenté sur le 120 du 5 au 9 août, comment aurais-je pu divulguer, en avril, ce que j’ai appris quatre mois plus tard[125] ?

Ainsi, Esterhazy ne s’abaisse pas à dire à Pellieux que les questions, traitées au bordereau, dépassent sa compétence, et que, seul, Dreyfus a pu en être instruit. Sa fierté lui est revenue. Que la presse répande cet argument saugrenu et que des députés l’acceptent[126], c’est tout bénéfice. Mais, soldat répondant à un soldat, il se borne à affirmer qu’il n’a pu avoir ces renseignements qu’à la fin de l’été, — donc, après la date assignée par Mathieu lui-même au bordereau.

Cet acte d’accusation de d’Ormescheville, qui, adroitement, par des identifications tendancieuses, fait naître dans l’esprit des juges et, par contre-coup, dans tout le corps d’officiers, l’impression, puis la conviction, que le bordereau est d’avril ou de mai et non de septembre, a donc préparé l’alibi d’Esterhazy.

Mais cet alibi lui-même, si Pellieux avait eu quelque curiosité, n’eût pas sauvé Esterhazy. En effet, dès le printemps de 1894, en mars, sept mois avant d’écrire le bordereau, Esterhazy avait fait offrir à Jules Roche des renseignements précis sur la mobilisation :

J’ai des documents, écrivait-il à Grenier, qui établissent que le ministre s’est f…u de la Commission de l’armée en disant que les effectifs, dans l’Est, répondaient à ceux des Allemands ; ce sont des situations de prises d’armes des troupes du 6e corps… Quant aux effectifs des autres corps, c’est funambulesque… Si Roche veut une situation de prise d’armes et d’effectif, je les lui enverrai pour l’édifier sur la bonne foi des renseignements qu’on lui donne. Ces gens du Gouvernement, je parle des ministres et des généraux, ont assassiné l’armée française ; ils mentent tous comme un fourrier pris en faute. Ce sont des criminels et, malheureusement, ils resteront impunis… Ce qui est terrible, chez nous, c’est la faiblesse de notre infanterie, faiblesse mécanique et faiblesse morale… La mobilisation russe est absolument défectueuse, presque impossible même, dans certains cas, sur le papier. Et je n’ai eu en mains que des documents officiels, en admettant que ces canailles slaves ne nous roulent pas[127] !

Quand Jules Roche eut pris connaissance de ces pièces, qu’en fit Esterhazy ? Volontiers, il tirait d’un sac deux moutures.

Vers la fin de l’interrogatoire, Esterhazy, passant de la défensive à l’offensive, dénonça que des faux nombreux avaient été fabriqués contre lui : par Cesti, « l’un des agents les plus actifs dans les bas-fonds du Syndicat », au service de Mathieu ; — c’était Henry qui avait envoyé cet aventurier aux Dreyfus[128] ; — et par Picquart, qui avait cherché, en vain, à faire timbrer à la poste « une carte-télégramme censément adressée à l’accusé et rédigée en style conventionnel ; il y est question d’une soi-disant maison de commerce désignée par une initiale[129] ».

L’accusateur, ayant ainsi parlé, céda tranquillement la place à l’accusé.

  1. Esterhazy dit qu’il en fut prévenu par Saussier. (Cass., I, 585.)
  2. Cela est avoué par Pellieux : « Le 16 novembre, je reçus du gouverneur de Paris l’ordre de faire une enquête purement militaire… Je fis venir M. Mathieu Dreyfus, il ne m’apporta aucune preuve d’aucune espèce, rien que des allégations. En réalité, mon enquête était virtuellement terminée… Mon rapport a été remis le 20… Mais il paraît qu’il y avait eu erreur ou confusion, et que l’intention du ministre était que l’enquête que je devais faire fût une enquête judiciaire. » (Procès Zola, I, 244.)
  3. Procès Zola, I, 242. 243, 336, 337, Pellieux.
  4. C’est ce que Pellieux dit à Scheurer et, textuellement, à Picquart au cours de la seconde enquête judiciaire : « Je ne puis vous permettre d’entamer la discussion sur la possibilité de la confection matérielle du bordereau par Esterhazy, ce bordereau, à la suite du jugement, ayant été attribué à Dreyfus, et cette question ayant l’autorité de la chose jugée. » (Enquête, 27 novembre, cote 20, procès-verbal signé : Pellieux. Ducassé (greffier), Picquart.) Il tint le même discours à Leblois qui protesta vivement, le 29 novembre. (Procès Zola, I, 273, Pellieux.)
  5. Né à Strasbourg, le 6 septembre 1842.
  6. Cass., II, 176. Pellieux. — En 1882, Pellieux était major de la division du corps d’occupation en Tunisie.
  7. Dép. à Londres (Éd. de Bruxelles), 85.
  8. Mémoires de Scheurer.
  9. 17 novembre 1897.
  10. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  11. Instr. Fabre, 42, Pellieux : « Il se borna à renouveler l’accusation, sans apporter aucune preuve à l’appui, et me demanda simplement une nouvelle expertise du bordereau. »
  12. Procès Zola, I, 243. 337, Pellieux.
  13. « Je sentais que je ne pouvais pas m’arrêter. »
  14. « Du reste, sur ces entrefaites… »
  15. Dép. à Londres (1er mars 1900).
  16. Lettre du 19 novembre, signée, « par ordre » du commandant Ducassé : « Chargé de l’enquête sur l’affaire Mathieu Dreyfus-Esterhazy, que vous connaissez certainement, je vous prie de me faire, par retour du courrier, une réponse aux questions suivantes : Est-il exact qu’à la fin d’août ou au commencement de septembre 1894, vous ayez envoyé au commandant Esterhazy, major au 74e d’infanterie à Rouen, le manuel de tir confidentiel de l’artillerie ? Dans quelles conditions ce manuel vous a-t-il été demandé ? À quelle date et par quelle voie vous a-t-il été renvoyé ? Prière de me faire tenir votre réponse sous double enveloppe, sous le couvert du chef de corps. » — Voir le récit de cet incident par Pellieux au procès Zola : « On a appelé au témoignage d’un officier qui, par hasard, s’est trouvé être israélite, etc. »
  17. Jour, Matin, etc., du 19 novembre 1897.
  18. Instr. Fabre, 111, 113, 114, Scheurer.
  19. Enq. Pellieux. 18 nov. 1897. — Procès Zola, I, 243, Pellieux.
  20. Procès Esterhazy, 152, Scheurer.
  21. Mémoires de Scheurer.
  22. Instr. Fabre, 41, Pellieux.
  23. Ce récit de Leblois à l’instruction Fabre (120, 134, 139), est entièrement confirmé par Pellieux (138). Au procès Zola (I, 271). Pellieux chicane sur le caractère confidentiel de la communication de Leblois, mais convient qu’il répondit affirmativement à la question préalable de l’avocat. Il nie seulement le propos relatif à Picquart.
  24. Procès Zola, I, 243, 244 ; Instr. Fabre, 41, 131, Pellieux.
  25. Voir t. II, 667.
  26. Procès Zola, I, 244, 248 ; Instr. Fabre, 42, 133, 139, Pellieux.
  27. Instr. Fabre, 135, Leblois. Cela est confirmé par Pellieux (139).
  28. Instr. Fabre, 42, Pellieux.
  29. Instr. Fabre, 135, 241, 242, Leblois.
  30. Cass., I, 200 ; II, 213, Picquart.
  31. 18 novembre 1897.
  32. Aurore du 20 novembre 1897.
  33. Cass., I, 201, Picquart.
  34. Libre Parole du 23 novembre.
  35. Procès Zola, I, 244, Pellieux.
  36. Il l’avoua lui-même (Instr. Fabre, 41).
  37. Figaro du 25 novembre 1897.
  38. C’est ce qu’il m’a dit à plusieurs reprises, avec une touchante sincérité.
  39. Assemblée des représentants de la Commune de Paris, 30 juillet 1789 (Sigismond Lacroix, Actes de la Commune, I, 51).
  40. Lettre du 20 novembre 1897.
  41. La Vérité en marche, 3.
  42. Cassagnac : « De ses mains impures, qui essayèrent de souiller la Lourdes de Marie et la Rome de Saint-Pierre,… etc. » (Autorité du 16 janvier 1898.)
  43. Anatole FRANCE, La Vie littéraire, I, 236, article sur la Terre qu’il appelle « les Géorgiques de la crapule » : « M. Zola ignore la beauté des mots comme il ignore la beauté des choses… Il n’a pas de goût… Il a comblé cette fois la mesure de l’indécence et de la grossièreté. » Jugement non moins sévère sur le Rêve : « S’il fallait absolument choisir, à M. Zola ailé, je préférerais encore M. Zola à quatre pattes… Il tombe à chaque instant dans l’absurde et le monstrueux. » — Ranc n’avait pas été moins dur pour l’Assommoir : « Les travailleurs n’y valent pas mieux que les fainéants… Paresseux ou non, ivrognes ou non, hommes et femmes, les personnages de M. Zola sont également répulsifs… Dans tout ce monde, qui grouille en pleine boue, pas un éclair d’intelligence ni d’esprit… Le peuple ne sent pas si mauvais que cela… Je me rappelle, en mai 1871, un bataillon qui défilait sur les boulevards. Les fédérés, revenant des avant-postes, marchaient d’un pas leste, une branche de lilas fleuri au bout du fusil. Il y a des fleurs au faubourg, mais M. Zola ne les a pas vues. »
  44. Figaro du 1er décembre 1897.
  45. Petite République des 25 et 26 novembre 1897. — Rouanet, dans la Lanterne du 18, incline à croire Dreyfus innocent ; Pelletan, le lendemain, regrette que Billot n’ait pas couvert Esterhazy qui semble avoir été « dans l’impossibilité de livrer à l’ennemi les documents » énumérés au bordereau.
  46. Jaurès, dans la Lanterne du 28 novembre.
  47. Figaro du 25 novembre.
  48. Petite République du 26 novembre 1897.
  49. Léon Say, dès 1894, avait eu le sentiment que Dreyfus était innocent. Il me le dit à moi-même et à bien d’autres.
  50. 21 novembre 1897. — Procès Zola, I, 244, Pellieux.
  51. Roget a prétendu devant la Cour de cassation que Pellieux « n’a eu connaissance du faux Henry qu’au moment du procès Zola ». Mais le contraire résulte : 1° de la conversation, à la date du 29 novembre, où Pellieux demanda à Scheurer si Billot ne lui avait pas fait voir, comme à lui-même, une preuve certaine de la culpabilité de Dreyfus (Mémoires de Scheurer) ; — 2° de la lettre de Pellieux à Cavaignac, en date du 31 août 1898, au lendemain des aveux d’Henry ; « Dupe de gens sans honneur… ne pouvant avoir confiance en ceux de mes chefs qui m’ont fait travailler sur des faux, je demande ma mise à la retraite » ; — 3° de la conversation de Pellieux avec un rédacteur du Gaulois. G. de Maizière, 2 septembre 1898) ; le journaliste raconte que la pièce fut communiquée à Pellieux, « pour mettre sa conscience à l’abri », par le général Gonse, au cours de l’enquête sur Esterhazy ; 4° de la déposition d’Esterhazy (26 février 1901, à Londres) qui raconte, évidemment d’après Henry, que Pellieux fut mandé au ministère de la Guerre où Boisdeffre lui fit communiquer par Gonse la fausse lettre de Panizzardi « avec beaucoup d’autres », parmi lesquelles les lettres de l’Empereur allemand : « Ce n’est, dit-il, ni un tambour ni même un lieutenant-colonel qui eussent pu faire une pareille communication de documents ultra-secrets et confidentiels à un officier général ». — Maizière et Esterhazy disent tous deux que la communication eut lieu « au cours de l’enquête ». Il s’agit, évidemment, de l’enquête judiciaire. Pellieux, causant le 24 novembre 1897 avec Scheurer, fit allusion au faux d’Henry (Voir p. 122). Il l’avait donc connu entre le 21, date de sa nomination, et cette entrevue. — Gonse (Rennes. II, 160) dit « qu’il montra à Pellieux les pièces qui pourraient lui être utiles » : « Il les examina, les choisit, et je les lui fis envoyer deux ou trois jours après par bordereau officiel signé du ministre. » Mais il se garde de préciser quelles pièces il lui montra. « Depuis, nous n’avons plus vu Pellieux à l’État-Major jusqu’après son enquête. »
  52. Rennes, I. 633, Lauth.
  53. Député du Cher, membre de l’Institut.
  54. Je donne ici, et non à la date du 28 novembre, le résumé de la déposition d’Henry devant Pellieux. Il résulte, en effet, des questions posées par Pellieux à Picquart, le 26 et le 27 novembre, qu’il était déjà au courant des divers incidents qui s’étaient produits à L’État-Major, du printemps à l’automne de 1896. Ainsi, le 26 : « Je vous prie de me faire savoir dans quel but vous avez fait disparaître, dans la photographie du texte, les traces de déchirure qui existaient sur l’original ? » etc.
  55. De même Lauth : « La personne que Cuers avait voulu désigner n’était autre que le commandant Henry lui-même. » (28 novembre 1897.)
  56. C’est ce que dira encore Pellieux à l’instruction Fabre : « Leur honorabilité (d’Henry et de Gribelin) rend leur témoignage inattaquable. »
  57. Esterhazy, dans son dernier interrogatoire (2 décembre 1897), demanda une enquête sur l’origine et l’authenticité du petit bleu.
  58. Pellieux interrogera Picquart sur ces billevesées (Cass., I, 203, Picquart).
  59. Libre Parole du 17 novembre. — Lauth racontait ouvertement que j’avais prêté de l’argent à Galliffet, ce qui était faux, à condition que le général imposât à Zurlinden la nomination de Picquart.
  60. Voir t. Ier, 229.
  61. Éclair du 27 novembre 1897, Patrie du 28, Matin du 30, Libre Parole, etc.
  62. Écho des 21, 25, 26 : Jour du 23 ; Éclair du 26, etc.
  63. Cass., I, 220, Bertulus.
  64. Cass., I, 219, Bertulus.
  65. Dép. à Londres, 1er mars 1900.
  66. Procès Zola, I. 335, Pellieux.
  67. Cass., I, 449, Du Paty : « J’eus plusieurs entrevues avec Esterhazy, jusqu’au jour où je reçus défense du général de Boisdeffre de le voir, vers le 16 novembre. » De même, Cass., II, 193 ; Instr. Tavernier, 6 juin, 25 juillet 1899.)
  68. Mémoire de Christian au procureur de la République. 65. — Cass., I, 585, Esterhazy.
  69. Lettre du 1er octobre 1897 : « Autre grande affaire. C’est cela qui est plus grave et plus ennuyeux que tout. J’en suis bien contrarié. »
  70. Mémoire. 71.
  71. Fremdenblatt du 24 novembre 1897. — Une autre protestation du comte Paul Esterhazy, conseiller de l’ambassade d’Autriche et Paris, parut dans le Temps du 26.
  72. Libre Parole du 25 novembre 1897.
  73. Mémoire, 67.
  74. Cass., II, 196, Du Paty (Enq. Renouard).
  75. Cass., I, 444, Rennes, III, 505, Du Paty. — Gonse en convint à l’enquête Renouard et à l’instruction Tavernier.
  76. Cass., I, 213, Picquart.
  77. Cass., I, 585 ; II, 244, Esterhazy ; II, 176, Pellieux ; 194, Du Paty.
  78. Mémoire, 95, 100, etc. ; Figaro des 12 et 14 juillet 1898, récit de Christian.
  79. Mémoire, Cass., I, 785, Tournois.
  80. Mémoire, 68, 72, 94.
  81. Mémoire, 105.
  82. Du Paty reconnut la lettre et convint des circonstances où il l’avait écrite. Cass., I, 454 ; II, 194.)
  83. À l’enquête Renouard (9 septembre 1898), Du Paty continue à attribuer la dépêche à Mlle de Comminges. (Cass., II, 195.)
  84. Cass., I, 585. Esterhazy la versa au dossier de la Cour de cassation : il l’avait communiquée précédemment au conseil d’enquête et dit qu’elle avait été entre les mains d’un rédacteur de la Libre Parole, Boisandré ; celui-ci la reconnut. (Cass., II, 185.)
  85. Le prince Ghika. Un autre officier roumain, P…, fut accusé par la suite d’avoir livré les cours de l’École d’application de Fontainebleau.
  86. Lettre d’Esterhazy à Pellieux, du 24 novembre (Pièce 14).
  87. Du Paty se dit « absolument couvert par les ordres qu’il reçut de Gonse à cet effet ». (Cass., I, 454 ; 32, 200 ; Instr. Tavernier, 6 juin.) Gonse dit tantôt que ce fut Billot qui provoqua la démarche, voulant « savoir ce que faisait Esterhazy », tantôt que ce fut Du Paty, informé des doutes de Tézenas par l’un de ses secrétaires. (Cass., II. 198 ; Rennes, II, 161, 171.)
  88. Cass, II., 32, 300, Du Paty.
  89. Cass., II, 97 (Enq. Pellieux), interrogatoire d’Esterhazy du 24 novembre ; je sus son récit que confirme Pellieux : « reconnaissez-vous ces deux lettres ? — Oui. — Je les verse au dossier. »
  90. Au procès Zola (I, 245), Pellieux dit : « Cette perquisition m’avait été demandée. » Il ne dit pas par qui.
  91. Christian, Mémoire. 97.
  92. L’article 85 du Code de justice militaire (modifié par la loi du 18 mai 1875) qui permet aux commandants de place, etc., « de faire tous les actes nécessaires à l’effet de constater les crimes et les délits et d’en livrer les auteurs aux tribunaux chargés de les punir ».
  93. 23 novembre 1897. — Pellieux convient (Procès Zola, I, 335) qu’il ne consulta aucun magistrat avant de faire procéder à cette perquisition. Après, il en parla à Bertulus. Il signa son ordonnance le 22, le jour même où il reçut les lettres « urgentes et confidentielles » d’Esterhazy.
  94. Rue Yvon-Villarceau, n° 3.
  95. « Ce stratagème a été indiqué par le service des renseignements. » (Matin du 25 novembre 1897.)
  96. Matin du 25.
  97. Matin et Intransigeant du 25 novembre 1897.
  98. Tous les journaux signalèrent que le commissaire était accompagné d’un personnage important : « Un officier supérieur appartenant au service des renseignements » (Matin) ; « un délégué du ministère de la Guerre, portant la rosette d’officier de la Légion d’honneur » (Jour) ; « un représentant de l’autorité militaire » (Temps-, etc. Le Petit Journal du 27 le nomma : Henry ; et la Patrie du 27 parut avec ce titre en manchette : « Les recherches du colonel Henry. » La présence d’Henry aux perquisitions chez Picquart fut confirmée, le même jour, par le Figaro. Henry démentit tardivement dans la Patrie du 4 décembre.
  99. Jour, Intransigeant du 26 novembre. La Patrie du 27 reproduit le même propos : « Cet officier, le colonel Henry… »
  100. Note officielle du 29 ; « Les papiers saisis au domicile du lieutenant-colonel Picquart lui ont tous été restitués par le général de Pellieux. » De même, Pellieux (Procès Zola, I, 245).
  101. Article 39 du Code d’instruction criminelle : « Les opérations prescrites par les articles précédents seront faites en présence du prévenu, s’il a été arrêté, et s’il ne veut ou ne peut y assister, en présence d’un fondé de pouvoirs qu’il pourra nommer. » — Aucun article du code de justice militaire n’autorise les officiers de police militaire à procéder ainsi qu’il est dit à l’article 88 : « Le juge d’instruction pourra pareillement se transporter dans les autres lieux où il présumerait qu’on a caché les objets dont il est parlé dans l’article précédent. »
  102. Libre Parole, Jour, etc., du 26 novembre 1897.
  103. Procès Zola, I, 248, Pellieux : « Il était absolument inutile de faire perquisitionner chez le commandant Esterhazy ; cela avait été fait pendant huit mois… Je n’ai pas fait perquisitionner chez Esterhazy parce que j’étais officier de police judiciaire et que je ne l’ai pas jugé nécessaire. »
  104. Albert Decrais, député de la Gironde, ancien ambassadeur à Londres, me rencontra, dans les couloirs de la Chambre, comme il venait d’apprendre l’incident : « Ces journalistes, me dit-il, sont naïfs ; ils prennent pour des agents de police de vulgaires cambrioleurs. — Allez donc, lui répondis-je, répéter cela à Méline ou à Billot ».
  105. Temps, Figaro, Siècle, Radical, Aurore des 26 et 27 novembre.
  106. Je fis faire une démarche, à cet effet, chez l’une de ces locataires ; elle supplia qu’on la laissât tranquille.
  107. 23 et 24 novembre 1897.
  108. Cass., II, 94, 107. 108, 109, 224, Esterhazy.
  109. Sauf le premier. Il avait eu le tort de préciser que c’était un petit bleu : la carte-télégramme (où l’adresse est écrite au verso de la missive) aurait dû porter le timbre de la poste avec la date. Il dit, en conséquence, qu’il ne l’avait pas conservée et il en donna une raison que Pellieux trouva très plausible : « Parce que, expliqua-t-il, la carte était écrite en caractères d’imprimerie, et qu’on aurait pu me dire que je me l’étais envoyée à moi-même. — Continuez, reprit Pellieux (II, 94). » La même objection valait pour les autres billets, mais elle ne vint pas à l’idée de Pellieux qui les reçut sans mot dire.
  110. Cass., II, 232, 251 (Enq. Bertulus), Christian. — Il dit « qu’il avait encore chez lui du papier semblable ».
  111. Cass., II, 277. Bertulus. — Déposition de la concierge, femme Choinet.
  112. Au procès Zola (I, 247), Pellieux refusa « d’exprimer une opinion » sur l’affaire de la dame voilée.
  113. Pellieux accepta, sans contrôle, ce récit d’Esterhazy, le répéta au procès Zola, ajouta que Picquart avait avoué (I. 249). Picquart rectifia vivement (I, 301, 333). Pellieux convint qu’il avait parlé d’après Esterhazy (I, 333).
  114. 20 novembre 1897. (Cass., II, 98 à 102).
  115. Cass., II, 99 : « Pour vous éclairer sur la nature précise de cette accusation, je vais vous faire connaître, point par point, les raisons qu’il allègue. »
  116. Cass., II, 282, Christian, d’après un récit d’Esterhazy.
  117. Lettre du 21 novembre en réponse à la lettre de Pellieux du 19. (Voir p. 58.)
  118. Cass., II, 99, Esterhazy.
  119. Enq. Pellieux, 26 novembre 1897, Bernheim.
  120. Voir t. Ier, 60.
  121. « Il nous paraît impossible que Dreyfus n’ait pas eu connaissance des modifications apportées au fonctionnement des troupes de couverture au mois d’avril dernier… Il doit s’agir de la suppression des pontonniers et des modifications qui en résultent. Il est inadmissible qu’un officier ait pu se désintéresser des suites d’une pareille transformation, au point de l’ignorer encore quelques semaines avant qu’elle ne devienne officielle. » La loi fut votée le 21 mai et promulguée le 29 juin 1894. — Voir t. Ier, 290. 323, 402, 409, etc.
  122. Cass., I, 76, Roget : « Parce qu’il n’y avait aucun intérêt à le faire. » — Au contraire. — Plus loin : « On a toujours dit au service que le bordereau était du mois d’août. » (77)
  123. Procès Zola, II, 112, 113, Picquart.
  124. Ibid., II, 112, Pellieux, Gonse.
  125. Cass., II, 99 à 101.
  126. Par exemple, Camille Pelletan. (Voir p. 73.)
  127. Lettre du 2 mars 1894 Rennes. III. 556).
  128. Voir t. II, 183.
  129. Cass., II, 102, Enq. Pellieux, 25 novembre 1897.