Histoire de l’Affaire Dreyfus/T2/1-1

La Revue Blanche, 1901 (Vol.2 : Esterhazy, pp. 62–119).

Ch. I. Esterhazy

(suite)

X

Quelques jours après ces événements, Esterhazy reçut le quatrième galon[1] et fut désigné pour le poste de major à Dunkerque[2].

Cette affectation ralluma ses colères. Il avait demandé instamment à rester à Paris. On retrouve, ici encore, l’un des traits saisis sur le vif par Balzac : « Les êtres de cette espèce s’habituent à ériger leurs moindres intérêts et chaque vouloir momentané de leurs passions en nécessité ; avec ce système on peut aller loin[3]. » Partant, ceux qui lui font « cette crasse infecte » de l’envoyer à Dunkerque, « dans la garnison la plus au nord de la France », sont des « misérables » ; Freycinet, d’ailleurs, et son directeur de l’infanterie, « un fier gueux, l’ami de tous les Jésuites[4] », le « porc Gallimard[5] », savent bien ce qu’ils font. Lui infliger de tels frais de déplacement, quatre ou cinq mille francs, « absolument au-dessus de ses ressources[6] », et l’éloigner des affaires « où une partie de la dot de sa femme est engagée », c’est le ruiner. Et non seulement ces « cochons » ont juré sa ruine[7], mais encore la mort de ses enfants », de sa petite fille, « qui a été malade, l’hiver dernier ». Tout cela est « immonde et lâche ».

Quelles canailles que ces gens-là et quelle joie j’aurais de donner ma démission, de montrer combien tout ce qui touche cette armée n’est que blague, farces, mensonges, vantardise, couardise et fanfaronnade ! Que je les méprise et que je les hais, pour tout le mal qu’ils m’ont fait, qu’ils me font, pour tout ce qu’il y avait de bon en moi qu’ils ont détruit[8] !

On sent ici l’approche du naufrage final.

Cependant, et tout en continuant à les injurier, Esterhazy sollicitait ses chefs[9]. Il avait retrouvé, depuis son mariage, son ancien camarade du bureau des Renseignements, Maurice Weil, alors officier d’ordonnance (au titre territorial) du général Saussier. Le gouverneur de Paris, circonvenu par Weil, et le général du Guiny intervinrent en sa faveur, mais sans succès : le règlement était formel, il était impossible de le faire passer au 3e corps. « Vous ne trouverez jamais, lui écrit le général du Guiny[10], un directeur de l’infanterie qui fasse ce que vous désirez. » Seul, un ministre peut le faire et, « pour agir auprès du ministre, il ne faut pas un militaire, il faut un civil influent ». Par exemple, explique le général, « un député, un sénateur », qui obtiendra l’ordre nécessaire. « Voilà le vrai moyen ; il n’y en a pas d’autre. À un militaire, on oppose le règlement ; à un civil, on ne le peut pas. » En conséquence, Esterhazy se fit donner par Grenier une lettre qui l’introduisait auprès de moi ; mais il n’en fit pas usage, ce qui ne l’empêcha pas de raconter à son ami que « j’avais été très bien[11] ».

En effet, il avait trouvé beaucoup mieux. Renseigné, à la Libre Parole, sur la campagne qui se préparait à l’occasion des procès intentés à la Compagnie du canal de Panama et sur le rôle attribué à Freycinet dans cette affaire, Esterhazy demanda audience au ministre et étaya sa requête de quelques avertissements. Le ministre, à en croire Esterhazy, fut ému, mais fit bonne figure :

J’ai eu, écrit-il, une engueulade homérique avec le Freycinet. Il a commencé, mais j’ai riposté dans la ligne basse ; je crois que j’ai touché la charogne. Vous m’aviez dit qu’il était très froid et très maître de lui ; je l’ai fait absolument sortir des gonds. Mon opinion se résume toujours en ceci : les cochons ! les cochons ! les cochons ! Je ne crois pas beaucoup à Dieu se mêlant de nos affaires, mais, s’il s’en mêle, il doit faire couler ce pays à pic, à bref délai. C’est trop sale et, surtout, trop lâche[12].

Freycinet dit qu’il entrevit seulement « ce grand escogriffe » dans le bureau de son secrétaire, Lagrange de Langre. — Et, certainement, devant le ministre de la Guerre, Esterhazy n’eut pas l’insolence d’Achille. Les maîtres chanteurs de son espèce ne menacent pas ; ils insinuent, promettent, effrayent. — En conséquence, le jour même, Freycinet adressa une note explicite au directeur de l’infanterie :

J’ai vu le major Esterhazy et je l’ai autorisé à m’adresser, avec certificats médicaux à l’appui, une demande de congé jusqu’au 31 décembre. Dans le travail de fin d’année, on l’affectera à un régiment du 3e corps, conformément à la demande des généraux Saussier et du Guiny[13].

Esterhazy, à qui cette note fut transmise par le général Gallimard, poussa ses avantages. Avisé par Weil qu’il y avait, à deux pas de Paris, une situation vacante « qui ferait très bien son affaire[14] », — le commandement de l’École de gymnastique et d’escrime à Joinville, — il la fit demander par Saussier. L’emploi étant déjà promis, Freycinet en exprima ses regrets au gouverneur de Paris[15]. « En compensation », il offrait à Esterhazy la place de major au 74e de ligne à Rouen, « avec promesse d’une place de chef de bataillon à Paris, après une année de majorat ». Esterhazy, sceptique aux promesses, grogna encore, mais Saussier le rassura : « Le général, lui écrit un de ses aides de camp[16], me charge de vous dire que vous pouvez compter sur lui ; au jour voulu, il exigera absolument[17] votre nomination à Paris. Acceptez donc, sans crainte, et, par la suite, comptez sur notre grand chef. » L’engagement était formel ; le général Gallimard le confirma dans une lettre particulière à Esterhazy[18] ; Rouen, d’ailleurs, est à deux heures de Paris.

Freycinet, parce qu’il avait obligé le protégé de Drumont et de Morès, se flatta qu’ils l’épargneraient dans le feu de leurs attaques. Les polémiques, au contraire, éclatèrent, d’une féroce violence. Il fit alors, ou laissa réclamer, par le chef de son secrétariat, l’intervention d’Esterhazy, mandé à Paris, de sa campagne de Dommartin, par dépêche officielle[19]. Esterhazy lui-même avait, précédemment, offert son concours. C’est le procédé classique.

Telle était alors la terreur qui fit, pendant quelques mois, de la République française une sœur cadette de la République de Venise, sans la hache et sans les Plombs, mais où il suffisait d’être nommé pour être sali. Ce vieillard avisé, le plus éminent dès collaborateurs de Gambetta et le plus fin des politiques, ne comprit pas qu’il s’humiliait, rien qu’à ne pas rejeter une telle intervention. Jaloux, avec raison, de son honneur, il pensait le défendre, alors qu’il livrait surtout le secret de sa faiblesse. Esterhazy, qui était accouru, fut reçu, en secret, par Lagrange de Langre[20] et rapporta, en goguenardant, l’entretien à ses amis. Les gens de la Libre Parole ne désarmèrent pas, mais ils notèrent l’incident sur leurs tablettes, pour s’en servir plus tard. La nomination d’Esterhazy à Rouen fut signée le lendemain[21].

Ce fut l’une des dernières que signa Freycinet. Deux jours après, Ribot, président du conseil, reconstitua le ministère. Il n’appela point Freycinet dans la nouvelle combinaison (31 décembre). Loubet, ministre de l’intérieur, et Burdeau, ministre de la Marine, se retirèrent en même temps.

Pour Esterhazy, son envoi, après tant d’intrigues, dans une garnison si voisine de Paris n’eut d’autre résultat que d’accélérer sa débâcle. À peine nommé[22], il n’y fit que de courtes apparitions, toujours en permission ou en route, professant plus que jamais le mépris de son métier et absorbé par la question d’argent, spéculateur en uniforme, talonné par ses créanciers, brûlant ses dernières cartouches. Ce qu’il gagnait parfois dans une série de petites opérations bien conçues et prudentes[23], il le perdait aussitôt dans le grand coup qui devait refaire sa fortune[24]. « Je continue à prendre la culotte, écrit-il en janvier, mon Turc f… le camp[25]. » Le mois d’après, sa déveine persistante prend un ton plus tragique : « La jettatura m’a fa maledetto, je suis désespéré[26]. » Et, comme tant de scandales, une liaison publique avec une fille rencontrée au Moulin-Rouge[27], avaient amené une rupture violente avec ses beaux-parents[28], il jouait maintenant une autre comédie, celle du père de famille malheureux, prêt à subir toutes les épreuves, mais torturé par la pensée de sa femme et de ses petites filles, « si gaies, joueuses, joyeuses, qui sont à la veille de manquer de pain ».

Cependant, la farce-tragédie se précipitait. On le vit alors agitant mille projets, dans une fièvre continuelle qu’il entretenait à grands verres d’eau-de-vie, d’une gueuserie tantôt lamentable, tantôt offensive, pérorant sans cesse, et c’est toujours le même discours, la même plainte contre le destin, d’une fureur monotone, la figure ravagée, l’œil hagard et mauvais.

Certainement, un suprême combat se livra alors en lui. A-t-il déjà, comme il en a été accusé il y a peu de mois[29], et, plus anciennement encore, en Afrique[30], demandé d’occasion à l’espionnage les ressources que la Bourse et le jeu s’obstinaient à lui refuser ? Cela est possible, mais rien ne le prouve. On peut supposer qu’avant de franchir ce dernier Rubicon, un reste d’honneur l’a retenu, le souvenir de tant d’ancêtres, son nom évocateur de tant de gloires, la peur, tout au moins, du périlleux métier. En tout cas, il a cherché, pendant quelque temps, à quitter l’armée, à fuir, loin d’elle, le spectre qui le hante, à se fuir lui-même.

Dans les derniers mois de 1892, avant que le ministre eût rapporté le décret qui l’envoyait à Dunkerque, Esterhazy avait fait à Maurice Weil le récit pathétique de sa misère et l’aveu de ses déboires : « Sa carrière militaire se terminerait sans qu’il y eût un moment de fortune[31] » ; mieux valait y renoncer et, pendant qu’il était jeune encore et vigoureux (il avait alors quarante-trois ans), recommencer sa vie dans quelque emploi civil. Dès lors, il suppliait Weil de le recommander à Léon Berger, un ancien officier d’ordonnance de Saussier qui présidait à Constantinople la commission de la Dette publique ; « les bonnes places n’y manquent pas ». Weil écrivit chaleureusement à son ami, et Esterhazy s’adressa lui-même à Berger, en termes pressants : « Puisse Berger me sauver, dit-il à Grenier, ou mieux sauver les miens ! » Et encore : « Si Berger ne me trouve pas quelque chose, je n’ai qu’à me tuer et les miens avec moi. C’est horrible. Nul ne peut savoir ce que je souffre[32]. »

Phrases de roman, littérature de mélodrame ; pourtant, ce dessein de partir, de chercher fortune à l’étranger fut sérieux. Un instant encore, comme épouvanté de lui-même, il s’y raccroche.

Berger répondit favorablement, mais sans promettre une solution immédiate. Un peu plus tard, vers l’été de 1893, il vint à Paris, manda Esterhazy et lui offrit la place qu’il avait si vivement sollicitée. Esterhazy le remercia, mais refusa. Il a changé d’avis. Si ses parents de France l’ont abandonné dans sa détresse, ses parents d’Autriche, dit-il, ont été plus généreux ; l’un d’eux, un vieil oncle, lui a assuré une rente annuelle de douze mille francs.

L’oncle n’existait pas, et Esterhazy ne recevait aucun subside d’Autriche.

XI

Il était entré, depuis le mois de juin, au service du major Max de Schwarzkoppen[33].

Il avait fait la chose brutalement, avec son cynisme ordinaire, et jouant d’ailleurs, se jouant à lui-même la comédie jusque dans le plus abject des crimes.

Par lettre d’abord, puis dans une audacieuse visite, en plein jour, Esterhazy s’offrit à l’attaché militaire d’Allemagne, mais non comme l’espion ordinaire, en quête de trente deniers. Ayant décliné son nom, il dit que, de cœur et d’âme, il était resté hongrois, autrichien, allemand, qu’il n’avait de français que le déguisement de son uniforme et que, s’il l’avait revêtu, c’était pour mieux servir sa patrie d’origine en lui livrant les secrets de l’ennemi. S’il demandait de l’argent, beaucoup d’argent, c’était moins pour lui que pour sa femme et ses enfants qui mouraient de faim.

Il ajouta qu’il n’était pas, à la vérité, officier d’État-Major, mais qu’il était en position de connaître les affaires les plus secrètes du ministère de la Guerre, parce qu’il était lié étroitement avec plusieurs généraux et qu’il avait, au service des Renseignements, un officier qui le documentait.

Schwarzkoppen l’écouta avec défiance, étonné d’une telle impudeur. Il connaissait l’organisation du contre-espionnage français ; il savait qu’à la suite des affaires où avaient été surpris l’un de ses prédécesseurs, le baron de Huiningen, dit de Huehne, et le capitaine Borupt, attaché militaire des États-Unis, l’ambassadeur allemand avait promis au gouvernement français que ses attachés s’abstiendraient désormais de semblables pratiques. Il crut qu’Esterhazy était un agent envoyé par Sandherr pour le tromper ou l’éprouver. Et il le lui dit : qu’il n’était pas d’humeur à risquer sa situation pour un individu qui était, sans doute, un provocateur et peut-être n’était même pas officier ; au surplus, Esterhazy n’avait qu’à s’aboucher avec Schmettau, l’attaché militaire allemand à Bruxelles.

Esterhazy refusa cette combinaison, plus sûre pour Schwarzkoppen, mais trop dangereuse pour lui. On se sépara, cette fois, sans conclure[34].

Peu après, il revint à la charge. Schwarzkoppen, qui cherchait alors à s’informer des projets, en cours d’étude, sur la transformation de l’artillerie, lui proposa nettement le marché : « Apportez-moi les renseignements qui me sont demandés, et je vous prends à mon service. »

Il ne s’attendait pas à le revoir. À son étonnement. Esterhazy revint, au bout de quelques jours, à l’ambassade et lui remit des notes très complètes sur les dernières séances du comité d’artillerie, un résumé, qui lui parut authentique, des procès-verbaux. Schwarzkoppen lui paya grassement cette première fourniture et l’engagea, à 2.000 marks par mois[35].

XII

Esterhazy, dès sa première rencontre avec son employeur, lui dit qu’il se documentait au bureau des Renseignements ; un peu plus tard, il lui nomma son collaborateur : Henry. Et il le lui nomma fréquemment, par la suite, dans ses conversations et dans ses lettres.

En 1893, il y avait treize ans qu’Esterhazy, Henry et Weil avaient quitté, à quelques mois de distance, le bureau des Renseignements où ils s’étaient connus. Weil reçut son congé définitif en 1880[36]. Henry, promu capitaine en même temps qu’Esterhazy[37], fut envoyé d’abord aux zouaves, à Oran, puis au Tonkin. Âpre à la besogne et brave au feu, blessé dans la campagne du Sud-Oranais, il reçut la croix en 1884 et fut nommé, à son retour en France, major et commandant d’armes à Péronne[38]. Il y épousa, en 1892, la fille d’un aubergiste[39]. L’auberge était achalandée surtout de rouliers ; la jeune fille servait elle-même les clients de son père[40]. Henry, lui aussi sans fortune, fils d’un paysan, se serait adressé alors à Esterhazy pour constituer la dot réglementaire de sa fiancée[41]. Peu après son mariage, Miribel et Boisdeffre le firent, pour son malheur, rentrer au service des Renseignements, l’imposèrent à Sandherr[42].

Les relations d’Esterhazy et d’Henry, très intimes pendant leur commun séjour à l’État-Major, n’avaient pas cessé depuis[43]. Quand Henry passa au 2e zouaves, régiment où Esterhazy avait servi avant lui, ils correspondaient fréquemment[44]. Ils se retrouvèrent ensuite à Paris et étaient voisins dans la Marne.

Pogny, village natal d’Henry, où il allait chasser, pendant ses congés d’automne, chez son père, grimpe sur la côte basse qui longe le canal de la Marne au Rhin. À mi-route de Sainte-Menehould, non loin des plaines glorieuses de Valmy, le château-ferme d’Esterhazy, Dommartin-la-Planchette. Ce terroir champenois, tant foulé par les invasions étrangères, glacial l’hiver, sous la bise qui souffle des défilés de l’Argonne, brûlé comme un Sahara pendant les mois d’été, blanc d’une poussière crayeuse, de la groise aveuglante, est peuplé de gens robustes, mais tristes comme leur sol déshérité, cultivateurs et petits bourgeois, qui s’épient les uns les autres et observent tout, en silence, sans en penser moins. On y connut vite les rapports d’Henry avec le châtelain de Dommartin. Henry, fils de ses œuvres, protégé de Miribel, parent, par sa mère, du général Chanoine, qui était aussi du pays, comme un autre officier d’État-Major, l’homme de confiance de Boisdeffre, Pauffin (de Saint-Morel), était l’orgueil du village de Pogny. On racontait ses campagnes, ses deux évasions pendant la guerre[45], ses exploits en Afrique et au Tonkin[46]. Au contraire, à Dommartin, Esterhazy était peu respecté. Les désordres de sa vie étaient connus ; il avait tenu d’étranges propos ; on le savait grossier, mauvais payeur, processif. Cependant on le craignait, tant il faisait sonner ses relations de famille, sa prétendue parenté avec l’Empereur d’Autriche, la lointaine parenté de sa femme, par les Bauffremont[47], avec Boisdeffre, et ses grandes influences au ministère de la Guerre, où il entrait, se vantait-il, comme chez lui.

Esterhazy, même avant de trahir, avait « le physique de l’emploi[48] ». Tout à l’opposé, Henry, de haute stature, corpulent, donnant l’impression de la santé et de la force, la poitrine large, chassée en avant par de massives épaules, le cou puissant, la figure ronde, colorée, percée de gros yeux exorbités, obliques, d’un gris de faïence, sous un front bas, portait l’impénétrable masque du paysan qui cache le meilleur et le pire. Cette âme rurale est un abîme, creusé par des siècles de misère, d’efforts patients et continus vers un même but, le petit gain qui s’ajoute au petit gain. L’abîme renferme, indifféremment, des trésors de courage et de vigueur, la réserve inépuisable de la France, et des monstres. Rien de plus trompeur que la bonhomie apparente, tantôt réelle, tantôt feinte, la niaiserie savante de l’éternel Agnelet, sa cupidité sournoise ; sa puissance de dissimulation, d’abord apprise, puis héréditaire, par crainte du seigneur et du fisc ; l’obscure rudesse, si souvent calculée, de son langage. Qui s’arrête à cette épaisse surface, risque terriblement d’être dupe. L’intelligence paresseuse de Boisdeffre, celle de Picquart, si vive, mais longtemps sans défiance, se laisseront prendre également aux dehors du paysan galonné qu’est Henry. Rares furent ceux qui, mieux avertis, ont lu dans ce livre fermé et, dès que l’homme parut sur la scène, ont reconnu, sous le brave soldat, et qu’il eût pu demeurer, le profond scélérat qu’il était devenu.

XIII

De ce qu’Esterhazy, faisant son marché avec Schwarzkoppen, lui a désigné Henry comme son complice, il n’en résulterait pas que l’association d’espionnage ait existé. Il dit vainement la vérité quand il ne l’appuie point de preuves, dix fois irréfutables. On comprend, du reste, son intérêt à authentiquer sa marchandise, à la faire valoir pour en tirer un meilleur prix. Schwarzkoppen transmit aussitôt l’information au chef de l’État-Major allemand, le général de Schlieffen.

D’autre part, entre tant de prétendus complices qu’il eût pu nommer à l’attaché allemand, pourquoi choisir cet officier obscur, d’un grade inférieur, qui vient à peine de rentrer au bureau des Renseignements ? Il eût pu s’autoriser, avec plus d’avantage, de plus gros personnages, par exemple de Sandherr, qu’il avait rencontré en Tunisie[49].

L’objection n’est pas sans réplique. Il indique Henry précisément à cause de son obscurité ; qui peut vérifier, et comment ?

Il est exact que, d’un traître, une trahison de plus ou de moins n’est pas pour surprendre. Cependant, par quel raffinement d’infamie choisit-il cet ami de quinze ans, d’une fidélité inlassable, qui va, rien que pour le sauver, — s’il n’est pas son complice, — commettre tant de crimes, perdre tout, la vie, l’honneur ?

Ce sont ces crimes qui se lèvent, témoignent contre Henry, ceux que j’ai racontés déjà, ceux qu’il me reste à dire, et tous ces crimes sont avérés, avoués. Et comment les expliquer, car il faut un mobile à tout acte, si ce n’est par l’intérêt personnel ? Henry, s’il n’est pas le complice d’Esterhazy, est inexplicable.

Esterhazy n’aurait donc pas menti à Schwarzkoppen.

Qu’un lien terrible unisse Esterhazy et Henry, tout le prouve, chez l’un et chez l’autre. Chez Henry, sa feinte continuelle de ne pas connaître Esterhazy, ses crimes, sa mort. Chez Esterhazy, le langage qu’il tient au sujet d’Henry. On va voir Esterhazy s’irriter parfois contre son ami, le menacer, parler de lui, et très haut, pour que les propos lui soient rapportés, comme d’un homme qui est son prisonnier, et pas seulement pour quelques menues dettes impayées[50]. Ailleurs, Esterhazy ne parle d’Henry qu’avec éloge, attendrissement[51]. De ses anciens compagnons d’armes, c’est le seul qu’il ne cherche pas à salir, qu’il vante comme un type d’honneur et de loyauté.

Autre chose encore. Tant qu’Henry est vivant, Esterhazy nie être l’auteur du bordereau. Dès qu’Henry est mort, Esterhazy prend la fuite. Mais, avant même de chercher asile en Angleterre, dans le premier désarroi, quand la revision du procès Dreyfus paraît imminente, il se déclare l’auteur du bordereau[52] ; il l’a écrit par ordre, d’accord avec Sandherr, mort depuis longtemps, et avec Henry. Version absurde, qui ne résiste pas à l’examen. Mais cette fable, qu’il reprendra sans cesse[53], d’une association de contre-espionnage, n’est-ce pas le demi-aveu de l’association d’espionnage ? L’amour-propre survit, chez Esterhazy, à la ruine de tout. Devant l’histoire, comme devant Schwarzkoppen, il essaie de ne point paraître comme un traître vulgaire. Il dit à Schwarzkoppen : « Je suis un Allemand qui sert bien son pays en lui livrant les secrets de l’ennemi héréditaire. » Il dit à l’histoire : « Je suis un soldat qui a obéi à ses chefs jusqu’au crime. »

Schwarzkoppen haussa les épaules.

Cependant, la preuve matérielle d’une association manque. Henry est mort, a disparu sans parler. Et nul contrat ne fut passé.

On entrevoit bien qu’au début le tentateur, le pervertisseur, ce fut Esterhazy. Et l’on devine aisément l’œuvre diabolique. L’élégant aventurier a commencé par éblouir le rustre ; il se l’attache par une bienveillance familière, le reçoit à sa table[54], et non pas une seule fois, comme fera le marquis Du Paty de Clam, par dérogation à ses habitudes aristocratiques, et faisant sentir le prix du grand honneur[55], mais comme un ami et un égal. Puis, insensiblement, par ses discours, son mépris des hommes, son nihilisme empoisonné, il corrompt cette âme fruste, avide. Le paysan qui n’a connu de l’existence que le dur labeur, à peine quelques plaisirs vulgaires, aperçoit un monde nouveau de jouissances, qui lui semblait inaccessible et où il entrera quand il le voudra. Il a quarante ans, l’age critique, chez l’homme comme chez la femme, où la vie est encore si bonne[56]. Ce soldat a été jusqu’alors un brave soldat, creusant son sillon, intrépide sous les balles, dévoué aux chefs jusqu’à accepter d’eux d’humiliantes besognes, policier chez Miribel, racontant les histoires des camarades, et, pendant longtemps, sans autre ambition que de prendre sa retraite comme commandant et d’aller pêcher à la ligne dans son village. Esterhazy lui apprend la vanité de tout ce qu’il a respecté, la duperie du devoir, démonte, sous ses yeux, la grande machine : « Depuis le caporal d’ordinaire, depuis le fourrier qui fait monter les notices du pain, jusqu’au sergent-major qui carotte le prêt des réservistes riches et jusqu’au conseil d’administration des corps, tout le monde fait des faux[57]. » Et les chefs, ces chefs galonnés, dorés, couverts de décorations, « des chieurs d’encre et des foireux[58] » ! Celui-ci a volé ; celui-là a gagné la triple étoile en prostituant sa femme à un plus grand chef[59]. — Et l’autre a honte de sa simplicité. L’âpre amour du gain, qui tourmente tout fils de la terre avare, un instant endormi, se réveille en lui. De quoi s’agit-il, après tout ? Ils ont travaillé ensemble à ce redoutable bureau de l’espionnage officiel : quelle misère ! Les vrais traîtres, ce sont ces gouvernants, imbéciles et lâches, « non pas ceux qui livrent des documents quelconques et qui ne peuvent influer en rien sur les destinées de batailles problématiques et de combats qui ne seront jamais livrés, dans des guerres qui n’auront jamais lieu, puisque la France ne fera plus jamais la guerre[60] » !

Ainsi, on peut imaginer la scène ; mais, de ses deux acteurs, l’un a emporté dans la tombe son secret, l’autre ment comme il respire.

Dès lors, le mot de l’énigme reste enveloppé de nuages. Par moment, il s’illumine comme tant d’autres vérités, dans la lueur d’un éclair. On aperçoit alors, la main dans la main, Esterhazy et Henry. Puis le rideau d’ombre se referme. Et l’histoire n’a plus devant elle qu’une longue série de crimes, mais qui, cependant, ont une cause.

XIV

Esterhazy eut aussi des informateurs inconscients, ou qui, trop tard, s’aperçurent de leur involontaire complicité.

Outre qu’il était lui-même très au fait des choses et, surtout, des hommes de l’armée, observateur alerte, principalement des vices et des tares, et grand lecteur de livres militaires, prenant force notes, admirateur passionné de Napoléon et connaissant comme pas un l’histoire des guerres de l’Empire, il savait l’art d’interroger les officiers de son régiment et tous ceux avec qui il se trouvait en contact[61]. Il se mit à fréquenter les champs de manœuvres et de tir, pris d’une soudaine curiosité de son métier, s’enquérant des questions confidentielles, notamment du nouveau matériel et des récentes expériences de l’artillerie[62].

Plus que jamais, il resta lié avec Weil. Celui-ci, très versé, lui aussi, dans les questions militaires, avait entrepris, sous les auspices du ministère de la Guerre, des études historiques et critiques, très prisées des techniciens. Il y avait contre lui, à l’État-Major, un dossier qu’on disait terrible[63] ; Morès l’accusa vaguement d’espionnage[64]. Déféré sur ces entrefaites à un conseil d’enquête, il réussit à s’y soustraire par un voyage opportun et les influences qu’il fit agir[65] ; Esterhazy, d’autre part, fit taire Morès. Et, dès lors, malgré sa réputation douteuse et tant de bruits, fondés ou non, qui avaient couru sur son compte, il continuait à faire figure dans le monde de l’armée et jouait à l’officier hors cadres, dont il affectait l’allure. Il vivait dans la familiarité de Saussier, « le patron », était fort lié avec Lewal et Warnet. Il recevait ces généraux à sa table ; Esterhazy dîna chez lui avec Saussier. Il ne connaissait aucun secret militaire, mais passait pour informé et faisait l’important.

Tant que les archives de l’État-Major prussien n’auront pas ouvert leurs portes, on ne saura pas quels documents et renseignements furent livrés par Esterhazy. Ici tout est obscur, sauf son coup du début, qui fut un coup de maître, où il eut la chance de pouvoir satisfaire à la première demande de Schwarzkoppen. Heureusement, de pareilles occasions étaient rares. Henry, simple commandant, affecté à un service spécial et isolé dans L’État-Major ; Weil, simple amateur, ne pénétraient pas au mystère de l’organisation militaire. Et cette grande machine elle-même, combien peu elle comporte de rouages secrets[66] ! Les débats des Chambres, les rapports des grandes commissions, le budget de la guerre, établi et voté par chapitre, qui donne les chiffres des effectifs, le montant des crédits affectés aux travaux ordinaires et extraordinaires, les grandes manœuvres déroulant leur pompe théâtrale sous les yeux des attachés étrangers, spécialement conviés, la presse toujours à l’affût des nouvelles et qui ne recule devant aucune indiscrétion, la presse spéciale que le ministère documente lui-même, les centaines de volumes et de brochures qui sortent tous les ans des imprimeries militaires, tant de publicité, patentée ou inévitable, laisse peu de chose dans l’ombre. La mobilisation, elle-même « est écrite sur le territoire[67] ». Un frémissement patriotique s’empare des esprits à l’idée que ces secrets auraient été trahis. Or, les voies ferrées, les voies de débarquement, les stations-magasins sont autant de jalons publics de la mobilisation. Tout est connu, sauf quelques horaires, tels points de concentration ou tels centres d’approvisionnement, ou, pendant les deux ou trois années qui suivent l’invention, tel détail d’un engin nouveau (canon ou fusil) ou d’une matière explosive ; le plus souvent, l’étranger en a du reste l’équivalent, car les progrès de la science, chimie ou mécanique, sont presque parallèles dans tous les grands pays. Même dans l’étroit domaine qui reste muré devant le Parlement et la presse, l’étranger pénètre officiellement. Les attachés militaires étaient reçus, chaque semaine, au deuxième bureau, où le colonel de Sancy, le lieutenant-colonel Davignon, le capitaine d’Astorg, d’autres encore, s’empressaient à répondre à leurs questions[68]. Il y avait donc peu à glaner ; certains mois, Esterhazy, malgré son bon vouloir, ne trouvait rien. Il s’ingéniait alors à amuser ou à tromper Schwarzkoppen. Tantôt, il lui adressait de prétendus rapports sur la situation de l’armée française, où la chronique scandaleuse tenait la plus grande place, portraits grotesques des chefs, histoires d’alcôves, injures et gravelures de toutes sortes[69]. Tantôt, et moins traître, ces jours-là, qu’escroc, il lui portait des informations qui paraissaient presque en même temps, ou qui avaient déjà paru dans des publications spéciales. La supercherie lui était d’autant plus facile qu’il avait, en sa qualité de major, un secrétaire ; le soldat Mulot copiait, chez lui, force documents, manuscrits et imprimés, des passages de livres, des extraits de journaux et de revues, traitant surtout de questions de tir et d’artillerie. Il disait à Mulot que c’était pour préparer ses conférences[70] : « Copiez de la page tant à la page tant. » Puis, « il prenait le papier et l’emportait[71] ». Un sergent-fourrier lui fit encore d’autres copies[72]. Tout allait chez l’attaché allemand. Schwarzkoppen, fantassin comme Esterhazy, n’entendait pas grand’chose à l’artillerie ; le vieux neuf lui paraissait inédit et précieux[73]. Mais Esterhazy abusa. Ses diatribes contre les généraux français ne divertirent qu’une fois le grand État-Major prussien ; on s’étonna que le même individu livrât, sans plus de discernement, des pièces qui ne manquaient pas d’intérêt et la plus misérable pacotille. Schlieffen soupçonna un piège, prit l’escroc pour un provocateur. Déjà Panizzardi avait averti son collègue que l’espion, dont l’Allemand était si fier, fournissait, très cher, de la marchandise suspecte[74]. Il lui fit observer que la valeur technique de ces rapports était le plus souvent médiocre, que les inexactitudes y abondaient, surtout des incorrections de langage qui dénotaient une inquiétante ignorance professionnelle.

L’Italien, méfiant, en vint à douter que l’agent appartînt, ainsi qu’il le disait, à l’armée. Schwarzkoppen, quand il lui avait confié son aventure, avait refusé de lui dire le nom de l’espion[75]. Il lui avait offert seulement, en bon allié, de mettre le butin en commun[76]. Ce qui étonnait encore Panizzardi, c’était l’étrange scrupule de l’homme qui refusait de travailler directement pour lui, pour ces « sales macaronis d’Italiens ».

Ainsi mis en garde, à la fois par ses chefs et par son collègue, Schwarzkoppen s’expliqua avec Esterhazy et le somma de lui prouver qu’il était vraiment officier. Esterhazy n’éprouva aucun embarras, dit à l’Allemand qu’il n’avait qu’à se trouver, tel jour, à tel endroit, et qu’il l’y verrait, en uniforme et à cheval, galoper familièrement au côté d’un général[77].

Schwarzkoppen vint, au jour indiqué, au rendez-vous, et il y eut la preuve que, sur ce point, Esterhazy ne lui avait pas menti[78].

Il chercha également à rassurer son État-Major. On connaît le mémento dont le brouillon fut ramassé par la femme Bastian[79]. Schwarzkoppen y disait « son absolue certitude » que son espion avait des relations avec le bureau des Renseignements ; on l’avait connu, déjà, « quelque part ailleurs ». (En Tunisie, Esterhazy avait fréquenté beaucoup chez l’attaché militaire allemand, Bulow, éveillant déjà le soupçon.) Cependant, il ne se dissimulait pas le danger qu’il courait à conduire personnellement l’affaire. Danger d’autant plus grand qu’Esterhazy manquait de prudence, venait lui-même à l’ambassade, en plein jour.

L’attaché militaire avait tout caché à l’ambassadeur[80] ; le comte de Munster ne savait rien de la misérable affaire où Schwarzkoppen s’était engagé, au mépris de la parole donnée par son chef.

Ainsi, les rapports de l’Allemand et du traître furent très agités, tant par les exigences croissantes de l’espion que par les alternatives de confiance et de défiance où passa son employeur. Esterhazy, qui allait souvent chez Schwarzkoppen, l’amusait par ses discours ; à Berlin, Schlieffen le jugea sur les rapports et les notes qu’il recevait de lui. La fausse science d’Esterhazy, superficielle et de fraîche date, ses perpétuels trompe-l’œil, pour brillants qu’ils fussent, n’étaient pas pour faire illusion à l’esprit solide, précis, positif, du grand chef allemand. Il s’impatienta de ce bavardage parisien, et l’espion fut remercié[81]. (Juin 1894.)

XV

Esterhazy n’accepta pas sa disgrâce sans esprit de retour ; en attendant, il lui fallait retrouver ailleurs les deux mille marks mensuels de Schwarzkoppen.

Il les demanda aux juifs.

On ne connaissait que son rôle apparent dans l’affaire Crémieu-Foa. Il bâtit sur cette légende une autre légende. Désormais, deux ans durant, chaque fois que l’argent de la trahison lui fera défaut, l’impudent comédien s’en ira, à la porte des synagogues, débiter sa fable :

La campagne de la Libre Parole avait été « si bien vue dans l’armée que le capitaine Crémieu-Foa n’avait pu trouver un seul officier chrétien qui consentît à lui servir de témoin[82] ». — Mensonge, puisque Crémieu, avant d’avoir pressenti aucun de ses camarades, fut saisi au passage par le fourbe. — Esterhazy était alors « un très brillant officier de guerre, avec une certaine réputation comme homme d’épée, s’étant souvent battu ». — Il n’eut jamais un seul duel. — La veuve du général Grenier[83], « dans une lettre désolée, lui avait demandé, comme un service immense, d’aider le capitaine de l’autorité de son nom ». — Mensonge encore : il s’offrit lui-même ; Mme Grenier[84] et son fils blâmèrent Crémieu d’avoir relevé le défi de Drumont[85]. — Ainsi, Esterhazy avait, ce jour-là, « sauvé aux Israélites un formidable affront devant l’armée tout entière ».

Mouvement « chevaleresque, mais stupide » que celui qui l’avait emporté au secours de l’officier juif. D’une part, les Crémieu l’ont payé d’ingratitude[86] ; bien plus, « cédant à leurs besoins professionnels », ils l’ont « entraîné dans des spéculations où il ne connaissait rien, et l’ont ruiné à fond[87] ». D’autre part, les siens lui ont fait un crime d’avoir traîné son nom dans ces histoires. Son beau-père, vieux gentilhomme imbécile, qui ne s’occupe que de blason et « parle couramment de bâtonner les vilains », bourré de préjugés « dignes à peine d’un de ses ancêtres du temps de Louis XIII », et la marquise, « d’un bigotisme inintelligent et passionné », l’ont mis à la porte, après une vive discussion, « renvoyé au ghetto[88] ». N’a-t-il pas eu l’audace de leur dire « qu’il met à mille pieds au-dessus du plus illustre gentilhomme couard (c’était son beau-frère) le dernier des Juifs qui se bat pour sa foi, l’un étant un j…-f…[89] et l’autre un brave homme » ? De cette dispute, « sa pauvre femme a eu le plus grand chagrin » et en est tombée malade. Enfin, sa tante par alliance, Mlle de M…, vieille fille très dévote, est morte en le déshéritant ; son beau-frère, Jacques de Nettancourt, ne l’a même pas invité à son mariage ; et son oncle maternel de Beauval a refusé de lui venir en aide. Et il exhibait la lettre, d’une belle morgue d’aristocrate : « Mon cher neveu, je ne t’ai point dissimulé ma très vive réprobation, lorsque tu t’es fait le champion de la bande juive. Ce n’était pas à toi de défendre une pareille cause. Pour moi, chrétien, qui crois que Dieu punit et récompense, je vois dans les malheurs qui te frappent le poids de sa main. Tu as défendu les Juifs et tu succombes par l’argent. C’est le doigt de Dieu. » Cependant, le vieux gentilhomme lui promettait encore son héritage, 20 à 25.000 livres de rente : « Aie la résignation d’attendre ma mort[90]. »

Esterhazy avait, d’ailleurs, fabriqué lui-même cette lettre, dissimulant à peine son écriture[91].

Ses chefs militaires, eux aussi, jusque-là si bienveillants, lui ont retiré leur faveur. Boisdeffre, notamment, l’a blâmé durement « pour avoir assisté une épée juive contre une épée française ». Et il montrait aussi une lettre de Boisdeffre qu’il avait, comme l’autre, forgée.

Donc, les Juifs, surtout les grands Juifs, si riches et si généreux, et les plus riches et les plus généreux de tous, les Rothschild, les chefs de la célèbre maison, ne peuvent, sous peine d’ingratitude, refuser de le secourir : « Dans le désespoir où me met l’acte terrible que je vais être obligé de commettre, je m’adresse à vous dans une prière suprême[92]. » Et il précise « l’acte » dont il menace les cœurs durs qui refuseraient de s’attendrir. Non pas de se vendre à l’étranger (sa trahison était vieille déjà d’un an), mais de tuer sa femme, ses enfants, plutôt que de les laisser mourir de faim, et de se tuer, lui, soldat, dernier né d’une lignée si illustre, sur leurs cadavres[93].

Ce couplet de mélodrame lui était familier ; la perpétuelle menace de « se faire sauter le caisson » deviendra l’un de ses moyens de trouver de l’argent ; il écrira encore : « L’intolérance stupide d’une famille sans cœur, la conduite immonde de mon oncle, la santé de ma malheureuse femme, la destinée qui attend mes pauvres petites filles et à laquelle je ne puis les soustraire que par un crime, tout cela est au-dessus des forces humaines ; je ne manquais pas de courage, mais je suis à bout de forces morales, comme de ressources matérielles[94]. »

Au surplus, Esterhazy ne sollicite pas un don, mais un simple prêt. Il promet son dévouement éternel, offre, en garantie, une assurance sur la vie et l’héritage de son oncle, âgé de plus de quatre-vingts ans[95]. Comme preuve de ses disgrâces, il joint à sa requête la fausse lettre du vieux Beauval[96].

Rothschild ayant tardé à répondre, Esterhazy envoya à Weil, sur papier pelure, une copie de la lettre qu’il avait adressée au « tout-puissant[97] » financier et le supplia d’intervenir. Celui-ci lui offrit de solliciter le grand rabbin, ce qu’Esterhazy accepta « avec une infinie gratitude ». Il a entendu le rabbin « à la cérémonie faite après la mort d’André Crémieu-Foa, et il a conservé de son discours si élevé le plus respectueux souvenir[98] ». « Dieu veuille que votre amitié, qui me touche si profondément, puisse vaincre mon mauvais destin ! » Et, après une nouvelle tirade sur sa femme et ses enfants : « Je vous jure que je deviens fou. Dieu garde mon plus cruel ennemi de la millième partie de mes souffrances ! C’est trop, vraiment, c’est trop… Mais on m’appelle pour la prise d’armes. »

L’éclatante fanfare sonnait-elle dans la cour de la caserne ? Ou de quelle chambre de fille cet autre Valmont a-t-il écrit sa lettre ?

Il ne fit pas usage, cette fois, de papier pelure, mais du papier officiel, à en-tête, du régiment.

Weil obtint deux mille francs ; Esterhazy remercia le rabbin, en termes émus, « du fond de son cœur[99] ».

Ses notes, au régiment, sont toujours excellentes. En janvier : « Officier très méritant ; caractère droit et énergique ; conduite militaire et privée parfaite[100]. » — Il était brouillé avec sa famille, toujours à la veille d’être saisi par les huissiers ou d’être exécuté à la Bourse, et, bien que père de deux enfants, il vivait en concubinage, avec une fille[101]. — En juillet : « Du coup d’œil, de la décision, du sang-froid. Homme d’action. Esprit essentiellement militaire. » — Les chefs s’inquiétaient seulement de sa santé qui, « par malheur, n’était pas très solide ».

XVI

Espion en activité de service ou en disponibilité, on n’avait jamais tant vu Esterhazy sur les champs d’exercice. Déjà, en 1893, il s’était fait envoyer aux écoles à feu, quoique sa qualité de major l’en dispensât[102]. En 1894, il demanda à y retourner, fût-ce à ses frais, ce qui lui fut accordé[103] ; tel est son zèle que, dans l’intervalle[104], quatre jours après avoir été désigné pour le camp de Châlons, il prend part à des manœuvres de brigade avec cadres, qui sont des exercices d’infanterie où, d’ordinaire, les seuls chefs de bataillon sont admis[105].

Cet excès d’ardeur étonna ses camarades[106]. Lui-même, par la suite, comprendra quelles charges en résultent contre lui : il alléguera alors qu’il a été envoyé d’office aux manœuvres de printemps[107] ; pour les écoles à feu, il niera d’abord y être allé, puis soutiendra n’y être allé qu’à cause du voisinage de Dommartin, « où il désirait passer quelques jours ; il pouvait y aller dîner tous les soirs, en revenant du camp[108] ».

On peut croire qu’il était encore aux gages de Schwarzkoppen quand il se fit désigner, le 17 mai, pour suivre les exercices d’artillerie de Châlons et qu’il suivit, du 21 au 26, les manœuvres de printemps. Apparemment, le congé de Schlieffen le frappa à son retour. Le 31, il se rendit précipitamment à Paris, entre deux trains[109]. Mais tout le mois de juin, sauf la journée du 12 et celle du 23, il resta au régiment, et vraiment désemparé. C’est alors qu’il écrivit ses lettres à Rothschild, à Weil, au rabbin, qu’il appela les Juifs au secours.

Ici encore, on marche dans la nuit, sans autre torche que celle de la chronologie. Mais il n’en est pas de plus lumineuse, puisqu’elle montre la succession des faits, leur enchaînement logique.

En juillet encore, il reste à poste fixe dans sa garnison normande, ne vient que trois fois à Paris, le 6, le 18 et le 27. Puis, ce jour-là, il annonce qu’il va décidément au camp de Châlons et il y arrive le 3 août. Dans cette même quinzaine d’août, Schwarzkoppen part pour l’Allemagne[110] ; il va assister aux manœuvres prussiennes, rendre compte au chef du grand État-Major.

A-t-il donné quelque bonne parole à Esterhazy avant de partir ? Si Esterhazy n’a pas obtenu la promesse de rentrer au service, que va-t-il faire à Châlons, où il arrive dès le 3, et reste non seulement pour les écoles à feu, du 5 au 9, mais jusqu’au 16[111] ? Le 9, il est allé passer quelques heures à Paris[112] ; le 10, il se repose à Dommartin ; le 11, il reparaît sur les champs d’exercice et de tir.

Le camp, pendant toute cette période, fut particulièrement instructif. Les officiers de toutes armes purent examiner, à l’aise, dans les parcs d’artillerie et dans les polygones, les nouvelles batteries de 120 court et en faire fonctionner les appareils[113]. Le 16, avant de regagner sa garnison, Esterhazy put les voir tirer[114]. Précédemment, aux écoles à feu, il avait vu tirer le canon de 120 long[115] et avait assisté à l’application du nouveau manuel, ainsi que du nouveau règlement sur les manœuvres de batteries attelées. « Quelques-unes de ces manœuvres changeaient totalement les habitudes de l’artillerie »[116] ; les nouvelles formations de parc ou de marche furent couramment expérimentées et expliquées.

Un officier d’artillerie (le capitaine Le Rond) était spécialement désigné pour accompagner les officiers des autres armes et les instruire[117]. Au surplus, les journaux militaires (du 11 et du 15 août) discutèrent ces nouveautés[118], notamment le projet de manuel de tir, les modifications apportées aux formations de l’artillerie[119] et la manière dont se comportèrent les batteries de 120 comme véhicules.

Dans ce même numéro du 15 août, la France militaire commença une série d’articles sur l’expédition de Madagascar ; les journaux[120] l’annoncèrent comme imminente. À Châlons même, le colonel de Torcy préparait l’avant-projet de la campagne[121]. Il avait pour collaborateur, dans ce travail, l’intendant Fauconnet et le lieutenant Vénot. On en causait ouvertement.

Le même journal publia, le 18 août, l’instruction ministérielle relative à l’exécution de la loi du 29 juin sur la suppression des pontonniers et aux modifications qui en résultent pour la composition des corps d’artillerie.

Un autre sujet de conversation, classique au camp, c’était la destination des troupes de couverture. Les officiers des régiments-frontières affluaient à Châlons, chef-lieu de leurs corps d’armée[122].

Quiconque, militaire ou civil, aurait suivi ces expériences et ces exercices pendant deux semaines, faisant parler les officiers, regardant et écoutant avec attention, et ayant, en outre, sous les yeux, les articles des journaux spéciaux, eût pu écrire des notes intéressantes, où aurait revécu la vie du camp, mais qui n’auraient révélé aucun mystère.

XVII

Esterhazy avait porté aussi peu de scrupules dans son métier d’espion que dans son métier de soldat. Maintenant, il était averti : Schlieffen, les généraux prussiens, sont moins commodes que les généraux français ; ils refusent la viande creuse.

Pour une fois, il s’efforça d’être consciencieux.

Un soir de la dernière semaine d’août, comme il était attablé dans un café de Rouen, le médecin-major du régiment[123] lui présenta un lieutenant d’artillerie, Bernheim, de famille juive[124]. Esterhazy l’entreprit aussitôt sur le tir de l’artillerie, se fit donner des renseignements circonstanciés, notamment sur les nouvelles méthodes. Bernheim, fort instruit, flatté, comme l’est toujours un jeune officier, de causer avec un officier supérieur, dit, sans défiance, ce qu’il savait. — Son régiment avait tiré le nouveau canon au camp d’Auvours[125], et fait l’expérience des nouvelles réglettes[126] ; une plaquette[127] sur le 120 court et le frein hydro-pneumatique avait été distribuée aux officiers d’artillerie du Mans, où il tenait garnison. — Esterhazy questionnait, écoutait, racontait : il avait vu lui-même, à l’École normale de tir de Châlons, le télémètre à un seul observateur, aux écoles à feu les réglettes de correspondance. L’innovation principale dans le tir de l’artillerie, c’était précisément le réglage à la hausse[128], substitué au réglage à la manivelle[129], et qui impliquait l’usage de la réglette. Esterhazy demanda à Bernheim s’il pourrait lui procurer un de ces petits instruments et quelque livre sur le tir, par exemple le Projet de manuel[130].

Le lieutenant fit au commandant une réponse évasive : il n’a pas de réglettes réglementaires, mais son capitaine en a fait fabriquer en bois, d’après le même principe[131] ; avec l’autorisation de cet officier, il pourra lui en adresser une. Pour le manuel, il s’en considère comme personnellement responsable[132] et ne veut pas risquer de le perdre par la poste.

Bernheim dit que, rentré au Mans, et avant de partir pour les manœuvres[133], il envoya alors à Esterhazy la réglette en bois et, au lieu du manuel, le règlement : Siège et place, petit livre qui se trouve d’ailleurs dans le commerce. Par la suite, malgré ses réclamations réitérées, il ne revit jamais la réglette ni le volume[134].

Esterhazy a donné plusieurs versions de l’incident. Dans la première, c’est le manuel de tir qu’il a reçu de Bernheim[135] ; puis, à la réflexion, il ne se souvient plus de quel ouvrage il s’agit : est-ce « le manuel définitif » ou le projet de manuel ou autre chose ? Plus tard, enfin, il affirme qu’« en réalité, il ne l’a pas eu », que Bernheim lui a envoyé un autre document.

Se serait-il procuré ailleurs le manuel ?

Quoi qu’il en soit, c’est peu de jours après avoir entretenu Bernheim qu’Esterhazy écrit, de Rouen[136], la lettre qui est si terriblement fameuse sous le nom de bordereau. Les notes qu’il y énumère, il les rédige avec ses souvenirs de Châlons, qu’il vient de faire préciser, mais qu’il brouille encore, et à l’aide de quelques journaux rapportés du camp[137]. Les deux notes qui sont relatives à l’artillerie, celle où il est question de Madagascar, correspondent aux études poursuivies, en août, au camp de Châlons, aux sujets traités par la France militaire. Comme la première phrase l’indique, la lettre fait suite à une ou à plusieurs autres qui sont restées sans réponse : « Sans nouvelles m’indiquant que vous désirez me voir, je vous adresse cependant, Monsieur, quelques renseignements intéressants. » Schwarzkoppen est encore absent, aux manœuvres prussiennes ; il n’a pu, dès lors, donner à Esterhazy le rendez-vous demandé[138]. Cet espion congédié, importun, trop pressé de reprendre son service, peut attendre.

Esterhazy, d’autant plus, s’impatiente. Quelque nouveau tracas d’argent le presse. En vain lui remplit-on l’escarcelle. Tout l’argent qu’il a (l’aumône du rabbin comme la dot de sa femme ou le prix des trahisons) lui file entre les doigts[139].

Ne peut-il attendre le retour prochain de l’Allemand ? Ce serait sage ; il se le dit peut-être, mais passe outre et écrit sa lettre. Il envoie à Schwarzkoppen, en même temps, mais sous pli spécial, les renseignements recueillis à Châlons : sur le frein du 120, les troupes de couverture, les formations de l’artillerie et Madagascar. Non pas des documents, mais des notes, ainsi qu’il précise lui-même, autographes ou recopiées par son secrétaire Mulot[140]. S’il les avait mises sous le même couvert, qui eût été bien gros, il n’aurait pas eu besoin de les énumérer. S’il les énumère, c’est pour le contrôle : d’une part, le bordereau ; de l’autre, les notes.

Pour le manuel de tir, — nullement confidentiel, autographié à plus de 3.000 exemplaires, qu’on vend quatre sous dans les régiments[141], — il le vante comme la plus précieuse de ses marchandises : « Le ministre de la Guerre en a envoyé un nombre fixe dans les corps, et les corps en sont responsables, chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres. » Double mensonge, puisque les chefs de corps n’ont été nullement avisés d’une responsabilité quelconque et qu’à aucun moment les officiers n’ont été prévenus qu’ils auraient à rendre le volume[142]. Mais son commentaire sur l’importance de cet unique document original, qu’il annonce, mais qu’il n’envoie pas[143], ce commentaire va obliger Schwarzkoppen à rentrer en rapports personnels avec lui. L’attaché allemand veut-il faire son choix parmi les nouveautés du manuel, — car l’espion lui-même est incapable de les discerner[144], — ou préfère-t-il qu’Esterhazy le fasse copier in extenso[145] ? — Ce passage du bordereau est écrit dans un jargon volontairement obscur[146]. — De toutes manières, s’il « prend » le volume, Esterhazy ne peut l’avoir « à sa disposition que très peu de jours ». Dès lors, une entrevue, une réponse s’impose. Pour hâter la réponse, il ajoute : « Je vais partir en manœuvres. »

Formule incorrecte qui lui était familière. Le 20 mai précédent, il a écrit à un créancier : « Je pars demain en manœuvres de brigades. » Le 29 juin, dans sa lettre à Rothschild : « Au moment de partir en manœuvres[147]. »

On avait beaucoup parlé, d’avance, de ces manœuvres d’automne. Le thème de ce simulacre de guerre avait excité la curiosité : une armée, venant de l’Est, marche sur Paris et s’y brise à l’enceinte des nouveaux forts. Les attachés étrangers n’ont pas été invités.

Le régiment d’Esterhazy a été désigné pour y prendre part ; lui-même, en raison de ses fonctions spéciales, reste à Évreux avec le dépôt[148]. Mais il a tout intérêt à faire croire à Schwarzkoppen qu’il va suivre ces nouvelles manœuvres. Au surplus, il s’y rendra peut-être, en amateur, pour une journée[149].

La parole seule d’Esterhazy ne vaut rien : les manœuvres de mai, les écoles à feu de Châlons, qu’il a suivies sur sa demande, en 1894, il niera, en 1897, avoir pu écrire qu’il allait y partir, « puisqu’il était major[150] ».

Le bordereau, selon l’habitude presque constante d’Esterhazy, n’est pas daté ; et il n’est pas signé davantage, par prudence et parce que cela est inutile. Et tous les graphismes familiers de l’espion s’y retrouvent : les paragraphes qui ne forment pas alinéas, ne rentrent pas sur les autres lignes, certaines lettres ou même des syllabes entières dont les caractères, dans le même mot, sont plus gros que le reste, les mots qui ne sont presque jamais coupés en fin de ligne, le double ss inversé à l’allemande, la forme particulière des M majuscules, du v et de l’o qui ressemblent au sigma grec, de l’i pointé, du g pareil à un y[151].

La lettre était écrite sur le papier pelure habituel d’Esterhazy, filigrane et quadrillé, très léger[152], ce même papier qu’on cherchera en vain pour attribuer le bordereau à Dreyfus.

Enfin, et encore selon son habitude, Esterhazy a multiplié les impropriétés de langage[153]. La technicité, la précision (souvent pédantesque) de l’artilleur lui font défaut. Dans une seule et même phrase, il qualifie inexactement le frein du nouveau canon[154], désigne cette pièce sous un vocable incomplet[155] et parle de la manière dont elle s’est conduite (pour comportée). Plus loin, il introduit un non-sens jusque dans le titre du manuel qu’il appelle : « manuel de tir de l’artillerie de campagne », — comme si le mot final s’appliquait au personnel, non au matériel de l’arme, — au lieu de : « manuel de tir d’artillerie de campagne[156] ».

Esterhazy, dans le roman où il s’attribue le rôle d’un contre-espion héroïque[157], raconte qu’il porta lui-même, à l’ambassade d’Allemagne, le 3 septembre, à trois heures de l’après-midi[158], le bordereau dans son enveloppe. Les documents annoncés n’y étaient ni inclus ni annexés. — Cependant, ils sont à Berlin. — Il savait que Schwarzkoppen était absent de Paris. L’enveloppe, en papier bulle jaune, était marquée, dans un de ses angles, d’une petite croix au crayon rouge. À ce signe, la femme Bastian connut ce qu’elle avait à faire. Elle prit le pli dans le casier de l’attaché et l’envoya le jour même, par l’autre agent, Brucker, à l’État-Major[159]. Henry brûla l’enveloppe et déchira, de deux petites coupures, la lettre volée, pour faire croire qu’elle venait du cornet. Il la remit alors à Sandherr, qui avait inventé cette machination. Le service avait des preuves certaines de la trahison de Dreyfus, mais ne pouvait les produire au grand jour, sous peine de déchaîner la guerre. Sandherr a donc imaginé de dicter le bordereau à Esterhazy, qui l’écrivit — pourquoi ? — de son écriture la plus naturelle et la plus libre. Sans doute, on savait d’avance que les experts affirmeraient, quand même, par raison démonstrative et sous serment, que c’était le graphisme incontestable, scientifiquement déguisé, du Juif ! Pourquoi n’avoir pas fait fabriquer la lettre accusatrice par un des faussaires du bureau ? Pourquoi, ensuite, avoir fait déposer le bordereau, par Esterhazy, dans le casier de Schwarzkoppen ? Comme le nom de la ramasseuse et celui de Brucker étaient sacrés, ne pouvaient être prononcés sans crime, il eût été plus simple d’épargner au bordereau ce voyage compliqué, à Esterhazy cette dangereuse démarche, à la Bastian ce vol qui, découvert, la ferait chasser. Esterhazy, après avoir écrit le bordereau, n’avait qu’à le passer, par-dessus la table, à Sandherr. Il ne dit pas si Mercier, Gonse, Boisdeffre étaient du complot, s’ils furent dupes ou complices, si d’Aboville et Fabre furent de faux témoins, si l’enquête de Du Paty, l’instruction de d’Ormescheville, tout le procès ne furent qu’une comédie scélérate.

Ce mélange de demi-aveux et d’absurdes impostures, c’est tout l’art d’Esterhazy. Il est à ce point menteur que les quelques vérités, dont il convient, il les dénature en les confessant. Parfois, il se charge pour se disculper. Parfois, encore, la vérité sort de ses mensonges. Ainsi, de ce qu’il prétend avoir porté lui-même le bordereau à l’ambassade, on peut conclure qu’il l’envoya par la poste à Schwarzkoppen. S’il était venu à Paris, il eût su que l’Allemand n’était pas de retour, d’où son silence, et il n’eût pas demandé à « le voir ». Cette hypothèse, qui me semble une certitude (l’envoi du bordereau par la poste), explique tout : l’emploi du papier pelure par les avantages d’un pli léger qui n’appelle pas l’attention ; la disparition ultérieure de l’enveloppe, timbrée du lieu d’origine, révélatrice d’Esterhazy ; le fait que les notes annoncées, qui faisaient partie d’un autre pli, parvinrent à Schwarzkoppen[160].

Ainsi, les choses se passèrent très simplement. Venue par la poste, ou portée à l’ambassade par Esterhazy ou par un commissionnaire, la lettre fut déposée, par le concierge de l’ambassade, dans le casier de l’attaché absent. Brucker l’y prit ou la Bastian la lui donna. Et Brucker la porta à Henry. J’ai raconté le reste[161].

XVIII

Schwarzkoppen, à son retour de congé, trouva l’autre pli, avec les notes (sur les formations de l’artillerie, le 120, etc.). Il ne douta pas que l’envoyeur ne fût Esterhazy. Le pli, s’il est venu par la poste, porte le timbre de Rouen. Si les notes sont de la main d’Esterhazy, l’Allemand reconnaît son écriture, qu’il connaît depuis un an. Il sait surtout qu’il n’a qu’un seul officier français à son service.

Les notes, qu’il communiqua à Panizzardi, étaient d’un intérêt médiocre[162] ; celles sur Madagascar et les troupes de couverture n’avaient été envoyées que « pour grossir le paquet[163] ».

Le 20 septembre, Schlieffen avait adressé à Schwarzkoppen une lettre qui fut interceptée par le service des Renseignements. Il y réclamait « la description exacte du canon de 120 court, tubes, affût, mécanisme, tout ce qu’on peut avoir[164] ». Quelques jours après, le 27, un agent de Sandherr s’emparait d’un autre « questionnaire » de l’État-Major allemand ; Schlieffen demandait, cette fois, « la composition des batteries du régiment de corps à Châlons » ; le nombre des batteries de 120, « le manuel de tir de l’artillerie de campagne et la réglette de correspondance »; et, encore, des détails sur « la mobilisation de l’artillerie, le nouveau canon, le nouveau fusil, le fort de Manonvillers »[165].

Si ces lettres sont postérieures à l’envoi, par Schwarzkoppen, des notes d’Esterhazy à Berlin, il en résulte que l’État-Major prussien a trouvé insuffisante la note sur le 120 et que l’espion a bien annoncé, mais non livré, le manuel de tir[166]. On pourrait supposer aussi que Schwarzkoppen aurait tardé à envoyer à Berlin les notes d’Esterhazy et qu’ainsi, par un hasard singulier, le traître serait allé au-devant des désirs de Schlieffen.

Plus tard, le 29 octobre, alors que Dreyfus est arrêté depuis quinze jours, Schwarzkoppen transmet « ces renseignements qui viennent de bonne source : les tableaux d’effectifs réels de l’armée française ; les manœuvres de forteresse de Toul et de Paris[167] ».

C’étaient ces manœuvres de forteresse qui sont visées à la dernière ligne du bordereau.

XIX

Le jour même de l’arrestation de Dreyfus (15 octobre), Esterhazy partit pour Dommartin. Du 1er  au 14, il avait été à Évreux, avec le dépôt de son régiment. Il n’était venu à Paris que le 6. Jusqu’à la fin du mois, il resta à la campagne, se plaignant d’un gros rhume dont il souffrait beaucoup. Il ne revint à Paris que le 1er  novembre, pour y lire l’article où la Libre Parole révélait le nom de Dreyfus, et rentra à Évreux.

L’avant-veille, la première note du journal de Drumont, qui annonçait, en termes mystérieux, l’arrestation d’un traître, avait inquiété Schwarzkoppen. Il fit part de ses craintes à Panizzardi. Le nom de Dreyfus le rassura. Mais qui était ce Dreyfus ?

On ignore si Schwarzkoppen essaya de se renseigner auprès d’Esterhazy. À son ambassadeur, il dit seulement qu’il n’avait jamais eu avec Dreyfus aucun rapport. L’idée que le Juif était accusé pour le crime de son espion ne lui vint pas. S’il avait confessé à Munster qu’il avait lié partie avec Esterhazy, combien le vieil ambassadeur se fût senti plus fort dans ses entretiens avec Hanotaux, Dupuy, Casimir-Perier ?

Il disait vrai en leur affirmant sur l’honneur que Dreyfus n’avait jamais été aux gages de Schwarzkoppen. Mais le Président de la République et ses ministres accueillirent ses déclarations avec scepticisme, puisqu’ils savaient d’où venait le bordereau. Ils ne mirent pas sa loyauté en doute, pensèrent seulement que son attaché lui avait caché la vérité.

S’il avait été renseigné par Schwarzkoppen, Munster eût pu deviner l’affreuse erreur, éclairer l’Empereur allemand. Et l’on n’eût pas dénoncé Esterhazy, ce qui eût été trahir un traître[168]. Mais combien d’autres moyens d’empêcher, avant qu’il ne fût consommé, le crime judiciaire ! D’un mot, Schwarzkoppen eût pu forcer Esterhazy à passer la frontière et, une fois en sûreté, à avouer.

Esterhazy avait prévu l’éventualité ; il eut toujours quelques fonds dans des établissements de crédit[169], poire pour la soif, viatique, en cas d’alerte, pour la fuite.

D’Évreux, pendant les mois de novembre et de décembre, il vint souvent à Paris. Il parla couramment, sans trop s’agiter, de l’affaire Dreyfus. À Weil, il disait que le Juif était innocent, mais serait condamné, à cause de l’antisémitisme[170]. À Grenier, il signalait, tantôt avec indignation, tantôt avec complaisance, les articles de la Libre Parole contre Weil. Le 13 décembre : « Avez-vous vu cette crasse infecte dans les attaques de Morès contre Weil, contre le Gouverneur ? » Puis le 19 : « Quand on laisse passer sans souffler mot l’article de l’autre jour, Espion et généralissime, on peut… (ici une obscénité), mais inspirer le respect à des troupes me semble difficile… Ah ! les cochons ! les cochons ! les cochons ! » On n’ignorait pas, à la Libre Parole, que Saussier était hostile au procès, qu’il blâmait Mercier, tenait Dreyfus pour innocent. De là, toute une campagne de chantage contre Saussier, menacé de révélations fâcheuses sur son ami Weil et ses intrigues avec les Juifs[171]. Les articles ne sont certainement pas de Morès, qui avait le courage de signer ses fureurs, et sont presque certainement d’Esterhazy, au moins inspirés par lui. Il savait la faiblesse du Gouverneur, sa crainte de la basse presse, la fissure de sa vaste cuirasse. Et d’autres articles semblent avoir été dictés par lui, qui a le goût de ces audacieux défis sans danger, ou par Henry, ceux où Dreyfus apparaît avec tous les traits caractéristiques d’Esterhazy : « Il déteste les Français… Allemand de goût… Plein de haine pour l’armée française, n’ayant d’admiration que pour l’armée allemande[172]. »

Comme Schwarzkoppen, au début de leurs relations, avait engagé Esterhazy à s’aboucher avec son collègue de Bruxelles[173], Henry fit raconter par ses journaux que Dreyfus, en effet, était aux gages de Schmettau[174].

En même temps, avec un sinistre sang-froid, il écrit à divers correspondants des lettres bien militaires, où il n’est question que d’avancement, et multiplie les démarches à la direction de l’infanterie pour quitter Évreux, venir à Paris comme chef de bataillon. Et, comme le général Robillard le fait attendre, il l’injurie à son ordinaire et regrette Freycinet, « certes, une abominable canaille[175] », mais qui lui avait promis de ne le laisser qu’un an dans les fonctions de major. « Je suis plus embêté que jamais ; que devenir ? »

Il demanda, sans l’obtenir, à faire partie de l’expédition de Madagascar. C’était faire preuve ostensible de patriotisme.

L’homme, tel qu’il se montre lui-même quand il ne joue pas la comédie, n’a ressenti aucune pitié pour le Juif condamné à sa place, dégradé, déshonoré, maudit ; aucun frisson ne l’a traversé ; il lui est venu seulement un mépris plus âcre de l’humanité, bête ou lâche, et des chefs, et de la justice, et de l’armée.

Le 10 février 1896, Dreyfus écrit de l’île de Ré : « Il ne faut pas que vous vous laissiez abattre par l’adversité, si terrible qu’elle soit ; il faut que vous arriviez à prouver à la France entière que j’étais un digne et loyal soldat, aimant sa patrie au-dessus de tout, l’ayant servie toujours avec dévouement. » Esterhazy écrit le même jour : « Vous m’avouerez qu’il vaut mieux la Pompadour que ces chefs. C’était une jolie femme, élégante et pleine de goût, favorisant des gens qui étaient des seigneurs élégants, et qui mettaient volontiers flamberge au vent et chargeaient à Fontenoy… Bren pour tout le monde. Ils sont pourris. »

  1. 10 juillet 1892. Il fut nommé au choix.
  2. Au 110e régiment de ligne.
  3. Un ménage de garçon, 93.
  4. Lettre à Isaac, ancien sous-préfet d’Avesnes, octobre 1892, (Fac-similé dans le Siècle du 21 juin 1898.)
  5. Lettre à X…, du 3 octobre 1892. Dans la même lettre : « Je suis de plus en plus dans la m… »
  6. Du 9 octobre 1892, au même.
  7. Lettre à Isaac. — Dans ses lettres à Isaac et à Grenier, beau-frère de Crémieu-Foa, il se prétend victime de l’antisémitisme : « Si je ne suis pas nommé, c’est pour complaire à un petit drôle, le commandant Curé, de mon régiment, ancien officier d’ordonnance du directeur de l’infanterie… C’est lui qui manifesta son antisémitisme d’une façon aussi violente, près de Gallimard, lors des histoires du duel. » Et encore : « Les Rothschild sont bien bêtes s’ils ne se rendent pas compte que c’est eux qui sont visés derrière tout cela et qui trinqueront un jour, s’ils n’y prennent garde. Franchement, ils ne l’auront pas volé. »
  8. Lettre à Grenier.
  9. Lettre à Grenier : « Le chef qui me tirerait du pétrin pourrait me demander ma peau le soir même ; je la lui donnerais de grand cœur, sur mon honneur. »
  10. 7 octobre 1892, de Savenay (Loire-Inférieure).
  11. Lettre d’octobre 1892, sur papier de l’hôtel Terminus : « J’ai vu Reinach qui a été très bien. T… aussi. Mais vous comprenez bien que je ne peux pas raser ces gens-là indéfiniment. J’ai prié seulement Reinach de dire à Freycinet, s’il en trouvait l’occasion… » Dans trois autres lettres, l’une d’octobre, non datée, les deux autres du 9 et du 26 octobre, il est question de l’entrevue projetée avec moi (j’étais alors député) et de ma bonne volonté éventuelle. « Votre proposition pour Reinach me semble parfaite. S’il voulait vraiment agir !… Le voudra-t-il ? Voilà la question… » Or, je suis sûr de n’avoir jamais reçu la visite d’Esterhazy que j’ai vu, pour la première fois, au procès Zola, et dont la physionomie et la conversation m’auraient frappé. J’ajoute que, si Esterhazy était venu me solliciter, il m’aurait, par la suite, opposé, pour sa défense, ma recommandation. Bien au contraire, la Libre Parole ne cessa de raconter que j’avais recommandé Dreyfus à Miribel et à Freycinet, Picquart à Zurlinden, etc.
  12. Carte-télégramme du 1er  novembre 1892 à X… — Plus tard, Esterhazy répète encore qu’il eut « avec M. de Freycinet, face à face, dans son cabinet, une explication plutôt vive et qu’il lui annonça d’avance tous les scandales Cornélius Herz ». (Dép. à Londres, Éd. de Paris, 80.) L’incident fut résumé par Grenier, d’après Esterhazy, au procès de Rennes (II, 4). C’était Grenier qui avait mené Esterhazy chez Lagrange de Langre qui le présenta au ministre (Cass., I, 714). Freycinet, qui avait oublié sa lettre au général Gallimard, dit à Grenier, qui en déposa à Rennes, « qu’il ne se souvenait nullement avoir reçu Esterhazy ». En effet, il écrit seulement à Gallimard qu’il l’a vu.
  13. Note autographe du 1er  novembre 1892.
  14. « Maurice Weil, celui qui est fort bien avec le Gouverneur, m’écrit pour me dire qu’il y a une place, etc… Weil m’offre d’en parler au Gouverneur. » (Lettre à X…, octobre 1892.)
  15. Lettre du capitaine E…, officier d’ordonnance du général Saussier, à Esterhazy : « Le Gouverneur me charge d’avoir l’honneur de vous faire connaître qu’il a reçu ce matin (17 décembre) la visite de M. le général directeur de l’Infanterie, envoyé par le ministre pour lui dire ce qui suit : le ministre ne peut vous nommer à Joinville, parce qu’il a pris des engagements antérieurs avec R…, l’ambassadeur, en faveur d’un frère de ce dernier. Mais il vous offre en compensation… etc. »
  16. Du 20 décembre 1892.
  17. Souligné dans l’original.
  18. Du 22 décembre.
  19. Par lettre du 27 décembre 1892, sur papier officiel, un des officiers d’ordonnance de Freycinet avait prié l’un des amis d’Esterhazy de faire savoir à celui-ci « que M. Lagrange de Langre désirait l’entretenir chez lui, dans la soirée, avenue Kléber, 22 ». Pour le cas où Esterhazy ne serait pas à Paris, l’officier de service priait son correspondant de lui faire savoir l’adresse actuelle du major « par le planton, porteur de cette lettre ». Par surcroît de précaution, l’officier de service avait mentionné, sur l’enveloppe, que la lettre pourrait être ouverte tant par son correspondant que par « l’un des membres de sa famille ». — J’ai sous les yeux l’original de cette lettre. — « M. de Freycinet m’a fait, par dépêche télégraphique officielle, sur papier jaune, mander sur le champ de Dommartin, où j’étais en permission, à Paris. » (Dép. à Londres, Éd. de Paris, 80),
  20. 28 décembre 1892.
  21. « Par décision du 29 décembre 1892, M. Walsin Esterhazy, major du 110e passe au 74e. »
  22. Il prit son service dans les premiers jours de février 1893. (Cass., I, 780, Mulot.)
  23. J’ai sous les yeux sa correspondance dans l’une des maisons de coulisse où il opérait, surtout sur la rente. De janvier 1893 à février 1894, il gagna presque toujours, environ 10.000 francs (exactement : 9.709 fr. 60). Voici l’un de ses ordres : « L’extérieur repart en arrière. Que penseriez-vous de vendre une prime dont 25 sur notre prime dont 50 ? Si cela baisse, cela diminue ma perte de moitié ; si cela monte, je bénéficie de l’écart. Ou bien de vendre 2.000 ferme ? » Il téléphone de Rouen, se tient au courant des fluctuations du marché.
  24. Notamment, des spéculations sur la rente italienne, auxquelles il fait de fréquentes allusions dans ses lettres à Grenier, et sur les mines d’or. (Cass., I, 707, lettre à Jules Roche.)
  25. Lettre à Ernest Crémieu-Foa, de janvier 1898.
  26. Lettre à Grenier.
  27. Marie, dite Marguerite Pays. Elle avait alors vingt-deux ans. — « Comme le b… me répugne, écrit Esterhazy (ce n’est peut-être pas le goût du ministre, mais enfin !), comme je n’ai pas envie d’attraper le mal des croisés et que mes ressources ne me permettent pas la fréquentation de Liane de Pougy et Cie, j’ai trouvé à Rouen (car elle habite de temps à autre Barentin où elle est propriétaire) une femme qui habite aussi Paris, que je n’entretiens pas, et qui, moyennant une modeste rétribution, veut bien de temps à autre dénouer sa ceinture. » (Cass., I, 768, lettre à Jules Roche, de décembre 1896.) — Plus tard, Esterhazy et la fille Pays habitèrent ensemble. (Du 1er  janvier 1896 jusqu’à la fuite d’Esterhazy, au n° 49 de la rue de Douai.) Le bail fut au nom d’Esterhazy jusqu’au mois d’octobre 1897.
  28. Dans sa lettre de juin 1894 à Weil (voir p. 92), il attribue cette rupture à l’antisémitisme du marquis et de la marquise de Nettancourt, qui lui auraient reproché d’avoir assisté Crémieu-Foa contre Drumont.
  29. Esterhazy avait été dénoncé, en 1892, au général Brault, chef du cabinet du ministre de la Guerre, comme suspect d’espionnage, en relations avec des attachés étrangers. La dénonciation fut l’objet de communications avec le gouvernement militaire de Paris. — Le général Annenkof a raconté qu’Esterhazy et Henry avaient été au service de la Russie, avant la conclusion de l’alliance.
  30. Procès Zola, I, 295, Picquart. (Voir pp. 33 et 38.)
  31. Lettre à Grenier, décembre 1892. — Esterhazy lui demandait son appui auprès du commandant Berger.
  32. Lettre au même, un peu postérieure. — Esterhazy ne date presque jamais.
  33. J’ai tiré (presque exclusivement) de documents manuscrits et de mes conversations avec quelques personnages directement informés, les éléments du récit (d’ailleurs, et forcément, incomplet) qu’on va lire. On a déjà vu (t. I, 242) que Schwarzkoppen, dès l’origine, avait raconté son aventure à Panizzardi, son collègue italien, sans toutefois nommer Esterhazy. Il ne le nomma qu’en 1897, avant son départ pour Berlin. Le comte Tornielli consigna par écrit le récit que lui fit alors son attaché ; il déposa ce mémoire, intitulé Pro Veritate, aux archives diplomatiques, à Rome, et en a annexé une copie à son testament. L’ambassadeur d’Italie m’a fait, d’après Panizzardi, les mêmes récits qu’à Scheurer-Kestner et à Trarieux, au sujet des rapports de Schwarzkoppen et d’Esterhazy. (Cass., I, 469 et 470 ; Rennes, III, 425, Trarieux.) J’en ai eu, plus tard, confirmation pleine et entière par le prince de Munster, à qui Schwarzkoppen, avant de quitter Paris, avait fait enfin sa confession, et qui en avait pris note pour ses Mémoires. — L’Empereur d’Allemagne a fait quelques rares, mais très formelles, déclarations qui m’ont été répétées. — Enfin, au mois de novembre 1898, peu de jours après que j’eus fait paraître mon premier article (de pure déduction) sur la complicité d’Esterhazy et d’Henry (Siècle du 7 novembre), j’ai reçu la visite d’un écrivain russe, des plus considérables, qui me fit part de la conversation qu’il avait eue à Andermatt, en octobre, à la veille de l’inauguration du monument de Souvaroff, avec le baron de Yonine, ministre de Russie, et le général de Rosen, attaché militaire russe à Berne. L’un et l’autre tenaient directement de Schwarzkoppen qu’Esterhazy lui avait désigné Henry comme son informateur. — Schwarzkoppen avait été nommé à Paris le 10 décembre 1891. — La notation : Renseignements inédits, qu’on trouvera plus d’une fois au cours de ce volume, se rapporte à l’une ou à l’autre des sources que je viens d’indiquer.
  34. Renseignements inédits.
  35. Renseignements inédits. — Le savant F. Cornwallis Conybeare m’écrivit, le 28 juin 1898, dans une lettre qui fut publiée par la presse du monde entier : « Je suis assuré que le colonel de Schwarzkoppen ne niera pas qu’il donnait une mensualité de 2.000 francs à son informateur habituel, le commandant Esterhazy. » Conybeare défiait tout démenti autorisé. Il ne s’en produisit aucun. — La date de 1893, pour l’entrée d’Esterhazy au service de Schwarzkoppen, m’a été donnée par le prince de Munster lui-même. Cuers a donné la même date à Henry et à Lauth, lors de l’entrevue de Bâle ; du moins Cuers l’a affirmé, par la suite, à un témoin qui recueillit par écrit ses déclarations. La note, rédigée par Lauth à son retour de Bâle, débute ainsi : « Au mois d’août 1893 ou 1894, on n’a pas su ou voulu préciser l’année… » — De même, à l’instruction Tavernier, 5 octobre 1898 : « Cuers raconta, dépose Lauth, que l’espion — le major — était entré au service allemand au moment des manœuvres de 1893 ou 1894. Malgré l’insistance qu’on y mit, il refusa de préciser l’année… Il fut renvoyé à l’automne de 1895, aussi à l’époque des manœuvres, sur l’ordre formel envoyé de Berlin à l’attaché militaire qu’il eut à rompre avec un homme qui donnait des renseignements faux… » Ici encore, la date, donnée par Lauth, est fausse ; le petit bleu étant de 1896, Lauth dit que l’espion fut congédié en 1895 afin de rendre cette pièce inapplicable à Esterhazy. Cuers parla aussi d’une première rupture qui eut lieu, comme on va voir, en 1894, à l’époque des manœuvres de printemps.
  36. Cass., I, 310, Weil.
  37. 16 décembre 1879.
  38. Au 120e de ligne, en 1890,
  39. Bertincourt.
  40. Gaulois du 28 décembre 1898.
  41. Récit d’Esterhazy à un journaliste anglais.
  42. Rennes, II, 520, Cordier. — « Par décision ministérielle du 12 janvier, le commandant Henry, major au 120e régiment de ligne, est désigné pour être détaché à l’État-Major de l’armée. » (Journal officiel du 13 janvier 1893.) Le lieutenant-colonel Roget et le capitaine Cuignet furent nommés au 4e bureau, Roget le 19 janvier, Cuignet le 9 février.
  43. Cass., I, 580, Esterhazy ; 714, Grenier ; 709, lettre d’Esterhazy à Jules Roche.
  44. Dép. à Londres 1er  mars 1900.
  45. Il avait été fait prisonnier deux fois, le 11 octobre 1870, à Orléans, et le 11er  février 1871, près de Pontarlier ; chaque fois, il s’était échappé quelques jours après.
  46. Il avait été cité à l’ordre du jour, à la suite du combat de Yen-Gia.
  47. Le beau-frère d’Esterhazy avait épousé Mlle d’Ailly ; un de ses cousins, le comte de Nettancourt-Vaubecourt, avait épousé Mlle de Bauffremont-Courtenay.
  48. Mot de Mercier, dans la salle des témoins, pendant le procès Zola. Le propos fut rapporté, jamais démenti, dans de nombreux journaux de l’époque.
  49. Procès-verbal de l’interrogatoire subi par Henry le 30 août 1898 : « Je crois que Sandherr et Esterhazy s’étaient connus en Tunisie, mais je n’ai jamais vu le commandant venir au bureau qu’une fois en 1895 ; il venait apporter au colonel Sandherr des documents qu’il avait recueillis par hasard. » — Cass., I, 98, Roget : « Henry (le jour des aveux) me dit qu’il croyait que Sandherr et Esterhazy s’étaient connus en Tunisie comme des officiers qui se rencontrent dans un poste. » Roget atténue, devant la Cour de cassation, la phrase relative « aux documents recueillis par hasard » ; il dit qu’Esterhazy « était venu au bureau je ne sais pas trop pourquoi ».
  50. Cass., I, 709, lettre d’Esterhazy à Jules Roche ; 714, Grenier. (Voir p. 482.)
  51. Dép. à Londres, 1er  mars 1900 ; Dessous de l’Affaire Dreyfus, 29, etc.
  52. Gaulois du 4 septembre 1898 : « Le ministère de la Guerre aurait été officiellement avisé que le commandant Esterhazy se proposait de se déclarer, à brève échéance, l’auteur, par ordre, du bordereau. » La déclaration d’Esterhazy parut dans l’Observer de Londres, le 25 septembre.
  53. Cass., I, 609 ; Dép. à Londres, 1er  mars 1900.
  54. Dép. à Londres, Éd. de Paris, 26 : « Henry venait souvent déjeuner chez moi, et j’eus l’occasion et le plaisir de lui rendre quelques petits services. » — Rennes, I, 359, Bertulus : « Esterhazy a fasciné Henry. Henry a mis le doigt dans la main d’Esterhazy ; une fois qu’il a été dans l’étreinte, ç’a été fini. Henry est une victime d’Esterhazy. »
  55. Cass., I, 456, Du Paty.
  56. La vie familiale d’Henry fut toujours très simple ; mais d’autres dépenses (notoires) excèdent de beaucoup sa solde.
  57. Dép. à Londres, Éd. de Paris, 62. — Ailleurs : « Je n’ai pas réglé un trimestre, quand j’étais major, sans fausses écritures, sans produire, à l’appui de dépenses imaginaires, des factures fictives, et c’était le président du conseil d’administration qui me prescrivait l’emploi de ces procédés… etc. »
  58. Ibid., 53. « Je disais à Henry : Ce sont… » etc.
  59. Dans diverses lettres que j’ai sous les yeux, Esterhazy raconte ces histoires, donne les noms.
  60. Dép. à Londres, Éd. de Paris, 81 : « Ainsi que je l’écrivais à Waldeck, les vrais traîtres… », etc. — Remarquez, dans ce passage, la conscience qui éclate, l’aveu involontaire, le raisonnement subtil qui veut faire taire le remords.
  61. Cass., I, 148, Picquart ; I, 617, Le Rond ; Rennes, II, 141, Bernheim. — Sur l’instruction générale d’Esterhazy : Cass., I, 555, Jules Roche : « C’est un véritable homme de guerre. » I, 712, Grenier : « Nul ne pouvait être plus utile à feuilleter que le commandant Esterhazy, dont l’instruction générale et spéciale est absolument hors ligne. »
  62. Procès Zola, I, 285, Picquart : « Mes investigations m’apprirent que cet officier, qui ne s’occupait pas exclusivement de son métier, loin de là, manifestait cependant une curiosité très grande pour tous les documents ayant trait à des choses tout à fait confidentielles et pouvant avoir un intérêt particulier au point de vue militaire. » — Cass., I, 148 : « Le commandant Curé (qui était du même régiment qu’Esterhazy) m’a dit qu’il avait des allures singulières ; il avait demandé deux années de suite, en 1893 et 1894, à aller aux écoles à feu ; comme on lui objectait que ce n’était pas son tour, il y était allé sans indemnité. Il avait demandé, un jour, à Curé : « Vous qui êtes de l’État Major, pouvez-vous me renseigner sur la mobilisation de l’artillerie ? » Curé me dit encore qu’Esterhazy faisait constamment copier des documents chez lui.» — De même, Cass., II, 88, et Rennes, I, 421. — Toute cette partie de la déposition de Picquart est confirmée par Curé. (Cass., I, 407 ; Rennes, II, 239.) — Cass., I, 617, capitaine Le Rond : « Je l’ai remarqué (à Châlons, en 1894, aux écoles à feu), comme intelligent, d’esprit alerte et curieux, très désireux de s’instruire sur une arme qui n’était pas la sienne et posant, pour cela, des questions de détail sur le matériel ou le service des pièces. « — Le Rond ajoute qu’Esterhazy lui demanda, par lettre, en juillet 1895, des éclaircissements « qui témoignaient d’une absence de compétence notoire en artillerie ». Mais « cette ignorance sert de prétexte à la demande d’un ouvrage fournissant tous renseignements utiles sur le feu de l’artillerie ». (Cass., III, 424. Mornard.) En effet, « il demande s’il ne pourrait pas trouver dans le commerce un livre traitant des effets du feu de l’artillerie, analogue à ceux qu’ont publiés le général Philbert et le colonel Pâquier sur les effets du tir de l’infanterie ». (Cass., I, 81, Roget.) — Rennes, II, 141, lieutenant Bernheim : « Au café (à Rouen, en août 1894), Esterhazy me parla de l’intérêt qu’il portait au tir de l’infanterie et de l’artillerie, et qu’il serait très heureux d’avoir un livre sur le tir. » — Instr. Tavernier, 28 sept. 1898, Picquart : « Le colonel de Foucault, attaché militaire de France à Berlin, me dit que Cuers lui avait affirmé ce qui suit : que l’État-Major allemand n’avait qu’un espion, un commandant âgé d’environ cinquante ans ; il ne nous a jamais rien donné de fameux ; c’était surtout des affaires d’artillerie. Schlieffen n’en a plus voulu ; on l’a remercié un moment, puis il a recommencé à fournir. Dans les derniers temps, il a donné des questions de tir, des cours de l’École de tir de Châlons. »
  63. Cass., I, 153, Picquart.
  64. Cass., I, 153, Picquart. — Morès, dans la Libre Parole du 2 mai 1892, ne précise rien ; il met en garde les patriotes « contre un nommé Weil, un escroc juif, qui a ses grandes et petites entrées dans la Défense nationale ». Le 14, l’Avenir militaire annonça que le ministre de la Guerre avait prescrit de réunir un conseil d’enquête. Là-dessus, réplique de la Libre Parole sous la signature de Lamase ; c’est le récit des incidents qui firent exclure Weil des champs de courses.
  65. Cass., I, 513, Picquart.
  66. Chambre des Députés, séance du 11 mars 1899, discours de Freycinet, ministre de la Guerre. (Discussion du chapitre 32 du budget de la guerre : amendement tendant à la suppression des attachés militaires.)
  67. Freycinet, même discours.
  68. Revision, 111, Picquart : « Les officiers se plaignaient de travailler plus pour eux que pour l’État-Major. »
  69. « Il dénigrait, raconte Panizzardi, les hommes et les choses de l’armée française, avec la verve toujours facile dans la médisance. De données sérieuses, peu ou pas. »
  70. Procès Zola, I, 286, 287 ; II, 105 ; Cass., I, 169, 185 ; II, 88 ; Rennes, I, 421, Picquart ; Cass., I, 407, Curé ; I, 780, 781, Mulot, — Ce soldat fit son service au 74e de ligne, à Évreux, puis à Rouen, où il fut sous les ordres d’Esterhazy (14 novembre 1891 au 23 septembre 1894). Plus tard, Esterhazy eut à son service un dessinateur, Escalle.
  71. Récit de Mulot à Picquart, le 29 septembre 1896.
  72. Fin 93 ou commencement 94. (Même récit.)
  73. Esterhazy, pour soutenir son rôle de contre-espion, prétend (Dessous de l’affaire Dreyfus, 158) qu’il n’a fourni à Schwarzkoppen, par ordre de Sandherr, que de faux documents, des pseudo-circulaires « munies de tous les timbres et paraphes officiels », des faux dessins de canons et de fusils, etc. Il est possible qu’Esterhazy ait remis à Schwarzkoppen de faux documents, mais il est certain que c’était aux jours de pénurie ; faute de pouvoir lui en vendre de bons.
  74. Rennes, III, 425, Trarieux : « Le comte Tornielli me dit avoir vu et lu, dans les premiers mois de 1898, une lettre de Schwarzkoppen à Panizzardi… » L’ancien attaché allemand y convenait que « la marchandise fournie par Esterhazy était souvent de peu de valeur ».
  75. Procès Zola, II, Casella ; Cass., I, 465, et Rennes, III, 425, Trarieux.
  76. Cass., I, 469, Trarieux : « M. le comte Tornielli m’a expliqué que l’attaché militaire italien n’avait pas été en relations avec Esterhazy, mais que l’attaché allemand, quand il recevait du commandant Esterhazy des documents pouvant intéresser l’Italien, les communiquait à son collègue. » Scheurer-Kestner, dans ses Mémoires, donne un récit presque identique de sa conversation avec l’ambassadeur d’Italie. Les mêmes renseignements furent fournis à Zola et me furent confirmés.
  77. Cass., I, 469, Trarieux. — Voir, p. 268, la lettre du colonel de Foucault sur les confidences qu’il reçut de Cuers : « Le service allemand des Renseignements avait trouvé à Paris un officier supérieur français ou soi-disant tel. »
  78. Schwarzkoppen refusa de nommer à Panizzardi le général qu’accompagnait Esterhazy.
  79. Voir t. I, 34 et 352.
  80. Je tiens le fait du comte de Munster lui-même. Schwarzkoppen expliqua à Panizzardi qu’il n’avait rendu compte qu’au général de Schlieffen.
  81. Renseignements inédits. — Picquart, à l’instruction Tavernier, rapporte la conversation de Cuers avec le colonel de Foucault : « Schlieffen n’en a plus voulu. » — Note de Lauth, août 1896, au retour de Bâle : « Quelques renseignements, jugés peu vraisemblables, avaient (selon Cuers) rendu le grand État-Major hésitant au sujet de la confiance à accorder à l’officier supérieur… Le colonel de Schwarzkoppen reçut l’ordre formel d’avoir à rompre ses relations. »
  82. Lettre du 11 novembre 1896 à Grenier.
  83. Son fils avait épousé la sœur des Crémieu.
  84. Je tiens de Mme la générale Grenier elle-même que cette lettre ne fut jamais écrite et que, dès 1892, le rôle d’Esterhazy dans l’affaire Crémieu-Foa lui parut suspect.
  85. « Et j’entraînai avec moi le capitaine Devanlay, qui peut l’affirmer. » — Autre mensonge : Ernest Crémieu alla lui-même, à Saint-Germain, demander le concours de Devanlay, « qui avait été, à Saint-Cyr, le camarade de son frère et qu’il ne fut pas nécessaire d’entraîner.
  86. Ernest Crémieu, qui n’était pas riche, après avoir fréquemment obligé Esterhazy, lui avait refusé, récemment, un nouveau prêt de 2.200 francs. Esterhazy lui répondit aussitôt par des injures. Cette ingratitude a rempli son âme d’une « douloureuse surprise ». Mais il est « chrétien et soldat » : pour toute vengeance, il épinglera la lettre de refus sur une lettre du « pauvre André », qu’il a tant aimé. (31 mars 1893.)
  87. Lettre à Grenier.
  88. Lettre à Maurice Weil, de juin 1894. J’en ai sous les yeux le fac-similé photographique. — La lettre fut lue au procès d’Esterhazy, audience du 10 janvier 1898. — De même, dans sa lettre à Grenier : « J’ai été renvoyé à ce qu’un oncle de ma femme, le prince de Bauffremont, appelle ma synagogue et mon ghetto. » Il attribue, indifféremment, aux uns et aux autres, les formules qu’il invente lui-même.
  89. « Mon beau-frère a eu une petite histoire avec Courcy où il n’a pas été brillant, tant s’en faut. »
  90. Cass., III, 258, Manau.
  91. Ibid. : « M. le juge d’instruction Bertulus a fait appeler M. de Beauval en témoignage. Celui-ci s’est excusé par une lettre du 8 décembre 1898. Elle est au dossier. Prenez-la et comparez-la à celle que M. de Rothschild a reçue en 1894. Vous verrez éclater le faux et vous retrouverez même dans la fausse lettre l’écriture et les habitudes du faussaire, l’m personnel d’Esterhazy et l’absence d’alinéas. »
  92. Cass., III, 125, Ballot-Beaupré ; 259, Manau. (Liasse 3, dossier 6 ; lettre du 29 juin à Alphonse de Rothschild.)
  93. « Il ne me reste plus qu’un parti à prendre, c’est de tuer les miens et de me tuer avec eux. » (Même lettre.)
  94. Lettre à Weil.
  95. Cass., I, 230, Bertulus, et III, 259. — Lettre du 29 juin 1894.
  96. Il la communiqua à Weil, qui en dépose. (Cass., I, 307.)
  97. Lettre à Alphonse de Rothschild. (Cass., III, 125.)
  98. Lettre à Weil.
  99. 9 juillet 1894. — L’argent venait des Rothschild, qui croyaient, comme le rabbin lui-même, qu’Esterhazy avait été pour Crémieu-Foa un ami loyal. L’un des chefs de la maison, Edmond de Rothschild, avait été au lycée Bonaparte le camarade d’Esterhazy, qui s’adressa plusieurs fois à lui.
  100. Les notes de janvier 1894 sont signées du lieutenant-colonel Mercier ; celles de juillet du colonel Abria. La mention : « N’a malheureusement pas une santé très solide » est de janvier.
  101. De son propre aveu, depuis 1892. (Cass., I, 707.)
  102. Cass., I, 108, Picquart.
  103. Rapport du 17 mai 1894 : « MM. Walsin-Esterhazy, major, et Curé, chef de bataillon, sont désignés pour assister aux écoles à feu de la 3e brigade d’artillerie. M. le commandant Walsin-Esterhazy n’aura droit à aucune allocation. Ces officiers devront être rendus au camp de Châlons dans la journée du dimanche 5 août prochain. »
  104. Du 22 au 26 mai. (Rapport du 14 avril 1894 ; Procès Zola, II, 104 ; Cass., I, 22, Cavaignac ; II, 112, Esterhazy.) — Le 21 à Buchy, les 22 et 23 à Neufchâtel-en-Braye, les 24 et 25 à Aumale. Toujours en affaires, il télégraphie tous les jours à Paris.
  105. Procès Zola, II, 104, Picquart.
  106. Cass., I, 49, Picquart ; Cass., I, 407 ; Rennes, II, 239, Curé.
  107. Cass., II, 112, Instr. Ravary.
  108. Écho de Paris du 19 nov. 1897 ; Matin du 20 ; Cass., II, 111. Instr. Ravary, 7 déc. 1897 ; Procès Esterhazy, 231 ; etc.
  109. J’emprunte ces renseignements sur les mouvements d’Esterhazy pendant l’année 1894 à une étude très intéressante qui a été publiée dans le journal l’Aurore du 28 août 1899, sous la signature de M. Adolphe Tabaraut. L’auteur de l’article a eu à sa disposition plus de 600 lettres et dépêches d’Esterhazy, dont près de 400 pour 1894. Il a réussi à le suivre ainsi durant 305 jours sur 365. J’ai contrôlé plusieurs de ces indications par d’autres documents ou d’autres lettres. (Rapports du 74e de ligne (pour les manœuvres et écoles à feu), lettres à l’huissier Calé (Cass., I, 662), à Maurice Weil, Gaston Grenier, à l’un des associés d’une importante maison de coulisse, etc.)
  110. Renseignements inédits.
  111. Cass., III, 663, lettre du 11 août à l’huissier Calé : « Je quitte le camp dans cinq jours (il m’est impossible de partir plus tôt) et passerai de suite au Crédit foncier. » — Le 17, il écrit au même, de Rouen : « J’ai reçu, en revenant du camp de Châlons, où j’ai été passer 15 jours, votre lettre. »
  112. Lettre du mercredi 8 août : « Je quitte demain jeudi le camp ; ne prenez plus la peine de me télégraphier jusqu’à mon retour de Paris… Je souffre toujours du bras, ce qui ne rend pas facile d’écrire. »
  113. Au printemps, lors des premières écoles à feu, le nouveau matériel avait déjà fonctionné. Rennes, III, 144, Bruyerre : « Aux écoles à feu qui ont eu lieu à Châlons, du 30 avril au 24 mai, des renseignements aussi complets que possible furent fournis aux sous-lieutenants de réserve sur le frein hydro-pneumatique, règlement en mains. Le 12 mai, nous avons assisté à une séance de tir du 120 court. » — De même, le capitaine Carvalho : « À partir du 7 avril 1894, nous avons eu entre les mains la description complète du frein hydro-pneumatique. Aucune précaution d’aucune sorte n’a été prise pour tenir secret soit le matériel, soit les théories. » (Rennes, III, 154.) — Le commandant Hartmann (Rennes, III, 203) dépose : « N’importe quel officier aurait pu suivre, sans y être officiellement autorisé, les manœuvres des artilleries divisionnaires, qui étaient pourvues du 120 court.) — De même, le général Deloye (III, 228), etc. — D’autres essais du 120 court se firent, vers la même époque et sans aucun secret. Le Temps du 14 juillet 1894 publie une dépêche d’Albi signalant… les écoles de tir effectuées, au champ de Causse, près Castres, par les batteries du 9e d’artillerie. « Le général Pottirier et tous les officiers de la brigade assistaient à ces expériences, dont le résultat a été surprenant ; plus de 33 pour 100 des obus ont atteint le but… etc. »
  114. Cass., I, 123, Cavaignac : « Esterhazy assista, du 5 au 9 août, aux écoles à feu, où, d’ailleurs, la pièce de 120 n’a pas été tirée. » Mais Cavaignac néglige de dire qu’Esterhazy resta à Châlons jusqu’au 16 et que « les batteries de 120 court furent tirées, la première fois, aux manœuvres de masse, le 16 août ». (Cass., I, 619, et Rennes, II, 107, Le Rond.) — Mercier (Rennes, I, 119) répète Cavaignac et ajoute qu’Esterhazy avait repris, le 13 août, ses fonctions de major à Rouen (120), ce qui est un mensonge, ainsi qu’il résulte des deux lettres d’Esterhazy, du 11 et du 17 (voir p. 98). — De même, Roget (Rennes, I, 289).
  115. Rennes, II, 121 et 122, Le Rond : « Les officiers étrangers ont assisté à une séance de tir de siège ; c’est moi qui les ai guidés. » — De même Curé (Rennes, II, 241). — Picquart (II, 120) fait observer qu’en prenant la rubrique du bordereau telle qu’elle est : « le frein hydraulique du 120 », on peut très bien l’appliquer à cette séance. Il s’agirait bien alors du frein hydraulique du 120 long. C’est également l’opinion du général Sebert (Rennes, III, 171) et du commandant Hartmann (III, 189).
  116. Cass., 533, Hartmann.
  117. Cass., I, 613, Bruyerre ; Rennes, II, 114, Le Rond.
  118. France militaire du 11 août 1894. rubrique : « Manœuvres de masse, importance de ces manœuvres. » On y lit : « Les manœuvres de masse que l’artillerie doit exécuter ces jours-ci au camp de Châlons tirent de plusieurs circonstances une importance particulière. On n’essayera rien moins que le projet de manuel de tir et le projet de règlement sur les manœuvres des batteries attelées… Quant au projet de règlement sur les manœuvres de batteries attelées, son importance consiste dans des modifications apportées aux formations de l’artillerie. » Et, le 15 août : « Nous espérons nous rendre compte de la façon dont les batteries de 120 se comporteront en tant que véhicules. »
  119. Quand il s’agit d’appliquer le bordereau à Dreyfus, d’Ormescheville écrit : « En ce qui concerne la note sur une modification aux formations de l’artillerie, il doit s’agir de la suppression des pontonniers et des modifications en résultant. » Cavaignac, qui accepte cette hypothèse, convient lui-même (Cass., I, 17), que le mot formation y serait pris dans une acception anormale, « dans un sens d’État-Major. Dans le langage militaire courant, lorsqu’on dit formation, on vise la formation matérielle des troupes, leur formation sur le champ de manœuvres. » C’est ce que confirme Roget (I, 80). Or, le sens du mot, dans l’article de la France militaire, est, en effet, le sens usuel et normal ; il s’agit bien de l’attribution des batteries aux grandes unités, sur le (champ de manœuvres ; on va expérimenter ces formations (Rennes, II, 119, Le Rond), comme elles l’ont été déjà à Versailles (Cass., I, 533, Hartmann). Le capitaine Le Rond, s’il dit qu’Esterhazy ne lui a posé aucune question à cet égard (Rennes, II, 118), déclare d’autre part que « les batteries ont manœuvré devant les officiers supérieurs, et passé, devant eux, de l’ordre en bataille à l’ordre en batterie ». L’opinion du général Sebert (Rennes, III, 173) est qu’Esterhazy a « simplement voulu parler des formations de combat et de manœuvres, c’est-à-dire des nouvelles formations de l’artillerie ». De même Hartmann (III, 209).
  120. Le Mémorial de l’artillerie de la marine avait, dès le mois de juin, publié, une étude « militaire » du capitaine Jeannet, sur l’organisation de l’expédition.
  121. Ce plan fut adopté, et le colonel de Torcy nommé chef d’État-Major du corps expéditionnaire.
  122. Cass., I, 541, Hartmann. — Selon Roget (I, 89), « Esterhazy ne savait même pas ce que c’était que la couverture ». Est-ce pour cela que ses notes portent qu’il est un officier très instruit ? Il eut été, en tous cas, le seul officier à être aussi ignorant d’une question aussi élémentaire.
  123. Magdelaine ; il venait d’être nommé au 74e de ligne.
  124. Rennes, III, 141, Bernheim.
  125. Du 16 juin au 17 juillet 1894.
  126. Le régiment les reçut le 24 juin pendant les écoles à feu.
  127. Le Figaro du 24 mai 1899 en a publié le fac-similé.
  128. C’est le réglage usité en Allemagne. (Rennes, III, 211, Hartmann.)
  129. Cass., I, 91, Roget ; Rennes, III, 175, Sebert ; etc.
  130. Rennes, III, 143, Bernheim. — Cavaignac (Cass., I, 22) et Roget (I, 81) insistent sur ce qu’Esterhazy n’a demandé le manuel de tir ni au capitaine Boone, « détenteur à Rouen du seul exemplaire du manuel qui y existât », ni au capitaine Le Rond, « qui ne se serait fait aucun scrupule de le lui prêter ». Boone (I, 622) et Le Rond (I, 618) confirment. Esterhazy préférait, évidemment, s’adresser à un officier de passage.
  131. Rennes, III, 522, Bernheim : « C’était le même principe que la réglette réglementaire… C’est la réglette de correspondance des hausses aux évents. »
  132. Voir la phrase du bordereau : « Le ministre de la Guerre en a envoyé un nombre fixe dans les corps, et ces corps en sont responsables. Chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres.» Ce qui, au surplus, est inexact. (Voir p. 107.)
  133. Du 31 août au 25 septembre.
  134. Rennes, III, 142, Bernheim. Une lettre du capitaine Graveteau confirme : 1° l’autorisation donnée par lui à Bernheim de prêter une réglette non réglementaire à un officier supérieur d’infanterie ; 2° les vaines démarches de l’intéressé pour ravoir la réglette. — Le volume ne porte pas, comme le dit Bernheim, « 2°… » mais « 3° partie ». — Esterhazy prétend avoir renvoyé la réglette à Bernheim. (Rennes, III, 514, Carrière.) — Mercier, à Rennes, présenta la réglette en bois que le commandant (alors capitaine) Graveteau lui avait fait envoyer par un officier. (III, 521, 523.) Il parut alors à Bernheim qu’elle n’était pas identique à celle qu’il avait remise à Esterhazy (III, 521, 524).
  135. Voici ses versions successives : 1° Lettre du 25 octobre 1897 au ministre de la Guerre : « Un seul (des documents énumérés au bordereau) a été entre mes mains ; encore ne suis-je pas sûr s’il s’agit du projet de manuel de tir ou d’un manuel définitif. Il m’a été adressé par un officier israélite et à une époque bien postérieure aux seules manœuvres pour lesquelles j’ai été désigné en 1894 (manœuvres de cadres). » — 2° Article Dixi dans la Libre Parole du 15 novembre 1897 : « La victime (Esterhazy) n’avait même pas pu connaître les documents énumérés dans le bordereau, sauf un seul, qu’un juif lui avait prêté postérieurement aux événements. » — 3° Enquête Pellieux, interrogatoire du 25 novembre 1897 : « J’ai eu entre les mains, comme je l’ai dit au ministre, un manuel de tir dont je ne me rappelle pas le titre exact ; ce manuel m’a été prêté, en août 1894, par un officier d’artillerie dont j’ai fait connaissance à Rouen en août 1894, le lieutenant Bernheim. » (Cass., II, 99.) — On attribuait alors au bordereau la fausse date de mai 1894, et Esterhazy pouvait dire sans danger qu’il avait eu le manuel en août. — 4° Instruction Ravary, interrogatoire du 7 décembre 1897 : « Je n’ai eu, au courant de l’année 1894, qu’un seul document émanant de l’artillerie ; ce document était-il le projet en question ou autre chose ? Je ne m’en souviens pas bien. C’est un officier en garnison au Mans, M. Bernheim, qui m’a été présenté par occasion et, à la suite d’une conversation sur le tir, m’a offert de m’envoyer cet ouvrage. « (Cass., II, 112.) — 5° Conseil de guerre, audience du 10 janvier 1898 : « Quand j’ai vu le bordereau, j’ai cru que j’avais pu avoir ce document ; mais, en réalité, je ne l’ai pas eu. Je n’ai eu qu’un document qui m’a été procuré par un lieutenant d’artillerie que je connaissais, M. Bernheim, quelques jours avant mon départ. » Et encore : « On a fait une enquête, on a découvert que M. Bernheim ne m’avait pas envoyé le manuel de tir figurant au bordereau, mais le manuel de 1881, ouvrage que l’on trouve couramment dans toutes les librairies militaires pour 0 fr. 80. » Il dit qu’il « accepta la proposition de Bernheim parce qu’il avait à faire une conférence ». (Procès, 131).
  136. Cass., I, 539, Hartmann ; Rennes, I, 392, Picquart ; III, 175, Sebert. — Voir p. 113. — Sur la date du bordereau, il y a presque unanimité, depuis 1898, pour la fixer au mois d’août. « Il est de la fin d’août, « (Cass., I, 20, Cavaignac). « Il ne peut être que de la fin d’août. » (Cass., I, 349, Cuignet.) « Tout concourt à démontrer que c’est au mois d’août, dans les derniers jours du mois, que le bordereau a été écrit. » (Note du ministre de la Guerre, du 28 mai 1898 ; liasse 5, dossier 5, cote 10, p. 21 ; Cass., III, 104.) — Schwarzkoppen a dit, formellement, à Panizzardi qu’il reçut, en septembre, les documents qui sont énumérés au bordereau. — En 1894 (et jusqu’au procès d’Esterhazy), les accusateurs de Dreyfus donnèrent au bordereau la date d’avril ou de mai 1894. (Voir t. 1, 60, 195, 290, 409, etc.)
  137. J’ai cité plus haut (p. 100.) les articles de la France militaire qui parurent pendant le séjour d’Esterhazy à Châlons. On peut y joindre l’article des Sciences militaires sur le 6e corps et les troupes de couverture (numéro de mai 1894).
  138. Rennes, III, 170, général Sebert : « On voit dans cette phrase que le rédacteur est-en relations suivies avec son correspondant ; on y sent le reproche discret de le laisser sans nouvelles et, probablement, sans envoi de fonds.
  139. Interrogatoire du 7 déc. 1897 devant Ravary : « Je me suis marié, il y a dix ans, avec une fortune, entre ma femme et moi, de plus de 300.000 francs ; petit à petit, j’ai mangé la plus grande partie de cette fortune, billet de mille par billet de mille. » (Cass., II, 113.)
  140. Mulot dépose « qu’il n’a pas souvenance d’avoir rien copié concernant le canon de 120 ni les formations d’artillerie ; il n’a pas davantage eu sous les yeux des notes relatives à Madagascar ni aux troupes de couverture. » (Cass., I, 781.) Il est fort possible qu’Esterhazy ait écrit lui-même les notes du bordereau. D’autre part, Mulot est de ces témoins dont les souvenirs se précisent en raison du temps écoulé, sous l’influence de l’opinion ambiante. Il paraît certain qu’il n’a pas copié le manuel, ainsi qu’il le déclara dès le premier jour. Pour le reste, sa mémoire est tantôt flottante, tantôt factice. En fait, il copiait ce que son chef lui disait de copier, machinalement et sans y penser.
  141. Voir t. I, 292 et Cass., I, 91, 92, etc.
  142. Cass., I, 91, Roget ; 476, Sebert ; 513, Moch ; 535, Hartmann.
  143. Cass., I, 539, Hartmann : « En finissant sa lettre, il s’aperçoit que l’envoi de l’original va lui faire courir un danger. Ce danger provient de ce qu’il n’est pas dans la même ville que son correspondant, de ce qu’il communique avec lui par la poste, et que l’envoi du projet de manuel ne peut se faire que par un paquet qui sera forcement suspect. Il préfère les simples lettres ; il enverra d’abord les quatre premières notes et sa missive qui, étant sur papier pelure, ne dépasseront pas 15 grammes. Il en sera de même, plus tard, pour la copie du projet, expédiée en plusieurs fois s’il le faut. De plus, on pourrait lui redemander inopinément le projet de manuel, et il aimerait mieux l’avoir toujours sous la main. » Roget attribue le bordereau à Dreyfus, mais traduit, comme Hartmann, la phrase en question. (Cass., I, 93.)
  144. Cass., I, 513, Moch ; 538, Hartmann ; Rennes, III, 175, Sebert.
  145. Mulot, la première fois qu’il est interrogé par Picquart, déclare ne pas se souvenir de ce qu’il a copié : « Manuel de tir d’artillerie ? Peut-être… Un jour il me dit qu’il s’était fait prêter un des livres ou manuels. » (29 septembre 1896. — Note de Picquart.) À l’instruction Tavernier (21 octobre 1898), Mulot dépose que Picquart lui montra le manuel, mais qu’après avoir examiné le volume, il ne se rappela pas l’avoir vu (chez Esterhazy) : « Le livre dans lequel il avait copié certains passages était un ouvrage relié et que l’on doit trouver dans le commerce. » — Le volume : Siège et Place est, en effet, relié. — Enfin, à la Cour de cassation (I, 780), Mulot « affirme qu’il n’a pas copié le manuel que Picquart lui a présenté en septembre 1896 ». Il a copié « un livre qui traitait de l’artillerie ».
  146. « Si donc vous voulez y prendre ce qui vous intéresse et le tenir à ma disposition après, je le prendrai. À moins que vous ne vouliez que je le fasse copier in extenso et ne vous en adresse la copie. »
  147. Cass., I, 280, Bertulus.
  148. Procès, 130, Esterhazy ; Cass., I, 538, 541, Hartmann.
  149. Cass., I, 540, Hartmann.
  150. « Comment aurais-je écrit que j’allais partir en manœuvres puisque j’étais major à mon régiment (à Rouen) et qu’en cette qualité je n’étais pas appelé à prendre part à ces manœuvres ? J’insiste sur ce point parce que je considère qu’il a une grosse importance. » (Écho de Paris, 19 nov. 1897.)
  151. Procès Zola, I, 496, Paul Meyer ; 506, Auguste Molinier ; 513, Émile Molinier ; 540, Havet ; II, 62, Paul Moriaud ; 89, Giry ; 95, Héricourt. — Cass., I, 502, Charavay ; Gobert ; 647, Paul Meyer ; 648, Auguste Molinier ; 650, Giry ; II, 342, Charavay. — Rennes, II, 307, Gobert ; 465, Charavay ; 470, Pelletier ; III, 5, Paul Meyer ; 19, Molinier ; 32, Giry.
  152. Cass., I, 680 et suiv. Rapport des experts Patin, Choquet, Marion, sur le bordereau, la lettre d’Esterhazy à Rieu, du 17 avril 1892, et sa lettre à Callé, du 17 août 1894 : « Ce papier est appelé demi-pelure ; nous le croyons collé à la colle végétale. Il est filigrané après fabrication de rayures en quadrillage. Ce quadrillage est de 4 millimètres sur chaque sens… La nuance du papier du bordereau et celle de la lettre de Rouen du 17 août 1894 sont identiques ; la nuance du papier de la lettre de Courbevoie, du 17 avril 1892, est légèrement plus blanche… Ces papiers ont la même transparence ; le poids peut être considéré comme identique ; le collage est le même ; les matières premières employées à la fabrication sont composées, dans les trois pièces, de cellulose de bois chimique avec un très faible mélange de chiffon. » — Esterhazy nie, en décembre 1897, avoir jamais écrit sur papier calque (Cass., II, 110). En janvier 1899, il convient « qu’il a toujours eu du papier très mince et quadrillé qu’on trouve à bon marché, très commode parce qu’il offre un petit volume et qui permet au besoin, avec les quadrillages qui tiennent lieu de graduation et les transparences, de décalquer, aux manœuvres, un bout de carte ou de faire un travail analogue ». (Cass., I, 597.)
  153. Cass., I, 474, Sebert ; 509, Moch ; 617, Ducros ; 531, Hartmann. — Rennes, III, 170, Sebert.
  154. Hydraulique pour hydropneumatique. — L’expression serait correcte s’il s’agit du 120 long, ainsi que le supposent Picquart et le général Sebert, qui prennent la rubrique telle qu’elle est ; mais alors le renseignement est sans valeur aucune. (Rennes, III, 189, Hartmann.)
  155. Le 120. « Le canon de 120 court, celui qui fut expérimenté à Châlons, est dit court par opposition au canon de 120 de siège et de place qui est dit long. » (Cass., I, 523, Hartmann.) Un artilleur eût jugé nécessaire de préciser et de dire s’il envoyait des renseignements sur le frein à réservoir d’air comprimé ou sur l’autre.
  156. Cass., I, 513, Moch ; Rennes, III, 174, Sebert.
  157. Esterhazy a donné de très nombreuses versions de son roman avec des variantes qui sont, souvent, inconciliables : le 24 août 1898, conversation avec Rowland-Strong, correspondant de l’Observer et du New-York Times, au restaurant Brébant ; en septembre, conversation avec Strong, Fielders, journaliste américain, Mme Beer, directrice de l’Observer, dès son arrivée à Londres (Cass., I, 743 et suiv. ; Rennes, II, 287) ; récit fait à Serge Basset, rédacteur au Matin, en mai 1899 (Rennes III, 385) ; lettre du 13 janvier 1899 au premier président Mazeau (Cass., I, 609) ; déposition à Londres, 1er  mars 1900. — Chincholle, rédacteur au Figaro, dépose que, le troisième jour du procès Zola, Esterhazy, très irrité, aurait dit, devant lui, à des « amis civils » qui semblaient vouloir le calmer : « Ils m’embêtent, à la fin, avec leur bordereau. Eh bien, oui ! je l’ai écrit ; mais ce n’est pas moi qui l’ai fait ; je l’ai fait par ordre. » (Cass., I, 267). Même confidence aurait été faite, selon Chincholle, à un journaliste du Havre. Même confidence à Gaston Méry, rédacteur à la Libre Parole, en mai 1898 (Temps du 27 avril 1899). Esterhazy, à l’audience du 24 janvier 1899, dit que « Chincholle a menti ». (Cass., I, 598.) Cette version, que Rochefort attribuait à Mathieu Dreyfus, a paru, pour la première fois, dans la Libre Parole et dans l’Intransigeant du 19 novembre 1897 ; elle fut alors traitée d’idiote par Esterhazy. Voir t. V, 276, lettre à Carrière, du 6 août 1899.
  158. Cette date ne figure dans aucun des trois textes de la déposition d’Esterhazy, mais elle a été donnée par lui à un journaliste qui en prit note ; ce mensonge supplémentaire est, d’ailleurs, sans importance. Dans la version publiée à Bruxelles, Esterhazy s’exprime ainsi : « Le bordereau arriva au ministère de la Guerre dans les premiers jours de septembre, le jour même où je l’ai porté en personne, sous enveloppe, à l’ambassade d’Allemagne et déposé dans le casier de Schwarzkoppen, dans la loge du concierge de l’ambassade. » (P. 40.)
  159. Esterhazy à Serge Basset : « Si l’on veut que je précise, je dirai que le bordereau a été porté au service des Renseignements par un Allemand dont je dévoilerai le nom si l’on m’y force. Il habitait temporairement Paris, en raison de ses fonctions, et, à l’heure actuelle, j’ai tout lieu de croire qu’il est encore employé comme agent par le service. » (Matin du 20 juillet 1899). — Brucker est lorrain. Le service des Renseignements a continué à lui servir, sans l’employer, une mensualité de 300 francs.
  160. Cass., I, 539, Hartmann.
  161. Voir t. Ier, 45 et suiv.
  162. Cass., I, 460, Monod ; récit de Schwarzkoppen au prince Lichnowski, secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Vienne.
  163. Rennes, III, 52, Picot ; récit de Schwarzkoppen au colonel Schneider, attaché militaire d’Autriche à Paris.
  164. Cass., II, 323, général Deloye. — Voir t. Ier, 598.
  165. Cass., II, 323, Deloye. — Ce questionnaire, selon Mercier (Rennes, I, 123), aurait été remis par Schwarzkoppen à un agent du contre-espionnage.
  166. Cass., I, 539, Hartmann.
  167. Rennes, III, 558, dossier secret.
  168. Procès Zola, II, 518, Casella : « Je dis à Schwarzkoppen : « En quoi verriez-vous une diminutio capitis pour le gouvernement allemand, s’il disait : « Dreyfus est innocent, le coupable est un tel ; voici les preuves ? — En principe, répondit le colonel, ce que vous dites est juste ; mais tout un protocole s’y oppose. »
  169. Au Crédit Foncier et au Crédit Lyonnais (Cass., III, 125). — Le 26 octobre 1894, il demanda au Crédit Foncier de lui adresser à Dommartin le solde de son compte-courant, « environ six cents francs ».
  170. Cass., I, 308, Weil.
  171. Voir t. Ier, 376.
  172. Libre Parole du 14 novembre 1894.
  173. Voir p. 73.
  174. Petit Journal et Écho de Paris du 17 novembre, Libre Parole et Cocarde du 4 décembre. (Voir t. Ier, 340)
  175. Lettre du 18 décembre 1894, Évreux.