Histoire de l’Affaire Dreyfus/T1/1

La Revue Blanche, 1901 (Vol.1 : Le procès de 1894, pp. 1–50).
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CHAPITRE PREMIER

MERCIER

I. Le général Mercier, ministre de la Guerre, 1. — Son portrait, 2. — II. Interpellation sur l’état de la marine ; discours de Mercier, 3. — Rattachement des pontonniers au génie, 5. — III. L’affaire Turpin, 6. — Le « flair d’artilleur », 8. — IV. Interpellation sur des propos du général de Galliffet, 10. — V. Les hommes publics et la presse, 12. — VI. Élection de Casimir-Perier à la Présidence de la République, 14. — Circulaire de Mercier sur le renvoi anticipé de 60.000 hommes, 15. — VII. Irritation générale contre Mercier, 17. — VIII. Le bureau des renseignements, 20. — Le contre-espionnage, 21. — Lajoux et Cuers, 23. — La femme Bastian à l’ambassade d’Allemagne, 24. — Affaire Millescamp, 25. — Henry, 26. — Le marquis de Val-Carlos, 27. — IX. Les « fuites » à l’État-Major, 29. — Schwarzkoppen et les plans directeurs, 30. — La pièce Canaille de D…, 31. — L’espion « Dubois », 33. — Le memento de Schwarzkoppen, 34. — Val-Carlos et Guénée, 35. — X. Le bordereau, 37. — Irritation de Mercier ; Boisdeffre et Gonse, 39. — Version officielle sur l’arrivée du bordereau, 40. — Henry, Lauth, Matton et Gribelin, 43. — Le bordereau dérobé avant d’être remis à Schwarzkoppen ; l’agent Brücker, 46. — Le commandant Esterhazy, 47. — Henry lacère le bordereau et le remet à Sandherr, 49.

I

Le 3 décembre 1893, le général Mercier fut appelé au ministère de la Guerre par le nouveau président du Conseil, Casimir-Perier.

Des considérations exclusivement militaires avaient dicté ce choix. La carrière de Mercier avait été lente. Sorti le second de l’École polytechnique, il avait fait, sous Bazaine, la campagne du Mexique et celle de Metz. Général de brigade en 1884, directeur des services administratifs en 1888, divisionnaire en 1889, il venait d’être promu au commandement d’un corps d’armée. Il avait la réputation d’un officier intelligent, laborieux, réfléchi, ennemi des routines ; — peut-être, en véritable polytechnicien, trop enclin aux théories absolues, sur le papier. Les récentes manœuvres de l’Oise, où il avait eu l’avantage sur le général Billot, l’avaient désigné à l’attention. Marié à une Anglaise de religion protestante, bien qu’il fût lui-même catholique, il passait pour favorable aux idées libérales, et, sinon républicain, du moins affranchi de toute attache avec les partis monarchiques. Il était lié d’amitié avec le général de Galliffet.

Son avènement au ministère de la Guerre fut accueilli, par le corps d’officiers, avec satisfaction. On le disait un vrai militaire, nullement politicien. À la Chambre, il était inconnu. Le premier jour où il s’assit au banc des ministres, il me confia qu’il ne connaissait pas dix députés. Ce qui le recommandait à la confiance, c’était d’avoir été choisi par Casimir-Perier dont on savait le goût pour les choses de l’armée.

C’était un grand homme maigre, de belle tenue, l’aspect froid, sévère, les traits accentués, la figure comme taillée à la serpe, le sourire des lèvres un peu forcé, qui s’est contracté plus tard en un rictus violent, les yeux presque toujours mi-clos, gênant par leur absence de regard.

Il était poli, réservé, concentré ; on le sentait énergique. Il suivait avec attention, non sans quelque étonnement d’abord, les débats de la Chambre, étudiant ce terrain nouveau pour lui.

Le jour où l’anarchiste Vaillant lança une bombe, chargée de clous, dans l’enceinte des députés, j’étais assis derrière lui. Un clou rebondit de mon pupitre sur le sien. Il le ramassa au milieu de la fumée et du bruit, me le tendit : « Cela vous revient. » Pas un muscle de sa face immobile n’avait bronché.

II

Son début à la tribune, au cours d’une interpellation de Lockroy « sur l’état de la marine »[1], fut un succès. Le ministère de la Guerre avait été mis en cause à propos de la défense des côtes. Il expliqua la législation qui répartit cette défense entre les deux administrations de la marine et de la guerre, la difficulté d’établir les points de soudure, la nécessité d’une direction unique, d’une même volonté rassemblant dans un effort harmonieux les forces de terre et de mer, les travaux en cours dans l’île de Corse, ceux de la presqu’île du Cotentin. Il parlait avec facilité, trouvant, sans avoir l’air de les chercher, les formules nettes, un peu roide, mais sans embarras, sûr de lui, les mains derrière le dos, comme un vieil habitué de la tribune.

La forte ordonnance de son discours, l’apparente maîtrise qu’il avait de son sujet, son allure militaire, conquirent, du premier coup, la Chambre. Mais, surtout, ses affirmations optimistes enchantèrent, succédant aux prévisions sombres des interpellateurs et à un faible discours, à peine entendu, de l’amiral Lefèvre.

Les députés, qui votent sans compter milliards sur milliards pour la défense nationale, aiment à entendre dire, d’une bouche autorisée, que l’argent des contribuables a été employé utilement, que l’armée est préparée à toutes les éventualités, que la mobilisation de ses énormes forces est organisée partout. Mercier ne se fit pas faute de produire ces affirmations. Nos côtes étaient armées, la situation de la Corse formidable. « Allez ! monsieur le ministre, lui criait un député de la droite[2], cela fait du bien de vous entendre ! » Les applaudissements crépitaient. Mercier termina par un couplet qui souleva encore les bravos : « Si l’ennemi avait l’inspiration malheureuse de frapper du pied, n’importe où, le sol de notre patrie, il en verrait surgir des légions tout armées, toutes commandées, tout organisées, et munies de tout ce qui leur serait nécessaire pour déployer et faire valoir les admirables qualités militaires de notre race ! »

Cette phrase, d’une banalité redondante, sonna mal à quelques oreilles, inquiéta de rares esprits trop clairvoyants. Jules Guesde, député socialiste et grand-prêtre du marxisme français, traduisit cette impression d’une phrase brutale : « C’est le maréchal Lebœuf qui vient de parler ! » Les protestations éclatèrent ; le président Dupuy rappela Guesde à l’ordre.

Mercier, en fait, n’avait réfuté aucune des assertions de Lockroy. Les révélations courageuses, vraiment patriotiques, de quelques hommes de mer, sur le désordre de la défense navale, avaient produit récemment une salutaire anxiété. Ce mouvement d’opinion, le discours de Mercier l’arrêta. Il lui avait suffi de jeter à la Chambre des phrases vibrantes, la proclamation solennelle qu’aucun des instruments nécessaires de combat ne manquait, que tout était prêt. L’humiliation de Fachoda est dans ce cliquetis de mots. Le jour où surgira brusquement la possibilité d’un conflit avec l’Angleterre, apparaîtra en même temps l’impossibilité de préserver nos côtes, nos plus grands ports, Dieppe, « qu’un simple vaisseau détruirait méthodiquement comme dans un exercice de tir[3]», Cherbourg, le Havre, Marseille et Nice sans défenses sérieuses.

Mais la Chambre, alors, était à la joie de ses alarmes dissipées.

Rien de plus dangereux que ces faciles victoires de tribune pour les militaires, incapables de résister à l’atmosphère des assemblées, vite grisés. Le soldat d’hier ne sera plus demain qu’un intrigant, expert aux roueries de la politique, sans scrupule, presque naïf en son cynisme.

Peu de jours avant la chute du ministère Casimir-Perier, le général Mercier défendit, devant la Chambre, un projet de loi relatif aux modifications de l’artillerie et du génie. Le rattachement des pontonniers au génie était raisonnable ; il permettait surtout la constitution de 28 batteries d’artillerie montées qui faisaient défaut. Mercier expliqua sa réforme dans un discours vigoureux, topique, où il s’éleva aux idées générales. Le projet fut adopté à une forte majorité.[4]

III

Ce nouveau succès le consacra, l’imposa à Dupuy quand la succession de Casimir-Perier échut au président de la Chambre qui redevenait président du Conseil[5]. D’un gouvernement présidé par un homme d’État qui avait ses faiblesses, mais était préoccupé seulement du bien public, il tombait dans un cabinet mené par un politicien retors, sans principes, Machiavel de réfectoire. S’il s’en aperçut, ce fut, gâté qu’il était déjà, pour s’en réjouir et se sentir plus à l’aise. Et, du coup, il se crut indispensable, désormais inamovible.

Depuis quelque temps, un changement paraissait en lui. Il tranchait de tout, sec, hautain, d’une infatuation provocante, infaillible et sûr de son étoile. Point de pire ambition que celle qui vient sur le tard, après une première carrière, lente et difficile, où les plus louables efforts ont attendu longtemps une insuffisante récompense. Maintenant, tout lui réussissait. Il avait trompé la Chambre sur l’une des questions les plus graves de la défense nationale : il en était devenu grand homme, grand patriote. Tout, jusqu’aux vulgaires jouissances du pouvoir, avait contribué à l’enivrer, à faire éclater une insolence de parvenu, à le distraire du travail. Où s’arrêterait sa fortune ? Or, comme la souplesse nécessaire à ce rôle de grand ambitieux lui manquait, comme il n’avait pas pris encore, dans l’habitude du crime, celle de l’audace et de la ruse, il descendit du faîte beaucoup plus vite qu’il n’y était monté.

Dès la première rencontre du cabinet Dupuy avec la Chambre, Mercier subit son premier échec. Dupuy avait à peine achevé de lire sa déclaration ; quelques députés, « irréguliers » de l’extrême gauche, socialistes d’occasion et anciens boulangistes, l’interpellèrent aussitôt sur « l’affaire Turpin ».

Tout ce qui avait trait à Turpin était suspect, équivoque, troublant par les brusques jets de lumière dont s’illuminaient d’obscurs recoins de l’administration de la guerre. Turpin, chimiste de profession, était le type de l’inventeur, d’une intelligence très vive, mais fumeuse, avide de renommée et d’argent, d’un amour-propre féroce, hanté du spectre de la persécution, qui, pour lui, n’avait pas été qu’un spectre, véritable Coriolan de la science.

Il se disait l’inventeur de la mélinite ; d’après le ministère de la Guerre, il n’avait découvert que l’utilisation des propriétés explosives de l’acide picrique. Invention ou découverte très importante, en tout cas, puisque le gouvernement, en 1885, la lui avait payée 250.000 francs et l’avait décoré. Cependant, Turpin se considéra bientôt comme frustré et, de là, une ténébreuse histoire, encore indéchiffrable, où il accusa le directeur de l’artillerie de l’avoir spolié, dénonça comme espion son propre associé Triponé, et fut enfin condamné lui-même, par application de la loi sur l’espionnage, à cinq années de prison.

Maintenant, libéré, gracié très vite, il poursuivait sa réhabilitation, redemandait sa croix ; il offrait au ministère de la Guerre un nouvel engin imaginé pendant son emprisonnement. Mais Mercier, d’accord avec le général Deloye, directeur de l’artillerie, avait repoussé l’inventeur, sans vouloir même examiner sa découverte, prétendue ou réelle. En vain Turpin frappa à toutes les portes, à l’Élysée, à la présidence du Conseil ; partout il fut éconduit. Il fit annoncer alors par un journal, la Patrie, qu’il allait s’expatrier, vendre son secret à l’Allemagne.

Les interpellateurs se montrèrent très pressants. Ils parlèrent de Turpin avec une sévérité sans réserve : « Cet homme-là trahit son pays et n’a droit qu’au mépris public[6]» ; « On aurait dû fusiller Turpin et Triponé[7]» ; « Turpin est un infâme[8]» ; « Turpin est un traître[9]». Mais tous, avec beaucoup de véhémence, reprochèrent à Mercier de ne pas s’être abouché avec l’inventeur, d’avoir refusé, par amour-propre ou pour toute autre cause, jusqu’au plus simple examen d’une découverte qui intéressait la défense nationale.

Ce sacrifice préalable de Turpin était gênant pour Mercier. Il avait préparé ses batteries contre la légende de Turpin patriote : personne ne s’était réclamé de la légende ; son réquisitoire tomba dans le vide. La gauche protesta contre ses digressions, les couvrit de murmures. La déclamation patriotique n’était pas encore entrée dans les habitudes de l’assemblée ; elle ne prenait pas encore des coups de clairon pour des raisons.

Ce fut bien pis quand Mercier aborda la vraie question, celle de l’incurie des bureaux, de l’attitude étrange du général Deloye. Il était seul en cause, il avança qu’on incriminait « la République elle-même et son gouvernement » ; cela parut excessif. « La République, dit-il, ne peut pas admettre que ses ministres entrent dans des négociations interlopes et véreuses ; » cela aussi parut exagéré, car il n’y a personne avec qui il ne soit possible de causer honnêtement. « Il n’est pas permis à un pays qui est dans la situation du nôtre, qui, du jour au lendemain, peut être appelé, sur plusieurs de ses frontières, à faire face à une agression, il n’est pas permis à ce pays de laisser déconsidérer ses généraux, ceux qui…, etc. ; » la Chambre n’était pas façonnée à applaudir, sous peine d’être taxée de défaillance, pareille rhétorique. Alors il chercha à diminuer le mérite professionnel de Turpin, contesta qu’il fût l’inventeur de la mélinite, mais s’embarrassa dans l’extraordinaire aveu que le ministère de la Guerre, après l’avoir décoré et largement payé pour cette découverte, « avait été disposé à admettre encore jusqu’à un certain point ses revendications ». Enfin, en ce qui concerne la nouvelle invention de Turpin, il est manifeste, a priori, qu’elle est indigne de tout examen sérieux : son expérience des choses de l’armée, « son flair d’artilleur », lui permettent de l’affirmer.

Il arrive parfois aux orateurs les plus maîtres de leur parole de sombrer dans une expression malheureuse ; le « cœur léger » d’Ollivier en est un illustre exemple. Le « flair d’artilleur » de Mercier était une formule de la même espèce. La Chambre partit d’un violent accès de rire. Le mot resta, s’attacha à Mercier, sobriquet désormais inséparable du ministre de la Guerre, dans les propos de couloirs et dans les polémiques de la presse.

Plus tard, à une heure où, pour tout autre, l’aveu d’une erreur à peine ébauchée eût été un facile et joyeux devoir, l’agaçant surnom pèsera sur l’âme déjà assombrie de Mercier. Quoi ! son « flair d’artilleur » se serait encore une fois trompé ? Il aurait soupçonné à tort un innocent ! Que l’innocent périsse plutôt ! Prenez le juif et qu’il ne soit plus question du « flair d’artilleur » !

Dupuy ne sauva Mercier qu’en le lâchant. Il promit « qu’il ne serait plus possible » d’écarter, sans examen, les inventions susceptibles de concourir à la défense nationale, accepta un ordre du jour qui l’affirmait.

Comme cet ordre du jour impliquait la confiance dans le gouvernement, l’extrême gauche, socialiste ou boulangiste, vota contre[10].

IV

Mercier sortit très diminué de cette séance. Il chercha une revanche. Il la trouva, cinq jours après, dans une interpellation de Paschal Grousset.

Le Figaro, poursuivant une enquête sur le désarmement, avait publié des propos d’un général d’armée qui avaient excité une vive émotion. Le ton en était amer, les pronostics inquiétants : l’armée n’était plus qu’une gendarmerie, impropre à la guerre, bonne seulement pour la police intérieure. Grousset affirma que ce grand chef découragé, c’était Galliffet ; il réclama une instruction judiciaire.

Mercier apporta à la tribune une dénégation formelle. Aux exclamations d’une partie de l’extrême gauche, il réplique par une apologie vibrante de l’officier dénoncé, rappelle la charge héroïque de Sedan, en lit le récit d’après le rapport de l’État-major général allemand : « Ses cheveux ont blanchi, mais son cœur et son tempérament sont restés les mêmes ; c’est le cœur et le tempérament du plus crâne batailleur que j’aie jamais rencontré dans ma vie ; accuser Galliffet de défaillance, c’est associer des mots qui hurlent de se voir accouplés ! »

La Chambre, moins l’extrême gauche, acclame le ministre de la Guerre, vote un ordre du jour qui flétrit « les accusations odieuses si légèrement produites », exprime sa confiance « dans l’armée de la République, dans l’honneur et le patriotisme de ses chefs »[11].

Mercier avait eu le démenti hardi. Des boutades inconsidérées, puis exagérées et grossies, de Galliffet avaient servi de texte au discours qui avait paru dans le Figaro. Il avait eu, de tout temps, le verbe abondant, emporté, sans mesure ; il parlait, comme il chargeait, à coups de sabre. Ignorant des mœurs nouvelles de la presse, il s’était laissé aller, devant des journalistes, comme dans un salon, à sa verve frondeuse. Le directeur du journal, Magnard, aurait dû refuser l’article. Quoi ! un article retentissant, qui fera du bruit ! Il le publia. La haine aussitôt s’en empara, celle des vaincus de la Commune qui ne pardonnaient pas à Galliffet son rôle, d’ailleurs dénaturé, dans la semaine de mai.

Mercier savait l’impopularité de ce rude soldat. Il n’aurait pu sans honte le sacrifier ; il n’en eut pas moins du mérite à le défendre.

C’est un des préjugés les plus anciens et les plus répandus que de croire un homme tout d’une pièce, bon ou méchant, courageux ou lâche, intelligent ou sot. « Les hommes, a dit Tolstoï, sont pareils aux rivières qui, toutes, sont faites de la même eau, mais dont chacune est tantôt large, tantôt resserrée, tantôt lente et tantôt rapide, tantôt tiède et tantôt glacée. Ainsi ils portent en eux le germe de toutes les qualités ; tantôt ils en manifestent une, tantôt une autre, et se montrent souvent différents d’eux-mêmes, c’est-à-dire de ce qu’ils ont l’habitude de paraître[12]. »

Son discours du 5 juin valut à Mercier la reconnaissance de Galliffet ; il en connaîtra, un jour, tout le prix.

Cette séance eut une autre conséquence. La discussion de l’affaire Turpin fit voir l’extrême susceptibilité de la Chambre dans les questions qui tiennent à la défense nationale, l’ardeur ombrageuse d’un patriotisme facile à inquiéter, l’audacieux profit qu’en savent tirer les patriotes de profession, presque tous anciens tenants du boulangisme. La révolte de l’assemblée contre les accusateurs du général de Galliffet était plus significative encore. Elle n’était pas seulement démonstrative de l’amour passionné des députés pour une armée d’autant plus chère qu’elle avait été jadis plus malheureuse, qui traînait le boulet de ses défaites, criait vers la gloire. Elle révélait aussi cette tendance instinctive chez beaucoup à confondre avec l’honneur d’un seul chef, — à bon droit ou injustement mis en cause, — l’honneur du haut commandement, du corps d’officiers, de toute l’armée. Confusion déraisonnable, qui ne résiste pas à l’examen, mais explicable. Une solidarité est inhérente, surtout dans une nation simpliste et généralisatrice, à tout grand corps constitué ; un sentiment naturel veut que tout de l’objet aimé soit digne d’affection et de respect.

Dans cette séance, cette erreur fut la mienne. Quand je me levai de mon banc pour opposer mon démenti à certaines assertions de Grousset, je qualifiai l’article de journal dont il s’était servi contre Galliffet « d’insulte à l’armée ». Un fou, qui avait souvent du bon sens, le comte de Douville-Maillefeu, m’interrompit : « Non, une accusation contre un général. »

Ce fol était dans le vrai.

V

Quelque applaudie qu’eût été sa dernière intervention à la tribune, Mercier ne pouvait se consoler de l’hostilité déclarée des partis violents. Rochefort, surtout, et Drumont ne se lassaient pas de le cribler de sarcasmes. Ils s’étaient constitués les défenseurs de Turpin. Tous deux poursuivaient Galliffet de leur haine. Mercier, pour avoir glorifié Galliffet et méconnu Turpin, était devenu leur bête noire[13].

Point de vague sans écume ; la licence est l’écume de la liberté. Le vrai danger, c’est que trop d’hommes politiques s’émeuvent des attaques de cette presse, en souffrent quand ils devraient en être fiers, et descendent aux pires bassesses pour la désarmer, ne fût-ce qu’un jour. Cette race d’aboyeurs et de sycophantes est vieille comme l’histoire : leurs calomnies, quand elles s’obstinent, sont la consécration certaine des services rendus. Aussi, les serviteurs des nobles causes ne leur opposent-ils qu’un impassible dédain ; s’ils pouvaient avoir la faiblesse de s’en attrister, le mépris aurait vite fait de les consoler. Au contraire, les médiocrités ambitieuses, que le hasard a portées aux postes les plus élevés et qui tiennent d’autant plus à y rester, tremblent devant ces condottieri de la presse. Ceux-ci appellent leurs quelques milliers de lecteurs : « l’opinion, le pays », ameutent la foule, lancent la canaille à l’assaut des renommées. Leur perpétuel chantage ne tombe que par accident sous le coup des lois. Il suffirait de passer, sans regarder et sans entendre. Mais ces petits ministres ont la peur des coups, la crainte de nouvelles meurtrissures. Ces hommes publics entrent en pourparlers avec leurs insulteurs. Et qu’ils leur jettent en pâture des institutions ou des hommes, des justes ou les garanties de la justice, aussitôt outrages et calomnies cessent de grêler sur eux. Des injures honorables aux panégyriques déshonorants, il n’y a qu’un pas. Hier, de glorieuses gémonies ; aujourd’hui, d’infâmes statues.

Ainsi se corrompt l’esprit public ; ainsi se multiplient chez le peuple les germes d’une démoralisation meurtrière.

VI

L’élection de Casimir-Perier à la Présidence de la République, au lendemain de l’assassinat de Carnot, parut l’aube d’une ère nouvelle. L’Assemblée nationale n’avait pas acclamé qu’un grand nom ; le caractère de l’élu semblait la promesse d’un long avenir de sécurité et d’honneur. Tout de suite, les partis révolutionnaires et césariens s’unirent pour salir le nom, et les ambitions déçues ou jalouses pour briser l’homme ou le décourager.

Parce que le Roi de France avait oublié les injures du duc d’Orléans, Casimir-Perier commit la faute de maintenir aux affaires l’âpre politicien qui avait été son concurrent. Le faux paysan du Danube, à peine investi, s’appliqua à rendre son vainqueur impopulaire et à ne lui rien laisser ignorer de son impopularité.

La répétition des attentats anarchistes, le crime de Lyon appelaient des lois de répression, plus énergiques et surtout plus promptes, contre une secte en révolte ouverte et qui prêchait le meurtre. Dupuy fit ces lois plus dures et plus brutales qu’il n’eût été nécessaire. Le parti socialiste les baptisa « lois scélérates », les attribua à Casimir-Perier, déchaîna contre lui, sous l’œil bienveillant des radicaux, la tempête.

Il est peu probable que Dupuy ait calculé cette conséquence de la loi sur les menées anarchistes ; il se contenta d’en tirer profit. Ce qui fut son œuvre, ce fut la conspiration ourdie avec quelques-uns de ses collègues pour soustraire au nouveau chef de l’État la connaissance des affaires[14]. Il chercha à le reléguer dans une sinécure dorée, à la façon des rois fainéants, où, sans initiative et même sans contrôle, la responsabilité morale de tout l’accablerait.

Dès les premiers jours de la nouvelle Présidence, Hanotaux, ministre des Affaires étrangères, refusa au Président la communication régulière des dépêches diplomatiques. Aucun souverain héréditaire, aucun chef élu n’aurait admis une pareille prétention ; Casimir-Perier se résigna.

L’exemple de l’infatué diplomate ne fut pas perdu pour Mercier. Le Président de la République apprit par le Journal Officiel[15] que le ministre de la Guerre avait décidé de licencier, soixante mille hommes des deux classes de 1891 et 1892[16].

Mercier avait attendu le départ des Chambres pour lancer sa circulaire. Ni la commission de l’armée, ni celle du budget ne furent consultées ou seulement prévenues. La mesure ayant été délibérée, en conseil des ministres, sous la présidence de Carnot, Mercier aurait supposé que Dupuy en avait avisé le nouveau Président de la République[17]. Dupuy n’en avait rien fait.

Mesure illégale, puisque la loi n’autorise le renvoi anticipé que dans des conditions déterminées. Mesure destructive aussi de l’ossature de l’armée qu’elle affaiblit de ses soldats les plus exercés. Au surplus, contradictoire aux déclarations précédentes de Mercier lui-même sur la nécessité de relever les effectifs, il était allé jusqu’à demander aux conseils de revision de ne point exempter du service les moins valides qu’il avait été de règle, jusqu’alors, d’écarter[18]. La commission de l’armée avait protesté contre cette « incorporation d’une Cour des Miracles ».

Lorsque Casimir-Perier connut la circulaire du 1er août, il s’indigna. S’il avait aussitôt exigé la démission du ministre qui s’était rendu coupable, à son égard, d’une si laide dissimulation et, à l’égard de l’armée, d’une faute aussi lourde, quels malheurs il eût évités ! Devant sa résolution d’affirmer son autorité de chef d’État, de chef suprême des armées, le ministère tout entier se serait-il rendu solidaire de Mercier ? Crise improbable, mais combien heureuse, où les rancunes des intérêts particuliers déçus auraient été emportées dans un irrésistible courant d’estime pour le haut magistrat soucieux exclusivement de l’intérêt général ! Grande et féconde leçon ! Casimir-Perier y songea, puis se borna à réunir le conseil[19], à s’y plaindre en termes irrités, à arracher à Mercier une modification insuffisante de sa circulaire, le maintien sous les drapeaux du tiers des hommes dont le licenciement avait été annoncé[20].

Cela ajouta seulement au désarroi de l’armée et de l’opinion. L’appauvrissement des effectifs resta un danger grave, à peine atténué ; ces soldats, qui s’apprêtaient à partir, brusquement retenus, devinrent autant de mécontents ; les esprits attentifs s’inquiétèrent de l’incohérence du haut commandement ; le pouvoir présidentiel sortait affaibli de cette inconvenance impunie ; enfin, Mercier, blessé dans son orgueil, humilié, mais point frappé, c’est l’ennemi dans la place, un ennemi plus aigri, guettant l’occasion de reprendre la popularité qu’il a cru ressaisir et qui lui échappe.

VII

Ainsi, en ce mois de septembre 1894, il n’y avait pas encore un an que Mercier était ministre et son étoile s’éteignait si vite qu’on avait oublié qu’elle eût jamais brillé. Une défiance, presque générale, l’entourait, mêlée de déception. Casimir-Perier, qui avait fait sa fortune, se la reprochait comme une erreur. Dupuy regrettait d’avoir embarqué ce maladroit. Ses principaux collègues étudiaient avec inquiétude ce masque énigmatique. Il avait indisposé, l’une après l’autre, les diverses fractions de la Chambre, était devenu suspect à quiconque avait quelque connaissance des choses de l’armée. Maintenant, la presse démagogique ou révolutionnaire n’était plus seule à l’attaquer, mais toute la presse politique, sans distinction de partis[21], et, sauf les journaux officieux, la presse militaire. L’opinion, ahurie et lassée par son manque de méthode, sa légèreté insolente et ses allures de comédien en quête d’applaudissements, se demandait s’il n’était pas un danger public. Enfin, dans l’armée, depuis le simple soldat, ballotté entre des ordres contradictoires, jusqu’aux grands chefs, irrités de sa vanité et de ses dédains, qui sentaient les rouages de la grande machine se fausser entre ses mains imprudentes, un cri s’élevait contre lui, contre le ministre le plus fâcheux qui eût été appelé depuis de longues années au département de la guerre ; on l’y traitait de politicien sans conscience et d’organisateur du désordre.

D’autres ministres de la Guerre ont été précédemment attaqués, souvent avec violence, mais pour leurs tendances et leurs ambitions politiques ; il est le premier qui soit dénoncé pour son incapacité. Cette incapacité brouillonne et présomptueuse devient légende. Les hommes du métier sont seuls à connaître la gravité de certaines de ses fautes. Il y en a une qui a éclaté à tous les yeux ; c’est ce renvoi anticipé des vieilles troupes. Les plus instruits des questions militaires ne voyaient pas sans angoisse éloigner, à l’heure même de l’incorporation de la nouvelle classe, les soldats les meilleurs, exercés, rompus au service, encadrement nécessaire des recrues. Les autres, dans ce pays hypnotisé par la folie du nombre, voyaient les régiments vidés du soir au matin, l’armée réduite à une ossature sans chair, la frontière sans défense, abandonnée à des soldats de quelques mois. Comme il semblait impossible d’expliquer une mesure aussi déplorable par la seule nécessité de réaliser dix à douze millions d’économies, on l’attribuait à une recherche malsaine de popularité ; Mercier incarnait, dans ce qu’elle a de pire, la démagogie militaire.

Le bruit courut que l’Allemagne ou l’Italie profiteraient de cette désorganisation de nos forces pour tenter un coup. Rumeur absurde ; mais les campagnes des départements frontières s’émurent, et, même, certaines garnisons.

On sut que les principaux membres de la commission de l’armée exprimaient très haut leur irritation, que la commission n’attendrait pas le retour des Chambres pour se réunir, qu’elle interpellerait le ministre dès la rentrée. On raconta publiquement que les inspecteurs d’armée, les chefs de corps avaient trouvé des interprètes auprès du chef de l’État ; on annonça que le renvoi du ministre était décidé.

L’armée n’est plus assez séparée de la nation, la vie de l’une étant trop intimement mêlée à celle de l’autre, pour que le pays n’entendît pas l’écho des propos qui s’échangeaient dans les casernes et dans les réunions d’officiers. Le jour viendra où un publiciste, connu pour sa passion militaire, écrira dans un article retentissant : « J’en appelle à tous les hommes de bonne foi ; quand l’infortuné maréchal Lebœuf était au pouvoir, jamais au monde généraux et colonels ont-ils dit sur son compte ce qui se dit aujourd’hui du général Mercier[22]? »

Mercier comprit que ses jours étaient comptés, qu’il serait sacrifié à la première occasion.

C’est alors qu’arriva au ministère de la Guerre une lettre anonyme, mais qui ne pouvait émaner que d’un officier français, et qui avait été dérobée à l’ambassade d’Allemagne.

VIII

Ce morceau de papier, ce sera le salut. Mais Mercier ne vit d’abord dans cette preuve indéniable d’une trahison mystérieuse qu’une cause nouvelle d’embarras et d’ennuis.

Dès son arrivée au ministère, il avait été prévenu par le colonel Sandherr, chef du bureau des renseignements, que le colonel de Schwarzkoppen avait pris lui-même, à l’ambassade d’Allemagne, la direction du service d’espionnage. Panizzardi, l’attaché militaire italien, travaillait avec son collègue allemand. Deux autres bureaux fonctionnaient à Strasbourg et à Bruxelles[23].

La misère du service d’espionnage avait été violemment reprochée aux états-majors de l’Empire, après la défaite ; une légende ridicule attribuait les victoires de la Prusse à ses espions. Les nouveaux états-majors voulurent suivre l’exemple de l’Allemagne. Le général de Miribel, notamment, avait développé l’organisme ébauché par ses prédécesseurs.

Le contre-espionnage était le principal rouage de son système. Ses collaborateurs dans ce service, dit officiellement « de statistique », le colonel Sandherr et le lieutenant-colonel Cordier, en attendaient, en cas de guerre, de grands résultats[24].

Ils avaient installé, à Bruxelles, un agent du nom de Lajoux, qui, s’étant lié d’amitié avec un agent allemand, Richard Cuers, avait feint de se laisser embaucher par lui et lui livrait toutes sortes de documents frelatés[25]. Un autre agent, Corninge, avait été engagé pour jouer, auprès de l’attaché militaire d’Italie à Paris, le rôle de « pseudo-courtier en espionnage[26]». Une véritable usine de faux fonctionnait en conséquence à l’État-major. Des officiers fabriquaient, avec le plus grand soin, de faux états militaires, de faux horaires, de faux plans de mobilisation. Une armoire en était pleine. La comptabilité en était tenue exactement, vu la nécessité de faire concorder le faux renseignement d’hier avec le faux d’aujourd’hui ou de demain[27]. On fabriqua aussi des cartouches et des armes de fantaisie.

Les agents donnaient des références à leurs employeurs allemands ; ils ne pouvaient tenir leurs informations que d’officiers ou de fonctionnaires qui trahissaient. Ils les nommaient[28]. Ainsi, pour inspirer confiance, un seul moyen : convaincre l’État-major allemand que la trahison fleurit dans l’armée française[29]. Ces agents doubles étaient toujours amplement pourvus, tandis que les simples espions prussiens ne trouvaient pas grand’chose. Sandherr en conclut que ceux-ci étaient négligés pour ceux-là, dont il augmenta le nombre. Il se flattait, dès lors, d’être devenu le recruteur de l’espionnage allemand et d’avoir gavé, pendant des années, le grand État-major impérial de faux renseignements, acceptés sans contrôle[30]. Boisdeffre, successeur de Miribel à l’État-major, était si fier de Lajoux qu’après la conclusion de l’alliance russe, il le prêta au général Gourko. Lajoux alla à Varsovie, fut fêté par les Russes et leur enseigna ses procédés.

Mais Cuers avait-il été longtemps, ou même, à aucun moment, la dupe de Lajoux ? Celui-ci en doute. Lajoux sut par Cuers les noms de quelques véritables espions, qui furent pris et condamnés[31]. Pourtant, Lajoux n’est pas certain que Cuers ne les ait pas livrés, par ordre, pour s’assurer s’ils n’étaient pas, eux aussi, des contre-espions. Cuers se disait « le Napoléon des espions ».

L’âme allemande n’est plus naïve ; l’âme prussienne ne l’a jamais été. Vieux comme la guerre de Troie, le contre-espionnage n’était pas breveté au seul profit de Miribel. Le général de Schlieffen savait, lui aussi, le pratiquer. Sandherr raillait les Allemands ; c’étaient peut-être les Allemands qui s’amusaient de lui.

Le contre-espionnage, démesurément développé, avait encore un double vice. Il donnait à des officiers l’habitude des faux, et tentait certains agents d’étendre, cette fois pour leur propre compte, leurs opérations. Le métier est profitable, puisque le provocateur mange à deux râteliers, payé par l’employeur qu’il sert et par celui qu’il trompe, mais il est si ignoble que les derniers restes de la conscience ont vite fait d’y sombrer. Si l’agent croit devenir suspect à son correspondant, s’il craint de s’être brûlé en livrant trop de documents truqués, il en livre de vrais pour ressaisir la confiance qui échappe. Il lui suffira parfois d’avoir pris goût au trafic pour glisser du contre-espionnage à l’espionnage. Il est, par son emploi même, en mesure de connaître certains secrets ; bien sot de n’en pas tirer profit. L’argent escroqué à l’étranger cesse alors d’être de l’argent volé ; il devient le prix d’une véritable trahison.

Tel fut le cas d’un sous-agent de Lajoux qui offrit des documents authentiques au successeur de Guers à Bruxelles. Lajoux fut rappelé en toute hâte de Varsovie, invité à ramener le misérable à Paris ; « en cas de refus, dit-il, à aller jusqu’à la boulette[32]». Cuers avait été éloigné de Bruxelles, mais restait au service, sans disgrâce. Lajoux venait de passer quinze jours à Berlin, avant d’aller en Russie, fréquentant le bureau de l’espionnage allemand, le fameux Thiergarten[33]. Qui trompait-il ? Sandherr ou le hauptmann Dame ?

Engrenage inextricable et fécond en vilenies de toutes sortes, où le mensonge ne se distingue plus de la vérité, tricheurs contre tricheurs. Tous les dés sont pipés. Le plus souvent, chacun est à la fois dupeur et dupé. Et le plus cynique espion est parfois le plus crédule.

La coûteuse machine avait encore d’autres rouages. Sandherr avait soudoyé une domestique de l’ambassade d’Allemagne. Chargée de divers soins grossiers de ménage, la femme Bastian avait surpris la confiance de la fille de l’ambassadeur, la comtesse Marie de Munster. Elle circulait librement dans la maison et ramassait, dans les chiffonniers des bureaux et dans les cheminées, des fragments déchirés ou à demi calcinés de lettres, de notes et de brouillons. Une ou deux fois par mois, elle rassemblait son butin dans un cornet ; puis elle remettait le cornet ou le faisait parvenir à un agent du nom de Brücker qui triait les papiers, les recollait et les portait au service de statistique, au capitaine Rollin[34].

Dans cette sentine des espions, chacun suspecte son voisin de trahison et l’en accuse. Brücker avait pour maîtresse une femme Forêt, dite Millescamp, qui savait le métier de son amant et le chiffre de ses gages. Elle le dénonça au prédécesseur de Mercier, le général Loizillon, comme sujet à caution. Il lui aurait dit : « Si les Allemands me faisaient gagner 40 ou 50.000 francs, je ne refuserais pas leur argent. » Quelque temps après, Brücker la dénonça à son tour, l’accusant de lui avoir dérobé un de ses cornets et de l’avoir livré à Schwarzkoppen.

Arrêtée, le 28 décembre 1893, sous l’inculpation d’espionnage, la Millescamp protesta vivement de son innocence. Elle disait que Brücker avait perdu ces papiers chez elle et qu’elle-même avait été employée, par le capitaine Rollin, à rassurer la femme Bastian qui, prise tout à coup de peur, tremblant d’être déportée « en Sibérie » si elle était surprise dans sa besogne par quelqu’un de l’ambassade, voulait renoncer à son métier.

Les juges furent incrédules à son récit, qui, peut-être, n’était pas entièrement mensonger, et son procès fut instruit avec une rapidité extrême. Six jours après son arrestation, elle était condamnée, à huis clos, par le tribunal correctionnel, à cinq ans de prison[35].

Brücker avait raconté trop d’histoires à sa maîtresse. Il lui avait nommé le serrurier qui fabriquait les fausses clefs à l’usage des agents du service, révélé les mystères de l’ambassade. Il s’était targué d’avoir recollé les papiers, ramassés dans un panier, qui avaient conduit à la découverte de l’espion Greiner. Il s’était introduit lui-même à l’ambassade pour y voler des documents. Sandherr jugea prudent d’employer cet indiscret à des besognes « moins délicates ». On répandit le bruit que Brücker s’était suicidé[36], et on lui retira son rôle d’intermédiaire entre la Bastian et l’État-Major[37].

Désormais, le capitaine Rollin ayant quitté le service[38], la ramasseuse remettra elle-même ses cornets au commandant Henry.

C’était un officier sorti du rang, d’une intelligence robuste, sans scrupule ni culture, ambitieux et docile. Entré au service dans les dernières années de l’Empire, il avait fait la guerre et traîné assez longtemps dans les bas grades. Il avait été attaché, en 1876, à la personne du général de Miribel, un jour que celui-ci avait jugé habile de ne pas s’entourer que d’aristocrates. D’instincts policiers, il passa pour avoir espionné ses camarades auprès de son chef qui vantait alors son dévouement. Quand Miribel quitta l’État-Major général, en 1877, il ne voulut pas garder Henry et le plaça au bureau des renseignements, embryonnaire encore et que dirigeait le commandant Campionnet. Mal vu de son chef, Henry fut envoyé en Afrique où il passa dix ans, dans un régiment de zouaves, à Oran. Revenu, en 1891, en France, il avait réussi, depuis peu, à rentrer à son ancien bureau, malgré son insuffisance professionnelle et son ignorance des langues étrangères. Sandherr ne l’avait pas demandé ; il lui avait été imposé par Boisdeffre, auprès de qui Henry avait ses petites entrées et qui lui témoignait une absolue confiance[39].

Henry, installé au service, s’entendit avec la Bastian pour qu’elle lui apportât, une ou deux fois par mois, ses cornets, — non pas à l’État-Major, où la présence de cette domestique de l’ambassade allemande eût été suspecte, mais, à la tombée de la nuit, dans des endroits isolés, le plus souvent dans des églises[40]. Il se fit charger, avec le capitaine Lauth, du triage et du recollage des papiers, besogne qui avait été jusqu’alors celle de Brücker et qui aurait dû paraître indigne d’officiers[41].

Henry, désormais, chercha à tirer toutes ces affaires à lui ; peu goûté de Sandherr et de Cordier, il se lia d’une étroite intimité avec Lauth et l’archiviste Gribelin[42].

Brücker, blâmé pour ses bavardages, humilié dans son amour-propre, ayant perdu dans l’aventure Millescamp une partie de son casuel, était mécontent. Les bonnes affaires étaient celles de « la maison au grand jardin », Il se plaignait au sous-chef du bureau, le lieutenant-colonel Cordier[43], de son rôle diminué, rôdait, sous des déguisements, autour de l’ambassade, cherchait à rentrer en grâce par un coup d’éclat.

Il était resté l’ami de la ramasseuse qui continuait son métier, rassurée maintenant et toujours insoupçonnée ; elle remplaçait parfois dans sa loge la concierge de l’ambassade, une femme Pessen, d’origine anglaise, qui avait épousé un sous-officier prussien à la retraite. Des domestiques du comte de Munster avaient été achetés, ainsi que le concierge d’une maison située en face de l’ambassade, où les attachés civils et militaires avaient un pied-à-terre. Le service des renseignements avait loué l’appartement au-dessus du leur[44]. Et, là encore, on volait et on ramassait des papiers.

Enfin, tout un monde bizarre d’espions occasionnels, joueurs décavés, femmes déclassées, dérobait des lettres, recueillait des bruits, propos de salon ou d’antichambre, d’alcôve ou de cuisine, que le service payait très cher, crédule et souvent mystifié[45]. Parmi ces informateurs, le plus prisé était un ancien attaché militaire d’Espagne, le marquis de Val-Carlos, « d’une belle situation mondaine[46]», « rastaquouère[47]» hautement apparenté et besogneux. Il rapportait, tantôt à un agent du nom de Guénée[48], tantôt à Henry, les informations qu’il réussissait à surprendre de ses anciens collègues et dans le monde diplomatique, des bribes de conversation. On le payait assez cher[49]. On ouvrait des lettres à la poste. Deux ou trois commissaires spéciaux, détachés de la police de sûreté, étaient attachés au bureau des renseignements, surveillaient les allées et venues, filaient les individus suspects.

IX

Telle était, dans quelques-unes de ses lignes principales, la section de statistique. Son grand vice, c’était ses procédés d’agence louche, les basses mœurs policières où elle habituait un trop grand nombre d’officiers, déformant leurs cerveaux, les familiarisant avec le mensonge et des ruses indignes de l’uniforme. Son grand défaut était de ne pas savoir lire. Le plus souvent elle interprétait au rebours du bon sens les documents qui tombaient entre ses mains ; ni méthode, ni esprit critique, nulle saine appréciation des choses. Et nul contrôle sérieux ; des imprudences faillirent, plus d’une fois, amener des complications[50]. Elle accueillait des projets saugrenus, comme de répandre le phylloxéra dans les vignobles du Rhin et la morve dans la cavalerie allemande, et se fâchait qu’ils fussent repoussés par les ministres civils. La Sûreté générale, si elle avait été chargée de la même besogne, — comme elle l’avait été jadis, sous Napoléon, — aurait obtenu, à de moindres frais, d’autres résultats.

Cependant, le bureau du colonel Sandherr n’avait pas été sans rendre quelques services. Le contre-espionnage avait amené l’arrestation de cinq ou six espions ; surtout, il gênait le recrutement des espions allemands : quiconque s’offrait était réputé, d’abord, provocateur. Dans le tas de papiers que ramassait la Bastian, où il était plus souvent question d’aventures galantes que de choses militaires, il avait été fait aussi quelques trouvailles. D’autres surveillances, enfin, et le hasard avaient conduit à la découverte d’importantes trahisons : l’artificier Thomas, à Bourges, le bibliothécaire Boutonnet, à Saint-Thomas-d’Aquin, Greiner, au ministère de la Marine, avaient été successivement démasqués et livrés aux tribunaux[51].

Pendant longtemps, le ministère même de la Guerre avait été indemne. En 1892, alors que le général de Miribel était encore chef de l’État-Major, on commença à s’apercevoir « qu’il y avait une fissure quelque part » et que des fuites se produisaient[52]. L’État-Major en fut aussitôt très préoccupé[53].

C’étaient des « fuites de plans directeurs », c’est-à-dire des cartes à grande échelle des fortifications, surtout de l’Est et du Sud-Est. D’autres renseignements ont pu être vendus alors à l’Italie et à l’Allemagne ; mais la seule trahison avérée consistait dans un trafic abondant de ces plans[54]. Le 1er décembre 1892, Schwarzkoppen avait reçu 6.000 francs de son État-Major pour renouer d’anciennes relations avec les fournisseurs de cartes[55]. Panizzardi n’était pas moins avide de ces documents pour la région des Alpes[56]. En janvier 1893, Schwartzkoppen reçoit des plans de Reims et de Salins[57]. En juin 1893, Schwarzkoppen réclame encore des plans teintés[58]. Le 29 décembre, partant en congé pour Berlin, il écrit à son camarade Süsskind, chargé de l’intérim, au sujet d’un individu qu’il appelait « l’homme des forts de la Meuse[59]». Il prescrivait de verser à cet espion 300 francs, à titre d’avance, s’il venait pendant son congé ; l’homme, ou sa mère, devait apporter le reste des plans de la Meuse, ceux de Toul et d’autres dessins. « Sans cela, pas un sou. » La lettre avait été interceptée.

Quand Mercier arriva au ministère, Sandherr lui remit cette lettre qui montrait avec quelle audace, protégé par son immunité diplomatique, l’attaché militaire allemand avait organisé son service d’espionnage.

Son prédécesseur avait été impliqué dans l’affaire Boutonnet. L’ambassadeur d’Allemagne, le comte de Munster, avait promis alors que ses attachés militaires s’abstiendraient désormais de tout trafic avec des officiers ou fonctionnaires français. La lettre sur « l’homme des forts de la Meuse » prouvait que la promesse n’était point tenue.

Mercier porta la lettre à Casimir-Perier, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères ; il le pria, fort sagement, d’intervenir à l’occasion auprès du comte de Munster pour qu’il fût mis un terme à des abus d’où pouvaient résulter de graves inconvénients[60]. Aussi bien l’ambassadeur était-il de bonne foi, Schwarzkoppen l’ayant tenu dans l’ignorance de ses opérations hasardeuses. Le colonel prussien ne référait qu’à son ministre et au grand État-Major, à Berlin.

Nombre d’autres pièces, non moins significatives et relatives aux cartes et plans, avaient été précédemment interceptées. L’une d’elles, signée du pseudonyme Alexandrine, était ainsi conçue :

Si-joint douze plans directeurs de Nice que ce canaille de D… m’a donné pour vous. Je lui ai dit que vous n’aviez pas l’intention de reprendre les relations. Il prétend qu’il y a eu malentendu et qu’il ferait tout son possible pour vous satisfaire. Il dit qu’il s’était entêté et que vous ne lui en voulez pas. Je lui ai répondu qu’il était fou et que je ne croyais pas que vous reprendriez les relations avec lui. Faites ce que vous voudrez.

Comme les deux attachés se servaient des mêmes pseudonymes[61], le service avait eu recours aux lumières du ministère des Affaires étrangères pour identifier l’écriture de cette pièce. Le bureau du quai d’Orsay l’avait attribuée à Panizzardi, bien que le texte même indiquât qu’elle fût de Schwarzkoppen. Les plans de Nice intéressaient l’attaché italien ; c’était pour lui que l’espion inconnu les avait remis à l’attaché allemand.

La lettre n’est point datée par son auteur ; le bureau des renseignements n’avait point encore coutume d’écrire au crayon, sur les pièces qui lui parvenaient, la date de leur arrivée[62]; la pièce, quand elle a été photographiée en octobre 1894, ne portait aucune indication. Le sous-chef du service, Cordier, croit l’avoir eue sous les yeux dès 1892[63]. Ce serait la réponse de Schwarzkoppen à une lettre de Panizzardi lui demandant les plans de Nice[64]. Le capitaine Lauth prétend l’avoir recollée lui-même, vers la fin de 1893. Il s’était servi d’un papier non transparent dans les premiers mois de 1893 ; il employait à la fin de l’année un papier gommé transparent. Or, la lettre serait recollée avec du papier transparent[65]. En tout cas, la lettre est antérieure à 1894.

À l’époque où la lettre fut interceptée, il parut évident que « ce canaille de D… » n’était pas un officier. Les attachés n’auraient point repoussé les services d’un officier avec un tel mépris. On savait, d’autre part, qu’ils payaient les plans directeurs 10 francs pièce[66]. Ce fournisseur, congédié comme un laquais et qui revenait, si humblement, apporter lui-même sa marchandise, c’était quelque bas employé civil, quelque pauvre hère[67]. Comme il était question, dans une lettre de Panizzardi, d’un nommé Dubois[68], on fit surveiller un employé de ce nom, alcoolique, qui, effectivement, avait livré certaines choses à l’Italie, mais sans intérêt. On ne trouva rien. On suspecta alors un garçon de bureau du nom de Duchet, qui, lui aussi, était un ivrogne et avait éveillé les soupçons. Mais cette piste aussi fut bientôt abandonnée[69].

Ni l’une ni l’autre n’aurait dû être suivie, car les attachés italiens avaient pour habitude de démarquer les noms de leurs espions et d’en changer les initiales[70], quand ils ne leur donnaient pas un pseudonyme[71]. Il était donc certain que le nom de l’espion ne commençait pas par un D.

Cette fuite des plans directeurs irritait l’État-Major ; Sandherr et Cordier s’exaspéraient de n’en pas trouver l’origine. Les agents couraient, fouillaient en vain de tous côtés[72].

Mercier augmenta la part des fonds secrets mis à la disposition du service de statistique[73]. Et la ramasseuse de bouts de papier continuant son métier, on eut bientôt la preuve que Schwarzkoppen avait étendu ses opérations.

Le 25 décembre 1893, quatre jours avant son départ pour Berlin, Schwarzkoppen avait reçu cette dépêche en clair : « Chose aucun signe d’État-Major. » Le mois suivant,[74] la Bastian apporta des fragments d’un brouillon[75] écrit au crayon, déchiré en morceaux, et d’où résultait que l’attaché allemand s’était abouché avec un plus gros seigneur que « ce canaille de D… » ou que « l’homme des forts de la Meuse ».

Énigme susceptible de bien des solutions que ce chiffon de papier, mutilé, d’une écriture hâtive et difficile à lire. Les fragments en furent-ils classés dans leur ordre naturel[76]? À combien de combinaisons ces trente et quelques mots peuvent-ils prêter ? Il apparaissait toutefois que Schwarzkoppen avait reçu les offres d’un individu qui avait éveillé d’abord ses soupçons ; il lui avait demandé de produire son brevet d’officier, hésitait toutefois à s’engager personnellement avec lui. L’espion n’était pas novice, avait travaillé « déjà quelque part ailleurs ». Les documents, livrés ou promis, sortaient du ministère, d’où leur importance. Enfin, à la suite du mot absolue et de deux lettres d’un mot mutilé, ces trois mots étaient écrits en français : « Bureau des renseignements ». Mais ni Sandherr ni Mercier n’y virent une piste à suivre.

On classa comme dénuée de toute importance une lettre de Panizzardi à Schwarzkoppen ; l’Italien y recommandait à l’Allemand de ne pas parler « à son ami » d’une question, d’ailleurs banale, dont lui-même avait entretenu le colonel Davignon[77].

En mars, communication verbale du marquis de Val-Carlos à l’agent Guénée. Il lui confirme que Schwarzkoppen et Panizzardi ont formé une sorte d’association. Il l’engage à dire au commandant Henry, pour qu’il le répète au colonel Sandherr, « qu’il y a lieu de redoubler de surveillance au ministère de la Guerre ». « Il résulte de ma dernière conversation avec eux qu’ils ont, dans les bureaux de l’État-Major, un officier qui les renseigne admirablement. Cherchez, Guénée ; si je connaissais le nom, je vous le dirais. »

Le mois suivant, Val-Carlos renouvelle ses avertissements à Guénée : « Vous avez un ou plusieurs loups dans la bergerie. Cherchez[78]. »

Ainsi le ministère de la Guerre se sentait entouré d’un redoutable réseau d’espionnage ; des indices de trahison lui venaient à la fois de l’ambassade allemande et de l’ambassade italienne. Il y avait manifestement plusieurs espions : les uns, comme D…, qui étaient à la fois au service des deux attachés ; les autres qui n’opéraient que pour l’un des deux attachés, mais dont les renseignements profitaient aux deux ; et quelques-uns étaient installés dans la maison même. On avait pu croire d’abord qu’ils n’avaient été recrutés, à bas prix, que dans un personnel très inférieur, — tel « ce canaille de D… », qui portait lui-même à l’attaché étranger son paquet de plans directeurs, ou « l’homme des forts de la Meuse », qui venait, lui aussi, en personne, à l’ambassade d’Allemagne et recevait des acomptes de quinze louis. Mais, depuis la lettre du mois de janvier, on savait qu’il y avait parmi ces traîtres un officier qui appartenait ou fréquentait au ministère ; et les délations de Val-Carlos à Guénée avaient précisé que la trahison habitait l’État-Major général lui-même.

Mercier avait ordonné d’étendre la surveillance aux officiers ; mais les recherches n’aboutirent pas. Il y avait parmi ces officiers un seul juif, le capitaine Dreyfus, jalousé par beaucoup et peu aimé ; il ne fut même pas l’objet d’un soupçon[79].

X

La lettre qui fut apportée à Mercier, vers la fin de septembre, à une date qu’on peut fixer au lundi 24[80], était ainsi conçue :

Sans nouvelles m’indiquant que vous désirez me voir, je vous adresse cependant, Monsieur, quelques renseignements intéressants :

1° Une note sur le frein hydraulique du 120 et la manière dont s’est conduite cette pièce ;
2° Une note sur les troupes de couverture (quelques modifications seront apportées par le nouveau plan) ;
3° Une note sur une modification aux formations de l’artillerie ;
4° Une note relative à Madagascar ;
5° Le projet de manuel de tir de l’artillerie de campagne (14 mars 1894).

Ce dernier document est extrêmement difficile à se procurer et je ne puis l’avoir à ma disposition que très peu de jours. Le ministère de la Guerre en a envoyé un nombre fixe dans les corps, et ces corps en sont responsables. Chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres.

Si donc vous voulez y prendre ce qui vous intéresse et le tenir à ma disposition après, je le prendrai. À moins que vous ne vouliez que je le fasse copier in extenso et ne vous en adresse la copie.

Je vais partir en manœuvres.

L’émotion de Mercier, en lisant cette pièce, fut vive, et aussi son irritation. La lettre missive, dès la première phrase, indique un commerce de trahison déjà ancien, repris volontairement par son auteur, après quelque interruption. Le traître, cette fois, est incontestablement un officier. Et comme il mentionne en son bordereau une question qui est plus spécialement du ressort de l’État-Major, l’idée surgit aussitôt que le traître appartient au ministère. Depuis le mémento de Schwarzkoppen et les révélations de Val-Carlos, cette idée hantait les cerveaux. Maintenant, elle s’impose. Tous les chefs, du moment où le bordereau leur fut communiqué, pensèrent que la preuve était faite et que la trahison provenait du ministère de la Guerre[81]. Ce fut, dès la première minute, une illumination subite, l’absolue conviction, une idée fixe, que le traître devait être cherché parmi les officiers de l’État-Major.

L’idée fixe, la névrose, s’ancrera dans les cerveaux, et, selon la loi physiologique, va s’exaspérer de sa propre absurdité.

Mercier donne cours à sa colère. Quoi ! depuis janvier, le service de la statistique sait que Schwarzkoppen a embauché un officier et que l’attaché allemand tire du ministère de la Guerre ses renseignements ! Et, depuis neuf mois, aucun indice n’a été recueilli ! À quoi sert ce coûteux office ? Que fait le général Gonse, sous-chef d’État-Major, qui l’a directement sous ses ordres ? Et Boisdeffre lui-même ?

Mercier, mieux que tout autre, se rendait compte combien sa situation, politique et militaire, était devenue précaire. Que la trahison s’ébruite et que le traître reste introuvable, ce sera, pour lui, le coup de grâce. La presse, les Chambres qui vont être convoquées, imputeront à lui seul cette incurie. À tout prix, — vous l’entendez, Gonse ! et vous, Boisdeffre ! — il faut découvrir le traître. Le cercle des recherches est petit, circonscrit à l’État-Major. Cherchez, trouvez !

Le général de Boisdeffre prétend « qu’il était absent lorsque survint la découverte du bordereau[82] ». Selon Mercier, au contraire, le document reçu par Henry fut porté par lui au colonel Sandherr, « par qui il est arrivé au général Gonse, au général de Boisdeffre et enfin au ministre[83]». Contradiction singulière.

Quant à la manière dont le bordereau est arrivé, Mercier, Gonse, les officiers du bureau, Lauth, Gribelin, tous, sauf Boisdeffre, qui s’en tait, et Cordier, qui semble avoir eu quelque soupçon[84], répètent la même version : « Il a été remis à Henry par l’agent ordinaire à l’ambassade d’Allemagne ; » — c’est la femme Bastian ; — comme tout ce qui sortait du cornet à papiers, il était « en morceaux ». Et c’est la version suprême d’Henry : « C’est à moi qu’on a apporté le bordereau. Il est venu par la voie ordinaire, avec des documents dont l’authenticité est indiscutable. Toute autre version est contraire à la vérité et matériellement impossible[85]. »

Ces pièces, qui seraient venues avec le bordereau, Mercier en donne les dates : « Il y en avait une du commencement d’août et les autres s’échelonnaient : 21, 24, 26 août jusqu’au 2 septembre[86]. »

L’archiviste Gribelin et Lauth, le principal adjoint d’Henry, ont raconté comment ils auraient connu le bordereau.

Le matin du 24 septembre, Henry était venu de bonne heure au ministère, sans monter à cheval, comme il faisait d’habitude, avec son ami Lauth[87]. Il y était installé, « ce qui était rare[88] », avant l’archiviste Gribelin. Quand l’archiviste arriva, Henry l’appela aussitôt : « Voyez donc ce qui m’a été remis, lui dit-il. C’est fort. Et j’espère bien qu’on va le pincer[89]. »

Peu après survint Lauth. Henry circulait dans le couloir[90]; il appela son ami[91]. Et un troisième officier du service, Matton, étant arrivé en même temps que Lauth, il leur montra « un papier qu’il tenait à la main[92] ».

La scène est si bien réglée qu’elle semble préparée d’avance.

Sur la table se trouvaient des paquets en vue[93], contenant des papiers déchirés et informes[94] ; mais celui qu’Henry tenait à la main était déjà recollé ; il n’était plus fragile, il était « absolument sec[95] ».

Lauth ne s’étonne pas que ce seul papier ait été recollé ; mais il dit que « le papier avait été en plusieurs morceaux[96] ». Or, ce papier, d’un genre peu commun[97], n’était coupé que par deux déchirures, incomplètes, l’une, dans la largeur, au tiers inférieur de la page, l’autre verticale qui ne rejoignait pas tout à fait la précédente.

Les déchirures très nettes, en biseau, n’avaient même pas traversé de part en part le léger et transparent papier. Avant d’être recollés, les deux morceaux se tenaient par un bout commun. Feuille avec une déchirure plutôt que feuille déchirée. Les papiers qui venaient par le cornet de la femme Bastian étaient ramassés par elle dans des chiffonniers ou des cheminées. Ils étaient froissés, plissés, souillés, calcinés souvent. Celui-ci, d’espèce si fragile, n’était ni plissé, ni froissé ; il était uni, lisse.

La lettre a deux feuillets : le premier est « couvert d’écriture » au recto et jusqu’à la moitié du verso ; le deuxième est blanc, mais incomplet. Sur ce feuillet, une tache provenant, selon une explication ultérieure, « d’un acide dont on s’est servi pour enlever un mot[98] ». Quel mot ? Qui l’a fait disparaître ? Pourquoi ?

Lauth et Matton s’étaient approchés, avec Henry, de la fenêtre et en avaient écarté les rideaux[99] pour mieux lire le mystérieux document. Ces détails matériels n’ont pu leur échapper.

Henry leur avait dit que ce qu’il avait trouvé était « effrayant[100] ». Gribelin rentre, sur ces entrefaites, dans le bureau[101]. Il rapporte seulement que le bordereau étonna Lauth[102]. Rien de Matton, qui n’a jamais rien dit et n’a jamais été invité à parler.

Selon Gribelin, les quatre officiers « n’hésitèrent pas une seconde à attribuer le bordereau à un officier d’État-Major et à un officier d’artillerie[103] ». Selon Lauth, ils échangèrent seulement quelques réflexions : « D’où cela peut-il venir ? Qu’est-ce que cela peut être ? Quel peut être l’auteur de ce papier ? D’où peuvent provenir les indiscrétions[104]? »

À en croire Lauth, « la conversation dura quatre ou cinq minutes ». Puis, chacun se rendit à son travail, « et il ne fut plus question du bordereau[105]». C’était faire montre de peu de curiosité. Ces jeunes chefs avaient pris aisément leur parti d’une trahison qu’Henry avait qualifiée d’effrayante et qui n’avait pu être commise que par un officier.

Ou bien, il faut supposer, déduire de tant de contradictions et d’invraisemblances et du mutisme de Matton[106], que les choses ne se sont pas passées ainsi. Toute cette scène a été inventée après coup. Les officiers du bureau n’auraient été prévenus que dans le courant d’octobre, par Sandherr ou par Cordier, quand l’affaire commença à s’ébruiter. C’est ce que déclare Cordier[107]. Le bordereau ne fut remis qu’un peu plus tard, dans la matinée, à Sandherr, quand il vint au bureau. Le sous-chef, Cordier, était absent, en congé[108]. Les grands chefs ne le connurent que dans l’après-midi.

Le récit de Lauth et celui de Gribelin tendent à attribuer pour origine au bordereau le cornet de la Bastian. Lauth précise même qu’Henry avait reçu ce cornet la veille ou l’avant-veille au soir, et qu’il avait recollé le bordereau chez lui[109], sans s’occuper d’ailleurs des autres pièces dans les autres cornets[110]. De même la femme d’Henry raconte que son mari travailla, certain soir, à dépouiller des papiers qui lui avaient été remis. Elle s’était retirée dans sa chambre ; puis, inquiète de ne pas le voir, elle se relève, le rejoint et l’interroge : « Pourquoi travaillait-il plus tard que de coutume ? » Henry désigne des petits papiers épars devant lui et une lettre qu’il achevait de reconstituer : « J’ai trouvé des choses graves que je dois finir de voir ce soir. » Quelques instants après, il serait rentré dans la chambre en tenant dans la main un morceau de papier et la lettre reconstituée ; il lui dit, plus tard, que c’avait été le bordereau[111].

Ainsi s’explique que le papier était absolument sec, quand Henry, le lendemain, le montra à Lauth. Mais tous ces récits et tous ces détails, dont les uns concordent trop et les autres sont contradictoires, se heurtent au fait que le bordereau, quand Henry le reçut, n’était pas en morceaux et qu’Henry n’eut pas, dès lors, à le reconstituer. Raisonnez et regardez. Que Schwarzkoppen jetât au panier ou dans la cheminée les brouillons qu’il écrivait ou les lettres insignifiantes qu’il recevait, c’était déjà une imprudence. Mais une lettre comme celle-ci, annonçant et accompagnant des pièces importantes, la lettre d’un officier, traître à ses gages ! Et cette lettre qu’il aurait jetée ainsi, elle n’était même pas déchirée en morceaux, ni même froissée. À l’examiner de près, le caractère factice des déchirures apparaît. Ce n’est pas ainsi qu’on déchire une lettre, avant de la jeter avec dédain dans le panier que videra un domestique. Tant que ce papier ne sera pas tombé en poussière, il sera lui-même la preuve qu’il ne vient pas du cornet, que la Bastian ne l’a pas ramassé dans quelque chiffonnier et que Schwarzkoppen ne l’a point reçu.

D’où venait-il ?

On a vu l’agent Brücker disgracié après l’affaire Millescamp, se plaignant de sa disgrâce, cherchant à rentrer en faveur par quelque exploit. L’audacieux avait trouvé. Il était entré dans la loge du concierge de l’ambassade d’Allemagne, un jour que la Bastian y remplaçait la femme du vieux Pessen, et y avait pris la lettre, venue probablement par la poste, dans le casier de Schwarzkoppen, alors en congé, à Berlin ; ou la Bastian, qui lui voulait du bien, la lui avait donnée, l’ayant volée elle-même. Les notes, annoncées par le traître au colonel prussien, étaient dans un autre paquet qui parvint à son adresse[112]. Brücker ouvre l’enveloppe[113] ; et lit. Et il porte, le jour même, à Henry sa précieuse trouvaille[114].

Henry n’y a pas plus tôt jeté les yeux qu’il en reconnaît l’écriture, celle d’un ami de vingt ans, qu’il tutoie, qui n’a rien de caché pour lui, son camarade d’autrefois à ce même bureau des renseignements depuis 1878, son créancier depuis 1876[115], le commandant Marie-Charles-Fernand Walsin-Esterhazy.

Il y avait un an qu’Esterhazy était entré au service du colonel de Schwarzkoppen. Pour expliquer sa trahison, il n’avait pas allégué seulement, dans la lettre où il s’offrait, des besoins d’argent, mais qu’issu d’une illustre famille hongroise, il ne s’était jamais considéré comme français[116]. Il avait affirmé, en outre, à l’attaché militaire d’Allemagne qu’il se documentait au bureau même des renseignements. Pour lui prouver qu’il était bien placé pour l’informer, il s’était fait voir à lui, galopant aux côtés d’un général. Tantôt, il l’amusait par la verve de ses lettres, ses invectives furieuses contre les chefs de l’armée, sa haine et son mépris de la France. Tantôt, il l’inquiétait par ses allures, son manque de prudence, ses notes tour à tour précieuses et misérables. Il se faisait payer cher (2.000 marks par mois)[117] et réclamait toujours plus d’argent. Trahison mêlée d’escroquerie. Le grand État-Major prussien le tint parfois pour un provocateur. Déjà Schwarzkoppen avait fait mine de rompre.

Si Henry est le complice d’Esterhazy, la lettre volée ouvre l’abîme sous ses pas. S’il ne l’est pas, elle lui apprend que son ami est infâme. Il s’agirait de son frère qu’il a le devoir étroit de parler, ayant reconnu l’écriture familière, si caractéristique. Lui surtout, l’un des chefs du service de l’espionnage, il ne peut se taire, même d’un soupçon, rien que pour éviter une chance possible d’erreur.

Qu’il soit l’associé du traître ou simplement son ami, le plus simple n’est-il pas de détruire la lettre accusatrice, unique et fragile preuve ?

La lettre fût venue, en morceaux, par le cornet que l’opération eût été, en effet, facile et sans danger.

La Bastian était illettrée, enfermait pêle-mêle dans des paquets les fragments épars de papier qu’elle ramassait, sans chercher à les réunir et à les lire. Nulle trace, pour cette fois, ne fût restée du crime. Mais Brücker sait la valeur des choses ; il a lu la lettre, en a estimé le prix. Qu’Henry essaye de lui persuader qu’elle est sans valeur, bonne à jeter au feu, l’agent, trop intelligent, va se cabrer. Il ne se laissera pas frustrer du bénéfice du coup hardi qu’il vient de faire. Il parlera, à Cordier, à Sandherr, qui, parfois, regarde fixement Henry. Détruire la lettre, c’est avouer autre chose qu’une indigne amitié.

À la réflexion, que risque Henry à porter la lettre à Sandherr ? Déjà, ce fait seul le couvre. Des recherches seront ordonnées au ministère de la Guerre ; puisqu’Esterhazy ne fait pas partie de l’État-Major, elles seront vaines. Après quelques jours d’émoi, dans l’impossibilité de trouver le coupable au ministère, la lettre sera classée, ira rejoindre, sous la garde d’Henry, dans l’hypogée des archives, tant d’autres papiers inutiles.

Donc, Henry ne la détruit pas ; seulement, cette lettre intacte, il la déchire pour faire croire aux initiés vulgaires qu’elle vient du cornet[118]. Il attend le prochain butin de la ramasseuse ; alors, ayant recollé la lettre, il la présentera avec d’autres pièces, qui, vraiment, sortent des paquets de la Bastian. Il informera les grands chefs, s’il est nécessaire, du coup d’audace de Brücker et de l’ingénieux procédé qu’il a trouvé lui-même pour masquer l’inavouable vol. L’enveloppe a disparu. La version officielle sera que le bordereau, déchiré en morceaux, « en menus morceaux »[119], est venu par la voie ordinaire. Version mensongère, puisque le bordereau avait été intercepté avant d’arriver à destination[120]. Version absurde, qu’il était audacieux de proposer même aux sots, parce que Schwarzkoppen n’avait pas pour habitude de jeter au panier les lettres de ses espions[121]. Ainsi débuta l’Affaire, par un mensonge.

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  1. 1er février 1894.
  2. Le vicomte de Montfort.
  3. Amiral Bourgeois, la Défense des Côtes. — Cf. Lockroy, la Défense navale, p. 183.
  4. 21 mai 1894.
  5. 30 mai 1894.
  6. Le Hérissé.
  7. Marcel Habert.
  8. Pourquery de Boisserin.
  9. Alphonse Humbert.
  10. 31 mai 1894.
  11. 5 juin 1894.
  12. Résurrection, chap. xviii.
  13. Au hasard, je cite quelques injures de l’Intransigeant : « Barboteur, renifleur, idiot, celui qui détient au ministère le record du ramollisme, Ramollot… Explique-toi, Mercier, afin que nous sachions enfin jusqu’où peut aller l’imbécillité humaine ! … Hémiplégique, relégateur, Escobar, vieille culotte de peau, général en carton peint, l’Étoilé de la rue Saint-Dominique, Flair d’artilleur. » Dans une lettre du 4 juin 1894 à Turpin, Drumont écrit : « Mercier n’ignore pas que la scandaleuse protection accordée si longtemps à un homme qu’on connaissait pour être un espion (Triponé) ne s’explique que par de sales histoires de cotillon. » Dans l’Autorité du 2 juin, Cassagnac écrit, au sujet de l’interpellation sur l’affaire Turpin : « Le général Mercier a donné des explications pitoyables et qui produiront un effet navrant sur l’opinion publique… Toute la responsabilité, et elle est terrible, retombe sur lui. Il devait être chassé de son banc, et il l’aurait été, si la Chambre était peuplée de députés indépendants et patriotes. »
  14. Enquête et débats de la Cour de cassation, I, 327, Casimir-Perier : « J’ai, d’ordinaire, ignoré, pendant que j’occupais la Présidence de la République, ce qui touchait à la marche des affaires publiques. »
  15. Conseil de guerre de Rennes, procès Dreyfus, I, 57, Casimir-Perier.
  16. Circulaire du 1er août 1894.
  17. Rennes, I, 158, Mercier.
  18. Circulaire du 15 mars 1894. La circulaire précéda de deux jours le dépôt du budget qui fixait l’effectif, pour 1896, à 544.057 hommes. Bien qu’il fût informé que la classe de 1895 serait plus nombreuse que la précédente, Mercier était tellement préoccupé de la nécessité de relever, même en temps de paix, les effectifs, qu’il n’hésita pas à entrer en conflit avec la commission de l’armée sur sa circulaire. Cette opinion sur le chiffre intangible des effectifs, il l’avait défendue encore, dans la première quinzaine de juin, contre son collègue des finances. Poincaré lui avait demandé, en effet, de réaliser une économie d’une dizaine de millions sur son budget ; le 12 juin, Mercier lui répondit qu’il ne saurait « arriver à ce résultat qu’en diminuant les effectifs des hommes à entretenir ». Il n’y avait qu’un seul moyen légal pour diminuer les effectifs, c’était d’établir une seconde portion de contingent ; « mais ce moyen présentait de telles difficultés d’application et de tels inconvénients au point de vue militaire qu’il ne serait pas possible de l’appliquer ». — Carnot fut assassiné, à Lyon, le 25 juin. C’est dans ce court intervalle, du 12 au 25, que Mercier changea d’avis, se rallia à la mesure que, si peu de jours auparavant, il tenait, avec raison, pour illégale et préjudiciable aux intérêts de l’armée.
  19. 5 août 1894.
  20. L’ajournement au 20 avril 1895 du renvoi de vingt-quatre mille hommes sur soixante mille fut annoncé le 10 septembre ; le 28 décembre, à la suite des débats devant la Chambre, une troisième circulaire maintiendra ces hommes jusqu’à l’expiration normale de leur service.
  21. Jules Roche, député, ayant vivement blâmé la circulaire du 1er août dans un article du Matin, de nombreux officiers lui adressèrent leurs félicitations ; l’un d’eux, le commandant Walsin-Esterhazy, lui écrivit de Rouen, le même jour, 28 août, que « les effectifs de l’infanterie vont être réduits, par compagnie, à 10 et 12 hommes, sous-officiers compris, au 8 novembre », Cass., I, 698.)
  22. Saint-Genest, Figaro du 22 novembre 1894.
  23. Rennes, I, 76, Mercier. Il y en avait également en Suisse.
  24. Rennes, II, 507, Cordier.
  25. Rennes, II, 506, Cordier ; II, 10, Rollin ; II, 27, Gonse. — L’espionnage franco-allemand, dans le Soir de Bruxelles, (juin–juillet 1900), série d’articles inspirés, sinon écrits, par Lajoux, suspects, à cause de l’auteur, mais intéressants.
  26. Rennes, III, 160, Corninge ; III, 164, Picquart ; III, 166, Lauth.
  27. Rennes, I, 85, Mercier ; II, 509, Cordier. — Quand Picquart prit, en 1895, la direction du service, Henry lui demanda ce qu’il entendait faire d’une énorme liasse de fausses pièces sur la mobilisation.
  28. Rennes, II, 509, Cordier.
  29. Ibid., 506.
  30. Ibid, 507.
  31. Rennes, II, 11, Rollin. — Le commandant Rollin les nomme : Schneider, Theisen, Cunche, le lieutenant Bonnet. Lajoux donna les noms de Bonnet et de Schneider ; il sut également de Cuers les noms d’espions allemands en Russie, à Varsovie, et les signala au général Gourko. (L’espionnage franco-allemand, ch. VI.)
  32. L’espionnage franco-allemand, ch. III.
  33. Le bureau des renseignements, à Berlin, est ainsi appelé du voisinage du parc de ce nom, Jardin des bêtes.
  34. Cass., I, 60, général Roget ; I, 140, Picquart ; Rennes, II, 500, Cordier, etc. Tous ces témoins taisent les noms des agents qui ont été connus depuis et publiés par les journaux.
  35. Jugement du 3 janvier 1894, confirmé en appel le 31 janvier. Cass., I, 140, Picquart ; Rennes, II, 501, Cordier, etc.
  36. Cass., I, 140, Picquart.
  37. Rennes, II, 500, Cordier ; II, 529, Lauth.
  38. Rennes, II, 529, Cordier.
  39. Rennes, II, 520, Cordier. — Lettre de Boisdeffre à Cavaignac, du 30 août 1898 : « Cette confiance qui était absolue… »
  40. Rennes, II, 501, Cordier.
  41. Ibid., 500.
  42. Rennes, II, 521, Cordier.
  43. Ibid., 501.
  44. Rennes, I, 553, Gonse.
  45. Rennes, I, 53, Delaroche-Vernet ; I, 369, Picquart ; Cass., II, 336, etc.
  46. Cass., I, 59, Roget.
  47. Cass., I, 130, Picquart.
  48. Rennes, I, 84, Mercier ; I, 518, Boisdeffre ; I, 554, 545, Gonse, etc.
  49. Cass., I, 130, Picquart ; Rennes, I, 545, Gonse : « On lui payait ses renseignements chaque fois qu’il en apportait ; il a reçu régulièrement certaines sommes pendant un certain temps, parce qu’il avait un agent à sa disposition d’une façon permanente. »
  50. Cass., I, 335, Develle, ancien ministre des Affaires étrangères.
  51. Cass., 1, 519, Hartmann ; Rennes, II, 504, Cordier.
  52. Rennes, II, 13, Rollin.
  53. Rennes, I, 518, Boisdeffre.
  54. Cass., I, 55, Roget, — Une note de l’attaché allemand, du 25 mai 1892, annonce l’envoi de huit nouveaux plans directeurs des régions d’Arras et de Laon, ainsi que de deux plans de Toul. (Cass., V, 27. Rapport Boyer, etc.).
  55. Dossier secret, pièces 17 et 17 bis, 225, etc. (Rennes, III, 632, Demange.)
  56. Rennes, I, 541, Gonse. — Voir Appendice I.
  57. Cass. V, 27, Boyer : « Une note contient la découverte de sommes payées à diverses époques et notamment, le 30 janvier 1893, à un nommé D. B. »
  58. Dossier secret, pièces 20 et 20 bis.
  59. Rennes, I, 77, Mercier.
  60. Rennes, I, 77, Mercier.
  61. Alexandrine, Bourreur, Chien de guerre, Maximilienne, etc.
  62. Cass., I, 300, Cordier : « Depuis 1893, il avait été décidé qu’en principe on mettrait sur chaque pièce, au crayon de couleur, la date de l’arrivée. » La décision de principe ne fut pas exécutée. Picquart dépose : « Quand j’ai pris le service (1895), on m’a dit : On ne met jamais de mention particulière sur les pièces. On ne l’a fait que plus tard. Si on l’avait fait toujours, on aurait évité ainsi bien des mécomptes. » (Rennes, I, 416.)
  63. Cass., I, 298, et Rennes, II, 511 et 514, Cordier.
  64. Rennes, I, 541, Gonse.
  65. Rennes, II, 531, Lauth :« Or, la pièce « Ce canaille de D… » est recollée avec du papier gommé transparent ; elle est donc de la fin de 1893, quand on a commencé à acheter à bon marché du papier gommé transparent. » Cuignet (Cass., I, 357) indique la même date. — Sur la fausse date (16 avril 1894), voir plus loin, Appendice I.
  66. Dossier secret, pièces 152 à 158. (Cass., III, 356.)
  67. Cass., I, 468. Trarieux. (Conversation avec l’ambassadeur d’Italie.)
  68. Cass., I, 371, Cuignet ; « Panizzardi, traitant visiblement d’une question d’espionnage, dit à Schwarzkoppen : « J’ai revu M. Dubois », en soulignant. » — Dossier secret, pièces 254, 320 et 322. (Cass., III, 356.)
  69. Rennes, 1, 83, Mercier. — Selon Mercier, il aurait lui-même ordonné ces enquêtes contre Dubois et Duchet. Cordier dépose que, « bien avant l’affaire Dreyfus, cette pièce avait servi à une surveillance exercée contre certains employés du ministère ». (Cass., I, 298.)
  70. Cass., I, 137, Picquart : « J’ai personnellement eu connaissance d’un espion dont l’initiale véritable était C., qui s’est présenté sous le nom de L. et que l’on a appelé M. »
  71. Cass., I, 468, Trarieux : « L’ambassadeur d’Italie m’a dit que D… n’était pas un employé de la guerre, mais un employé civil qui fournissait des cartes et plans topographiques assez difficiles à trouver dans le commerce. Cet individu avait des exigences d’argent exagérées. Les attachés le désignaient sous le nom de Dubois. » Le comte Tornielli ne connaissait lui-même que ce nom de guerre.
  72. Rennes, II, 511, Cordier.
  73. Rennes, I, 79, Mercier.
  74. Janvier 1894.
  75. Sur le memento de Schwarzkoppen, voir p. 352. On prit le mémento pour la réponse à la dépêche. S’il existe un lien entre ces deux documents, la dépêche est une réponse au rapport dont le brouillon n’a été volé qu’après l’envoi du texte original à Berlin.
  76. En voici le texte : « Doute (Zweifel)… Preuve (Beweis)… Brevet d’officier (Patent)… Situation dangereuse pour moi avec un officier français… Ne pas conduire personnellement de négociations… Apporter ce qu’il a… Absolue Ge… Bureau des renseignements. (Absolute Ge… Bureau des renseignements)… Aucun rapport corps de troupes (Keine Beziehung Truppenkœrper)… Important seulement… sortant du ministère… Déjà quelque part ailleurs. »
  77. « Comme les premiers mots de cette lettre, dépose le commandant Cuignet (Cass., I, 361), paraissaient se rapporter à une question absolument banale, recrutement ou appel, on ne procéda pas immédiatement à la reconstitution de la pièce, qui paraissait être sans importance. » Elle l’était, en effet, et l’importance qu’on lui attribuera par la suite sera toute factice.
  78. Rennes, I, 85, Mercier. Sur les rapports de Val Carlos et de Guénée, voir t. VI, 299.
  79. Rennes, I, 86, Mercier : « Dans tous les cas, Dreyfus, à ce moment, ne fut aucunement soupçonné. » — De même Zurlinden : « La Cour se rappelle que c’est tout à fait inopinément que Dreyfus fut signalé (par D’Aboville) comme l’auteur du bordereau. » (Cass., I, 41) Zurlinden, parlant de ces premières recherches, dit encore : « Dans tous les cas, elles ne firent en rien soupçonner le capitaine Dreyfus. » — De même, Boisdeffre (Cass., I, 259) et Roget (Rennes, I, 267). « La version, dit Roget, qu’on surveillait Dreyfus antérieurement à l’arrivée du bordereau est fausse ; jamais on ne l’a soupçonné. »
  80. C’est la date donnée par Lauth (Cass., I, 411), et qu’on peut accepter. Mercier, à Rennes, Cavaignac, Zurlinden, Gonse et Roget, à la Cour de cassation, ont déposé que le bordereau est arrivé à l’État-Major du 20 au 25 septembre. Cordier déclare que le bordereau n’était pas, le 22, au bureau, sinon Sandherr le lui aurait montré, à la veille de son départ en congé ; il pense que le bordereau arriva le 24, le 25 ou le 26. La date exacte de l’arrivée du bordereau ne fut pas inscrite ; ou, si elle le fut, elle n’a pas été révélée officiellement.
  81. Rennes, I, 86, Mercier. — De même Boisdeffre, I, 518 ; Gonse, I, 548 ; Deloye, III, 57.
  82. Cass., I, 259, Boisdeffre.
  83. Cass., I, 3, Mercier. — À Rennes, Mercier insiste : « Le bordereau avait été remis au commandant Henry, et présenté par lui à son chef le colonel Sandherr, et au général de Boisdeffre. » Boisdeffre dit simplement : « Le bordereau a été découvert et apporté au ministère en septembre, comme vous savez. » (Rennes, I, 518.)
  84. Rennes, II, 501, Cordier.
  85. Procès-verbal de l’interrogatoire subi par le lieutenant-colonel Henry, le 30 août 1898, à 2 h. 30 du soir (Revision du procès Dreyfus à la Cour de cassation, Octobre 1898, p. 104). Voir t. VI, p. 319, note 1, la lettre d’Henry à la Bastian du 25 septembre, qui suffit à prouver que le bordereau n’est point venu par le cornet.
  86. Rennes, I, 86, Mercier.
  87. Rennes, I, 608, Lauth. Sur la date de l’arrivée du bordereau, voir Revision du procès de Rennes, rapport Mornard, 573, et Enquête de la Cour de Cassation, I, 524 et 540.
  88. Rennes, I, 593 Gribelin.
  89. Cass., I, 430, Gribelin. — À Rennes (I, 593), Gribelin s’est rendu compte de l’imprudence qu’il a commise en rapportant ainsi la phrase d’Henry : « Voyez donc ce qui m’a été remis. » Et il corrige : « Voyez donc ce que j’ai trouvé. » Dans sa première version, Gribelin laissait échapper l’aveu que le bordereau avait été remis à Henry par Brücker ; dans la seconde, il se rattrape : c’est dans le cornet de la Bastian qu’Henry aurait trouvé le bordereau. — Roget a affirmé, successivement, qu’Henry lui avait dit que le bordereau était venu par la voie ordinaire, c’est-à-dire par le cornet (Procès-verbal des aveux d’Henry, du 30 octobre 1898), par « qui vous savez » (Commission d’enquête sur les allégations de Quesnay de Beaurepaire, le 22 janvier 1899), et « par ce que j’ai appelé la voie ordinaire » (Rennes, le 16 août 1899). Tant de contradictions prouvent l’intérêt de l’État-Major à nier que le bordereau soit venu par Brücker, intact.
  90. Cass., I, 412, Lauth. — À Rennes, Lauth dit « qu’Henry, avisé d’une venue par la sonnette électrique, avait mis la tête à la porte de son bureau. » (I, 608.)
  91. Cass., I, 412, Lauth : « Il m’appela et me fit entrer dans la pièce où il travaillait d’ordinaire. » À Rennes, Lauth emploie la même formule que Gribelin : « Il m’appela et me dit : « Venez voir ce que j’ai trouvé. » (I, 608.)
  92. Rennes, I, 608, Lauth. À l’enquête de la Cour de cassation, Matton déclara que le bordereau lui avait été montré par Sandherr et non par Henry (Voir t. VI, 351 et 439, note 1).
  93. Rennes, I, 609, Lauth : « La manière dont les paquets étaient placés sur la table, la manière dont il nous a appelés, le faisant exprès… »
  94. Cass., I, 412 ; Rennes, I, 608, Lauth.
  95. Rennes, I, 608, Lauth. — Cass., I, 431, Gribelin : « Il me dit en me montrant un papier recollé… » — De même, Lauth, à la Cour de cassation : « Il nous montra quelques fragments recollés par lui. » (I, 412.) À Rennes, il n’ajoute que les mots : « Le papier était absolument sec. »
  96. Rennes, I, 608 ; Cass., I, 412, Lauth : « Quelques fragments… » — Gribelin n’en dit rien.
  97. Cass., III, 103, Ballot-Beaupré : « Le bordereau est écrit sur un papier pelure, de nuance jaunâtre, filigrané au canevas après fabrication de rayures en quadrillages de 4 millimètres. »
  98. Cass., I, 683, Rapport des experts en papier Putois, Choquet et Marion : « Une tache provenant, nous dit-on, d’un acide dont on s’est servi pour enlever un mot. » Ce sont les mêmes experts qui constatent que le deuxième feuillet du bordereau n’est pas complet.
  99. Cass., 1, 412 ; Rennes, I, 608, Lauth.
  100. Cass., I, 412, Lauth.
  101. Cass., I, 431, Gribelin. — À Rennes, variante : « Nous regardions le bordereau quand Lauth est arrivé. » (I, 593.) Cette variante est contradictoire au récit de Lauth qui dit : « Quelques instants après, M. Gribelin est arrivé. » (Rennes, I, 608.) Et de même, devant la Cour de cassation (I, 412).
  102. Rennes, I, 593, Gribelin.
  103. Ibid.
  104. Rennes, I, 608, Lauth. De même, Cass., I, 412.
  105. Rennes, I, 608, Lauth.
  106. Matton n’a déposé qu’au second procès de revision. Voir t. VI, 439, note 1.
  107. Cass., I, 297 ; Rennes, II, 499. — Lauth, à Rennes (I,609) proteste contre cette version et affirme qu’il a connu le bordereau dès son arrivée. C’est alors qu’il ajoute : « La manière dont les paquets étaient placés sur la table, la manière dont Henry nous a appelés, nous a fait venir, le voulant bien, le faisant exprès, tout montre qu’il voulait nous montrer le bordereau. » (I, 610.)
  108. Cass., I, 412, Lauth ; I, 296, Cordier.
  109. Cass., I, 411, Lauth.
  110. Ibid., 412.
  111. Rennes, I, 261, Mme Henry.
  112. Elles sont, actuellement encore, à Berlin.
  113. La lettre avait-elle été déposée par Esterhazy à l’ambassade ou venait-elle par la poste ? Je crois qu’Esterhazy avait mis simplement sa lettre à la poste de Rouen, où il tenait garnison. S’il avait été à Paris, il se fût informé des causes du silence de Schwarzkoppen (« Sans nouvelles de vous, monsieur… ») Il eût su, soit à l’ambassade où il allait ouvertement, soit au domicile de l’officier allemand, soit au cercle, que Schwarzkoppen était en congé. Il eût attendu son retour pour lui écrire ou aller le trouver. Absent de Paris, pressé peut-être d’un impérieux besoin d’argent, il confia audacieusement sa lettre à la poste. Comme il se servait d’un papier-pelure très mince, le pli distinct, qui renfermait les notes, était très léger. Dans ce cas, l’enveloppe du bordereau portait le timbre de la poste de Rouen. Que devint cette enveloppe ? Qui l’a détruite ? Brücker ?… Pourquoi ?… Henry ? — Le commandant Hartmann (Cass., I, 539) croit, comme moi, que le bordereau est venu par la poste : « L’auteur du bordereau, dit-il, n’est pas dans la même ville que son correspondant, il communique avec lui par la poste ; l’envoi du projet de manuel ne pouvant se faire que par un paquet qui sera forcément suspect, il lui propose de lui en envoyer seulement une copie, qu’il expédiera en plusieurs fois, sur papier pelure, dans des missives ne dépassant pas 15 grammes. »
  114. Esterhazy (Dessous de l’affaire Dreyfus, p. 136) dit formellement que « le bordereau n’est pas arrivé au service des renseignements déchiré en menus morceaux » et « qu’il n’est pas arrivé par le cornet ». Le 18 juillet 1899, il précise dans une conversation avec un rédacteur du Matin que « le bordereau fut pris dans la loge même du concierge, dans le casier de Schwarzkoppen. Il ne parvint donc jamais entre les mains de l’attaché allemand qui ne l’a jamais vu et n’a donc jamais pu le déchirer et le jeter dans son panier à papiers… Le bordereau a été porté au service des renseignements par un Allemand dont je dévoilerai le nom si l’on m’y force. Il habitait temporairement Paris, en raison même de ses fonctions ; il est encore employé comme agent par le service des renseignements, » — Il est difficile de désigner plus clairement l’agent Brücker.
  115. Cass., I, 709, lettre d’Esterhazy à Jules Roche : « Le commandant Henry est mon débiteur depuis 1876 ; je lui ai prêté quelque argent qu’il ne m’a jamais rendu, qu’il me doit encore. Cela explique bien des choses. » — C’est Esterhazy qui souligne. — Le 17 mars 1899, il dit à un rédacteur du Matin : « Depuis notre commune entrée au service des renseignements, nous étions très liés et nous n’avions rien de caché l’un pour l’autre. »
  116. Renseignements inédits. — Il m’est provisoirement interdit de donner la source de ces renseignements et de quelques autres ; mais j’affirme que la preuve de ce que j’écris ici et plus loin est aux archives de l’État-Major général allemand. — L’un de ses anciens amis, Gaston Grenier, résume ainsi la vie d’Esterhazy : « Ayant perdu, de bonne heure, son père, le général Esterhazy, et sa mère, il fut élevé par un parent d’Autriche, sans enfants, lequel le fit entrer à l’École militaire de Wiener-Neustadt, aux environs de Vienne. Il en sortit officier de cavalerie, prit part, en cette qualité, à la campagne de 1866, en Italie, et reçut un coup de lance à Custozza. » (Cass., I, 715.) Il passa ensuite, pour des raisons ignorées, dans la légion d’Antibes (zouaves pontificaux), assista à la bataille de Mentana, vint en France, et fut admis, sur la demande de son oncle, qui était lui aussi général, dans la légion étrangère, avec son grade. Il obtint ensuite ce grade à titre français, fit la campagne de 1870 dans l’armée de la Loire et fut attaché, en 1872 et 1873, à la personne du général Grenier dont le fils donna ces renseignements à la Cour de cassation.
  117. Et non 2.000 francs, comme me l’a écrit, le 23 juin 1898, Cornwallis Conybeare, de l’Université d’Oxford. — Voir mon volume : Vers la Justice par la Vérité, p. 141.
  118. Ou il eut la tentation de la détruire, commença à la déchirer d’un coup sec, et s’arrêta, ayant réfléchi. — Un journaliste anglais, Rowland Strong, déposa (Cass., I, 746) qu’Esterhazy lui dit « qu’Henry avait déchiré ou fait déchirer le bordereau pour lui donner plus de vraisemblance ». — Même déclaration d’Esterhazy à un rédacteur du Matin, Serge Basset, qui en déposa à Rennes (III, 386). L’article contenant cette déclaration parut dans le Matin du 18 juillet 1899 (Rennes, III, 773).
  119. Rennes, I, 267, Roget ; Cass., I, 28, Cavaignac ; I, 239, Gonse. — Cependant, Gonse n’affirme pas de façon absolue : « Il a dû arriver en morceaux. »
  120. Déclarations répétées de Schwarzkoppen à Panizzardi (1896 et 1897), à Casella (23 décembre 1897). — Procès Zola, II, 517, Casella.
  121. Procès Zola, II, 517 : « Croyez-moi, dit Schwarzkoppen à Casella, si j’avais eu l’habitude de jeter au panier les documents que l’on m’expédiait, je vous garantis que l’on aurait trouvé quelque chose de bien plus important. »