Histoire de l’Affaire Dreyfus/T1/8

La Revue Blanche, 1901 (Vol.1 : Le procès de 1894, pp. 331–364).

CHAPITRE VIII

LE DOSSIER SECRET

I. La longue durée de l’instruction étonne l’opinion, 331. — Article de Bergerat sur la prévention morale, 332. — Articles de Cassagnac, 333. — Mercier déclare à un rédacteur du Figaro qu’il a les preuves de la trahison de Dreyfus, 334. — II. Sur la menace d’une interpellation, Mercier dément les propos qui lui sont prêtés, 335. — Le feuilleton du Petit Journal, 338. — III. Difficultés diplomatiques, 339. — Hanotaux et Munster, 340. — Nouvelle campagne d’intimidation dans la Libre Parole, 342. — Nouvelle capitulation de Mercier, 344. — IV. Le dossier ultra-secret, 346. — Les fausses lettres de l’Empereur d’Allemagne, 348. — Le bordereau annoté, 350. — V. Commentaire de Du Paty sur les pièces secrètes, 351. — Le mémento de Schwarzkoppen, 352. — Lettre dite Davignon, 353. — Hecquet d’Orval, 354. — La pièce Canaille de D…, 355. — VI. Le commentaire de Du Paty remplacé par une notice biographique de Dreyfus, 359. — L’obus à la mélinite, 360. — Mercier fait lui-même le pli cacheté qui sera communiqué secrètement aux juges, 364.

I

La longue durée de l’instruction judiciaire (tout un mois, du 3 novembre au 3 décembre) avait étonné l’opinion. Que de temps pour établir un crime patent, avéré ! Mercier, encore une fois, se serait-il trompé ?

À plusieurs reprises, les journaux officieux annoncèrent la clôture de l’instruction, les aveux « complets » de Dreyfus[1]. Et l’enquête se poursuivait toujours ! Le doute naissait, non pas encore dans les masses profondes, mais dans quelques esprits réfléchis. Ces vague » folles, qui parfois balayent la France, ont leur reflux. Le flot ne baissait pas encore, mais il cessait de monter.

Déjà, au plus fort de la tourmente, quelqu’un avait osé protester contre l’affreuse « prévention morale baptisée, par des esprits légers, du nom d’instinct populaire ou de conscience de la masse ». C’était un poète, Émile Bergerat, qui avait eu ce courage. Il avait dénoncé, dans un noble article, le vent de démence qui passait sur la France, terre d’hommes libres et généreux, « cette justice sommaire, tumultuaire, aveugle, sourde et poltronne, digne de Caraïbes, qui décide du crime sur le seul fait de l’accusation, sur la religion même de l’accusé, et le livre à l’infamie, à l’ignominie éternelle, avant le procès ». La plus simple droiture d’âme impose le silence. « Qu’est-ce que d’être fusillé, quand on est déjà plus que mort sous une avalanche de boue et de crachats ? » Il réclamait, pour le juif, comme pour le chrétien, le droit d’être innocent jusqu’à la condamnation. « C’est le plus sacré de tous les droits ; si la justice humaine confine par quelque côté à la justice idéale et divine, c’est par ce privilège saint qu’elle y touche. Qui sait s’il ne la constitue pas tout entière ? » Si l’on refuse ce droit à un seul homme, la Révolution a été inutile et « nous pataugeons dans la mare à grenouilles du Moyen-Age… Je ne prétends pas que le capitaine Dreyfus est innocent du crime qu’on lui impute ; mais je jure qu’il a le droit de l’être[2] ! »

Bergerat était républicain ; quelques jours après, le plus brutal des impérialistes, Cassagnac, fit entendre à son tour une parole de raison.

L’un de ceux qui, depuis longtemps, avaient le plus contribué à faire descendre la presse de la discussion à l’injure, il s’effrayait de ses imitateurs et, s’il les rejoignait à grandes brassées, quand le courant était trop fort, parfois il lui plaisait de s’en détacher pour un jour, et, comme ses pires violences étaient toujours calculées, de dire, pour sa propre satisfaction, des choses sensées et honnêtes. Il avait l’esprit trop libre pour ne pas juger à leur valeur ses amis et alliés politiques, mais le cœur trop médiocre et un souci trop vif de sa clientèle pour leur résister plus d’une heure. Ainsi, il avait combattu Boulanger avant de le servir. Ainsi crut-il à l’innocence de Dreyfus, avant de faire de son journal l’un des organes de l’antisémitisme. D’origine créole, et fidèle à son double sang, il avait insulté Berryer mourant, dansé autour du cercueil de Thiers, vomi l’imprécation contre Hugo et Gambetta ; mais il avait quelque sens du droit, le mépris des charlatans, et n’était pas toujours inaccessible à la pitié. Sa politique n’offrait pas un moins étrange contraste ; jusque dans l’épais cléricalisme dont il faisait profession, il avait gardé quelque chose du culte des vieux bonapartistes pour la Révolution dont ils sont les bâtards. Il était alors des amis intimes de Demange, et tenait à son estime.

Il se risqua donc contre le courant, osant dire que toute l’accusation reposait sur une expertise contestée et qu’il n’était pas de ceux « qui consentiraient à faire fusiller un officier français sur le rapport des farceurs qui font métier d’expertiser les écritures ». On annonçait le huis clos pour le Conseil de guerre. D’avance, il s’y oppose, parce que les secrets livrés à l’ennemi ne sont plus des secrets, et qu’il n’y a aucun inconvénient à dire la vérité, parce que « nous ne sommes plus à l’époque où l’on pouvait, sous un prétexte quelconque, faire tomber une tête après des débats étouffés ». Si Dreyfus est coupable, il ne peut être condamné « sans que les preuves indéniables de son crime soient établies au grand jour[3] ». S’il est innocent, peut-on l’acquitter en secret ? Les juges, aussitôt, seraient accusés d’avoir été payés par la bande juive.

La folie étant contagieuse, le bon sens pourrait l’être. Que la presse libérale s’écœure d’avoir peur, et la presse socialiste de suivre Rochefort, qui suit Drumont, tout l’édifice, encore si fragile, du crime, risque de crouler. Proclamer le droit de Dreyfus à être innocent, dire qu’il pourrait l’être, c’est la fissure par où peut rentrer le Droit. Mercier, pour la boucher, crut nécessaire d’affirmer lui-même, publiquement, la culpabilité de l’accusé.

Chef de l’armée et de la justice militaire, il sait le poids de sa parole sur ces juges de demain. Ils resteront, dans leur mission d’un jour, soldats, officiers, sinon préoccupés de leur avancement, rompus du moins à la discipline, habitués à deviner les secrètes pensées des chefs. L’instruction elle-même n’était pas close encore, l’ordre de jugement pas encore rendu. Un scrupule pouvait venir, sinon à d’Ormescheville, du moins à Saussier, qui grognait. Mercier posa le dilemme : « Ou Dreyfus ou moi. »

Il fit venir ou reçut le rédacteur militaire du Figaro[4] et lui déclara qu’il avait eu, du premier jour, sous les yeux « les preuves criantes de la trahison de Dreyfus ». Il avait soumis à ses collègues « des rapports accablants », sur quoi, « sans aucun retard, l’arrestation avait été ordonnée ». Ce n’était pas à l’Italie que Dreyfus avait offert des documents, ni à l’Autriche. On a « les preuves matérielles de son infamie ». Une seule lacune reste à l’instruction ; « on n’a pas réussi, jusqu’à présent, à démontrer qu’il ait été payé. » Mais, ce qu’on peut répéter, « c’est que la culpabilité est absolument certaine », et que le traître a des complices civils, tout au moins que des civils sont mêlés à l’affaire, sans être encore impliqués dans les poursuites[5].

C’était, dans tout son cynisme, l’arrêt avant l’audience, le jugement avant la réunion des juges, le marché mis à la main du conseil de guerre, la condamnation dictée, imposée par ordre.

Le rédacteur du journal mettait encore un autre discours dans la bouche d’un haut fonctionnaire du ministère de la Guerre : « Nul, plus que le général Boulanger et le général Mercier, ne fut l’impitoyable adversaire des espions. Eux seuls ont aperçu les dangers de cet espionnage permanent, qui s’exerce librement dans Paris. » Il racontait cette anecdote d’un sénateur influent qui avait recommandé un espion à Boulanger. « Le sénateur a siégé dans le procès de la Haute Cour ; il a voté toutes les extraordinaires conclusions de ce tribunal encore plus extraordinaire. »

II

Je n’avais jamais vu le capitaine Dreyfus, je ne connaissais alors aucun membre de sa famille ; j’ai vu, pour la première fois, Mme Dreyfus en janvier 1897, et Mathieu Dreyfus au mois d’octobre de cette même année. Mais, dès le premier jour, j’avais eu l’intuition que l’accusé était innocent. Un premier indice avait été cette fureur, qu’on sentait voulue, des journaux de la Congrégation, indifférents devant d’autres trahisons : il y avait là, certainement, quelque nouveau crime de l’antisémitisme, quelque nouveau complot des malfaiteurs qui, chaque jour, depuis des années, intoxiquaient le peuple de soupçon et de haine. Et quel mobile à la trahison ? L’accusé était riche, instruit, alsacien. Il était juif. L’âme juive a ses parties d’ombres ; le juif a ses vices : il est capable, comme tout autre, de commettre des crimes, par passion ou pour l’argent. Mais ce juif de Mulhouse, d’extraction humble, qui a quitté de riches usines pour le métier des armes, élève des grandes écoles, l’un des premiers de sa religion et de sa race qui soit entré à l’État-Major, il est impossible qu’il ait commis le plus ignoble des crimes, celui qui ne se commet que pour un peu d’or. Ces juifs d’Alsace, si longtemps malmenés, humiliés, suspectés, se sont montrés, pendant la guerre, égaux en dévouement et en courage aux plus vieux Français. Depuis l’annexion, point de protestataires plus ardents[6]. Sortir de vingt siècles d’oppression, des métiers avilissants, pour commander à des soldats français — et trahir !

J’étais alors député. Je pris texte de la phrase où le porte-parole de Mercier célébrait Boulanger et injuriait la Haute-Cour, pour écrire au président du Conseil qu’un pareil langage me semblait intolérable, que je saisirais d’une demande d’interpellation le groupe des républicains de gouvernement.

Quelques heures après, Dupuy me fit prier de passer à son cabinet. Il me dit n’avoir pas été moins surpris que moi par l’article du Figaro ; il avait interrogé Mercier ; celui-ci niait tout ; un démenti passerait, le soir même, dans le Temps. Il m’en communiqua le texte[7]. Je convins qu’il n’y avait plus lieu à incident, mais j’ajoutai que Mercier, certainement, ne lui avait pas dit la vérité.

Le lendemain, le rédacteur du journal maintint son récit. Il affirma n’avoir même rapporté que partie des propos de Mercier. Précédemment déjà, Mercier lui avait certifié la culpabilité de Dreyfus[8].

Mercier lui-même, plus tard, a démenti son démenti, traité de puéril le reproche d’avoir exprimé, avant le jugement, une opinion personnelle[9].

Au cours de l’entretien qui se prolongea, j’eus l’impression que Dupuy, tout en laissant faire Mercier, n’avait pas l’esprit tranquille. Parmi les quelques personnes qui croyaient Dreyfus innocent, le bruit s’était répandu que la lettre incriminée était l’œuvre d’un faussaire, d’un camarade qui se vengeait. Le matin même[10], il m’avait été raconté que l’idée du crime avait pu être suggérée par un feuilleton du Petit Journal. On y voyait un officier fabriquer une fausse lettre, avec un art merveilleux, la faire imputer à un rival, dénoncer lui-même à la presse de scandale la découverte de cette pièce ; l’innocent était arrêté, n’échappait ensuite que par miracle à la mort. Mais quel était le titre du roman ? Quand avait-il paru ? Mon interlocuteur n’en savait rien ; il ne tenait lui-même le fait que d’un tiers qui avait oublié les détails.

J’avais confié mes doutes au président du Conseil ; je lui dis l’anecdote. Il me répondit qu’il connaissait cette histoire, qu’il en était hanté. Quand il avait accompagné Carnot, dans son dernier voyage, à Lyon il avait lu en wagon ce feuilleton du Petit Journal. Le souvenir l’en obsédait. Je pus retrouver ainsi ce roman, les Deux Frères, par Louis Létang[11]. C’était bien la fable qui m’avait été contée, avec des coïncidences singulières, le nom, à peine déformé, de Schwarzkoppen, et le bordereau lui-même[12]. L’hypothèse du faux sembla possible à qui ne connaissait pas l’écriture du bordereau. Même aujourd’hui, je crois probable qu’Henry, grand lecteur du Petit Journal, quand il dénonça Dreyfus à la Libre Parole, se rappelait ce passage : « Seigneur ! s’écria Mme De Prabert en joignant ses belles mains pâles, qu’est-ce qu’on lui fera ? — On l’arrêtera tout aussitôt, et on le bloquera à la prison du Cherche-Midi, en attendant le conseil de guerre, et le soir même, un journal à ma dévotion publiera, à grand fracas, un article racontant l’infâme trahison d’un officier français et donnant le nom de M. Philippe Dormelles en toutes lettres. Vous verrez le magnifique scandale ! Et après cela, quand même le capitaine se tirerait du guêpier, ce qui me semble très problématique, il reste à tout jamais suspect et déshonoré. Et, nous sommes vengés, bien vengés[13] ! »

III

L’entretien mal démenti de Mercier ralluma à la fois les polémiques de presse et les difficultés diplomatiques. En disant que Dreyfus n’avait pas trahi en faveur de l’Italie ou de l’Autriche, Mercier avait nommé l’Allemagne. Dans la bouche du ministre, cette désignation prenait une gravité que n’avaient pu avoir, jusqu’alors, les récits des journaux. Le comte de Munster réclama à nouveau, attesta à Hanotaux que l’État-Major allemand n’avait jamais connu Dreyfus. Hanotaux continua son jeu. Une note de l’Agence Havas déclara « dénuées de tout fondement les allégations des journaux, qui persistaient à mettre en cause, dans divers articles sur l’espionnage, les ambassades et légations étrangères[14] ».

Cette plate rédaction ne trompa personne. Un journaliste ingénieux en conclut que Dreyfus, s’il n’avait pas été en rapport avec Schwarzkoppen, avait livré ses documents au comte de Schmettau, attaché militaire d’Allemagne à Bruxelles[15]. Celui-ci protesta à son tour, fit paraître un démenti très sec[16]. L’Empereur allemand, irrité que la parole de son gouvernement fût ainsi contestée, ordonna à son ambassadeur d’insister à Paris.

Munster étant malade, Hanotaux alla le voir à l’ambassade. Cette visite fut connue. Le 4 décembre, le jour où Saussier donna l’ordre de mise en jugement, Hanotaux rappela au conseil les engagements qui avaient été pris au sujet du bordereau[17], à savoir que le lieu d’origine de ce document ne serait pas révélé. Dès le lendemain, la Libre Parole publia une violente diatribe contre Hanotaux. « Il avait été appelé à l’ambassade d’Allemagne. C’était déjà ainsi du temps de Ferry. » Après de longs pourparlers entre l’ambassadeur et Hanotaux, « le Gouvernement était décidé à étouffer l’affaire Dreyfus ». Les débats auraient lieu à huis clos, pour éviter de faire connaître « le rôle exact des attachés militaires allemands ». Si les débats étaient publics, il faudrait s’attendre au pire. Tout était réglé d’avance : le traître ne sera pas acquitté, car nul ne pourrait prévoir « les suites d’un pareil défi au patriotisme », ni même décoré, comme l’annonçait le romancier Barrès[18] ; mais il sera condamné à la prison, « et on le fera évader, quelque temps après, comme Bazaine ». Tel était « le plan de la juiverie internationale ». Encore une fois, la Libre Parole jette le cri d’alarme : le Gouvernement s’arrêtera-t-il « dans cette voie infâme » ? saura-t-il « reculer devant une trahison, qui serait plus épouvantable que celle de Dreyfus »[19] ?

Cet article était à double fin : intimider le Gouvernement, et mettre à sa charge, comme une honte de plus, comme une concession arrachée par la peur de l’Allemagne, le huis clos résolu, depuis longtemps, dans la pensée de Mercier, et indispensable pour assurer la condamnation. Les patriotes avaient voulu le débat public ; la lâcheté des gouvernants s’y dérobait.

Le ton de la presse allemande devenait vif. Les subterfuges d’Hanotaux, un parti pris si évident d’iniquité, la parole impériale mise en doute, les excitations des professionnels du patriotisme, réveillaient les passions. Les journaux annoncèrent que le comte de Munster avait fait une déclaration comminatoire à Hanotaux ; le Gouvernement impérial romprait les rapports diplomatiques si le Gouvernement français ne faisait pas cesser les attaques contre les attachés militaires[20].

Les journaux officieux de Berlin rectifièrent : « Il n’est pas conforme aux usages diplomatiques de commencer, par des menaces de ce genre, les négociations sur les plaintes qu’un gouvernement se voit forcé d’adresser à un autre[21]. » La rectification était plus sévère que la fausse nouvelle et fit, une dernière fois, réfléchir Mercier.

Le chantage, à peine interrompu, du journal de Drumont reprit aussitôt, mélange savant de flatteries et de menaces. Visiblement, son inspirateur ordinaire s’alarme des nouvelles tergiversations de Mercier. Les indiscrétions recommencèrent, les informations, moitié fausses, moitié vraies. Soufflée par Henry, la Libre Parole déclara qu’une lettre avait été trouvée dans les papiers d’un attaché militaire de la Triple-Alliance, « pièce accablante pour Dreyfus », et tellement grave que, si les débats sont publics, « il faudrait s’attendre à tout ». Or, il serait question de la supprimer. Ainsi, « il ne resterait plus contre Dreyfus que des présomptions ; le but des juifs serait atteint[22] ».

Hanotaux porta cet article au président du Conseil, lui rappela, une fois de plus, les précédents de l’affaire, ses prévisions réalisées par l’événement. Dupuy, piteusement, lui « déclara qu’il n’avait jamais pu saisir qu’une seule fois le général Mercier à part, et lui parler à fond de cette affaire »[23].

Inviter Mercier à produire son dossier, à mettre Hanotaux en mesure de répondre à Munster, autrement que par des équivoques ou des platitudes, briser l’arrogant s’il s’y refusait, cela dépassait le courage de Dupuy et de ses principaux collègues. Ils avaient moins peur de Mercier que de l’opinion déchaînée par lui. Mercier, en s’en allant, les livrait à la populace comme les complices du traître, les valets de l’Allemagne, payés par les juifs. C’était l’aventure de Boulanger qui recommençait. Leurs anciens, Ferry et Rouvier, ou Tirard, avaient eu une autre conception du devoir républicain. Dupuy geignait. Encore quelques jours, et Hanotaux tombera malade.

La Libre Parole poursuivi son offensive[24]. La pièce mystérieuse n’a pas été supprimée par ordre de l’Allemagne ; elle a seulement disparu. Mais il importe peu. Il en existe, entre les mains de Mercier, une photographie.

C’était menacer Mercier, s’il reculait, de publier cette photographie[25].

Un autre journal[26] ayant raconté, le lendemain, qu’Hanotaux avait remis au comte de Munster les deux pièces principales qui établissaient la culpabilité de Dreyfus, la Libre Parole reproduit l’article, et ajoute : « Si ces pièces sont soustraites aux débats, il est à présumer qu’on les publiera. Que les complices du traître se le tiennent pour dit. On ne peut que féliciter Mercier de sa prudence. Bien joué[27] ! »,

Comme Hanotaux n’avait rien remis à l’ambassadeur allemand, le sens du compliment parut clair à Mercier. L’annonce de la publication des pièces secrètes, inconnues d’Hanotaux et des autres ministres, connues de Boisdeffre et d’Henry, était à son adresse.

Et, comme Mercier hésite encore, la Libre Parole insiste. Elle raconte que le désarroi est au camp d’Israël depuis qu’il a été révélé que Mercier a gardé la photographie des pièces du dossier. (Non pas, apparemment, du dossier judiciaire qui, depuis dix jours, a été communiqué à Demange, mais du dossier secret.) « Les juifs s’aperçoivent aujourd’hui qu’un acquittement, obtenu grâce à une suppression de pièce, serait pire pour eux qu’une condamnation, puisque cette pièce serait, dès le lendemain peut-être, livrée à la publicité. » Suivant son ironie, le journaliste félicite à nouveau Mercier « de sa prudence ». « Les juifs ont trouvé plus malin qu’eux[28]. »

Mercier, pour la seconde fois, capitula, promit qu’à tout prix il serait vainqueur. Ce fut, probablement, le 12, à en juger par le changement immédiat de ton dans la Libre Parole.

Dès le 13, le journal de Drumont divise hardiment la presse en deux camps : pour Dreyfus ou pour Mercier. « Les juifs ont tant fait qu’il est des gens qui se demandent si ce n’est pas le ministre de la Guerre qui est le traître, et le capitaine juif qui est le ferme patriote ». Mais pour les autres, « Mercier sera désormais sacré ; il peut se moquer désormais des intrigues judéo-allemandes ; il est devenu inattaquable[29] ». L’auteur anonyme de l’article raconte, par la même occasion, que Dupuy a dit devant quatre témoins : « Je sais qu’on a osé promettre un million à l’officier-rapporteur, s’il consentait seulement à émettre des doutes sur la culpabilité de Dreyfus. »

Le même jour, les journaux officieux annoncent qu’Hanotaux est tombé malade.

Avant de s’enfermer dans sa chambre, il adressa une nouvelle note à l’Agence Havas ; il y démentait l’histoire des pièces et documents qui auraient été remis par Hanotaux à l’ambassadeur : « Il est absolument inexact que M. De Munster ait entretenu M. Hanotaux de l’affaire, autrement que pour protester formellement contre toutes les allégations qui y mêlent l’ambassade d’Allemagne[30]. »

Escobar n’eût pas mieux enveloppé le mensonge de vérité. Munster put croire, un instant, que ses affirmations avaient été acceptées ; Dreyfus, puisque son procès continuait, avait trahi au profit d’une autre puissance.

Ainsi échouèrent avant le procès, avant le gouffre que creusera le verdict de condamnation, les efforts de l’ambassadeur allemand pour sauver l’innocent. Tout ce qu’il a été possible de dire sans provoquer un incident redoutable, il l’a dit, non sans émotion, à Hanotaux. Le jeune ministre sentit si vivement que le vieil ambassadeur, parlant par ordre de son souverain, avait dit la vérité, qu’il n’osa pas en informer le Président de la République[31]. Il chercha dans la maladie un refuge contre la honte.

Munster avait fait tout son devoir ; Schwarzkoppen se déroba devant le sien. S’il ignorait que Dreyfus était accusé d’un des crimes d’Esterhazy, ne sachant rien en effet du bordereau qu’il n’avait pas reçu, il eût pu du moins soupçonner la cause de l’atroce méprise, puisque son agent lui avait révélé à quelle source il puisait ses renseignements. D’un mot il l’eut forcé à avouer son crime par la fuite. Mais il tenait à garder son espion et à rester à Paris.

La Libre Parole entonna un nouveau chant de triomphe : « Le général Mercier, par sa fermeté, par sa franchise brutale et son patriotisme, a eu raison de ses ennemis qui complotaient dans l’ombre[32]. »

IV

Henry place à cette date un singulier incident[33]. Sandherr, le 16 décembre, lui aurait rendu le dossier des pièces secrètes qu’il lui avait fait réunir un mois auparavant ; Henry, après en avoir fermé et paraphé l’enveloppe, l’aurait serré dans son tiroir ; d’où il ne serait plus sorti qu’en 1896, par ordre de Picquart, quand celui-ci devint chef du bureau des renseignements. Récit mensonger puisque, de l’aveu de Mercier, ce dossier fut communiqué aux juges de Dreyfus. Mais Mercier et Boisdeffre, à l’époque où Henry fit ce récit[34], espéraient que leur forfaiture resterait ensevelie dans l’ombre et le doute. Sandherr était mort.

Henry raconte qu’il aurait éprouvé quelque surprise à voir Sandherr lui restituer le dossier secret : « Comment se fait-il que vous n’en ayez plus besoin ? — J’en ai un plus important », lui aurait répondu Sandherr. Et, après lui avoir fait jurer de n’en parler jamais, il lui aurait montré « une lettre plus importante encore que celles du dossier », ajoutant qu’il en avait quelques autres, dont il se servirait en cas de besoin. Henry n’avait plus jamais entendu parler de ce second dossier ; Sandherr ne le lui avait jamais remis.

Il est possible que toute cette histoire ne soit qu’une invention d’Henry. Mais Henry ne ment point pour le plaisir de mentir ; il y a toujours quelque raison profonde à ses mensonges. Quand il raconte que Sandherr lui a rendu, avant le procès de Dreyfus, le dossier secret, c’est pour faire croire qu’il n’en a pas été fait usage contre sa victime. A-t-il simplement imaginé la lettre mystérieuse, plus importante à elle seule que toutes les autres pièces ?

Ce qui permet d’en douter, c’est d’abord que son récit ne fut l’objet d’aucun démenti de ses chefs. Leur intérêt était évident à couvrir son mensonge au sujet du dossier secret. On ne voit pas quel intérêt auraient eu Boisdeffre ou Mercier à dire qu’ils apprenaient, pour la première fois, l’existence de l’autre dossier, ou à s’étonner que Sandherr n’en eût entretenu qu’Henry. Ils connaissaient donc ces autres pièces, et ne trouvaient pas mauvais qu’Henry les sortît, comme une menace. Et la seconde raison de ne pas récuser tout entier le récit d’Henry est plus forte encore. C’est qu’en 1897, le jour même[35] où Esterhazy fut dénoncé par Mathieu Dreyfus comme étant l’auteur du bordereau, Rochefort fut informé de l’existence de ces mêmes lettres par le chef du cabinet, l’homme de confiance de Boisdeffre.

Ces confidences du commandant Pauffin de Saint-Morel, Rochefort, en décembre 1897, en fera plusieurs articles. Il distingue alors deux dossiers secrets : l’un qui correspond, à peu près, au dossier connu ; l’autre qui contient les photographies de huit lettres dérobées à l’ambassade d’Allemagne, « quelques jours avant l’arrestation de Dreyfus », et restituées presque immédiatement, sur une sommation impérative de l’ambassadeur, par Dupuy. « Seulement, ces lettres avaient été photographiées. » — La Libre Parole, en décembre 1894, trois ans auparavant, avait conté exactement la même histoire ; elle précisait que « Mercier, le premier, avait tenu ces lettres en mains[36] », phrase étrange, précaution maladroite du faussaire qui les a fabriquées ; mais elle ne désignait pas autrement ces pièces terribles. — Rochefort, en décembre 1897, s’en explique plus clairement : ce sont sept lettres de Dreyfus à l’Empereur allemand, la huitième de l’Empereur au comte de Munster. Dreyfus y était nommé ; Guillaume II commentait certaines informations, et chargeait Schwarzkoppen d’indiquer au traître les autres renseignements à recueillir[37].

Cet article fut aussitôt l’objet d’un vif démenti du Gouvernement. Rochefort maintint son récit. Nouveau démenti avec menaces de poursuites. Rochefort riposte par deux fois, affirmant sa véracité, ajoutant ce détail : que Casimir-Perier et Dupuy avaient pris l’engagement formel de démentir jusqu’à l’existence de ces lettres[38]. Puis, Rochefort se tait, et aucune sommation ne réussit, trois ans durant, à le faire sortir de son silence.

Or, s’il est certain que Casimir-Perier et Dupuy n’ont jamais pris un engagement de ce genre, qu’aucun document n’a été rendu au comte de Munster, et que Dreyfus n’a jamais écrit à l’Empereur allemand, ni l’Empereur à son ambassadeur pour qu’il s’abouchât avec un espion, la coïncidence est frappante entre le récit de Rochefort et celui d’Henry. D’autre part, Boisdeffre, à la même époque, au mois de novembre 1897, affirma à la Princesse Mathilde[39] et au colonel Stoffel[40] que Dreyfus était nommé dans une lettre ou note de l’Empereur Guillaume au comte de Munster. Deux ans plus tard[41], Émile Ollivier expliqua sérieusement que le bordereau sur papier-pelure n’était qu’un décalque ; il avait fallu restituer à l’ambassadeur d’Allemagne l’original, annoté de la main même de l’Empereur Guillaume ; mais Mercier l’avait, au préalable, fait photographier et tirer à sept exemplaires[42].

Il est certain, en outre, que ni ces photographies, ni celles des lettres à l’Empereur ou de l’Empereur n’ont été communiquées, en chambre de conseil, aux juges de Dreyfus qui en auraient gardé le souvenir.

Tels sont les faits : qu’en peut-on conclure ?

Sûrement que ces pièces, lettres et bordereau annoté, ont existé, forgées, au grand atelier d’Henry, par l’un de ses faussaires habituels, Guénée, mort subitement à la veille du procès de Rennes, ou Lemercier-Picard, trouvé, un jour, pendu à l’espagnolette de sa fenêtre.

L’écriture de Dreyfus abondait au ministère de la Guerre ; il était facile de l’imiter. Il y avait mieux encore : l’écriture d’Esterhazy, identique à celle du bordereau. La difficulté fut de contrefaire celle de l’Empereur allemand qui affirme n’avoir jamais adressé de lettre autographe qu’à un seul Français : Boisdeffre[43].

J’incline à croire que ces faux furent fabriqués et photographiés en 1894[44], que Mercier, au dernier moment, hésita à s’en servir, et que le dépôt en fut confié à des mains sûres. D’autres pensent qu’ils n’auraient été forgés qu’en 1896 ou 1897, pour parer à l’imminente revision.

V

Cependant Du Paty avait achevé la rédaction du commentaire sur les pièces secrètes[45].

D’abord, de janvier 1894, le mémento de Schwarzkoppen, trente mots environ du brouillon d’un rapport, où Du Paty voyait le récit manifeste des offres de service faites par Dreyfus à l’attaché allemand. Sandherr, « qui savait mieux l’allemand que lui[46] », en avait fait la traduction : « Doute… Preuve… Lettre de service (ou brevet d’officier)[47]. » Le sens de ce premier fragment était clair. L’auteur du mémento avait reçu des propositions d’un individu se disant officier ; il avait des doutes ou il en avait eu ; il demandait ou avait exigé la production de son brevet. « Ne pas conduire personnellement de négociations… Apporter ce qu’il a… » Cela s’entendait sans peine. « Absolute Ge… (en allemand)… Bureau des renseignements… (en français)… » Pour Du Paty (et Sandherr), ces deux lettres Ge … étaient le commencement du mot allemand Gewalt, force, puissance. Et il donnait cette interprétation d’un ridicule énorme : « Schwarzkoppen craint l’absolue puissance du bureau des renseignements qui pourra le découvrir dans ses opérations. »

Picquart traduira : Absolute Gewissheit certitude absolue… ; il l’entend ainsi : « La certitude absolue qu’Esterhazy a des relations avec le bureau des renseignements[48] ». Esterhazy, en effet, avait été attaché à ce service, sous le commandant Campionnet, en 1878, avec Henry qui y était rentré depuis, et Maurice Weil[49].

Le mémento continue par ces mots : « Aucun rapport… corps de troupe… important seulement… sortant du ministère. » Du Paty applique ces mots, non aux documents offerts, mais à l’espion qui s’offre, et traduit : « Il n’y a aucun intérêt à avoir des relations avec un officier du corps de troupes ; il n’y a d’intérêt à avoir des relations qu’avec un officier sortant du ministère de la Guerre. »

Combien plus vraisemblable l’interprétation de Picquart : « Les pièces (offertes) ne viennent pas des corps de troupes, il n’y a d’importantes que les pièces qui viennent du ministère[50]. »

Cette observation s’imposait que Schwarzkoppen n’aurait pu avoir des doutes sur l’origine des documents livrés, si le traître avait été Dreyfus. Celui-ci n’avait qu’à décliner sa qualité de capitaine d’artillerie, attaché à l’État-Major général de l’armée ; il n’eût pas offert, surtout au début de ses relations, des pièces sans valeur, alors qu’il avait intérêt à faire coter très haut ses services[51].

Mais Du Paty aurait chassé cette pensée, si elle lui était venue.

La notice continuait par une lettre de Panizzardi à Schwarzkoppen : « J’ai écrit au colonel Davignon ; je vous prie, si vous avez l’occasion de vous occuper de cette question avec votre ami, de le faire particulièrement, de façon que Davignon ne vienne pas à le savoir ; du reste, il ne répondrait pas. Car il ne faut jamais faire voir qu’un… (attaché militaire)… s’occupe de l’autre. »

Il s’agissait d’une question nullement confidentielle de recrutement ou d’appel : Davignon était le sous-chef du deuxième bureau. Une fois par semaine, le chef du bureau, le colonel de Sancy, et, en son absence, Davignon, recevaient les officiers étrangers, et les renseignaient si libéralement « que les officiers se plaignaient de travailler plus pour eux que pour l’État-Major[52] ».

Le souci manifeste de Panizzardi, c’est que Davignon ne sache pas que les deux attachés allemand et italien travaillent ensemble. Or, il le saurait, si Schwarzkoppen ne prenait pas de précautions en causant avec son ami. Mais quel ami ? Les termes mêmes dans lesquels Panizzardi en parle excluent l’idée d’un informateur secret. C’est peut-être Du Paty lui-même, qui fréquente beaucoup chez la femme d’un ancien officier et se rencontre chez elle avec Schwarzkoppen, familier de la maison. Cet ancien officier, Hecquet d’Orval, était le propre cousin de Du Paty, qui le dénonça à plusieurs reprises et le fit surveiller comme suspect[53].

Pour Du Paty, l’ami, c’est Dreyfus, attaché au deuxième bureau où Schwarzkoppen contrôlait avec Davignon les renseignements recueillis par Panizzardi.

Or, la lettre de l’Italien, apportée à l’État-Major dans les premiers jours de janvier 1894, est de décembre 1893, et Dreyfus n’était pas alors au deuxième bureau, mais au quatrième[54]. Si l’ami de Schwarzkoppen appartient à ce service, c’est peut-être le commandant d’Astorg, qui est chef de section, ou le colonel de Sancy, chef de bureau, qui, d’ordinaire, renseigne officiellement l’attaché allemand[55]. Il est impossible que ce soit Dreyfus.

Du Paty invoquait cette autre preuve. Un jour. Guénée avertit le service des renseignements que l’attaché militaire d’Espagne[56] est allé en Suisse pour le compte de Schwarzkoppen. Or, celui-ci a raconté au deuxième bureau, lors d’une de ses visites hebdomadaires, qu’il était surpris de ce voyage. Doléances hypocrites n’ayant d’autre objet que de cacher ses relations avec l’attaché espagnol, mais d’où il résulte que Schwarzkoppen savait l’État-Major au courant. Et qui, sinon Dreyfus, a pu aviser Schwarzkoppen que l’État-Major était informé ?

Raisonnement stupide[57], alors même que Schwarzkoppen eût su que l’État-Major savait. Mais tout est hypothèse, et hypothèse de Guénée ! C’est Guénée qui suppose que l’Allemand et l’Espagnol travaillent ensemble, que l’Espagnol est allé en Suisse pour le compte de l’Allemand, que Schwarzkoppen a appris qu’on connaissait le voyage à l’État-Major et qu’il feint de s’en formaliser.

Ensuite, Du Paty voyait dans la pièce Canaille de D… la signature même du bordereau. La pièce, on l’a dit, était ancienne, — de 1892, au plus tard de 1893. Sandherr l’avait donnée à Du Paty comme du printemps de 1894. Elle était de Schwarzkoppen ; le ministère des Affaires étrangères, qui l’avait étudiée quand elle avait été interceptée, l’avait attribuée à Panizzardi, et Sandherr avait maintenu cette attribution, malgré l’invraisemblance que l’espion eût porté à l’Italien, pour l’Allemand, les plans de Nice[58].

L’esprit critique de Du Paty ne s’étonna ni de cela, ni de rien. Il a été vérifié que ces plans de Nice sont à leur place, au service géographique. Du Paty en a été informé et le mentionne. Mais, dit-il, on n’a pas vérifié si ceux du premier bureau n’avaient pas été momentanément emportés. Or, Dreyfus a été, en 1893, au premier bureau ; il a travaillé dans la pièce où étaient déposés ces plans, et il avait le mot des serrures, qui ne fut pas changé depuis[59].

Ainsi, les chefs du premier bureau ne se seraient pas aperçus de la disparition, même momentanée, des plans ; Dreyfus, qui avait quitté ce service depuis un an, s’y serait introduit sans qu’on le sût ; et il aurait, sans être vu, emporté de l’État-Major à l’ambassade étrangère, puis rapporté au premier bureau, le gros paquet de ces cartes à grande échelle.

Mais, tranquillement, Du Paty identifie avec Dreyfus l’infime agent qui vendait, à 10 francs pièce, des plans directeurs, et qui, congédié une première fois, se présentait à nouveau comme un laquais repentant. Précédemment, en décembre ou janvier, quand Panizzardi, selon Du Paty, parlait de Dreyfus à Schwarzkoppen, il l’appelait « votre ami ». Et Du Paty trouve tout naturel que, quelques semaines après, le même Panizzardi traite non seulement de canaille, mais de fou et d’imposteur, cet ami, cet espion précieux entre tous ! Le brutal refus de rentrer en relations avec l’individu qui promet « de faire tout son possible pour satisfaire » son employeur, s’il le veut reprendre, c’est, pour Du Paty, l’incontestable preuve des folles exigences du juif. Il s’imagine ainsi Dreyfus, ce prudent et subtil Dreyfus, ce simulateur incomparable, le riche orgueilleux, allant lui-même porter à Panizzardi le gros paquet de douze plans directeurs, et mendiant sa rentrée en grâce, une augmentation de salaire ! Et Schwarzkoppen, gorgé de fonds secrets, aurait marchandé la trahison d’un ancien élève de l’École polytechnique, officier d’État-Major, logé aux premières sources, qui sait par cœur le plan de concentration ! Il aurait fait fi de cette bonne fortune[60] !

Alors, selon le commentaire de Du Paty, Dreyfus, pour se réconcilier avec Schwarzkoppen, aurait écrit le bordereau ; les mots : « Sans nouvelles, Monsieur, etc., » montrent qu’il cherchait à renouer avec l’employeur qui l’avait congédié[61].

Ainsi, il existe un lien ininterrompu, chronologique, entre le mémento de Schwarzkoppen, la lettre de Panizzardi au sujet de Davignon, la pièce Canaille de D… et le bordereau.

Ainsi encore, Dreyfus aurait servi à la fois et l’Allemagne et l’Italie.

Le seul bon sens eût dû empêcher Du Paty d’identifier « ce canaille de D… » avec Dreyfus. Et aussi la loyauté. Sandherr lui laissa certainement ignorer cette lettre où Panizzardi désigne, sous son sobriquet de Dubois, le vendeur de cartes[62]. Mais Sandherr lui avait communiqué la dépêche du 2 novembre. Même, il en avait étudié « les versions successives », — il n’y en a que deux, — et n’eût-il connu que la première, puisqu’il y avait noté l’hésitation des déchiffreurs « à donner pour ferme le membre de phrase : Émissaire prévenu[63] », il savait dès lors, par le reste, incontesté, du texte, que Panizzardi ne connaissait pas Dreyfus. Dès lors aussi, Dreyfus ne pouvait pas être l’ami dont il était question dans la lettre Davignon.

Sandherr avait également remis à Du Paty « une déclaration d’Henry, au sujet des propos que lui avait tenus une personne honorable[64] ». C’étaient les déclarations de Val-Carlos, les deux premières qui avaient été notées par Guénée, en mars et avril, sur la présence d’un traître à l’État-Major ; la dernière, notée par Henry lui-même, où le sycophante espagnol précisait et fuyait à la fois, désignait le deuxième bureau, dont Dreyfus avait fait partie, mais refusait de dire le nom qu’il avait offert, précédemment, à Guénée[65]. Pièce terriblement suspecte, forgée pour les besoins de la cause. Mais ce fut pour Du Paty une preuve de plus.

Tel était le commentaire que Du Paty avait établi sous la direction de Sandherr. Il le remit au chef du bureau des renseignements. Et il affirme ne pas savoir ce que Sandherr en a fait[66].

VI

Le commentaire de Du Paty parut à la fois insuffisant et compliqué. Il fallait, pour être communiqué aux juges, quelque chose de plus clair, de plus saisissant. Quelqu’un — mais qui ? — rédigea une autre notice, en deux pages et demie, d’une belle écriture calligraphique, sur papier à en-tête du cabinet du ministre. Cependant Henry garda soigneusement le texte de Du Paty.

De nouvelles accusations, audacieusement développées, corsèrent le nouveau travail[67]. L’un des arguments que les défenseurs de Dreyfus faisaient valoir, c’est cette impossibilité morale, pour un homme, de passer, en un moment, sans mobile, de la vertu au crime. Quelque révérend Père y a réfléchi. Dans ses longues conversations de chaque soir avec Du Lac, Boisdeffre l’a entretenu de l’affaire, des chances qu’a le juif d’échapper, et de cette redoutable objection. En tout cas, la nouvelle notice y répond. Elle prend Dreyfus à son entrée à l’École de pyrotechnie de Bourges. Il y a commencé, traître de profession, dès ses débuts dans la carrière, la longue série de ses trahisons, et a continué à l’École de guerre. Il a, dès lors, livré à l’Allemagne le secret du chargement d’un obus et une conférence confidentielle, faite à l’École de guerre, sur l’organisation défensive des États.

Ces deux charges étaient inconnues de Du Paty, mais les pièces, d’où on les faisait résulter, ne l’étaient ni de Boisdeffre, à qui Sandherr rendait compte, ni d’Henry, qui renseignait Mercier[68].

En effet, le service de statistique avait reçu, en 1890, des débris de papier calciné ; la direction de l’artillerie y reconnût la copie d’une instruction relative au chargement des obus à la mélinite, qui avait été autographiée à deux cents exemplaires, en 1889, et envoyée dans les corps d’armée[69]. Mais elle avait été envoyée aussi à l’École de pyrotechnie[70]. Dreyfus y était alors[71] ; preuve suffisante. — Quatre ans plus tard, le service avait intercepté la copie partielle d’un cours de l’École de guerre sur l’organisation défensive des États, et, notamment, sur la défense de Lyon. Cette copie était de la main d’un familier de l’attaché allemand[72], et Dreyfus, en 1894, avait quitté l’École depuis dix-huit mois. Mais il a suivi, en 1892, un cours sur le même sujet. Et cela encore suffit pour que l’original de Dreyfus ait servi, en 1894, à la copie de Schwarzkoppen[73]. Des pièces que Du Paty avait analysées, deux seulement furent jointes, comme justification du texte, à la nouvelle notice : la lettre Davignon et la pièce Canaille de D…, la première de Panizzardi, la seconde qui lui était attribuée, et qui, peut-être, avait été maquillée[74]. On n’osa pas produire les débris du papier calciné où, plus tard, Bertillon lui-même refusera de reconnaître l’écriture de Dreyfus[75]. Henry ayant rappelé cette vieille histoire de l’obus à la mélinite, Mercier l’avait invité à en rechercher le dossier à la direction de l’artillerie. Henry, qui savait que la pièce était inapplicable à Dreyfus, s’en tira très simplement par l’un de ses tours familiers. Il revint dire à Mercier qu’on n’avait pas retrouvé le dossier, mais protesta que sa mémoire était sûre.

En 1898, après la mort d’Henry, quand Gonse demandera ce dossier, le colonel Godin le lui apportera aussitôt[76].

On passa outre. Puis, on transcrivit cette traduction falsifiée de la dépêche du 2 novembre : « Dreyfus arrêté. Émissaire prévenu. Précautions prises[77]. »

Le fait est violemment nié par Mercier. Il affirme n’avoir mis au dossier secret ni le texte officiel, ni le texte falsifié de la dépêche[78]. Il jure qu’il a prescrit de ne tenir aucun compte du télégramme, qu’il n’a donné à sa victime, dans le dos, qu’un seul coup de stylet.

Même s’il dit vrai, Mercier n’atténue guère sa forfaiture. Après la contre-épreuve de Sandherr, nul doute n’est possible sur la traduction définitive de la dépêche. Si Mercier produit la dépêche authentique, il faut renoncer à la thèse que Dreyfus a trafiqué avec Panizzardi. Or, cette thèse, c’est tout le dossier secret. La lettre Davignon, la pièce Canaille de D…, vont l’accuser, dans le huis clos, d’avoir trahi à la fois avec l’Allemagne et avec l’Italie. Il passait par Panizzardi pour arriver à Schwarzkoppen[79]. Cela bousculait un peu le rapport de D’Ormescheville qui ne mettait en cause que l’Allemagne, alléguant la prétendue facilité des voyages de Dreyfus en Alsace. Mais les juges ont pu être émus par les déclarations réitérées de l’ambassadeur allemand ; il n’y a eu qu’une note de l’Italie. L’ambassadeur allemand a pu démentir sans mentir.

La version officielle de la dépêche n’empêche pas seulement l’application de la principale des pièces secrètes à Dreyfus ; elle renverse tout le système de Mercier : la double trahison. Le miracle serait qu’il eût reculé à produire un faux probant, à ajouter le crime au crime.

Le commentaire compliqué de Du Paty était devenu ainsi « une notice biographique » de Dreyfus, la vie d’un traître. C’était net, affirmatif, de nature à faire impression sur les esprits simplistes des juges.

Du Paty connaissait beaucoup de sciences, même occultes ; mais Henry connaissait les hommes.

Mercier lut la nouvelle notice et l’approuva. Il lut les pièces, et trouva solide le cordeau qui, lancé par derrière, étranglerait l’accusé. Il ne prenait ses informations que d’Henry[80], n’agissait que d’accord avec Boisdeffre. La notice et les trois pièces furent enfermées, sous double enveloppe, dans un pli cacheté. Il les y mit lui-même, dans son cabinet, en présence de Boisdeffre et de Sandherr, et sans doute, bien qu’il s’en taise, d’Henry[81]. Le pli sera remis, en temps et lieu, au président du conseil de guerre[82], avec les ordres nécessaires pour l’accomplissement discret de la monstrueuse illégalité.

  1. Dès le 17 novembre, dans le Temps : « L’instruction de l’affaire Dreyfus est close. L’officier accusé aurait fait des aveux complets. On assure même qu’on possédait contre lui, dès avant son arrestation, des preuves de sa culpabilité. »
  2. La Prévention morale, dans le Journal du 6 novembre.
  3. Autorité du 14 novembre. — Le 20 novembre, Cassagnac s’attaque aux attachés militaires, « espions patentés et officiels » tenant comptoir ouvert d’espionnage et de trahison. « Il faut, fermer ces cavernes. »
  4. Charles Leser.
  5. Figaro du 28 novembre.
  6. Michel Bréal : « Pour les juifs d’Alsace, le sentiment patriotique trouve un stimulant particulier dans la comparaison avec l’armée allemande. Tandis qu’en France tout sous-lieutenant, quel que fût son extrait de naissance, avait le droit d’espérer les plus hauts grades, les décorations, la considération au régiment et dans la ville, c’était une chose bien connue qu’un militaire, appartenant au culte de Dreyfus, devait faire son deuil de devenir dans l’armée allemande — je ne dis pas colonel — mais simplement officier. » (Lettre au Siècle, 20 août 1898.)
  7. Temps du 28 novembre : « Un journal du matin publie un article intitulé : Espionnage militaire, dans lequel on attribue certains propos au ministre de la Guerre. Le ministre n’a pas tenu ces propos. Il ne pouvait émettre un avis sur la solution d’une cause déférée à la justice militaire. D’autre part, il n’a pas pu parler des complices civils, puisque cette complicité, si elle eût existé, eût rendu la cause justiciable de la Cour d’assises, et non plus du conseil de guerre. »
  8. Figaro du 29 novembre. — Quelques rares journaux blâmèrent l’interview de Mercier. L’Autorité la trouva « extraordinaire ». Arthur Meyer écrivit dans le Gaulois : « Si le ministre de la Guerre prononce un tel arrêt contre le capitaine Dreyfus, quelle liberté reste-t-il au conseil de guerre ? Le général Mercier peut être un honnête homme et un brave soldat ; mais, en cette occasion, il a manqué à tous les devoirs de l’humanité, et le cœur d’un homme n’a pas battu sous son uniforme. » (29 novembre.)
  9. Rennes, 1, 95 : « On m’a reproché, au mois de novembre 1894, d’avoir exprimé, dans une ou plusieurs interviews, ma croyance à la culpabilité du capitaine Dreyfus. Je trouve que ce reproche est puéril, et qu’en définitive, puisque je déférais le capitaine Dreyfus à la justice militaire, c’est que je croyais à sa culpabilité. Sans cela, j’aurais été moi-même criminel de me conduire de pareille façon vis-à-vis d’un officier placé sous mes ordres, à qui je devais protection par cela même qu’il était sous mes ordres. »
  10. Aux obsèques de Victor Duruy.
  11. Petit Journal du vendredi 22 juin, Les deux frères, 3e partie le faussaire : « C’est merveilleux, reprit Aurélien, en se penchant pour examiner le travail de Daniel, l’écriture est imitée dans la perfection, c’est bien le même aspect, la même allure dans ses plus petits mouvements. M. Philippe Dormelles lui-même (l’officier que les faussaires veulent perdre) n’oserait en dénier la paternité. » — Le roman a paru en volume chez Calman Lévy sous le même titre (T. 1er , p. 163).
  12. « Nous glisserons les papiers soustraits dans cette belle enveloppe, que vient de préparer Daniel à l’adresse de M. Francis Metz que l’on sait, à Paris, l’homme de paille du major Von Slippen, chef du service des renseignements du grand État-Major allemand, adresse transcrite avec le talent merveilleux de ce cher oncle. Une lettre d’un texte habile que M. Dormelles ne pourra désavouer, tant elle est indiscutablement de son écriture et que voici, sera jointe à l’envoi… » (p. 167).
  13. Ibid., p, 168. — Le Petit Temps du 2 décembre 1894 publia les principaux passages de ce chapitre. Coup de sonde que j’avais voulu jeter, mais qui ne rapporta rien. On fit le silence sur cette publication gênante.
  14. 30 novembre.
  15. Libre Parole et Cocarde du 4 décembre ; cette version avait déjà paru dans le Petit Journal et l’Écho de Paris du 17 novembre : « L’ambassade allemande à Paris peut, à bon droit, se défendre d’avoir jamais eu le moindre rapport avec Dreyfus ; car le principal correspondant de Dreyfus est un attaché militaire allemand qui réside en Belgique. » Plus tard, devant la Cour de cassation, et à Rennes, l’accusation sera reprise. Un ingénieur, Maurice Lonquety, avait, un jour, rencontré Dreyfus à Bruxelles, à la Taverne Royale. Il avait oublié en quelle année. On voulut lui faire dire que c’était en 1894 : « Jouaust : Vous ne vous rappelez pas en quelle année ? — Lonquety : C’est très difficile. M. Cavaignac et M. d’Ocagne ont insisté auprès de moi pour que je tâche de déterminer cette époque. » (Rennes, II, 183). Il fut établi que c’était en 1886, lors de l’exposition d’Amsterdam.
  16. Journal de Bruxelles du 7 décembre.
  17. Rennes, I, 220, Hanotaux.
  18. Cocarde du 1er  décembre.
  19. 5 décembre, article de Gaston Méry.
  20. Tagblatt de Berlin, Correspondance de Hambourg, etc.
  21. Gazette de l’Allemagne du Nord et Post du 7 décembre.
  22. Libre Parole du 7 décembre, article de Gaston Méry.
  23. Rennes, I, 220, Hanotaux.
  24. 8 décembre.
  25. Est-ce la même pièce Canaille de D…, dont Esterhazy jouera, en 1897, comme d’un « document libérateur », menaçant Félix Faure et Billot d’en publier la photographie ? Même pièce, même chantage. Est-ce la prétendue note de l’Empereur allemand au comte de Munster, le bordereau annoté, dont il sera question plus loin ?
  26. La France.
  27. 10 décembre.
  28. 11 décembre.
  29. Nouvelliste de Bordeaux du 12 décembre.
  30. Note du 13 ; journaux du 14.
  31. Rennes, I, 67, Casimir-Perier.
  32. 15 décembre.
  33. Procès Zola, I, 376 et 377.
  34. 12 février 1898.
  35. 16 novembre 1897.
  36. 8 décembre 1894, article de Gaston Méry : « Le général Mercier en possède, nous dit-on, une photographie. » Le 10, récit circonstancié de la France sur la remise de ces pièces à Munster par Dupuy. Le 11, la Libre Parole reproduit l’article de la France.
  37. Intransigeant du 13 décembre 1897, la Vérité sur le traître.
  38. 14, 15 et 17 décembre 1897.
  39. La révélation faite à la Princesse Mathilde par le général de Boisdeffre fut portée à la connaissance de la Cour de cassation par Jules Andrade, professeur à la faculté des Sciences de Montpellier (Cass, I, 775). La Princesse ne démentit que la réponse qu’elle aurait faite à Boisdeffre : « Général, je ne suis qu’une petite princesse, mais j’ai pourtant assez l’habitude des cours pour savoir qu’il y a des choses qui ne se font pas. Vous avez peut-être vu, mais ce que vous avez vu n’est pas la vérité. » En effet, la Princesse n’avait point fait cette réponse. — Andrade tenait son récit de M. de La Rive qui le tenait d’un tiers qu’il refusa de nommer (Cass., I, 779). La démarche de Boisdeffre auprès de la Princesse Mathilde eut lieu dans les premiers jours de novembre 1897, au moment où Scheurer-Kestner commença la campagne pour la revision. Un ami de la Princesse l’avait entretenue de l’affaire Dreyfus et l’avait émue ; Boisdeffre fut averti — par l’Ingénieur d’Ocagne — et accourut.
  40. Stoffel répéta cet entretien à un ancien député bonapartiste, Robert Mitchell, qui en fit le récit à Ranc. Le colonel Stoffel en fit également le récit au général Schneegans et à divers amis. Sa version semble la même que celle d’Ollivier ; il s’agit du bordereau annoté par l’Empereur Guillaume. — Dans une réunion publique, tenue le 15 février 1898 à Suresnes, Millevoye donna le texte de la phrase impériale : « Que cette canaille de Dreyfus envoie au plus tôt les pièces promises. Signé : Guillaume. » Le député socialiste Chauvin, qui était présent, en fit le récit à Jaurès. (Les Preuves, p. 278.) Le Temps ayant publié le compte rendu de la réunion de Suresnes, les assertions de Millevoye furent aussitôt démenties par la Gazette de l’Allemagne du Nord (18 février 1898).
  41. Récit fait par Ollivier, à Vittel, en 1899, à la veille du procès de Rennes. — Mercier, à Rennes, insiste, avec une intention marquée, sur ce que « Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne s’occupait personnellement des affaires d’espionnage » (I, 77).
  42. Cette version d’Ollivier fut reprise par Rochefort, dans l’Intransigeant du 25 décembre 1900. Selon Rochefort, « le bordereau, écrit sur papier fort par le félon, avait été envoyé à l’Empereur d’Allemagne lui-même qui le retourna, annoté, à Schwarzkoppen ». Le même récit fut fait à Mme Séverine qui le publia dans la Fronde du 20 décembre 1900 ; l’annotation impériale aurait été ainsi conçue : « Dire à cette canaille de Dreyfus d’expédier les documents le plus tôt possible. Signé : Wilhelm. » Selon l’informateur de Mme Séverine, le bordereau annoté aurait été montré, secrètement, par un ami de Mercier, aux juges de Rennes. Le capitaine Dreyfus demanda au président du Conseil, Waldeck-Rousseau, d’ordonner une enquête sur ces faux (26 décembre 1900).
  43. Est-il nécessaire d’observer qu’il n’est pas impossible d’acquérir, dans des ventes, des autographes, d’ailleurs rares, de l’Empereur Guillaume, et qu’il en a été publié des fac-simile ? Au surplus, il ne s’agit que de photographies.
  44. Ma raison principale est que les articles de la Libre Parole (5 à 10 décembre 1894) et ceux de l’Intransigeant (13 à 17 décembre 1897), se superposent, et qu’il en est de même du récit de Rochefort et de la déposition d’Henry, qui placent l’un et l’autre en 1894 la confection du dossier ultra-secret. — Selon une information de Clemenceau (Vers la Réparation, p. 283), les fausses lettres auraient été acquises par Hanotaux. — Jaurès croit les lettres fabriquées après coup. (Les Preuves, p. 279.). — Paschal Grousset (Affaire Dreyfus, p. 91) place en 1894 la fabrication des faux qui auraient été portés d’abord à Hanotaux et payés 27.000 francs, ce qui fut nié, à la Chambre, le 20 janvier 1899, par Delcassé, ministre des Affaires étrangères.
  45. Cass., I, 442 ; II, 36 ; Rennes, III, 511, Du Paty. Les dépositions de Du Paty, en ce qui concerne les pièces du dossier secret, concordent exactement avec celle de Picquart. (Revision, 110 ; Cass., I, 135 ; Rennes, I, 32). Du Paty convient lui-même que son commentaire portait bien sur les pièces indiquées par Picquart. (Cass., II, 36).
  46. Rennes, III, 511, Du Paty.
  47. En allemand : Zweifel… Beweis… Patent
  48. Rennes, I, 404, Picquart.
  49. Cass., I, 306, Maurice Weil.
  50. Cavaignac lui-même traduit ainsi : « Les documents ne prennent d’importance que lorsqu’ils viennent du ministère. » (Cass., I, 34) — Toute la pièce s’applique à Esterhazy, naturellement, sans effort. Esterhazy a prétendu qu’il avait été un intermédiaire (comme contre-espion) entre le service des renseignements et Schwarzkoppen. (Cass., I, 593, lettre du 13 janvier 1899 au premier président Mazeau.)
  51. Cass., III, 573, mémoire Mornard.
  52. Lettre de Picquart au garde des Sceaux. (Revision, 111.)
  53. Rennes, I, 105, Mercier ; I, 371, Picquart.
  54. Cass., III, 133. Ballot-Beaupré. Avec renvoi à l’état nominatif, pièce 13 du dossier 5, communiqué par le ministre de la Guerre, liasse n° 5.
  55. La lettre de Schwarzkoppen à Süsskind sur « l’homme des forts de la Meuse » débute ainsi : « Au moment de partir je reçois la réponse de Sancy au sujet du nettoyage des armes Schombin. J’emporte la chose, et répondrai de Berlin. » De Paris, le 29 décembre 1898. — (Rennes, I, 77, Mercier.)
  56. Le commandant Mendizoria.
  57. Rennes, I, 410, Picquart. — La niaiserie de l’argumentation de Du Paty est telle que Mercier lui-même, à Rennes, n’a pas osé invoquer ce témoignage de Guénée.
  58. Rennes, II, 511, Du Paty. — Picquart, parce qu’il avait suivi le commentaire de Du Paty, l’attribua aussi, d’abord, à Panizzardi.
  59. Revision, 111 et 112, lettre de Picquart au garde des Sceaux.
  60. Cavaignac (Cass., I, 35) et Cuignet (Cass., I, 257) conviennent que la pièce ne s’applique pas à Dreyfus. — Le comte Tornielli en fit la déclaration formelle à Hanotaux, le 15 janvier 1898 (Cass., I, 401), et le comte Bonin, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le 1er  février 1898, à la Chambre italienne.
  61. Cass., I, 141, Picquart.
  62. Cass., III, 356 (pièces 152 à 158 du dossier secret).
  63. Rennes, III, 511, Du Paty : « Pour cela, je fis une note dont le texte prouve bien qu’il était, à mon avis, indispensable de procéder à une vérification, avant d’en tirer aucune conclusion… Je déclare que je n’ai jamais vu ni dit à personne que j’avais vu une version du télégramme chiffré où figurassent les mots : Précautions prises, et où fût donné pour ferme le membre de phrase : Émissaire prévenu. » — Selon Du Paty, ce serait cette même note, de décembre 1894, qu’il avait fait remettre à Mercier, avant le procès de Rennes.
  64. Rennes, III, 512, Du Paty.
  65. À l’agent Guénée, mars 1894 : « Il faut vous rappeler ce que je vous ai déjà dit au sujet des relations qui existent entre Schwarzkoppen et Panizzardi. Dites bien à ces messieurs que ces relations prennent chaque jour un caractère qui semble plus intime, et tout ce que fait l’un est immédiatement transmis à l’autre ; ils travaillent en quelque sorte en commun. Dites bien de ma part au commandant Henry, qui pourra le répéter au colonel, au ministre de la Guerre, qu’il y a lieu de redoubler de surveillance ; car il résulte de ma dernière conversation avec eux qu’ils ont, dans les bureaux de l’État-Major, un officier qui les renseigne admirablement. Cherchez, Guénée ; si je connaissais le nom, je vous le dirais. » — 2° À l’agent Guénée, au commencement d’avril 1894 : « Vous avez un ou plusieurs loups dans votre bergerie, cherchez. Je ne saurais trop vous le répéter ; je suis certain du fait. » — 3° Au commandant Henry, en juin 1894 : « Un officier du deuxième bureau de l’État-Major, ou ayant appartenu, en tous cas, à ce bureau en mars et avril, renseigne Schwarzkoppen et Panizzardi. Je suis sûr de ce que je dis, mais je ne connais pas le nom de l’officier. Du reste, si je le connaissais, je ne vous le dirais pas. » — Mercier, à Rennes, verse lui-même au dossier la copie de ces trois notes (I, 85) dont le greffier donne lecture. Cavaignac (Rennes, I, 187) insiste sur la valeur des deux premières, « que le colonel Sandherr fit enregistrer et dater », mais passe sous silence la troisième, ayant appris enfin à tenir pour faux tout ce qui émane d’Henry.
  66. Rennes, III, 512, Du Paty : « Une fois le commentaire terminé, le colonel Sandherr l’a pris, et je ne sais pas ce qu’il en a fait. »
  67. Rennes, III, 512, Du Paty : « Il n’est pas impossible que le commentaire que j’avais établi avec le colonel Sandherr ait servi d’élément à un travail plus étendu, se rapportant à diverses phases de la vie militaire du capitaine Dreyfus. »
  68. Rennes, II, 218 : « Me Labori : Par qui M. le général Mercier a-t-il été renseigné ? — Gonse : C’est par le colonel Henry. »
  69. Cass., III, 559. — Pièces N° 67, 80, 80 bis et 80 ter du dossier militaire. L’instruction est du 12 juin, le tirage du 3 septembre, l’envoi dans les corps du 18 septembre. (Rapport du capitaine Cuignet en date de 1898.)
  70. Elle eût pu venir aussi des archives de la section technique d’artillerie, dont Boutonnet était, en 1890, l’archiviste.
  71. L’accusation a été reprise par le général Roget (Cass., I, 65, par Mercier (Rennes, I, 80) et par Gonse (Rennes, I, 540). « Le papier, selon Roget, était un papier pelure analogue à celui du bordereau. » Mais la Cour de cassation a constaté que ce papier n’est pas quadrillé, à la différence de celui du bordereau (I, 369), et Cuignet dépose que « l’expert a conclu que les fragments ne portent pas l’écriture de Dreyfus » (I, 369). Quand Freystætter, à Rennes, affirma que le commentaire de 1894 faisait mention de cette accusation. Mercier répondit : « Pour le chargement des obus à mélinite, il n’a pu en être fait état en 1894, puisqu’à ce moment-là on a demandé à la direction de l’artillerie ce qui s’était passé pour l’obus, et que la direction n’a pas pu retrouver le dossier. » (II, 403.) Mais la réponse même de Mercier prouve qu’il s’était occupé de la question.
  72. Cass., I, 360, Cuignet.
  73. L’accusation a été reprise par Cuignet qui en donne cette preuve que, « dans la collection des cours de l’École de guerre qui fut saisie chez Dreyfus, la 3e partie du cours de fortification n’était pas reliée, alors que les autres cours l’étaient tous » ! (Cass., I, 360.) Mais il convient plus loin (I, 364) que ces cours « confidentiels » étaient tirés à environ 150 exemplaires ! Les bibliothèques des cercles militaires en possèdent des exemplaires que les officiers peuvent emporter chez eux. (Cass, I, 544, Hartmann.) Et « ces cours sont mis en vente pour les officiers au prix de 1 fr. 60 ». (Cass., III, 695, Mornard.)
  74. Voir Appendice I, in fine.
  75. Rapport de Bertillon, dossier de la Cour de cassation, n° 82.
  76. Rennes, II, 210 : « Mercier : On vous a déjà dit que ces faits avaient été laissés de côté au moment de l’affaire Dreyfus. — Gonse : C’est moi qui ai dit cela. — Mercier : En 1894, le commandant Henry avait cherche à se procurer le dossier, et on ne l’avait pas retrouvé. Ce n’est que plus tard… — Gonse : En 1898, le colonel Godin l’a retrouvé, et il me l’a remis à moi-même. » — Autre déposition significative de Gonse, à Rennes, sur le même sujet : « On a expertisé (en 1898) l’écriture ; on n’a pas pu retrouver que ce fût l’écriture de Dreyfus ; on n’en a pas fait une charge contre lui. » C’est trop de bonté ! « Mais c’est un indice, en ce sens que ce papier a été découvert au moment où il était à l’École de pyrotechnie. » (Rennes, I, 540.
  77. Rennes, II, 400 et 403, Freystætter. — Voir chapitre X, p.441.
  78. Cass., I, 545 ; Rennes, I, 94 ; II, 223 ; III, 533.
  79. Ce fut, par la suite, la thèse constante de Gonse, d’Henry, de leurs journaux. — Voir Appendice X.
  80. Rennes, II, 218, Gonse.
  81. Rennes, I, 99, Mercier : « Je mis sous pli cacheté les pièces secrètes et le commentaire. » — III, 533 : « Le pli cacheté a été fait en ma présence, en la présence du général de Boisdeffre, dans mon cabinet, par le colonel Sandherr, après que chacune de ces pièces et le commentaire eût été mis sous mes yeux. » — Voir Appendice XI.
  82. Voir Appendice XII.