Histoire de dom Bougre, portier des chartreux, éd. 1920/001

Texte établi par HelpeyCluny (Maurice Duflou.) (p. Fig.-163).

Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux, édition de 1922, Figure
Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux, édition de 1922, Figure

Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux


HISTOIRE DE DOM BOUGRE

PORTIER DES CHARTREUX

PREMIÈRE PARTIE



Que c’est une douce satisfaction pour un cœur d’être désabusé des vains plaisirs, des amusements frivoles et des voluptés dangereuses qui l’attachaient au monde ! Rendu à lui-même après une longue suite d’égarements, et dans le calme que lui procure l’heureuse privation de ce qui faisait autrefois l’objet de ses désirs, il sent encore ces frémissements d’horreur qui laissent dans l’imagination le souvenir des périls auxquels il est échappé ; mais il ne les sent que pour se féliciter de la sûreté où il se trouve : ces mouvements lui deviennent des sentiments chers, parce qu’ils servent à lui faire mieux goûter les charmes de la tranquillité dont il jouit.

Telle est, cher lecteur, la situation du mien. Quelles grâces n’ai-je pas à rendre au Tout-Puissant, dont la miséricorde m’a retiré de l’abîme du libertinage où j’étais plongé et me donne aujourd’hui la force d’écrire mes égarements pour l’édification de mes frères !

Je suis le fruit de l’incontinence des révérends Pères Célestins de la ville de R… Je dis des révérends Pères, parce que tous se vantaient d’avoir fourni à la composition de mon individu. Mais quel sujet m’arrête tout à coup ? Mon cœur est agité : est-ce par la crainte qu’on ne me reproche que je révèle ici les mystères de l’Église ? Ah ! surmontons ce faible remords. Ne sait-on pas que Tout homme est homme, et les moines surtout ? Ils ont donc la faculté de travailler à la propagation de l’espèce. Eh ! pourquoi la leur interdirait-on ? Ils s’en acquittent si bien !

Peut-être, lecteur, attendez-vous avec impatience que je vous fasse un récit détaillé de ma naissance : je suis fâché de ne pouvoir pas si tôt vous satisfaire sur cet article, et vous allez me voir de plein saut chez un bonhomme de paysan que j’ai pris longtemps pour mon père.

Ambroise, c’était le nom du bonhomme ; il était le jardinier d’une maison de campagne que les Célestins avaient à un petit village, à quelques lieues de la ville ; sa femme, Toinette, fut choisie pour me servir de nourrice : un fils qu’elle avait mis au monde, et qui mourut au moment que je vis le jour, aida à voiler le mystère de ma naissance. On enterra secrètement le fils du jardinier, et celui des moines fut mis à sa place : l’argent fait tout.

Je grandissais insensiblement, toujours cru et me croyant moi-même fils du jardinier ; j’ose dire

— Ah !… doucement, ma chère Toinette, ne va pas si vite !… Ah ! coquine… tu me fais mourir de plaisir, va vite !… Eh ! vite !… Ah ! je me meurs !…

Surpris d’entendre de pareilles exclamations, dont je ne sentais pas toute l’énergie, je me rassis ; à peine osais-je remuer. Si l’on m’avait su là, j’avais tout à craindre ; je ne savais que penser, j’étais tout ému.

L’inquiétude où j’étais fit bientôt place à la curiosité. J’entendis de nouveau le même bruit, et je crus distinguer qu’un homme et Toinette répétaient alternativement les mêmes mots que j’avais déjà entendus. Même attention de ma part. L’envie de savoir ce qui se passait dans cette chambre devint à la fin si vive qu’elle étouffa toutes mes craintes.

Je résolus de savoir ce qui en était. Je serais, je crois, volontiers entré dans la chambre d’Ambroise pour voir ce qui s’y passait, aux risques de tout ce qui aurait pu arriver.

Je ne fus pas à cette peine. En cherchant doucement avec la main si je ne trouverais pas quelque trou à la cloison, j’en sentis un qui était couvert par une grande image.

Je la perçai et me fis jour. Quel spectacle ! Toinette, nue comme la main, étendue sur son lit, et le Père Polycarpe, procureur du couvent, qui était à la maison depuis quelque temps, nu comme Toinette, faisant… quoi ? ce que faisaient nos premiers parents quand Dieu leur eut ordonné de peupler la terre, mais avec des circonstances moins lubriques.

Cette vue produisit chez moi une surprise mêlée de joie et d’un sentiment vif et délicieux qu’il m’aurait été impossible d’exprimer.

Je sentais que j’aurais donné tout mon sang pour

— Ah !… doucement, ma chère Toinette, ne va pas si vite !… Ah ! coquine… tu me fais mourir de plaisir, va vite !… Eh ! vite !… Ah ! je me meurs !…

Surpris d’entendre de pareilles exclamations, dont je ne sentais pas toute l’énergie, je me rassis ; à peine osais-je remuer. Si l’on m’avait su là, j’avais tout à craindre ; je ne savais que penser, j’étais tout ému.

L’inquiétude où j’étais fit bientôt place à la curiosité. J’entendis de nouveau le même bruit, et je crus distinguer qu’un homme et Toinette répétaient alternativement les mêmes mots que j’avais déjà entendus. Même attention de ma part. L’envie de savoir ce qui se passait dans cette chambre devint à la fin si vive qu’elle étouffa toutes mes craintes.

Je résolus de savoir ce qui en était. Je serais, je crois, volontiers entré dans la chambre d’Ambroise pour voir ce qui s’y passait, aux risques de tout ce qui aurait pu arriver.

Je ne fus pas à cette peine. En cherchant doucement avec la main si je ne trouverais pas quelque trou à la cloison, j’en sentis un qui était couvert par une grande image.

Je la perçai et me fis jour. Quel spectacle ! Toinette, nue comme la main, étendue sur son lit, et le Père Polycarpe, procureur du couvent, qui était à la maison depuis quelque temps, nu comme Toinette, faisant… quoi ? ce que faisaient nos premiers parents quand Dieu leur eut ordonné de peupler la terre, mais avec des circonstances moins lubriques.

Cette vue produisit chez moi une surprise mêlée de joie et d’un sentiment vif et délicieux qu’il m’aurait été impossible d’exprimer.

Je sentais que j’aurais donné tout mon sang pour être à la place du moine. Que je lui portais d’envie ! que son bonheur me paraissait grand ! Un feu inconnu se glissait dans mes veines ; j’avais le visage enflammé, mon cœur palpitait, je retenais mon haleine, et la pique de Vénus, que je pris à la main, était d’une force et d’une roideur à abattre la cloison, si j’avais poussé un peu fort. Le Père fournit sa carrière, et se retirant de dessus Toinette, il la laissa exposée à toute la vivacité de mes regards. Elle avait les yeux mourants et le visage couvert du rouge le plus vif. Elle était toute hors d’haleine ; ses bras étaient pendants, sa gorge s’élevait et se baissait avec une précipitation étonnante. Elle serrait de temps en temps le derrière, en se raidissant et en jetant de grands soupirs.

Mes yeux parcouraient avec une rapidité inconcevable toutes les parties de son corps, il n’y en avait pas une sur laquelle mon imagination ne collât mille baisers de feu.

Je suçais ses tétons, son ventre ; mais l’endroit le plus délicieux, et dessus lequel mes yeux ne purent plus s’arracher, quand une fois je les y eus fixés, c’était… Vous m’entendez. Que cette coquille avait pour moi de charmes ! Ah ! l’aimable coloris ! Quoique couverte d’une petite écume blanche, elle ne perdait rien à mes yeux de la vivacité de sa couleur. Au plaisir que je ressentais, je reconnus le centre de la volupté. Il était ombragé d’un poil épais, noir et frisé. Toinette avait les jambes écartées : il semblait que sa paillardise fût d’accord avec ma curiosité pour ne me rien laisser à désirer.

Le moine, ayant repris vigueur, vint de nouveau se présenter au combat ; il se remit sur Toinette avec une nouvelle ardeur ; mais ses forces trahirent son courage, et, fatigué de piquer inutilement sa monture, je lui vis retirer l’instrument de la coquille de Toinette, lâche et baissant la tête. Toinette, dépitée de sa retraite, le prit et se mit à le secouer ; le moine s’agitait avec fureur, et paraissait ne pouvoir supporter le plaisir qu’il ressentait.


Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux

J’examinais tous leurs mouvements ; sans autre guide que la nature, sans autre instruction que l’exemple, et, curieux de savoir ce qui pouvait occasionner ces mouvements convulsifs du Père, j’en cherchai la cause en moi-même. J’étais surpris de sentir un plaisir inconnu qui augmentait insensiblement, et devint enfin si grand que je tombai pâmé sur mon lit. La nature faisait des efforts incroyables, et toutes les parties de mon corps semblaient fournir au plaisir de celle que je caressais. Il tomba enfin de cette liqueur blanche, dont j’avais vu une si grande profusion sur les cuisses de Toinette.

Je revins de mon extase, et retournai au trou de la cloison ; il n’était plus temps : le dernier coup était joué, la partie était finie. Toinette se rhabillait, le Père l’était déjà.

Je restai quelque temps l’esprit et le cœur remplis de l’aventure dont je venais d’être témoin, et dans cette espèce d’étourdissement qu’éprouve un homme qui vient d’être frappé par l’éclat d’une lumière étrangère. J’allais de surprise en surprise ; les connaissances que la nature avait mises dans mon cœur venaient de se développer, les nuages dont elle les avait couvertes s’étaient dissipés. Je reconnus la cause des différents sentiments que j’éprouvais tous les jours à la vue des femmes. Ces passages imperceptibles de la tranquillité aux mouvements les plus vifs, de l’indifférence aux désirs, n’étaient plus des énigmes pour moi. Ah ! m’écriai-je, qu’ils étaient heureux ! La joie les transportait tous deux. Il faut que le plaisir qu’ils goûtaient soit bien grand. Ah !… qu’ils étaient heureux ! L’idée de ce bonheur m’absorbait ; elle m’ôtait pour un moment tout pouvoir d’y réfléchir. Un silence profond succédait à mes exclamations. Ah ! reprenais-je aussitôt, ne serai-je jamais grand, pour en faire autant à une femme ? Je mourrais sur elle de plaisir, puisque je viens d’en avoir tant. Ce n’est là sans doute qu’une faible image de celui que le Père Polycarpe goûtait avec ma mère ; mais, poursuivais-je, je suis bien simple ! Est-il absolument nécessaire d’être grand pour avoir ce plaisir-là ? Pardi ! il me semble que le plaisir ne se mesure pas à la taille ; pourvu que l’on soit l’un sur l’autre, cela doit aller tout seul !

Sur-le-champ il me vint dans l’esprit de faire part de mes nouvelles découvertes à ma sœur Suzon ; elle avait quelques années de plus que moi : c’était une petite blonde fort jolie, qui portait une de ces physionomies ouvertes que l’on serait tenté de croire niaises, parce qu’elles paraissent indolentes. Elle avait de ces beaux yeux bleus, pleins d’une douce langueur, qu’il semble que l’on tourne sur vous sans intention, mais dont l’effet n’est pas moins sûr que celui des yeux brillants d’une brune piquante qui vous lance des regards passionnés. Pourquoi cela ? Je n’en sais rien, car je me suis toujours grossièrement contenté du sentiment, sans être tenté d’en pénétrer la cause. Ne serait-ce pas parce qu’une belle blonde, avec ses regards languissants, semble vous prier de lui donner votre cœur, et que ceux d’une brune veulent vous l’enlever de force ? La blonde ne demande qu’un peu de compassion pour sa faiblesse, et cette façon de demander est bien séduisante ; vous croyez ne donner que la compassion, et vous donnez de l’amour. La brune, au contraire, veut que vous soyez faible, sans vous promettre qu’elle le sera. Le cœur se gendarme contre celle-ci, n’est-il pas vrai ?

Je l’avoue à ma honte, il ne m’était pas encore venu dans l’esprit de jeter sur Suzon un regard de concupiscence, chose rare chez moi, qui convoitais toutes les filles que je voyais. Il est vrai qu’étant la filleule de la dame du village, qui l’aimait et la faisait élever chez elle, je ne la voyais pas souvent. Il y avait même un an qu’elle était au couvent ; elle n’en était sortie que depuis huit jours que sa marraine, qui devait venir passer quelque temps à la campagne, lui avait permis de venir voir Ambroise.

Je me sentis tout à coup enflammé du désir d’endoctriner ma chère sœur et de goûter avec elle les mêmes plaisirs que je venais de voir prendre au Père Polycarpe avec Toinette.

Je ne fus plus le même pour elle. Mes yeux sourirent à mille charmes que je ne lui avais pas aperçus. Je lui trouvais une gorge naissante plus blanche que les lis, ferme, potelée. Je suçais déjà avec un délice inexprimable ces deux petites fraises que je voyais au bout de ses tétons ; mais surtout, dans la peinture de ses charmes, je n’oubliais pas ce centre, cet abîme de plaisirs dont je me faisais des images si ravissantes. Animé par l’ardeur vive et brûlante que ces idées répandaient dans tout mon corps, je sortis, j’allai chercher Suzon. Le soleil venait de se coucher, la brune s’avançait : je me flattais qu’à la faveur de l’obscurité que la nuit allait répandre, je serais dans un moment au comble de mes désirs, si je la trouvais.

Je l’aperçus de loin qui cueillait des fleurs. Elle ne pensait pas alors que je méditais de cueillir la fleur la plus précieuse de son bouquet. Je volai à elle ; la voyant toute entière à une occupation aussi innocente, je balançai dans le moment si je lui ferais connaître mon dessein. À mesure que j’approchais, je sentais ralentir la vivacité de ma course. Un tremblement soudain semblait me reprocher mon intention. Je croyais devoir respecter son innocence, et je n’étais retenu que par l’incertitude du succès.

Je l’abordai, mais avec une palpitation qui ne me permettait pas de dire deux mots sans reprendre haleine.

— Que fais-tu donc là, Suzon ? lui dis-je en m’approchant d’elle et voulant l’embrasser.

Elle s’échappa en riant et me répondit :

— Comment ! ne vois-tu pas que je cueille des fleurs ?

— Ah ! ah ! repris-je, tu cueilles des fleurs ?

— Eh ! vraiment oui, me répliqua-t-elle ; ne sais-tu pas que c’est demain la fête de ma marraine ?

Ce nom me fit trembler, comme si j’eusse craint que Suzon ne m’échappât. Mon cœur s’était déjà fait (si j’ose me servir de ce terme) une habitude de la regarder comme une conquête sûre ; et l’idée de son éloignement semblait me menacer de la perte d’un plaisir que je regardais comme certain, quoique je n’en eusse pas encore goûté.

— Je ne te verrai donc plus, Suzon ? lui dis-je d’un air triste.

— Pourquoi donc, me répondit-elle, ne viendrai-je pas toujours ici ? Mais, allons, poursuivit-elle d’un air charmant, aide-moi à faire mon bouquet.

Je ne lui répondis qu’en lui jetant quelques fleurs au visage ; aussitôt elle de m’en jeter aussi.

— Tiens, Suzon, lui dis-je, si tu m’en jettes davantage, je te… Tu me le payeras !

Pour me faire voir qu’elle bravait mes menaces, elle m’en jeta une poignée. Dans le moment ma timidité m’abandonna ; je ne craignais pas d’être vu. La brune, qui empêchait qu’on ne pût voir à une certaine distance, favorisait mon audace. Je me jetai sur Suzon ; elle me repousse, je l’embrasse ; elle me donne un soufflet, je la jette sur l’herbe ; elle veut se relever, je l’en empêche ; je la tiens étroitement serrée dans mes bras en lui baisant la gorge, elle se débat ; je veux lui fourrer la main sous la jupe, elle crie comme un petit démon ; elle se défend si bien que je crains de n’en pouvoir venir à bout et qu’il ne survienne du monde.

Je me relevai en riant, et je crus qu’elle n’y entendait pas plus de malice que je voulais qu’elle n’y en entendît. Que je me trompais !

— Allons, lui dis-je, Suzon, pour te faire voir que je ne voulais pas te faire de mal, je veux bien t’aider.

— Oui, oui, me répondit-elle avec une agitation au moins égale à la mienne, va, voilà ma mère qui vient, et je…

— Ah ! Suzon, repris-je vivement en l’empêchant d’en dire davantage, ma chère Suzon, ne lui dis rien ; je te donnerai… tiens, tout ce que tu voudras !

Un nouveau baiser fut le gage de ma parole ; elle en rit ; Toinette arriva. Je craignais que Suzon ne parlât, elle ne dit mot, et nous retournâmes tous ensemble souper.

Depuis que le Père Polycarpe était à la maison, il avait donné de nouvelles preuves de la bonté du couvent pour le prétendu fils d’Ambroise : je venais d’être habillé tout neuf. En vérité, sa révérence avait en cela moins consulté la charité monacale, qui a des bornes fort étroites, que la tendresse paternelle, qui souvent n’en connaît pas. Le bon Père, par une pareille prodigalité, exposait la légitimité de ma naissance à de violents soupçons. Mais nos manants étaient de bonnes gens et n’en voyaient pas plus que l’on ne voulait leur en faire voir. D’ailleurs, qui aurait osé porter un œil de critique et de malice sur le motif de la générosité des révérends Pères ? C’étaient de si honnêtes gens, de si bonnes gens ; on les adorait dans le village ; ils faisaient du bien aux hommes et aimaient l’honneur des femmes ; tout le monde était content. Mais revenons à ma figure, car je vais avoir une aventure illustre.

À propos de cette figure-là, j’avais un air espiègle qui ne prévenait pas contre moi. J’étais mis proprement, des yeux malins, de longs cheveux noirs me tombaient par boucles sur les épaules et relevaient à merveille les couleurs de mon visage, qui, quoique un peu brun, ne laissait pas de valoir son prix. C’est un témoignage authentique que je me crois obligé de rendre au jugement de plusieurs très honnêtes et très vertueuses personnes à qui j’ai rendu mes hommages.

Suzon, comme je l’ai dit, avait fait un bouquet pour madame Dinville (c’était le nom de sa marraine), femme d’un conseiller de la ville voisine, qui venait à sa terre prendre le lait, pour rétablir une poitrine dérangée par le vin de Champagne et quelques autres causes.

Suzon s’étant mise dans ses petits atours, qui la rendirent encore plus aimable à mes yeux, il fut dit que je l’accompagnerais. Nous allâmes au château. Nous trouvâmes la dame dans un appartement d’été où elle prenait le frais. Figurez-vous une femme d’une grandeur médiocre, poil brun, peau blanche, le visage laid en général, enluminé d’un rouge champenois, mais des yeux alertes, amoureux, et tétonnière autant que femme au monde. Ce fut d’abord la première bonne qualité que je lui remarquai : ç’a toujours été mon faible que ces deux boules-là ! C’est aussi quelque chose de si joli, quand vous tenez cela dans la main, quand vous… Ah ! chacun le sien : qu’on me passe celui-ci !

Sitôt que la dame nous aperçut, elle jeta sur nous un regard de bonté, et sans changer de situation. Elle était couchée sur un canapé, une jambe dessus et l’autre sur le parquet ; elle n’avait qu’un simple jupon blanc, assez court pour laisser voir un genou qui n’était pas assez couvert pour faire penser qu’il serait bien difficile de voir le reste ; un petit corset de la même couleur, et un pet-en-l’air de taffetas couleur de rose, bichonnée d’un petit air négligé, et la main passée sous son jupon, jugez à quelle intention ! Mon imagination fut au fait dans le moment, et mon cœur la suivit de près ; mon sort était de devenir, désormais, amoureux à la vue de toutes les femmes qui se présenteraient à mes yeux : les découvertes de la veille avaient fait éclore ces louables dispositions.

— Ah ! bonjour, ma chère enfant, dit madame Dinville à Suzon ; eh bien ! tu reviens donc me trouver ? Ah !… tu m’apportes un bouquet ; mais, vraiment, je te suis bien obligée, ma chère fille ; embrasse-moi donc !

Embrassade de la part de Suzon.

— Mais, continua-t-elle, en jetant les yeux sur moi, quel est donc ce beau gros garçon-là ? Comment ! petite fille, vous vous faites accompagner par un garçon ? Cela est joli !

Je baissai les yeux ; Suzon lui dit que j’étais son frère ; révérence de ma part.

— Ton frère ? reprit madame Dinville ; allons donc ! continua-t-elle en me regardant, en m’adressant la parole, baise-moi, mon fils. Oh ! je veux que nous fassions connaissance ensemble.

Aussitôt, pour ébaucher la connaissance, elle me donne un baiser sur la bouche ; je sens une petite langue se glisser entre mes lèvres et une main qui joue avec les boucles de mes cheveux. Je ne connaissais pas encore cette manière de baiser ; elle me mit dans une étrange émotion. Je jetai sur la dame un regard timide et je rencontrai ses yeux brillants et pleins de feu qui attendaient les miens au passage et qui les firent baisser.

Nouveau baiser de même nature, après lequel je fus libre de me remuer, car je ne l’étais guère de la façon dont elle me tenait embrassé. Je n’en étais pourtant pas fâché : il me semblait que c’était toujours autant de retranché sur le cérémonial de la connaissance qu’elle disait vouloir faire avec moi. Je ne fus sans doute redevable de ma liberté qu’à la réflexion qu’elle fit sur le mauvais effet que pouvait produire la vivacité de ses caresses, prodiguées avec si peu de ménagement à une première vue ; mais ses réflexions ne furent pas de longue durée, elle reprit la conversation avec Suzon, et le refrain de chaque période était : « Suzon, venez me baiser ». D’abord le respect me faisait tenir écarté.

— Eh bien, dit-elle en m’adressant de nouveau la parole, ce gros garçon-là ne viendra donc pas aussi me baiser ?

J’avançai et j’appuyai sur la joue. Je n’osais encore aller à la bouche : je lui fis un baiser un peu plus hardi que le premier. Je ne fus en reste avec elle que de quelque chose de plus passionné qu’elle mit dans le sien. Elle partageait ainsi ses caresses entre ma sœur et moi, pour me donner le change sur le sujet de celles qu’elle me faisait. Sa politique me rendait justice : j’étais plus habile que ma figure ne le promettait. Je me fis insensiblement si bien à ce petit manège que je n’attendais pas le refrain pour prendre ma part. Peu à peu ma sœur se trouva sevrée de la sienne ; je m’établis dans le privilège exclusif de jouir des bontés de la dame ; Suzon n’avait plus que les paroles.

Nous étions assis sur le canapé : nous babillions, car madame Dinville était grande babillarde. Suzon était à sa droite, j’étais à sa gauche. Suzon regardait dans le jardin, et madame Dinville me regardait ; elle s’amusait à me défriser, à me pincer la joue, à me donner de petits soufflets, et moi, je m’amusais à la regarder, à lui mettre la main, d’abord en tremblant, sur le col ; ses manières aisées me donnaient beau jeu ; j’étais effronté ; la dame ne disait mot, me regardait, riait et me laissait faire. Ma main, timide dans les commencements, mais devenue plus hardie par la facilité qu’elle trouvait à se satisfaire, descendait insensiblement du col à la gorge, et s’appesantissait avec délices sur un sein dont la fermeté élastique la faisait tant soit peu rebondir. Mon cœur nageait dans la joie ; déjà je tenais dans la main une de ces boules charmantes que je maniais à souhait. J’allais y mettre la bouche ; en avançant, on arrive au but. J’aurais, je crois, poussé ma bonne fortune jusqu’où elle pouvait aller, quand un maudit importun, le bailli du village, vieux singe envoyé par un démon jaloux de mon bonheur, se fit entendre dans l’antichambre. Madame Dinville, réveillée par le bruit que fit cet original en arrivant, me dit :

— Que faites-vous donc, petit fripon ?

Je retirai la main précipitamment. Mon effronterie ne tint pas contre un pareil reproche ; je rougis, je me croyais perdu. Madame Dinville, qui voyait mon embarras, me fit sentir, par un petit soufflet qu’elle accompagna d’un sourire charmant, que sa colère n’était que pour la forme, et ses regards me confirmèrent que ma hardiesse lui déplaisait moins que l’arrivée de ce vilain bailli.

Il entra, l’ennuyeux personnage ! Après avoir toussé, craché, éternué, mouché, il fit sa harangue, plus ennuyeuse encore que sa figure. Si nous en eussions été quittes pour cela, ce n’aurait été que demi-mal, mais il semblait que le maraud eût donné le mot à tous les importuns du village, qui vinrent tour à tour faire leur salamalec. J’enrageais. Quand madame Dinville eut répondu à bien de sots compliments, elle se tourna de notre côté et nous dit :

— Ah çà ! mes chers enfants, vous reviendrez demain dîner avec moi : nous serons seuls.

Il me sembla qu’elle affectait de jeter les yeux sur moi en disant ces derniers mots. Mon cœur trouvait son compte dans cette assurance, et je sentis que, sans faire tort à mon penchant, mon petit amour-propre ne laissait pas d’être flatté.

— Vous viendrez, entendez-vous, Suzon ? continua madame Dinville, et vous amènerez Saturnin (c’était le nom que portait alors votre serviteur).

— Adieu, Saturnin, me dit-elle en m’embrassant.

Pour le coup, je ne fus en reste de rien avec elle.

Nous sortîmes.

Je me sentais dans une disposition qui, assurément, m’aurait fait honneur auprès de madame Dinville sans la visite imprévue de ces ennuyeux complimenteurs ; mais ce que je sentais pour elle n’était pas de l’amour, ce n’était qu’un désir violent de faire avec une femme la même chose que j’avais vu faire au Père Polycarpe avec Toinette. Le délai d’un jour que madame Dinville m’avait donné me paraissait immense. J’essayai, chemin faisant, de remettre Suzon sur les voies, en lui rappelant l’aventure de la veille.

— Que tu es simple, lui dis-je, Suzon. Tu crois donc que je voulais te faire du mal hier ?

— Que voulais-tu donc me faire ? répondit-elle.

— Bien du plaisir.

— Quoi ! reprit-elle avec une apparence de surprise, en me mettant la main sous la jupe, tu m’aurais fait bien du plaisir ?

— Assurément ; si tu veux que je t’en donne la preuve, viens avec moi, lui dis-je, dans quelque endroit écarté.

Je l’examinais avec inquiétude ; je cherchais sur son visage quelques marques des effets que devait produire ce que je lui disais : je n’y voyais pas plus de vivacité qu’à l’ordinaire.

— Le veux-tu bien, dis, ma chère Suzon ? continuai-je en la caressant.

— Mais encore, reprit-elle, sans faire semblant d’entendre la proposition que je lui faisais, qu’est-ce donc que ce plaisir dont tu me fais tant d’éloge ?

— C’est, lui répondis-je, l’union d’un homme avec une femme, qui s’embrassent, qui se serrent bien fort et qui se pâment en se tenant étroitement serrés de cette façon.

Les yeux toujours fixés sur le visage de ma sœur, je ne laissais échapper aucun des mouvements qui l’agitaient ; j’y voyais la gradation insensible de ses désirs ; sa gorge bondissait.

— Mais, me dit-elle, avec une naïveté curieuse qui me paraissait de bon augure, mon père m’a quelquefois tenu comme tu le dis, et je ne sentais pas cependant ce plaisir que tu me promets.

— C’est, repartis-je, qu’il ne te faisait pas ce que je voudrais te faire.

— Et que me voudrais-tu donc faire ? me demanda-t-elle d’une voix tremblante.

— Je te mettrais, lui répondis-je effrontément, quelque chose entre les cuisses qu’il n’osait pas te mettre.

Elle rougit, et me laissa, par son trouble, la liberté de continuer en ces termes :

— Vois-tu, Suzon, tu as un petit trou ici, lui dis-je en lui montrant l’endroit où j’avais vu la fente de Toinette.

— Eh ! qui t’a dit cela ? me demanda-t-elle, sans lever les yeux sur moi.

— Qui me l’a dit ? repris-je, assez embarrassé de sa question, c’est q… c’est que toutes les femmes en ont autant.

— Et les hommes ? poursuivit-elle.

— Les hommes, lui répondis-je, ont une machine à l’endroit où vous avez une fente. Cette machine se met dans cette fente, et c’est là ce qui fait le plaisir qu’une femme prend avec un homme. Veux-tu que je te fasse voir la mienne ? mais à condition que tu me laisseras toucher à ta petite fente ; nous nous chatouillerons, nous ferons bien aise.

Suzon était toute rouge. Les discours que je lui tenais paraissaient la surprendre ; il semblait qu’elle eût peine à m’en croire : elle n’osait me laisser mettre la main sous sa jupe, dans la crainte, disait-elle, que je ne voulusse la tromper et que je n’allasse tout déclarer. Je l’assurai que rien au monde ne serait capable de m’en arracher l’aveu ; et, pour la convaincre de cette différence que je lui disais se trouver entre nous deux, je voulus lui prendre la main ; elle la retira, et nous continuâmes notre entretien jusqu’à la maison.

Je voyais bien que cette petite friponne prenait goût à mes leçons, et que si je la trouvais encore une fois cueillant des fleurs, il ne me serait pas difficile de l’empêcher de crier. Je brûlais d’envie de mettre la dernière main à mes instructions et d’y joindre l’expérience.

À peine étions-nous entrés dans la maison que nous vîmes arriver le Père Polycarpe ; je démêlai le motif de sa visite, et je n’en doutai plus, quand sa révérence eut déclaré d’un air aisé qu’elle venait prendre le dîner de famille. On croyait Ambroise bien loin : il est vrai qu’il ne les gênait guère, mais on est toujours bien aise d’être débarrassé de la présence d’un mari, quelque commode qu’il soit. C’est toujours un animal de mauvaise augure.

Je ne doutai pas que je n’eusse cette après-midi le même spectacle que j’avais eu la veille, et sur-le-champ je formai le dessein d’en faire part à Suzon. Je pensais, avec raison, qu’une pareille vue serait un excellent moyen pour avancer mes petites affaires avec elle ; je ne lui en parlai pas. Je remis cette épreuve à l’après-dînée, bien résolu à n’employer ce moyen qu’à l’extrémité, comme un corps de réserve décisif pour une action.

Le moine et Toinette ne se gênaient pas en notre présence : ils nous croyaient des témoins peu dangereux. Je voyais la main gauche du Père se glisser mystérieusement sous la table et agiter les jupes de Toinette, qui lui souriait et me paraissait écarter les cuisses pour laisser apparemment le passage plus libre aux doigts libertins du paillard moine.

Toinette avait de son côté une main sur la table, mais l’autre était dessous et rendait vraisemblablement au Père ce que le Père lui prêtait. J’étais au fait : les plus petites choses frappent un esprit prévenu. Le révérend Père chopinait de bonne grâce ; Toinette lui répondait sur le même ton : ses désirs parvinrent bientôt au point d’être gênés par notre présence ; elle nous le fit connaître en nous conseillant, à ma sœur et à moi, d’aller faire un tour dans le jardin ; j’entendis ce qu’elle voulait nous dire. Nous nous levâmes aussitôt et leur laissâmes, par notre départ, la liberté de faire autre chose que glisser les mains sous la table. Jaloux du bonheur que notre départ allait les mettre en état de goûter, je voulus encore essayer de venir à bout de Suzon sans le secours du tableau que je devais offrir à ses regards. Je la conduisais vers une allée d’arbres, dont l’épais feuillage faisait une obscurité qui promettait beaucoup d’assurance à mes désirs. Elle s’aperçut de mon dessein, et ne voulut pas m’y suivre.

— Tiens, Saturnin, me dit-elle ingénuement, je vois que tu veux encore m’entretenir de cela ; eh bien, parlons-en.

— Je te fais donc plaisir, lui répondis-je, quand j’en parle ? Elle me l’avoua. Juge, lui dis-je, ma chère Suzon, par celui que mes discours te donnent, de celui que tu aurais…

Je ne lui en dis pas davantage : je la regardais, je lui tenais la main que je pressais contre mon sein.

— Mais, Saturnin, me dit-elle, si… cela allait faire du mal ?

— Quel mal veux-tu que cela fasse ? lui répondis-je, charmé de n’avoir plus qu’un aussi faible obstacle à détruire ; aucun, ma chère petite, au contraire.

— Aucun, reprit-elle en rougissant et en baissant la vue, et si j’allais devenir grosse ?

Cette objection me surprit étrangement. Je ne croyais pas Suzon si savante, et j’avoue que je n’étais pas en état de lui donner une réponse satisfaisante.

— Comment donc, grosse ? lui dis-je ; est-ce que c’est comme cela que les femmes deviennent grosses, Suzon ?

— Sans doute, me répondit-elle d’un ton d’assurance qui m’effraya.

— Et où l’as-tu donc appris ? lui demandai-je, car je sentais bien que c’était son tour à me donner des leçons.

Elle me répondit qu’elle voulait bien me le dire, mais à condition que je n’en parlerais de ma vie.

— Je te crois discret, Saturnin, ajouta-t-elle, et si tu étais capable d’ouvrir jamais la bouche sur ce que je vais te dire, je te haïrais à la mort.

Je lui jurai que jamais je n’en parlerais.

— Asseyons-nous ici, poursuivit-elle en me montrant un gazon où l’on n’était à l’aise que pour causer sans être entendu.

J’aurais bien mieux aimé l’allée ; nous n’y aurions été vus ni entendus : je la proposai de nouveau, elle n’y voulut pas venir.

Nous nous assîmes sur le gazon, à mon grand regret ; pour comble de malheur, je vis arriver Ambroise. N’ayant plus d’espérance pour cette fois, je pris mon parti. L’agitation où me mit le désir d’apprendre ce que devait me dire Suzon fit diversion à mon chagrin.

Avant de commencer, Suzon exigea encore de nouvelles assurances de ma part : je les lui donnai avec serment. Elle hésitait, elle n’osait encore ; je la pressai si fort qu’elle se détermina.

— Voilà qui est fait, me dit-elle, je t’en crois, Saturnin ; écoute, tu vas être étonné de ma science, je t’en avertis. Tu croyais m’apprendre quelque chose tantôt, j’en sais plus que toi : tu vas le voir ; mais ne crois pas pour cela que j’aie moins pris de plaisir à ce que tu m’as dit ; on aime toujours à entendre parler de ce qui flatte.

— Comment donc, Suzon, tu parles comme un oracle ; on voit bien que tu as été en couvent. Que cela façonne une fille !

— Oh ! vraiment, me répondit-elle ; si je n’y avais jamais été, j’ignorerais bien des choses que je sais.

— Eh ! dis-le moi donc, ce que tu sais ! repris-je vivement ; je meurs d’envie de l’apprendre.

— Il n’y a pas longtemps, continua Suzon, que, pendant une nuit fort obscure, je dormais d’un profond sommeil ; je fus réveillée en sentant un corps tout nu qui se glissait dans mon lit : je voulus crier, mais on me mit la main sur la bouche, en me disant : « Tais-toi, Suzon, je ne veux pas te faire de mal ; est-ce que tu ne reconnais pas la Sœur Monique ? » Cette Sœur venait, depuis peu, de prendre le voile de novice ; c’était ma meilleure amie.

— Jésus ! lui dis-je, ma bonne, pourquoi donc me venir prendre dans mon lit ?

— C’est que je t’aime ! me répondit-elle en m’embrassant.

— Et pourquoi êtes-vous toute nue ?

— C’est qu’il fait si chaud que ma chemise même est trop pesante ; il tombe une pluie terrible ; j’ai entendu le tonnerre qui grondait : j’en ai bien peur ; ne l’entends-tu pas aussi ? Quel bruit il fait ! Ah ! serre-moi bien fort, mon petit cœur, mets le drap par-dessus notre tête pour ne pas voir ces vilains éclairs. Là, bon ! Ah ! ma chère Suzon, que j’ai peur !

— Moi, qui ne crains pas le tonnerre, je tâchais de rassurer la Sœur, qui, pendant ce temps-là, me passait sa cuisse droite entre les miennes et sa gauche par-dessus, et, dans cette posture, elle le frottait contre ma cuisse droite, en me mettant la langue dans la bouche et en me donnant de petits coups sur la fesse avec la main. Après qu’elle se fut un peu remuée de cette façon-là, je crus sentir qu’elle me mouillait la cuisse. Elle poussait des soupirs ; je m’imaginais que c’était la peur du tonnerre qui faisait cela. Je la plaignais ; mais bientôt elle reprit sa posture naturelle. Je croyais qu’elle allait s’endormir et je me préparais à en faire autant, quand elle me dit : « Tu dors donc, Suzon ? » Je lui répondis que non, mais que j’allais bientôt le faire.

— Tu veux donc, reprit-elle, me laisser mourir de frayeur ? Oui, je mourrai si tu te rendors ; donne-moi la main, ma chère petite, donne.

Je me laissai prendre la main, qu’elle porta aussitôt à sa fente, et elle me dit de la chatouiller avec mon doigt dans le haut de cet endroit. Je le fis par amitié pour elle. J’attendais qu’elle me dît de finir, mais elle ne disait mot, écartait seulement les jambes et respirait un peu plus vite qu’à l’ordinaire, en jetant de temps en temps des soupirs et en remuant le derrière. Je crus qu’elle se trouvait mal, et je cessai de faire aller le doigt.

— Ah ! Suzon, me dit-elle d’une voix entrecoupée, achève, je te prie, achève.

Je continuai.

— Ah ! ah ! s’écria-t-elle en s’agitant bien fort et en m’embrassant étroitement, dépêche, ma petite reine, dépêche ! Ah ! vite, ah !… je me meurs !

Au moment qu’elle disait cela, tout son corps se roidit et je me sentis de nouveau la main mouillée ; enfin, elle poussa un grand soupir et resta sans mouvement. Je t’assure, Saturnin, que j’étais bien étonnée de tout ce qu’elle me faisait faire.


Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux

— Et tu n’étais pas émue ? lui dis-je.

— Oh ! que si, me répondit-elle ; je voyais bien que tout ce que je venais de lui faire lui avait donné beaucoup de plaisir, et que si elle voulait m’en faire autant j’en aurais beaucoup aussi ; mais je n’osais le lui proposer. Elle m’avait cependant mise dans un état bien embarrassant. Je désirais, et je n’osais lui dire ce que je désirais : je remettais avec plaisir la main sur sa fente ; je prenais la sienne, que je portais, que je faisais reposer sur différents endroits de mon corps, sans oser pourtant la mettre sur le seul où je sentais que j’en avais besoin. La Sœur, qui savait aussi bien que moi ce que je lui demandais, et qui avait la malice de me laisser faire, eut à la fin pitié de mon embarras et me dit en m’embrassant : « Je vois bien, petite coquine, ce que tu veux ». Aussitôt elle se couche sur moi, je la reçois dans mes bras. « Ouvre un peu les cuisses », me dit-elle. Je lui obéis. Elle me coule le doigt où le mien venait de lui faire tant de plaisir : elle répétait elle-même les leçons qu’elle m’avait données ; je sentais le plaisir monter par degré et s’accroître à chaque coup de doigt qu’elle donnait. Je lui rendais en même temps le même service. Elle avait les mains jointes sous mes fesses ; elle m’avait avertie de remuer un peu le derrière, à mesure qu’elle pousserait. Ah ! qu’elle semait de délices dans ce charmant badinage ! Mais elles n’étaient que le prélude de celles qui devaient suivre. Le ravissement me fit perdre toute connaissance ; je demeurai pâmée dans les bras de ma chère Monique. Elle était dans le même état : nous étions immobiles. Je revins ensuite de mon extase. Je me trouvai aussi mouillée que la Sœur, et, ne sachant à quoi attribuer un pareil prodige, j’avais la simplicité de croire que c’était du sang que je venais de verser ; mais je n’en étais pas effrayée, au contraire : il semblait que le plaisir que je venais de goûter m’eût mise en fureur, tant je me sentais d’envie de recommencer. Je le dis à Monique ; elle me répondit qu’elle était lasse et qu’il fallait attendre un peu. Je n’en eus pas la patience et je me mis sur elle, comme elle venait de se mettre sur moi. J’entrelaçai mes cuisses dans ses cuisses, et, me frottant comme elle l’avait fait, je retombai en extase.

— Eh bien ! me dit la Sœur, charmée des témoignages que je lui donnais du plaisir que je ressentais, es-tu fâchée, Suzon, que je sois venue dans ton lit ? Oui, je gage que tu me veux du mal d’être venue te réveiller.

— Ah ! lui répondis-je, que vous savez bien le contraire ! Que pourrais-je vous donner pour une nuit aussi charmante ?

— Petite coquine, reprit-elle en me baisant, va, je ne te demande rien : n’ai-je pas eu autant de plaisir que toi ? Ah ! que tu viens de m’en faire goûter ! Dis-moi, ma chère Suzon, poursuivit-elle, ne me cache rien : n’avais-tu jamais pensé à ce que nous venons de faire ?

Je lui dis que non.

— Quoi ! reprit-elle, tu ne t’étais jamais mis le doigt dans ton petit conin ?

Je l’interrompis pour lui demander ce qu’elle entendait par ce mot.

— Eh ! c’est cette fente, me répondit-elle, où nous venons de nous chatouiller. Quoi ! tu ne savais pas encore cela ? Ah ! Suzon, à ton âge, j’en savais plus que toi.

— Vraiment, lui répondis-je, je n’avais garde de goûter ce plaisir. Vous connaissez le Père Jérôme, notre confesseur : c’est lui qui m’en a toujours empêchée. Il me fait trembler quand je vais à confesse ; il ne manque pas de me demander exactement si je ne fais pas d’impuretés avec mes compagnes, et il me défend surtout d’en faire sur moi-même. J’ai toujours eu la simplicité de l’en croire ; mais je sais à présent à quoi m’en tenir sur ses défenses.

— Et comment, me dit Monique, t’explique-t-il ces impuretés qu’il te défend de faire sur toi-même ?

— Mais, lui répondis-je, il me dit, par exemple, que c’est quand on se met le doigt où vous savez, quand on se regarde les cuisses, la gorge ; il me demande si je ne me sers pas de miroir pour m’examiner autre chose que le visage ? Il me fait mille questions semblables.

— Ah ! le vieux coquin ! s’écria Monique ; je gage qu’il ne cesse de t’entretenir de cela.

— Vous me faites, dis-je à la Sœur, prendre garde à certaines actions qu’il fait pendant que je suis dans le confessionnal et que j’ai toujours prises sottement pour de pures marques d’amitié. Le vieux scélérat ! J’en connais à présent le motif.

— Eh ! quelles actions donc ? me demanda vivement la Sœur.

— Ces actions, lui répondis-je, c’est de me baiser à la bouche, en me disant de m’approcher pour qu’il entende mieux, de me considérer attentivement la gorge pendant que je lui parle, de me mettre la main dessus, et me défendre de la montrer, sous prétexte que c’est une marque de coquetterie ; et, malgré ses sermons, il ne tire pas la main, qu’il avance de plus en plus sur mon sein et pousse même quelquefois jusqu’à mes tétons. Quand il l’ôte, c’est pour la porter aussitôt sous sa robe, qu’il remue avec de petites secousses. Il me presse alors entre ses genoux ; il m’approche avec sa main gauche, il soupire, ses yeux s’égarent ; il me baise plus fort qu’à l’ordinaire, ses paroles sont sans suite ; il me dit des douceurs et me fait des remontrances en même temps. Je me souviens qu’un jour en retirant la main de dessous sa robe pour me donner l’absolution, il me couvrit toute la gorge de quelque chose de chaud qui se répandit par petites gouttes. Je l’essuyai au plus vite avec mon mouchoir, dont je n’ai pas pu me servir depuis. Le Père tout interdit, me dit que c’était de la sueur qui coulait de ses doigts. Qu’en pensez-vous, ma chère Monique ? dis-je à la Sœur.

— Je te dirai tout à l’heure ce que c’était, me répondit-elle. Ah ! le vieux pécheur ! Mais, sais-tu bien, Suzon, continua-t-elle, que tu viens de me conter ce qui m’est arrivé avec lui ?

— Comment donc ! lui dis-je, vous ferait-il aussi quelque chose à vous ?

— Non, assurément, me répondit-elle, car je le hais à la mort, et je ne vais plus à lui depuis que je suis devenue plus savante.

— Et comment avez-vous donc appris, lui demandai-je, à connaître ce qu’il vous faisait ?

— Je consens à te le dire, me répondit la Sœur ; mais sois discrète, car tu me perdrais, ma chère Suzon.

— Je ne sais, Saturnin, poursuivit ma sœur après un moment de silence, si je dois révéler tout ce qu’elle m’apprit.

L’envie de savoir une histoire, dont le prélude me charmait, me donna des expressions pour vaincre l’irrésolution de Suzon. Je mêlai les caresses aux assurances, et je vins à bout de la persuader. C’est la Sœur Monique qui va s’exprimer par la bouche de Suzon.

Quelque emporté que doive paraître le caractère de cette Sœur, je crains que mes expressions ne soient encore au-dessous de la réalité. Le peu de temps que j’ai passé avec elle m’en a fait concevoir une idée qu’il ne m’est guère possible de rendre fidèlement.


HISTOIRE DE LA SŒUR MONIQUE


Nous ne sommes pas maîtresses des mouvements de notre cœur. Séduites en naissant par l’attrait du plaisir, c’est à lui que nous offrons nos premiers sentiments. Heureuses celles dont le tempérament ne s’effraye pas des conseils austères de la raison ! Elles y trouvent un secours contre le penchant de leur cœur. Mais doit-on leur envier leur bonheur ? Non. Qu’elles jouissent du fruit de leur sagesse : elles l’achètent assez cher, puisqu’elles ne connaissent pas le plaisir. Eh ! qu’est-ce que cette sagesse, après tout, dont on nous étourdit les oreilles ? Une chimère, un mot consacré à exprimer la captivité où l’on retient notre sexe. Les éloges que l’on fait de cette vertu imaginaire sont pour nous ce qu’est pour un enfant un hochet qui l’amuse et l’empêche de crier. Des vieilles, que l’âge a rendues insensibles au plaisir, ou plutôt que la retraite leur interdit, croient se dédommager de l’impuissance de le goûter par les portraits hideux qu’elles nous en font. Laissons-les dire, Suzon. Quand on est jeune, on ne doit avoir d’autre maître que son cœur : ce n’est que lui qu’il faut écouter, ce n’est qu’à ses conseils qu’il faut se rendre.

Tu croiras facilement qu’ayant de pareilles inclinations il ne fallait pas moins que la contrainte d’un cloître pour m’empêcher de m’y livrer ; mais c’est dans ce lieu même, où l’on voulait étouffer mes désirs, que j’ai trouvé le moyen de les satisfaire.

Toute jeune que j’étais, quand ma mère, après la mort de son quatrième mari, vint demeurer dans ce couvent en qualité de dame pensionnaire, je ne laissai pas d’être effrayée de la résolution qu’elle avait prise. Sans pouvoir distinguer le motif de ma frayeur, je sentais qu’on allait me rendre malheureuse. L’âge, en me donnant des lumières, m’éclaira sur la cause de mon aversion pour le cloître. Je sentais qu’il me manquait quelque chose, la vue d’un homme. Du simple regret d’en être privée, je passai bientôt à réfléchir sur ce qui pouvait me rendre cette privation si sensible. Qu’est-ce donc qu’un homme ? disais-je. Est-ce une espèce de créature différente de la nôtre ? Quelle est la cause des mouvements que sa vue excite dans mon cœur ? Est-ce un visage plus aimable qu’un autre ? Non ; le plus ou le moins de charmes que je trouve n’excite que plus ou moins d’émotion.

L’agitation de mon cœur est indépendante de ces charmes, puisque le Père Jérôme lui-même, tout désagréable qu’il est, m’émeut quand je suis près de lui. Ce n’est donc que la seule qualité d’homme qui produit ce trouble ; mais pourquoi le produit-elle ? J’en sentais la raison dans mon cœur, mais je ne la connaissais pas ; elle faisait ses efforts pour briser les liens où mon ignorance la réduisait. Efforts inutiles ! Je n’acquérais de nouvelles connaissances que pour tomber dans de nouveaux embarras.

Quelquefois je m’enfermais dans ma chambre, je m’y livrais à mes réflexions : elles me tenaient lieu des compagnies où je me plaisais le plus. Qu’y voyais-je dans ces compagnies ? Des femmes ; et quand j’étais seule, je ne pensais qu’aux hommes ; je sondais mon cœur, je lui demandais raison de ce qu’il sentait ; je me déshabillais toute nue, je m’examinais avec un sentiment de volupté ; je portais des regards enflammés sur toutes les parties de mon corps ; je brûlais, j’écartais les cuisses, je soupirais ; mon imagination échauffée me présentait un homme, j’étendais les bras pour l’embrasser, mon conin était dévoré par un feu prodigieux. Je n’avais jamais eu la hardiesse d’y porter le doigt. Toujours retenue par la crainte de m’y faire mal, j’y souffrais les plus vives démangeaisons sans oser les apaiser.

Quelquefois j’étais prête à succomber ; mais, effrayée de mon dessein, j’y portais le bout du doigt, et je le retirais avec précipitation ; je me le couvrais avec le creux de la main, je le pressais. Enfin, je me livrai à la passion, j’enfonçai, je m’étourdis sur la douleur, pour n’être sensible qu’au plaisir : il fut si grand que je crus que j’allais expirer. Je revins avec une nouvelle envie de recommencer, et je le fis autant de fois que mes forces me le permirent.

J’étais enchantée de la découverte que je venais de faire : elle avait répandu la lumière dans mon esprit. Je jugeai que, puisque mon doigt venait de me procurer de si délicieux moments, il fallait que les hommes fissent avec nous ce que je venais de faire seule, et qu’ils eussent une espèce de doigt qui leur servît à mettre où j’avais mis le mien, car je ne doutais pas que ce ne fût là la véritable route du plaisir. Parvenue à ce degré de lumières, je me sentis agitée du désir violent de voir dans un homme l’original d’une chose dont la copie m’avait fait tant de plaisir.

Instruite par mes propres sentiments de ceux que la vue des femmes doit réciproquement faire naître dans le cœur des hommes, je joignis à mes charmes tous les petits agréments dont l’envie de plaire a inventé l’usage. Se pincer les lèvres avec grâce, sourire mystérieusement, jeter des regards curieux, modestes, amoureux, indifférents ; affecter de ranger, de déranger son fichu, pour faire fixer les yeux sur sa gorge ; en précipiter adroitement les mouvements, se baisser, se relever : je possédais ces petits talents dans le dernier degré de la coquetterie ; je m’y exerçais continuellement ; mais, ici, c’était les posséder en pure perte. Mon cœur soupirait après la présence de quelqu’un qui connût le prix de mon savoir et qui me fit connaître l’effet qu’il aurait fait sur lui.

Continuellement à la grille, j’attendais que mon bonheur m’envoyât ce que je souhaitais depuis si longtemps inutilement : je me faisais amie de toutes les pensionnaires que leurs frères venaient voir. En demandait-on quelqu’une, je ne manquais pas de passer sans affectation devant le parloir ; on m’appelait, j’y courais, et j’ose dire que ceux que j’y trouvais ne me voyaient pas impunément.

J’y examinais un jour un beau garçon, dont les yeux noirs et vifs me rendaient avec usure mes regards. Un sentiment délicat et piquant, détaché même du plaisir ordinaire que la présence des hommes me procurait, fixait agréablement mon attention sur lui. L’opiniâtreté de mes regards, qu’il avait d’abord reçus avec assez d’indifférence, anima les siens : il ne les détourna plus de dessus moi. Il n’était rien moins que timide, ou plutôt il était d’une hardiesse qui, soutenue des charmes de sa figure, lui répondait du succès avec toutes les femmes qu’il voudrait attaquer. Il profitait des moments que sa sœur détournait la vue pour me faire des signes auxquels je ne comprenais rien, mais que ma petite vanité voulait que je fisse semblant d’entendre, et que j’autorisais par des sourires qui l’enhardirent au point de lui faire faire des gestes que je compris parfaitement bien. Il porta la main entre ses cuisses : je rougis, et, malgré moi, j’en suivis du coin de l’œil le mouvement. Il la tira en me faisant signe avec la main gauche qu’il appuya au-dessus du poignet de la droite. Il ne fallait pas être bien savante pour sentir qu’il voulait dire que ce qu’il venait de toucher était de cette longueur. Son action m’avait mise en feu. La pudeur voulait que je m’éloignasse ; mais la pudeur fait une faible résistance quand le cœur est d’intelligence pour la trahir. L’amour me faisait rester. Je baissai timidement la vue, mais bientôt je reportai sur Verland (c’était son nom) des yeux que je voulais faire paraître irrités, et que le plaisir rendait languissants. Il le sentit ; il vit que je l’avais entendu ; il vit que je n’avais pas la force de le désapprouver ; il profita de ma faiblesse, et pour ne me rien laisser à désirer sur l’ardeur dont ses regards me témoignaient qu’il était animé, il joignit le premier doigt de sa main gauche avec le pouce, et mit dans cette espèce de fente le second doigt de sa main droite : il le poussait, le retirait et jetait des soupirs. Le fripon me rappelait par là des circonstances trop charmantes pour me laisser la force de lui témoigner la colère que méritait ce nouveau manque de respect. Ah ! Suzon, que j’étais contente de lui ! et que je me figurais que je l’aurais bien été davantage, si nous nous fussions trouvés seuls ; mais, quand nous l’aurions été, une grille impénétrable eût arrêté nos plaisirs.

Dans le moment on appela ma compagne ; elle nous dit qu’elle allait voir ce qu’on lui voulait et qu’elle ne tarderait pas à revenir. Son frère profita de cet instant pour s’expliquer plus clairement ; il ne me tint pas de grands discours, mais ils signifiaient beaucoup. Quoique le compliment ne fût pas extrêmement poli, il me parût si naturel que je m’en souviens toujours avec plaisir. Nous autres femmes, nous sommes plus flattées d’un discours où la nature parle toute seule, quelque peu mesurées que soient ses expressions, que de ces galanteries fades que le cœur désavoue et que le vent emporte. Revenons au compliment de Verland ; le voici : « Nous n’avons pas de temps à perdre ; vous êtes charmante, je bande comme un carme, je meurs d’envie de vous mettre ; enseignez-moi un moyen d’y passer dans votre couvent ».

Je fus si étourdie de ses paroles et de l’action dont il les dit, que je demeurai immobile, de façon qu’il eut le temps de passer la main au travers de la grille, de me prendre les tétons, de me les manier, et de me dire encore d’autres douceurs de la même force avant que je fusse revenue de ma surprise ; et quand j’en revins, je me trouvai si peu en état d’arrêter ses transports que sa sœur le surprit dans cette occupation : elle fit le lutin, me dit des injures, en dit à son frère, et je ne le revis plus.

Tout le couvent sut bientôt mon aventure : on chuchotait, on me regardait, on riait, on parlait, on se raillait. Je m’en inquiétais fort peu, pourvu que le murmure ne passât pas les pensionnaires. J’étais sûre de la discrétion des jolies, mais je ne l’étais pas trop de celles des laides, et celles-ci, qui étaient sûres de n’avoir jamais de pareilles occasions de pécher, crièrent au scandale, bas d’abord, puis haut, et si haut que les vieilles le surent. J’en avais ri au commencement : je tremblai alors, et j’avais bien raison de trembler, car les Mères discrètes assemblèrent le Conseil pour délibérer entre elles sur ce que l’on ferait à une effrontée qui se laissait toucher les tétons, crime irrémissible aux yeux d’une bande de vieilles momies qui n’avaient plus que des tétasses à jeter sur l’épaule. On trouva le cas grave : toute autre que moi eût été renvoyée. Que je l’aurais souhaité ! Mais je devais apporter une bonne dot. Ma mère les avait assurées qu’elle me ferait prendre le voile ; on me ménagea, et le résultat du Conseil fût qu’on me châtierait. On se mit en devoir de le faire : je l’avais prévu. Je m’étais cantonnée dans ma chambre : on força ma porte, on m’attaqua. Je mordis l’une, j’égratignai l’autre, je donnai des coups de pied, je déchirai des guimpes, j’arrachai des bonnets ; enfin, je me défendis si bien que je lassai mes ennemies au point de les faire renoncer à leur entreprise. Elles n’emportèrent de leur action que la honte d’avoir fait voir que six Mères n’avaient pu venir à bout d’une jeune fille : j’étais une lionne dans ce moment.

La rage et le soin de ma défense m’avaient jusqu’alors occupée toute entière. Je ne songeais qu’à donner le démenti aux vieilles, mais je devins bientôt aussi faible que j’étais hardie et vigoureuse un moment auparavant. La colère fit place au désespoir. Moins flattée du plaisir de me voir en sûreté que pénétrée de l’affront qu’on avait voulu me faire, j’avais le visage baigné de mes larmes. Comment reparaître dans le couvent ? disais-je. Je vais être moquée ; peu me plaindront, toutes me fuiront. Ah ! me voilà couverte de honte ! Mais je veux aller trouver ma mère, poursuivais-je ; elle pourra me blâmer, mais peut-être me pardonnera-t-elle. Un garçon m’a… eh bien, où est donc ce grand crime ? Y ai-je consenti ? C’est ainsi que je raisonnais. Oui, continuai-je, je vais la trouver.

Je me levai de dessus mon lit dans ce dessein, et j’y aurais été, si, en faisant un pas pour ouvrir ma porte, je n’eusse marché sur quelque chose qui roula et me fit tomber.

Je voulus voir ce qui pourrait m’avoir fait faire cette chute : je cherchai, je trouvai. Figure-toi ce que je devins à la vue d’une machine qui représentait au naturel une chose dont mon imagination m’avait fait souvent la peinture : un vit !

— Un vit ! eh, qu’est-ce que cela ? demandai-je à la Sœur.

— Ah ! me dit-elle, il ne tiendra qu’à toi de ne pas rester longtemps dans cette ignorance. Jolie comme tu es, que d’aimables cavaliers se trouveront heureux de pouvoir t’instruire ! Mais ils n’en auront pas la gloire : c’est à moi qu’elle est réservée. Un vit, ma chère Suzon, est le membre d’un homme : on l’appelle le membre par excellence, parce qu’il est le roi de tous les autres. Ah ! qu’il mérite bien ce nom ! Mais si les femmes lui rendaient la justice qu’il mérite, elles l’appelleraient leur Dieu. Oui, c’en est un : le con est son domaine, le plaisir est son élément, il va le chercher dans les replis les plus cachés ; il pénètre, il sonde, il le trouve, il s’y plonge, il le goûte, il le fait goûter ; il y naît, il y vit, il y meurt et renaît aussitôt pour le goûter encore. Mais ce n’est pas à lui seul qu’il doit tout son mérite. Soumis aux lois de l’imagination et de la vue, sans elles il ne peut rien ; il est mou, lâche, petit et n’ose se montrer. Avec elles, fier, ardent, impétueux, il menace, se lance, brise, renverse tout ce qui ose lui faire résistance.

— Attendez, dis-je à la Sœur, l’interrompant, vous oubliez que vous parlez à une novice. Mes idées se perdent dans votre éloge. Je sens que j’adorerai quelque jour ce Dieu dont vous parlez, mais il est encore étranger pour moi ; avant que d’aimer il faut connaître. Proportionnez vos expressions à la faiblesse de mes connaissances ; expliquez-moi d’une manière simple tout ce que vous venez de me dire.

— Je le veux bien, me répondit la Sœur. Le vit est mou, lâche et petit quand il est dans l’inaction, c’est-à-dire quand les hommes ne sont pas excités ou par la vue d’une femme, ou par les idées qui leur en viennent ; mais offrons-nous à leurs yeux, découvrons la gorge, laissons voir nos tétons, montrons-leur une taille fine, une jambe dégagée — les grâces d’un joli visage ne sont pas toujours nécessaires, — un rien les frappe, leur imagination travaille ; elle s’exerce, elle va pénétrer toutes les parties de notre corps ; elle se fait les plus beaux portraits ; elle donne de la fermeté à des tétons qui, souvent n’en ont guère ; elle présente un sein appétissant, un ventre blanc et poli, des cuisses rondes, potelées, fermes, une petite motte rebondie, un petit conin entouré de tous les charmes de la jeunesse : ils pensent alors qu’ils goûteraient des délices inexprimables s’ils pouvaient y mettre leur vit. Dans le moment, ce vit devient gros, s’allonge, se durcit, et plus il est gros, plus il est long, plus il est dur, plus il fait de plaisir à une femme, parce qu’il remplit davantage, il frotte bien plus fort, il entre bien plus avant, il produit des délices, des élancements qui vous ravissent.

— Ah ! dis-je à Monique, que ne vous dois-je pas ? je sais à présent les moyens de plaire, et je ne manquerai pas dans l’occasion de me découvrir la gorge, de montrer mes tétons.

— Prends-y garde me dit la Sœur, ce n’est pas là le vrai moyen de plaire ; il faut plus d’art que tu ne penses : les hommes sont bizarres dans leurs désirs, ils seraient fâchés de devoir à notre facilité des plaisirs qu’ils ne peuvent pourtant pas goûter sans nous ; leur jalousie les indispose contre tout ce qui ne vient pas d’eux-mêmes ; ils veulent qu’on ne leur présente les objets que couverts d’une gaze légère, qui laisse quelque chose à faire à leur imagination, et les femmes n’y perdent rien ; elles peuvent se reposer sur l’imagination des hommes du soin de peindre leurs charmes : libérale pour ce qui la flatte, elle ne les peindra pas à leur désavantage. Tu ne sais pas que c’est cette peinture, que les hommes se font, qui fait naître leurs désirs, ou l’amour, c’est la même chose, car quand on dit, Monsieur… est amoureux de Madame… c’est la même chose que si l’on disait, Monsieur… a vu Madame… sa vue a excité des désirs dans son cœur, il brûle d’envie de lui mettre son vit dans le con. Voilà véritablement ce que cela veut dire, mais comme la bienséance ne veut pas qu’on dise ces choses-là, on est convenu de dire, Monsieur… est amoureux.

Charmée de tout ce que la Sœur me disait, je ne me sentais que plus d’impatience de savoir le reste de son histoire, je la pressai de la continuer ; volontiers, reprit-elle, nous nous sommes un peu arrêtées, mais ce détail était nécessaire pour ton instruction.

Revenons à la surprise que me causa la vue de cette machine que je venais de ramasser.

J’avais mille fois ouï parler de godmiché ; je savais que c’était avec cet instrument que nos bonnes Mères se consolaient des rigueurs du célibat. Cette machine imite le vit ; elle est destinée à en faire les fonctions ; elle est creuse et s’emplit de lait chaud pour rendre la ressemblance plus parfaite et suppléer par ce lait artificiel à celui que la nature fait couler du membre d’un homme. Quand celles qui s’en servent se sont mises, par un frottement réitéré, dans la situation d’avoir besoin de quelque chose de plus, elles lâchent un petit ressort : le lait part et les inonde. Elles trompent ainsi leurs désirs par une imposture dont la douceur leur fait oublier celles de la réalité.

Je jugeai que l’agitation avait fait tomber ce précieux bijou de la poche de quelqu’une des Mères qui m’étaient venues attaquer. Je n’étais pourtant pas sûre que ce fût véritablement un godmiché ; mais mon cœur me le disait. Cette vue dissipa toute ma douleur : je ne pensai plus qu’à ce que je tenais dans la main, et je voulus sur-le-champ en faire l’essai. Sa grosseur m’effrayait à la vérité, mais elle m’animait. Mes craintes cédèrent bientôt à l’ardeur que sa vue m’inspirait. Une douce chaleur, avant-coureur du plaisir que j’allais goûter, se répandit par tout mon corps ; il tremblait de l’émotion où j’étais, et je poussais de longs soupirs.

Je commençai par bien fermer ma porte de peur de nouvelle surprise ; et, sans quitter les yeux de dessus le godmiché, je me déshabillai avec toute l’ardeur d’une jeune mariée que l’on va mettre dans le lit nuptial. L’idée du secret qui devait ensevelir les plaisirs dont j’allais m’enivrer leur donnait une pointe de vivacité qui m’enchantait. Je me jetai sur mon lit, mon cher godmiché à la main ; mais, ma chère Suzon, quelle fut ma douleur quand je vis que je ne pouvais pas le faire entrer ! Je me désespérai, je fis des efforts capables de déchirer mon pauvre petit conin. Je l’entr’ouvrais, et, appuyant le godmiché dessus, je me faisais un mal insupportable. Je ne me rebutai pas. Je crus que si je me frottais avec de la pommade, cela m’ouvrirait davantage. J’en mis ; j’étais en sang, et ce sang, mêlé avec la pommade et ce que la fureur où j’étais faisait sortir de mon con avec un plaisir qui me transportait, aurait sans doute ouvert le passage, si l’instrument n’eût été d’une grosseur prodigieuse.

Je voyais le plaisir près de moi et je n’y pouvais atteindre. J’étais forcenée, je redoublais mes efforts, mais inutilement. Le godmiché maudit rebondissait et ne me laissait que la douleur. Ah ! m’écriai-je, si Verland était ici, l’eût-il encore plus gros, je me sens assez de courage pour le souffrir. Oui, je le souffrirais, je le seconderais, dût-il me déchirer, dussé-je en mourir ; je mourrais contente, pourvu qu’il me le mît. S’il me faisait de la douleur, reprenais-je, que les plaisirs qu’il me donnerait rendraient cette douleur bien douce ! Je le tiendrais dans mes bras, je le serrerais étroitement, il me serrerait de même ; je collerais sur sa bouche vermeille des baisers enflammés ; je les prodiguerais sur ses yeux, ses beaux yeux noirs et pleins de feux ; il me tiendrait dans ses bras ; quelle volupté ! Il répondrait à mes transports par des transports aussi vifs ; j’en ferais mon idole ! Oui, je l’adorerais : un beau garçon comme lui mérite bien de l’être. Nos âmes se confondraient : elles s’uniraient sur nos lèvres brûlantes. Ah ! cher Verland, pourquoi n’es-tu pas ici ? Quelles délices ! L’amour en inventerait pour nous, je me livrerais à tout ce que ma passion m’inspirerait. Mais hélas ! reprenais-je, pourquoi m’abuser par une si douce illusion ? Je suis seule, hélas ! je suis seule, et, pour comble de douleur, je tiens dans mes mains une ombre, une apparence de plaisir, qui ne sert qu’à augmenter mon désespoir, qui m’inspire des désirs sans pouvoir les satisfaire. Instrument maudit, continuai-je en apostrophant le godmiché et en le jetant au milieu de ma chambre avec rage, va faire les délices d’une malheureuse à qui tu peux servir ; tu ne feras jamais les miennes : mon doigt vaut mille fois mieux que toi ! J’y eus aussitôt recours et je me donnai tant de plaisir que j’oubliai la perte de ceux que je m’étais promise d’avoir avec le godmiché. Je tombai épuisée de lassitude et m’endormis en pensant à Verland.

Je ne me réveillai le lendemain que fort tard ; le sommeil avait amorti mes transports amoureux mais n’avait rien changé à la résolution que j’avais prise de sortir du couvent. Les mêmes raisons qui m’avaient déterminée à prendre cette résolution me firent encore sentir avec plus de force la nécessité de l’exécuter. Je me regardai dès lors comme libre, et le premier usage que je fis de ma liberté fut de me tranquilliser au lit jusqu’à dix heures. La cloche eut beau sonner, je ne parus pas. Je m’applaudissais du dépit que ma désobéissance devait causer à nos vieilles. Je me levai à la fin, je m’habillai ; et pour me mettre dans l’obligation de suivre mon dessein, je commençai par déchirer mon voile de pensionnaire, que je regardais comme une marque de servitude.

Je me sentis le cœur plus libre : il me semblait que je venais de franchir une barrière qui, jusque-là, s’était opposée à ma liberté. Mais comme j’allais et je venais dans ma chambre, ce maudit godmiché se présente encore à mes yeux. Cette vue me rend immobile ; je m’arrête, je le prends ; je vais m’asseoir sur mon lit, je me mets à considérer l’instrument. Qu’il est beau ! disais-je en le prenant avec complaisance dans la main, qu’il est long, qu’il est doux ! C’est dommage qu’il soit si gros : à peine ma main peut-elle l’empoigner ! Mais il m’est inutile… Non, jamais il ne pourra me servir, continuai-je en levant ma jupe et en essayant de nouveau de le faire entrer dans un endroit qui me faisait encore une douleur cuisante des efforts que j’avais faits la veille. J’y trouvai les mêmes difficultés, et il fallut encore me contenter de mon doigt. Je travaillai avec tout le courage que la vue de l’instrument m’inspirait, et je poussai les choses au point que, les forces me manquant, je demeurai insensible au plaisir même que je me donnais ; ma main n’allait plus que machinalement, et mon cœur ne sentait rien. Ce dégoût momentané me fit naître une idée qui me flatta beaucoup.

Je vais sortir, me dis-je, je n’ai plus rien à ménager ; sortons avec éclat : je veux porter cet instrument à la Mère supérieure ; nous verrons comment elle soutiendra cette vue.

Je jouissais d’avance, en allant à l’appartement de la Supérieure, de la confusion que j’allais lui causer en lui montrant le godmiché. Je la trouvai seule ; je l’abordai d’un air libre :

— Je sais bien, lui dis-je, Madame, qu’après ce qui s’est passé hier et l’affront que vous avez voulu me faire, je ne peux plus rester avec honneur dans votre couvent. (Elle me regardait avec surprise et sans me répondre, ce qui me donna la liberté de continuer.) Mais, Madame, sans en venir à de pareilles extrémités, si j’avais fait une faute, — et c’est de quoi je ne conviens pas, puisque la violence que l’indigne Verland me faisait, m’ôtait la liberté de me défendre — vous auriez pu vous contenter de me faire une réprimande ; quoique je ne l’eusse pas méritée, je l’aurais soufferte, et je me serais bornée à gémir sans me plaindre, puisque les apparences parlaient contre moi.

— Une réprimande, Mademoiselle, me répondit-elle alors sèchement, une réprimande pour une action comme la vôtre ! Vous méritiez une punition exemplaire, et sans les égards que nous avons pour Madame votre mère, qui est une sainte dame, vous…

— Vous ne punissez pas toutes les coupables, interrompis-je vivement, et vous en avez dans le couvent qui font bien autre chose !

— Bien autre chose ! reprit-elle ; nommez-les moi, je les châtierai.

— Je ne vous les nommerai pas, lui répondis-je, mais je sais qu’il y en avait une parmi celles qui m’ont hier traitée avec tant d’indignité.

— Ah ! s’écria-t-elle, c’est pousser trop loin l’effronterie ! c’est pousser la corruption du cœur et le dérèglement de l’esprit jusqu’où ils peuvent aller ! Juste ciel ! joindre la calomnie aux actions les plus criminelles, accuser les plus saintes de nos Mères, des exemples de vertu, de chasteté et de pénitence, quelle dépravation de cœur !

Je lui laissai tranquillement achever son éloge, et quand je vis qu’elle s’arrêtait, je tirai froidement le godmiché de dessous ma robe, et le lui présentant :

— Voilà, lui dis-je du même air, une preuve de leur sainteté, de leur vertu, de leur chasteté, ou du moins de l’une d’elles !

J’examinais pendant ce temps-là le visage de notre bonne Supérieure. Elle me regardait, elle rougissait, elle était interdite : ces témoignages involontaires ne me laissèrent pas douter que le godmiché ne fût à elle ; j’en fus encore plus convaincue par son ardeur à me l’ôter des mains.

— Ah ! ma chère enfant, me dit-elle (la restitution que je venais de lui faire m’avait réconciliée avec elle), ah ! ma chère fille, se peut-il que dans une maison où il y a tant d’exemples d’édification, il se trouve des âmes assez abandonnées de Dieu pour faire usage d’une pareille infamie ? Ah ! mon Dieu ! j’en suis toute hors de moi. Mais, ma chère fille, ne dites jamais que vous avez trouvé cela : je serais forcée d’user de sévérité, de faire des recherches, et je veux prendre le parti de la douceur. Mais vous, ma chère enfant, pourquoi voulez-vous nous quitter ? Allez, retournez à votre chambre, je raccommoderai tout ; je dirai qu’on s’est trompé. Comptez sur mon affection, car je vous aime beaucoup. Soyez sûre qu’on ne vous en verra pas de plus mauvais œil, malgré ce qui s’est passé. Je vois bien qu’effectivement nous avons eu tort de vous traiter comme cela : vous n’étiez pas coupable. Je parlerai sur le bon ton à mademoiselle Verland. Jésus, mon Dieu ! continuait-elle en regardant le godmiché, que le démon est malin ! Je crois, le ciel me pardonne, que c’est un… Ah ! la vilaine chose !

Au moment que la Supérieure achevait ces mots, ma mère entra.

— Qu’ai-je donc appris, Madame ? dit-elle à la Supérieure ; et sur-le-champ m’adressant la parole : Et vous, Mademoiselle, pourquoi vous trouvez-vous ici ?

Il fallait répondre, j’étais déconcertée, je rougissais, je baissais les yeux ; on me pressa, je bégayai.

La Supérieure prit la parole pour moi ; elle le fit avec esprit. Si elle ne me donna pas tout à fait le tort dans la conduite qu’on avait tenue avec moi, elle ne me chargea pas assez pour faire croire que je fusse bien coupable. Ma faute passa pour une imprudence où le cœur n’avait eu aucune part, pour une violence de la part d’un jeune téméraire, que l’on promit bien de ne plus laisser revenir à la grille, et on conclut qu’il n’y avait que mademoiselle Verland de criminelle, puisque c’était elle qui avait fait éclater une chose qu’elle devait taire, si ce n’était pour l’honneur de son frère, du moins pour le mien, qui, pourtant, n’en souffrirait point, parce que, dit la Supérieure, elle voulait réparer l’insulte que l’on m’avait faite. Je n’en pouvais pas souhaiter davantage. Je sortais blanche comme neige d’une aventure, où, sans me faire injure, on pouvait mettre le tort de mon côté ; mais je n’avais garde d’en tomber d’accord. Ma mère me plaignit et me parla avec une douceur qui me toucha.

Les âmes zélées pour la gloire de Dieu savent tirer profit de tout. Il fut arrêté entre la Supérieure et ma mère qu’ayant eu le malheur de scandaliser, quoique involontairement, mon prochain, je devais me réconcilier avec le Père des miséricordes et m’approcher du très saint sacrement de la pénitence. On me fit là-dessus bien des exhortations, que je passe pour ne pas t’ennuyer.

Ma mère m’avait presque convertie avec ses sermons. Cependant, la peine que je sentais à avouer mes fautes aurait dû me faire douter de ma conversion, et le Père Jérôme m’en arrachait la confession plutôt que je ne le lui faisais. Dieu quel plaisir il avait, ce vieux pécheur ! Je ne lui en avais jamais tant dit ; encore ne sut-il pas tout ; car je ne crois pas que Dieu puisse faire un grand crime à une pauvre fille de chercher à se soulager quand elle est pressée. Elle ne s’est pas faite elle-même ; est-ce sa faute si elle a des désirs, si elle est amoureuse ? Est-ce sa faute si elle n’a pas un mari pour la contenter ? Elle cherche à apaiser ces désirs qui la dévorent, ce feu qui la brûle ; elle se sert des moyens que la nature lui donne : rien n’est moins criminel.

Malgré les petits mystères que j’avais faits au Père Jérôme, je ne laissais pas d’être pénétrée. Était-ce repentir ? Non. La véritable cause était le refus que le Père avait fait de me donner l’absolution. Je craignais qu’il ne fournît une nouvelle matière à la médisance ; j’en étais touchée jusqu’aux larmes. Je craignais qu’en allant offrir ma confusion aux yeux de mes ennemies, je ne leur donnasse un nouveau sujet de triompher. J’allai me placer sur un prie-dieu, vis-à-vis de l’autel ; mes pleurs m’assoupirent, je m’endormis. J’eus pendant mon sommeil le rêve le plus charmant ; je songeais que j’étais avec Verland, qu’il me tenait dans ses bras, qu’il me pressait avec ses cuisses. J’écartai les miennes, je me prêtais à tous ses mouvements. Il me maniait les tétons avec transport, les serrait, les baisait. L’excès du plaisir me réveilla : j’étais réellement dans les bras d’un homme !…

Encore tout occupée des délices de mon songe, je crus que mon bonheur changeait l’illusion en réalité. Je crus être avec mon amant : ce n’était pas lui ! On me tenait étroitement embrassée par derrière. Au moment que j’ouvris les yeux, je les refermai de plaisir et je n’eus pas la force de regarder celui qui me le donnait. Je me sentis inondée d’une liqueur chaude, et quelque chose de dur et de brûlant que l’on m’enfonçait en jetant des soupirs. Je soupirais aussi, et dans le moment une liqueur semblable que je sentais s’échapper de toutes les parties de mon corps avec des élancements délicieux, se mêlant avec celle que l’on répandait une seconde fois, me fit retomber sans mouvement sur mon prie-dieu.

Ce plaisir qui, s’il durait toujours, serait plus piquant mille fois que celui qu’on goûte dans le ciel, hélas ! ce plaisir finit trop tôt. Je fus saisie de frayeur en pensant que j’étais seule, pendant la nuit, dans le fond d’une église : avec qui ? je ne le savais pas ; je n’osais m’en éclaircir, je n’osais remuer ; je fermais les yeux, je tremblais. Mon tremblement augmenta encore quand je sentis qu’on me pressait la main et qu’on la baisait. Le saisissement m’empêcha de la retirer ; je n’en avais pas la hardiesse ; mais je me rassurai un peu en entendant dire à mes oreilles, d’une voix basse :

— Ne craignez rien ; c’est moi !

Cette voix, que je me souvenais confusément d’avoir entendue, me rendit le courage, et j’eus la force de demander qui c’était, sans pourtant avoir celle de regarder.

— Eh ! c’est Martin, me répondit-on, le valet du Père Jérôme.

Cette déclaration dissipa ma frayeur. Je ne craignis plus de lever les yeux, je le reconnus. Martin était un petit blond, éveillé, joli, amoureux. Ah ! qu’il l’était ! Il tremblait à son tour et attendait ma réponse pour fuir ou me baiser encore. Je ne lui fis pas, mais je le regardai d’un air riant, avec des yeux qui se ressentaient encore du plaisir que je venais de goûter. Il vit bien que ce n’était pas un signe de colère : il se jeta dans mes bras avec passion ; je le reçus de même, et sans penser que quelqu’un, s’apercevant que je manquais dans le couvent, pourrait venir et nous trouver ensemble… Te dirai-je ? L’amour rend tout excusable. Sans respect pour l’autel sur les marches duquel nous étions, Martin me pencha un peu, me leva les jupes, me porta la main partout ; aussi passionnée que lui, je portai la mienne à son vit : j’eus pour la première fois de ma vie le plaisir d’en manier un !

Ah ! que le sien était joli ! petit, mais long, et tel qu’il me le fallait. Quel feu ! quelle démangeaison voluptueuse se coula sur-le-champ par tout mon corps ! J’étais muette, je serrais ce cher vit dans ma main ; je le considérais, je le caressais, je l’approchais de mon sein, je le portais à ma bouche, je le suçais ; je l’aurais avalé ! Martin avait le doigt dans mon con, le remuait doucement, le tirait, le remettait et renouvelait ainsi mes plaisirs à chaque instant ; il me baisait, me suçait le ventre, la motte et les cuisses ; il les quittait pour porter des lèvres brûlantes sur ma gorge. Je fus en un moment toute couverte de ses baisers. Je ne pus pas tenir contre ces attaques de plaisir. Je me laissai tomber, l’attirant doucement à moi avec mon bras droit dont je le serrais amoureusement ; je le baisais à la bouche, tandis que de la main gauche, tenant l’objet de tous mes vœux, je tâchais de me l’introduire et de me procurer un plaisir plus solide. Un égal transport le fit coucher sur moi : il se mit à pousser.

— Arrête, lui dis-je d’une voix entrecoupée par mes soupirs, arrête mon cher Martin ; ne va pas si vite, restons un moment.

Aussitôt, me coulant sous lui et écartant les cuisses le plus qu’il m’était possible, je joignis les jambes sur ses reins. Mes cuisses étaient collées contre ses cuisses ; son ventre contre mon ventre, son sein contre mon sein, sa bouche sur ma bouche : nos langues étaient unies, nos soupirs se confondaient. Ah ! Suzon, quelle charmante posture ! Je ne pensais à rien au monde, pas même au plaisir que j’avais, n’étant occupée qu’à le sentir. L’impatience m’empêcha de le goûter plus longtemps. Je fis un mouvement. Martin en fit autant, et notre bonheur s’évanouit ; mais avant que de le perdre, nous sentîmes combien il était grand : il semblait qu’il eût ramassé ses traits les plus vifs et les plus ravissants pour nous en accabler. Nous restâmes sans sentiment, n’ouvrant les yeux que pour nous presser de nouveau ; le plaisir se refusait à nos efforts.

Il est temps, poursuivit Monique, de t’apprendre, Suzon, ce que c’était que cette eau bénite dont le Père Jérôme t’arrosa un jour la gorge en te donnant l’absolution.

Ma première action, quand Martin fut retiré de mes bras, fut de porter la main où j’avais reçu les plus grands coups. Le dedans, le dehors, tout était couvert de cette liqueur dont l’effusion m’avait fait tant de plaisir ; mais elle avait perdu toute sa chaleur et était froide alors comme la glace. C’était du foutre. On appelle ainsi une matière blanche et épaisse qui sort du vit ou du con quand on décharge. La décharge est l’action qui suit ce frottement voluptueux par où l’on prélude.

— Comment, dis-je à Monique, c’en était donc que vous répandiez tout à l’heure ?

— Oui vraiment, me dit-elle, et tu m’en as donné aussi, petite friponne ! N’as-tu pas senti ton petit conin tout mouillé ? C’en était, mais, ma chère petite, le plaisir que tu as senti est mille fois au-dessous de celui qu’on goûte dans les bras d’un homme, car ce qu’il nous donne se mêlant avec ce que nous lui donnons, il rentre, nous pénètre, nous enflamme, nous rafraîchit, nous brûle. Quelles délices, Suzon ! Ah ! ma chère Suzon, elles sont au-dessus de l’expression, au-dessus de l’imagination même ! Mais écoute le reste de mon aventure, poursuivit-elle.

J’étais bien chiffonnée, comme tu peux croire, après l’exercice amoureux que je venais de faire : je me remis le mieux qu’il me fut possible et je demandai à Martin quelle heure il était.

— Oh ! il n’est pas tard, me répondit-il, et je viens d’entendre la cloche du souper.

— Je me passerai bien d’y aller, repris-je ; je vais vite me coucher ; mais avant que je te quitte, apprends-moi, mon cher Martin, par quel hasard tu t’es trouvé ici, comment as-tu osé me venir…

— Oh ! pardi ! me répondit-il, ce n’est pas la hardiesse qui me manque. Mais v’là comme ça été : j’étais venu pour parer l’église, car comme vous savez, c’est demain bonne fête ; je vous ai aperçue. M’est avis, ai-je dit à part moi en vous reluquant, que v’là une demoiselle qui prie bian le bon Dieu ! Pardi ! ce me suis-je fait, y faut qu’alle ait bian la rage de la dévotion pour s’en venir à c’t’heure-ci dans l’église, pendant que tretoutes prennent leur becquée ! Mais ne dormirait-elle pas aussi ? ce me suis-je dit, voyant qu’ous ne bronchiez ni pied ni patte. Pardi ! je le croirais bian. Voyons un peu ça. Je me suis stapendant approché tout fin près de vous, et j’ai vu qu’ous dormiais. Je sis resté là un petit bout de temps à vous lorgner, et pendant ce temps-là mon cœur faisait tic toc, tic toc.

Le guiable est bian fin : « Martin, m’a-t-il corné aux oreilles, alle est bian jolie au moins : v’là un biau coup à faire, mon enfant ; si tu laisses échapper c’t’occasion-là, tu ne la retrouveras pas ; avise-toi, Martin. » Pardi ! je me sis avisé tout de suite. J’ai levé tout doucement voutre collerette, et j’ai vu deux petits tétons bian blancs. Pardi ! j’ai mis la main dessus, et pis je les ai baisés aussi tout doucement ; et pis voyant qu’ous dormiais comme un sabot, j’ai eu envie de faire autre chose, et c’t’autre chose-là, je l’ai faite en vous troussant bravement voutre cotillon par derrière ; et pis j’ai poussé ; et pis, dame, vous savez le reste.

Malgré son langage grossier, l’air d’ingénuité avec lequel Martin s’expliquait me charmait.

— Eh bien, lui dis-je, mon cher ami, as-tu eu bien du plaisir ?

— Oh ! pardi ! me répondit-il en m’embrassant, j’en ai tant eu que je sis prêt à recommencer, si vous voulez.

— Non, pas pour le présent, lui dis-je ; peut-être s’apercevrait-on de quelque chose ; mais tu as la clef de l’église ; si tu veux venir demain à minuit, tiens la porte ouverte : je viendrai te trouver, entends-tu, Martin ?

— Oh ! morgué ! me répondit-il, c’est bian dit ; nous nous en donnerons à cœur-joie ; nous n’aurons pas d’espions à c’t’heure-là.

Je l’assurai que je m’y trouverais. La réflexion me fit résister à mon envie et aux prières de Martin, qui voulait que nous fissions cela encore une petite fois, disait-il, avant que de nous quitter. Mon refus l’aurait plongé dans la tristesse, si je ne l’eusse consolé par l’espérance du lendemain. Nous nous embrassâmes, je rentrai dans le couvent et je regagnai heureusement ma chambre sans avoir été aperçue.

Tu devineras facilement que je mourais d’impatience de me visiter et de savoir en quel état j’étais après les assauts que je venais d’essuyer. Je sentais une vive cuisson ; à peine pouvais-je marcher. J’avais pris une lumière au dortoir ; je tirai bien mes rideaux pour n’être vue de personne, et, m’étant assise sur ma chaise, une jambe sur mon lit et l’autre sur le plancher, je fis mon examen. Quelle fut ma surprise lorsque je trouvai que mes lèvres, qui étaient auparavant si fermes et si rebondies, étaient devenues toutes molles et comme flétries ! Les poils qui les couvraient d’espace en espace, quoiqu’ils se ressentissent encore de l’humidité, formaient mille petites boucles. L’intérieur était d’un rouge vif et enflammé, il était d’une sensibilité extrême. La démangeaison m’y faisait porter le doigt et, sur-le-champ, la douleur me forçait de le retirer. Je me frottais contre les bras de mon fauteuil et je le couvrais des marques de la vigueur de Martin. Le plaisir combattait contre la fatigue ; mais mes yeux s’appesantissaient insensiblement. Je me couchai et je dormis d’un sommeil qui ne fut interrompu que par des songes charmants qui me rappelaient les délices que j’avais goûtées.

On ne me dit rien le lendemain sur mon absence ; on la regarda comme un reste du ressentiment que je devais avoir du traitement que l’on m’avait fait. Je gardai un air fier qui confirma cette pensée. J’assistai comme les autres à l’Office ; toutes mes compagnes communièrent, moi je ne communiai pas, et, à te dire vrai, je m’étais mise au-dessus de la honte de ne pas suivre leur exemple. L’amour dissipe bien des préjugés. La présence de mon petit amant, que je voyais rôder dans l’église, me dédommageait assez. Plus d’une parmi mes compagnes aurait bien quitté au même prix la nourriture spirituelle où elles couraient.

Je jetais sur mon amant plus de regards amoureux que je n’en jetais de dévotion sur l’autel. Aux yeux d’une femme du monde, Martin n’aurait été qu’un polisson : à mes yeux, c’était l’amour même : il en avait la jeunesse, il en avait toutes les grâces. La connaissance de son mérite caché me faisait passer légèrement sur la négligence de son extérieur. Je m’aperçus cependant qu’il s’était accommodé ce jour-là et qu’il tâchait de se donner meilleur air qu’à l’ordinaire. Je lui sus bon gré de son attention, que j’aimai mieux attribuer à l’envie de me plaire qu’au mérite de la fête qu’on célébrait. Rien n’échappe aux yeux d’une amante. Je le voyais qui jetait les yeux du côté des pensionnaires et tâchait de me découvrir. Je ne voulais pas qu’il me reconnût ; j’avais soin de me cacher ; mais j’aurais été fâchée qu’il n’eût pas pris cette peine inutile. Que veux-tu ? j’en étais amoureuse, mais amoureuse à la rage. Juge si j’attendis avec impatience que la nuit fut venue pour lui tenir la parole que je lui avais donnée.

Elle vint enfin, cette nuit si ardemment souhaitée. Minuit sonna. Ah ! que je sentis alors de trouble ! je ne traversai le corridor qu’en tremblant, et quoique tout le monde fut enfoncé dans le sommeil, je croyais les yeux de tout le monde ouverts sur moi. Je n’avais, pour me conduire, d’autre lumière que celle de mon amour. Ah ! disais-je en marchant à tâtons dans l’obscurité, si Martin m’avait manqué de parole, j’en mourrais de douleur ! Il était au rendez-vous, mon cher Martin, aussi amoureux, aussi impatient que j’avais été ponctuelle. J’étais vêtue fort légèrement ; il faisait chaud, et je m’étais aperçue la veille que les jupes, les corps, les mouchoirs de gorge, tout cela était trop embarrassant. Sitôt que je sentis la porte ouverte, un tressaillement de joie me coupa la parole. Je ne la recouvrai que pour appeler mon cher Martin à voix basse : il m’attendait ; il accourut dans mes bras, il me baisait ; je lui rendais caresse pour caresse. Nous nous tînmes longtemps étroitement serrés, mais revenus de ces premiers mouvements de notre joie, nous cherchâmes réciproquement à en exciter de plus grands. Je portai la main à la source de mes plaisirs ; il porta la sienne où il savait que je l’attendais avec impatience. Il fut bientôt en état de la contenter. Il se déshabilla, me fit un lit de ses habits ; je me couchai dessus. Nos plaisirs se succédèrent pendant deux heures avec une rapidité, avec des mouvements de vivacité qui ne me laissaient pas le temps de les désirer ; nous nous y livrions comme si nous ne les eussions pas encore goûtés, comme si nous ne dussions plus les goûter. Dans le feu du plaisir, on ne songe guère à ménager les moyens de l’entretenir. L’ardeur de Martin ne répondait plus à la mienne ; il fallut s’arracher des bras de l’amour, il fallut se retirer.

Notre bonheur ne dura guère plus d’un mois, et j’y comprends le temps que la nécessité faisait donner au repos. Quoiqu’il ne fût pas rempli par le plaisir de voir mon amant, il l’était par celui de penser à lui et par les agréables idées qui disposaient mon cœur aux délices que sa présence ramenait. Ah ! que les nuits heureuses que j’ai passées dans ses bras ont coulé rapidement, et que celles qui les ont suivies ont été longues !

Redouble ton attention, ma chère Suzon, redouble-moi tes promesses de m’être toujours fidèle et de ne jamais révéler un secret que je n’ai jamais confié qu’à toi. Ah ! Suzon, qu’il est dangereux d’écouter un penchant trop flatteur et de s’y livrer sans réflexion ! Si les plaisirs que j’avais goûtés étaient délicieux, l’inquiétude qui les suivit me les fit payer bien cher. Que je me repentis d’avoir été trop amoureuse ! Les suites de ma faiblesse se présentèrent à mon imagination avec des circonstances affreuses. Je pleurai, je gémis…

— Que vous arriva-t-il donc ? lui demandai-je.

— Je m’aperçus, me répondit-elle, que mes règles ne coulaient plus ; il y avait huit jours que le temps de les avoir était passé, elles ne paraissaient pas ; j’en fus surprise. J’avais souvent ouï dire que cette interruption était un signe de grossesse. J’étais continuellement attaquée de maux de cœur, de faiblesses. Ah ! m’écriai-je, il n’est que trop vrai, malheureuse ! Hélas ! je le suis, il n’en faut plus douter, je suis grosse ! Un torrent de larmes succédait à ces accablantes réflexions.

— Vous étiez grosse ! dis-je à la Sœur avec étonnement. Ah ! chère Monique, eh ! comment avez-vous fait pour en dérober la connaissance à des yeux intéressés ?

— Je n’eus, me répondit-elle, que la douleur de savoir mon malheur, et non celle d’en essuyer les suites. Martin l’avait causé, il m’en délivra. La découverte que j’avais faite ne m’empêchait pas de me rendre toujours à nos rendez-vous ; j’étais inquiète, j’étais tremblante, mais j’étais encore plus amoureuse. Le poids victorieux du plaisir m’entraînait. Qu’en peut-il arriver davantage ? disais-je. Mon malheur est à son comble. Que ce qui me l’a causé serve du moins à m’en consoler !

Une nuit, après avoir reçu de Martin ces témoignages d’un amour ordinaire qui ne se ralentissait pas, il s’aperçut que je soupirais tristement et que ma main, qu’il tenait dans la sienne, était tremblante (quand ma passion était satisfaite, l’inquiétude reprenait dans mon cœur la place que l’amour y occupait un moment avant) ; il me demanda avec empressement la cause de mon agitation et se plaignit tendrement du mystère que je lui faisais de mes peines.

— Ah ! Martin, lui dis-je, mon cher Martin, tu m’as perdue ! Ne dis pas que mon amour pour toi n’est plus le même, j’en porte dans mon sein une preuve qui me désespère : je suis grosse !

Une pareille nouvelle le surprit. L’étonnement fit place à une profonde rêverie ; je ne savais qu’en penser. Martin était toute mon espérance dans cette circonstance cruelle ; il balançait : que devais-je en penser ? Peut-être, disais-je, abattue par son silence, peut-être médite-t-il sa fuite ? Il va m’abandonner à mon désespoir. Ah ! qu’il reste ! j’aime mieux perdre la vie en l’aimant que mourir faute de le haïr ! Je versais des larmes, il s’en aperçut. Aussi tendre, aussi fidèle que je craignais de le voir perfide, tandis que je le croyais occupé du soin de se dérober à mon amour, il ne l’était que de celui de tarir mes pleurs en me délivrant de leur cause. Il m’annonça, en m’embrassant avec tendresse, qu’il en avait trouvé le moyen. La joie que me causa cette promesse n’égala pas celle de m’être trompée dans mes soupçons ; il me rendait la vie. Charmée des assurances qu’il me donnait, je fus curieuse de savoir quel était ce moyen qu’il prétendait employer pour me délivrer de mon fardeau. Il me dit qu’il voulait me donner d’une boisson qui était dans le cabinet de son maître, et dont la Mère Angélique avait fait l’expérience avant moi. Je voulus savoir ce que le Père Jérôme pouvait avoir de particulier avec cette Mère. Je la haïssais mortellement, parce qu’elle avait paru une des plus animées contre moi le jour de l’aventure de la grille. Je l’avais toujours prise pour une vestale ; que je me trompais ! D’autant plus sévère qu’elle savait mieux déguiser son caractère vicieux, qu’elle voilait sous des apparences de la vertu ses inclinations corrompues, elle était en intrigue réglée avec le Père Jérôme. Martin m’en apprit toutes les circonstances. Il me dit qu’en furetant dans les papiers de son maître, il avait trouvé une lettre où elle lui marquait qu’elle se trouvait, pour l’avoir trop écouté, dans le même embarras où je me trouvais pour avoir trop écouté Martin ; que le Père lui avait envoyé une petite fiole de cette liqueur dont je devais user ; que la Mère, en recevant le présent, avait parue transportée de joie, et qu’il en avait trouvé une seconde lettre par laquelle elle marquait à son vieil amant que la liqueur avait fait merveilles ; qu’on n’avait plus aucune incommodité, et qu’on était prête à recommencer.

— Ah ! mon cher ami, dis-je à Martin, apporte-moi dès demain de cette liqueur : tu me tireras de toutes mes peines !

Et portant mes vues plus loin, je crus que par le moyen de ces lettres je pourrais servir ma vengeance et ma haine contre la Mère Angélique : je les demandai à Martin qui, ne sentant pas combien cette imprudence nous coûterait cher, crût me marquer son amour en me les apportant le lendemain avec ce qu’il m’avait promis.

J’avais fait réflexion que la lumière pourrait me trahir, si on en apercevait dans ma chambre à pareille heure. Je modérai l’impatience où j’étais de lire les lettres de la Mère ; j’attendis que le jour parût, il vint, je lus : elles étaient écrites d’un style passionné, et aussi peu mesuré que la figure et les manières de celle qui les avait écrites l’étaient beaucoup. Elle y peignait sa fureur amoureuse avec des traits, avec des expressions dont je ne l’aurais jamais crue capable ; enfin, elle ne se gênait pas, parce qu’elle comptait que le Père Jérôme aurait la précaution, comme elle le lui marquait, de brûler ces lettres. Il avait eu l’imprudence de n’en rien faire, et je triomphais. Je songeai longtemps de quelle manière je devais me servir de ces lettres pour perdre mon ennemie. Les rendre moi-même à la Supérieure, il n’y avait pas d’apparence, c’était une démarche trop dangereuse pour moi : il aurait fallu rendre compte de la façon dont je les avais eues ; les faire rendre par quelqu’un, ç’aurait été l’exposer à des questions dont il ne serait peut-être pas sorti à son honneur et qui auraient pu entraîner ma perte. Je choisis un autre parti, qui fut de les porter moi-même à la porte de la Supérieure au moment que je saurais qu’elle devait rentrer. Je m’arrêtai à cette idée. Imprudente que j’étais ! Je devais brûler ces lettres. Que de chagrins je m’apprêtais ! Je m’enlevais mon amant ! Cette réflexion, si elle me fût venue, aurait éteint mon ressentiment. Quelque douceur que la vengeance me présentât, aurait-elle un moment balancé la douleur de perdre Martin ? Non ; il m’était mille fois plus précieux que ce qui me flattait le plus dans ce moment. Je ne remis l’exécution de mon projet que jusqu’au temps que je serais hors de danger : je le fus bientôt. J’avais demandé à Martin une trêve de huit jours ; elle n’était pas encore expirée. Je crus pouvoir alors exécuter le dessein que j’avais formé : il eut tout l’effet que j’en pouvais attendre. La Supérieure trouva les lettres, fit venir la Mère Angélique et la convainquit. Peut-être la réflexion eût-elle obtenu sa grâce, si un crime plus grand, et que les femmes ne pardonnent jamais, la rivalité, n’eût rendu sa punition nécessaire pour le repos de la Supérieure ; car, quoiqu’elle ne manquât pas, comme je te l’ai dit, de ces secours capables d’émousser la pointe des aiguillons de la chair, il est bien difficile, quand on a grand appétit, de s’en tenir à cette nourriture artificielle qui charme la faim sans la calmer.

Un godmiché n’est, à proprement parler, qu’un secret pour endormir le tempérament ; mais son sommeil n’est pas de longue durée ; il se réveille, et, furieux de la tromperie qu’on lui a faite, il ne s’apaise que par la réalité.

La Supérieure était dans ce cas. Une fille qui a acquis quelques connaissances dans les mystères de l’amour voit clair dans une intrigue. Si les objets lui manquent, l’imagination y supplée ; elle s’aigrit des difficultés qu’on lui oppose, elle perce et va quelquefois plus loin que la réalité ; mais avec un homme, une femme du caractère de la Supérieure, du caractère du Père Jérôme, je craignais moins d’en trop penser que de n’en pas penser assez. La liaison qui régnait entre eux ne me laissait pas douter que le Directeur ne partageât secrètement ses consolations spirituelles entre elle et la Mère Angélique. La promptitude du châtiment de celle-ci confirma mes soupçons ; elle alla bientôt expier dans la solitude d’une chambre obscure le crime de m’avoir déplu et d’avoir voulu enlever à la Supérieure le cœur d’un amant confirmé dans ses bonnes grâces.

Je ne fus pas longtemps à me repentir de ce que j’avais fait ; je m’étais toujours flattée que l’orage ne tomberait que sur la Mère Angélique : il alla plus loin. Le Directeur, outré de se voir enlever sa maîtresse favorite, soupçonna mon amant d’être la cause de son malheur : il ne pouvait sacrifier que lui à son ressentiment, il le fit, le chassa, et je ne l’ai pas revu depuis.

Voilà mon histoire, ma chère Suzon, poursuivit la Sœur Monique ; je ne te recommande pas le secret ; tu es intéressée à le garder ; te voilà associée à mes plaisirs ! Hélas ! je n’en ai presque pas goûté depuis que j’ai perdu mon amant. Que n’est-il ici, continua-t-elle en m’embrassant, je le mangerais de caresses !


Le souvenir de Martin l’animait, ses discours avaient produit sur moi le même effet. Nous nous trouvâmes, sans y penser, dans une disposition qui ne nous permit pas d’attendre le lendemain pour célébrer la perte de ce cher amant. Je rappelais à Monique les plaisirs qu’elle avait autrefois goûtés avec lui. Trompée par mes caresses, elle oubliait que je n’étais qu’une fille, elle me prodiguait les mêmes noms qu’elle lui prodiguait dans leurs transports. J’étais son ange, j’étais son dieu ! Je n’avais pas encore l’idée d’un bien plus grand que celui dont je jouissais, et Monique dans mes bras comblait tous mes désirs. L’imagination va toujours plus loin que ce que l’on possède. Monique, songeant au plaisir que lui avait causé le frottement du poil de Martin quand elle l’avait senti contre ses fesses, la nuit de l’aventure du prie-dieu, m’en avait promis autant si je voulais le lui procurer encore. J’y consentis. Elle se coucha sur le ventre, j’agissais : nous nous animâmes de façon qu’à force de chercher à nous le procurer à toutes deux en même temps, l’agitation nous fit trouver l’une la tête au chevet du lit, et l’autre la tête au pied.

Dans cette situation, nous nous rapprochâmes ; l’une de mes cuisses était sur le ventre de Monique, et l’autre sous ses fesses : mon ventre et mes fesses étaient de même entre ses cuisses ; étroitement collées l’une contre l’autre, nous nous pressions en soupirant, nous nous frottions réciproquement, nous nous répandions à chaque instant. Les sources de notre plaisir, gonflées par un jaillissement continuel, et qui n’avait d’autre issue que de passer de l’une dans l’autre, étaient comme deux réservoirs de délices où nous mourions plongées sans sentiment, où nous ne ressuscitions que par l’excès du ravissement. L’épuisement seul mit fin à nos transports. Enchantées l’une de l’autre, nous ne nous quittâmes qu’en nous promettant de recoucher ensemble le lendemain. Elle y revint et me rendit encore plus savante à cette seconde entrevue. Ces nuits charmantes n’ont été interrompues que par ma sortie du couvent pour venir ici.

Ce que Suzon venait de me raconter avait si fort agi sur mon imagination, que je n’avais pu refuser à l’énergie de ses discours des marques de sensibilité relatives au sujet. Quoique j’eusse affecté de vouloir lui dérober la vue des larmes qu’elle m’arrachait, le plaisir de les répandre, les regards passionnés que je jetais sur elle en les répandant, m’avaient trahi ; elle s’était aperçue de mes mouvements ; mais, charmée d’avoir fait sur moi l’impression qu’elle s’était promise d’y faire, elle me dissimulait adroitement sa satisfaction, et, par une politique mal entendue, elle combattait encore en elle-même le doux penchant qui devait être le prix de l’ardeur qu’elle m’inspirait. Autant ses discours m’avaient causé d’étonnement, autant me donnèrent-ils d’espérance. Ces peintures si vives et si animées des situations et des sentiments de la Sœur Monique, dans une circonstance à peu près semblable à celle où nous nous trouvions, ne pouvaient partir que d’un cœur pénétré. Elle ne m’avait rien caché de ses propres actions, elle ne m’avait pas même déguisé sa sensibilité pour les plaisirs de l’amour. Elle avait dit tous les mots : rien n’avait été fardé. Si nous eussions été dans l’allée, elle n’aurait pas dit un mot que je n’en eusse profité, elle n’aurait pas fait une peinture que je n’y eusse joint la représentation au naturel. Elle n’avait pas voulu y venir. Que devais-je penser de cette résistance ? Comment l’accorder avec ce que je venais d’entendre ? Ah ! si j’avais pu lire dans son cœur, que je me serais épargné d’inquiétude ! Ferme dans la résolution de suivre mon dessein, mais en garde contre une précipitation qui aurait pu effaroucher Suzon, je pris mes mesures d’une façon détournée. J’allai chercher dans le récit même qu’elle venait de me faire des armes pour la combattre. Je me contentai de lui demander d’abord, avec un air d’indifférence, si la Sœur Monique était jolie.

— Comme un Ange, me répondit-elle. Je ne sais pas ce qu’il faut pour faire une fille qui plaise, mais je m’imagine que pour plaire elle doit être faite comme la Sœur Monique. Sa taille est fine et bien prise ; sa peau est d’une blancheur, d’une douceur parfaites ; elle a la plus belle gorge du monde, le visage un peu pâle, mais joli et formé de façon que les plus belles couleurs lui conviendraient moins que cette pâleur ; ses yeux sont noirs et bien fendus ; mais, contre l’ordinaire des brunes, elle les a languissants ; il n’y reste qu’assez de feu pour faire juger qu’ils seraient brillants si elle n’était pas si amoureuse.

— Tu me rends compatissant pour elle, dis-je à Suzon. Sa passion pour les hommes la rendra malheureuse pour toute sa vie.

— Désabuse-toi, me répondit Suzon, ce n’est que depuis peu, comme je te l’ai dit, qu’elle a pris le voile, encore ne l’a-t-elle fait que par complaisance pour sa mère. Le temps de prononcer ses vœux n’est pas encore arrivé ; son bonheur dépend de la mort d’un frère, dont sa mère fait son idole. Il court grand risque de ne pas vivre plus longtemps que sa sœur ne le souhaite. Il s’est déjà fait blesser à Paris dans un bordel…

— Un bordel ! eh ! qu’est-ce que cet endroit ? demandai-je à Suzon, par pressentiment sans doute de ce qui devait m’y arriver un jour.

— Je vais t’en dire, me répondit-elle, ce que j’en ai appris de la Sœur Monique, qui sait tout ce qui a rapport avec ses inclinations. C’est un lieu où s’assemblent des filles tendres et faciles, dont le métier est de recevoir avec complaisance les hommages des libertins et de se prêter à leurs désirs, sous l’espoir de la récompense. Leur penchant les y mène, le plaisir les y fixe.

— Ah ! m’écriai-je en l’interrompant, que je voudrais être dans une ville où il y eût de ces endroits-là ! Et toi, Suzon ?

Elle ne me répondit rien, et je compris assez par son silence qu’elle ne serait pas plus cruelle qu’une autre pour son tempérament, et que ce plaisir n’aurait pas moins d’empire sur son cœur que sur celui de ces filles tendres que l’empressement des hommes érigeait en idoles publiques.

— Je crois, ajoutai-je, que la sœur Monique irait là aussi volontiers que son frère.

— Je t’en réponds, me dit-elle ; cette pauvre fille aime les hommes à la fureur ; l’idée seule l’en enchante.

— Et toi, petite friponne, tu ne les aimes donc pas ?

— Je ne te cache pas, me répondit-elle, que je les aimerais si ce qu’on fait avec eux n’était pas si dangereux.

— Tu le crois ? lui dis-je ; il ne l’est pas tant que tu le penses. Va, Suzon, pour faire cela avec une femme, elle ne devient pas toujours grosse. Vois, ajoutai-je, cette dame qui est notre voisine : il y a longtemps qu’elle est mariée, elle le fait avec son mari, et cependant elle n’a pas d’enfants. Cet exemple parut l’ébranler. Écoute, ma chère Suzon, poursuivis-je, et comme inspiré par une intelligence au-dessus de mon âge, qui me faisait pénétrer dans les mystères de la nature, la Sœur Monique t’a dit que quand Martin lui mettait, elle était toute remplie de ce qu’il lui donnait : c’était sans doute ce qui lui avait fait un enfant.

— Eh bien, dit Suzon, en me regardant fixement, et cherchant dans mes yeux un moyen de satisfaire son envie sans s’exposer aux hasards, que veux-tu dire par là ?

— Ce que je veux dire, repris-je, c’est que si c’est ce que l’homme répand qui produit cet effet, on peut l’empêcher en se retirant, quand on sent que cela va venir.

— Eh ! le peut-on faire ? interrompit vivement Suzon. N’as-tu jamais vu deux chiens l’un sur l’autre ? On a beau les battre pour les faire finir, ils crient, ils se démènent, ils voudraient se retirer et ne peuvent pas : ils sont sans doute attachés de façon que cela leur est impossible. Dis-moi, si un homme se trouvait attaché de cette façon à une femme, que quelqu’un vint, qu’on les surprit ?

Cette objection me démonta, l’exemple était sensible ; il semblait que Suzon eût prévu ce que j’allais lui proposer. L’exemple était pour nous, nous allions nous trouver dans le même cas, si Suzon se rendait. Elle semblait attendre ma réponse avec impatience, et si j’avais pu découvrir ce qui se passait dans son âme, j’aurais vu qu’elle se repentait de m’avoir proposé une difficulté que je n’étais pas en état de résoudre. D’autant plus intéressé à détruire son préjugé que je ne doutais presque pas que mon bonheur ne dépendît de ma réponse, je cherchais des raisons pour la convaincre. Je me souvenais parfaitement que le Père Polycarpe n’avait pas eu la veille cette difficulté à se retirer de dessus Toinette. Je lui aurais cité cet exemple, mais j’aimais mieux le lui faire voir. Mes raisonnements ne la persuadèrent pas, mais ses désirs suppléaient à ce qu’ils avaient de défectueux. Elle affectait cependant d’insister encore, et je sentis qu’il n’y aurait pas d’autre moyen de la persuader que de lui montrer un exemple du contraire. Dans le moment, j’aperçus le bonhomme Ambroise qui sortait de la maison et qui prenait le chemin de la rue. Je regardai son départ comme l’occasion la plus favorable qui pût se présenter. Ne doutant pas que le Père et Toinette ne profitassent de la liberté que leur laissait sa bonhomie pour réparer le temps que sa présence leur avait fait perdre, je dis d’un ton assuré à Suzon :

— Viens, je veux te faire voir que tu t’es trompée.

Je me levai sur-le-champ et j’aidai Suzon à en faire autant, non sans lui avoir auparavant porté sous la jupe une main qu’elle repoussa en folâtrant.

— Où vas-tu donc me mener ? me demanda-t-elle, voyant que je prenais le chemin de la maison.

La petite friponne croyait que j’allais la mener dans l’allée : elle m’y aurait suivi. Que j’aurais bien mieux fait d’y aller ! Mais je n’étais pas assez expérimenté pour voir qu’elle ne demandait pas mieux. Je craignais quelque nouvelle résistance de sa part, et mon destin m’entraînait. Je lui répondis que j’allais la mener dans un lieu où elle verrait quelque chose qui lui ferait plaisir.

— Où donc ? me répondit-elle avec impatience, voyant que j’avançais toujours vers la maison.

— Dans ma chambre, lui répondis-je.

— Dans ta chambre ? me dit-elle ; oh ! Je n’y veux pas aller ! Tiens, Saturnin, cela est inutile : tu me ferais quelque chose !

Je lui jurai que non, et je connus, à l’air dont elle consentait à y venir, qu’elle était moins fâchée de m’y suivre qu’elle ne l’aurait été si, en lui promettant d’être sage, je ne lui avais pas donné un prétexte pour s’y laisser conduire. Que je me rappelle avec plaisir ces traits charmants de mon enfance ! L’habitude d’accorder tout à mes passions et l’usage le plus immodéré des plaisirs n’ont point émoussé dans mon cœur ma sensibilité pour ces précieux instants de ma vie.

Nous entrâmes dans ma chambre sans avoir été aperçus ; je tenais Suzon par la main, elle tremblait ; je marchais sur la pointe des pieds, elle m’imitait ; je lui fis signe de ne point parler, et, la faisant asseoir sur mon lit, je m’approchai doucement de la cloison : personne n’y était encore.

Je dis d’une voix basse à Suzon que l’on ne tarderait pas à venir.

— Mais que veux-tu donc me montrer ? me demanda-t-elle, intriguée par mes façons mystérieuses.

— Tu vas le voir, lui répondis-je ; et sur-le-champ, en avancement du privilège que je comptais que cette vue allait me donner, je la renversai sur mon lit, en tâchant de lui glisser la main sur les cuisses.

Je n’en étais pas encore à la jarretière, qu’elle se leva avec action, et dit qu’elle ferait du bruit si j’étais assez hardi pour la toucher. Elle alla même jusqu’à faire semblant de vouloir sortir : je pris cette grimace pour une marque de colère, et je fus assez simple pour m’imaginer qu’elle voulait effectivement se retirer. J’étais interdit, le cœur me battait, à peine osais-je répondre ; et quoique ce ne fût qu’en bégayant, je persuadai facilement une fille qui aurait été bien fâchée que mon silence l’eût mise dans la nécessité de joindre l’effet à la menace : elle consentit de rester. J’allais désespérer de pouvoir venir à bout de mon entreprise, quand j’entendis ouvrir la porte de la chambre d’Ambroise. Le cœur me revint, et j’attendais avec impatience que la curiosité de Suzon fit pour moi ce que je n’avais pas pu faire moi-même.

— Les voici ! lui dis-je, en lui faisant signe de se taire et en la ramenant sur le lit ; les voici, ma chère Suzon !

Je m’approchai aussitôt de la cloison ; j’écartai l’image qui dérobait à mes regards ce qui se passait dans la chambre, et j’aperçus le Père qui prenait sur la gorge de Toinette des gages peu équivoques de sa bonne volonté. Immobiles, serrés étroitement l’un contre l’autre et recueillis en eux-mêmes, il semblait qu’ils voulussent, par une profonde méditation, se remplir de la grandeur des mystères qu’ils allaient célébrer.

Attentif à leurs mouvements, j’attendais qu’ils les poussassent un peu plus loin pour faire signe à Suzon d’avancer. Toinette, ennuyée de la longue méditation, se débarrassa la première des bras du moine, et, jetant corset, jupe, chemise, tout à bas, elle parut telle que la bienséance du mystère l’exigeait. Ah ! que j’aimais à la voir dans cet état ! Ma fureur amoureuse, que les combats de Suzon n’avaient fait qu’irriter, redoubla d’un degré à cette vue.

Suzon, que mon attention rendait impatiente, avait quitté le lit et s’était approchée de moi. J’étais si fort occupé que je ne m’en étais pas aperçu.

— Laisse-moi donc voir aussi ! me dit-elle en me repoussant un peu.

Je ne demandais pas mieux. Je lui cédai aussitôt mon poste et je me tins à côté d’elle, à examiner sur son visage les impressions qu’y produirait le spectacle qu’elle allait voir. Je m’aperçus d’abord qu’elle rougissait ; mais je présumais trop de son penchant à l’amour pour craindre que cette vue ne produisît un effet contraire à celui que j’en espérais. Elle resta. Curieux alors de savoir si l’exemple opérait, je commençai par lui couler la main sous la jupe. Je ne trouvai plus qu’une résistance médiocre ; elle se contentait de me repousser doucement la main avec la sienne, sans cependant l’empêcher de monter jusqu’aux cuisses ; elle les serrait étroitement, et ce n’était qu’aux transports des combattants que j’étais redevable de la facilité que je trouvais à les desserrer insensiblement. J’aurais compté le nombre des coups que donnaient ou recevaient le Père et Toinette par celui des pas que ma main, plus ou moins pressée, faisait sur ses charmantes cuisses. Enfin, je gagnai le but. Alors Suzon, sans pousser plus loin sa résistance, m’abandonna tout, et écartait elle-même les jambes pour laisser à ma main toute la facilité de se contenter. J’en profitai, je portai le doigt à l’endroit sensible, à peine pouvait-il y entrer. Elle tressaillit aussitôt qu’elle sentit que l’ennemi s’était emparé de la place, et ses tressaillements se renouvelaient au moindre petit mouvement de mon doigt.

— Je te tiens, Suzon ! dis-je alors, je te tiens.

Je levai aussitôt son jupon par derrière, et je vis le plus beau, le plus blanc, le mieux tourné, le plus ferme, le plus charmant petit cul qui soit possible d’imaginer. Non, aucun de ceux que j’ai vus dans le cours de ma vie, aucun de ceux à qui j’ai le plus fait de fête, aucun n’a jamais approché du cul de ma chère Suzon !


Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux

Fesses divines, dont l’aimable coloris l’emportait sur celui du visage ; fesses adorables, sur lesquelles je collai mille baisers amoureux, pardonnez si je ne vous rendis pas alors le véritable hommage qui vous était dû ! Oui, vous méritiez d’être adorées ; vous méritiez l’encens le plus pur ; mais vous aviez un voisin trop redoutable… Je n’avais pas encore le goût assez épuré pour connaître votre véritable valeur : je le croyais seul digne de toute ma passion ! Cul charmant, que mon repentir vous a bien vengé ! Oui, je conserverai toujours précieusement votre mémoire ! Je vous ai élevé dans mon cœur un autel où tous les jours de ma vie je pleure mon aveuglement !

J’étais à genoux devant cet adorable petit cul, je l’embrassais, je le serrais, je l’entr’ouvrais, je m’extasiais ; mais Suzon avait mille autres beautés qui piquaient ma curiosité. Je me levai avec transport, je fixai mes regards avides sur deux petits tétons durs, fermes, bien placés, arrondis par l’amour lui-même. Ils se levaient, se baissaient, haletaient et semblaient demander une main qui fixât leurs mouvements. J’y portai la mienne, je les pressai. Suzon se laissait aller mollement à mes transports. Rien ne pouvait l’arracher au spectacle qui l’attachait. J’en étais charmé ; mais son attention était bien longue pour mon impatience. J’étais brûlé d’un feu qui ne pouvait s’éteindre que par la jouissance. J’aurais voulu voir Suzon toute nue, pour me rassasier de la vue entière d’un corps dont je baisais, dont je maniais de si charmantes parties. Il me semblait qu’il n’y avait que cette vue qui pût suffire à remplir mes désirs. Je fus bientôt en état d’éprouver le contraire, je déshabillai Suzon sans qu’elle s’y opposât. Nu de mon côté, je cherchais tous les moyens possibles d’assouvir ma passion ; je n’avais pas assez de force pour la presser. Mille et mille baisers répétés, les marques les plus vives de l’amour étaient mille fois au-dessous de ce que je sentais. Je tâchais de lui mettre, mais l’attitude était gênante : il fallait le mettre par derrière. Elle écartait les jambes et les fesses, mais l’entrée était si petite qu’il m’était impossible d’en venir à bout. J’y mettais le doigt, et je l’en retirais tout couvert d’une liqueur amoureuse. La même cause produisait sur moi le même effet. Je faisais de nouveaux efforts pour prendre dans ce charmant endroit la même place que mon doigt venait d’y occuper, et toujours même impossibilité, malgré les facilités qu’on me donnait.

— Suzon, dis-je, enragé de l’obstacle que son opiniâtre attention apportait à mon bonheur, laisse-les, viens, ma chère Suzon ; nous pouvons avoir autant de plaisir qu’eux.

Elle tourna les yeux sur moi ; ils étaient passionnés. Je la prends amoureusement entre mes bras, je la porte sur mon lit, je la renverse, elle écarte les cuisses, mes yeux se jettent avec fureur sur une petite rose vermeille qui commence à s’épanouir. Un poil blond, et placé par petits toupets, commençait à ombrager une motte dont le pinceau le plus délicat rendrait faiblement la blancheur vive et animée. Suzon, immobile, attendait avec impatience des marques de ma passion plus sensibles et plus satisfaisantes. Je tâchai de les lui donner ; je m’y prenais fort mal : trop bas, trop haut, je me consumais en efforts inutiles.


Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux

Elle me le mit elle-même. Ah ! il sentit alors qu’il était dans le véritable chemin ! Une douleur, que je ne comptais pas trouver sur une route que je croyais couverte de fleurs, m’arrêta d’abord. Suzon en ressentit une pareille ; mais nous ne nous rebutâmes pas ; Suzon tâchait de rendre la route plus large ; je faisais des efforts plus violents ; elle les secondait. Déjà j’avais fait la moitié de ma course ; Suzon roulait sur moi des yeux mourants ; son visage était enflammé, elle ne respirait que par intervalles, elle me renvoyait une chaleur prodigieuse. Je nageais dans un torrent de délices, mais j’en espérais encore de plus grandes, je me hâtais de les goûter. Ô ciel ! des moments si doux devaient-ils être troublés par le plus cruel des malheurs ! Je poussais avec ardeur ; mon lit, ce malheureux lit, témoin de mes transports et de mon bonheur, nous trahit. Il n’était que de sangle ; la cheville manqua, nous tombâmes avec un bruit affreux. Cette chute m’eût été favorable, puisqu’elle m’avait fait entrer jusqu’où je pouvais aller, quoiqu’avec une extrême douleur pour tous les deux. Suzon se faisait violence pour retenir ses cris. Effrayée, elle tâchait de s’arracher de mes bras ; j’étais furieux d’amour et de désespoir, et je ne la serrais que plus étroitement. Mon opiniâtreté me coûta cher.

Toinette, avertie par le bruit, accourt, ouvre et nous voit. Quel spectacle pour les yeux d’une mère, d’une mère, d’une fille, d’un fils ! La surprise la rendit immobile ; et comme si elle eût été retenue par quelque chose de plus puissant que ses efforts, il semblait qu’elle ne pût avancer. Elle nous regardait avec des yeux enflammés plutôt par la lubricité que par la fureur, elle avait la bouche ouverte pour parler, et la voix expirait sur ses lèvres.

Suzon était tombée en faiblesse ; ses yeux tendres se fermaient. Sans avoir ni le courage, ni la force de me retirer, je jettais les miens alternativement sur Toinette et Suzon, sur l’une avec rage, sur l’autre avec douleur. Enhardi par l’immobilité où l’étonnement semblait retenir Toinette, je voulus en profiter : je poussai ; Suzon donna alors un signe de vie, elle jeta un profond soupir, rouvrit les yeux, me serra, donna un coup de cul. Suzon goûtait le souverain plaisir : elle déchargeait ; ses ravissements me faisaient envie ; j’allais les partager. Toinette se lança sur moi au moment que je sentais les approches du plaisir ; elle m’arracha des bras de ma chère Suzon.

ô Dieux ! n’avais-je pas assez de force pour me venger ? Le désespoir me l’ôta sans doute, puisque je restai immobile dans les bras de cette marâtre jalouse.

Le Père Polycarpe, qui n’était pas moins curieux que Toinette de savoir ce qui venait de se passer, accourut dans cet intervalle, et ne demeura pas moins surpris qu’elle, à la vue du spectacle qui s’offrait à ses yeux, surtout de Suzon nue, couchée sur le dos, et qui se passait un bras sur les yeux en portant la main de l’autre à l’endroit coupable, comme si une pareille posture eût pu dérober ses charmes aux regards d’un moine lascif. Ce fut sur elle qu’il les porta d’abord. Les miens y étaient fixés comme sur leur centre, et ceux de Toinette l’étaient sur moi. La surprise, la rage, la crainte, rien ne m’avait fait débander. J’avais le vit décalotté et plus dur que le fer. Toinette le regardait. Cette vue obtint ma grâce et me réconcilia avec elle. Je sentais qu’elle m’entraînait doucement hors de la chambre. J’étais troublé, je ne savais ce que je faisais. Nu comme j’étais, je la suivis sans y penser, et tout cela se fit sans qu’il se fût dit une parole de part ni d’autre.


Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux

Toinette me conduisit dans sa chambre. Je m’aperçus, quand nous fûmes entrés, qu’elle fermait la porte aux verrous. La crainte me retira alors de mon étourdissement. Je voulus fuir ; je cherchais quelque refuge qui pût me dérober au ressentiment de Toinette. N’en trouvant pas, je me jetai sous le lit. Toinette reconnût le motif de ma frayeur et tâcha de me rassurer.

— Non, Saturnin, me dit-elle ; non, mon ami, je ne veux pas te faire de mal.

Je ne la croyais pas sincère et je ne sortais pas de ma place. Elle vint elle-même pour m’en retirer. Je voyais qu’elle tendait les bras pour m’attraper, je me reculais ; mais j’eus beau faire, elle me prit, par où ? par le vit ! Il n’y eut plus moyen de me défendre. Je sortis au plutôt, elle m’attira, car elle n’avait pas lâché prise.

La confusion de paraître in naturalibus ne m’empêcha point d’être surpris de trouver Toinette elle-même toute nue, elle qui, un moment avant, s’était offerte à mes yeux, sinon dans un état décent, du moins avec quelque chose qui cachait le nécessaire. Elle ne me lâchait pas le vit, qui reprenait dans sa main ce que la crainte lui avait fait perdre de sa force et de sa roideur. Dirai-je mon faible ? En la voyant, je ne pensai plus à Suzon : l’objet présent seul m’occupait ; je ne savais comment je sortirais de cette scène, mais je bandais toujours à bon compte : mes craintes étaient subordonnées à la passion. Toinette me tenait toujours le vit, et moi je regardais le con de Toinette.

Que fit ma ribaude ? Elle se coucha sur son lit et m’entraîna sur elle.

— Viens donc, petit couillon, me dit-elle en me baisant ; mets-le moi, là, bon !

Je ne me fis pas prier davantage, et, ne trouvant pas beaucoup de difficulté, je lui enfonçai jusqu’aux gardes. Déjà disposé par le prélude que j’avais fait avec Suzon, je sentis bientôt un flux de délices qui me fit tomber sans mouvement sur la lubrique Toinette, qui, remuant avec agilité la charnière, reçut les prémices de ma virilité. C’est ainsi que pour mon premier coup d’essai, je fis cocu monsieur mon père putatif. Mais qu’importe ?

Quelle foule de réflexions pour ces Lecteurs dont le tempérament froid et glacé n’a jamais ressenti les fureurs de l’amour ! Faites-les, Messieurs, ces réflexions ; donnez carrière à votre morale ; je vous laisse le champ libre, et ne veux dire qu’un mot. Bandez aussi fort que je bandais, vous foutriez, qui ? le diable !

J’allais répéter un aussi charmant exercice, quand nous fûmes interrompus par un bruit sourd qui partait de ma chambre. Toinette, qui vit bien de quoi il s’agissait, se leva en criant au Père de finir. Elle se rhabilla au plus tôt, me dit de me remettre sous le lit et courut pour empêcher que les choses ne fussent poussées plus loin.

À peine eut-elle le dos tourné, que je volai au trou. J’aperçus le moine qui tenait dans ses bras Suzon qui s’était rhabillée, mais dont le cotillon et la chemise étaient levés. La jaquette du moine l’était aussi et je jugeai que le bruit ne venait que de l’extrême grosseur du membre de sa Révérence, qui faisait sans doute des efforts inutiles pour le faire entrer dans un endroit qui n’était pas fait pour lui. Le débat finit à l’aspect de Toinette ; elle fondit sur les combattants, et arrachant Suzon des bras de l’incestueux Célestin, lui donna, avec deux ou trois soufflets, la liberté de sortir. Il semblait que l’action vigoureuse que Toinette venait de faire l’eût épuisée et qu’il ne lui restât plus assez de force pour marquer son mécontentement au Père Polycarpe : elle le regardait tout essoufflée. Un moine ne manque guère d’impudence ; cependant celle du Père ne tint pas contre la honte d’avoir été surpris en flagrant délit, peut-être contre la crainte des reproches dont il croyait que Toinette allait l’accabler, ou plutôt contre l’idée d’infamie dont il croyait qu’un moine devait être noté, quand il entreprenait d’exploiter une fille sans en venir à bout. Il rougissait ; il pâlissait, et n’osait presque regarder Toinette qui, de son côté, paraissait agitée des mêmes mouvements.

Moi, de mon trou, je les examinais attentivement et je m’attendais à être bientôt spectateur de quelque crise violente : je le craignais. Que je les connaissais peu l’un et l’autre ! Le moine paraissait confus, mais il ne débandait pas : un moine débande-t-il jamais ? Toinette paraissait furieuse, mais elle regardait le vit du moine : son faible était toujours de sacrifier toute sa colère à cette vue. Mon exemple devait m’avoir préparé à lui voir une pareille indulgence pour le Père : le raccommodement fut bientôt fait. Le moine s’approcha d’elle, et j’entendis qu’il lui disait, en lui mettant en main son joyeux aiguillon :

— Si je n’ai pu foutre la fille, du moins je foutrai la mère.

Oh ! pour cette insulte, Toinette était toujours disposée à la lui pardonner ; elle s’offrit même de bonne grâce pour victime à la fureur amoureuse du moine ; il la saisit, il l’embrassa, et tombant l’un sur l’autre sur les débris de mon lit, ils scellèrent réconciliation par une copieuse décharge ; du moins j’eus lieu de le juger aux transports du Père et aux serrements de cul de Toinette.

Pendant ce temps-là, allez-vous demander, que faisait ce petit bougre de Saturnin ? Se contentait-il de regarder comme un sot par le trou, sans se joindre du moins en idées, aux caresses des deux champions ? Belle demande ! Saturnin était nu, il était encore en feu des caresses que Toinette lui avaient faites ; le spectacle qu’il avait devant les yeux l’échauffait encore : que voulez-vous qu’il fît ? Il se branlait ; il enrageait de voir le moine sur Toinette sans en pouvoir tirer sa part, et le petit coquin déchargeait au moment que madame sa mère serrait le cul et que le Père se pâmait. Vous voilà instruit ; revenons à nos gens.

— Eh bien, dit le moine, trouves-tu que je fasse cela aussi bien que Saturnin ?

— Que Saturnin ! répondit-elle ; moi, j’ai fait quelque chose avec Saturnin ? Bon ! le petit fripon n’a-t-il pas été se cacher sous le lit où il est encore ? Mais patience, laissez venir Ambroise, les étrivières ne lui manqueront pas ; il les aura, et de la bonne façon !

J’écoutais ce colloque : jugez si une pareille promesse dut me faire plaisir ! Je redoublai mon attention, et j’entendis le Père qui répliquait :

— Là, là, Toinette, ne nous fâchons pas ; vous savez qu’il ne doit pas toujours demeurer ici ; il est assez grand à présent, n’est-il pas vrai ? Je veux l’emmener quand je partirai.

— Mais, reprit Toinette, vous ne songez pas que si ce petit coquin-là reste ici, nous ne pourrions plus rien faire ? Cela a de la langue et je me doute presque qu’il nous a découverts. Tenez justement ! poursuivit-elle en apercevant le trou de la cloison. Ah ! mon Dieu ! je n’avais pas encore remarqué ce trou. Il aura tout vu par là, le petit chien !

Je jugeai qu’elle allait venir vérifier son doute, et vite je me refourrai sous le lit, d’où je n’eus garde de sortir une seconde fois, quelque envie que j’eusse d’entendre le reste d’une conversation qui commençait à m’intéresser si fort. Je me tins clos et couvert, et j’attendis avec impatience le résultat de leurs discours. Je n’attendis pas longtemps. On vint bientôt me tirer de ma prison ; j’entendis ouvrir la porte, je tremblais que ce ne fut Ambroise. S’il m’avait vu là, quelle jolie scène pour moi ! C’était Toinette qui m’apportait mes habits et qui me dit de m’habiller au plus tôt. Je ne la regardais que de travers, après ce que je lui avais ouï dire à mon sujet. Je me hâtai de faire ce qu’elle me disait, mais je bravais ses menaces. Je remarquai qu’elle achevait de s’habiller aussi, et qu’elle se mettait même sur son propre. J’eus bientôt fait de mon côté, elle eût bientôt fait du sien.

— Allons, Saturnin, me dit-elle, venez avec moi.

Force me fut de la suivre. Où me mena-t-elle ? Chez monsieur le curé. J’avouerai franchement que la vue du presbytère me fit trembler. Le pasteur avait eu plusieurs fois l’honneur de me visiter le derrière (chose que, par parenthèse, il ne haïssait pas) et je craignais bien fort que ce ne fut encore pour lui procurer le même divertissement que l’on me menait chez lui. Je n’osais pas tout à fait laisser voir mes craintes à Toinette. Si je lui fait sentir que j’ai peur, disais-je, c’est peut-être réveiller le chat qui dort ; elle ne manquera pas de saisir l’occasion. Mais pourquoi m’amène-t-elle donc ici ? Je n’en sais trop rien. Faisons de nécessité vertu ; entrons toujours.

J’entrai, et effectivement j’en fus quitte pour la peur, car Toinette en me présentant au saint homme, le pria de vouloir me garder pendant quelques jours chez lui. Cette expression « pendant quelques jours » me rassura. Bon ! dis-je en moi-même, et quand ces quelques jours seront passés, le Père Polycarpe m’emmènera avec lui.

Cette espérance me charma, et fis que je me familiarisais plus aisément avec ma retraite, sur le motif de laquelle je n’osais pourtant réfléchir sans me sentir saisi de douleur. Suzon, chère Suzon, je te perdrai donc pour toujours ? m’écriais-je dans un coin de la salle où je m’étais d’abord retiré par frayeur, et où je restais par goût, parce que je rêvais à mon aise : à quoi ? À Suzon. L’agitation où j’étais depuis quelques heures n’avait fait que suspendre ce que je sentais pour elle, mais quand je fus revenu à moi-même, son idée m’occupa tout entier.

Oui, je me sentais déchirer le cœur quand je pensais que j’allais la perdre. Mon imagination se repaissait de tous ses charmes, elle parcourait toutes les beautés de son corps, c’étaient ses cuisses, c’étaient ses fesses, c’était sa gorge, ses petits tétons blancs et durs, que j’avais baisés tant de fois. Je me rappelais le plaisir que j’avais eu avec elle, et, réfléchissant sur celui que j’avais pris avec Toinette : qu’aurait-ce été, disais-je, si je l’eusse goûté sur Suzon ! Je me suis pâmé sur Toinette, je serais mort sur Suzon. Ah ! je n’aurais pas de regret à la vie, si je la perdais dans ses bras. Mais que sera-t-elle devenue ? Exposée aux fureurs de Toinette, elle va mourir de chagrin. Peut-être pleure-t-elle à présent, peut-être me maudit-elle ? Suzon pleure, et j’en suis la cause. Suzon me maudit ; elle jure de me haïr : Pourrai-je vivre si elle me hait, moi qui l’adore, moi qui souffrirais tout au monde pour lui épargner le moindre chagrin ? Hélas ! elle prévoyait notre malheur, et c’est moi qui l’y ai plongée !

Telles étaient les pensées qui m’agitaient alors ; elles me plongeaient dans une noire mélancolie dont je ne sortis qu’au son d’une clochette qui m’avertis qu’on avait servi le souper ; on vint m’appeler.

Laissons pour un moment Suzon ; nous la retrouverons bien toujours ; elle joue un rôle assez important dans ces mémoires. Allons prendre un repas, et faisons connaître quelques vues des originaux avec qui je le pris. Commençons par le chef.

Monsieur le curé était une de ces figures qu’on ne saurait regarder sans avoir envie de rire ; haut de quatre pieds, le visage large d’un demi et enluminé d’un rouge foncé qui ne lui venait pas de boire de l’eau ; un nez épaté surmonté de rubis ; de petits yeux noirs et vifs, ombragés d’épais sourcils ; un front petit, le poil frisé comme un barbet ; joignez-y un air goguenard et malin, voilà monsieur le curé. Avec cela, le coquin avait de bonnes fortunes, plus d’une m’en aurait encore dit des nouvelles dans le village. Il cultivait volontiers la vigne du Seigneur ; il faisait le petit Célestin. Ces petits magots-là sont d’ordinaire de vigoureux sires à ce jeu, et notre curé ne manquait pas, je crois, de ces talents, qui valent mieux qu’une belle figure, quand il est permis de les faire valoir.

Passons au second cartouche du tableau célestin de la maison de monsieur le curé et disons un mot de sa respectable gouvernante.

Madame Françoise était une vieille sorcière plus maline qu’un vieux singe, plus méchante qu’un vieux diable. Ôtez cela, c’était la bonté même. Son visage portait bien cinquante bonnes années ; la coquetterie est de tout pays et de toutes conditions : la vieille ne s’en donnait pas trente-cinq. Mais, malgré ses discours, elle était très canonique, et si canonique que, depuis une quinzaine d’années qu’elle était au service de monsieur le curé, elle l’avait garanti des retraites incommodes qu’il avait coutume de faire au séminaire, au moins deux ou trois fois chaque lustre, disgrâces qui avaient dégoûté le patron de la jeunesse ; et, quoique la dame Françoise eût les yeux bordés de rouge, le nez barbouillé de tabac, la bouche fendue jusqu’aux oreilles, et qu’elle n’eût plus dans cette bouche que quelques dents mal assurées, monsieur le curé, par reconnaissance pour ses services passés, ne démentait en rien son estime, et qui plus est, ses caresses pour elle. Madame Françoise était la surintendante de la maison ; tout passait par ses mains, jusqu’à l’argent des pensionnaires, qui n’en sortait guère. Elle ne parlait jamais de monsieur le curé qu’en nom collectif ; apportait-on de quoi dire une messe :

— Nous vous la dirons !

Donnait-on quelque chose de moins :

— Nous ne pouvons pas vous en dire pour ce prix-là !

— Eh ! madame Françoise (Madame gros comme le bras : elle se serait offensée qu’on n’eût pas mis cette honorable qualité à la tête de son nom), eh ! madame Françoise, je n’ai pas davantage !

— Néant ! Comment donc, vous croyez apparemment qu’on nous donne cela à nous ! Il nous faut du vin, il nous faut des cierges ; et notre peine, la comptez-vous pour rien ?

À l’ombre de l’union qui régnait entre madame Françoise et monsieur le curé, croissait une fille, soi-disante nièce du pasteur, mais qui lui appartenait de plus près que par la qualité de nièce. C’était une grosse joufflue, un peu picotée de petite vérole, mais fort blanche et une gorge adorable ; un nez tirant sur celui de monsieur le curé, aux rubis près qu’elle n’avait pas encore, mais beaucoup de disposition à en avoir un jour ; des yeux petits, mais ardents. Il n’aurait tenu qu’à elle de passer pour rousse, si elle n’avait pas ouï dire que c’était une couleur proscrite et que le blond était plus séant pour les belles ; comme elle croyait l’être, elle en prenait les attitudes. Ce n’est pas que le blond ou le roux eussent fort inquiété certain grand coquin d’écolier de philosophie qui venait de temps en temps passer huit ou dix jours au presbytère, et qui y venait moins par amitié pour monsieur le curé que pour sa charmante nièce, que le maraud serrait de près, et de si près que…

Mais il n’est pas encore temps de raconter ce qui m’arriva à son sujet.

Mademoiselle Nicole (c’était le nom de cette aimable personne), telle que je viens de vous la présenter, était l’objet des tendres vœux de tous les pensionnaires. Les externes voulaient aussi s’en mêler ; les grands étaient assez bien reçus, les petits fort mal. Je n’étais pas des plus grands, par malheur pour moi. Ce n’est pas que je n’eusse plusieurs fois tenté de pousser ma pointe auprès de cette aimable pouponne, mais mon âge parlait encore contre moi. On avait toujours eu la cruauté de refuser de m’admettre à la preuve que j’offrais de donner, que je n’étais jeune que par la figure, et pour achever de me désespérer, on ne manquait pas de confier mes entreprises amoureuses à la dame Françoise, la dame Françoise les confiait à monsieur le curé, et celui-ci ne me ménageait pas. J’enrageais d’être petit, car je voyais bien que c’était là la cause de tous mes malheurs.

La difficulté de réussir auprès de Nicole m’avait dégoûté. Des rebuts de la part de la nièce, les étrivières de la part du curé ; il n’y avait pas moyen d’y tenir. Tout cela n’avait pourtant pas éteint mes désirs ; ils n’étaient que cachés, la présence de Nicole les ralluma. Il ne manquait plus qu’une occasion qui leur donnât la liberté d’éclater, elle ne tarda pas à venir ; mais l’ordre des faits exige que cette aventure n’aille qu’à son tour, et son tour n’est pas encore venu : c’est celui de madame Dinville.

Je n’avais pas oublié que cette dame m’avait fait promettre d’aller dîner avec elle le lendemain. Je me couchai dans la résolution de lui tenir parole, et on juge bien que le jour ne changea rien à cette résolution. Si on me demandait si véritablement c’était pour madame Dinville que je voulais aller au château, à cela je ne saurais trop que répondre. En général, je dirais que c’était l’idée du plaisir qui m’y conduisait, mais je sentais que si ce plaisir m’était présenté par Suzon, il me serait bien plus sensible que si je le recevais de madame Dinville. L’espérance d’y trouver ma chère Suzon n’était pas sans vraisemblance, et voici comme je raisonnais : Pourquoi m’a-t-on mis chez monsieur le curé ? C’est, sans doute, parce que le Père Polycarpe s’est douté que Toinette m’a donné une leçon qui n’est pas de son goût ; et c’est dans la crainte que je ne m’accoutumasse trop aisément à ces leçons qu’il a jugé à propos de me placer ici. Toinette a bien vu autre chose de la part du Père ; elle a donc pour le moins autant de raisons d’éloigner Suzon du moine, que le moine en a eu de m’éloigner de Toinette. Si je trouve Suzon au château, il y a de petits bois dans le jardin : je l’engagerai à y venir. La petite friponne est amoureuse, elle y viendra, je la tiendrai à l’écart, nous serons seuls, nous n’aurons rien à craindre. Ah ! que de plaisirs je vais goûter ! Ces agréables idées me conduisirent jusqu’à la porte du château. J’entrai.

Tout était dans un calme profond chez madame Dinville. Je ne trouvai personne sur mon passage, ce qui me donna la liberté de traverser une longue file d’appartements. Je n’entrais dans aucun sans sentir mon cœur agité par l’espérance de voir Suzon et la crainte de ne la pas trouver.

— Elle sera dans celui-ci, disais-je, ah ! je vais la voir… Personne ! Dans un autre de même.

J’arrivai ainsi jusqu’à une chambre dont je trouvai la porte fermée, mais la clef y était. Je n’étais pas venu si loin pour reculer, j’ouvris ; ma hardiesse fut un peu déconcertée à la vue d’un lit où je jugeai qu’il devait y avoir quelqu’un couché. J’allais me retirer, quand j’entendis une voix de femme demander qui c’était, et en même temps je reconnus madame Dinville, qui ouvrait les rideaux et avançait la tête. J’allais me retirer, si la vue de sa gorge ne m’en eût ôté le pouvoir en me rendant immobile.

— Eh ! c’est mon ami Saturnin, s’écria-t-elle ; viens donc m’embrasser, mon cher enfant.

Aussi hardi après ces paroles que j’étais timide avant qu’elle eût ouvert la bouche, je courus sans façon me jeter dans ses bras.

— J’aime, me dit-elle d’un air de satisfaction, quand je me fus acquitté d’un devoir où le cœur avait eu plus de part que la politesse, j’aime qu’un jeune homme se pique d’obéir ponctuellement.

À peine eut-elle achevé ces mots que je vis sortir d’un cabinet de toilette une petite figure minaudière, qui parut en écorchant d’un ton de fausset l’air d’une chanson nouvelle alors, dont il marquait la cadence par des pirouettes qui répondaient à merveille aux bizarres accents de sa voix.

À la brusque apparition de cet Amphion moderne, à qui j’entendis donner le nom d’abbé, je rougis pour madame Dinville des marques indiscrètes de bienveillance qu’elle venait de me donner, et pour mon propre compte, du motif de celles dont j’avais payé les siennes. Mais je me vengeai bientôt du trouble qu’il venait de me causer, par le jugement que je portai sur lui. La situation où l’on se trouve influe ordinairement sur la façon de penser des choses que l’on voit. Je ne doutai pas que mon arrivée imprévue n’eût dérangé une partie qui ne souffre de tiers qu’à titre d’importun : pouvais-je effectivement penser qu’un homme pût se trouver seul avec une femme sans y faire ce que je sentais que j’aurais fait moi-même.

Dans la crainte qu’il n’eût pénétré le sujet de ma visite, à peine osais-je jeter les yeux sur lui. Si la curiosité me les faisait quelquefois lever, la crainte de rencontrer sur son visage quelque sourire malin me les faisait baisser sur-le-champ ; je n’y trouvai pourtant pas ce que j’appréhendais si fort d’y apercevoir, et, perdant l’habitude de le regarder comme un témoin redoutable, mes yeux s’accoutumèrent insensiblement à ne plus voir en lui qu’un importun qui par sa présence allait gêner les plaisirs dont mon imagination avait fait un portrait si riant à mon cœur.

Je l’examinais avec attention, et, réfléchissant sur le nom d’abbé, que je venais de lui entendre donner, je cherchais dans toute sa petite personne quelques marques justificatives de cette qualité qui me paraissait fort mal placée. Je n’avais sur le mot d’abbé que des idées extrêmement bornées ; je m’imaginais que tous les abbés du monde devaient être faits comme monsieur le curé ou monsieur le vicaire ; et j’avais peine à concilier l’air bonhomme que je leur connaissais avec les pétulantes extravagances de celui que j’avais devant les yeux.

Ce petit Adonis, nommé l’abbé Fillot, était le fils du Receveur des Tailles de la ville voisine, homme fort riche, Dieu sait aux dépens de qui. Il revenait de Paris, comme la plupart des sots de sa trempe, plus chargé de fatuité que de doctrine, et il avait accompagné madame Dinville à sa campagne, pour lui faire passer le temps plus agréablement. Écolier, abbé, tout était bon pour elle.

La dame sonna, on vint ; c’était Suzon. Mon cœur tressaillit à sa vue ; j’étais charmé que mes conjectures se trouvassent aussi heureusement. Elle ne m’aperçut pas d’abord, parce que j’étais caché par les rideaux du lit sur lequel madame Dinville m’avait fait asseoir, situation que, par parenthèse, monsieur l’abbé commençait à ne pas trouver à son gré. Il avait peine à souffrir la petite liberté que madame Dinville me donnait, et je voyais qu’il taxait de mauvais goût la complaisance qu’elle me témoignait.

Suzon s’avança, elle me vit. Dans le moment, ses belles joues s’animèrent des plus vives couleurs ; elle baissa les yeux, l’agitation lui coupa la parole. J’étais dans un état peu différent du sien, excepté qu’elle baissait les yeux, et que les miens étaient fixés sur elle. Les charmes de madame Dinville, dont elle ne me ménageait pas la vue, sa gorge, ses tétons et les autres beautés de son corps, dont un drap jaloux dérobait, à la vérité, le spectacle à mes yeux mais n’en rendait la peinture que plus vive à mon imagination, tout cela avait fait dans mon cœur des impressions qui tournèrent en l’instant au profit de Suzon. Mais la réflexion corrigea bientôt un sentiment trop précipité et me ramena, non pas tout d’un coup, à mon caractère dominant.

Si j’eusse eu le choix de Suzon ou de madame Dinville, je n’aurais pas balancé : Suzon avait la pomme ; mais on ne me présentait pas l’alternative. La possession de Suzon n’était pour moi qu’une espérance fort incertaine, et la jouissance de madame Dinville était presque une certitude, ses regards m’en assuraient. Ses discours, quoique gênés par la présence du petit abbé, ne détruisaient pas l’espoir que ses yeux me laissaient concevoir. Suzon, après avoir été chargée d’avertir une femme de chambre, sortit, et son départ commença à restituer à madame Dinville des désirs qui lui appartenaient, puisqu’ils étaient son ouvrage.

Je restai cependant si troublé, les mouvements de mon cœur, combattus et détruits alternativement par deux causes qui l’intéressaient également, l’une par l’idée du plaisir, l’autre par celle du plaisir accompagné de quelque chose de plus touchant, étaient dans une si grande confusion, que je ne m’aperçus pas de la brusque disparition de l’abbé. Madame Dinville l’avait bien vu sortir ; mais, s’imaginant que je l’avais vu aussi, elle ne croyait pas qu’il fût besoin de m’en faire souvenir. Elle se pencha sur son coussin, et, me regardant avec une douce langueur qui me disait inutilement qu’il ne tenait qu’à moi de devenir heureux, elle me prenait tendrement la main, qu’elle me pressait dans la sienne, en la laissant de temps en temps tomber d’un air indifférent sur ses cuisses, qu’elle serrait et desserrait avec un mouvement lascif. Ses regards accusaient ma timidité, et semblaient me reprocher que je n’étais plus le même que la veille. Toujours préoccupé de la pensée que l’abbé nous examinait, je restais dans une défiance niaise qui l’impatienta.

— Tu dors, Saturnin ? me dit-elle.

Un galant de profession aurait profité de l’occasion pour débiter une tirade d’impertinences. Je ne l’étais pas, je n’en dis qu’une :

— Non, Madame, je ne dors pas.

Quoique cette réponse innocente diminuât de beaucoup l’idée que mon effronterie de la veille avait pu lui donner de mon savoir, elle ne fit pas de tort à sa bonne volonté pour moi ; elle fit un effet tout contraire ; elle me donna un nouveau titre à ses yeux, me fit regarder comme un novice, morceau délicat pour une femme galante, dont l’imagination est voluptueusement flattée par l’idée d’un plaisir d’autant plus vif, que celui qui le lui donne n’en connaît pas tout le prix, et l’aiguise lui-même par des ravissements qu’il n’a jamais éprouvés, par des transports qui augmentent la vivacité de ceux qu’elle ressent. C’est ainsi que pensait madame Dinville, et n’est-ce pas ainsi que pensent toutes les femmes ?

Mon indifférence fit connaître à la dame que sa façon d’attaquer ne faisait que glisser sur moi, et qu’il fallait quelque chose de plus frappant pour m’émouvoir. Elle me lâcha la main, et, étendant les bras avec un bâillement étudié, elle m’étala une partie de ses charmes. Son action retira mes esprits de l’engourdissement où ils étaient depuis la sortie de Suzon. Je me réveillai, la vivacité reparut sur mon visage, l’idée de Suzon se dissipa ; mes yeux, mes regards, mon impatience, tout fut dans l’instant pour madame Dinville. Elle s’aperçut de l’effet de sa ruse, et pour mener mes désirs par degrés, et m’encourager insensiblement à perdre ma timidité, elle me demanda, en jetant les yeux de côté et d’autre, ce qu’était devenu l’abbé. J’eus beau regarder je ne le voyais pas ; je sentis ma sottise.

— Il est sorti, reprit-elle ; et, affectant de jeter un peu son drap en se plaignant de la chaleur, elle me découvrit une cuisse extrêmement blanche, sur le haut de laquelle un bout de chemise paraissait mis exprès pour empêcher mes regards d’aller plus loin, et plutôt à dessein d’exciter que de contenter ma curiosité. Malgré l’obstacle qu’elle opposait, j’entrevis quelque chose de vermeil qui me mit dans un trouble dont ses yeux intéressés reconnurent bientôt le motif. Elle recouvrit adroitement un endroit dont la vue avait fait tout l’effet qu’elle en espérait. Je lui pris d’un air timide une main qu’elle m’abandonna sans résistance ; je la baisai avec transport ; mes yeux, que je fixai sur elle, étaient enflammés, les siens étaient brillants et animés. Les choses se disposaient à merveille ; mais il était écrit que les plus belles occasions s’offriraient sans que je pusse en profiter. Cette maudite femme de chambre que l’on avait dit à Suzon d’avertir, arriva dans le temps qu’on n’avait guère besoin d’elle. Je lâchai promptement la main que je tenais, la soubrette entra en riant comme une folle ; elle se tint un moment à la porte, pour se dédommager, par l’abondance de ses éclats, de la gêne que la présence de sa maîtresse allait leur faire.

— Qu’avez-vous donc, extravagante ? lui dit madame Dinville d’un air sec.

— Ah ! madame répondit-elle, monsieur l’abbé…

— Eh bien, qu’a-t-il fait ? reprit sa maîtresse.

Dans le moment rentra l’abbé en se cachant le visage avec son mouchoir. Les ris de la suivante augmentèrent à sa vue.

— Qu’avez-vous donc ? lui demanda madame Dinville.

— Vous voyez mon visage, répondit-il, en nous découvrant un visage qui paraissait sortir d’un violent assaut, voilà l’ouvrage de mademoiselle Suzon.

— De Suzon ? reprit madame Dinville, en éclatant à son tour.

— Voilà ce que coûte un baiser, poursuivit-il froidement ; ce n’est pas l’acheter trop cher, comme vous voyez.

Je ne pus m’empêcher de rire comme les autres de l’air aisé dont l’abbé nous parlait de son malheur. Il soutint sur le même ton les railleries que madame Dinville ne lui ménageait pas.

Elle s’habilla ; l’abbé, malgré le mauvais état de son visage, fit le coquet à la toilette, dit des impertinences, contrôla la coiffure, fit des contes à madame Dinville qui riait de ses balivernes. La suivante pestait contre ses corrections, et moi je riais de la figure du petit homme. Allons dîner.

Nous étions quatre à table : madame Dinville, Suzon, l’abbé et moi. Qui fit une sotte figure ? Ce fut moi, quand je me vis placé vis-à-vis de Suzon ; l’abbé, qui était à son côté, faisait bonne mine à mauvais jeu et paraissait bien embarrassé à persuader à madame Dinville que les traits railleurs dont elle l’accablait n’étaient pas capables de le déconcerter. Suzon n’était guère moins confuse, cependant je croyais voir dans ses regards furtifs qu’elle n’aurait pas été fâchée que nous eussions été seuls. Sa vue m’avait encore rendu infidèle à madame Dinville, et je souhaitais avec impatience que nous fussions sortis de table dans l’espérance de trouver quelque moyen de nous dérober. Le dîner fini, je fis signe à Suzon : elle m’entendit, elle sortit. J’allais la suivre ; madame Dinville m’arrêta en me disant qu’elle voulait que je lui servisse d’écuyer à la promenade. Se promener à quatre heures après-midi dans l’été ! La proposition parut extravagante à l’abbé, mais ce n’était pas pour avoir son approbation qu’elle la faisait. Elle avait ses vues ; elle savait qu’il était trop amoureux de son teint pour l’exposer avec aussi peu de ménagement à l’ardeur du soleil : aussi prit-il le sage parti de rester. J’aurais bien voulu me dispenser de suivre la dame pour aller rejoindre Suzon, mais je n’osais proposer un prétexte, et je sacrifiai mon envie à la déférence dont je crus devoir payer l’honneur qu’on voulait bien me faire.

Suivis des yeux par l’abbé, dont les éclats de rire extravagants prévenaient notre retour, et se vengeaient par avance de ceux que nous ne lui avions pas ménagés, nous marchions, avec une gravité concertée, au milieu des parterres sur lesquels le soleil dardait ses rayons les plus ardents. Madame Dinville ne leur opposait qu’un simple éventail, et moi l’habitude. Nous fîmes plusieurs tours avec une indifférence qui désespérait notre railleur. Je ne pénétrais pas encore le dessein de la dame et je ne concevais pas qu’elle pût résister à une chaleur que je commençais à trouver moi-même insupportable. J’allais m’impatienter de la qualité d’écuyer, et j’y aurais volontiers renoncé, mais je ne connaissais pas encore toutes les fonctions de cet emploi, et on m’en réservait une qui devait me consoler de l’ennui de la première.

Notre opiniâtreté avait forcé l’abbé de se retirer, nous étions au bout d’une allée ; madame Dinville se lança dans un petit bosquet dont l’agréable fraîcheur ne nous promettait plus qu’une promenade charmante, si nous la continuions dans cet aimable endroit. Je le lui dis.

— Je n’y suis pas venue pour en sortir si tôt, me répondit-elle, en jetant sur moi des yeux qui cherchaient à pénétrer dans les miens si je n’étais pas au fait du motif de sa promenade.

Elle n’y trouva rien. Je ne m’attendais pas au bonheur qui m’était préparé. Elle me tenait le bras qu’elle serrait affectueusement, et comme une personne extrêmement fatiguée, elle penchait la tête sur mon épaule, et approchait son visage si près du mien que j’aurais été un sot si je n’eusse pas pris un baiser qui se présentait de lui-même. On me laissa faire. Je réitérai ; même facilité, j’ouvris les yeux.

— Oh ! pour le coup, dis-je en moi-même, si elle le veut, c’est une affaire faite ; nous n’aurons pas ici d’importuns.

Il semblait qu’elle eût pénétré ma pensée, car nous étions engagés dans un labyrinthe dont les détours et l’obscurité nous dérobaient aux yeux les plus clairvoyants, elle me dit qu’elle voulait profiter de la fraîcheur du gazon. Elle s’assit à l’abri d’une charmille, qui entourait un petit carré où nous étions, rendait l’endroit délicieux pour l’usage auquel elle le destinait ; j’en fis autant, et je me mis à côté d’elle. Elle me regarda, me serra la main et se coucha. Je crus que l’heure du berger allait sonner, et déjà je préparais l’aiguille, quand tout à coup elle s’endormit. Je crus d’abord que ce n’était qu’un assoupissement léger causé par la chaleur, et qu’il me serait facile de dissiper ; mais voyant qu’il augmentait, j’eus la simplicité de me désespérer d’un sommeil dont la promptitude et la force devaient m’être suspectes.

— Encore, disais-je, si c’était après avoir satisfait mes désirs, je lui pardonnerais ! Mais avoir la cruauté de s’endormir au moment qu’elle me donnait les plus belles espérances, je ne pouvais m’en consoler.

Je l’examinais avec douleur : elle était dans le même habillement que la veille ; elle n’avait rien sur la gorge, mais elle y avait suppléé d’une façon qui en rendait l’impression plus piquante : elle y avait mis son éventail, qui suivait les mouvements du sein et se soulevait assez pour m’en laisser entrevoir la blancheur et la régularité. Pressé par mes désirs, je me sentais des envies de la réveiller, qui étaient sur-le-champ détruites par la crainte de l’indisposer et de faire évanouir, par mon impatience, un reste d’espoir dont son réveil me flattait encore. Je cédai cependant à la démangeaison de porter la main sur sa gorge.

— Elle dort d’un sommeil trop profond pour se réveiller, disais-je, et quand elle se réveillerait, mettons les choses au pis, elle me grondera, voilà tout. Je l’ai bien fait hier, elle ne l’a pas trouvé mauvais ; le trouvera-t-elle aujourd’hui ? Essayons.

Je portai une main tremblante sur un téton, tandis que je jetais les yeux sur le visage, prêt à finir au moindre signe qu’elle ferait ; elle n’en fit pas, je continuai. À peine ma main osait-elle s’appesantir ; elle ne faisait, pour ainsi dire, que friser la superficie, comme une hirondelle qui rase l’eau en y trempant de temps en temps ses ailes. Bientôt j’ôtai l’éventail, et bientôt je pris un baiser : rien ne la réveilla. Devenu plus hardi, je changeai de posture, et mes yeux, animés par la vue des tétons à faire de nouvelles découvertes, voulurent descendre plus bas. Je mis la tête aux pieds de la dame, et collant mon visage contre terre, je cherchais à pénétrer dans l’obscur pays de l’amour, et je ne voyais rien. Ses jambes étaient croisées et la cuisse droite se trouvant collée sur la gauche mettait mes regards en défaut. Je voulus du moins me dédommager en touchant de l’impossibilité de voir. Je coulai la main sur la cuisse et j’avançai insensiblement jusqu’au pied de la montagne. Déjà je touchais du bout du doigt l’entrée de la grotte, je croyais n’en pas souhaiter davantage, je croyais y borner tous mes désirs. Parvenu à ce point, je ne m’en trouvai que plus malheureux. J’aurai voulu que mes yeux participassent au plaisir de ma main ; je la retirai, et je retournai à ma première place pour y examiner de nouveau le visage de ma dormeuse. Je n’y trouvai aucune altération, il semblait que le sommeil eut versé sur elle ses pavots les plus assoupissants. J’entrevoyais cependant un œil dont le clignotement m’inquiétait. Je l’examinais avec défiance, et si dans l’instant il ne se fût fermé tout à fait, peut-être me serais-je contenté de ce que j’avais fait, et aurais-je attendu le réveil pour en faire davantage, mais l’immobilité de cet œil suspect me rendit la confiance. Je retournai à mon poste inférieur, et devenu plus entreprenant par l’espérance de l’impunité, je commençais à lever le jupon le plus doucement qu’il m’était possible. Elle fit un mouvement, je la crus réveillée. Je me retirai avec précipitation, et le cœur frappé d’un sentiment de frayeur, tel que peut l’avoir un homme qui voit un précipice dont le hasard vient de le sauver. Je me remis en tremblant à ma place sans oser la regarder ; mais je ne restai pas longtemps dans cette contrainte ; mes yeux retournèrent sur elle ; je reconnus avec plaisir que le mouvement qu’elle avait fait ne venait pas de son réveil, et je crus n’avoir à remercier que la fortune de l’heureuse situation dans laquelle elle venait de se mettre. Ses jambes s’étaient décroisées ; elle avait le genou droit élevé, et le jupon tombé par ce moyen sur son ventre exposait à mes yeux et ses cuisses et ses jambes, et sa motte et son con ! Je m’énivrai de ce charmant spectacle. Un bas proprement tiré, noué sur le genou avec une jarretière feu et argent, une jambe faite au tour, un petit pied mignon, une mule, la plus jolie du monde, des cuisses, ah ! des cuisses dont la blancheur éblouissait, rondes, douces, fermes ; un con d’un rouge de carmin, entouré d’une haie de petits poils plus noirs que le jais, et d’où sortait une odeur plus douce que celle des parfums les plus délicieux ! J’y mis le doigt, je le chatouillai un peu. Le mouvement qu’elle avait fait ayant extrêmement écarté ses jambes, j’y portai aussitôt la bouche, en tâchant d’y enfoncer la langue. Je bandais d’une force, ah ! les comparaisons l’exprimeraient faiblement !

Rien ne put alors m’arrêter : réflexion, crainte, respect, tout disparut. Mon cœur était devenu la proie des désirs les plus violents et les plus impétueux ; j’aurais foutu la sultane favorite en présence de mille eunuques, le cimeterre nu, et prêts à laver mes plaisirs dans mon sang. Je m’étendis sur madame Dinville, je l’enconnai, avec la précaution pourtant de ne pas m’appuyer sur elle de peur que la pesanteur de mon corps ne la réveillât. Appuyé sur mes deux mains, je ne la touchais qu’avec mon vit, je ne la poussais qu’avec un mouvement doux et réglé, qui me faisait avaler à longs traits le plaisir : je n’en prenais que la fleur.

Les yeux fixés sur ceux de ma dormeuse, je collais de temps en temps ma bouche sur la sienne ; la précaution que j’avais prise de m’appuyer sur mes mains ne tint pas contre le ravissement où je me trouvai bientôt. Plus d’attentions, je me laissai tomber sur la dame, il ne fut plus en mon pouvoir de faire autre chose que de la serrer et la baiser avec fureur. La fin du plaisir me rendit l’usage de mes yeux que le commencement m’avait ôté, elle me rendit le sentiment que j’avais perdu : je ne le recouvrai que pour voir des transports de madame Dinville que je n’étais plus en état de partager. Ma dormeuse venait de croiser les mains sur mes fesses, et, élevant le derrière qu’elle remuait avec une vivacité prodigieuse, elle m’attirait sur elle de toute sa force. J’étais immobile, et je lui baisais encore la bouche avec un reste de feu que le sien commençait à rallumer.

— Cher ami, me dit-elle à demi-voix, pousse encore un peu ; ah ! ne me laisse pas en chemin.

Je me remis à travailler sur de nouveaux frais, plein d’une ardeur qui ne s’éteignit pas sitôt que la sienne, car, à peine eus-je donné cinq ou six coups qu’elle perdit connaissance. Cette vue ne fit que m’animer davantage, je doublai le pas, je l’atteignis, je tombai sans mouvement dans ses bras, et nous confondîmes nos plaisirs dans nos embrassements mutuels.

Quand l’évanouissement du plaisir nous eut avertis qu’il était temps de changer de posture, je me retirai et j’avoue que je ne le fis pas sans confusion. Je baissais la vue, la dame avait les yeux tournés sur moi et m’examinait. J’étais sur mon séant ; elle me passa une main sur le col, me fit recoucher sur l’herbe, et porta l’autre main à mon vit. Elle se mit à me le chatouiller, à me baiser.

— Que veux-tu donc faire, grand innocent ? me dit-elle ; as-tu peur de me montrer un vit dont tu sais si bien te servir ? Te cachai-je quelque chose, moi ? Tiens, vois mes tétons, baise-les ; mets cette main-là dans mon sein, bon ; et celle-ci, porte-la à mon con ; à merveille ! Ah ! fripon, que tu me fais de plaisir !

Animé par la vivacité de ses caresses, j’y répondais avec la même ardeur ; mon doigt s’acquittait à merveille de sa fonction : elle roulait des yeux passionnés en m’embrassant et en me poussant de profonds soupirs dans la bouche. Elle tenait ma cuisse droite passée dans les siennes, et elle la serrait avec des redoublements de soupirs, qu’elle termina en se laissant tomber sur moi et en me couvrant des preuves parlantes du plaisir que je venais de lui donner.

Mon vit avait repris toute sa roideur, mes désirs renaissaient avec une nouvelle vivacité. Je me mis à mon tour à l’embrasser, à la serrer dans mes bras. Elle ne me répondait que par des baisers. J’avais toujours le doigt dans son con ; je lui écartai les jambes en regardant ce charmant endroit avec complaisance. Ces approches du plaisir sont plus piquantes que le plaisir même. Est-il possible d’imaginer quelque chose de plus délicieux que de manier, que de considérer une femme qui se prête à toutes les postures que votre lubricité peut inventer ? On se perd, on s’abîme, on s’anéantit dans l’examen d’un joli con ; on voudrait n’être qu’un vit pour pouvoir s’y engloutir. Pourquoi n’a-t-on pas la prudence de s’en tenir à ce charmant badinage ? L’homme, insatiable dans ses désirs, en forme de nouveaux dans le sein des plaisirs même ; plus les plaisirs qu’il goûte sont vifs, plus les désirs qu’ils font naître sont violents.

Découvrez une partie de votre gorge à votre amant, il veut la voir toute entière ; montrez-lui un petit téton blanc et dur, il veut le toucher : c’est un hydropique dont la soif s’accroît en buvant ; laissez-lui toucher, il voudra le baiser ; laissez-lui porter la main plus bas, il y voudra porter le vit : son esprit, ingénieux à lui forger de nouvelles chimères, ne lui laissera pas de repos qu’il ne vous l’ait mis.

S’il vous le met, qu’arrive-t-il ? Semblable au chien de la fable, il lâche l’os pour prendre l’ombre, il perd tout en voulant tout avoir. Tout cela est excellent, mais après tout, il en faut toujours revenir au proverbe : « Vit bandant n’a point d’arrêt », et moi-même, qui prêche ici comme un docteur, hélas ! si le ciel l’avait voulu, je serais le premier à faire le contraire de ce que je dis, s’il se présentait une femme dans l’attitude où l’avais mise madame Dinville, les jambes écartées, me montrant un con rouge et vermeil, où il ne tiendrait qu’à moi de me plonger dans une source de plaisirs, m’amuserais-je à lanterner, à baisoter, à chatouiller, à la foutaise, enfin ? Non, parbleu ! Je la foutrais sonica.

Jugez si je fus longtemps à coniller autour de ma fouteuse ! Je l’enconnai vigoureusement. Elle, vive et infatigable, m’embrassa, en répondant avec un mouvement égal aux coups que je lui donnais. J’avais les mains croisées sous ses fesses, elle avait les siennes croisées sur les miennes ; je la serrais avec transport, elle me serrait de même ; nos bouches étaient collées l’une sur l’autre, elles étaient deux cons ; nos langues se foutaient ; nos soupirs, poussés et confondus l’un dans l’autre, nous causaient une douce langueur, qui fut bientôt couronnée par une extase qui nous enleva, qui nous anéantit.

On a grande raison de dire que la vigueur est un présent du ciel. Libéral envers ses fidèles serviteurs, il consent que leurs rejetons participent à cette libéralité et que la force génitale soit héréditaire et passe des moines à leurs enfants : c’est le seul patrimoine qu’ils leur laissent. Hélas ! que je l’ai promptement dissipé, ce patrimoine ! Mais n’anticipons pas sur les événements ; retarder le récit de son malheur, c’est en adoucir le sentiment.

Toute l’étendue du don du Ciel m’était nécessaire pour sortir à mon honneur de l’aventure où j’étais engagé. Si j’avais affaire à forte partie, je pouvais, sans vanité, m’appliquer les paroles du Cid :

Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend pas le nombre des années.

J’en avais jusqu’alors donné les marques les plus vigoureuses à madame Dinville, mais il semblait que son courage s’accrût avec ma résistance, et elle s’aperçut bientôt que je ne me battais plus qu’en retraite. Elle m’excitait, elle m’animait à lui porter de nouveaux coups ; elle s’y présentait, et contribuait par ses caresses à me procurer une nouvelle victoire.

Je recommençais à la regarder avec langueur ; je retrouvais du plaisir à lui baiser la gorge ; je lui grattais le con avec plus de vitesse, je soupirais. Elle s’aperçut de l’heureuse disposition où ses caresses m’avaient mis.

— Ah ! le fripon ! me dit-elle en me baisant les yeux ; tu bandes : qu’il est dur, ton cher vit ! qu’il est gros ! qu’il est long ! Coquin ! tu feras fortune avec un vit comme celui-là, eh bien ! veux-tu recommencer, dis ?

Je ne lui répondis qu’en la pressant amoureusement de se renverser.

— Attends donc, reprit-elle, attends, mon ami, je veux te faire goûter un plaisir nouveau, je veux te foutre à mon tour : couche-toi comme je l’étais tout à l’heure.

Je me couchai aussitôt sur le dos ; elle monta sur moi, me prit elle-même le vit, me le plaça et se mit à pousser. Je ne remuais pas, je lui laissais tout faire, et je n’avais d’autre fatigue que celle de recevoir le plaisir qu’elle me donnait. Je la contemplais de temps en temps ; elle interrompit son ouvrage pour m’accabler de baisers. Ses tétons cédaient avec de petites secousses au mouvement de son corps et venaient se reposer sur ma bouche où je les suçais. Une sensation voluptueuse m’avertit de l’approche du grand plaisir. Je joignis mes élancements à ceux de ma fouteuse ; je déchargeai, elle déchargea, et je me retrouvai tout couvert du foutre dont elle m’avait inondé. Excédé, brisé par l’exercice violent, par les assauts que j’avais livrés et reçus depuis près de deux heures, je me sentis accablé par une envie de dormir à laquelle je cédai sans résistance. Madame Dinville me plaça elle-même la tête sur son sein, et voulus que je goûtasse les douceurs du sommeil dans un endroit où je venais de goûter toutes celles de l’amour, et qui était encore brûlant de mes baisers. Elle m’essuya elle-même la sueur de mon visage, et me donnant un baiser :

— Dors, me dit-elle, mon cher amour ; dors tranquillement ; je me contenterai de te voir.

Je m’assoupis bientôt, je dormis d’un profond sommeil, et le soleil s’approchait de l’horizon quand je me réveillai. Je n’ouvris les yeux que pour les porter sur madame Dinville, elle me regardait d’un air riant. Elle s’était occupée à faire des nœuds pendant mon sommeil. Elle interrompit son ouvrage pour me glisser la langue dans la bouche, et le laissa bientôt dans l’espérance que j’allais l’occuper à faire des nœuds d’une autre espèce. Elle ne me cacha point ses désirs et me pressa de les satisfaire. J’étais d’une nonchalance qui irritait son impatience. Je n’avais ni dégoût, ni envie, cependant je sentais que s’il eût dépendu de moi, j’aurais préféré le repos à l’action. Ce n’était pas là le dessein de la dame. Elle me tenait dans ses bras et m’accablait de caresses brûlantes : peine perdue, j’y étais insensible, je tâchais moi-même, mais en vain, d’exciter des désirs que je n’avais plus. Elle s’y prit d’une autre façon pour ranimer ma chaleur éteinte. Elle se coucha sur le dos, se troussa : elle connaissait combien une semblable vue avait de pouvoir sur moi ; elle remuait le derrière d’une manière lascive ; je sentais quelques légères émotions ; je portais la main sur ce qu’elle me montrait, mais je la portais d’un air indifférent. Je chatouillais avec plus d’indifférence encore ; elle me tenait pendant ce temps-là le vit, et semblable à un médecin qui tâte le pouls à un criminel à qui l’on donne la question, et sur sa force ou sa faiblesse règle la dose qu’on doit lui donner, elle me branlait avec plus ou moins de vitesse, proportionnément aux degrés de lubricité qu’elle sentait naître. Elle en vint enfin à son honneur : je bandai, elle triomphait ; je voyais dans ses yeux pétillants la joie que lui causait le retour de ma virilité. Charmé moi-même de l’effet de ses caresses, je voulus sur-le-champ lui donner des marques de ma reconnaissance. Elle les reçut avec une fureur amoureuse dont la vivacité seconda si bien mon zèle. Elle me serrait, se lançait avec des mouvements si rapides et si passionnés que je déchargeai sans presque m’être donné aucune peine, mais avec tant de plaisir que je voulus du mal à mon vit de l’obstacle qu’il avait apporté par sa lenteur à une jouissance aussi délicieuse. Il était temps de quitter ce gazon où nous venions de nous livrer à tous les transports de l’amour.


Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux

Nous le quittâmes, et pour tromper la pénétration maligne de ceux qui, nous voyant échauffés comme nous l’étions, ne pourraient en soupçonner la cause, nous fîmes quelques tours dans le labyrinthe, et ces tours ne se firent pas sans causer.

— Que je suis contente de toi, mon cher Saturnin, me disait madame Dinville. Et toi ?

— Moi, lui répondais-je, je suis enchanté des plaisirs que vous venez de me faire goûter !

— Oui, reprenait-elle, mais je ne suis guère sage de m’être ainsi livrée à tes désirs ; sauras-tu avoir de la discrétion, Saturnin ?

Je lui répliquai que je voyais bien qu’elle ne m’aimait guère, et qu’elle se repentait des bontés qu’elle avait eues pour moi, puisqu’elle me croyait capable d’en abuser. Elle fut si contente de ma réponse, que j’en aurais été sur-le-champ payé par le plus tendre baiser, si nous ne nous étions pas trouvés à l’entrée du parterre, et à portée d’être aperçus, mais, sans me répondre, elle me serra la main contre son cœur, et me regarda d’un air de langueur qui me charma.

Nous allions extrêmement vite ; la conversation était tombée, et je m’apercevais que madame Dinville jetait des yeux inquiets de côté et d’autre. Je n’avais garde d’en pénétrer la cause ; je ne la soupçonnais pas ; vous ne l’auriez pas soupçonnée vous-même, et vous ne vous seriez pas attendu qu’après avoir travaillé comme nous l’avions fait, la dame ne fût pas contente de sa journée. Ce n’était pourtant que l’envie de la couronner avec honneur qui la rendait si attentive, et qui la faisait examiner si soigneusement si quelque indiscret domestique ne viendrait pas y mettre obstacle. Mais, direz-vous, il fallait donc qu’elle eût le diable au cul ? D’accord ; elle venait de sucer ce pauvre petit Bougre ; il n’en pouvait plus ; il était rendu, cela est vrai, mais comment a-t-elle fait pour le faire bander ? Oh ! c’est ce que vous allez voir.

En garçon qui commençait à savoir son monde, puisque j’y venais de faire une entrée assez brillante, j’aurais crû manquer à mon devoir si je n’avais pas remis madame Dinville dans son appartement. Cela fait, je me préparais à lui tirer ma révérence, et je croyais l’embrasser pour la dernière fois de la journée :

— Eh quoi ! me dit-elle avec surprise, tu veux t’en aller, mon ami ? Il n’est pas huit heures ; va, reste, je ferai ta paix avec ton curé.

Je lui avais dit que j’avais changé de demeure et que j’avais l’honneur d’être un des pensionnaires de monsieur le curé. L’idée du presbytère me faisait baisser l’oreille, et je n’étais pas fâché que l’obligeante madame Dinville m’épargnât une heure de dégoût. Elle me fit asseoir sur son canapé, alla fermer la porte de sa chambre, et vint se mettre à côté de moi. Aussitôt, me prenant une main qu’elle pressait dans les siennes, elle me regarda fixement et sans me parler. Je ne savais que penser de ce silence, elle le rompit :

— Tu ne te sens donc plus d’envie ? me dit-elle.

L’impuissance où j’étais de la satisfaire me rendait muet ; l’aveu de ma faiblesse me coûtait à faire. Confus et désespéré, je baissais les yeux.

— Nous sommes seuls, mon cher Saturnin, reprit-elle, en me baisant avec des redoublements d’amour qui ne me rendaient pas plus amoureux ; personne au monde ne peut nous voir ; déshabillons-nous, couchons-nous sur mon lit. Viens, mon fouteur, viens, allons nous mettre tous nus. Va ! je te ferai bientôt bander.

Elle me prit dans ses bras, et me porta, pour ainsi dire, sur son lit. Elle m’aida à me déshabiller, et sa promptitude secondant son impatience, elle me vit bientôt dans l’état qu’elle désirait, nu comme la main. Je la laissais faire, plutôt par complaisance que par l’idée du plaisir. Elle me renverse sur son lit, et se couchant sur moi, elle me couvrait de ses baisers. Elle me suçait le vit, et aurait voulu le faire entrer jusqu’aux couilles dans sa bouche. Elle semblait extasiée dans cette posture, elle me couvrait d’une salive blanche semblable à de l’écume ; mais elle employait en vain toute la chaleur de ses caresses pour ranimer un corps glacé par l’épuisement. À peine mon vit se dressait-il, et c’était si faiblement, qu’elle n’en pouvait tirer aucun service. Elle courut aussitôt à une cassette d’où elle tira une petite fiole remplie d’une liqueur blanchâtre, qu’elle versa dans le creux de sa main, et m’en frotta les couilles et le vit à plusieurs reprises.

— Va, me dit-elle alors avec un air de satisfaction, nos plaisirs ne sont pas encore passés, mon cher Saturnin : tu m’en diras tout à l’heure des nouvelles.

J’attendais avec impatience l’accomplissement de sa prédiction. De petits picotements, que je sentais déjà dans les couilles, commençaient à me faire entrevoir quelque possibilité dans la réussite de son secret. Pour lui donner le temps d’opérer, elle se déshabillait à son tour. À peine se fut-elle montrée nue à mes yeux qu’une chaleur prodigieuse m’enflamma le sang ; mon vit banda, mais d’une force effroyable et telle que je ne l’avais pas encore sentie. Je devins enragé et, m’élançant sur elle, à peine lui donnai-je le temps de se reconnaître et de se mettre en posture. Je la dévorais ; à peine lui laissais-je la respiration libre ; je ne la voyais plus, je ne connaissais plus rien : toutes mes idées étaient concentrées dans son con.

— Arrête, mon cher amour ! s’écria-t-elle, en s’arrachant de mes bras ; ne nous pressons pas, mon cher roi, ménageons nos plaisirs, et, puisqu’ils ne peuvent durer qu’un instant, rendons-les vifs et si délicieux que nous ne songions pas à leur durée. Mets ta tête à mes pieds et tes pieds à la mienne. Je le fis. Mets ta langue dans mon con, et moi je vais mettre ton vit dans ma bouche.

Nous y voilà ! Cher ami, que tu me fais de plaisir !

Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux, édition de 1922, Figure
Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux, édition de 1922, Figure

Dieux ! qu’elle m’en faisait aussi. Mon corps, étendu sur son corps, nageait dans une mer de délices ; je lui dardais ma langue le plus avant que je pouvais ; j’aurais voulu y mettre la tête, m’y mettre tout entier ! Je suçais son clitoris ; j’allais jusqu’au fond puiser un nectar rafraîchissant, plus délicieux mille fois que celui que l’imagination des poètes faisait servir sur la table des dieux par la déesse de la jeunesse, à moins que ce ne fût le même, et que la charmante Hébé ne leur donnât son conin à sucer. Si cela est, tous les éloges qu’ils ont donnés à cette boisson divine sont bien au-dessous de la réalité. Quelque critique de mauvaise humeur m’arrêtera ici tout court, et me dira :

— Que buvaient donc les déesses ?

— Elles suçaient le vit de Ganimède.

Madame Dinville me tenait le derrière serré dans ses bras, et je pressais ses fesses dans les miens ; elle me branlait avec la langue et avec les lèvres, et je lui en faisais autant ; elle m’avertissait, par de petites secousses et en écartant les cuisses, du progrès que le plaisir faisait sur elle, et les mêmes signes qui m’échappaient lui faisaient connaître celui qu’il faisait sur moi. Modérant ou augmentant la vivacité de nos caresses, nous plongions ou nous avancions celui qui devait y mettre le comble ; il vint insensiblement : alors, nous roidissant, nous serrant avec plus de force, il semblait que nous eussions ramassé toutes les facultés de notre âme pour ne nous occuper que des délices que nous allions goûter.

Loin d’ici, fouteurs à la glace,
Dont le vit, effrayé d’aller jusqu’à deux coups,
Mollit au premier coup et déserte la place ;
Loin d’ici : mes transports ne sont pas faits pour vous.

Nous déchargeâmes en même temps ; je pressai dans ce moment, je couvris tout le con de ma fouteuse ; je reçus dans ma bouche le foutre qui en sortait, je l’avalai, elle en fit autant de celui qui sortait de mon vit. Le charme se dissipa, et je ne gardai du plaisir que je venais d’avoir qu’une légère idée qui, en s’évanouissant comme l’ombre, ne me laissa que le désespoir de ne pouvoir le renouveler. Tels sont les plaisirs.

Retombé dans le même état de dégoût et d’affaiblissement dont le secret de madame Dinville m’avait retiré, je la pressai d’y recourir encore.

— Non, mon cher Saturnin, me dit-elle ; je t’aime trop pour vouloir te donner la mort. Contente-toi de ce que nous avons fait.

Je n’étais pas pressé de mourir, et un plaisir qu’il nous fallait acheter aux dépens de sa vie n’était plus de mon goût. Nous nous rhabillâmes. J’étais trop content de ma journée pour négliger de prendre des assurances d’en passer encore de semblables. Madame Dinville, qui n’était pas plus mal satisfaite que moi, me prévint.

— Quand reviendras-tu ? me demanda-t-elle en m’embrassant.

— Le plus tôt que je pourrai, lui répondis-je, mais jamais assez tôt pour mon impatience ; demain, par exemple ?

— Non, me dit-elle en souriant, je te donne deux jours : reviens me voir le troisième, et le jour que tu viendras, continua-t-elle en rouvrant la même cassette d’où elle avait tiré cette eau admirable dont j’avais éprouvé la vertu et en me donnant quelques pastilles qu’elle y prit, tu auras soin de manger cela. Surtout, Saturnin, sois discret ; ne parle à personne de tout ce que nous avons fait.

Je l’assurai d’un secret éternel ; nous nous embrassâmes pour la dernière fois, et je la laissai bien persuadée qu’elle venait de recevoir l’offrande de mon pucelage.

Madame Dinville était restée dans son appartement. Elle m’avait averti de faire en sorte que l’on ne m’aperçut pas ; l’obscurité me favorisait. Je traversais une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui ? par Suzon.

Sa vue me rendit immobile : il semblait que sa présence me reprochât les plaisirs que je venais de goûter. Mon imagination, d’intelligence avec mon cœur pour m’accabler, la rendait témoin de tout ce que je venais de faire. Elle me prit la main et demeura sans parler. La confusion me faisait baisser la vue. Inquiet cependant de son silence, je ne confiai qu’à mes yeux le soin de lui en demander la cause, je les levai sur elle : je m’aperçus qu’elle versait des larmes. Suzon y reprit dans le moment l’empire que les caresses de madame Dinville lui avaient enlevé. Je ne pouvais concevoir que sa maîtresse eût fasciné mes yeux et mon cœur au point de ne voir qu’elle, de n’être sensible qu’au plaisir d’être avec elle, et j’avais la simplicité de regarder comme l’effet de quelque sortilège ce qui n’était que celui de mon tempérament et de l’attrait des plaisirs.

— Suzon, dis-je à ma sœur d’un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon ; tes yeux se couvrent de larmes quand tu me vois ; est-ce moi qui les fais couler ?

— Oui, c’est toi, me répondit-elle ; je rougis de te l’avouer, cruel Saturnin, oui, c’est toi qui me les arraches ; c’est toi qui me désespères et qui va me faire mourir de douleur.

— Moi ! m’écriai-je ; juste ciel ! Suzon, oses-tu me faire de pareils reproches ? Les ai-je mérités, moi qui t’aime ?

— Tu m’aimes ? reprit-elle : ah ! je serais trop heureuse si tu disais vrai ! Mais peut-être viens-tu de jurer la même chose à madame Dinville. Si tu m’aimais, l’aurais-tu suivie ? N’aurais-tu pas trouvé un prétexte pour venir me trouver quand je suis sortie ? Vaut-elle mieux que moi ? Qu’as-tu fait avec elle pendant toute l’après-dînée ? Qu’as-tu dit ? Pensais-tu à Suzon, à une sœur qui t’aime plus que sa vie ? Oui, Saturnin, je t’aime ; tu m’as inspiré pour toi une passion si violente que je mourrais de douleur si tu n’y répondais pas. Tu te tais ? poursuivit-elle, ah ! je ne le vois que trop : ton cœur ne se faisait pas de violence pour suivre une rivale que je vais haïr à la mort, car elle t’aime, je n’en saurais douter ; tu l’aimes aussi : tu n’étais occupé que du plaisir qu’elle se promettait, tu ne songeais guère à la douleur que tu m’allais causer ! J’en suis encore pénétrée. Peux-tu la voir sans en ressentir toi-même ?

Attendri par des reproches dont l’éloquente facilité me faisait reconnaître les impressions de l’amour que je venais moi-même d’éprouver, en exprimant à madame Dinville des sentiments qui, quoique momentanés, prenaient leur source dans mon cœur, et naissaient de la passion que ses caresses y avaient allumée :

— Suzon, répondis-je, tu déchires mon cœur par tes plaintes. Cesse-les, n’accable pas ton malheureux frère ; tes larmes le désespèrent ; je t’aime plus que moi-même, je t’aime plus que je ne peux dire !

— Ah ! reprit-elle, tu me rends la vie, ne penses donc plus qu’à moi. Depuis hier toi seul m’occupes, ton imagination me suit partout, sois de même, mais écoute, Saturnin : si je consens d’oublier l’injure que tu m’as faite, ce n’est que sous la promesse que tu ne verras plus madame Dinville. As-tu assez d’amour pour moi pour me la sacrifier ?

— Oui, lui répondis-je, je te la sacrifie ; tous ses charmes ne valent pas un seul de tes baisers.

En lui disant cela, je l’embrassais, et elle ne rebutait pas mes caresses.

— Saturnin, reprit-elle en me serrant tendrement la main, sois sincère : madame Dinville aura exigé de toi que tu reviennes la voir : quand t’a-t-elle dit de revenir ?

— Dans trois jours, lui répondis-je.

— Et tu viendras, Saturnin ? me dit-elle tristement.

— Dis-moi ce qu’il faut que je fasse, lui répliquai-je. Si je viens, ce ne sera pour la désespérer par mon indifférence ; mais si je ne viens pas, qu’il en coûtera à mon cœur d’être si longtemps sans voir ma chère Suzon !

— Je veux que tu reviennes, reprit-elle, mais il ne faudra pas qu’elle te voie. Je ferai semblant d’être malade ; je resterai au lit, nous passerons la journée ensemble. Mais ajouta-t-elle, tu ne sais pas où est ma chambre ? Suis-moi, je vais t’y conduire.

Je me laissai mener ; je marchais d’un pas tremblant, averti par un secret pressentiment du malheur qui allait m’arriver.

— C’est ici, me dit Suzon, l’appartement qu’on m’a donné. Auras-tu regret d’y passer la journée avec moi ?

— Ah ! Suzon, lui répondis-je, quelles délices tu me promets ! Nous serons seuls, ma chère Suzon, nous nous verrons continuellement, nous nous abandonnerons à tout notre amour ! Suzon, conçois-tu ce bonheur comme moi ?

Elle se taisait ; elle paraissait enfoncée dans une profonde rêverie. Je la pressai de s’expliquer.

— Je t’entends bien, me répondit-elle d’un ton qui marquait l’agitation de son âme. Tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à tout notre amour… Ah ! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et que les plaisirs qu’il te promet te touchent peu, si tu as la force de les attendre deux jours !

Je sentis toute la force de son reproche. L’impossibilité de lui en prouver l’injustice me mettait au désespoir. Une foule de réflexions cruelles vint se présenter à mon imagination. Quels tristes retours sur les plaisirs que je venais de goûter avec madame Dinville ! Je les maudissais, je me détestais, je me désolais.

— Ciel ! m’écriai-je au fond de mon cœur, je suis avec Suzon, j’aurais donné mon sang pour jouir de ce bonheur ! J’y suis, et je ne puis en profiter, je suis épuisé, je n’ai pas même la force de former un désir ! Hélas ! de quoi me servirait d’en former, si je n’ai pas celle de les satisfaire ?

Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des pastilles que madame Dinville m’avait données. Je jugeai que l’effet devait en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu’il ne fût aussi prompt, j’en avalai quelques-unes. L’espoir de désabuser bientôt Suzon me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux : Suzon, qui la prit pour un témoignage de mon amour, et moi, qui la regardai comme une marque du retour de ma vigueur. Suzon, abusée par l’idée du plaisir qu’elle comptait que j’allais lui donner, tomba sur son lit à demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j’aurais cru l’accabler de douleur si je ne m’étais pas mis en état de justifier l’espérance qu’elle venait de concevoir. Je me couchai sur elle, et, collant ma bouche sur sa bouche, je lui mis mon vit dans la main. Il était encore mou, mais je crus que son secours hâtant l’effet des pastilles, il serait bientôt dans l’état où je le souhaitais. Elle le serrait, elle le remuait, elle le branlait et rien n’avançait. Je fis des efforts cent fois plus grands que ceux que je venais de faire avec madame Dinville. J’avais beau faire, un froid mortel m’avait glacé le corps ! C’est Suzon, disais-je, c’est ma chère Suzon que j’embrasse ; et je ne bande pas ! Je baise ses tétons, ses deux charmants tétons que j’idolâtrais hier : ne sont-ils plus les mêmes aujourd’hui ? Ils n’ont rien perdu de leur rondeur, de leur dureté, de leur blancheur. Cette peau que je touche est aussi douce et aussi belle qu’elle l’était quand sa vue m’enchantait. Ses cuisses, que je presse contre mes cuisses, ne sont-elles pas brûlantes comme elles l’étaient hier ? Elle les écarte, j’ai le doigt dans son con, hélas ! et je n’y peux mettre que le doigt !

Suzon soupirait de ma faiblesse ; je maudissais le funeste présent de madame Dinville. Je m’imaginais qu’elle avait prévu ce qui devait m’arriver en sortant de chez elle, et que, pour me désespérer, elle avait voulu achever, avec ses pastilles, l’épuisement où elle m’avait mis. L’opiniâtreté de ma froideur confirma si bien cette pensée, que quelque honte que j’envisageasse à avouer mon impuissance à Suzon, j’étais prêt à le faire, quand je sortis d’embarras d’une manière à laquelle je n’avais pas lieu de m’attendre. On va penser que l’amour fit tout à coup un miracle en ma faveur, que je bandai, que j’enconnai, que je foutis ? Point du tout. Une main invisible, ouvrant avec fracas les rideaux de mon lit, vint m’appliquer le plus épouvantable soufflet que j’eusse senti de ma vie.

Effrayé de cet étrange accident, je n’eus pas la force de crier ; à peine eus-je celle d’ouvrir la porte et de fuir, laissant là Suzon exposée à la fureur du spectre, car je ne doutais pas que ce n’en fût un. Je sortis du château en diligence et je tremblais encore dans mon lit, où je m’étais mis en arrivant chez le curé, à qui je fis un récit détaillé d’un spectacle que je n’avais pas eu, et que mon imagination me faisait croire à moi-même véritable. Je n’en imposai au pasteur que sur le lieu de la scène, que je n’eus garde de mettre dans la chambre de Suzon.

La frayeur jointe à l’épuisement me jeta dans un abattement qui me procura un profond sommeil. Je me réveillai le lendemain avec le même accablement : je voulus me lever, il me fut impossible. Surpris d’une lassitude que je ne pouvais attribuer qu’à l’exercice de la veille, quoiqu’alors, dissipé par la vivacité de l’action, je ne l’eusse pas sentie, je reconnus pour la première fois combien il est nécessaire de se ménager dans ses transports amoureux et ce que coûte une complaisance trop aveugle pour les désirs de ces sirènes voluptueuses qui vous sucent, qui vous rongent, et qui ne vous lâcheraient qu’après avoir bu votre sang, si leur intérêt, soutenu de l’espérance de vous attirer encore par leurs caresses, ne les retenait. Pourquoi ne fait-on ces réflexions qu’après coup ? En amour la raison n’éclaire jamais que notre repentir.

Le repos avait insensiblement effacé de mon esprit l’impression des idées lugubres que la frayeur y avait tracées, mais devenu tranquille sur mon compte, mon cœur n’en ressentit que plus vivement les inquiétudes que lui causait l’incertitude du sort de Suzon. Je me représentais avec un frisson d’horreur l’état où je l’avais laissée. Elle sera morte, disais-je tristement ; timide comme je la connais, il n’en fallait pas tant pour lui donner la mort.

Elle n’est donc plus ! continuais-je, accablé par cette réflexion cruelle. Suzon n’est plus ! Ah ! ciel !

Mon cœur, que ces douloureuses pensées avaient serré d’abord, s’ouvrit bientôt après à un torrent de larmes, et j’en versais encore quand je vis entrer Toinette, qu’on avait instruite de ma maladie. Sa vue m’épouvanta. Je tremblais qu’elle ne vint me confirmer un malheur dont je ne doutais plus, et je mourais d’envie de me l’entendre répéter de sa bouche. Il n’en fut pas question, et son silence sur ce sujet, joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma douleur pouvait être sans fondement. J’en vins jusqu’à penser que Suzon en avait peut-être été quitte comme moi pour la frayeur. Le chagrin que j’avais ressenti de sa mort fit place à la curiosité de savoir ce qui s’était passé dans sa chambre après mon départ, mais c’était une curiosité que je ne pouvais satisfaire qu’après mon rétablissement.

Les deux jours de repos que madame Dinville m’avait accordés étaient expirés, nous étions au troisième, et quoique je commençasse à me sentir une vigueur qui m’assurait de ma guérison, je ne fus nullement tenté de lui aller chercher de l’exercice au château. Le souvenir de ce qui m’était arrivé agissait encore si puissamment sur mon imagination, qu’il étouffait mes désirs avant leur naissance. Je ne songeais cependant qu’avec chagrin à l’obstacle que cette funeste aventure avait mis aux plaisirs que je m’étais promis d’avoir avec Suzon. Cette réflexion me fit penser aux pastilles de madame Dinville, et uniquement dans la vue d’éprouver jusqu’à quel point elles pourraient faire monter ma nouvelle vigueur, j’en mangeai ce qui me restait. Je ne dirai pas si leur effet fut vif ou lent ; mais, après avoir dormi d’un profond sommeil, occasionné ou non par cette drogue luxurieuse, je me réveillai par la force de l’érection que je sentais. J’en aurais été effrayé, et j’aurais craint que mes nerfs, dont la tension prodigieuse me faisait une vive douleur, ne se rompissent, si je n’eusse éprouvé presque la même chose chez madame Dinville. J’étais fort embarrassé. Qu’on rie de mon embarras, que l’on me dise, si l’on veut :

— Eh quoi ! brave Dom Bougre, n’aviez-vous pas quatre doigts et le pouce à la main, secours certain et infaillible contre l’intempérance de la chair ? Demandez plutôt à ces cafards de prêtres, à ces hypocrites, qui portent la mortification sur leurs faces blêmes et hideuses, et la luxure, la paillardise la plus sensuelle dans leur cœur corrompu. Comment font-ils ? On ne trouve pas toujours un bordel, une dévote sous sa main ; mais on a toujours un vit. Ils s’en servent, ils se branlent jusqu’à se faire venir cette couleur pâle que les sots prennent pour l’effet de leurs austérités. Que ne vous serviez-vous de la même recette ? N’est-elle pas souveraine ?

Je le savais, mais il n’y avait pas longtemps qu’il m’était arrivé de me trouver brisé, moulu, impotent, pour m’en être un peu trop donné. Je me sentais des dispositions à m’en donner encore, peut-être un peu plus que de raison, et je n’étais pas fort curieux de me revoir dans le même état. J’étais en garde contre la tentation, je me contentais de me branloter, de donner de temps en temps quelques petites secousses, de faire venir le plaisir jusqu’à ma portée, et de m’arrêter tout à coup, puis de recommencer, et cela m’amusait. Le plaisir n’est pas si grand que quand vous faites le cas, mais vous avez la faculté de le répéter autant de fois que vous le jugez à propos. Votre imagination se joue, voltige sur tous les objets qui vous ont charmé les yeux : c’est la brune, c’est la blonde, c’est la petite, c’est la grande. Avec un coup de poignet vous foutez toute la terre ; vos désirs ne connaissent pas l’intervalle des conditions ; ils vont jusque sur le trône, et les beautés les plus fières, forcées de céder, vous accordent tout ce que vous leur demandez. Du trône vous descendez rapidement à la grisette : vous vous représentez une fille timide, qui n’a pas encore essayé des plaisirs de l’amour, qui ne connaît la nature de vos désirs que par ceux qu’elle ressent ; vous lui donnez un baiser sur la bouche, vous la voyez rougir, vous levez sans obstacle un mouchoir qui vous cachait une gorge naissante, qui palpite, qui soupire ; vous descendez plus bas, vous trouvez un petit conin chaud, brûlant, vous lui faites faire une résistance que l’intérêt de votre plaisir augmente, diminue, fait évanouir à son gré.

Le plaisir est d’un naturel vif et sémillant. S’il était possible de le comparer à quelque chose, je le comparerais à ces feux qui sortent brusquement de la terre, et qui s’évanouissent au moment que votre œil, frappé par l’éclat de la lumière, cherche à en pénétrer la cause. Oui, voilà le plaisir : il se montre et s’échappe. L’avez-vous vu ? Non. Les sensations qu’il a excitées dans votre âme ont été si vives, si rapides, qu’anéantie par la force de son impulsion, elle s’est trouvée dans l’impuissance de le connaître. Le vrai moyen de le tromper, de le fixer, de le forcer à demeurer avec vous, c’est de badiner avec lui, de l’appeler, de le considérer, de le laisser échapper, de le rappeler, de le laisser fuir encore pour le retrouver, enfin, en vous livrant tout entier à ses transports.

J’étais dans cette occupation ; la nuit était déjà fort avancée ; j’allais finir mon badinage pour m’abandonner au sommeil, quand, malgré l’obscurité, j’entrevis quelqu’un en chemise qui passait aux pieds de mon lit et qui disparut dans l’instant. Je fus moins effrayé que réveillé par une pareille vision. Je pensai que c’était cet abbé dont je vous ai parlé dans le portrait de mademoiselle Nicole. C’est lui, dis-je en moi-même, oui, c’est lui ; où va ce bougre-là ? Foutre Nicole ! Ira-t-il tout seul ? Non, parbleu ! car je le vais suivre.

Je me jette en bas du lit : j’étais en habit de combat, c’est-à-dire en chemise ; je savais les aîtres. Je gagnai un petit corridor où était la chambre de la belle. Je marchais à tâtons, et j’entrai à tâtons dans une chambre dont la porte n’était pas fermée ; je la repoussai et je m’approchai avec beaucoup de circonspection du lit où je croyais nos amants occupés à prendre leurs ébats. J’allongeais la tête, en prêtant une oreille attentive ; j’attendais que leurs soupirs m’apprissent si mon tour tarderait longtemps à venir. J’entendais respirer quelqu’un, mais ce quelqu’un paraissait être seul.

Ne serait-il pas venu ? dis-je alors bien étonné. Non, assurément, il n’y est pas, poursuivais-je, en redoublant d’attention. Il n’y est pas. Oh ! parbleu ! monsieur l’abbé, vous n’en tâterez, ma foi ! que d’une dent. Dans le moment, je coulai ma main entre les jambes de la belle dormeuse, et je me hasardai à lui donner un baiser sur la bouche.

— Ah ! me dit-on d’une voix basse, que vous vous êtes fait attendre ! Je dormais ; montez donc.

Ma foi ! je montai dans le lit, et bientôt sur ma Vénus. Elle me reçut assez froidement dans ses bras. Je fus sensible à cette marque d’indifférence, qu’elle s’imaginait donner à un amant que je croyais aimé tendrement. Je m’applaudissais de l’heureux succès que la fortune avait pris soin de donner à mes désirs, je la remerciais du moyen qu’elle me procurait de tirer une vengeance aussi douce des mépris de ma tigresse.

Je la baisais à la bouche ; je lui pressais les yeux avec mes lèvres ; je me livrais à des transports d’autant plus vifs qu’on leur avait toujours refusé la liberté d’éclater. Je lui maniais les tétons, cette gorge charmante (assurément Nicole en avait une des plus belles) ferme, élevée, grasse, blanche, des tétons bien séparés, bien formés, durs, en un mot, une gorge accomplie. Je nageais sur un fleuve de délices ; enfin j’achevai un ouvrage que j’avais souhaité tant de fois faire avec cette divinité. Je lui en donnai une si bonne dose qu’il me parut par ses hélas ! ses exclamations et ses transports, qu’elle ne s’attendait pas d’être si bien régalée. À peine eus-je fourni ma carrière, que ne me sentant que plus animé par cette première course, je repris du champ, et par une seconde, qui ne fut pas moins vigoureuse que la première, je donnai une nouvelle matière à ses éloges. Je l’avais mise en goût, et je jugeai, aux caresses, aux noms tendres qu’elle me prodiguait, qu’elle n’attendait qu’une troisième preuve de valeur pour mettre cette nuit au-dessus de toutes celles qu’elle disait que nous avions passées ensemble. Quoique je sentisse encore mon fourniment assez bien garni pour lui donner cette satisfaction, la crainte d’être surpris par l’abbé amortit un peu mon courage. Je ne savais à quoi attribuer sa lenteur. Je ne pouvais en accuser qu’un changement de résolution. Je crus que je pouvais reprendre haleine, et ne pas précipiter mes coups comme je venais de le faire.

Deux décharges abattent un peu les fumées de l’amour ; l’illusion se dissipe, l’esprit rentre dans ses fonctions ; les nuages dont la force de la passion l’obscurcissaient, s’évanouissent ; les objets cessent alors d’être ce qu’ils étaient, l’esprit leur assigne leur véritable prix. Les belles y gagnent, les laides y perdent : tant pis pour elles. Je voudrais en passant, donner un conseil à celles-ci.

Laides, quand vous accordez vos faveurs à quelqu’un, ménagez-les, ne l’en accablez pas : quand on n’a plus rien à désirer, on ne désire plus ; la passion s’éteint par une jouissance trop complète. Prenez-y garde ; vous n’avez pas les mêmes ressources qu’une belle, à qui ses charmes promettent un prompt retour de ces désirs qu’elle vient d’assouvir, et que le moindre sourire, la moindre caresse, va rallumer avec plus de feu.

La réflexion que je viens de faire cadre le mieux du monde avec ce que j’éprouvai. Je m’amusais à parcourir avec la main les beautés de ma nymphe ; j’étais surpris de trouver une différence dans les mêmes choses que je maniais actuellement, et que j’avais maniées un moment auparavant. Ses cuisses, qui m’avaient paru douces, fermes, remplies, unies, étaient devenues ridées, molles, sèches ; son con n’était plus qu’une conasse ; ses tétons que des tétasses, ainsi du reste. Je ne pouvais concevoir un pareil prodige ; j’accusais mon imagination de s’être refroidie, je voulais du mal à ma main du rapport trop fidèle qu’elle lui faisait. Ce n’est pas que ces témoignages incertains m’eussent empêché de livrer un troisième assaut. J’allais m’y présenter, et déjà on se préparait à le recevoir, quand nos oreilles furent frappées par un charivari qui se fit entendre dans la chambre voisine, que je prenais pour celle de la dame Françoise, notre vénérable gouvernante.

— Ah ! le chien ! criait une voix enrouée ; ah ! la misérable ! ah ! la…

À ces mots, ma mignonne, que j’étais prêt d’enconner, me repoussant me dit :

— Ah ! mon Dieu, que fait-on à notre fille ? Est-ce qu’on la tue ? Allez donc voir.

Je ne répondis pas. Frappé du discours que l’on venait de me tenir, je ne savais pas où j’en étais :

— Notre fille ? disais-je ; Nicole aurait-elle une fille ?

Le bruit continuait, et l’on continuait de me presser d’aller au secours. Je ne m’en remuais pas davantage. On s’impatiente, on court au fusil, on allume de la chandelle, et, à la faveur de la lumière, je reconnais, le dirai-je ? la dame Françoise, cette vieille… Ah ! quand je me rappelle ce désagréable moment, je demeure encore pétrifié, comme je le fus à la vue de ce fantôme. Je vis bien que je m’étais trompé de porte, et je me mordais les doigts dans la rage où j’étais de me voir la dupe de ce misérable abbé, ou plutôt de mon impatience qui ne m’avait pas permis de faire attention à la disposition des lieux. Je jugeai que monsieur le curé, s’étant apparemment trouvé en humeur de s’ébaudir cette nuit-là avec sa gentille chambrière, l’avait avertie de se tenir prête pour la danse, et que c’était ce qui m’avait attiré le tendre reproche que la dame, qui me prenait pour le pasteur, m’avait fait sur ma lenteur à me rendre à mon poste ; que le saint prêtre, pour éviter le scandale, avait attendu que la nuit fût plus avancée pour tenir à sa beauté la parole qu’il lui avait donné, et que trompé par l’obscurité de la nuit, il était tombé dans la même erreur que moi, ou peut-être que trouvant la porte de la chambre de sa chère nièce ouverte, la tendresse l’avait fait courir à son lit, où il l’avait trouvée plus occupée qu’elle ne devait l’être, que frappé de l’idée d’infamie, dont elle couvrait son front respectable, il s’était jeté à travers les combattants, et leur avait dit à tous les deux plus que leur nom, et même donné des témoignages de sa colère plus forts que jeu.

Mais le bruit redouble ; ils s’étranglent ; quel tintamarre effroyable ; eh ! vite, madame Françoise, volez sur le champ de bataille : l’honneur, l’amour, la curiosité, la tendresse maternelle, tout vous en fait une loi. Allez séparer des ennemis si chers, et dont la mort vous ferait mourir de douleur ; mais, au nom de Dieu, laissez la porte ouverte pour que je puisse me sauver. Oh ! la chienne ! elle la ferme à double tour. Malheureux Saturnin, comment vas-tu faire ? Comment vas-tu t’échapper ? La dame Françoise va s’apercevoir que ce n’est pas avec le curé qu’elle a eu affaire, le curé va entrer ici, il va te trouver… Ah ! pauvre diable, quel orage de coups va fondre sur ta peau ! Tu payeras pour les autres !

Telles étaient les pensées qui m’agitaient tandis qu’on chamaillait dans la chambre voisine. J’avais essayé d’ouvrir la porte, mais inutilement. Réduit à pleurer ma malheureuse situation, je m’y abandonnais lâchement, insensé que j’étais, comme si je n’eusse pas déjà éprouvé que telle est la condition des hommes ; que leurs biens et leurs maux ont une liaison si étroite, se suivent de si près qu’au sein du malheur même on ne doit pas désespérer de son bonheur ; que souvent, au moment que vous vous croyez accablé par les coups redoublés du sort en courroux, le hasard fait éclore de votre malheur les jours les plus riants et les plus fortunés. Ô divine providence ! c’est en vertu de tes sages décrets que nous voyons opérer ces merveilles, et cette vicissitude était sans doute nécessaire pour corriger le désordre de nos passions.

Au moment que caché sous le lit, où je m’étais réfugié, je me livrais au désespoir, la fortune tournait sa roue. Le bruit n’avait fait qu’augmenter à la vue de Françoise, à qui le chandelier était tombé des mains à l’aspect du curé qu’elle croyait dans sa chambre ; elle prit celui qu’elle voyait pour un spectre. Qu’on se peigne cette scène. Si j’en avais été témoin, j’en épargnerais la peine, mais la connaissance des parties me met en état de fournir des idées qui peuvent contribuer à la perfection du tableau. Qu’on se figure, si l’on veut, monsieur le curé, nu en caleçon, un bonnet gras sur la tête, ses petits yeux étincelants, sa grande bouche écumante, frappant comme un sourd sur l’abbé et sur la nièce.

Qu’on se représente ces deux tendres amants, la belle tremblante et s’enfonçant le plus qu’elle peut dans son lit pour se dérober aux coups, l’abbé tantôt se cachant sous la couverture et tantôt tirant la tête hors du lit, et allongeant de vigoureux coups de poing sur la physionomie du pasteur qui rugit. Qu’on se trace la figure d’une mégère en chemise, qui, la chandelle à la main, s’approche du lit, veut crier, et au même moment demeure interdite, la bouche béante, les yeux égarés, et tombe de frayeur sur une chaise, après avoir laissé tomber sa lumière.


Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux

L’abbé, autant que j’en fus juge par le silence qui régna tout à coup, craignant d’être reconnu, s’était élancé hors du lit et avait voulu gagner le large. Le pasteur l’avait suivi en courant après lui. Dans le moment, j’entendis ouvrir ma porte avec précipitation et sur-le-champ la refermer avec la même vitesse. Je tremblais ; on vint se coucher sur le lit ; nouveau sujet de frayeur. Je croyais que c’était Françoise, et que le curé allait bientôt venir. La feuille n’est pas plus agitée par le vent que mon cœur l’était alors par la crainte. Cependant tout était calme, et cette Françoise qui était sur le lit pleurait et jetait de profonds soupirs. Tout cela mettait mes idées dans une confusion incroyable. Que penser de ces pleurs ? Pourquoi Françoise pousse-t-elle des soupirs ? Pourquoi est-elle revenue ? Le curé viendra-t-il ? Ne viendra-t-il pas ? Ah ! que l’incertitude est une peine cruelle ! Il me venait de temps en temps des envies de sortir, mais la crainte d’être rencontré par le pasteur me retenait toujours dans mon poste. J’en sortis à la fin, j’allais m’évader, le diable m’arrêta. J’entendais quelque chose au fond de mon cœur qui me disait : Tu vas te coucher, nigaud, et tu bandes encore ! Tu as le courage d’abandonner Françoise à son chagrin, tu crains de la consoler. C’est bien la moindre chose que tu lui doives ; elle t’a accablé de caresses si tendres, refuseras-tu d’essuyer ses larmes ? Elle est vieille, d’accord : laide, soit : mais n’a-t-elle pas un con, nigaud ? Ma foi ! seigneur Diable, vous aviez raison :

Un con n’est jamais qu’un con ;
Quand on bande tout est bon.

Va, va, continua la voix intérieure, l’orage est passé ; il n’y a plus rien à craindre, remets-toi dans le lit.

Je succombai à la tentation, je m’y remis. Je commençai par me coucher avec beaucoup de discrétion sur le bord, mais toute ma politesse ne put arrêter un cri de frayeur qui partit, et fut dans l’instant étouffé par la crainte d’être entendu. Je sentis qu’on se retirait dans le coin du lit. Une pareille façon d’agir augmentait ma surprise. Je crus que je la ferais bientôt cesser en expliquant mes intentions, et cette explication fut de porter la main entre les cuisses de ma vieille : elles étaient redevenues tout ce qu’on pouvait les souhaiter pour exciter les plus vives émotions, plus douces et plus fermes qu’elles ne me l’avaient encore paru. Ma main ne s’y arrêta pas longtemps, quelque plaisir qu’elle y sentît : elle passa au conin. Je dis conin, et non pas conasse, parce que ce n’en était plus une. La motte, le ventre, les tétons, la gorge, tout était devenu aussi doux, aussi uni, aussi élastique qu’à une jeune fille. Je maniais : on me laissait faire ; je baisais, je suçais avec toute la vivacité que l’idée de jeune et de jolie peut inspirer : point de résistance. Au contraire, mon feu rallumait celui de la belle, elle cessait de soupirer et se rapprochait insensiblement de moi. Je m’approchais d’elle. Je fus bientôt en état de lui faire sentir que je savais changer des soupirs de tristesse en soupirs d’amour. Je l’enconnai.

— Ah ! me dit-elle alors, mon cher abbé, quel hasard a pu te conduire ici ? Que ton amour va me coûter de larmes !

Ce tendre discours m’aurait arrêté tout court, si le transport qui m’animait n’eût permis de faire autre chose que sentir, que serrer tendrement ma nymphe, que répondre aux vives caresses dont elle m’accablait par des caresses aussi vives, que confondre mes soupirs avec les siens, et de sceller enfin par des élancements de volupté réciproque, les délices qui les avaient précédés.

L’extase finit. Je me rappelai les paroles qu’on venait de m’adresser. Où suis-je ? dis-je alors. Est-ce avec Françoise ? Quelle différence entre le plaisir que je viens de goûter et celui que j’ai déjà goûté ! Mais elle me prend pour l’abbé ; elle me dit que mon amour va lui coûter des larmes. Partagerait-elle avec Nicole les hommages de ce faquin-là ? Elle est apparamment jalouse, la bonne dame. Elle croyait posséder toute seule le cœur de son mignon. Pourquoi est-elle vieille ? Pourquoi est-elle laide ? Malgré sa laideur, j’eus encore assez de hardiesse pour m’exposer au désagrément de l’examen dont je m’étais si mal trouvé après les premiers coups. Ma main impatiente brûlait de retourner sur son corps sec et décharné, et quoique je sentisse que le dégoût serait le prix de mon imprudence, et que si je voulais encore courir une poste, le meilleur parti était d’attendre le retour de ma vigueur sans le précipiter par un badinage qui pourrait bien, au contraire, l’éloigner. Je hasardai de porter la main, mais ô surprise délicieuse ! je retrouvai partout la même fermeté, le même embonpoint, la même chaleur, la même douceur. Que veut dire ceci ? repris-je alors. Est-ce Françoise, ne l’est-ce pas ? Non, assurément, ce ne peut être que Nicole. Ô Ciel ! c’est Nicole ! J’en ai pour garant le plaisir qu’elle m’a déjà donné, et la continuation de ce plaisir que je ressens encore à la toucher. Elle se sera échappée de son lit, elle aura profité de la faiblesse de Françoise pour venir se placer ici comme dans un refuge ; elle s’imagine que son amant est aussi venu s’y cacher ! Je retrouvais dans cette explication l’interprétation toute naturelle des paroles qu’elle m’avait adressées.

Rempli de cette pensée, je sentis les désirs qu’elle m’avait autrefois inspirés renaître avec plus de force. Le croira-t-on ? j’eus regret aux plaisirs que je croyais n’avoir eus qu’avec Françoise, parce que c’était autant de diminué sur ceux que j’allais goûter avec Nicole. Je me mis bientôt en état de récompenser le temps perdu.

— Ma chère Nicole, lui dis-je en la baisant tendrement et en tâchant de contrefaire la voix de l’abbé, de quoi t’occupes-tu ? Peux-tu te laisser aller à la tristesse, quand l’heureux hasard qui nous rassemble veut que nous nous livrions à tout notre amour ? Foutons, ma chère enfant, noyons notre malheur dans le foutre !

— Que tu me fais de plaisir, me répliqua-t-elle en répondant à mes caresses. Ta douleur augmentait la mienne. Oui, profitons du seul moyen que nous ayons de nous consoler. Arrive tout ce qui pourra, tant que j’aurai cela dans la main, continua-t-elle en me prenant le vit, je ne craindrai pas la mort même. N’appréhende pas qu’on vienne nous interrompre, j’ai retiré la clef : ils ne peuvent entrer qu’en jetant la porte en dedans.

Charmé de cette heureuse précaution, qu’il semblait que l’amour même, qui prenait soin de mes intérêts, lui eût inspirée, je la caressai avec un nouveau plaisir. Mon vit, qu’elle tenait toujours dans sa main, était d’une roideur qui l’enchantait.

— Vite donc, lui dis-je, mets-le dans ton cher conin ! Nicole, que tu me fais languir !

Elle ne se pressait pas, elle continuait de serrer mon vit, et paraissait surprise de sa grosseur, qu’elle prenait pour l’effet de ses caresses. Je voulus le mettre moi-même.

— Attends, mon cher ami, me répondit-elle en me pressant dans ses bras ; laisse-le devenir encore plus gros et plus long. Ah ! je ne l’ai jamais vu si beau : est-il augmenté cette nuit !

L’abbé n’était pas apparemment si bien partagé que moi des dons de la nature. J’aurais ri de la pensée de Nicole si je n’avais pas été en humeur de faire autre chose.

— Ah ! que je vais avoir de plaisirs ! reprit-elle en se le mettant. Pousse, cher ami, pousse !

Il n’était pas besoin de me le dire : j’enfonçai, et, m’appesantissant sur sa gorge, sur son sein, je la couvrais de baisers de feu ; je restais immobile, j’y mourais.

— Fais donc ! me dit Nicole, en se remuant avec des transports qui me tirèrent de mon assouvissement extasique ; fais donc !

Je me mis aussitôt à lui allonger des coups de cul, des coups de vit, qui lui allaient, disait-elle, jusqu’au cœur. Que ceux qu’elle me rendait allaient bien plus loin ! Ils portaient le feu, ils me lançaient des torrents de délices jusqu’aux parties les plus reculées de mon corps. Ô décharge ! tu es un rayon de la divinité, ou plutôt n’es-tu pas la divinité même ? Pourquoi ne meurt-on pas dans tes transports ? La mère du dieu des buveurs ne mourut-elle pas quand Jupiter, cédant à ses instances, la foutit en Dieu ? Car, ne vous y méprenez pas, messieurs les mythologistes, ce n’est pas l’appareil, l’éclat, ni la majesté du souverain des cieux, qui ravirent le jour à Sémélé : c’est le foutre embrasé qui sortait de son vit. Mahomet, je suis ta loi, je suis ton plus fidèle croyant ; mais tiens-moi parole ; fais-moi jouir pendant mille ans des embrassements continuels du plaisir toujours renaissant, de la décharge délicieuse que tu promets à tes fidèles avec tes houris rouges, blanches, vertes, jaunes ; la couleur n’y fait rien, que je décharge, c’est tout pour moi[1].

Nicole était enchantée de moi, j’étais enchanté de Nicole. Quelle différence entre une vieille et une jeune ! Une jeune le fait par amour, une vieille ne le fait que par habitude. Vieillards, laissez la fouterie à la jeunesse ; c’est un travail pour vous, c’est un plaisir pour elle.

Mon vit, plus dur qu’il ne l’était avant l’action, restait dans son étui sans s’amollir. Nicole me serrait avec plus de feu, et le même feu qui m’animait me la faisait serrer avec plus de raideur encore ; elle ne m’aurait pas lâché pour un trône ; je ne l’aurais pas quittée pour l’empire de l’univers. Bientôt, un mouvement nous fit recourir après ce que nous venions de perdre. L’imprudence est le partage de l’amour, le bonheur vous éblouit, vous en êtes trop occupé pour penser qu’il peut s’évanouir. Nous nous trahîmes par nos transports ; le lit était appuyé contre la cloison de la chambre voisine ; nous ne songions pas que Françoise était dans cette chambre, qu’elle pouvait se réveiller au bruit que nous faisions, par les secousses indiscrètes que nous donnions au lit, qui, frappant contre cette cloison, l’eût bientôt mise au fait de ce qui se passait dans la chambre. Plus vite que l’éclair, elle accourt à la porte : point de clef. Comment faire ? Appeler Nicole. Elle le fit. À cette voix terrible nous fûmes glacés d’effroi ; nous nous arrêtâmes tout court, et la vieille cessa de crier ; mais nous cessâmes bientôt d’être sages. Trop animés pour rester longtemps dans une inaction aussi gênante, nous reprîmes notre ouvrage ; mais quoique nous le fissions avec toute la discrétion possible, la vieille, qui avait l’oreille au guet, ne prit pas le change. Elle démêla dans le bruit sourd de nos soupirs et des mots interrompus qui nous échappaient, le motif de notre silence. Nouveau tapage.

— Nicole, criait-elle en frappant contre la cloison, misérable Nicole, finiras-tu ?

Nouvelles alarmes de notre part ; mais me mettant bientôt au-dessus de la crainte, je dis à Nicole que, puisque nous étions découverts, il était inutile de nous gêner. Elle approuva par son silence cette résolution courageuse, et me donnant elle-même le premier coup de cul, en me remettant sa langue dans la bouche, elle me piqua d’honneur, et tels que de généreux guerriers qui, bravant dans leurs lignes de feu d’une artillerie meurtrière braquée contre eux sur un rempart, continuent tranquillement leur ouvrage et rient du bruit impuissant du canon qui gronde sur leurs têtes, nous travaillâmes intrépidement au bruit des coups que Françoise donnait contre la cloison. Nous achevâmes ; et, soit que l’interruption, soit que le bruit que la vieille faisait encore eût donné une pointe de vivacité à nos plaisirs, nous nous avouâmes réciproquement que nous n’en avions pas encore goûtés d’aussi vifs.

Le faire cinq fois en fort peu de temps, ce n’était pas mal s’en tirer pour un convalescent, convalescent encore de quelle maladie ! Je sentais cependant que je n’étais pas tout à fait hors de combat ; il fallait avoir de la sagesse pour ne pas se laisser aller. Je l’eus, cette sagesse, je triomphai de mon envie. Il faut pourtant convenir que la réflexion eût bonne part dans ma modération. La dame Françoise pourrait à la fin s’impatienter de ce petit manège, des honnêtes remontrances passer aux cris, des cris, que sais-je ? sonner le tocsin sur nous, ou peut-être venir faire sentinelle à notre porte. S’exposer au risque d’être arrêtés au passage ? Mauvaise affaire. Rester dans la chambre, assiégés jusqu’au jour ? Au bout du compte, il aurait fallu sortir. Comment ? Nus ? Cela n’aurait pas été honnête, un jeune homme, une jeune fille dans cet équipage-là. Le parti le plus sûr était de faire une prompte retraite. Je la fis, mais avant que de gagner mon lit, je jugeai prudemment que je ne serais qu’un sot si je laissais subsister dans l’esprit de Nicole l’opinion trop avantageuse que j’y avais fait naître sur le compte de l’abbé. Il en aurait trop coûté à mon amour-propre de faire à ce maroufle le sacrifice de la gloire que je venais d’acquérir sous son nom. De la vanité, à moi, cela vous fait rire, lecteur, n’est-il pas vrai ? J’aurais voulu vous voir à ma place. Je vous suppose rival comme je l’étais et sensible au plaisir de vous venger, je gage que vous auriez été aussi fat que moi, et que vous auriez dit, comme je le fis :

— Ma belle Nicole, vous ne devez pas être mécontente de moi ?

Là-dessus elle vous aurait assuré que son cœur était charmé.

— N’est-il pas vrai, auriez-vous ajouté, que vous n’en attendiez pas tant d’un petit drôle que vous avez toujours méprisé ? Vous aviez tort, et il ne méritait pas le traitement que vous lui avez fait ; car vous voyez que les petits valent bien les grands. Adieu, ma chère Nicole ; je m’appelle Saturnin, pour vous servir.

Vous l’auriez embrassée, et puis vous l’auriez laissée là, bien étourdie de votre compliment ; vous auriez gagné la porte, vous l’auriez ouverte (on avait laissé la clef dans la serrure), et vous auriez été vous recoucher tranquillement dans votre lit. Dieu veuille que vous l’eussiez fait aussi heureusement que moi !

Frappé de la bizarrerie des aventures qui venaient de m’arriver, j’attendis avec impatience que le jour vînt m’apprendre quelles seraient les suites d’une nuit aussi singulière. J’étais charmé du désastre de l’abbé, et de ma bonne fortune. Comme personne, excepté mademoiselle Nicole (sur la discrétion de laquelle je pouvais compter) ne me soupçonnait de rien, je me faisais d’avance une comédie de la figure que je verrais faire à nos acteurs nocturnes, et je me promettais d’autant plus de plaisir que je serais le seul à qui elle devait être indifférente.

— Monsieur le curé, disais-je, aura un air sombre, taciturne, sera de mauvaise humeur, fessera ; qu’il fesse, ce ne sera pas moi, ou je jouerai de malheur. Françoise examinera tous les écoliers, l’un après l’autre, avec des yeux dont la fureur rendra l’écarlate plus vif et plus brillant. Elle cherchera, parmi les grands, celui sur qui elle doit se venger, non des plaisirs qu’elle a eus, mais de ceux qu’il a donnés à sa fille. Si elle me reconnaît, elle sera bien fine. Nicole n’osera se montrer ; si elle se montre, elle rougira, sera honteuse, me fera la mine, peut-être les yeux doux ; que sait-on ? Elle est friande, ferai-je le cruel ? Peut-être l’abbé sera-t-il cassé aux gages ? Oh ! pour lui il n’en sera que plus impudent.

J’étais si fort occupé de toutes ces pensées, que je ne songeais pas à dormir ; et l’Aurore aux doigts de rose avait déjà ouvert les portes de l’Orient, que je n’avais pas encore fermé l’œil. J’avais pourtant besoin de repos. Le sommeil, qui semblait avoir respecté mes réflexions, vint aussitôt qu’elles furent cessées, et ce ne fut pas sans peine qu’on vint à bout de me le faire rompre au milieu de la journée. Que devins-je à la vue de Toinette, qui, placée au pied de mon lit, paraissait attendre mon réveil ? Je pâlis, je rougis, je tremblai. Je crus que mon procès était fait et parfait ; qu’on avait découvert que j’avais eu part aux désordres de la nuit et que j’allais les payer. Cette pensée accablante me fit retomber sans force sur mon lit.

— Eh bien ! Saturnin, me dit Toinette, es-tu encore malade ?

Pas de réponse.

— Le révérend Père Polycarpe va donc partir sans toi, continua-t-elle ; il comptait pourtant t’emmener avec lui.

À ce mot de départ, ma tristesse se dissipa.

— Il part ! dis-je à Toinette avec vivacité. Eh ! vraiment, je me porte à merveille.

Dans le moment, je m’élançai hors du lit, et je fus habillé avant que Toinette songeât à faire attention au passage subit de la tristesse à la joie que je venais d’éprouver en si peu de temps ; je la suivis.

J’étais trop agréablement occupé de la nouvelle que Toinette venait de m’apprendre pour quitter avec regret la maison du pasteur. Je ne pensai pas même que je ne reverrais plus Suzon. Je trouvai le Père Polycarpe qui m’attendait : il fut charmé de me revoir. Je passe sous silence les caresses d’Ambroise, les baisers, les larmes mêmes de Toinette. Elle en répandit, j’en jetai moi-même. Me voilà en croupe sur le cheval du valet de sa Révérence. Adieu, père Ambroise ; adieu, madame Toinette, serviteur. Je pars, nous marchons, nous arrivons, nous voilà au couvent.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
  1. Comme la religion mahométane n’est faite que pour le plaisir de la couille, Mahomet n’a pas oublié de placer dans son paradis des espèces de Devizules capables de le procurer : ce sont ces houris rouges, blanches, jaunes, vertes à discrétion.