Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 356

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 531).


Madame Norton à Miss Clarisse Harlove.

mercredi, 6 septembre.

Enfin, enfin, ma très-chère Miss Clary, tout répond heureusement à nos voeux. L’unanimité des voix est en votre faveur ; votre frère et votre sœur même sont devenus les plus ardens pour la réconciliation. Je l’avais prévu. Quel triomphe la patience et la douceur vous font remporter !

Cet heureux changement est dû aux derniers avis de votre cousin Morden. Mais il vous aura vue sans doute avant que vous puissiez recevoir ma lettre, avec sa poche remplie d’or et de billets de banque, pour ne laisser rien manquer à votre repos et à vos besoins.

Tous nos désirs, toutes nos prières sont à présent pour le rétablissement de votre santé et de vos forces. Je sais combien votre coeur respectueux sera consolé par cette joyeuse nouvelle, et par mille détails que j’ai à vous faire, lorsque j’aurai la satisfaction de vous embrasser. Ce sera samedi prochain au plus tard ; peut-être dès vendredi, vers le temps auquel vous recevrez cette lettre.

On m’a fait appeler aujourd’hui de la part de votre famille entière. J’ai été reçue de tout le monde avec beaucoup de caresses et de bonté. On m’a suppliée (car c’est le mot dont on s’est servi ; et jugez si j’avais besoin d’être pressée dans ces termes) de me rendre auprès de vous sans perdre un moment, pour vous assurer de l’affection de tous vos proches. Votre père m’a donné ordre de vous dire, en son nom, tout ce que mon cœur pourrait m’inspirer de plus tendre, dans la vue de vous consoler et de fortifier votre courage. Ils se sont engagés tous à ratifier les expressions de ma tendresse et de ma joie.

Quelle douce commission pour votre fidèle Norton ! Mon cœur ne manquera point d’expressions tendres ; soyez là-dessus sans crainte. Je médite déjà ce que je dois vous dire, pour relever le vôtre, au nom de tout ce que vous avez de plus proche et de plus cher au monde. Mon chagrin est de ne pouvoir partir à l’instant, comme je le ferais, au lieu de vous écrire, si l’on m’avait offert un carrosse du château : mais il y aurait eu de l’indiscrétion à le demander. J’aurai demain une chaise de louage.

Qu’il me tarde de presser ma chère, ma précieuse fille dans mes bras, et j’ose dire contre mon sein maternel !

Votre sœur a promis de vous écrire, et d’envoyer par un exprès ma lettre avec la sienne. Votre oncle Harlove vous écrira aussi, et dans les termes les plus obligeans. Ils sont tous extrêmement alarmés de votre situation ; ils sont charmés de votre conduite et de vos sentimens. Que n’ont-ils reçu plutôt les mêmes informations ! Mais ils mettent leur consolation et leur confiance dans l’idée que M Morden ne leur aurait pas écrit en arrivant à Londres, s’il avait jugé qu’il fût trop tard. Ils sont résolus, ma très-chère miss, de ne vous prescrire aucune loi. Tout sera laissé à votre discrétion. Seulement, votre frère et votre sœur déclarent qu’ils ne consentiront jamais à donner le nom de frère à M Lovelace ; et je crois que votre père ne se laissera pas engager facilement à le recevoir pour fils. J’ai ordre de vous amener avec moi aussi-tôt que votre inclination vous le fera désirer, et que votre santé vous le permettra. Vous serez reçue à bras ouverts ; tout le monde languit de l’impatience de vous revoir. Que le ciel vous conserve pour cette heureuse entrevue ! Je me le promets de sa bonté, et je le fatigue par mes continuelles prières. Il n’est pas besoin que j’ajoute avec quelle tendresse et quel attachement je suis, votre.

Judith Norton.