Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 344

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 512-513).


M Morden à Miss Clarisse Harlove.

mardi, 29 août.

Ma chère cousine,

permettez moi de prendre part aux infortunes qui jettent une malheureuse division entre vous et votre famille, et de vous offrir mon assistance pour ramener les choses au plus favorable état qu’on puisse encore espérer. Vous êtes tombée dans de fort indignes mains. Ce que j’apprends me fait juger que ma lettre de Florence est arrivée trop tard pour le fruit que j’en avais espéré. Ma douleur en est extrême, et je ne m’afflige pas moins d’avoir différé si long-temps mon retour.

Mais oublions le passé, pour jeter les yeux sur l’avenir. J’ai vu M Lovelace et milord M. Il serait inutile, suivant leur récit, de vous dire combien toute leur famille désire l’honneur de votre alliance, et quelle est l’ardeur de M Lovelace pour vous faire toutes les réparations qui sont en son pouvoir. Je crois, ma chère cousine, que vous n’avez rien de mieux à faire, que de recevoir sa main. Il rend une justice éclatante à votre vertu ; et le ton dont il se condamne lui-même, me persuade que vous pouvez lui pardonner avec honneur ; d’autant plus que vous paroissez déterminée contre une persécution légale. Il est évident pour moi, que le pardon que vous lui accorderez facilitera beaucoup la réconciliation générale ; car votre famille ne peut s’imaginer qu’il pense sérieusement à vous rendre justice, ni que vous fussiez obstinée à le rejeter, si vous le jugiez de bonne foi. Cependant cette affaire peut avoir quelque face qui m’est encore inconnue. Si ce soupçon est juste, et si vous consentez à m’instruire, je vous promets tout ce que vous pouvez attendre d’un cœur naturellement vif et ardent. Il n’y a que le désir de vous rendre service, qui m’ait empêché jusqu’à présent de vous donner ces assurances de bouche. Je languis de vous revoir, après une si longue absence. Mon intention est de voir successivement tous mes cousins, et je ne désespère pas de rétablir la paix. Les esprits fiers, qui ont poussé le ressentiment trop loin, n’attendent qu’un prétexte pour se rendre ; et la tendresse ne s’éteint jamais dans le cœur des parens, pour un enfant qu’ils ont une fois aimé.

En attendant, je vous prie de m’informer, en peu de mots, si vous avez quelque doute de la bonne foi de M Lovelace. Pour moi, je le crois sincère, si j’en juge par la conversation que j’eus hier avec lui. Vous aurez la bonté de m’adresser votre réponse chez M Antonin Harlove.

Jusqu’à l’heureux moment où je me rendrai peut-être utile à votre réconciliation avec votre père, votre frère et vos oncles, permettez, ma chère cousine, que je tienne la place de quatre personnes qui vous touchent de si près.

Morden.