Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 300

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 421-425).


M Belford, à M Lovelace.

mardi au soir, 18 de juillet. Je quitte Miss Harlove. On m’a fait entrer dans son antichambre, où je l’ai trouvée assise dans un fauteuil, le visage pâle, et les yeux fort abattus. Elle a fait un effort pour se lever ; mais n’ayant pu se soutenir : pardonnez, monsieur, m’a-t-elle dit. Je devrais être debout pour vous remercier de vos généreux soins. Mes forces pourront se rétablir. En vérité, je me trouve blâmable de m’être fait presser pour revenir ici. C’est un paradis, en comparaison du triste lieu dont vous m’avez tirée. Je ne vois que d’honnêtes gens autour de moi. Il y avait bien long-temps que j’avais cessé d’en voir. Je commençais à m’inquiéter, a-t-elle ajouté avec un sourire, de ce qu’ils pouvaient être devenus. La garde et Madame Smith, qui m’avoient introduit, ont eu la discrétion de se retirer. Lorsqu’elle s’est vue seule avec moi : vous paraissez, monsieur, a-t-elle repris, d’un caractère fort humain. Quelques mots, qui vous sont échappés dans ma prison, m’ont fait juger que ma triste histoire ne vous est pas inconnue. Si vous la savez en effet, vous conviendrez que j’ai été traitée avec beaucoup de barbarie, et par un homme de qui je ne le méritais pas. J’ai répondu que j’étais assez informé, pour la regarder avec toute la vénération qu’on a pour le mérite des saintes, et pour la pureté des anges ; et, qu’outre l’éclat naturel de ses perfections, j’avais pris cette opinion d’elle dans les récits mêmes de mon malheureux ami. Je lui ai parlé alors de votre désespoir, de votre repentir, de la résolution où vous êtes de réparer le passé par toutes les satisfactions qui sont en votre pouvoir ; et j’ai insisté fortement sur votre innocence à l’égard de sa dernière infortune. Ses réponses ont été nettes. " elle ne pouvait penser à vous sans peine. Les réparations étoient impossibles. La dernière violence dont je m’efforçais de vous justifier, n’était rien en comparaison de celles qui l’avoient précédée. Les premières étoient irréparables. Celle-ci pouvait recevoir des explications. Elle ne serait pas même fâchée de se voir convaincue que vous n’êtes pas capable de tant de bassesse. Cependant, après des lettres forgées, après de fausses suppositions de faits et de personnes, quelles noirceurs pouvaient vous effrayer " ? J’aurais souhaité de pouvoir m’étendre sur l’interrogatoire que vous avez soutenu dans votre famille ; sur la résolution que vous aviez prise de l’épouser, si vous aviez obtenu d’elle les quatre mots que vous désiriez ; sur l’ardeur avec laquelle tous vos parens souhaitent son alliance ; et sur la députation de vos deux cousines, pour engager Miss Howe dans vos intérêts. Mais, lorsque j’ai commencé à toucher tous ces points, elle m’a dit, en m’interrompant, que cette cause était devant un autre tribunal ; que c’était le sujet des dernières lettres de Miss Howe, et qu’elle se proposait de lui marquer là-dessus ses idées, aussitôt que ses forces le permettroient. Je suis revenu à vous justifier particulièrement sur sa dernière aventure, avec d’autant plus d’espérance de succès, qu’elle paraissait souhaiter elle-même de vous trouver innocent. J’ai parlé de la furieuse lettre que vous m’avez écrite à cette occasion. Après m’avoir regardé un moment, elle m’a demandé si j’avais cette lettre sur moi. Je l’avais en effet. Elle a souhaité de la voir. Sa curiosité m’a jeté dans un horrible embarras. Combien de choses passent entre nous pour ingénieuses ou badines, qui doivent être choquantes pour une femme délicate ? D’ailleurs, tes lettres les plus sérieuses ont un air de légéreté et de mauvaise plaisanterie, qui n’est pas propre à faire prendre une idée favorable de tes principes et de tes sentimens. Je ne lui ai pas caché mes craintes, et je me serais volontiers dispensé de la satisfaire. Mais elle m’a pressé si fortement, que j’ai pris le parti de lui lire quelques endroits convenables à mon dessein : et de passer sur ce qui me paraîtrait capable de lui déplaire. Sur tes deux premières lignes, elle a fait cette réflexion : " quel repentir, quelle confusion de son crime, ou plutôt quelle légéreté, dans un cœur qui n’a que des emportemens et de vaines exclamations pour premier témoignage de douleur " ! Cependant elle a paru fort touchée de l’endrait où tu parles de sa disgrace. J’ai passé tes malédictions contre sa famille, et quelques autres lignes dont elle aurait été blessée. Mais, à l’occasion des reproches que tu te fais à toi-même, elle a fait cette remarque : " les ruses et les inventions qu’il maudit, et le triomphe de ses vils agens, après avoir découvert ma retraite, sont une preuve que toute sa criminelle conduite étoit préméditée ; et je ne doute pas non plus que ses horribles parjures et tous ses cruels artifices ne fussent, dans ses idées, autant de jeux d’esprit, et de merveilleuses finesses, pour lesquelles il s’applaudissait, sans doute, de la supériorité de ses talens ". à cet endroit, m’apprendras-tu, malheureux prophète, où ma punition doit finir ? Elle a soupiré : et, lorsque j’ai lu ces quatre mots, priant peut-être pour ma réformation :

n’ajoutez-vous rien, m’a-t-elle dit en soupirant encore. Le méchant homme ! A-t-elle ajouté, en versant une larme pour toi. Sur ma foi ! Lovelace, je suis persuadé qu’elle ne te hait pas. Elle a du moins la générosité de s’intéresser à ton bonheur futur. Quelle femme as-tu choisie pour l’objet de tes outrages ! Elle a fait une réflexion assez sévère sur moi-même, après l’endrait où tu me pries de lui demander pardon à genoux pour toi. " vous aviez tous votre leçon, m’a-t-elle dit. Vous aviez la vôtre, monsieur, lorsque vous êtes venu pour me délivrer. Je vous ai vu à genoux ; j’ai pris cet excès de condescendance pour une marque de compassion et d’humanité. Vous me pardonnerez, monsieur ; mais je ne savais pas que ce fût simple fidélité pour vos instructions ". Ce reproche m’a piqué. Je n’ai pu supporter l’humiliation de passer dans son esprit pour une misérable machine, pour un Joseph Léman, pour un Tomlinson, et j’ai entrepris, avec quelque chaleur, de lui ôter cette idée. Mais elle m’a fait encore une fois des excuses, en me disant que j’étais l’ami déclaré d’un homme dont elle était fâchée de pouvoir dire, avec raison, que l’amitié ne faisait d’honneur à personne. Elle m’a prié de continuer ; mais je ne m’en suis pas trouvé mieux. à l’endrait où tu dis que j’ai toujours été son ami et son avocat , elle m’a fait un argument sans réponse : " je conclus de cette expression, m’a-t-elle dit, qu’il a toujours eu contre moi de criminels desseins, et que vous ne les avez pas ignorés. Plût au ciel que, dans quelque moment de bonté, et sans aucun danger pour vous, la seule horreur du mal vous eût porté à me donner avis d’une bassesse que vous n’approuviez pas ! Mais je vois qu’entre les hommes, la ruine d’une fille innocente est un mal plus léger, que l’infidélité pour le coupable secret d’un ami ". Après cette sévère, mais juste réflexion, j’aurais voulu passer la ligne suivante, quoique j’en eusse lu les premiers mots sans y faire attention ; mais elle m’a forcé d’achever. que ne donnerais-je pas aujourd’hui pour t’avoir écouté ?

voici sa remarque : " ainsi, monsieur, vous voyez que, si vous aviez servi heureusement à prévenir le malheur dont j’étais menacée, vous en recevriez aujourd’hui les remerciemens de votre ami. C’est une satisfaction qui sera toujours la récompense de celui qui a la force de prévenir où d’arrêter le mal. Je suis obligée, sans doute, à votre intention. Mais vous vous êtes fait une loi d’honneur du secret ; une loi d’autant plus étroite, apparemment, que le secret vous a paru plus noir. Cependant, permettez-moi de souhaiter, M Belford, que vous deveniez capable du plaisir d’une amitié vertueuse . Il n’y en a pas d’autre qui mérite ce nom sacré. Vous paraissez d’un bon naturel ; j’espère, pour votre propre intérêt, que vous en éprouverez quelque jour la différence ; et, lorsque vous serez à ce point, souvenez-vous de Miss Harlove, qui s’est vue la plus heureuse personne de son sexe par le mérite et la vertu de ses amis, jusqu’au moment où sa mauvaise fortune lui en a fait un du vôtre ". Elle a tourné la tête, pour me cacher apparemment ses larmes. Lorsque tu me recommandes de t’informer du traitement qu’elle a reçu ; et que tu ajoutes : malheur à ceux qui auront eu l’audace de la maltraiter !

son indignation s’est allumée tout d’un coup. " quoi ! Monsieur, m’a-t-elle dit, vous n’êtes pas effrayé de sa propre audace ? Est-ce à lui de punir celle d’autrui ? Tous les mauvais traitemens que j’ai pu recevoir dans cette occasion, n’auraient pas approché de ceux… elle s’est arrêtée ici quelques momens… cependant qui le punira lui-même ? Effronté scélérat ! Lui seul apparemment est en droit d’outrager l’innocence. Il fait, sur la terre, le rôle des ministres infernaux, qui est d’exercer leurs punitions sur les méchans dont ils sont les chefs ". Mes réflexions sont devenues ici fort sombres. Qu’ai-je fait ? Me suis-je dit à moi-même. Ce caractère sauvage m’accusera, sans doute, de l’avoir trahi, en lisant une partie de sa lettre à son juge. Cependant, mon pauvre Lovelace, si tu en es fâché, je crois qu’en bonne justice tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Qui croirait que, pour diminuer tes fautes, et pour donner des preuves de ta sincérité, je n’aie pas dû communiquer quelques endroits les plus favorables d’une lettre que tu n’as écrite à ton ami que pour le convaincre de ton innocence ? Mais un mauvais cœur et une mauvaise cause sont d’étranges sources d’embarras. Ainsi, que chaque inconvénient, je t’en prie, soit rapporté à son véritable point. Je me suis bien gardé de lire la belle commission que tu me donnes, de maudire tes femmes une heure entière ; et les noms de dragons et de serpens dont tu les honores, quoique rien ne leur convienne mieux. Si je m’étais arrêté à cet endroit, on m’aurait dit, avec raison, que tu connaissais de tout temps le caractère de ces infames créatures ; infame que tu es toi-même, d’avoir conduit la vertu et la pureté dans ce détestable cloaque ! Je commençais à faire une nouvelle apologie pour tant de passages que j’étais obligé de supprimer ; mais on m’a dit enfin : " c’est assez, monsieur, c’est assez. Votre ami est un très-méchant homme. Je comprends qu’il voulait établir sur moi son pouvoir à toute sorte de prix ; et ses actions ne m’ont que trop appris l’usage qu’il en aurait fait. Je suppose que vous connaissez son vil Tomlinson. Je suppose… mais que servent les discours ? Jamais il n’y eut d’exemple d’un cœur si faux, et d’une trahison si préméditée. (je t’avoue, Lovelace, que je le pense comme elle). Quels sermens ne m’a-t-il pas faits ? Quelles ruses n’a-t-il pas inventées ? Et dans qu’elle vue ? Uniquement pour ruiner une jeune et malheureuse fille dont il devait être le protecteur, et qu’il avait privée lui-même de toute autre protection ". Elle s’est levée ici. Elle a tourné la tête, en portant son mouchoir à ses yeux. Je suis demeuré en silence, pour lui laisser le temps de se soulager. Après avoir été quelques momens dans cette posture, elle s’est assise, en me regardant d’un air plus tranquille. " je me flatte, m’a-t-elle dit, de parler à un homme qui a le cœur mieux placé. Je vous rends grâces, monsieur, des obligeans, quoique inutiles efforts que vous avez faits en ma faveur, soit qu’ils soient venus de votre pitié seule, ou de votre goût pour la vertu, ou peut-être de ces deux motifs ensemble. Ils ont été sans effet. Peut-être n’ont-ils pas été assez pressans ; et je n’en accuse que moi-même. Je ne méritais pas, dans votre opinion, la peine qu’il vous en eût coûté pour me sauver. J’ai pu vous paraître une créature étourdie, qui s’était dérobée à ses vrais amis, à ses protecteurs naturels, et qui devait par conséquent essuyer toutes les suites de sa témérité ". Je t’aurais mal servi, en lui apprenant quelle force j’ai toujours mise dans mes représentations et dans mes instances. Mais je l’ai assurée que j’avais embrassé sa cause avec zèle, sans autre motif qu’un mérite auquel je n’avais jamais rien connu d’égal ; que je ne pensais pas à te défendre, mais que tu n’avais jamais cessé de rendre justice à sa vertu ; que c’était la force de cette conviction, qui causait aujourd’hui tes regrets, et qui te faisait désirer, avec une passion si vive, de te voir en possession d’un si précieux trésor… j’allais continuer. Elle m’a coupé la voix. " c’en est trop, m’a-t-elle dit, sur un sujet auquel je devais moins m’arrêter. Si votre ami veut m’accorder la grâce de ne jamais paraître devant moi, c’est tout ce qui me reste à lui demander. Comptez, monsieur, que jamais, jamais je ne le reverrai, si je puis l’éviter sans avoir recours aux voies criminelles du dernier désespoir ". Que pouvais-je répondre ? Il n’aurait pas été prudent de toucher la même corde. Peut-être me serais-je attiré la défense absolue, non-seulement de lui parler de toi, mais de me présenter jamais à sa porte. Je me suis réduit à lui proposer indirectement des secours pécuniaires. J’ai oublié de te dire qu’à l’endrait de ta lettre où tu m’ordonnes de lui faire accepter tout l’argent que je pourrais rassembler, elle avait répété plusieurs fois, d’un ton fort vif : non, non, non, non. Je n’ai pas eu la hardiesse de lui renouveler ouvertement cette proposition, et mes termes ont été si obscurs, qu’elle a pu feindre de ne pas m’entendre. En vérité, je ne connais personne au monde, que je fusse plus fâché d’avoir offensé. Elle a, dans ses manières, une si véritable dignité, sans aucune teinture de cet orgueil ou de cette arrogance qu’on est tenté de mortifier lorsqu’on croit les découvrir ; l’œil si perçant, et tellement adouci néanmoins par des rayons de bonté, qu’elle impose également le respect, la tendresse et l’admiration. Il me semble que j’ai une sorte de saint amour

pour cette femme angélique ; et c’est un de mes étonnemens, que tu aies pu conserver tes noirs desseins, après avoir conversé un quart-d’heure avec elle. Gardée, comme elle étoit, par la piété, la prudence, la vertu, la dignité, la naissance, la fortune, et par une pureté de cœur que je crois sans exemple, il n’y a qu’un vrai démon qui ait pu entreprendre de forcer tant de barrières. Cependant tu l’as fait, et je suis persuadé que ton orgueil s’en applaudit. Pour moi, je reconnais de plus en plus que je ne devais pas me contenter d’élever ma voix, et de prendre parti, par mes reproches, contre tes viles intentions. à la vérité, il m’est venu plus d’une fois à l’esprit de tenter quelque chose en sa faveur. Mais, imbécille que je suis ! De fausses notions d’honneur, comme elle a droit de me le reprocher, ont toujours eu la force de me retenir ; parce que je ne devais la connaissance de tes vues qu’à tes communications volontaires. D’ailleurs, dans la maudite maison où tu l’avais menée, et veillée, comme elle étoit, par toi-même et par tes agens infernaux, je me suis figuré, te connaissant comme je fais, que le fruit de mes soins n’eût été que de hâter sa ruine. Je puis ajouter que, te voyant quelquefois effrayé par la vertu, arrêté par tes remords, et prêt, en apparence, à lui rendre justice, j’étais porté à me persuader que la force de son mérite triompherait à la fin de la corruption de ton cœur. C’est mon opinion, si tu persistes dans le dessein de te marier, que tu n’as rien de mieux à faire que de lui procurer la visite de tes tantes réelles et de tes cousines, et de les engager à plaider pour toi. Dans ces circonstances, il est à craindre qu’elles n’aient quelque éloignement pour une visite. Mais leurs lettres, du moins, et celles de Milord M, soutenues par les sollicitations de Miss Howe, peuvent opérer quelque chose en ta faveur. Cependant c’est une simple espérance, qui n’est fondée que sur mes désirs. Je crois, au fond, que Miss Harlove préférerait la mort à toi. Les deux femmes qui la gardent sont persuadées, sans connaître la moitié de ses peines, que la douleur a déjà fait son office ; c’est-à-dire, que les principes de sa vie sont altérés sans ressource. En prenant congé d’elle, je l’ai suppliée de ne pas épargner mes services, et de permettre que je m’informe souvent de sa santé. Elle m’a répondu d’un signe de tête, qui ne peut être pris que pour un consentement. Mercredi, 19 juillet, après midi. Je m’étais présenté ce matin à sa porte, où l’on m’avait dit qu’elle avait passé une très-mauvaise nuit. Mais, étant retourné après dîner chez Smith, on m’assure qu’elle est un peu mieux. Elle se loue beaucoup du médecin, qui lui marque, dit-elle, une affection et des soins paternels . Malheureuse Clarisse ! Toute sa vie s’étant passée sous les aîles de ses parens, aujourd’hui qu’elle se voit abandonnée de sa famille, elle trouve quelque chose de paternel dans tous les soins qu’elle reçoit, pour suppléer au père et à la mère, que son cœur respectueux ne cesse pas de regretter. Madame Smith m’a dit qu’elle lui avait donné la clé de ses malles, et qu’elle l’avait priée de faire, avec Madame Lovick, un inventaire de son linge et de ses habits. Après cette revue, qui s’est faite en sa présence, elle leur a proposé de chercher à vendre deux de ses robes ; l’une, qu’elle n’a jamais portée ; l’autre, qui ne lui a pas servi trois fois. Ce dessein m’a causé une peine extrême. Peut-être t’en causera-t-il un peu, elle donne pour raison, qu’elle ne vivra point assez pour en faire jamais d’autre usage ; qu’elle a besoin d’argent ; qu’elle ne veut avoir obligation à personne, tandis qu’il lui reste des effets qu’elle n’a point occasion d’employer. Cependant, quoique ces deux robes soient très-riches, elle n’espère pas, dit-elle, qu’on en puisse trouver ce qu’elles ont coûté. Les deux femmes, embarrassées de ses instances, ont pris le parti de me consulter. Des habits si précieux leur ont fait prendre une idée plus haute encore de son rang et de sa fortune. Elles m’ont pressé de leur apprendre plus particulièrement son histoire. Je leur ai dit qu’elle est effectivement d’une naissance et d’une fortune distinguées. Mais j’ai cru devoir lui laisser à elle-même le récit de ses disgraces, dans le temps et la forme qu’elle jugera convenables. J’ai ajouté seulement qu’elle avait été traitée avec une indignité qu’elle ne méritait pas, et qu’elle était un modèle d’innocence et de pureté. Tu supposeras aisément qu’elles ont paru fort étonnées qu’il y eût un homme au monde capable de cette barbarie. à l’égard des deux robes, j’ai conseillé à Madame Smith de feindre qu’après quelque recherche, elle avait trouvé un ami qui achèterait volontiers la plus riche ; mais d’ajouter, pour éloigner toute défiance, qu’il voulait y trouver quelque avantage. Je lui ai laissé vingt guinées, comme une partie du payement ; et je lui ai recommandé de l’engager adroitement à s’en défaire pour quelque chose de moins. Je vais passer cette nuit à Edgware, mais dans la résolution d’être demain à Londres ; et je laisse cette lettre pour ton courrier, s’il arrive pendant mon absence.