Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 298

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 419).


M Belford, à M Lovelace.

mardi matin, 18 de juillet. Après avoir passé une partie de la nuit à t’écrire, je ne suis pas trop content de me voir éveillé plutôt que je ne m’y étais attendu, par l’arrivée de ton second courrier, qui arrive à six heures du matin, homme et cheval hors d’haleine. Tandis qu’ils se raffraîchiront un moment, je veux t’écrire quelques mots, pour te féliciter de ta rage et de ton impatience. Je m’y étais fort attendu. Mille complimens, Lovelace, sur la sensibilité de ton ame. Quel plaisir tu me causes par tes alênes, tes poinçons, tes épingles et tes paquets d’éguilles ; mais sur-tout par ce tonneau percé de clous dont tu crois déjà sentir les pointes, et que tu me donnes pour une foible image de tes tourmens ! J’aurai soin, à chaque occasion, d’enfoncer de nouveaux clous dans ton tonneau ; et, s’il le faut, je prendrai la peine de te faire rouler moi-même du sommet de ta montagne, jusqu’à ce que le sentiment te soit tout-à-fait revenu. Cependant, tu sais de quelle condition je fais dépendre notre correspondance. N’est-ce pas moi qui ai toujours protesté contre ton ingratitude et ta perfidie ? Et crois-tu qu’étant appelé par toi-même à la réparation de tes cruelles injustices, je puisse manquer de zèle et de fermeté ? Songe que, si ta dame s’est laissé engager à reprendre son logement, c’est sur la parole que je lui ai donnée de la garantir de tes visites : sans quoi, peut-être aurait-elle choisi quelque retraite où, toi ni moi, nous n’aurions pas été capables de la découvrir. J’ai cru pouvoir lui donner cette assurance, non-seulement en vertu de ta promesse, mais parce qu’il est nécessaire que tu connaisses sa demeure, pour ménager son esprit par l’entremise de ses amis et des tiens. Mets-moi donc en état de remplir un engagement si sacré. Autrement, adieu pour jamais à toute amitié, ou du moins à toute correspondance entre nous.