Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 237

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 296-297).


M Lovelace, au même.

samedi, 10 de juin, à six heures du matin. Ma charmante donna, hier au soir, à la servante dont Will entreprend de se faire aimer, une lettre pour Miss Howe, sous l’adresse de M Hickman, pour la porter à la poste. J’ose assurer qu’on ne s’appercevra point, que ni l’enveloppe ni la lettre aient été ouvertes. Je n’y ai trouvé que huit ou neuf lignes, par lesquelles " on rassure Miss Howe sur le sort de sa lettre, en lui promettant une plus longue réponse lorsqu’on aura le cœur plus tranquille et les doigts moins tremblans. On parle en général d’un nouvel incident, " (du bonheur, apparemment, que j’ai eu de découvrir ses traces) " dont on ressent beaucoup de chagrin, et qui cause de nouvelles incertitudes ; mais dont on attendra le succès ", (voilà quelque motif d’espérance, Belford) " avant que d’exposer une si chère amie à de nouveaux embarras. On sera dans une mortelle impatience jusqu’à l’arrivée de la première lettre qu’on attend, etc. " là-dessus, Belford, j’ai cru qu’il était d’un homme généreux, d’épargner à Miss Howe l’inquiétude qu’elle peut concevoir de ces ouvertures imparfaites, qui sont capables d’alarmer prodigieusement un esprit si vif. Ainsi, avec tant de facilité pour imiter ce que j’ai devant les yeux, j’ai écrit un autre billet, que j’ai mis sous la même enveloppe, à la place de celui que j’y avais trouvé, sans y faire d’autre changement que celui qui convenait à mes idées. Le voici, puisque tu es bien aise de tout lire. Hamstead, vendredi au soir. Mon éternelle amie, quelques lignes seulement (jusqu’à ce que mes esprits soient plus calmes et mes doigts plus tranquilles, et jusqu’à ce que je sois assez remise du trouble où m’ont jeté vos informations) pour vous apprendre que votre lettre est venue heureusement jusqu’à moi. Au retour de mon messager, j’ai envoyé sur le champ chez Wilson. Grâces au ciel, elle y était encore. Puisse le ciel vous récompenser de toutes les peines que je vous ai causées, et de vos tendres intentions pour une amie qui sera toujours entièrement à vous. Il m’en a coûté assez de peine pour rendre mon imitation si exacte, que je me flatte de ne pouvoir être soupçonné. D’ailleurs, j’espère que Miss Howe accordera quelque chose au trouble des esprits et au tremblement des doigts. J’ai fait réflexion aussi que ce billet ne pouvait arriver trop tôt, et je l’ai dépêché par un des gens de Mowbray. Le moindre délai, comme tu penses, aurait causé de l’inquiétude à Miss Howe, qui l’aurait communiquée à son amie ; et, peut-être, elle à moi, d’une manière qui ne m’aurait pas plu. Tant de peine, répéteras-tu, pour une simple fille ! Oui, Belford ; mais cette fille, n’est-ce pas Clarisse ? Et qui sait si, pour me récompenser de ma persévérance, la fortune ne m’amènera pas son amie ? On a vu des événemens moins vraisemblables. Ne doute pas du moins que, si je l’entreprends, je ne la fasse tomber dans mes filets.