Histoire de Jules César/Livre III/Chapitre 7
première descente en bretagne.
châtiment des morins et des ménapiens.
I. Les Usipètes et les Tenctères, peuples germains refoulés par les Suèves, erraient depuis trois ans dans diverses contrées de la Germanie, lorsque pendant l’hiver de 698 à 699 ils prirent le parti de passer le Rhin ; ils envahirent le territoire des Ménapiens, établis sur les deux rives, les surprirent, les taillèrent en pièces, traversèrent le fleuve non loin de son embouchure (vers Clèves[1] et Xanten) (Voir planche 14), et, après s’être emparés de tout le pays, vécurent, le reste de l’hiver, des approvisionnements qu’ils y trouvèrent.
César comprit qu’il fallait se défier de l’impression que cette invasion produirait sur l’esprit des Gaulois. Il était à craindre qu’ils ne tentassent de se soulever avec l’assistance des Germains qui venaient de passer le Rhin.
Pour parer au danger, César franchit les monts plus tôt qu’à l’ordinaire (maturius quam consuerat) et rejoignit l’armée chez les Aulerques et les Lexoviens, entre Loire et Seine, où elle hivernait. Ses appréhensions n’étaient que trop fondées. Plusieurs peuples gaulois avaient engagé les Germains à quitter les rives du Rhin pour pénétrer plus avant dans l’intérieur. Empressés de répondre à cet appel, ces derniers s’étendirent bientôt au loin, et déjà quelques-uns d’entre eux étaient parvenus jusque chez les Éburons et les Condruses, ceux-ci, clients des Trévires. À cette nouvelle, César convoqua les chefs gaulois qui avaient attiré les Germains, feignit d’ignorer leur conduite, leur adressa de bonnes paroles, obtint d’eux de la cavalerie, et, après avoir assuré les vivres, se mit en marche contre cette nouvelle irruption de barbares. Il prévoyait une guerre redoutable, car le nombre des Tenctères et des Usipètes ne s’élevait pas à moins de quatre cent trente mille individus, hommes, femmes et enfants. Si l’on admet que chez ces peuples la proportion du nombre des hommes capables de porter les armes fût la même que dans l’émigration des Helvètes, c’est-à-dire du quart de la population totale, on voit que les Romains allaient avoir à combattre plus de cent mille ennemis[2].
Sans savoir exactement le chemin que parcourut César, on peut supposer qu’il concentra promptement son armée sur la basse Seine, pour la porter vers le nord, à Amiens, où il convoqua les chefs gaulois qui avaient sollicité l’appui des Germains. Il suivit, depuis Amiens, la route qui passe par Cambrai, Bavay, Charleroy, Tongres et Maëstricht, où il traversa la Meuse. (Voir planche 14.) Il n’était plus qu’à peu de journées des Germains, lorsque des députés vinrent, dans un langage assez fier, proposer un arrangement : « Chassés de leur pays, ils n’ont pas pris l’initiative de la guerre, mais ils ne chercheront pas à l’éviter. Les Germains ont appris de leurs ancêtres, quel que soit l’agresseur, à recourir aux armes, jamais aux prières ; ils peuvent être des alliés utiles aux Romains, si on leur donne des terres ou si on leur laisse celles qu’ils ont conquises. D’ailleurs, hormis les Suèves, que n’égalent pas les dieux eux-mêmes, ils ne connaissent aucun peuple capable de leur résister. » César leur imposa, pour première condition, de quitter la Gaule, en leur disant : « Ceux qui n’ont pas su défendre leurs terres ne doivent pas prétendre aux terres d’autrui ; » et il leur offrit de se fixer chez les Ubiens, qui imploraient son appui contre les Suèves. Les députés promirent de rapporter dans trois jours la réponse à cette proposition ; en attendant, ils le priaient de suspendre sa marche. César pensa que cette demande n’était qu’un subterfuge pour avoir le temps de rappeler leur cavalerie, envoyée depuis quelques jours faire du butin et des vivres chez les Ambivarites[3], au delà de la Meuse. Il rejeta leur prière et continua de s’avancer.
À l’époque fixée, César, ayant dépassé les lieux où se trouve aujourd’hui Venloo, n’était plus qu’à douze milles de l’ennemi ; les débutés revinrent comme ils l’avaient dit. Ils rencontrèrent l’armée en marche, et supplièrent avec de vives instances qu’elle n’allât pas plus loin. Ne pouvant obtenir cette concession, ils demandèrent qu’au moins, la cavalerie, qui formait l’avant-garde, n’engageât pas l’action et qu’on leur accordât un délai de trois jours, pendant lesquels ils députeraient chez les Ubiens ; si ces derniers s’obligeaient, par serment, à les recevoir, ils accepteraient les conditions de César. Celui-ci ne fut pas dupe de cette nouvelle ruse, et cependant leur promit de n’avancer ce jour-là que de quatre milles, pour trouver de l’eau. Il les invita, en outre, à se représenter le lendemain en grand nombre ; sa cavalerie reçut l’ordre de ne pas provoquer le combat, de se borner, si elle était attaquée, à tenir ferme, et à attendre l’arrivée des légions.
En apprenant que César s’approchait de la Meuse et du Rhin les Usipètes et les Tenctères s’étaient concentrés vers le confluent de ces deux fleuves, dans la partie la plus reculée du pays des Ménapiens, et ils s’étaient établis sur la rivière de la Niers, dans les plaines de Goch. César, de son côté, à partir de Venloo, avait appuyé à droite pour marcher à la rencontre de l’ennemi. Comme au nord de la Rœr il n’existe, entre le Rhin et la Meuse, aucun autre cours d’eau que la Niers, il dut évidemment s’avancer jusqu’à cette rivière pour trouver de l’eau : il en était à quatre milles lorsqu’il rencontra, vers Strælen, la députation germaine.
L’avant-garde, forte de cinq mille chevaux, marchait sans défiance, comptant sur la trêve convenue. Tout à coup huit cents cavaliers, les seuls dont disposassent les Germains, depuis que la majeure partie de leur cavalerie avait passé la Meuse, se précipitent sur celle de César du plus loin qu’ils l’aperçoivent. En un instant le désordre se met dans ses rangs. À peine s’est-elle reformée que, suivant leur coutume, les cavaliers germains s’élancent à terre, éventrent les chevaux, renversent les hommes, qui fuient épouvantés jusqu’à la vue des légions. Soixante et quatorze cavaliers périrent, parmi lesquels l’Aquitain Pison, homme d’une haute naissance et d’un grand courage, dont l’aïeul avait exercé le pouvoir souverain dans son pays et obtenu du sénat le titre d’ami. Son frère, en voulant le sauver, se fit tuer avec lui.
Cette attaque était une violation flagrante de la trêve, aussi César résolut-il de ne plus entrer en négociation avec un ennemi si déloyal. Frappé de l’impression produite, par ce seul combat, sur l’esprit mobile des Gaulois, il ne voulut pas leur laisser le temps de la réflexion, et se décida à ne plus différer la bataille ; d’ailleurs donner aux Germains le loisir d’attendre le retour de leur cavalerie eût été insensé. Le lendemain matin leurs chefs vinrent au camp en grand nombre comme pour se justifier de l’attaque de la veille malgré la convention, mais, en réalité, pour obtenir par supercherie une prolongation de la trêve. César, satisfait de les voir se livrer d’eux-mêmes, crut devoir user de représailles, et ordonna de les arrêter. L’armée romaine, alors campée sur la Niers, n’était plus qu’à huit milles des Germains[4].
II. César fit sortir toutes les troupes de son camp, forma l’infanterie sur trois lignes[5], et plaça à l’arrière-garde la cavalerie, encore intimidée par le dernier combat. Après avoir parcouru rapidement la distance qui le séparait des Germains, il les atteignit à l’improviste. Frappés de terreur à l’apparition subite de l’armée, déconcertés par l’absence de leurs chefs, ils n’eurent le temps ni de délibérer ni de prendre les armes, et hésitèrent un moment entre le parti de la fuite et celui de la résistance[6]. Tandis que les cris et le désordre annoncent leur frayeur, les Romains, animés par la perfidie de la veille, fondent sur leur camp. Ceux des Germains qui peuvent assez promptement courir aux armes tentent de se défendre, et combattent entre les bagages et les chariots. Mais les femmes et les enfants se sauvent de tous côtés. César lance la cavalerie à leur poursuite. Dès que les barbares qui luttaient encore entendent derrière eux les cris des fuyards et voient le massacre des leurs, ils jettent les armes, abandonnent les enseignes, et se précipitent hors du camp. Ils ne cessent de fuir que parvenus au confluent du Rhin et de la Meuse, où les uns sont massacrés et les autres engloutis dans le fleuve[7]. Cette victoire, qui ne coûta pas un seul homme aux Romains, les délivra d’une guerre formidable. César rendit la liberté aux chefs qu’il avait retenus ; mais ceux-ci, redoutant la vengeance des Gaulois, dont ils avaient ravagé les terres, préférèrent rester auprès de lui[8].
III. Après un succès si éclatant, César, pour en assurer les résultats, crut qu’il lui importait de franchir le Rhin et d’aller trouver les Germains chez eux. À cet effet il devait choisir le point de passage là où, sur la rive droite, habitait un peuple ami, les Ubiens. L’étude de cette campagne et des suivantes nous porte à croire que ce fut à Bonn[9]. Du champ de bataille il remonta donc la vallée du Rhin ; il suivit une direction indiquée par les localités ci-après : Gueldres, Crefeld, Neuss, Cologne et Bonn. (Voir planche 14.) Avant tout, l’intention de César était d’arrêter cet entraînement des Germains à se jeter sur la Gaule, de leur inspirer des craintes pour leur propre sûreté, et de leur prouver que l’armée romaine oserait et pourrait franchir un grand fleuve. Il avait d’ailleurs un motif plausible pour pénétrer en Germanie, c’était le refus des Sicambres de lui livrer les cavaliers Usipètes et Tenctères qui s’étaient réfugiés chez eux après la bataille. À sa demande, les Sicambres avaient répondu que l’empire du peuple romain finissait au Rhin, qu’au delà César n’avait rien à prétendre. En même temps les Ubiens, qui, seuls des peuples d’outre-Rhin, avaient recherché son alliance, demandaient sa protection contre les Suèves, qui les menaçaient plus sérieusement que jamais. Il lui suffirait, disaient-ils, de se montrer sur la rive droite du Rhin pour garantir leur sécurité, tant était grand le renom de l’armée romaine chez les nations germaines les plus reculées, depuis la défaite d’Arioviste et la dernière victoire ; ils lui offrirent des bateaux pour le passage du fleuve. César déclina cette offre. Il lui parut indigne de lui et du peuple romain d’avoir recours à des barbares, et peu sûr de faire transporter l’armée sur des bateaux. Aussi, malgré les obstacles qu’opposait un fleuve large, profond et rapide, il se décida à jeter un pont.
C’était la première fois qu’une armée régulière tentait de franchir le Rhin. Voici quel fut le mode de construction du pont. (Voir planche 15) Deux arbres (probablement en grume) d’un pied et demi d’épaisseur, taillés en pointe à l’une de leurs extrémités, et d’une longueur proportionnée à la profondeur du fleuve, furent jumelés à deux pieds d’intervalle l’un de l’autre, au moyen de plusieurs traverses ; descendus dans l’eau et mis en fiche à l’aide de machines placées sur des bateaux accouplés, ils furent enfoncés à coups de mouton, non verticalement comme des pieux ordinaires, mais obliquement, en les inclinant dans le sens du courant. En face, et à quarante pieds en aval, on disposa un autre couple de pilots assemblés de la même manière, mais inclinés dans un sens opposé, afin de résister à la violence du fleuve. Dans l’intervalle laissé entre les deux pilots. de chaque couple, on logea une grande poutre, appelée chapeau, de deux pieds d’équarrissage ; ces deux couples (hæc utraque) furent reliés entre eux de chaque côté, à partir de l’extrémité supérieure, par deux liens en bois (fibulæ), de sorte qu’ils ne pouvaient ni s’écarter ni se rapprocher l’un de l’autre, et présentaient, d’après les Commentaires, un ensemble d’une solidité si grande que la force de l’eau, loin de l’ébranler, en resserrait toutes les parties[10]. Ce système constituait une palée du pont ; on établit autant de palées que l’exigeait la largeur du fleuve. Le Rhin à Bonn ayant environ 430 mètres de largeur, le pont devait se composer de cinquante-six travées, en supposant chacune de celles-ci de 26 pieds romains (7m, 70) de longueur. Par conséquent les palées étaient au nombre de cinquante-quatre. Le tablier fut formé de longerons allant d’un chapeau à l’autre, sur lesquels on plaça, en travers, des longuerines qu’on recouvrit de claies. Outre cela, on enfonça obliquement, en aval de chaque palée, un pilot qui, placé en arc-boutant (pro ariete subjectæ), et relié avec elle, augmentait sa résistance contre le courant. D’autres pilots furent également enfoncés à peu de distance, en amont des palées, de manière à former des estacades, destinées à arrêter les troncs d’arbres et les bateaux que les barbares pourraient lancer afin de rompre le pont.
Ces travaux furent achevés en dix jours, y compris le temps employé au transport des matériaux. César fit passer le fleuve à son armée, laissa une forte garde à chaque extrémité du pont, et s’avança vers le territoire des Sicambres, en remontant, semble-t-il, les vallées de la Sieg et de l’Agger. (Voir planche 14.) Pendant sa marche, les députés de divers peuples vinrent solliciter son alliance. Il leur fit un accueil bienveillant et exigea des otages. Quant aux Sicambres, dès le commencement des travaux du pont ils avaient fui dans les déserts et dans les forêts, effrayés par les récits des Usipètes et des Tenctères, réfugiés chez eux.
César ne séjourna que dix-huit jours au delà du Rhin ; pendant ce temps il ravagea le territoire des Sicambres, revint chez les Ubiens, et promit de les secourir s’ils étaient attaqués par les Suèves. Ceux-ci s’étant retirés au centre de leur pays, il renonça à les combattre, et crut ainsi avoir accompli son dessein.
Il est évident, d’après ce qui précède, que le but de César n’était pas de faire la conquête de la Germanie, mais de frapper un grand coup pour dégoûter les barbares de leurs fréquentes incursions au delà du Rhin. Sans doute il espérait rencontrer les Suèves et leur livrer bataille ; mais, apprenant qu’ils s’étaient rassemblés très-loin du Rhin, il jugea plus prudent de ne pas s’aventurer dans un pays inconnu, couvert de forêts, revint dans la Gaule et fit rompre le pont.
Il ne suffisait pas à César d’avoir intimidé les Germains ; il conçut un projet plus hardi ; c’était de traverser la mer pour aller demander compte aux Bretons des secours que, dans presque toutes les guerres, et particulièrement dans celle des Vénètes, ils avaient envoyés aux Gaulois[11].
IV. Les Romains n’avaient sur la Bretagne que des informations imparfaites, dues à certains écrivains grecs, notamment à Pythéas, de Marseille, qui avait visité la mer du Nord au ive siècle avant notre ère, et à Timée, de Tauromenium. Les Gaulois qui se rendaient en Bretagne pour trafiquer ne connaissaient guère que la côte sud et sud-est. Cependant, peu de temps avant l’arrivée des Romains, une des populations de la Gaule Belgique, les Suessions, alors gouvernés par Divitiacus, avait étendu sa domination jusque dans cette île[12].
Ce fut seulement après avoir abordé en Bretagne que César put se faire une idée assez exacte de sa configuration et de son étendue. « La Bretagne, dit-il, a la forme d’un triangle, dont la base, large d’environ cinq cents milles, fait face à la Gaule. Le côté qui regarde l’Espagne c’est-à-dire le couchant, présente une longueur de sept cents milles environ. Dans cette direction, l’île est séparée de l’Hibernie (Irlande) par un bras de mer, dont la largeur est sensiblement la même que celle du bras de mer qui sépare la Bretagne de la Gaule ; » et il ajoute que « la superficie de l’Hibernie représente à peu près la moitié de la superficie de la Bretagne. Le troisième côté du triangle, formé par cette dernière île est orienté au nord, et long de huit cents milles, il ne fait face à aucune terre ; seulement l’un des angles que ce côté comprend regarde la Germanie[13]. » Ces évaluations imparfaites, qui, au siècle suivant, devaient faire place à d’autres moins inexactes[14], conduisirent le grand capitaine à attribuer à la Bretagne tout entière vingt fois cent mille pas de contour. Il recueillit, en outre, quelques renseignements plus vagues encore sur les petites îles qui avoisinent la Bretagne : « L’une d’elles, écrit-il, appelée Mona (l’île de Man), est située au milieu du détroit qui sépare la Bretagne de l’Hibernie. » Les Hébrides, les îles Shetland (Acmodæ des anciens), les Orcades, qui ne furent connues des Romains qu’au commencement de notre ère[15], se confondaient, dans l’esprit de César et de ses contemporains, avec l’archipel des Féroë et la Scandinavie. La Calédonie (Écosse) même n’apparaissait que dans un obscur lointain.
César nous représente le climat de la Bretagne comme moins froid, plus tempéré, que celui de la Gaule. Excepté le hêtre (fagus) et le sapin (abies), on trouvait dans les forêts de cette île les mêmes essences que sur le continent voisin[16]. On y récoltait le blé et on élevait de nombreux bestiaux[17]. « Le sol, s’il ne se prête pas à la culture de l’olivier, de la vigne et des autres productions des pays chauds, écrit d’autre part Tacite[18], produit en revanche du grain et des fruits en abondance. Ils croissent promptement, mais ils sont lents à mûrir. »
La Bretagne renfermait une population nombreuse ; la partie intérieure était habitée par des peuples qui se croyaient autochtones, et le littoral méridional et oriental, par une race émigrée de la Gaule Belgique et qui avait traversé la Manche et la mer du Nord, attirée par l’appât du pillage. Après avoir fait la guerre aux indigènes, elle s’était fixée dans l’île et y était devenue agricole[19]. César ajoute que presque toutes ces peuplades venues du continent avaient gardé le nom des cités dont elles étaient issues. Et en effet, parmi les peuples de la Bretagne que citent les géographes dans les siècles postérieurs à la conquête des Gaules, on rencontrait sur les bords de la Tamise et de la Severn les noms de Belges et d’Atrébates.
Les plus puissantes de ces populations d’origine belge se trouvaient dans le Cantium (Kent), que les relations commerciales mettaient en rapport habituel avec la Gaule[20]. Les Commentaires ne citent qu’un petit nombre de nations bretonnes. Ce sont, dans les comtés de l’est, les Trinobantes (peuple de l’Essex et du Middlesex), qui se montrèrent les plus fidèles aux Romains[21], et dont le principal oppidum était vraisemblablement déjà, au temps de César, Londinium (Londres), mentionné par Tacite[22] ; les Cénimagnes[23] (Suffolk, au nord des Trinobantes) ; les Ségontiaques (la plus grande partie du Hampshire et du Berkshire, comtés du sud) ; les Bibroques (habitant une région alors fort boisée et où s’étendait la célèbre forêt d’Anderida[24] ; leur territoire comprenait une petite partie du Hampshire et du Berkshire, embrassait les comtés de Surrey et de Sussex et la partie la plus occidentale du Kent) ; les Ancalites (position plus incertaine, nord du Berkshire, partie occidentale du Middlesex) ; les Casses (Hertfordshire, Bedfordshire, Buckinghamshire, comtés du centre). Chacune de ces petites nations était gouvernée par un chef ou roi[25].
On retrouvait chez les Belges de la Bretagne les mœurs des Gaulois, mais l’état social y était moins avancé. Strabon[26] en donne cette preuve, que, ayant le lait en abondance, les Bretons ne savaient point faire de fromages, art fort perfectionné au contraire dans certaines parties de la Gaule. Le caractère national des deux populations, Bretons et Gaulois, présentait une grande analogie : « Même audace, à chercher le danger, même empressement à le fuir quand il est devant eux, écrit Tacite ; toutefois le courage des Bretons a quelque chose de plus fier[27]. » Cette ressemblance des deux races se manifestait aussi dans les formes extérieures. Cependant, selon Strabon, la taille des Bretons était plus élevée que celle des Gaulois, leurs cheveux étaient d’un blond moins ardent. Ils n’avaient pour demeures que de chétives cabanes faites de chaume et de bois[28] ; ils déposaient leur blé dans des silos ; leurs oppidums étaient situés au milieu des forêts, défendus par un rempart et un fossé, et servaient de refuges en cas d’attaque[29].
Les peuplades de l’intérieur de l’île vivaient dans un état plus barbare que celles de la côte ; vêtues de peaux d’animaux, elles se nourrissaient de lait et de chair[30]. Strabon les représente même comme des cannibales, et assure que l’usage existait chez eux de manger le corps de leurs parents morts[31]. Les hommes portaient les cheveux très-longs et la moustache ; ils se frottaient la peau avec du pastel, qui rendait l’aspect des combattants singulièrement hideux[32]. Les femmes se peignaient aussi de la sorte pour certaines cérémonies religieuses, où elles apparaissaient nues[33]. Telle était la barbarie des Bretons de l’intérieur, que les femmes y étaient parfois communes à dix ou douze hommes, promiscuité surtout habituelle entre les plus proches parents. Les enfants qui naissaient de ces unions incestueuses étaient attribués au premier qui avait reçu dans sa maison la mère encore jeune fille[34]. Les Bretons du cap Bolerium (Cornwall) étaient très-hospitaliers, et le commerce qu’ils faisaient avec les marchands étrangers avait adouci leurs mœurs[35].
L’abondance des métaux dans la Bretagne, surtout celle de l’étain ou plomb blanc, que les Phéniciens y allaient chercher depuis la plus haute antiquité[36], fournissait aux habitants de nombreux moyens d’échange. Toutefois ils ne connaissaient pas la monnaie et ne faisaient usage que de morceaux de cuivre, d’or ou de fer, qu’ils pesaient pour en déterminer la valeur. Ils ne savaient pas fabriquer le bronze et le recevaient du dehors[37].
La religion des Bretons, sur laquelle César ne nous donne aucun renseignement, devait peu différer de celle des Gaulois, puisque le druidisme passait pour avoir été importé de la Bretagne dans la Gaule[38]. Tacite nous dit en effet qu’on trouvait en Bretagne le même culte et les mêmes superstitions que chez les Gaulois[39]. Strabon nous parle, d’après Artémidore, d’une île voisine de la Bretagne où l’on célébrait en l’honneur de deux divinités, assimilées par ce dernier à Cérès et à Proserpine, des rites qui rappelaient ceux des mystères de Samothrace[40]. Sous l’empire de certaines idées superstitieuses, les Bretons s’abstenaient de la chair de plusieurs animaux, tels que le lièvre, la poule et l’oie, qu’ils élevaient cependant en domesticité pour leur agrément[41].
Les Bretons, quoique insulaires, ne paraissent pas avoir possédé de marine au temps de César. C’étaient les navires étrangers qui venaient chercher aux environs du cap Bolerium l’étain que les habitants exploitaient avec autant d’intelligence que de profit[42]. Un siècle environ après César, les barques des Bretons consistaient en carènes d’osier recouvertes de cuir[43]. Les habitants de la Bretagne étaient moins ignorants dans l’art de la guerre que dans celui de la navigation. Protégés par de petits boucliers[44], armés de longues épées, qu’ils maniaient avec adresse, mais inutiles dès qu’on les attaquait corps à corps, ils ne combattaient jamais en masses : ils s’avançaient par faibles détachements qui s’appuyaient réciproquement[45]. Leur force principale résidait dans l’infanterie[46] ; ils employaient cependant un grand nombre de chars de guerre armés de faux[47]. Ils commençaient par les faire courir rapidement de tous côtés en lançant des traits, cherchant ainsi à jeter le désordre dans les rangs ennemis par la seule frayeur que causaient l’impétuosité des chevaux et le bruit des roues ; puis ils rentraient dans les intervalles de leur cavalerie, sautaient à terre et combattaient à pied mêlés aux cavaliers ; pendant ce temps, les conducteurs se retiraient peu à peu du théâtre de l’action et se plaçaient avec les chars de manière à recueillir au besoin les combattants[48]. Les Bretons réunissaient ainsi la mobilité du cavalier à la solidité du fantassin ; un exercice journalier les avait rendus si adroits, qu’ils maintenaient leurs chevaux en pleine course sur des pentes rapides, les modéraient ou les détournaient à volonté, couraient sur le timon, se tenaient sur le joug, et de là se rejetaient rapidement dans leurs chars[49]. En guerre, ils se servaient, comme auxiliaires, de leurs chiens, que les Gaulois faisaient venir de la Bretagne pour le même usage. Ces chiens étaient excellents pour la chasse[50].
En résumé, les Bretons étaient moins civilisés que les Gaulois. Si l’on excepte l’art d’exploiter certains métaux, l’industrie chez eux se bornait à la fabrication des objets les plus grossiers et les plus indispensables, et c’était de la Gaule qu’ils tiraient les colliers, les vases d’ambre et de verre, et les ornements en ivoire pour les freins de leurs chevaux[51].
On savait aussi que des perles se trouvaient dans la mer d’Écosse, et l’on croyait facilement qu’elle recélait d’immenses richesses.
Ces détails sur la Bretagne ne furent recueillis qu’après les expéditions romaines, car, auparavant, les données les plus mystérieuses régnaient sur ce pays, et lorsque César en résolut la conquête, cette audacieuse entreprise exalta les esprits au plus haut degré par l’attrait toujours si puissant de l’inconnu ; quant à lui, en traversant la Manche, il obéissait à la même pensée qui l’avait conduit au delà du Rhin : il voulait donner aux barbares une haute idée de la grandeur romaine et les empêcher de prêter un appui aux insurrections de la Gaule.
V. Quoique l’été touchât à sa fin, les difficultés d’une descente en Bretagne ne l’arrêtèrent pas. Lors même d’ailleurs que la saison ne lui aurait pas permis de conduire l’expédition à bonne fin, il lui sembla avantageux de prendre pied dans cette île, et d’en reconnaître les lieux, les ports et les points de débarquement. Toutes les personnes qu’il fit appeler ne purent ou ne voulurent lui donner aucun renseignement, ni sur l’étendue du pays, ni sur le nombre et les mœurs de ses habitants, ni sur leur manière de faire la guerre, ni sur les ports capables de recevoir une grande flotte.
Tenant à être éclairé sur ces différents points avant de tenter l’expédition, César envoya, sur une galère, C. Volusenus, avec ordre de tout explorer et de revenir lui apporter au plus vite le résultat de ses observations. De sa personne, il se rendit avec l’armée dans le pays des Morins, d’où la traversée en Bretagne était la plus courte. Il y avait sur la côte un port favorablement situé pour y préparer une descente dans cette île, c’était le port Itius, ou, comme nous chercherons à le prouver plus tard, le port de Boulogne. Les vaisseaux de toutes les régions voisines et la flotte construite l’année précédente pour la guerre des Vénètes y furent rassemblés.
La nouvelle de son projet s’étant répandue en Bretagne par les marchands, les députés de plusieurs nations de l’île vinrent offrir de se soumettre. César les accueillit avec bienveillance et les renvoya en leur adjoignant Commius, qu’il avait fait précédemment roi des Atrébates. Cet homme, dont il appréciait le courage, la prudence et le dévouement, jouissait d’un haut crédit parmi les Bretons. Il le chargea de visiter le plus grand nombre possible de peuplades, de les maintenir dans de bonnes dispositions, et de leur annoncer son arrivée prochaine.
Tandis que César attendait chez les Morins que les préparatifs de l’expédition fussent achevés, des députés se présentèrent, au nom d’une grande partie des habitants, pour justifier leur conduite passée. Il agréa leurs explications avec empressement, ne voulant pas laisser d’ennemis derrière lui. D’ailleurs la saison était trop avancée pour lui permettre de combattre les Morins, et leur entière soumission n’avait pas assez d’importance pour le détourner de son entreprise contre la Bretagne : il se contenta d’exiger de nombreux otages. Sur ces entrefaites, Volusenus revint, au bout de cinq jours, rendre compte de sa mission ; n’ayant pas osé descendre à terre, il ne l’avait remplie qu’imparfaitement.
Les forces destinées à l’expédition se composaient de deux légions, la 7e et la 10e, commandées probablement par Galba et Labienus, et d’un détachement de cavalerie, ce qui faisait environ 12 000 légionnaires et 450 chevaux.
Q. Titurius Sabinus et L. Aurunculeius Cotta reçurent le commandement des troupes laissées sur le continent pour occuper le territoire des Ménapiens, et la partie de celui des Morins qui ne s’était pas soumise. Le lieutenant P. Sulpicius Rufus fut chargé de garder le port avec des forces suffisantes.
On était parvenu à réunir quatre-vingts vaisseaux de transport, jugés capables de contenir les deux légions expéditionnaires sans gros bagages, et un certain nombre de galères, qui furent distribuées au questeur, aux lieutenants et aux préfets. Dix-huit autres vaisseaux, destinés à la cavalerie, étaient retenus par des vents contraires dans un petit port (celui d’Ambleteuse) situé à huit milles au nord de Boulogne[52]. (Voir planche 16)
Ces dispositions prises, César, profitant d’un vent favorable, partit dans la nuit du 24 au 25 août (nous essayerons plus tard de justifier cette date), vers minuit, après avoir donné l’ordre à la cavalerie de se rendre, pour s’embarquer, au port supérieur (Ambleteuse) ; il atteignit la côte de Bretagne, à la quatrième heure du jour (dix heures du matin), en face des falaises de Douvres. La cavalerie, dont l’embarquement ne s’était fait qu’avec lenteur, n’avait pu le rejoindre.
De son vaisseau César aperçut les falaises couvertes d’hommes en armes. Dans cet endroit, la mer était tellement resserrée entre les collines qu’un trait lancé des hauteurs pouvait atteindre le rivage[53]. Cette description est conforme à celle que Q. Cicéron donnait à son frère, « des côtes surmontées d’immenses rochers[54]. » Le lieu ne parut nullement propre à un débarquement. (Voir planche 17.) César jeta l’ancre et attendit vainement jusqu’à la neuvième heure (3 h. 1/2) (Voir la concordance des heures, Appendice B) que les vaisseaux attardés le ralliassent. Dans l’intervalle il convoqua ses lieutenants et les tribuns des soldats, leur communiqua ses projets ainsi que les renseignements rapportés par Volusenus, et leur recommanda l’exécution instantanée de ses ordres sur un simple signe, comme l’exige la guerre maritime, où les manœuvres doivent être aussi rapides que variées. Il est probable que César avait tenu secret jusque-là le point de débarquement.
Lorsqu’il les eut congédiés, vers trois heures et demie, le vent et la marée étant devenus en même temps favorables, il donna le signal de lever l’ancre, et, après s’être avancé environ sept milles vers l’est, jusqu’à l’extrémité des falaises, et avoir, suivant Dion-Cassius, doublé un haut promontoire[55], la pointe de South-Foreland (Voir planche 16), il s’arrêta devant la plage ouverte et unie qui s’étend du château de Walmer jusqu’à Deal.
Des hauteurs de Douvres il était facile aux Bretons de distinguer le mouvement de la flotte ; devinant qu’elle se portait vers le point où finissent les falaises, ils accoururent en toute hâte, précédés de leur cavalerie et de leurs chars, dont ils se servaient constamment dans les combats ; ils arrivèrent à temps pour s’opposer au débarquement, qui allait être tenté dans les conditions les plus périlleuses. Les vaisseaux, à cause de leur grandeur, ne pouvaient jeter l’ancre que dans des eaux profondes ; les soldats, sur une côte inconnue, les mains embarrassées, le corps chargé du poids de leurs armes, étaient obligés de se précipiter dans les flots, d’y prendre pied et de combattre. Les ennemis, au contraire, libres de leurs membres, connaissant les lieux et postés sur la rive ou peu avant dans la mer, lançaient leurs traits avec assurance et poussaient au milieu des vagues leurs chevaux dociles et bien dressés. Aussi les Romains, déconcertés par cette réunion de circonstances imprévues et étrangers à ce genre de combat, ne s’y portaient pas avec leur ardeur et leur zèle accoutumés.
Dans cette situation, César fit détacher de la ligne des vaisseaux de transport les galères, navires plus légers, d’une forme nouvelle pour les barbares, et les dirigea à force de rames sur le flanc découvert de l’ennemi (c’est-à-dire le côté droit), afin de le chasser de sa position à coups de frondes, de flèches et de traits lancés par les machines. Cette manœuvre fut d’un grand secours ; car les Bretons, frappés de l’aspect des galères, du mouvement des rames et du jeu inconnu des machines, s’arrêtèrent et reculèrent un peu. Cependant les Romains hésitaient encore, à cause de la profondeur de l’eau, à sauter hors des navires, lorsque le porte-drapeau de la 10e légion, invoquant les dieux à haute voix et exhortant ses camarades à défendre l’aigle, s’élance dans la mer et les entraîne après lui[56]. Cet exemple est imité par les légionnaires embarqués sur les bâtiments les plus proches, et le combat s’engage. Il fut opiniâtre. Les Romains ne pouvant garder leurs rangs, ni prendre pied solidement, ni se rallier à leurs enseignes, la confusion était extrême ; tous ceux qui s’élançaient des navires, pour gagner la terre isolément, étaient enveloppés par les cavaliers barbares, auxquels les bas-fonds étaient connus, et, lorsqu’ils se réunissaient en masse, l’ennemi, les prenant par le flanc découvert, les accablait de ses traits. À cette vue, César fit remplir de soldats les chaloupes des galères et les petits bâtiments servant à éclairer l’escadre, et les envoya partout où le danger les réclamait. Bientôt les Romains, ayant réussi à s’établir sur la terre ferme, formèrent leurs rangs, coururent à l’ennemi, le mirent en fuite ; mais une longue poursuite fut impossible, faute de cavalerie ; celle-ci, contrariée dans sa traversée, n’avait pas pu atteindre la Bretagne. En cela seul la fortune fit défaut à César.
Dans ce combat, où sans doute bien des actes de courage restèrent ignorés, un légionnaire, Cæsius Scæva, dont Valère Maxime nous a conservé le nom, se distingua d’une façon toute particulière. S’étant jeté avec quatre hommes dans une barque, il avait atteint un rocher[57] d’où, avec ses camarades, il lançait des traits contre l’ennemi ; mais le reflux rendit guéable l’espace compris entre ce rocher et la terre ferme. Les barbares alors accoururent en foule. Les compagnons de Scæva se réfugièrent dans leur barque ; lui, ferme à son poste, fit une défense héroïque, tua plusieurs ennemis ; enfin, ayant eu la cuisse traversée d’une flèche, le visage meurtri par le choc d’une pierre, son casque mis en pièces, son bouclier troué de toutes parts, il s’abandonna à la merci des flots et retourna à la nage vers les siens. Lorsqu’il aperçut son général, au lieu de se vanter de sa conduite, il lui demanda pardon de revenir sans bouclier. C’était, en effet, une honte dans l’antiquité de perdre cette arme défensive ; mais César le combla d’éloges et le récompensa par le grade de centurion.
Le débarquement opéré, les Romains établirent leur camp près de la mer, et, comme tout porte à le croire, sur la hauteur de Walmer. Les galères furent halées sur la grève, et les vaisseaux de transport laissés à l’ancre non loin de la côte.
Les ennemis, ralliés après leur défaite, se décidèrent à la paix. Ils adjoignirent à leurs députés chargés de la solliciter des Morins, avec lesquels ils vivaient en bonne intelligence[58], et le roi des Atrébates, Commius, précédemment investi d’une mission en Bretagne. Les barbares s’étaient saisis de sa personne au moment où il débarquait, et l’avaient chargé de fers. Après le combat, ils le relâchèrent, et vinrent demander pardon de cette offense, en rejetant la faute sur la multitude. César leur reprocha de l’avoir accueilli en ennemi, bien qu’ils eussent, de leur propre mouvement, envoyé sur le continent des députés pour traiter de la paix. Cependant il leur pardonna, mais exigea des otages ; une partie fut livrée sur-le-champ, l’autre promise sous peu de jours. En attendant, ils retournèrent dans leurs foyers, et de toutes parts les chefs accoururent pour implorer la protection du vainqueur.
La paix semblait assurée. L’armée était depuis quatre jours en Bretagne, et les dix-huit navires qui portaient la cavalerie, quittant le port supérieur par une légère brise, s’approchaient des côtes et étaient déjà en vue du camp, lorsque tout à coup s’éleva une violente tempête qui les écarta de leur route. Les uns furent ramenés au point même d’où ils étaient partis, les autres poussés vers le sud de l’île, où ils jetèrent l’ancre ; mais, battus par les vagues, ils furent forcés, au milieu d’une nuit orageuse, de prendre le large et de regagner le continent.
Cette nuit du 30 au 31 août coïncidait avec la pleine lune : les Romains ignoraient que ce fût l’époque des plus hautes marées de l’Océan. L’eau submergea bientôt les galères mises à sec sur la grève, et les vaisseaux de transport, restés à l’ancre, cédant à la tempête, furent brisés sur la côte ou désemparés. La consternation devint générale ; tout manquait à la fois, et les moyens de transport et les matériaux pour réparer les navires, les vivres mêmes ; car César, ne comptant pas hiverner en Bretagne, n’avait pas fait d’approvisionnements.
Au moment de ce désastre, les chefs des Bretons étaient encore réunis pour satisfaire aux conditions imposées ; instruits de la position critique des Romains, jugeant de leur petit nombre par l’exiguïté de leur camp, d’autant plus resserré que les légions s’étaient embarquées sans bagages[59], ils se décidèrent à reprendre les armes. L’occasion leur parut favorable pour intercepter les vivres et prolonger la lutte jusqu’à l’hiver, dans la ferme conviction que, s’ils anéantissaient les envahisseurs et leur coupaient toute retraite, personne désormais n’oserait plus porter la guerre en Bretagne.
Une nouvelle ligue se forme. Les chefs barbares s’éloignent successivement du camp romain et rappellent en secret les hommes qu’ils avaient renvoyés. César ignorait encore leur dessein, mais leur retard à livrer le reste des otages et le désastre survenu à sa flotte lui firent bientôt prévoir ce qui arriverait. Il prit donc ses mesures pour parer à toutes les éventualités. Chaque jour les deux légions se rendaient à tour de rôle dans la campagne pour moissonner ; on réparait la flotte avec le bois et le cuivre des navires qui avaient le plus souffert, et on faisait venir du continent les matériaux nécessaires. Grâce au zèle extrême des soldats, tous les vaisseaux furent remis à flot, excepté douze, ce qui réduisit la flotte à soixante-huit bâtiments au lieu de quatre-vingt qu’elle comptait au départ.
Pendant l’exécution de ces travaux, les Bretons venaient et allaient librement dans le camp, rien ne présageait de prochaines hostilités ; mais un jour que la 7e légion, selon la coutume, s’était rendue non loin du camp pour couper du blé, les soldats de garde devant les portes vinrent tout à coup annoncer qu’une épaisse poussière s’élevait du côté où la légion s’était acheminée. César, soupçonnant quelque tentative des barbares, rassemble les cohortes de garde, ordonne à deux autres de les remplacer, au reste des troupes de prendre les armes et de le suivre sans retard, et se porte en toute hâte dans la direction indiquée. Voici ce qui s’était passé. Les Bretons, dans la prévision que les Romains se rendraient au seul endroit qui restât à moissonner (pars una erat reliqua), s’étaient cachés la nuit dans les forêts. Après avoir attendu que les soldats eussent déposé les armes et commencé à couper le grain, ils étaient tombés sur eux à l’improviste, avaient tué quelques hommes, et, pendant que les légionnaires en désordre se reformaient, les avaient entourés avec la cavalerie et les chars.
Cette étrange manière de combattre avait déconcerté les soldats de la 7e légion. Enveloppés de près, ne résistant qu’avec peine sous une grêle de traits, ils allaient succomber peut-être, lorsque César parut à la tête de ses cohortes : sa présence rassura les siens et contint l’ennemi. Toutefois il ne crut pas devoir engager un combat, et, après être resté un certain temps en position, il fit rentrer ses troupes. La 7e légion avait éprouvé de grandes pertes[60]. Des pluies continuelles rendirent, pendant quelques jours, toute opération impossible ; mais ensuite les barbares, croyant le moment venu de recouvrer leur liberté, se réunirent de toutes parts et marchèrent contre le camp.
Privé de cavalerie, César prévoyait bien qu’il en serait de ce combat comme du précédent, et que l’ennemi, repoussé, lui échapperait aisément par la fuite ; néanmoins, comme il avait à sa disposition trente chevaux amenés par Commius en Bretagne, il crut pouvoir s’en servir avec avantage[61] ; il rangea les légions en bataille à la tête du camp et fit marcher en avant. L’ennemi ne soutint pas le choc, et se dispersa ; les légionnaires le poursuivirent aussi vite et aussi loin que leur armement le permettait ; ils revinrent au camp, après avoir fait un grand carnage et tout ravagé dans un vaste rayon.
Le même jour, les barbares envoyèrent des députés pour demander la paix. César exigea le double du nombre d’otages convenu, et ordonna de les lui amener sur le continent. De toute la Bretagne, deux États seulement obéirent à cet ordre.
L’équinoxe approchait, et il ne voulait point exposer à une navigation d’hiver des vaisseaux mal réparés. Il profita d’un temps favorable, mit à la voile peu après minuit, et regagna la Gaule avec tous ses navires sans le moindre dommage. Seuls, deux bâtiments de charge ne purent entrer dans le port de Boulogne avec la flotte et furent entraînés un peu plus bas vers le sud. Ils portaient environ trois cents soldats, qui, une fois débarqués, se mirent en marche pour rejoindre l’armée. Dans le trajet, des Morins, séduits par l’appât du butin, les surprirent, et bientôt, atteignant le nombre de six mille, ils parvinrent à les envelopper. Les romains se formèrent en cercle ; en vain leur promit-on la vie sauve s’ils se rendaient ; ils se défendirent vaillamment pendant plus de quatre heures, jusqu’à l’arrivée de toute la cavalerie, que César envoya à leur secours. Saisis d’épouvante, les Morins jetèrent leurs armes et furent presque tous massacrés[62].
VI. Dès le lendemain du retour de l’armée sur le continent, Labienus fut chargé de réduire, avec les deux légions ramenées de Bretagne, les Morins révoltés, que les marais, desséchés par les chaleurs de l’été, ne mettaient plus, comme l’année précédente, à l’abri des attaques. D’un autre côté, Q. Titurius Sabinus et L. Cotta rejoignirent César, après avoir dévasté et incendié le territoire des Ménapiens, réfugiés dans l’épaisseur de leurs forêts. L’armée fut établie en quartiers d’hiver chez les Belges. Le sénat, lorsqu’il reçut les nouvelles de ces succès, décréta vingt jours d’actions de grâces[63].
VII. Avant de se rendre en Italie, César ordonna à ses lieutenants de réparer les anciens navires et d’en construire pendant l’hiver un plus grand nombre, dont il détermina la forme et les dimensions. Pour qu’il fût plus facile de les charger et de les tirer à terre, il recommanda de les faire un peu moins hauts que ceux qui étaient en usage en Italie ; cette disposition ne présentait aucun inconvénient, car il avait remarqué que les vagues de la Manche s’élevaient moins que celles de la Méditerranée, ce qu’il attribuait à tort à la fréquence des mouvements du flux et du reflux. Il voulut aussi plus de largeur dans les bâtiments, à cause des bagages et des bêtes de somme qu’ils devaient transporter, et prescrivit de les aménager de manière à permettre l’usage des rames, dont la manœuvre était facilitée par le peu de hauteur des bordages. D’après Dion-Cassius, ces navires tenaient le milieu entre les bâtiments légers des Romains et les bâtiments de transport des Gaulois[64]. Tous les agrès nécessaires à l’armement de ces vaisseaux furent tirés de l’Espagne.
Ces instructions données, César alla en Italie tenir l’assemblée de la Gaule citérieure, et ensuite partit pour l’Illyrie, sur la nouvelle que les Pirustes (peuples des Alpes carniques) en désolaient la frontière. Dès son arrivée, par des mesures promptes et énergiques, il réprima ces désordres et rétablit la tranquillité[65].
VIII. Nous avons désigné dans les pages précédentes Boulogne comme le port d’embarquement de César, et Deal comme le point où il prit terre en Bretagne. Avant d’en donner les raisons, il n’est pas inutile de constater que dans cette première expédition, comme dans la seconde, dont le récit suivra, les lieux d’embarquement et de débarquement de l’armée romaine furent les mêmes. D’abord les termes des Commentaires le font supposer ; ensuite, nous essayerons de le prouver, César ne put partir que de Boulogne ; enfin, d’après le récit de Dion-Cassius, il aborda les deux fois au même endroit[66]. Il est donc à propos de traiter ici la question pour l’une et l’autre expédition et d’anticiper sur certains faits.
Des écrivains très-recommandables ont placé le port Itius les uns à Wissant, les autres à Calais, Étaples ou Mardick ; mais l’empereur Napoléon Ier, dans son Précis des guerres de César, n’a pas hésité à préférer Boulogne. Il nous sera facile de prouver qu’effectivement Boulogne répond seul aux exigences du texte et satisfait en même temps aux nécessités d’une expédition considérable[67].
Pour procéder logiquement, supposons l’absence de toute espèce de données. Le seul moyen d’approcher de la vérité serait alors d’adopter comme lieu d’embarquement de César le port le plus anciennement mentionné par les historiens, car, selon toute probabilité, le point de la côte rendu célèbre par les premières expéditions de Bretagne aura été choisi de préférence pour les traversées ultérieures. Or, déjà sous Auguste, Agrippa fit construire une voie qui allait de Lyon à l’Océan à travers le pays des Bellovaques et des Ambiens[68] et devait aboutir à Gesoriacum (Boulogne), puisque l’Itinéraire d’Antonin la trace ainsi[69]. C’est à Boulogne que Caligula fit élever un phare[70], et que Claude s’embarqua pour la Bretagne[71]. C’est de là que mirent à la voile Lupicinus, sous l’empereur Julien[72], Theodosius, sous Valentinien[73], Constantius Chlorus[74], et enfin, en 893, les Danois[75]. Ce port était donc connu et fréquenté peu de temps après César, et continua à l’être les siècles suivants, tandis que Wissant et Calais ne sont signalés par les historiens que trois ou quatre cents ans plus tard ; enfin à Boulogne on trouve beaucoup d’antiquités romaines ; à Calais et à Wissant il n’en existe pas. Le camp de César dont parlent certains auteurs comme situé près de Wissant, n’est qu’une petite redoute moderne, incapable de contenir plus de deux cents hommes.
À cette première présomption en faveur de Boulogne vient s’en ajouter une autre : les anciens auteurs ne parlent que d’un seul port sur la côte gauloise la plus rapprochée de l’île de Bretagne ; dès lors, très-vraisemblablement, ils donnent au même lieu des noms différents, et parmi ces noms figure celui de Gesoriacum. Florus[76] nomme le lieu où s’embarqua César port des Morins ; Strabon[77] dit que ce port s’appelait Itius ; Pomponius Mela, qui vivait moins d’un siècle après César, cite Gesoriacum comme le port des Morins le plus connu[78] ; Pline s’exprime en termes analogues[79].
Montrons maintenant que le port de Boulogne répond aux données des Commentaires.
1° César, à sa première expédition, se rendit dans le pays des Morins, d’où le trajet de la Gaule en Bretagne est le plus court. Or Boulogne se trouve situé sur le territoire de ce peuple, qui, occupant la partie occidentale du département du Pas-de-Calais, était le plus rapproché de l’Angleterre.
2° À sa seconde expédition, César s’embarqua au port Itius, qu’il avait reconnu comme offrant le trajet le plus commode pour se rendre en Bretagne, distante du continent d’environ trente milles romains. Or, aujourd’hui encore, c’est de Boulogne que la traversée est la plus facile pour arriver en Angleterre, parce que là les vents favorables sont plus fréquents qu’à Wissant et à Calais. Quant à la distance d’environ trente milles (44 kil.), César la donne évidemment comme celle de la Bretagne au port Itius : c’est exactement la distance de Boulogne à Douvres, tandis que Wissant et Calais sont éloignés de Douvres, l’un de vingt, et l’autre de vingt-trois milles romains.
3° Au nord et à huit milles du port Itius existait un autre port, où s’embarqua la cavalerie. Boulogne est le seul port de la côte à huit milles duquel, vers le nord, on en rencontre un autre, celui d’Ambleteuse : les huit tailles se retrouvent exactement, non pas à vol d’oiseau, mais en suivant les contours des collines. Au nord de Wissant, au contraire, il n’y a que Sangatte ou Calais. Or Sangatte est à six milles romains de Wissant, et Calais à onze milles.
4° Les dix-huit navires du port supérieur furent empêchés par des vents contraires de rallier la flotte au port principal. On comprend très-bien que ces navires, retenus à Ambleteuse par des vents de sud-ouest ou d’ouest-sud-ouest, qui règnent fréquemment dans la Manche, n’aient pu rallier la flotte à Boulogne. Quant aux deux bâtiments de charge qui, au retour de la première expédition, ne purent aborder dans le même port que la flotte et furent entraînés par le courant plus au sud, rien dans les Commentaires ne dit qu’ils soient entrés dans un port ; il est probable même qu’ils furent jetés à la côte. Néanmoins il ne serait pas impossible qu’ils eussent abordé dans les petits ports de pêcheurs de Hardelot et de Camiers. (Voir planche 16.)
On voit par ce qui précède que le port de Boulogne répond au texte des Commentaires. Mais la raison péremptoire pour laquelle, à notre avis, le port où s’embarqua César est certainement celui de Boulogne, c’est qu’il eût été impossible de préparer sur tout autre point de cette côte une expédition contre l’Angleterre, Boulogne étant le seul lieu qui réunît les conditions indispensables pour le rassemblement de la flotte et l’embarquement des troupes. En effet, il fallait un port capable de contenir, soit quatre-vingts bâtiments de transport et des galères comme dans la première expédition, soit huit cents navires comme dans la seconde, et assez étendu pour permettre aux bâtiments de s’approcher des rives et d’embarquer les troupes dans une seule marée. Or ces conditions ne pouvaient être remplies que là où une rivière assez profonde, débouchant dans la mer, formait un port naturel ; et, sur la partie des côtes la plus rapprochée de l’Angleterre, on ne trouve qu’à Boulogne une rivière, la Liane, qui présente tous ces avantages. D’ailleurs, il ne faut pas l’oublier, toute la côte a été ensablée. Il paraît qu’il n’y a pas plus d’un siècle et demi que le bassin naturel de Boulogne a été comblé en partie, et, d’après la tradition et les observations géologiques, la côte s’avançait à plus de deux kilomètres, formant deux jetées entre lesquelles la marée montante remplissait la vallée de la Liane jusqu’à quatre kilomètres dans les terres.
Aucun des ports situés au nord de Boulogne ne pouvait servir de base à l’expédition de César, car aucun ne pouvait recevoir un si grand nombre de bâtiments, et on ne saurait admettre que César les ait laissés en pleine côte, pendant près d’un mois, exposés aux tempêtes de l’Océan, qui lui furent si funestes sur les rivages de Bretagne.
Boulogne était le seul point de la côte où César pût placer en sûreté ses dépôts, ses approvisionnements et ses rechanges. Les hauteurs qui dominent le port offraient des positions avantageuses pour l’établissement des camps[80], et la petite rivière la Liane lui permettait de faire venir facilement les bois et les ravitaillements dont il avait besoin. À Calais, il n’aurait trouvé que des plaines et des marais, à Wissant que des sables, comme l’étymologie du nom l’indique (white sand).
Chose digne de remarque : les raisons qui déterminèrent César à partir de Boulogne furent les mêmes qui décidèrent le choix de Napoléon Ier en 1804. Malgré la différence des temps et des armées, les conditions nautiques et pratiques n’avaient pas pu changer. « L’Empereur choisit Boulogne, dit M. Thiers, parce que ce port était indiqué depuis longtemps comme le meilleur point de départ d’une expédition dirigée contre l’Angleterre ; il choisit Boulogne parce que son port est formé par la petite rivière la Liane, qui lui permettait, avec quelques travaux, de mettre à l’abri douze à treize cents bâtiments. »
Un autre rapprochement à signaler, c’est que certains bateaux plats construits par ordre de l’Empereur avaient presque les mêmes dimensions que ceux de César. « Il fallait, dit toujours l’historien du Consulat et de l’Empire, des bâtiments qui n’eussent pas besoin, quand ils étaient chargés, de plus de sept à huit pieds d’eau pour flotter, qui pussent marcher à l’aviron, pour passer, soit en calme, soit en brume, et venir s’échouer sans se briser sur les plages de l’Angleterre. Les grandes chaloupes canonnières portaient quatre pièces de gros calibre, gréées comme des bricks, c’est-à-dire à deux mâts, manœuvrées par vingt-quatre matelots, et capables de contenir une compagnie de cent hommes avec son état-major, ses armes, ses munitions… Ces bateaux offraient un inconvénient fâcheux, celui de dériver, c’est-à-dire de céder aux courants. Ils le devaient à leur lourde structure, qui présentait plus de prise à l’eau que leur mâture n’en présentait au vent[81]. »
Les navires de César éprouvèrent le même inconvénient, et, entraînés par les courants, à sa seconde expédition, ils allèrent à la dérive assez loin dans le nord.
Nous avons vu que les bateaux de transport de César étaient à fond plat, pouvaient marcher à la voile et à la rame, porter au besoin cent cinquante hommes, être chargés et tirés à terre avec promptitude (ad celeritatem onerandi subductionesque). Ils présentaient donc une grande analogie avec les bateaux plats de la flottille de 1804. Mais, il y a plus, l’empereur Napoléon avait trouvé utile d’imiter les galères romaines. « On avait reconnu nécessaire, dit M. Thiers, de construire des bateaux encore plus légers et plus mobiles que les précédents, tirant deux à trois pieds d’eau seulement, et faits pour aborder partout. C’étaient de grands canots, étroits et longs de soixante pieds, ayant un pont mobile qu’on posait ou retirait à volonté, et distingués des autres par le nom de péniches. Ces gros canots étaient pourvus d’une soixantaine d’avirons, portaient au besoin une légère voilure, et marchaient avec une extrême vitesse. Lorsque soixante soldats, dressés à manier la rame aussi bien que des matelots, les mettaient en mouvement, ils glissaient sur la mer comme ces légères embarcations détachées des flancs de nos grands vaisseaux, et surprenaient la vue par la rapidité de leur sillage. »
Le point de débarquement a été également le sujet d’une foule de suppositions contraires. On a proposé tour à tour Saint-Léonard, près d’Hastings, Richborough (Rutupiæ), près de Sandwich, Lymne, près de Hythe, enfin Deal.
La première localité nous semble devoir être rejetée, car elle ne répond à aucune des conditions du récit des Commentaires, qui nous font connaître qu’à la seconde expédition la flotte mit à la voile par une brise du sud-ouest ; or c’est le moins favorable de tous les vents pour se diriger vers Hastings, en partant des côtes du département du Pas-de-Calais. Dans cette même traversée, César, après avoir été entraîné hors de sa route pendant quatre heures de nuit, s’aperçut, au lever du jour, qu’il avait laissé la Bretagne sur sa gauche. Ce fait ne se comprendrait nullement s’il s’était proposé de débarquer à Saint-Léonard. Quant à Richborough, ce port est beaucoup trop au nord ; pourquoi César serait-il remonté jusqu’à Sandwich, puisqu’il pouvait débarquer à Walmer et à Deal ? Lymne, ou plutôt Romney-Marsh, ne saurait mieux convenir. Cette plage est tout à fait impropre à un débarquement, et aucun des détails fournis par les Commentaires ne peut s’y appliquer[82].
Reste Deal ; mais, avant de décrire cet endroit, il faut examiner si, à la première traversée, lorsque César remit à la voile, après avoir séjourné cinq heures en face des falaises de Douvres, le courant dont il profita l’emporta vers le nord ou vers le sud. (Voir page 158.) Deux célèbres astronomes anglais se sont occupés de cette question, Halley et M. Airy ; mais ils ne s’accordent ni sur le lieu où s’embarqua César, ni sur le lieu où il débarqua ; on peut cependant parvenir à résoudre ce problème, en cherchant le jour du débarquement de César. L’année de l’expédition est connue par le consulat de Pompée et de Crassus, c’est l’année 699 ; le mois dans lequel le départ eut lieu l’est par les données suivantes du récit des Commentaires : la belle saison touchait à sa fin, exigua parte æstatis reliqua (IV, xx) ; le blé avait été moissonné partout, excepté en un seul endroit, omni, ex reliquis partibus, demesso frumento, una pars erat reliqua (IV, xxxii) ; l’équinoxe approchait, propinqua die æquinoctii (IV, xxxvi). Ces données désignent assez clairement le mois d’août. Enfin on a, relativement au jour du débarquement, les indications suivantes : après quatre jours écoulés depuis son arrivée en Bretagne… il s’éleva tout à coup une si violente tempête… Cette même nuit, il y avait pleine lune, ce qui est l’époque des plus hautes marées de l’Océan : Post diem quartum quam est in Britanniam ventum[83]… tanta tempestas subito coorta . est… Eadem nocte accidit, ut esset luna plena, qui dies maritimos æstus maximos in Oceano efficere consuevit.
D’après cela, nous pensons que la tempête eût lieu après quatre jours, comptés depuis le lendemain du jour de l’arrivée ; que la pleine lune tomba la nuit suivante, enfin que cette époque coïncidait non pas avec la plus haute marée, mais avec les plus hautes marées de l’Océan. Aussi croyons-nous qu’il suffirait, pour connaître le jour précis du débarquement, de se reporter au sixième jour qui précéda la pleine lune du mois d’août 699 ; or ce phénomène, d’après les tables astronomiques, arriva le 31, vers trois heures du matin. La veille, c’est-à-dire le 30, avait éclaté la tempête ; quatre jours pleins s’étaient écoulés depuis le débarquement ; cela nous conduit au 26. César prit donc terre le 25 août. M. Airy, il est vrai, a interprété le texte tout autrement que nous ; il croit que l’expression post diem quartum peut être prise, en latin, pour le troisième jour ; d’un autre côté, il doute que César eût dans son armée des almanachs qui lui fissent connaître le jour exact de la pleine lune ; enfin, comme la plus haute marée a lieu un jour et demi après la pleine lune, il affirme que César, plaçant ces deux phénomènes au même moment, a dû se tromper, soit pour le jour de la pleine lune, soit pour celui de la plus haute marée, et il en conclut que le débarquement a pu avoir lieu le second, troisième ou quatrième jour avant la pleine lune.
Notre raisonnement a une autre base. Constatons d’abord que la science de l’astronomie permettait alors de connaître certaines époques de la lune, puisque, plus de cent ans auparavant, pendant la guerre contre Persée, un tribun de l’année de Paul-Émile annonçait la veille une éclipse de lune à ses soldats, afin de prévenir leurs craintes superstitieuses[84]. Disons ensuite que César, qui plus tard réforma le calendrier, était fort au courant des connaissances astronomiques de son temps, déjà portées très-loin par Hipparque, et qu’il s’y intéressait particulièrement, puisqu’il s’aperçut, au moyen d’horloges d’eau, que les nuits étaient plus courtes en Bretagne qu’en Italie.
Tout nous autorise donc à penser que César, en s’embarquant pour un pays inconnu, où il pouvait avoir à faire des marches de nuit, dut se préoccuper du cours de la lune et se munir de calendriers. Mais nous avons posé la question indépendamment de ces considérations, en recherchant, dans les jours qui précédèrent la pleine lune de la fin d’août 699, quel était celui où le renversement des courants dont parle César avait pu se produire à l’heure indiquée dans les Commentaires.
En supposant la flotte romaine à l’ancre à un demi-mille en face de Douvres, comme elle a ressenti l’effet du renversement des courants vers trois heures et demie de l’après-midi, la question se réduit à déterminer le jour de la fin du mois d’août où ce phénomène eut lieu à l’heure ci-dessus. On sait que la mer produit dans la Manche, en s’élevant ou s’abaissant, deux courants alternatifs, l’un dirigé de l’ouest à l’est, appelé flot ou courant de la marée montante, l’autre dirigé de l’est à l’ouest, nommé jusant ou courant de la marée descendante. Dans les parages situés en face de Douvres, à un demi-mille de la côte, le flot commence ordinairement à se faire sentir deux heures avant la pleine mer à Douvres, et le jusant trois heures et demie après.
De sorte que, si l’on trouve, avant la pleine lune du 31 août 699, un jour où il y eut pleine mer à Douvres, soit à cinq heures et demie de l’après-midi, soit à midi, ce jour sera celui du débarquement, et de plus on saura si le courant emporta César vers l’est ou vers l’ouest. Or on peut admettre, d’après les données astronomiques, que les marées des jours qui ont précédé la pleine lune du 31 août 699 ont été sensiblement les mêmes que celles des jours qui ont précédé la pleine lune du 4 septembre 1857 ; et comme c’est le sixième jour avant la pleine lune du 4 septembre 1857 qu’il y eut pleine mer à Douvres, vers cinq heures et demie de l’après-midi (Voir l’Annuaire des marées des côtes de France pour l’année 1857)[85], on est amené à penser que le même phénomène s’est aussi produit à Douvres le sixième jour avant le 31 août 699 ; ainsi c’est le 25 août que César est arrivé en Bretagne, sa flotte étant poussée depuis Douvres par le courant de la marée montante.
Cette dernière conclusion, en obligeant à chercher le point de débarquement au nord de Douvres, constitue la plus forte présomption théorique en faveur de Deal. Examinons maintenant si Deal satisfait aux exigences du texte latin.
Les falaises qui bordent les côtes d’Angleterre vers la partie sud du comté de Kent forment, depuis Folkstone jusqu’au château de Walmer, un vaste quart de circonférence, convexe vers la mer, abrupte presque sur tous les points ; elles présentent plusieurs baies ou criques, comme à Folkstone, à Douvres, à Saint-Margaret, à Old-Stairs, et, diminuant d’élévation par degré, viennent se terminer au château de Walmer. À partir de ce point, et en remontant vers le nord, la côte est plate et d’un abord facile, sur une étendue de plusieurs lieues.
Le pays situé à l’ouest de Walmer et de Deal est plat lui-même aussi loin que la vue peut s’étendre, ou ne présente que de faibles ondulations de terrain. Ajoutons qu’il produit, en grande quantité, du blé de qualité excellente, et que la nature du sol porte à croire qu’il en était de même à une époque reculée. Ces diverses conditions faisaient de la plage de Walmer et de Deal le meilleur lieu de débarquement pour l’armée romaine.
Sa situation répond d’ailleurs pleinement au récit des Commentaires. À la première expédition, la flotte romaine, partant des falaises de Douvres et doublant la pointe de South-Foreland, a pu faire le trajet de sept milles en une heure ; elle serait ainsi venue mouiller en face du village actuel de Walmer. Les Bretons ont pu, en partant de Douvres, faire une marche de neuf kilomètres assez vite pour s’opposer au débarquement des Romains. (Voir planche 16.)
Le combat qui suivit fut certainement livré sur la partie de la plage qui s’étend du château de Walmer jusqu’à Deal. Aujourd’hui la côte est couverte de constructions dans toute cette étendue ; il n’est donc pas possible de préciser la forme qu’affectait la plage il y a dix-neuf siècles ; mais, à la vue des lieux, on comprend sans difficulté les diverses phases du combat décrit au livre IV des Commentaires.
Quatre jours révolus après l’arrivée de César en Bretagne, une tempête dispersa les dix-huit navires qui, sortis d’Ambleteuse, étaient arrivés jusqu’en vue du camp romain. Plusieurs des marins de la Manche, consultés, croient possible qu’un même coup de vent, comme le veut le texte, ait rejeté une partie des navires vers South-Foreland et l’autre partie vers la côte de Boulogne et d’Ambleteuse. La configuration du terrain indique d’elle-même l’emplacement du camp sur la hauteur où s’élève le village de Walmer. Il y était situé à mille ou douze cents mètres du rivage, dans une position qui dominait le pays environnant. Aussi est-il facile de comprendre, à l’aspect des lieux, les détails relatifs à l’épisode de la 7e légion, surprise pendant qu’elle moissonnait[86]. On pourrait objecter qu’à Deal le camp des Romains n’était pas à proximité d’un cours d’eau, mais ils purent creuser des puits ; aujourd’hui la nombreuse population de Deal ne se procure pas l’eau autrement.
D’après tout ce qui vient d’être dit, les faits suivants nous paraissent établis pour la première expédition. César, après avoir fait sortir sa flottille du port, dès la veille, partit dans la nuit du 24 au 25 août, vers minuit, des côtes de Boulogne, et arriva en face de Douvres vers dix heures du matin. Il resta à l’ancre jusqu’à trois heures et demie de l’après-midi, et alors, ayant pour lui le vent et la marée montante, il fit encore un trajet de sept milles et arriva près de Deal, probablement entre Deal et le château de Walmer, à quatre heures et demie. Comme, au mois d’août, le crépuscule dure jusqu’au delà de sept heures et demie et que son effet put être prolongé par la lune, qui, à cette heure, se trouvait au milieu du ciel, il resta à César quatre heures pour débarquer, repousser les Bretons et prendre terre sur le sol britannique. La mer commençant à descendre vers cinq heures et demie, l’anecdote de Cæsius Scæva rapportée par Valère Maxime s’explique ; car, vers sept heures, les rochers appelés les malms pouvaient être mis à découvert par la marée descendante.
Après quatre jours entiers, comptés depuis le moment du débarquement, c’est-à-dire le 30 août, s’éleva la tempête, et la pleine lune arriva la nuit suivante.
Cette première expédition, que César avait entreprise dans une saison trop avancée et avec trop peu de troupes, ne pouvait pas amener de grands résultats. Lui-même déclare qu’il ne voulait faire qu’une apparition en Bretagne. En effet, il ne s’éloigna pas de la côte, et quitta cette île vers le 12 septembre, n’y étant resté que dix-huit jours[87].
IX. Nous résumons ainsi les dates probables de la campagne de 699 :
César passe les monts plus tôt que de coutume | 10 avril. |
Son arrivée à l’armée entre Loire et Seine | 22 avril. |
Séjour à l’armée, renseignements | du 22 avril au 10 mai. |
Marche jusque entre Meuse et Rhin | du 10 au 28 mai. |
Victoire sur les Usipètes et les Tenctères | 4 juin. |
Arrivée à Bonn pour le passage du Rhin | 11 juin. |
Construction du pont de pilotis (10 jours) | du 12 au 21 juin. |
Campagne d’outre-Rhin (18 jours) | du 22 juin au 9 juillet. |
Marche de Bonn à Boulogne | du 11 au 28 juillet. |
Préparatifs de l’expédition de Bretagne | du 28 juillet au 24 août. |
Départ | nuit du 24 au 25 août. |
Débarquement | 25 août. |
Tempête | 30 août. |
Durée du séjour en Bretagne (18 jours) | du 25 août au 12 septembre. |
Retour en Gaule | 12 septembre. |
Équinoxe d’automne | 26 septembre. |
- ↑ Depuis Xanten jusqu’à Nimègue, sur une longueur de 50 kilomètres, s’étend une ligne de hauteurs, qui forment une barrière le long de la rive gauche du Rhin. Selon toute apparence, le fleuve coulait, du temps de César, au pied même de ces hauteurs, mais aujourd’hui il s’en éloigne, et à Emmerich, par exemple, il en est à 8 kilomètres. Cette chaîne, dont le versant oriental est escarpé, n’offre que deux passages : l’un par une large trouée à Xanten même, au nord de la montagne dite le Furstenberg, l’autre par une gorge d’un accès facile, s’ouvrant à Qualbourg, près de Clèves. Ces deux passages étaient tellement indiqués comme les entrées de la Gaule dans ces régions, qu’après la conquête, les Romains les fermèrent en fortifiant le Furstenberg (Castra vetera), et en fondant, dans deux îles que le Rhin formait en face de ces entrées, la Colonia Trajana, aujourd’hui Xanten, et Quadriburgium, aujourd’hui Qualbourg. L’existence de ces îles facilitait à cette époque le passage du Rhin, et, selon toute probabilité, c’est vis-à-vis des deux localités nommées ci-dessus que les Usipètes et les Tenctères franchirent le fleuve pour pénétrer dans la Gaule.
- ↑ Le récit de cette campagne est fort obscur dans les Commentaires. Florus (III, x) et Dion-Cassius ajoutent aux obscurités ; le premier, en plaçant le lieu de la défaite des Usipètes et des Tenctères vers le confluent de la Moselle et du Rhin, le deuxième, en écrivant que César atteignit les Germains dans le pays des Trévires. Plusieurs auteurs ont attribué au récit de ces deux historiens plus de créance qu’à celui de César lui-même, et ils expliquent cette campagne tout autrement que nous. Le général de Gœler, entre autres, a compris que l’émigration des Germains s’était avancée jusque dans le pays des Condruses, où César les aurait atteints, et qu’il les avait refoulés de l’ouest à l’est, dans l’angle formé par la Moselle et le Rhin. Après les recherches dont a bien voulu se charger M. de Cohausen, major de l’armée prussienne, et qui ont donné le même résultat que celles de MM. Stoffel et de Locqueyssie, nous regardons cette explication de la campagne comme inadmissible. Il suffirait, pour justifier cette assertion, de considérer que le pays situé entre la Meuse et le Rhin, au sud d’Aix-la-Chapelle, est trop accidenté et trop aride pour que l’émigration germaine, composée de quatre cent trente mille individus, hommes, femmes et enfants, avec chariots, ait pu s’y mouvoir et y subsister. En outre, il ne s’y trouve aucune trace de voies anciennes, et si César avait pris cette direction, il aurait dû nécessairement traverser la forêt des Ardennes, ce qu’il n’eût pas manqué de faire connaître. D’ailleurs, n’est-il pas plus probable qu’à la nouvelle de l’approche de César, au lieu de se diriger vers les Ubiens, qui ne leur étaient pas favorables, les Germains, d’abord répandus sur un vaste territoire, se soient concentrés vers la partie la plus reculée du pays fertile dont ils s’étaient emparés, celui des Ménapiens ?
- ↑ Les Ambivarites étaient établis sur la rive gauche de la Meuse, à l’ouest de Ruremonde, au sud des marais de Peel.
- ↑ Guerre des Gaules, IV, xiii.
- ↑ « Acie triplici instituta. » Quelques auteurs ont traduit ces mots par l’armée fut formée en trois colonnes, mais César, opérant dans un pays totalement découvert et plat, et voulant surprendre une grande masse d’ennemis, devait marcher en ordre de bataille, ce qui n’empêchait pas chaque cohorte d’être en colonne.
- ↑ Atteints à l’improviste dans l’après-midi pendant qu’ils dormaient (Dion-Cassius, XXXIX, xlviii).
- ↑ L’étude des lits abandonnés du Rhin porte à croire que le confluent du Waal et de la Meuse, qui de nos jours est près de Gorcum, se trouvait alors beaucoup plus à l’est, vers le fort Saint-André. César ne se serait donc pas trompé en comptant 80 milles depuis la jonction du Waal et de la Meuse jusqu’à l’embouchure de ce dernier fleuve.
- ↑ Guerre des Gaules, IV, xiv, xv.
- ↑ Les raisons suivantes nous ont fait adopter Bonn comme le point où César a franchi le Rhin.
Les Commentaires nous apprennent qu’en 699 il déboucha dans le pays des Ubiens et que, deux ans après, ce fut un peu au-dessus (paulum supra) du premier pont qu’il en établit un autre, lequel joignait les territoires des Trévires et des Ubiens. Or tout porte à croire que, dans le premier passage comme dans le second, le pont fut jeté entre les frontières des mêmes peuples ; car nous ne pouvons admettre avec quelques auteurs que les mots paulum supra s’appliquent à une distance de plusieurs lieues. Quant à ceux qui supposent que le passage s’est effectué à Andernach, parce que, changeant avec Florus la Meuse (Mosa) en Moselle, ils placent le lieu de la défaite des Germains au confluent de la Moselle et du Rhin, nous avons donné les raisons qui repoussent cette opinion. Nous avons cherché à prouver, en effet, que la bataille contre les Usipètes et les Tenctères a eu pour théâtre le confluent de la Meuse et du Rhin, et, puisqu’en traversant ce dernier fleuve César a passé du pays des Trévires dans celui des Ubiens, il faut reconnaître qu’après sa victoire il a dû nécessairement remonter la vallée du Rhin pour se rendre du territoire des Ménapiens chez les Trévires jusqu’à la hauteur du territoire des Ubiens, établis sur la rive droite.
Cela posé, il reste à déterminer, dans les limites assignées à ces deux derniers peuples, le point de passage le plus probable. Jusqu’ici on avait adopté Cologne ; mais, pour répondre aux données des Commentaires, Cologne nous semble beaucoup trop au nord. Effectivement dans la campagne de 701, César, parti des bords du Rhin, traversa de l’est à l’ouest la forêt des Ardennes, passa à proximité des Sègnes et des Condruses, puisqu’ils le supplièrent d’épargner leur territoire, et se dirigea sur Tongres. S’il était parti de Cologne, il n’aurait pas traversé les contrées dont il est question. De plus, dans cette même année, 2 000 cavaliers Sicambres franchirent le Rhin à 30 milles au-dessous du pont de l’armée romaine. Or, si ce pont avait été construit à Cologne, le point de passage des Sicambres à 30 milles en aval se serait trouvé à une très-grande distance de Tongres, où cependant ils semblent être arrivés assez rapidement.
Tout s’explique, au contraire, si l’on adopte Bonn comme point de passage. Pour aller de Bonn à Tongres, César se dirigeait, ainsi que le veut le texte, à travers la forêt des Ardennes ; il passait chez les Sègnes et les Condruses, ou tout près d’eux ; et les Sicambres, franchissant le Rhin à 30 milles au-dessous de Bonn, débouchaient par la ligne la plus courte du Rhin à Tongres. D’ailleurs on ne peut placer le point de passage de César, ni plus bas, ni plus haut que Bonn. Plus bas, c’est-à-dire vers le nord, les divers incidents relatés dans les Commentaires sont sans application possible au théâtre des événements ; plus haut, vers le sud, de Bonn à Mayence, le Rhin coule sur un lit rocheux où les pilots n’auraient pu être enfoncés, et n’offre, entre les montagnes qui le bordent, aucun point de passage favorable. Ajoutons que César se serait éloigné beaucoup trop du pays des Sicambres, dont le châtiment était le motif avoué de son expédition.
Un fait mérite aussi d’être pris en considération : c’est que, moins de cinquante ans après les campagnes de César, Drusus, pour se porter contre les Sicambres, c’est-à-dire contre le même peuple que César se proposait de combattre, traversa le Rhin à Bonn (Florus, IV, xii.)
- ↑ La phrase suivante a donné lieu à diverses interprétations :
« Hæc utraque, insuper bipedalibus trabibus immissis, quantum eorum tignorum junctura distabat, binis utrimque fibulis ab extrema parte distinebantur ; quibus disclusis atque in contrariam partem revinctis, tanta erat operis firmitudo atque ea rerum natura, ut, quo major vis aquæ se incitavisset hoc artius illigata tenerentur. » (Guerre des Gaules, IV, xvii).
On n’a pas observé jusqu’ici que les mots hæc utraque se rapportent aux deux couples d’une palée et non aux deux pilots d’un même couple. En outre, les mots quibus disclusis, etc. se rapportent à ces mêmes deux couples et non, comme on l’a cru, à fibulis.
- ↑ Guerre des Gaules, IV, xx.
- ↑ Guerre des Gaules, II, iv.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xiii.
- ↑ Pline, Histoire naturelle, IV, xxx, § 16.
- ↑ Pline, Histoire naturelle, IV, xxx, § 16. — Tacite, Agricola, x.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xii.
- ↑ Strabon, IV, p. 199.
- ↑ Agricola, xii.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xii.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xiii et xiv.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xx.
- ↑ Annales, XIV, xxxiii.
- ↑ Quoique la plupart des manuscrits portent Cenimagni, quelques auteurs en font deux noms, les Iceni et Cangi.
- ↑ L’Anderida silva, de 120 milles de long sur 30 de large, s’étendait dans les comtés de Sussex et de Kent, dans l’endroit appelé aujourd’hui Wealds (Voir Camden, Britannia, éd. Gibson, I, col. 151, 195, 258, éd. 1753.)
- ↑ Diodore de Sicile, V, xxi. — Tacite, Agricola, xii.
- ↑ Strabon, IV, p. 200.
- ↑ Agricola, xi.
- ↑ Diodore de Sicile, V, xxi.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xxi.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xiv.
- ↑ Strabon, IV, p. 200.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xiv.
- ↑ Pline, Histoire naturelle, XXII, i.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xiv.
- ↑ Diodore de Sicile, V, xxii.
- ↑ Diodore de Sicile, V, xxii. — Strabon, IV, p. 200.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xii.
- ↑ Guerre des Gaules, VI, xiii.
- ↑ Agricola, xi.
- ↑ Strabon, IV, p. 199.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xii.
- ↑ Diodore de Sicile, V, xxii.
- ↑ Pline, Histoire naturelle, IV, xxx, § 16.
- ↑ Tacite, Agricola, xxxvi.
- ↑ Guerre des Gaules, V, xvi.
- ↑ Tacite, Agricola, xii.
- ↑ Frontin, Stratagèmes, II, iii, 18. — Diodore de Sicile, V, xxi. — Strabon, IV, p. 200.
- ↑ Le récit de la page 189 confirme cette interprétation, qui est conforme à celle du général de Gœler.
- ↑ Guerre des Gaules, IV, xxxii et xxxiii.
- ↑ Strabon, IV, p. 200.
- ↑ Strabon, IV, p. 201.
- ↑ D’après ce qu’on verra plus loin, chaque vaisseau de transport, au retour, contenait cent cinquante hommes. Quatre-vingts vaisseaux pouvaient donc transporter douze mille hommes, mais comme, réduits à soixante-huit, ils suffirent pour ramener l’armée sur le continent, ils ne durent porter que dix mille deux cents hommes, effectif probable des deux légions. Les dix-huit navires affectés à la cavalerie pouvaient transporter quatre cent cinquante chevaux, à raison de vingt-cinq chevaux par navire.
- ↑ Le port de Douvres s’étendait jadis sur l’emplacement de la ville actuelle, entre les falaises qui bordent le débouché de la vallée de la Dour ou de Charlton. (Voir planche 17.) En effet, d’après les renseignements d’auteurs anciens et l’examen géologique du terrain, il paraît certain qu’autrefois la mer entrait dans les terres et formait une anse occupant la presque totalité de la vallée de Charlton. Ainsi se justifient les expressions de César : « Cujus loci hæc erat natura, atque ita montibus angustis mare continebatur, uti ex locis superioribus in littus telum adjici posset. » (IV, xxiii).
Les preuves de l’assertion ci-dessus résultent de plusieurs faits relatés dans différentes notices sur la ville de Douvres. Il y est dit qu’en 1784 sir Thomas Hyde Page fit exécuter, à cent yards de la plage, un sondage pour découvrir la profondeur du bassin à une époque reculée ; il constata que l’ancien lit de la mer avait été autrefois à trente pieds anglais au-dessous du niveau actuel de la haute mer. En 1826, en creusant un puits à l’endroit appelé Dolphin Lane, on trouva, à une profondeur de vingt et un pieds, une couche de limon semblable à celui du port d’aujourd’hui, entremêlé d’ossements d’animaux et de débris de feuilles et de racines. Des détritus analogues ont été découverts dans plusieurs parties de la vallée. Un ancien chroniqueur, appelé Darell, raconté que « Willred, roi de Kent, bâtit en 700 l’église de Saint-Martin, dont les ruines sont encore visibles près de la place du Marché, sur les lieux où jadis les vaisseaux jetaient l’ancre. »
La ville, bâtie sous les empereurs Adrien et Septime Sévère, occupait une partie du port, qui déjà avait été ensablé ; cependant la mer entrait encore assez avant dans les terres. (Voir planche 17.)
Ce serait, semble-t-il, vers l’an 950 que l’ancien port aurait été comblé entièrement par des alluvions maritimes et fluviales accrues jusqu’à nos jours, et qui, à différentes époques, ont rendu nécessaire la construction de digues et de quais donnant au port sa forme actuelle.
- ↑ « Constat enim aditus insulæ esse munitos mirificis molibus. » (Cicéron, Lettres à Atticus, IV, xvi.)
- ↑ Dion-Cassius, XXXIX, li.
- ↑ L’empereur Julien fait dire à César (p. 70, éd. Lasius) qu’il avait été le premier à sauter en bas du navire.
- ↑ Il y a dans le texte, in scopulum vicinum insulæ, ce qui doit se traduire par « un rocher voisin de l’île de Bretagne, » et non, comme l’ont interprété certains auteurs, par « une île isolée du continent. » (Valère Maxime, III, ii, 23). En effet, ces rochers, appelés malms, se voient distinctement par les basses eaux, en face de l’arsenal et des casernes de la marine de Deal.
- ↑ Dion-Cassius, XXXIX, li.
- ↑ « César lui-même n’avait emmené que trois serviteurs, ainsi que le raconte Cotta, qui fut son lieutenant. » (Athénée, Banquet, vi, 105.)
- ↑ Dion-Cassius, XXXIX, liii.
- ↑ À la bataille d’Arcole, en 1796, 25 cavaliers eurent une grande influence sur l’issue de la journée. (Mémoires de Montholon, dictées de Sainte-Hélène, II, ix).
- ↑ Guerre des Gaules, IV, xxxvi et xxxvii.
- ↑ Guerre des Gaules, IV, xxxviii.
- ↑ Dion-Cassius, XL, i. — Voyez Strabon, IV, p. 162, éd. Didot.
- ↑ Guerre des Gaules, V, i.
- ↑ Dion-Cassius, XXXIX, lvi ; XL, i.
- ↑ Cette opinion a déjà été soutenue par de savants archéologues. Je citerai surtout M. Mariette, M. Thomas Lewin, qui a écrit un récit très-intéressant des invasions de César en Angleterre, et enfin M. l’abbé Haigneré, archiviste de Boulogne, qui a recueilli les meilleurs documents sur cette question.
- ↑ Strabon, IV, vi, p. 173.
- ↑ D’après l’Itinéraire d’Antonin, la route partait de Bagacum (Bavay) et passait par Pons Scaldis (Escaut-Pont), Turnacum (Tournay), Viroviacum (Werwick), Castellum (Montcassel, Cassel), Tarvenna (Thérouanne) et, de là, à Gesoriacum (Boulogne). D’après M. Mariette, des médailles trouvées sur la voie ont démontré qu’elle avait été faite du temps d’Agrippa ; de plus, d’après le même Itinéraire d’Antonin, une voie romaine partait de Bavay et, par Tongres, aboutissait au Rhin, à Bonn (Voyez Jahrbücher des Vereins von Alterthumsfreunden. Heft xxxvii. Bonn, 1864.) Or, en admettant qu’il y ait eu déjà sous Auguste une route qui réunissait Boulogne à Bonn, on comprend l’expression de Florus qui explique que Drusus améliora cette route en faisant construire des ponts sur les nombreux cours d’eau qu’elle traversait, Bonnam et Gesoriacum pontibus junxit. (Florus, IV, xii).
- ↑ Suétone, Caligula, xlvi. Les restes du phare de Caligula étaient encore visibles il y a un siècle.
- ↑ Suétone, Claude, xvii.
- ↑ Ammien Marcellin, XX, i.
- ↑ Ammien Marcellin, XX, vii, viii.
- ↑ Eumène, Panégyrique de Constantin César, xiv.
- ↑ Chronique anglo-saxonne citée par M. Lewin.
- ↑ « Qui tertia vigilia Morino solvisset a portu. » (Florus, III, x.)
- ↑ Strabon, IV, v, p. 166.
- ↑ « Ultimos Gallicarum gentium Morinos, nec portu quem Gesoriacum vocant quicquam notius habet. » (Pomponius Mela, III, ii). — « Μορινῶν Γησοριακὸν ἐπίνειον. » (Ptolémée, II, ix, 3).
- ↑ « Hæc [Britannia] abest a Gesoriaco Morinorum gentis litore proximo trajectu quinquaginta M. » (Pline, Histoire naturelle, IV, xxx.)
- ↑ Le camp de Labienus, pendant la seconde expédition, fut sans doute établi où est aujourd’hui la haute ville. De là il dominait le pays environnant, la mer et le cours inférieur de la Liane.
- ↑ Histoire du Consulat et de l’Empire, t. IV, l. xvii.
- ↑ Ce qu’on appelle aujourd’hui Romney-Marsh est la partie septentrionale d’une vaste plaine limitée à l’est et au sud par la mer, à l’ouest et au nord par la ligne des hauteurs au pied desquelles a été creusé le canal militaire. Il est difficile de savoir quel était l’aspect de Romney-Marsh au temps de César. Cependant le peu d’élévation de la plaine au-dessus du niveau de la mer, ainsi que la nature du sol, porte à conclure que la mer la recouvrait jadis jusqu’au pied des hauteurs de Lymne, excepté toutefois dans la partie appelée le Dymchurch-Wall. C’est une longue langue de terre sur laquelle s’élèvent aujourd’hui trois forts et neuf batteries, et qui, vu sa hauteur au-dessus du reste de la plaine, n’a certainement jamais été recouverte par la mer. Ces faits paraissent confirmés par une ancienne carte de la collection Cottonienne, que possède le Musée Britannique.
M. Lewin semble avoir, dans la planche qui accompagne son ouvrage, reproduit aussi exactement que possible l’aspect de Romney-Marsh à l’époque de César. La partie non recouverte par la mer s’étendait, sans nul doute, comme il l’indique, depuis la baie de Romney jusque vers Hythe, où elle se terminait par un banc de galets assez considérable. Mais il nous paraît difficile que l’armée romaine ait pu débarquer sur un pareil terrain, au pied même des hauteurs assez escarpées de Lymne. M. Lewin place le camp romain de la première expédition au bas de ces hauteurs, sur le banc de galets même, entouré par la mer presque de tous côtés. À la seconde expédition, il le met sur les pentes au-dessous du village de Lymne, et, pour expliquer comment César réunit sa flotte au camp par des retranchements communs, il suppose que cette flotte fut tirée à terre jusque sur le versant et enfermée dans un espace carré de 300 mètres de côté, parce qu’on y voit les ruines des murailles d’un ancien château appelé Stutfall-Castle. Tout cela est difficilement admissible.
- ↑ Mot à mot, cela veut dire que les navires portant la cavalerie mirent à la voile quatre jours après l’arrivée des Romains en Angleterre. La langue latine employait souvent le nombre ordinal au lieu du nombre cardinal. Ainsi l’historien Eutrope a dit : « Carthage fut détruite 700 ans après avoir été fondée, Carthago septingentesimo anno quam condita erat deleta est. » Faut-il dans la phrase post diem quartum compter le jour même du débarquement ? — Virgile dit en parlant du dix-septième jour : septima post decimam. — Cicéron se sert de l’expression post sexennium, pour dire dans six ans. Il est évident que Virgile compte sept jours après le dixième. Si le dixième était compris dans ce chiffre, l’expression septima post decimam signifierait simplement le seizième jour. De son côté, Cicéron entend visiblement les six ans comme un laps de temps qui doit s’écouler à partir du moment où il parle. Donc le post diem quartum de César doit se comprendre dans le sens de quatre jours révolus, sans compter le jour du débarquement.
- ↑ Tite-Live, XLIV, xxxvii.
- ↑ Il faut remonter jusqu’au 14e jour avant la pleine lune, c’est-à-dire jusqu’au 17 août 699, pour trouver un jour où la pleine mer ait eu lieu à Douvres vers midi.
- ↑ M. Lewin a écrit que le pays ne produit pas de blé entre Deal et Sandwich. Cette assertion est à peu près juste pour la langue de terre marécageuse qui sépare ces deux localités ; mais qu’importe ? puisque le blé vient en grande quantité dans toute la partie du comté de Kent située à l’ouest de la côte qui s’étend de South-Foreland à Deal et Sandwich.
- ↑ Il est impossible de fixer avec certitude le jour où César quitta la Bretagne ; nous savons seulement que ce fut peu de temps avant l’équinoxe (propinqua die æquinoctii), qui, d’après les calculs de M. Le Verrier, tomba le 26 septembre, et que la flotte partit un peu après minuit. Si l’on suppose une traversée de neuf heures avec un vent favorable (ipse idoneam tempestatem nactus), comme au retour de la seconde expédition, César serait arrivé vers neuf heures du matin à Boulogne. La flotte n’ayant pu entrer dans le port qu’avec la marée montante, il suffit, pour connaître approximativement la date du retour, de chercher quel jour du mois de septembre 699 il y eut, à cette heure-là, pleine mer à Boulogne. Or, dans ce port, la mer est toujours pleine vers les neuf heures du matin, deux ou trois jours avant la pleine lune et avant la nouvelle lune ; donc, puisque la pleine lune du mois de septembre 699 a eu lieu le 14, c’est le 11 ou le 12 septembre, à peu près, que César aurait été de retour dans la Gaule. Quant aux deux navires qui furent rejetés plus bas, M. Lewin (Invasion of Britain by J. Cæsar) explique cet accident d’une manière très-judicieuse. Il s’appuie sur les tables des marées de l’amirauté anglaise, où on lit la recommandation suivante : « En approchant de Boulogne à marée montante, on doit faire grande attention, parce que le courant, qui, du côté de l’Angleterre, entraîne un bâtiment vers l’est, sur la côte de Boulogne l’entraîne, au contraire, vers la Somme. » Rien donc de plus naturel que les deux transports romains soient allés s’échouer au sud de Boulogne.