Histoire de Jonvelle/Seconde époque/Chapitre I


SECONDE ÉPOQUE

MOYEN ÂGE


CHAPITRE Ier

CHÂTEAUX FORTS ÉLEVÉS APRÈS LA DOMINATION ROMAINE


Description du château de Jonvelle

A l’imitation des Romains, les barbares élevèrent des châteaux forts, pour assurer leur domination dans les pays conquis. La garde en était confiée à des capitaines appelés ducs, marquis, comtes, sergents, etc., qui devaient en rendre les clefs, lorsque le prince leur ôtait leur charge ou les envoyait ailleurs. Aussi nul n’en pouvait bâtir de nouveaux qu’avec l’agrément du souverain et pour son service. Mais les derniers Mérovingiens, et après eux les fils de Charlemagne, virent partout s’élever un grand nombre de forteresses, au mépris de leur autorité. C’étaient autant de places élevées pour la résistance, contre l’injustice ou contre les lois, et dans lesquelles chaque seigneur avait sa bannière et sa cour de justice, comme un petit souverain, guerroyant à son gré, levant tailles et impôts, battant, monnaie et disant mes sujets.

Dans nos contrées, l’histoire ne cite d’abord que Luxeuil et Annegray qui aient été fortifiés, au commencement du quatrième siècle, pour protéger les passages des Vosges. Mais ils succombèrent l’un et l’autre dans les invasions multipliées qui signalèrent la seconde moitié de ce siècle ; et quand saint Colomban vint s’établir dans ces déserts, il trouva les deux castrum entièrement renversés. Aussi la Notice des Gaules ne mentionne-telle que Port-Abucin et le petit castrum Rauracense[1].

Jussey, cité dans la Vie de Saint Agile, écrite au septième siècle, y est appelé simplement Jussiacus ; mais on voit, par les circonstances du récit, qu’il était déjà un lieu d’une certaine importance. Ce n’est que vers l’an 1180, dans la Vie de saint Pierre de Tarentaise, qu’il est appelé oppidum, place fortifiée.

Dès le commencement du septième siècle, Bourbonne eut aussi son château, que Thierry, roi de Bourgogne, fit élever pour défendre cette frontière de ses États, contre son frère Théodebert, roi d’Austrasie. Aymoin, auteur du neuvième siècle, le nomme Vervona castrum[2].

Vesoul était fortifié dès l’an 889, puisqu’une légende de cette époque raconte la guérison miraculeuse d’une jeune fille du château de Vesoul, è castro Vesulio.

C’est dans cette longue période d’invasions, de guerres, de calamités successives et de transformations sociales, que s’élevèrent la plupart de nos châteaux, tels que Jonvelle, Châtillon, Passavant, Montdoré, Demangevelle, Richecourt, Gevigney, Jussey, Chauvirey, etc. L’étymologie romaine de quelques-uns, leurs débris et l’appareil de construction qu’ils présentent à leur partie inférieure, font penser qu’ils ont été construits sur les ruines d’anciennes forteresses. Ces caractères se retrouvent dans celui de Jonvelle en particulier. D’ailleurs, l’aspect de ses tours carrées[3], les fragments de colonnes doriques encore gisants sur le sol, l’épaisseur et la force de ses murs, tout prouve sa haute antiquité. Bâti sur un plateau de forme ovale et contourné par la Saône, comme un promontoire, il protégeait le passage de cette rivière et les routes qui se croisaient au pied de ses murailles. Il avait double enceinte de fossés et de remparts. Au bâtiment principal étaient adossées de nombreuses dépendances, où se retiraient, en cas de péril imminent, les serfs et manants du seigneur, arrivant de Voisey, de Villars, d’Ormoy, de Polaincourt, en un mot de toutes les parties de ses domaines, avec ce qu’ils avaient de plus précieux. Au milieu de la cour, on voit encore un souterrain de quatre mètres carrés, sur cinq de profondeur, qui a pu servir de cellier ou de prison, Il y en avait de très profonds, comme à Richecourt, fermés par des trappes et appelés oubliettes. Au dessus de ces souterrains, on trouvait, soutenus sur de gros piliers, les corps de garde, la cuisine, la salle a manger, la chambre de justice où le châtelain tenait ses plaids, la chapelle dédiée à saint Barthélemi, ou chaque matin se disait la messe pour sa famille, enfin la salle d’armes, où il recevait, aux grandes fêtes, les hommages des sires de Bourbévelle, de Raincourt, de Demangevelle et de ses autres petits vassaux. C’est ici qu’étaient conservés les trophées de guerre et les anciennes armures, et que l’on voyait, peints aux plafonds et sur les murailles, les blasons du seigneur et de ses alliés, les sires de Saissefontaine, de Neufchâteau, de Chauvirey, de Vienne, de la Fauche, etc. Au premier étage étaient encore une quantité de chambres destinées à la famille du maître, ainsi qu’aux principaux officiers de sa maison. Toutes ces pièces étaient séparées par de sombres corridors, dont les fenêtres étroites, garnies de barreaux épais, laissaient à peine pénétrer dans l’intérieur un jour douteux ; et pour tout mobilier elles n’avaient qu’un prie-dieu, des sièges de bois sculptés, et un lit de douze pieds de large, ou plusieurs personnes pouvaient dormir à l’aise. A l’étage supérieur, étaient déposées les provisions de toute espèce, avec le terrier et les diplômes, chartes, titres de propriété et de noblesse et les archives de la justice seigneuriale. Tel était, en quelques mots, l’intérieur du château de Jonvelle, aux douzième et treizième siècles. Cette population, si nombreuse et si diverse, composée de chevaliers, de nobles dames, de gens de justice et de paysans ; cet appareil guerrier, ce tribunal, ce gibet élevé a l’ombre de la forteresse, tout nous révèle un âge ou la vie était dure et grandiose, où des alarmes continuelles troublaient les jours et les nuits ; car c’était le temps des guerres, des invasions et des soulèvements perpétuels ; c’était le temps où les pauvres manants d’alentour, appuyant timidement leur chaumière a l’abri des murs de Jonvelle, y trouvaient la protection et la sûreté, en échange du joug et du servage sous lesquels ses redoutables créneaux les tenaient silencieusement courbés. Aujourd’hui encore tout rappelle ces souvenirs, dans les ruines affaissées ou debout qui couvrent cette terre, autrefois cuirassée et respirant à peine sous le poids des armes et des boucliers

  1. La Franche-Comté à l’époque romaine, p. 132.
  2. Huic pétitions assentiente Clothario, Theodoricus anno XVII regni sui, mense maio, universos ditionis suæ ad bella promptissimos Lingonis coadunari præcipiens, ac per Vervonani castrum (tunc temporis ædificari cœptum) iter faciens, Tullum devenit… (Aymoin, De gestis Francorum, lib. III, cap. xcviii,)
  3. Le dessin que nous avons fait copier sur une estampe de la Bibliothèque impériale et qui figure aux Pièces justificatives de notre mémoire manuscrit, représente trois tours ruinées, de trois, quatre ou cinq étages et de forme carrée.