Histoire de Jonvelle/Bourbévelle


BOURBÉVELLE


Bourbévelle, appelé dans les anciens titres Worbecivilla, Vorbelville, Vorbéville, Borbévelle, avait autrefois un château destiné à couvrir les voies romaines qui l’avoisinaient, et surtout la forteresse de Jonvelle. Une famille noble de nom et d’armes habitait ce manoir féodal, dès le douzième siècle, sous la suzeraineté des sires de cette ville, et l’on voit souvent ses membres figurer, avec les grands personnages de l’époque, parmi les chevaliers, les arbitres et les bienfaiteurs du pays. C’est dans les archives de Clairefontaine et de Cherlieu que nous trouvons plus fréquemment leur souvenir.

Girard, le premier de tous, fut témoin d’une donation faite à l’abbaye de Clairefontaine par Bernard d’Annegray, du consentement de Henri, frère du comte Frédéric (1150). Il est encore nommé dans un acte par lequel Richard et Ulrich de Blondefontaine donnent au même monastère leurs possessions de Villars-Saint-Marcellin, de la Grange-Rouge et de Besinville, au territoire de Polaincourt.

Hugues de Bourbévelle figure comme témoin dans plusieurs chartes émanées des sires de Jonvelle en faveur de Clairefontaine (1152, 1157, 1164 et 1174). Il était à la brillante assemblée qui honora de sa présence le manoir de Guy Ier de Jonvelle, en 1157. Ces illustres personnages étaient Humbert, archevêque de Besançon, Mathieu, duc de Lorraine, Philippe d’Achey, Villencus de Voisey, le sire de Bourbévelle, Albéric de Blondefontaine, les frères Hugues et Richard de Gevigney, Odes et Théodoric d’Augicourt, Libaud, prévôt de Jonvelle, avec les abbés de Clairefontaine, de Theuley de Rosières, de Bithaine et de Beaupré. Entre autres affaires, on régla dans cette circonstance les limites qui devaient séparer les possessions de Clairefontaine de celles de Philippe d’Achey, seigneur de Senoncourt, Menoux et Saint-Remy, où il faisait sa résidence. Grâce à la médiation du prince de Lorraine et de l’archevêque, le sire d’Achey non seulement se montra facile au sujet de la délimitation, mais de plus il abandonna aux religieux toutes ses possessions de Senoncourt, comprises entre le chemin de Drolirs et le rupt de Brinvaux. Déjà il avait signalé son bon vouloir pour eux, en leur donnant à Menoux le domaine des saints Berthaire et Athalin, puis à Faverney le parcours de ses prés et la glandée de ses bois. En compensation de ces droits sur Faverney, les donataires lui avaient accordé celui de bâtir un moulin sur la Superbe[1], avec tous les terrains qu’ils possédaient sur la rive gauche de cette rivière. Ces arrangements furent sanctionnés par l’assemblée de Jonvelle[2].

Hugues de Bourbévelle eut deux fils, Lambert et Richard. Le premier fut témoin des donations faites à Clairefontaine par Bertrand et Guy II, sires de Jonvelle (1182, 1210). Il accorda lui-même à Cherlieu les pâturages de Betaucourt, plusieurs hommes de ce village avec leurs meix, la reconnaissance de mainmorte sur Odot, de Betaucourt, le droit de pêche dans l’Amance, et la confirmation du droit de collation d’une chapelle à Bourbévelle (1197).

On voit que Betaucourt faisait alors partie de la seigneurie de Bourbévelle ; mais bientôt, par libéralités, ventes ou engagements successifs, ce village passa presque tout entier dans le domaine de l’abbaye de Cherlieu. Les principaux auteurs de ces mutations foncières furent Barthélémy de Bourbévelle, chevalier, seigneur de Betaucourt, et son fils Girard (1236, 1256, 1267 et 1272) ; Gauthier et Liébaud, fils de Thomas de Bourbévelle, écuyer (1264, 1267, 1268) ; Henri et son fils de même nom (1271) ; Vuillaume, dit Ladent, époux de Marguerite de Betaucourt (1286) ; Agnès et Jean, leurs enfants (1290, 1298, 1300) ; Alix et Marguerite, filles de celui-ci (1343) ; Girard et Liébaud de la Grange (1343, 1354, 1391, 1400 et années suivantes).

Toutefois, dans tous ces actes, les droits du comte de Bourgogne et des autres seigneurs de Bourbévelle étaient formellement réservés : nous en avons la preuve dans une charte de Girard (1256) ainsi conçue : « Je Girars de Vorbeville, qui suis filz mons Bertholomey, fais savoir à tous cils qui verront ces présentes lectres, que je suis homs liges, salve la fiauté à soignour de la Ferté,à noble Hugon, conte palatin, et à la contesse palatine de Borgogne, sa feme, et tiens de eux ma maison fort, qui est au finaige de Betacourt, et le gaignaige et les appartenances de cette maison et les II parties du four bannal de la dicte ville, et V maignies d’omes en ycelle ville, et lour tenemens, et mon grant estapms de Betacourt, et pour le four bannal de Sandrecourt, que mes pères tenoit de eux. J’ay repris de eux en fiez et en chasement pour la dicte ligée, pour eschange de ce four et pour XX 1b d’estevenant que il mont donné, dont je me tiens pour paiez le fiez que Girardin de Montrivel (Montureux) et monsieur Poincz de Ville tiegnent de moy et de Sandrecourt et ou finaige. Et en tesmoignaige de ces chouses ay-je fait séeler les présentes lectres du seel à religioux Besançon, par la grâce de Deu abbé de Chilleu (Cherlieu)[3]. »

Cette maison forte de Betaucourt, appelée château de la Grange, dont on voit encore les vestiges au fond des bois, était environnée de fossés et d’étangs qui la défendaient assez bien contre l’ennemi, surtout avant l’invention de l’artillerie. Ruinée depuis par les guerres incessantes qui ont ravagé nos frontières, elle n’était habitée que par un fermier qui exploitait les terres attenantes. Nous la trouvons mentionnée une dernière fois dans un dénombrement donné à la chambre des comptes de Dole, par dame Charlotte Hérardine d’Anglure, veuve de messire Louis marquis de Beauvau[4], maréchal de Lorraine et Barrois. Elle donnait ce dénombrement pour son acquisition des seigneuries que feu messire Thomas, marquis de Jouffroy, possédait à Raincourt et à Betaucourt (1er octobre 1743).

Par son mariage avec Agnès, fille de Vuillaume de Betaucourt, Vichard de Bourbonne, bailli du Comté (vers 1290), partagea la seigneurie de ce village avec Jean, son beau-frère. Sa portion comprenait cent ||Journalier |journaux]]}} de terres, vingt-quatre fauchées de prés, plusieurs familles avec leurs héritages, l’étang et la moitié de son moulin, etc. Perrin de Bourbonne et Girard de la Grange, fils de Vichard, déclarent par des reconnaissances revêtues du sceau de la prévôté de Jussey (1322, 1323), qu’ils tiennent en fief cette seigneurie de l’abbé de Cherlieu, excepté la maison forte, les fossés et un autre fief qui relevait de Vichard de Passavant. Déjà en 1269, celui-ci faisait savoir à tous que messire Liébaud de Vorbeville, chevalier, était son hons et féaulble ; et en 1337, il déclarait que le même Liébaud avait vendu ses héritages au couvent de Cherlieu, sauf le fief de Passavant. Le sire de Passavant avait sans doute acquis une portion de la seigneurie de Bourbévelle par quelque alliance avec cette maison. Du reste, ce seigneur était très puissant. Il maria Gisèle, sa fille, en premières noces à Eudes, comte de Toul, petit-fils de Mathieu, duc de Lorraine, et en secondes noces à Jean du Châlelet, cousin de son premier mari et fils d’Isabelle de Joinville, sœur de l’historien de Saint Louis. Ces deux alliances de la maison Louis de Beauvau, seigneur de Tremblecourt, appartenait à cette famille de Passavant avec celle de Lorraine, le titre de monsignor donné à Vichard dans un acte d’échange (1285), et les actes nombreux des seigneurs de sa lignée, conservés dans les cartulaires de Champagne, montrent assez que cette famille jouissait alors d’une haute considération. Ses armes étaient d’or à deux fasces de gueules, accompagnées de neuf merlettes de même mises en orle.

Jean du Châtelet et Gisèle de Passavant eurent pour petit-fils Erard II, époux d’Odette de Chauvirey. Philibert du Châtelet, petit-fils d’Erard II, fut la tige des branches de Sorcy et de Vauvillers, d’où sortit Antoine du Châtelet. Celui-ci eut pour épouse Anne, fille unique de Charles de Beauvau II, seigneur de Passavant, et de Barbe de Choiseul-PrasIin. L’un et l’autre furent inhumés dans la chapelle seigneuriale de l’église de Martinvelle, sous un mausolée de marbre blanc qui les représentait agenouillés et qui portait les deux inscriptions suivantes :

« Cy gist haut et puissant seigneur messire Antoine du Chastelet, baron de Chasteauneuf, seigneur de Passavant, de Sarthes et Pompierre, bailly de Nancy, grand chambellan et conseiller de Monseigneur, lequel décéda le XXV. jour du mois de janvier MDLXXVII.  »

Et plus bas : « Cy gist honorée dame Anne de Beauvau, femme et épouse dudit seigneur bailly de Nancy, qui décéda le X. jour du mois d’octobre MDLXXIX. »

Les armoiries de Beauvau étaient d’argent à quatre lionceaux de gueules mis en écartelures.

Les sires de Raincourt et ceux de Blondefontaine avaient aussi des fiefs à Bourbévelle.

L’église de Bourbévelle conserve à son entrée quelques vestiges de style roman. Dédiée à saint Martin, elle était autrefois sous le patronage du prieur de Jonvelle. En 1581, le prieur Claude d’Andelot amodiait le revenu de ce patronage au curé Jean Dubois, pour soixante francs. En 1623, du temps de Nicolas Jolyet, de Jonvelle, aussi curé de Bourbévelle, ce revenu n’était que de quarante francs.

Le curé de Bourbévelle avait droit de dîme sur le finage de Villars-le-Pautel, ainsi que le prieur de Jonvelle et le curé de Sainte-Croix. Cette redevance leur était servie à cause des messes qu’ils célébraient dans l’église du lieu, avec des recommandations et prières pour la santé et prospérité de Sa Majesté. Le curé de Bourbévelle remplissait ce pieux devoir quatre fois par an, et le curé de Sainte-Croix à la fête de sainte Madeleine, patrone de Villars. Ils percevaient les fruits de leur bénéfice quand les officiers de la prévôté avaient certifié l’acquittement des messes[5].

En 1286, Lambert, curé de Bourbévelle, avec Parisot, curé de Passavant, fut arbitre d’un différend survenu entre les habitants d’Ormoy et les moines de Clairefontaine, au sujet du droit de paisson que les premiers voulaient exercer dans le bois de la Bouloye, appartenant au couvent. C’est sur la demande des parties elles-mêmes que les deux juges de la querelle avaient été nommés par Jacques de Baon la Fauche, agissant au nom de ses pupilles, Guy III et Simon III de Jonvelle. Les demandeurs se virent déboutés de leurs prétentions, et la sentence fut rédigée sous le sceau du sire de la Fauche. Plus tard, la communauté d’Ormoy cessa d’être satisfaite de l’accord, et il fallut une nouvelle sentence confirmative de la première ; elle fut rendue par Hugues de Vienne et Jean de la Fauche, au nom des enfants de Guy III de Jonvelle, leurs neveux et pupilles[6].

Pierre Godard était curé de Bourbévelle en 1655, lorsqu’il fut appelé comme témoin, ainsi que le notaire Pierre Valley, de Cendrecourt, et quelques autres, au sujet des invasions ennemies sur Jussey, en 1636. Il s’agissait de savoir si les habitants qui avaient fui dans l’attaque du 16 novembre, étaient fondés à décliner toute solidarité pour la composition faite alors avec les Suédois, au nom de la communauté, par un sixième de la population retranchée aux Capucins. Godard était neveu de Louis Ligier, curé de Jussey, et il se trouvait chez son oncle à l’occasion des vendanges, lorsque Turenne prit et saccagea cette ville (12 septembre 1636)[7]. Il fut emmené prisonnier avec un grand nombre de personnes, et il ne se tira des mains de l’ennemi qu’en payant une rançon de cent pistoles.

En novembre suivant, à l’approche de Weymar, il se réfugia, comme beaucoup d’autres, à Jonvelle, et il eut encore la mauvaise chance de voir les Suédois pénétrer dans cette place, où il demeura trois semaines avec eux[8]. A cette époque il était jeune encore, et il n’entra que plus tard dans les ordres sacrés.

Devenu curé de Bourbévelle, Pierre Godard restaura la chapelle de saint Genés, située près du village, et l’enrichit d’une relique du bienheureux martyr. Depuis longtemps on y accourait de toutes parts en pèlerinage, pour demander la guérison de la lèpre et des maléfices. Une tombe de l’église d’Oigney rappelle par son inscription que Marc Rondot, de [Vellexon |Vellexon]]}}, un de ces pieux pèlerins, mourut dans ce petit village, en revenant de Bourbévelle (1580) [9]. Dans Labbey de Billy, Adrien Thomassin, premier président du parlement, rapporte (1629) une procédure intentée contre une femme, pour crime de sorcellerie : sur dix-sept chefs d’accusation, on lui reprochait des maléfices, des sorts, jetés sur une personne qui en fut guérie par l’intercession de saint Genés de Bourbévelle. La malheureuse accusée fut condamnée à périr dans les flammes. C’était le temps où tout le monde croyait aux sorciers et à leur sabbat, avec un aveuglement inconcevable. Henri Boguet, de Pierrecourt, grand juge de la terre de Saint-Claude, les poursuivait à outrance par toute la province. Entre autres victimes, il fit brûler une fille de Betoncourt-les-Ménétriers (1600). Jean Clerc, bailli de Luxeuil, se montra son digne émule.

  1. Les chartes du moyen âge l’appellent Amantia, Esmantia, comme la rivière qui descend de la Haute-Marne à Jussey
  2. Archives de la Haute-Saône, H, 283
  3. Cartul. de Bourgogne
  4. La maison de Beauvau, une des plus anciennes et des plus illustres de France, descendait des comtes d’Anjou ; elle était alliée à la maison royale de France, par Isabeau de Beauvau, qui épousa Jean de Bourbon II, comte de Vendôme, et fut bisaïeule de Henri IV. Le fameux Louis de Beauvau, seigneur de Tremblecourt, appartenait à cette famille.
  5. Archives du Doubs, chambre des comptes
  6. Archives de Vesoul, H, 363, 364. A cette époque, où l’usage de l’écriture était si peu répandu que les gentilshommes souvent ne savaient signer leur nom et s’en faisaient honneur, le sceau remplaçait la signature. Appendu ou appliqué au parchemin, il donnait l’authenticité aux actes qui en étaient revêtus. Le sceau était un objet de haute importance dans la vie civile ; un loyal chevalier n’avait rien de plus cher que sa femme, sa bannière et son sceau, qu’il faisait garder avec le plus grand soin. Après sa mort, le précieux instrument était brisé sur sa tombe. Dans le principe, il présentait ordinairement l’image de celui qui s’en servait, et quelquefois des emblèmes, qui passèrent plus tard dans les armoiries. Les sceaux étaient exprimés en cire, quelquefois en plomb, en cuivre, en argent ou même en or. L’empreinte des sceaux appendus était double : celle du revers ou contre-sceau était plus petite que l’autre.
  7. Voir page 244
  8. Voir page 65, et Preuves, 12 septembre 1636. Enqueste sur les désastres de Jussey
  9. Voir Notice sur Oigney