Histoire de Gil Blas de Santillane/IV/4

Garnier (tome 1p. 249-276).
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Livre IV


CHAPITRE IV

LE MARIAGE DE VENGEANCE


Roger, roi de Sicile, avait un frère et une sœur. Ce frère, appelé Mainfroi, se révolta contre lui, et alluma dans le royaume une guerre qui fut dangereuse et sanglante : mais il eut le malheur de perdre deux batailles et de tomber entre les mains du roi, qui se contenta de lui ôter la liberté, pour le punir de sa révolte. Cette clémence ne servit qu’à faire passer Roger pour un barbare dans l’esprit d’une partie de ses sujets. Ils disaient qu’il n’avait sauvé la vie à son frère, que pour exercer sur lui une vengeance lente et inhumaine. Tous les autres, avec plus de fondement, n’imputaient les traitements durs que Mainfroi souffrait dans sa prison, qu’à sa sœur Mathilde. Cette princesse avait en effet toujours haï ce prince, et ne cessa point de le persécuter tant qu’il vécut. Elle mourut peu de temps après lui, et l’on regarda sa mort comme une juste punition de ses sentiments dénaturés.

Mainfroi laissa deux fils ; ils étaient encore dans l’enfance. Roger eut quelque envie de s’en défaire, de crainte que, parvenus à un âge plus avancé, le désir de venger leur père ne les portât à relever un parti qui n’était pas si bien abattu, qu’il ne pût causer de nouveaux troubles dans l’État. Il communiqua son dessein au sénateur Léontio Siffredi son ministre, qui ne l’approuva point, et qui, pour l’en détourner, se chargea de l’éducation du prince Enrique, qui était l’aîné, et lui conseilla de confier au connétable de Sicile la conduite du plus jeune, qu’on appelait don Pèdre. Roger, persuadé que ses neveux seraient élevés par ces deux hommes dans la soumission qu’ils lui devaient, les leur abandonna, et prit soin lui-même de Constance, sa nièce. Elle était de l’âge d’Enrique, et fille unique de la princesse Mathilde. Il lui donna des femmes et des maîtres, et n’épargna rien pour son éducation.

Léontio Siffredi avait un château à deux petites lieues de Palerme, dans un lieu nommé Belmonte. C’était là que ce ministre s’attachait à rendre Enrique digne de monter un jour sur le trône de Sicile. Il remarqua d’abord dans ce prince des qualités si aimables qu’il s’y attacha comme s’il n’avait point eu d’enfant : il avait pourtant deux filles. L’aînée, qu’on nommait Blanche, plus jeune d’une année que le prince, était pourvue d’une beauté parfaite ; et la cadette, appelée Porcie, après avoir, en naissant, causé la mort de sa mère, était encore au berceau. Blanche et le prince Enrique sentirent de l’amour l’un pour l’autre, dès qu’ils furent capables d’aimer ; mais ils n’avaient pas la liberté de s’entretenir en particulier. Le prince néanmoins ne laissa quelquefois pas d’en trouver l’occasion ; il sut même si bien profiter de ces moments précieux, qu’il engagea la fille de Siffredi à lui permettre d’exécuter un projet qu’il méditait. Il arriva justement dans ce temps-là que Léontio fut obligé, par ordre du roi, de faire un voyage dans une province des plus reculées de l’île. Pendant son absence, Enrique fit faire une ouverture au mur de son appartement qui répondait à la chambre de Blanche. Cette ouverture était couverte d’une coulisse de bois qui se fermait et s’ouvrait sans qu’elle parût, parce qu’elle était si adroitement jointe au lambris, que les yeux ne pouvaient apercevoir l’artifice. Un habile architecte que le prince avait mis dans ses intérêts fit cet ouvrage avec autant de diligence que de secret.

L’amoureux Enrique s’introduisait par là quelquefois dans la chambre de sa maîtresse ; mais il n’abusait point de ses bontés. Si elle avait eu l’imprudence de lui permettre une entrée secrète dans son appartement, du moins ce n’avait été que sur les assurances qu’il lui avait données qu’il n’exigerait jamais d’elle que les faveurs les plus innocentes. Une nuit il la trouva fort inquiète ; elle avait appris que Roger était très malade, et qu’il venait de mander Siffredi comme grand chancelier du royaume, pour le rendre dépositaire de ses dernières volontés. Elle se représentait déjà sur le trône son cher Enrique ; et, craignant de le perdre dans ce haut rang, cette crainte lui causait une étrange agitation ; elle avait même les larmes aux yeux lorsqu’il parut devant elle. Vous pleurez, madame, lui dit-il : que dois-je penser de la tristesse où je vous vois plongée ? Seigneur, lui répondit Blanche, je ne puis vous cacher mes alarmes ; le roi votre oncle cessera bientôt de vivre, et vous allez remplir sa place. Quand j’envisage combien votre nouvelle grandeur va vous éloigner de moi, je vous avoue que j’ai de l’inquiétude. Un monarque voit les choses d’un autre œil qu’un amant ; et ce qui faisait tous ses désirs, quand il reconnaissait un pouvoir au-dessus du sien, ne le touche plus que faiblement sur le trône. Soit pressentiment, soit raison, je sens s’élever dans mon cœur des mouvements qui m’agitent, et que ne peut calmer toute la confiance que je dois à vos bontés. Je ne me défie point de la fermeté de vos sentiments ; je ne me défie que de mon bonheur. Adorable Blanche, répliqua le prince, vos craintes sont obligeantes, et justifient mon attachement à vos charmes ; mais l’excès où vous portez vos défiances offense mon amour, et, si je l’ose dire, l’estime que vous me devez. Non, non, ne pensez pas que ma destinée puisse être séparée de la vôtre ; croyez plutôt que vous seule ferez toujours ma joie et mon bonheur. Perdez donc une crainte vaine : faut-il qu’elle trouble des moments si doux ? Ah ! seigneur, reprit la fille de Léontio, dès que vous serez couronné, vos sujets pourront vous demander pour reine une princesse descendue d’une longue suite de rois, et dont l’hymen éclatant joigne de nouveaux États aux vôtres ; et peut-être, hélas ! répondrez-vous à leur attente, même aux dépens de vos plus doux vœux. Eh ! pourquoi, reprit Enrique avec emportement, pourquoi, trop prompte à vous tourmenter, vous faire une image affligeante de l’avenir ? Si le ciel dispose du roi, mon oncle, et me rend maître de la Sicile, je jure de me donner à vous dans Palerme, en présence de toute ma cour. J’en atteste tout ce qu’on reconnaît de plus sacré parmi nous.

Les protestations d’Enrique rassurèrent un peu la fille de Siffredi. Le reste de leur entretien roula sur la maladie du roi. Enrique fit voir la bonté de son naturel ; il plaignit le sort de son oncle, quoiqu’il n’eût pas sujet d’en être fort touché ; et la force du sang lui fit regretter un prince dont la mort lui promettait une couronne. Blanche ne savait pas encore tous les malheurs qui la menaçaient. Le connétable de Sicile, qui l’avait rencontrée comme elle sortait de l’appartement de son père, un jour qu’il était venu au château de Belmonte pour quelques affaires importantes, en avait été frappé. Il en fit dès le lendemain la demande à Siffredi, qui agréa sa recherche ; mais la maladie de Roger étant survenue dans ce temps-là, ce mariage demeura suspendu, et Blanche n’en avait point entendu parler.

Un matin, comme Enrique achevait de s’habiller, il fut surpris de voir entrer dans son appartement Léontio suivi de Blanche. Seigneur, lui dit ce ministre, la nouvelle que je vous apporte aura de quoi vous affliger ; mais la consolation qui l’accompagne doit modérer votre douleur. Le roi votre oncle vient de mourir ; il vous laisse, par sa mort, héritier de son sceptre. La Sicile vous est soumise. Les grands du royaume attendent vos ordres à Palerme : ils m’ont chargé de les recevoir de votre bouche ; et je viens, seigneur, avec ma fille, vous rendre les premiers et les plus sincères hommages que vous doivent vos nouveaux sujets. Le prince, qui savait bien que Roger, depuis deux mois était atteint d’une maladie qui le détruisait peu à peu, ne fut pas étonné de cette nouvelle. Cependant, frappé du changement subit de sa condition, il sentit naître dans son cœur mille mouvements confus. Il rêva quelque temps, puis, rompant le silence, il adressa ces paroles à Léontio : Sage Siffredi, je vous regarde toujours comme mon père. Je ferai gloire de me régler par vos conseils, et vous régnerez plus que moi dans la Sicile. À ces mots, s’approchant d’une table sur laquelle était une écritoire, et prenant une feuille blanche, il écrivit son nom au bas de la page. Que voulez-vous faire, seigneur ? lui dit Siffredi. Vous marquer ma reconnaissance et mon estime, répondit Enrique. Ensuite ce prince présenta la feuille à Blanche, et lui dit : Recevez, madame, ce gage de ma foi et de l’empire que je vous donne sur mes volontés. Blanche la prit en rougissant, et fit cette réponse au prince : Seigneur, je reçois avec respect les grâces de mon roi ; mais je dépends d’un père, et vous trouverez bon, s’il vous plaît, que je remette votre billet entre ses mains, pour en faire l’usage que sa prudence lui conseillera.

Elle donna effectivement à son père la signature d’Enrique. Alors Siffredi remarqua ce qui jusqu’à ce moment était échappé à sa pénétration. Il démêla les sentiments du prince, et lui dit : Votre Majesté n’aura point de reproche à me faire. Je n’abuserai point de la confiance… Mon cher Léontio, interrompit Enrique, ne craignez point d’en abuser. Quelque usage que vous fassiez de mon billet, j’en approuverai la disposition. Mais allez, continua-t-il, retournez à Palerme, ordonnez-y les apprêts de mon couronnement, et dites à mes sujets que je vais sur vos pas recevoir le serment de leur fidélité, et les assurer de mon affection. Ce ministre obéit aux ordres de son nouveau maître, et prit avec sa fille le chemin de Palerme.

Quelques heures après leur départ, le prince partit aussi de Belmonte, plus occupé de son amour que du haut rang où il allait monter. Lorsqu’on le vit arriver dans la ville, on poussa mille cris de joie ; il entra parmi les acclamations du peuple dans le palais, où tout était déjà prêt pour la cérémonie. Il y trouva la princesse Constance, vêtue de longs habillements de deuil. Elle paraissait fort touchée de la mort de Roger. Comme ils se devaient un compliment réciproque sur la mort de ce monarque, ils s’en acquittèrent l’un et l’autre avec esprit, mais avec un peu plus de froideur de la part d’Enrique que de celle de Constance, qui, malgré les démêlés de leur famille, n’avait pu haïr ce prince. Il se plaça sur le trône, et la princesse s’assit à ses côtés, sur un fauteuil un peu moins élevé. Les grands du royaume prirent leur place, chacun selon son rang. La cérémonie commença ; et Léontio, comme grand chancelier de l’État et dépositaire du testament du feu roi, en ayant fait l’ouverture, se mit à le lire à haute voix. Cet acte contenait en substance que Roger, se voyant sans enfant, nommait pour son successeur le fils aîné de Mainfroi, à condition qu’il épouserait la princesse Constance, et que, s’il refusait sa main, la couronne de Sicile, à son exclusion, tomberait sur la tête de l’infant don Pèdre, son frère, à la même condition.

Ces paroles surprirent étrangement Enrique. Il en sentit une peine inconcevable, et cette peine devint encore plus vive, lorsque Léontio, après avoir achevé la lecture du testament, dit à toute l’assemblée : Seigneurs, ayant rapporté les dernières intentions du feu roi à notre nouveau monarque, ce généreux prince consent d’honorer de sa main la princesse Constance sa cousine. À ces mots Enrique interrompit le chancelier. Léontio, lui dit-il, souvenez-vous de l’écrit que Blanche vous… Seigneur, interrompit avec précipitation Siffredi, sans donner le temps au prince de s’expliquer, le voici. Les grands du royaume, poursuivit-il en montrant le billet à l’assemblée, y verront, par l’auguste seing de Votre Majesté, l’estime que vous faites de la princesse, et la déférence que vous avez pour les dernières volontés du feu roi votre oncle.

Ayant achevé ces paroles, il se mit à lire le billet dans les termes dont il l’avait rempli lui-même. Le nouveau roi y faisait à ses peuples, dans la forme la plus authentique, une promesse d’épouser Constance, conformément aux intentions de Roger. La salle retentit de longs cris de joie. Vive notre magnanime roi Enrique ! s’écrièrent tous ceux qui étaient présents. Comme on n’ignorait pas l’aversion que ce prince avait toujours marquée pour la princesse, on avait craint, avec raison, qu’il ne se révoltât contre la condition du testament, et ne causât des mouvements dans le royaume ; mais la lecture du billet, en rassurant là-dessus les grands et le peuple, excitait les acclamations générales qui déchiraient en secret le cœur du monarque.

Constance, qui, par l’intérêt de sa gloire et par un sentiment de tendresse, y prenait plus de part que personne, choisit ce temps pour l’assurer de sa reconnaissance. Le prince eut beau vouloir se contraindre, il reçut le compliment de la princesse avec tant de trouble, il était dans un si grand désordre, qu’il ne put même lui répondre ce que la bienséance exigeait de lui. Enfin, cédant à la violence qu’il se faisait, il s’approcha de Siffredi, que le devoir de sa charge obligeait de se tenir assez près de sa personne, et lui dit tout bas : Que faites-vous, Léontio ? L’écrit que j’ai mis entre les mains de votre fille n’était point destiné pour cet usage. Vous trahissez…

Seigneur, interrompit encore Siffredi d’un ton ferme, songez à votre gloire. Si vous refusez de suivre les volontés du roi votre oncle, vous perdez la couronne de Sicile. Il n’eut pas achevé de parler ainsi, qu’il s’éloigna du roi, pour l’empêcher de lui répliquer. Enrique demeura dans un embarras extrême ; il se sentit agité de mille mouvements contraires. Il était irrité contre Siffredi, il ne pouvait se résoudre à quitter Blanche ; et, partagé entre elle et l’intérêt de sa gloire, il fut assez longtemps incertain du parti qu’il avait à prendre. Il se détermina pourtant et crut avoir trouvé le moyen de conserver la fille de Siffredi, sans renoncer au trône. Il feignit de vouloir se soumettre aux volontés de Roger, se proposant, tandis qu’on solliciterait à Rome la dispense de son mariage avec sa cousine, de gagner par ses bienfaits les grands du royaume, et d’établir si bien sa puissance, qu’on ne pût l’obliger à remplir la condition du testament.

Dès qu’il eut formé ce dessein, il devint plus tranquille ; et, se tournant vers Constance, il lui confirma ce que le grand chancelier avait lu devant toute l’assemblée. Mais, au moment même qu’il se trahissait jusqu’à lui offrir sa foi, Blanche arriva dans la salle du conseil. Elle y venait, par ordre de son père, rendre ses devoirs à la princesse ; et ses oreilles, en entrant, furent frappées des paroles d’Enrique. Outre cela, Léontio, ne voulant pas qu’elle pût douter de son malheur, lui dit en la présentant à Constance : Ma fille, rendez vos hommages à votre reine ; souhaitez-lui les douceurs d’un règne florissant et d’un heureux hyménée. Ce coup terrible accabla l’infortunée Blanche. Elle entreprit inutilement de cacher sa douleur ; son visage rougit et pâlit successivement, et tout son corps frissonna. Cependant la princesse n’en eut aucun soupçon ; elle attribua le désordre de son compliment, à l’embarras d’une jeune personne élevée dans un désert et peu accoutumée à la cour. Il n’en fut pas ainsi du jeune roi : la vue de Blanche lui fit perdre contenance, et le désespoir qu’il remarquait dans ses yeux le mettait hors de lui-même. Il ne doutait pas que, jugeant sur les apparences, elle ne le crût infidèle. Il aurait eu moins d’inquiétude s’il eût pu lui parler ; mais comment en trouver les moyens, lorsque toute la Sicile, pour ainsi dire, avait les yeux sur lui ? D’ailleurs, le cruel Siffredi lui en ôta l’espérance. Ce ministre, qui lisait dans le cœur de ces deux amants, et voulait prévenir les malheurs que la violence de leur amour pouvait causer dans l’État ; fit adroitement sortir sa fille de l’assemblée, et reprit avec elle le chemin de Belmonte, résolu, pour plus d’une raison, de la marier au plus tôt.

Lorsqu’ils y furent arrivés, il lui fit connaître toute l’horreur de sa destinée. Il lui déclara qu’il l’avait promise au connétable. Juste ciel ! s’écria-t-elle, emportée par un mouvement de douleur que la présence de son père ne put réprimer, à quels affreux supplices réserviez-vous la malheureuse Blanche ! Son transport même fut si violent, que toutes les puissances de son âme en furent suspendues. Son corps se glaça ; et, devenant froide et pâle, elle tomba évanouie entre les bras de son père. Il fut touché de l’état où il la voyait. Néanmoins, quoiqu’il ressentît vivement ses peines, sa première résolution n’en fut point ébranlée. Blanche reprit enfin ses esprits, plus par le vif ressentiment de sa douleur, que par l’eau que Siffredi lui jeta sur le visage ; et, lorsqu’en ouvrant ses yeux languissants elle l’aperçut qui s’empressait à la secourir : Seigneur, lui dit-elle d’une voix presque éteinte, j’ai honte de vous laisser voir ma faiblesse ; mais la mort, qui ne peut tarder à finir mes tourments, va bientôt vous délivrer d’une malheureuse fille qui a pu disposer de son cœur sans votre aveu. Non, ma chère Blanche, répondit Léontio, vous ne mourrez point, et votre vertu reprendra sur vous son empire. La recherche du connétable vous fait honneur ; c’est le parti le plus considérable de l’État… J’estime sa personne et son mérite, interrompit Blanche ; mais, seigneur, le roi m’avait fait espérer… Ma fille, interrompit à son tour Siffredi, je sais tout ce que vous pouvez dire là-dessus. Je n’ignore pas votre tendresse pour ce prince, et je ne la désapprouverais pas dans d’autres conjonctures. Vous me verriez même ardent à vous assurer la main d’Enrique, si l’intérêt de sa gloire et celui de l’État ne l’obligeaient pas à la donner à Constance. C’est à la condition seule d’épouser cette princesse que le feu roi l’a désigné son successeur. Voulez-vous qu’il vous préfère à la couronne de Sicile ? Croyez que je gémis avec vous du coup mortel qui vous frappe. Cependant, puisque nous ne pouvons aller contre les destinées, faites un généreux effort : il y va de votre gloire de ne pas laisser voir à tout le royaume que vous vous êtes flattée d’une espérance frivole. Votre sensibilité pour le roi donnerait même lieu à des bruits désavantageux pour vous, et le seul moyen de vous en préserver, c’est d’épouser le connétable. Enfin, Blanche, il n’est plus temps de délibérer. Le roi vous cède pour un trône, il épouse Constance. Le connétable a ma parole ; dégagez-la, je vous en prie ; et s’il est nécessaire, pour vous y résoudre, que je me serve de mon autorité, je vous l’ordonne.

En achevant ces paroles, il la quitta pour lui laisser faire ses réflexions sur ce qu’il venait de lui dire. Il espérait qu’après avoir pesé les raisons dont il s’était servi pour soutenir sa vertu contre le penchant de son cœur, elle se déterminerait d’elle-même à se donner au connétable. Il ne se trompa point : mais combien en coûta-t-il à la triste Blanche pour prendre cette résolution ! Elle était dans l’état du monde le plus digne de pitié. La douleur de voir ses pressentiments sur l’infidélité d’Enrique tournés en certitude, et d’être contrainte, en le perdant, de se livrer à un homme qu’elle ne pouvait aimer, lui causait des transports d’affliction si violents, que tous ses moments devenaient pour elle des supplices nouveaux. Si mon malheur est certain, s’écriait-elle, comment y puis-je résister sans mourir ? Impitoyable destinée, pourquoi me repaissais-tu des plus douces espérances, si tu devais me précipiter dans un abîme de maux ? Et toi, perfide amant, tu te donnes à une autre, quand tu me promets une éternelle fidélité ! As-tu donc pu sitôt mettre en oubli la foi que tu m’as jurée ? Pour te punir de m’avoir si cruellement trompée, fasse le ciel que le lit conjugal, que tu vas souiller par un parjure, soit moins le théâtre de tes plaisirs que de tes remords ! que les caresses de Constance versent un poison dans ton cœur infidèle ! puisse ton hymen devenir aussi affreux que le mien ! Oui, traître ! je vais épouser le connétable, que je n’aime point, pour me venger de moi-même, pour me punir d’avoir si mal choisi l’objet de ma folle passion. Puisque ma religion me défend d’attenter à ma vie, je veux que les jours qui me restent à vivre ne soient qu’un tissu malheureux de peines et d’ennuis. Si tu conserves encore pour moi quelque sentiment d’amour, ce sera me venger aussi de toi, que de me jeter à tes yeux entre les bras d’un autre ; et si tu m’as entièrement oubliée, la Sicile du moins pourra se vanter d’avoir produit une femme qui s’est punie elle-même d’avoir trop légèrement disposé de son cœur.

Ce fut dans une pareille situation que cette triste victime de l’amour et du devoir passa la nuit qui précéda son mariage avec le connétable. Siffredi, la trouvant le lendemain prête à faire ce qu’il souhaitait, se hâta de profiter de cette disposition favorable. Il fit venir le connétable à Belmonte le jour même, et le maria secrètement avec sa fille dans la chapelle du château. Quelle journée pour Blanche ! Ce n’était point assez de renoncer à une couronne, de perdre un amant aimé et de se donner à un objet haï ; il fallait encore qu’elle contraignît ses sentiments devant un mari prévenu pour elle de la passion la plus ardente, et naturellement jaloux. Cet époux, charmé de la posséder, était sans cesse à ses genoux. Il ne lui laissait pas seulement la triste consolation de pleurer en secret ses malheurs. La nuit arrivée, la fille de Léontio sentit redoubler son affliction. Mais que devint-elle, lorsque ses femmes, après l’avoir déshabillée, la laissèrent seule avec le connétable ? Il lui demanda respectueusement la cause de l’abattement où elle semblait être. Cette question embarrassa Blanche, qui feignit de se trouver mal. Son époux y fut d’abord trompé ; mais il ne demeura pas longtemps dans cette erreur. Comme il était véritablement inquiet de l’état où il la voyait, et qu’il la pressait de se mettre au lit, ses instances, qu’elle expliqua mal, présentèrent à son esprit une image si cruelle, que, ne pouvant plus se contraindre, elle donna un libre cours à ses soupirs et à ses larmes. Quelle vue pour un homme qui s’était cru au comble de ses vœux ! Il ne douta plus que l’affliction de sa femme ne renfermât quelque chose de sinistre pour son amour. Néanmoins, quoique cette connaissance le mît dans une situation presque aussi déplorable que celle de Blanche, il eut assez de force sur lui pour cacher ses soupçons. Il redoubla ses empressements, et continua de presser son épouse de se coucher, l’assurant qu’il lui laisserait prendre tout le repos dont elle avait besoin. Il s’offrit même d’appeler ses femmes, si elle jugeait que leur secours pût apporter quelque soulagement à son mal. Blanche, s’étant rassurée sur cette promesse, lui dit que le sommeil seul lui était nécessaire dans la faiblesse où elle se sentait. Il feignit de la croire. Ils se mirent tous deux au lit, et passèrent une nuit bien différente de celle que l’amour et l’hyménée accordent à deux amants charmés l’un de l’autre.

Pendant que la fille de Siffredi se livrait à sa douleur, le connétable cherchait en lui-même ce qui pouvait lui rendre son mariage si rigoureux. Il jugeait bien qu’il avait un rival ; mais quand il voulait le découvrir, il se perdait dans ses idées. Il savait seulement qu’il était le plus malheureux de tous les hommes. Il avait déjà passé les deux tiers de la nuit dans ces agitations, lorsqu’un bruit sourd frappa ses oreilles. Il fut surpris d’entendre quelqu’un traîner lentement ses pas dans la chambre. Il crut se tromper ; car il se souvint qu’il avait fermé la porte lui-même, après que les femmes de Blanche furent sorties. Il ouvrit le rideau pour s’éclaircir par ses propres yeux de la cause du bruit qu’il entendait ; mais la lumière qu’on avait laissée dans la cheminée s’était éteinte ; et bientôt il ouït une voix faible et languissante qui appela Blanche à plusieurs reprises. Alors ses soupçons jaloux le transportèrent de fureur ; et, son honneur alarmé l’obligeant à se lever pour prévenir un affront ou pour en tirer vengeance, il prit une épée, il marcha du côté que la voix lui semblait partir. Il sent une épée nue qui s’oppose à la sienne. Il avance, on se retire. Il poursuit, on se dérobe à sa poursuite. Il cherche celui qui semble le fuir par tous les endroits de la chambre, autant que l’obscurité peut le permettre, et ne le trouve plus. Il s’arrête ; il écoute, et n’entend plus rien. Quel enchantement ! Il s’approche de la porte, dans la pensée qu’elle avait favorisé la fuite de ce secret ennemi de son honneur ; mais elle était fermée au verrou comme auparavant. Ne pouvant rien comprendre à cette aventure, il appela ceux de ses gens qui étaient le plus à portée d’entendre sa voix ; et, comme il ouvrit la porte pour cela, il en ferma le passage, et se tint sur ses gardes, craignant de laisser échapper ce qu’il cherchait.

À ses cris redoublés, quelques domestiques accoururent avec les flambeaux. Il prend une bougie, et fait une nouvelle recherche dans la chambre en tenant son épée nue. Il n’y trouva toutefois personne, ni aucune marque apparente qu’on y fût entré. Il n’aperçut point de porte secrète, ni d’ouverture par où l’on eût pu passer ; il ne pouvait pourtant s’aveugler lui-même sur les circonstances de son malheur. Il demeura dans une étrange confusion de pensées. De recourir à Blanche, elle avait trop d’intérêt à déguiser la vérité, pour qu’il en dût attendre le moindre éclaircissement. Il prit le parti d’aller ouvrir son cœur à Léontio, après avoir renvoyé ses gens, en leur disant qu’il croyait avoir entendu quelque bruit dans la chambre, et qu’il s’était trompé. Il rencontra son beau-père qui sortait de son appartement au bruit qu’il avait ouï ; et lui racontant ce qui venait de se passer, il fit ce récit avec toutes les marques d’une extrême agitation et d’une profonde tristesse.

Siffredi fut surpris de l’aventure. Quoiqu’elle ne lui parût pas naturelle, il ne laissa pas de la croire véritable, et, jugeant tout possible à l’amour du roi, cette pensée l’affligea vivement. Mais, bien loin de flatter les soupçons jaloux de son gendre, il lui représenta d’un air d’assurance que cette voix qu’il s’imaginait avoir entendue, et cette épée qui s’était opposée à la sienne, ne pouvaient être que des fantômes d’une imagination séduite par la jalousie ; qu’il était impossible que quelqu’un fût entré dans la chambre de sa fille : qu’à l’égard de la tristesse qu’il avait remarquée dans son épouse, quelque indisposition l’avait peut-être causée ; que l’honneur ne devait point être responsable des altérations du tempérament ; que le changement d’état d’une fille accoutumée à vivre dans un désert, et qui se voit brusquement livrée à un homme qu’elle n’a pas eu le temps de connaître et d’aimer, pouvait bien être la cause de ces pleurs, de ces soupirs et de cette vive affliction dont il se plaignait ; que l’amour, dans le cœur des filles d’un sang noble, ne s’allumait que par le temps et par les services, qu’il l’exhortait à calmer ses inquiétudes, à redoubler sa tendresse et ses empressements pour disposer Blanche à devenir plus sensible ; et qu’il le priait enfin de retourner vers elle, persuadé que ses défiances et son trouble offensaient sa vertu.

Le connétable ne répondit rien aux raisons de son beau-père, soit qu’en effet il commençât à croire qu’il pouvait s’être trompé dans le désordre où était son esprit ; soit qu’il jugeât plus à propos de dissimuler que d’entreprendre inutilement de convaincre le vieillard d’un événement si dénué de vraisemblance. Il retourna dans l’appartement de sa femme, se remit auprès d’elle, et tâcha d’obtenir du sommeil quelque relâche à ses inquiétudes. Blanche, de son côté, la triste Blanche n’était pas plus tranquille ; elle n’avait que trop entendu les mêmes choses que son époux, et ne pouvait prendre pour illusion une aventure dont elle savait le secret et les motifs. Elle était surprise qu’Enrique cherchât à s’introduire dans son appartement, après avoir donné si solennellement sa foi à la princesse Constance. Au lieu de s’applaudir de cette démarche et d’en sentir quelque joie, elle la regardait comme un nouvel outrage, et son cœur en était tout enflammé de colère.

Tandis que la fille de Siffredi, prévenue contre le jeune roi, le croyait le plus coupable des hommes, ce malheureux prince, plus épris que jamais de Blanche, souhaitait de l’entretenir pour la rassurer contre les apparences qui le condamnaient. Il serait venu plus tôt à Belmonte pour cet effet, si tous les soins dont il avait été obligé de s’occuper le lui eussent permis ; mais il n’avait pu, avant cette nuit, se dérober à sa cour. Il connaissait trop bien les détours d’un lieu où il avait été élevé, pour être en peine de se glisser dans le château de Siffredi, et même il conservait encore la clef d’une porte secrète par où l’on entrait dans les jardins. Ce fut par là qu’il gagna son ancien appartement, et qu’ensuite il passa dans la chambre de Blanche. Imaginez-vous quel dut être l’étonnement de ce prince, d’y trouver un homme et de sentir une épée opposée à la sienne. Peu s’en fallut qu’il n’éclatât, et ne fît punir à l’heure même l’audacieux qui osait lever sa main sacrilège sur son propre roi : mais le ménagement qu’il devait à la fille de Léontio suspendit son ressentiment. Il se retira de la même manière qu’il était venu ; et, plus troublé qu’auparavant, il reprit le chemin de Palerme. Il y arriva quelques moments devant le jour, et s’enferma dans son appartement. Il était trop agité pour y prendre du repos. Il ne songeait qu’à retourner à Belmonte. Sa sûreté, son honneur et surtout son amour ne lui permettaient pas de différer l’éclaircissement de toutes les circonstances d’une si cruelle aventure.

Dès qu’il fit jour, il commanda son équipage de chasse ; et, sous prétexte de prendre ce divertissement, il s’enfonça dans la forêt de Belmonte avec ses piqueurs et quelques-uns de ses courtisans. Il suivit quelque temps la chasse pour cacher son dessein ; et, lorsqu’il vit que chacun courait avec ardeur à la queue des chiens, il s’écarta de tout le monde, et prit seul le chemin du château de Léontio. Il connaissait trop les routes de la forêt pour pouvoir s’y égarer ; et, son impatience ne lui permettant pas de ménager son cheval, il eut en peu de temps parcouru tout l’espace qui le séparait de l’objet de son amour. Il cherchait dans son esprit quelque prétexte plausible pour se procurer un entretien secret avec la fille de Siffredi, quand, traversant une petite route qui aboutissait à une des portes du parc, il aperçut auprès de lui deux femmes assises qui s’entretenaient au pied d’un arbre. Il ne douta point que ces personnes ne fussent du château, et cette vue lui causa de l’émotion ; mais il fut bien plus agité, lorsque, ces femmes s’étant tournées de son côté au bruit que son cheval faisait en courant, il reconnut sa chère Blanche. Elle s’était échappée du château avec Nise, celle de ses femmes qui avait le plus de part à sa confiance, pour pleurer du moins son malheur en liberté.

Il vola, il se précipita pour ainsi dire à ses pieds ; et, voyant dans ses yeux tous les signes de la plus profonde affliction, il en fut attendri. Belle Blanche, lui dit-il, suspendez les mouvements de votre douleur. Les apparences, je l’avoue, me peignent coupable à vos yeux ; mais quand vous serez instruite du dessein que j’ai formé pour vous, ce que vous regardez comme un crime vous paraîtra une preuve de mon innocence et de l’excès de mon amour. Ces paroles qu’Enrique croyait capables de modérer l’affliction de Blanche ne servirent qu’à la redoubler. Elle voulut répondre ; mais les sanglots étouffèrent sa voix. Le prince, étonné de son saisissement, lui dit : Quoi ! madame, je ne puis calmer votre trouble ? Par quel malheur ai-je perdu votre confiance, moi qui mets en péril ma couronne et même ma vie pour me conserver à vous ? Alors la fille de Léontio, faisant un effort sur elle pour s’expliquer, lui dit : Seigneur, vos promesses ne sont plus de saison. Rien désormais ne peut lier ma destinée à la vôtre. Ah ! Blanche, interrompit brusquement Enrique, quelles paroles cruelles me faites-vous entendre ? Qui peut vous enlever à mon amour ? qui voudra s’opposer à la fureur d’un roi qui mettrait en feu toute la Sicile, plutôt que de vous laisser ravir à ses espérances ? Tout votre pouvoir, seigneur, reprit languissamment la fille de Siffredi, devient inutile contre les obstacles qui nous séparent. Je suis femme du connétable.

Femme du connétable ! s’écria le prince en reculant de quelques pas. Il ne put continuer, tant il fut saisi. Accablé de ce coup imprévu, ses forces l’abandonnèrent. Il se laissa tomber au pied d’un arbre qui se trouva derrière lui. Il était pâle, tremblant, défait, et n’avait de libre que les yeux, qu’il attacha sur Blanche d’une manière à lui faire comprendre combien il était sensible au malheur qu’elle lui annonçait. Elle le regardait de son côté d’un air qui lui faisait assez connaître que ses mouvements étaient peu différents des siens ; et ces deux amants infortunés gardaient entre eux un silence qui avait quelque chose d’affreux. Enfin le prince, revenant un peu de son désordre par un effort de courage, reprit la parole, et dit à Blanche en soupirant : Madame, qu’avez-vous fait ? Vous m’avez perdu, et vous vous êtes perdue vous-même par votre crédulité.

Blanche fut piquée de ce que le prince semblait lui faire des reproches, lorsqu’elle croyait avoir les plus fortes raisons de se plaindre de lui ! Quoi ! seigneur, répondit-elle, vous ajoutez la dissimulation à l’infidélité ! Vouliez-vous que je démentisse mes yeux et mes oreilles, et que, malgré leur rapport, je vous crusse innocent ? Non, seigneur, je vous l’avoue, je ne suis point capable de cet effort de raison. Cependant, madame, répliqua le roi, ces témoins qui vous paraissent si fidèles vous en ont imposé. Ils ont aidé eux-mêmes à vous trahir ; et il n’est pas moins vrai que je suis innocent et fidèle, qu’il est vrai que vous êtes l’épouse du connétable. Eh quoi ! seigneur, reprit-elle, je ne vous ai point entendu confirmer à Constance le don de votre main et de votre cœur ? vous n’avez point assuré les grands de l’État que vous rempliriez les volontés du feu roi ? et la princesse n’a pas reçu les hommages de vos nouveaux sujets en qualité de reine et d’épouse du prince Enrique ? Mes yeux étaient-ils donc fascinés ? Dites, dites plutôt, infidèle, que vous n’avez pas cru que Blanche dût balancer dans votre cœur l’intérêt d’un trône ; et, sans vous abaisser à feindre ce que vous ne sentez plus, et ce que vous n’avez peut-être jamais senti, avouez que la couronne de Sicile vous a paru plus assurée avec Constance qu’avec la fille de Léontio. Vous avez raison, seigneur : un trône éclatant ne m’était pas plus dû que le cœur d’un prince tel que vous. J’étais trop vaine d’oser prétendre à l’un et à l’autre ; mais vous ne deviez pas m’entretenir dans cette erreur. Vous savez les alarmes que je vous ai témoignées sur votre perte, qui me semblait presque infaillible pour moi. Pourquoi m’avez-vous rassurée ? Fallait-il dissiper mes craintes ? J’aurais accusé le sort plutôt que vous, et du moins vous auriez conservé mon cœur au défaut d’une main qu’un autre n’eût jamais obtenue de moi. Il n’est plus temps présentement de vous justifier. Je suis l’épouse du connétable ; et, pour m’épargner la suite d’un entretien qui fait rougir ma gloire, souffrez, seigneur, que, sans manquer au respect que je vous dois, je quitte un prince qu’il ne m’est plus permis d’écouter.

À ces mots elle s’éloigna d’Enrique avec toute la précipitation dont elle pouvait être capable dans l’état où elle se trouvait. Arrêtez, madame, s’écria-t-il, ne désespérez point un prince plus disposé à renverser un trône que vous lui reprochez de vous avoir préféré, qu’à répondre à l’attente de ses nouveaux sujets. Ce sacrifice est présentement inutile, repartit Blanche. Il fallait me ravir au connétable, avant que de faire éclater des transports si généreux. Puisque je ne suis plus libre, il m’importe peu que la Sicile soit réduite en cendres, et à qui vous donniez votre main. Si j’ai eu la faiblesse de laisser surprendre mon cœur, du moins j’aurai la fermeté d’en étouffer les mouvements, et de faire voir au nouveau roi de Sicile que l’épouse du connétable n’est plus l’amante du prince Enrique. En parlant de cette sorte, comme elle touchait à la porte du parc, elle y entra brusquement avec Nise ; et, fermant après elle cette porte, elle laissa le prince accablé de douleur. Il ne pouvait revenir du coup que Blanche lui avait porté par la nouvelle de son mariage. Injuste Blanche, s’écriait-il, vous avez perdu la mémoire de notre engagement ! Malgré mes serments et les vôtres, nous sommes séparés ! L’idée que je m’étais faite de posséder vos charmes n’était donc qu’une vaine illusion ! Ah ! cruelle, que j’achète chèrement l’avantage de vous avoir fait approuver mon amour !

Alors l’image du bonheur de son rival vint s’offrir à son esprit avec toutes les horreurs de la jalousie ; et cette passion prit sur lui tant d’empire pendant quelques moments, qu’il fut sur le point d’immoler à son ressentiment le connétable et Siffredi même. La raison toutefois calma peu à peu la violence de ses transports. Cependant l’impossibilité où il se voyait d’ôter à Blanche les impressions qu’elle avait de son infidélité le mettait au désespoir. Il se flattait de les effacer, s’il pouvait l’entretenir en liberté. Pour y parvenir, il jugea qu’il fallait éloigner le connétable, et il se résolut à le faire arrêter, comme un homme suspect dans les conjonctures où l’État se trouvait. Il en donna l’ordre au capitaine de ses gardes, qui se rendit à Belmonte, s’assura de sa personne à l’entrée de la nuit, et le mena au château de Palerme.

Cet incident répandit à Belmonte la consternation. Siffredi partit sur-le-champ pour aller répondre au roi de l’innocence de son gendre, et lui représenter les suites fâcheuses d’un pareil emprisonnement. Ce prince, qui s’était bien attendu à cette démarche de son ministre, et qui voulait au moins se ménager une entrevue avec Blanche avant que de relâcher le connétable, avait expressément défendu que personne lui parlât jusqu’au lendemain. Mais Léontio, malgré cette défense, fit si bien, qu’il entra dans la chambre du roi. Seigneur, dit-il en se présentant devant lui, s’il est permis à un sujet respectueux et fidèle de se plaindre de son maître, je viens me plaindre à vous de vous-même. Quel crime a commis mon gendre ? Votre Majesté a-t-elle bien réfléchi sur l’opprobre éternel dont elle couvre ma famille, et sur les suites d’un emprisonnement qui peut aliéner de votre service les personnes qui remplissent les postes de l’État les plus importants ? J’ai des avis certains, répondit le roi, que le connétable a des intelligences criminelles avec l’infant don Pèdre. Des intelligences criminelles ! interrompit avec surprise Léontio. Ah ! seigneur, ne le croyez pas : l’on abuse Votre Majesté. La trahison n’eut jamais d’entrée dans la famille de Siffredi ; et il suffit au connétable qu’il soit mon gendre, pour être à couvert de tout soupçon. Le connétable est innocent, mais des vues secrètes vous ont porté à le faire arrêter.

Puisque vous me parlez si ouvertement, repartit le roi, je vais vous parler de la même manière. Vous vous plaignez de l’emprisonnement du connétable ! Eh ! n’ai-je point à me plaindre de votre cruauté ? C’est vous, barbare Siffredi, qui m’avez ravi mon repos, et réduit, par vos soins officieux, à envier le sort des plus vils mortels ; car ne vous flattez pas que j’entre dans vos idées. Mon mariage avec Constance est vainement résolu… Quoi ! seigneur, interrompit en frémissant Léontio, vous pourriez ne point épouser la princesse, après l’avoir flattée de cette espérance aux yeux de tous vos peuples ! Si je trompe leur attente, répliqua le roi, ne vous en prenez qu’à vous. Pourquoi m’avez-vous mis dans la nécessité de leur promettre ce que je ne pouvais leur accorder ? Qui vous obligeait à remplir du nom de Constance un billet que j’avais fait à votre fille ? Vous n’ignoriez pas mon intention : fallait-il tyranniser le cœur de Blanche en lui faisant épouser un homme qu’elle n’aimait pas ? Et quel droit avez-vous sur le mien, pour en disposer en faveur d’une princesse que je hais ? Avez-vous oublié qu’elle est fille de cette cruelle Mathilde, qui, foulant aux pieds les droits du sang et de l’humanité, fit expirer mon père dans les rigueurs d’une dure captivité ? Et je l’épouserais ! Non, Siffredi, perdez cette espérance ; avant que de voir allumer le flambeau de cet affreux hymen, vous verrez toute la Sicile en flammes, et ses sillons inondés de sang.

L’ai-je bien entendu ? s’écria Léontio. Ah ! Seigneur, que me faites-vous envisager ? Quelles terribles menaces ! Mais je m’alarme mal à propos, continua-t-il en changeant de ton. Vous chérissez trop vos sujets, pour leur procurer une si triste destinée. Vous ne vous laisserez point surmonter par l’amour ; vous ne ternirez pas vos vertus en tombant dans les faiblesses des hommes ordinaires. Si j’ai donné ma fille au connétable, je ne l’ai fait, seigneur, que pour acquérir à Votre Majesté un sujet vaillant, qui pût appuyer de son bras et de l’armée dont il dispose vos intérêts contre ceux du prince don Pèdre. J’ai cru qu’en le liant à ma famille par des nœuds si étroits… Et ce sont ces nœuds, s’écria le prince Enrique, ce sont ces funestes nœuds qui m’ont perdu. Cruel ami, pourquoi me porter un coup si sensible ? Vous avais-je chargé de ménager mes intérêts aux dépens de mon cœur ? Que ne me laissiez-vous soutenir mes droits moi-même ? Manqué-je de courage pour réduire ceux de mes sujets qui voudront s’y opposer ? J’aurais bien su punir le connétable, s’il m’eût désobéi. Je sais que les rois ne sont pas des tyrans, que le bonheur de leurs peuples est leur premier devoir ; mais doivent-ils être les esclaves de leurs sujets ? et du moment que le ciel les choisit pour gouverner, perdent-ils le droit que la nature accorde à tous les hommes de disposer de leurs affections ? Ah ! s’ils n’en peuvent jouir comme les derniers des mortels, reprenez, Siffredi, cette souveraine puissance que vous m’avez voulu assurer aux dépens de mon repos.

Vous ne pouvez ignorer, seigneur, répliqua le ministre, que c’est au mariage de la princesse que le feu roi votre oncle attache la succession de la couronne. Et quel droit, repartit Enrique, avait-il lui-même d’établir cette disposition ? Avait-il reçu cette indigne loi du roi Charles son frère, lorsqu’il lui succéda ? Deviez-vous avoir la faiblesse de vous soumettre à une condition si injuste ? Pour un grand chancelier, vous êtes bien mal instruit de nos usages. En un mot, quand j’ai promis ma main à Constance, cet engagement n’a pas été volontaire. Je ne prétends point tenir ma promesse ; et si don Pèdre fonde sur mon refus l’espérance de monter au trône, sans engager les peuples dans un démêlé qui coûterait trop de sang, l’épée pourra décider entre nous qui des deux sera le plus digne de régner. Léontio n’osa le presser davantage, et se contenta de lui demander à genoux la liberté de son gendre ; ce qu’il obtint. Allez, lui dit le roi, retournez à Belmonte ; le connétable vous y suivra bientôt. Le ministre sortit, et regagna Belmonte, persuadé que son gendre marcherait incessamment sur ses pas. Il se trompait. Enrique voulait voir Blanche cette nuit, et pour cet effet il remit au lendemain matin l’élargissement de son époux.

Pendant ce temps-là, le connétable faisait de cruelles réflexions. Son emprisonnement lui avait ouvert les yeux sur la véritable cause de son malheur. Il s’abandonna tout entier à sa jalousie, et, démentant la fidélité qui l’avait jusqu’alors rendu si recommandable, il ne respira plus que vengeance. Comme il jugeait bien que le roi ne manquerait pas cette nuit d’aller trouver Blanche, pour les surprendre ensemble, il pria le gouverneur du château de Palerme de le laisser sortir de prison, l’assurant qu’il y rentrerait le lendemain avant le jour. Le gouverneur qui lui était tout dévoué, y consentit d’autant plus facilement, qu’il avait déjà su que Siffredi avait obtenu sa liberté, et même il lui fit donner un cheval pour se rendre à Belmonte. Le connétable, y étant arrivé, attacha son cheval à un arbre, entra dans le parc par une petite porte dont il avait la clef, et fut assez heureux pour se glisser dans le château sans rencontrer personne. Il gagna l’appartement de sa femme, et se cacha dans l’antichambre, derrière un paravent qu’il y trouva sous sa main. Il se proposait d’observer de là tout ce qui se passerait, et de paraître subitement dans la chambre de Blanche, au moindre bruit qu’il y entendrait. Il en vit sortir Nise, qui venait de quitter sa maîtresse pour se retirer dans un cabinet où elle couchait.

La fille de Siffredi, qui avait pénétré sans peine le motif de l’emprisonnement de son mari, jugeait bien qu’il ne reviendrait pas cette nuit à Belmonte, quoique son père lui eût dit que le roi l’avait assuré que le connétable partirait bientôt après lui. Elle ne doutait pas qu’Enrique ne voulût profiter de la conjoncture, pour la voir et l’entretenir en liberté. Dans cette pensée, elle attendait ce prince, pour lui reprocher une action qui pouvait avoir de terribles suites pour elle. Effectivement, peu de temps après la retraite de Nise, la coulisse s’ouvrit, et le roi vint se jeter aux genoux de Blanche. Madame, lui dit-il, ne me condamnez point sans m’entendre. Si j’ai fait emprisonner le connétable, songez que c’était le seul moyen qui me restait pour me justifier. N’imputez donc qu’à vous seule cet artifice. Pourquoi ce matin refusiez-vous de m’entendre ? Hélas ! demain votre époux sera libre, et je ne pourrai plus vous parler. Écoutez-moi donc pour la dernière fois. Si votre perte rend mon sort déplorable, accordez-moi du moins la triste consolation de vous apprendre que je ne me suis point attiré ce malheur par mon infidélité. Si j’ai confirmé à Constance le don de ma main, c’est que je ne pouvais m’en dispenser dans la situation où votre père avait réduit les choses. Il fallait tromper la princesse, pour votre intérêt et pour le mien, pour vous assurer la couronne et la main de votre amant. Je me promettais d’y réussir ; j’avais déjà pris des mesures pour rompre cet engagement ; mais vous avez détruit mon ouvrage, et, disposant de vous trop légèrement, vous avez préparé une éternelle douleur à deux cœurs qu’un parfait amour aurait rendus contents.

Il acheva ce discours avec des signes si visibles d’un véritable désespoir, que Blanche en fut touchée. Elle ne douta plus de son innocence : elle en eut d’abord de la joie ; ensuite le sentiment de son infortune en devint plus vif. Ah ! seigneur, dit-elle au prince, après la disposition que le destin a faite de nous, vous me causez une peine nouvelle en m’apprenant que vous n’étiez pas coupable. Qu’ai-je fait, malheureuse ? mon ressentiment m’a séduite ; je me suis crue abandonnée ; et dans mon dépit j’ai reçu la main du connétable, que mon père m’a présentée. J’ai fait le crime et nos malheurs. Hélas ! dans le temps que je vous accusais de me tromper, c’était donc moi, trop crédule amante, qui rompais des nœuds que j’avais juré de rendre éternels ? Vengez-vous, seigneur, à votre tour. Haïssez l’ingrate Blanche… Oubliez… Eh ! le puis-je, madame ? interrompit tristement Enrique : le moyen d’arracher de mon cœur une passion que votre injustice même ne saurait éteindre ! Il faut pourtant vous faire cet effort, seigneur, reprit en soupirant la fille de Siffredi… Et serez-vous capable de cet effort, vous-même ? répliqua le roi. Je ne me promets pas d’y réussir, repartit-elle ; mais je n’épargnerai rien pour en venir à bout. Ah ! cruelle, dit le prince, vous oublierez facilement Enrique, puisque vous pouvez en former le dessein. Quelle est donc votre pensée ? dit Blanche d’un ton plus ferme. Vous flattez-vous que je puisse vous permettre de continuer à me rendre des soins ? Non, seigneur, renoncez à cette espérance. Si je n’étais pas née pour être reine, le ciel ne m’a non plus formée pour écouter un amour illégitime. Mon époux est comme vous, seigneur, de la noble maison d’Anjou ; et quand ce que je lui dois n’opposerait pas un obstacle insurmontable à vos galanteries, ma gloire m’empêcherait de les souffrir. Je vous conjure de vous retirer : il ne faut plus nous voir. Quelle barbarie ! s’écria le roi. Ah ! Blanche, est-il possible que vous me traitiez avec tant de rigueur ? Ce n’est donc point assez, pour m’accabler, que vous soyez entre les bras du connétable, vous voulez encore m’interdire votre vue, la seule consolation qui me reste ? Fuyez plutôt, répondit la fille de Siffredi en versant quelques larmes ; la vue de ce qu’on a tendrement aimé n’est plus un bien, lorsqu’on a perdu l’espérance de le posséder. Adieu, seigneur, fuyez-moi ; vous devez cet effort à votre gloire et à ma réputation. Je vous le demande aussi pour mon repos ; car enfin, quoique ma vertu ne soit point alarmée des mouvements de mon cœur, le souvenir de votre tendresse me livre des combats si cruels, qu’il m’en coûte trop pour les soutenir.

Elle prononça ces paroles avec tant de vivacité, qu’elle renversa, sans y penser, un flambeau qui était sur une table derrière elle ; la bougie s’éteignit en tombant. Blanche la ramasse ; et, pour la rallumer, elle ouvre la porte de l’antichambre, et gagne le cabinet de Nise, qui n’était pas encore couchée ; puis elle revient avec de la lumière. Le roi, qui attendait son retour, ne la vit pas plus tôt, qu’il se remit à la presser de souffrir son attachement. À la voix de ce prince, le connétable, l’épée à la main, entra brusquement dans la chambre presque en même temps que son épouse ; et s’avançant vers Enrique avec tout le ressentiment que sa rage lui inspirait : C’en est trop, tyran, lui cria-t-il, ne crois pas que je sois assez lâche pour endurer l’affront que tu fais à mon honneur. Ah ! traître, lui répondit le roi en se mettant en défense, ne t’imagine pas toi-même pouvoir impunément exécuter ton dessein. À ces mots, ils commencèrent un combat qui fut trop vif pour durer longtemps. Le connétable, craignant que Siffredi et ses domestiques n’accourussent trop vite aux cris que poussait Blanche, et ne s’opposassent à sa vengeance, ne se ménagea point. Sa fureur lui ôta le jugement ; il prit si mal ses mesures, qu’il s’enferra lui-même dans l’épée de son ennemi ; elle lui entra dans le corps jusqu’à la garde. Il tomba, et le roi s’arrêta dans le moment.

La fille de Léontio, touchée de l’état où elle voyait son époux et surmontant la répugnance naturelle qu’elle avait pour lui, se jeta à terre et s’empressa de le secourir. Mais ce malheureux époux était trop prévenu contre elle, pour se laisser attendrir aux témoignages qu’elle lui donnait de sa douleur et de sa compassion. La mort, dont il sentait les approches, ne put étouffer les transports de sa jalousie. Il n’envisagea, dans ses derniers moments, que le bonheur de son rival ; et cette idée lui parut si affreuse, que, rappelant tout ce qui lui restait de force, il leva son épée qu’il tenait encore, et la plongea dans le sein de Blanche. Meurs, lui dit-il en la perçant ; meurs, infidèle épouse, puisque les nœuds de l’hyménée n’ont pu me conserver une foi que tu m’avais jurée sur les autels ! Et toi, poursuivit-il, Enrique, ne t’applaudis point de ta destinée ! Tu ne saurais jouir de mon malheur ; je meurs content. En achevant de parler de cette sorte, il expira ; et son visage, tout couvert qu’il était des ombres de la mort, avait encore quelque chose de fier et de terrible. Celui de Blanche offrait un spectacle bien différent. Le coup qui l’avait frappée était mortel. Elle tomba sur le corps mourant de son époux ; et le sang de l’innocente victime se confondait avec celui de son meurtrier, qui avait si brusquement exécuté sa cruelle résolution, que le roi n’en avait pu prévenir l’effet.

Ce prince infortuné fit un cri en voyant tomber Blanche ; et, plus frappé qu’elle du coup qui l’arrachait à la vie, il se mit en devoir de lui rendre les mêmes soins qu’elle avait voulu prendre, et dont elle avait été si mal récompensée. Mais elle lui dit d’une voix mourante : Seigneur, votre peine est inutile ; je suis la victime que le sort impitoyable demandait. Puisse-t-elle apaiser sa colère, et assurer le bonheur de votre règne ! Comme elle achevait ces paroles, Léontio, attiré par les cris qu’elle avait poussés, arriva dans la chambre, et, saisi des objets qui se présentaient à ses yeux, il demeura immobile. Blanche, sans l’apercevoir, continua de parler au roi. Adieu, prince, lui dit-elle, conservez chèrement ma mémoire ; ma tendresse et mes malheurs vous y obligent. N’ayez point de ressentiment contre mon père. Ménagez ses jours et sa douleur, et rendez justice à son zèle. Surtout faites-lui connaître mon innocence ; c’est ce que je vous recommande plus que toute autre chose. Adieu, mon cher Enrique… je meurs… recevez mon dernier soupir.

À ces mots, elle mourut. Le roi garda quelque temps un morne silence. Ensuite il dit à Siffredi, qui paraissait dans un accablement mortel : Voyez, Léontio, contemplez votre ouvrage ; considérez, dans ce tragique événement, le fruit de vos soins officieux et de votre zèle pour moi. Le vieillard ne répondit rien, tant il était pénétré de douleur. Mais pourquoi m’arrêter à décrire des choses qu’aucuns termes ne peuvent exprimer ? Il suffit de dire qu’ils firent l’un et l’autre les plaintes du monde les plus touchantes, dès que leur affliction leur permit de faire éclater leurs mouvements.

Le roi conserva toute sa vie un tendre souvenir de son amante. Il ne put se résoudre à épouser Constance. L’infant don Pèdre se joignit à cette princesse, et tous deux ils n’épargnèrent rien pour faire valoir la disposition du testament de Roger ; mais ils furent enfin obligés de céder au prince Enrique, qui vint à bout de ses ennemis. Pour Siffredi, le chagrin qu’il eut d’avoir causé tant de malheurs le détacha du monde, et lui rendit insupportable le séjour de sa patrie. Il abandonna la Sicile ; en passant en Espagne avec Porcie, la fille qui lui restait, il acheta ce château. Il vécut ici près de quinze années après la mort de Blanche, et il eut, avant que de mourir, la consolation de marier Porcie. Elle épousa don Jérôme de Silva, et je suis l’unique fruit de ce mariage. Voilà, poursuivit la veuve de don Pedro de Pinarès, l’histoire de ma famille, et un fidèle récit des malheurs qui sont représentés dans ce tableau, que Léontio, mon aïeul, fit faire pour laisser à sa postérité un monument de cette funeste aventure.