Dezobry & Magdeleine (p. 102-124).


QUATRIÈME PÉRIODE.
Les Valois jusqu’aux guerres d’Italie,
1328-1494.


Guerre de Cent ans ; elle fonde la nationalité française par la haine de l’étranger. — Établissement d’une armée régulière et d’une solde pour cette armée. — Premières origines du pouvoir politique du Parlement.



CHAPITRE XII


Philippe VI, dit de Valois, 1328-1350. — Jean-le-Bon, 1350-1364. — Charles V, dit le Sage, 1364-1380. — Charles VI, dit le Bien-Aimé et l’Insensé, 1380-1422 — Charles VII, dit le Victorieux, 1422-1461.

185. troisième application de la loi salique. philippe de valois. — état du domaine royal. — À la mort de Charles-le-Bel, trois prétendants réclamèrent la couronne : Philippe, comte de Valois, neveu de Philippe-le-Bel par son père Charles de Valois ; Édouard III, roi d’Angleterre ; petit-fils de Philippe-le-Bel par sa mère Isabelle de France ; enfin, Philippe, comte d’Etveux, qui avait épousé Jeanne, fille de Louis X, déjà exclue du trône en 1316. L’assemblée des Pairs et des grands barons de France décida qu’en vertu de la loi saiique, ni Isabelle ni Jeanne ne pouvaient transmettre un droit qu’elles ne possèdent pas ; Philippe de Valois fut donc élu roi. Il cédai le royaume de Navarre à Philippe d’Evreux, et, depuis cette époque jusqu’à l’avènement de Henri IV les roi de France ne prirent plus le titre de rois de Navarre. Philippe VI est le chef de la branche des Valois, qui s’éteignit en 1589 (v. tabl. généal. IV). Les Valois recueillaient un domaine singulièrement augmenté par les rois Capétiens. À l’Ile-de-France et à l’Orléanais, qu’il comprenait en 987, avaient été ajoutés le Vermandois, le Berry, la Normandie, la Touraine, le Poitou, le Languedoc ; le Lyonnais, la Champagne. Les quatre grands fiefs de Bourgogne, de Bretague, d’Aquitaine et de Flandre, reconnaissaient la suzeraineté du roi de France.

186. commencement de la guerre de cent ans, 1336. — Édouard III vint d’abord prêter hommage au roi de France pour le duché d’Aquitaine ; mais il ne tarda pas à renouveler ses prétentions à la couronne. Alors éclata entre la France et l’Angleterre cette longue guerre, qu’on, appelle la guerre de Cent ans à cause de sa durée ; commencée en 1386 par la révolte de la Flandre, elle ne fut terminée qu’en 1552 par la prise de Bordeaux. On peut la diviser en quatre périodes : la première, marquée par de cruels revers pour la France, s’étend jusqu’à Ia paix de Brétigny (1360) ; la seconde embrasse le règne de Charles V, pendant lequel la France reprend l’avantage et se relève de ses désastres ; la troisième ; nouvelle période de reverss comprend le règne malheureux de Charles VI et les premières années de Charles VII jusqu’à l’apparition de Jeanne d’Arc (1429) ; la dernière, période de succès et de gloire, se termine par l’expulsion définitive des Anglais (1452). La guerre de Cent ans est une guerre véritablement nationale ; il s’agissait en effet pour ïa France de savoir si elle conserverait son indépendance ou si elle deviendrait une province, une annexe de l’Angleterre.

187. hostilités en flandre. — première période de revers. — Les premières hostilités eurent lieu en Écosse et en Flandre. La Flandre, qui recevait de l’Angleterre les belles laines dbnt elfe faisait de riches tissus, était par tous les intérêts de son commerce étroitement attachée à ce pays ; l’Écosse au contraire, dont l’Angleterre menaçait depuis longtemps l’indépendance, devait rechercher l’appui des Français et embrasser leur cause. Pendant qu’Édouard III comprimaitt un soulèvement des Écossais, les cités flamandes s’insurgèrent contre le comte de Flandre, qui violait souvent leurs privilèges. Philippe vint lui-même au secours de son vassal, gagna une bataille sous les murs de Cassel et s’empara de cette ville, que les Flamands regardaient comme imprenable. Ces succès amenèrent la soumission du pays. Mais peu de temps après, une nouvelle révolte éclata. Le brasseur Jacques d’Artevelde, qui la dirigeait, appela Édouard III au secours de sa patrie, et l’engagea à prendre le titre et les armes de roi de France. En même temps, le comte Robert d’Artois, chassé du royaume pour avoir revendiqué le comté d’Artois à l’aide d’un faux testament, et condamné ensuite à mort comme soupçonné d’avoir attenté aux jours du roi, passait en Angleterre, et excitait Édouard à faire une descente en France. La guerre s’ouvrit par la bataille navale de l’Écluse, où les Français furent vaincus. Mais, la même année, Édouard III, après avoir assiégé inutilement Tournai, conclut une trêve d’un an pour aller soutenir ses partisans en Écosse.

188. hostilités en bretagne. — Avant l’expiration de la trêve, la guerre recommença au sujet de la succession de Bretagne. Deux maisons, celle de Monlfort représentée par le frère du feu duc Jean III, et celle de Penthièvre représentée par Charles de Blois, se disputaient le duché devenu vacant. Philippe IV se déclara pour Charles de Blois, qui avait épousé Jeanne de Penthièvre, dite la Boiteuse, nièce du feu duc ; Édouard III prit parti pour Jean de Montfort. La lutte dura 23 ans. Les femmes des deux prétendants y jouèrent un rôle important. L’un des événements les plus mémorables fut le siège d’Hennebon, où Jeanne de Montfort se défendit vigoureusement contre Charles de Blois. La guerre ne se termina que par le traité de Guérande (v. n° 203).

189. invasion d’édouard iii. — En 1345, Édouard III, accompagné de son fils le prince de Galles, et conduit par le sire Geoffroy d’Harcourt, débarqua sur les côtes de la Normandie avec une immense armée, et marcha sur Paris en mettant tout à feu et à sang sur son passage. La bonne contenance de l’armée qui protégeait la capitale l’ayant enrayé, il repassa la Seine, afin de gagner le pays que possédait sa mère autour de Calais. Philippe de Valois se mit à sa poursuite avec une armée qui s’éleva bientôt à cent mille hommes. Édouard III, dont les troupes étaient épuisées et affaiblies par de longues marches, se hâta de battre en retraite. Par une manœuvre habile, il échappa aux Français, et prit position à Crécy, près d’Abbeville, sur le penchant d’une colline qui a voisine la Somme.

190. bataille de crécy. — C’est là que s’engagea le 26 août 1346 la désastreuse bataille qui porte le nom de Crécy. Philippe avait sous ses ordres presque autant de rois et de princes souverains que de chefs et de capitaines. Ses troupes étaient composées en grande partie de chevaliers. Dans son orgueil de gentilhomme, il avait refusé le secours des milices communales, et n’avait pas d’autre infanterie qu’un corps d’archers génois. L’armée anglaise, au contraire, inférieure en nombre de moitié à l’armée française, n’était composée que d’infanterie ; elle avait en outre des canons, dont on fit usage alors pour la première fois en Europe. La noblesse ne voulut suivre dans cette journée aucun ordre, aucun commandement. Les archers génois ayant objecté que les cordes de leurs arcs étaient détrempées par la pluie, et qu’ils ne pouvaient faire usage de ces armes, on leur passa sur le corps pour arriver à l’ennemi. Les Anglais eurent bon marché de ces bandes indisciplinées de brillants seigneurs ; trente mille hommes furent tués ou faits prisonniers. Parmi les morts se trouvaient les ducs de Bourgogne, de Lorraine et d’Alençon, les comtes de Savoie, de Flandre et de Nevers, et le valeureux roi de Bohème, Jean de Luxembourg, qui, étant aveugle, s’était fait conduire au premier rang et y avait vendu chèrement sa vie. Du côté des Anglais, le prince de Galles, plus connu dans l’histoire sous le nom de Prince Noir, à cause de la couleur de son armure, fit des prodiges de valeur, quoiqu’il ne fût âgé que de quinze ans. Philippe, après s’être bien battu, fut entraîné loin du champ de bataille par le comte de Hainaut, et alla demander un asile au château de Broye, lorsque la nuit était déjà close. Comme le châtelain hésitait à le recevoir à cette heure avancée : « Ouvrez, dit-il, c’est l’infortuné roi de France. »

191. siege de calais, 1347. dévouement d’eustache de saint-pierre. — À la suite de cette bataille, Édouard III marcha sur Calais, qui était pour ainsi dire la clef de la France. Cette ville ne se rendit qu’après un siège d’une année, et lorsque la famine l’y contraignit. Édouard III voulait d’abord passer tous les habitants au fil de l’épée, pour les punir de leur héroïque résistance. Mais il consentit à épargner la ville à condition que six des plus notables bourgeois viendraient en chemise, nu-pieds et la corde au cou, lui offrir les clefs de la ville, et subiraient ensuite le dernier supplice. La France doit être fière de ses enfants, car toutes les fois que leur dévouement a été nécessaire à la patrie, il ne lui a pas fait défaut. Il se trouva dans Calais six généreux citoyens qui se dévouèrent à la mort pour le salut commun, Eustache de Saint-Pierre s’offrit le premier, et son exemple en entraîna cinq autres, dont l’histoire n’a pas conservé tous les noms, mais à qui elle gardera toujours un reconnaissant souvenir. Quand les six victimes furent arrivées dans la tente du roi d’Angleterre, Édouard ordonna qu’on fit venir le bourreau. Les prières de la reine d’Angleterre, Philippine de Hainaut, qui se jeta tout éplorée aux genoux de son mari, obtinrent leur grâce et leur liberté. Édouard III avait pris Calais le 4 août 1347 ; la ville fut peuplée d’Anglais, et ne redevint française que deux siècles plus tard (voir n° 284).

192. peste de florence, 1348. — les flagellants. — établissement de la gabelle. — Une trêve interrompit la guerre entre les deux pays ; mais la France fut ravagée par une peste horrible, connue sous le nom de peste de Florence, qui parcourut aussi, à ce qu’on assure, les autres contrées de l’Europe ainsi que l’Asie et l’Afrique. À ce fléau vinrent se joindre la famine, le massacre des Juifs et les folies des Flagellants, espèce de fanatiques qui parcouraient demi-nus les campagnes, se déchirant le corps à coups de verges, pour apaiser, disaient-ils, la colère de Dieu. Les maux du pays furent aggravés par de nouvelles charges publiques et par l’établissement de la gabelle ou impôt sur le sel. C’est à ce propos que le roi d’Angleterre, par un mauvais jeu de mots, appelait Philippe VI le vrai roi salique ; à quoi Philippe répondait, en désignant Édouard sous le nom de marchand de laine, parce que l’Angleterre faisait un grand commerce de laine avec la Flandre.

193. Accroissements du domaine royal. — Malgré tous les malheurs qu’éprouva la France sous son règne, Philippe VI augmenta d’une manière remarquable le domaine royal. Par son avènement, il y avait réuni les duchés de Valois, d’Anjou et du Maine ; la Champagne et la Brie avaient été acquises par le traité qui laissait la Navarre à Philippe d’Evreux ; enfin le comté de Montpellier fut acheté en 1349, et le dauphin du Viennois Humbert II céda la même année le Dauphiné à la couronne, à condition que le fils aîné des rois de France prendrait le nom de Dauphin.

194. jean-le-bon. — charles-le-mauvais. — Philippe de Valois mourut en 1350 et eut pour successeur son fils aîné, Jean surnommé le bon, c’est-à-dire le brave. Le nouveau roi n’était pas homme à guérir les plaies de l’État. Brave et loyal, mais emporté, orgueilleux et prodigue, il souilla les commencements de son règne par le supplice du connétable Raoul, comte d’Eu, qui, sous prétexte de trahison, fut mis à mort sans jugement. Le nouveau connétable Charles de Lacerda, favori du roi, ayant été assassiné par le roi de Navarre Charles-le-Mauvais, petit-fils de Louis-le-Hutin, Jean surprit le meurtrier dans un banquet à Rouen, l’emprisonna et fit décapiter sur-le-champ cinq de ses complices. De pareilles violences, qui rappelaient les plus mauvais temps de la barbarie et qui donnaient au peuple de déplorables exemples, jetèrent le roi de Navarre dans le parti des Anglais.

195. bataille de poitiers ; captivité du roi, 1356. — La trêve de 1348 venait d’être rompue. Pendant que le roi d’Angleterre envahissait l’Artois, le Prince Noir, son fils, descendait en Guienne. Jean, ayant obtenu des subsides considérables des États-Généraux, que la pénurie de son trésor lavait forcé de réunir, leva une armée nombreuse et marcha en personne contre le Prince Noir. Il rencontra les Anglais dans le champ de Maupertuis, près de Poitiers. Comme à Crécy, l’ennemi était inférieur en nombre, surpris à l’improviste et fatigué par de longues marches. En observant de près ses mouvements, il était facile de l’affamer et de le forcer à se rendre. Mais le roi Jean voulait une grande bataille ; il repoussa toutes les propositions d’accommodement. Comme à Crécy, les seigneurs s’élancèrent étourdiment sans combiner l’attaque, se firent tuer par les flèches des archers anglais presque sans avoir combattu, et ils empêchèrent l’infanterie d’agir. Le roi lui-même, après des prodiges de valeur, fut enveloppé et obligé de se rendre avec son quatrième fils, le jeune Philippe, qui ne l’avait pas quitté ; il remit son épée à un gentilhomme français au service de l’Angleterre. Le Prince Noir s’honora par sa modération. Lorsqu’on lui amena son royal prisonnier, il mit un genou en terre et lui prodigua toutes sortes de marques de respect ; il voulut le servir lui-même à table. Il l’emmena ensuite à Bordeaux, et de là à Londres.

196. régence du dauphin. états-généraux de 1356. — En l’absence du roi, le dauphin Charles, qui fut depuis Charles V, fut déclaré lieutenant général du royaume. Il se hâta de réunir les États-Généraux, pour leur demander de nouveaux sacrifices, et il conclut avec les Anglais la trêve de Bordeaux. Le roi Jean avait promis en 1355 de réformer les abus et d’aviser à une égale répartition des impôts ; mais ces promesses n’avaient point été accomplies. Les États-Généraux, réunis le 17 octobre 1356, se montrèrent plus exigeants et plus difficiles envers le Dauphin. Ce prince n’était pas populaire ; il avait été un des premiers à s’enfuir du champ de bataille à Poitiers. On ne lui accorda de subsides qu’à de dures conditions : vingt-deux des officiers du roi, réputés ennemis du peuple, durent être renvoyés et remplacés par un conseil de régence, dont les membres étaient élus par les États. Le pouvoir royal se trouvait ainsi annulé de fait au profit des États-Généraux.

197. conspiration d’étienne marcel. — La fermentation causée par la présence et par les débats des États Généraux se continua même après leur séparation. Paris était en feu : Charles-le-Mauvais aspirait à la couronne, et les chefs de la bourgeoisie, les deux personnages les plus Influents de la dernière assemblée, Etienne Marcel, prévôt des marchands, et Robert Le Coq, évêque de Laon, secondaient les projets du roi de Navarre, comptant se servir de son appui contre la royauté et dans l’intérêt du Tiers-État. Pour atteindre leur but, ils ne reculèrent pas devant le crime : Marcel pénétra dans le palais à la tête de ses partisans, et massacra, sous les yeux mêmes du Dauphin, les maréchaux de Champagne et de Normandie. Le sang de ces deux officiers jaillit jusque sur les vêtements de Charles, tant il était près d’eux, et il fut contraint de se coiffer du chaperon moitié rouge et moitié bleu, qui était le signe distinctif des révoltés. À la suite de cette émeute, le Dauphin sortit de Paris, où Marcel resta le maître. Il allait en ouvrir les portes au roi de Navarre et à son armée, quand il fut assassiné par Jean Maillard, l’un des chefs du parti royaliste. Le Dauphin rentra aussitôt et comprima les derniers mouvements de la sédition.

Ainsi échoua la tentative faite par les États-Généraux pour soumettre la royauté à leur contrôle. Toutefois on doit reconnaître que, sous la direction et l’inspiration de Marcel, les États de 1356 introduisirent dans l’administration générale du royaume de sages et heureuses modifications.

198. la jacquerie. — les malandrins, les routiers, etc. — Ce n’étaient pas là les seuls embarras du Dauphin. Le royaume et surtout les environs de la capitale étaient alors désolés par une révolte générale du peuple contre la noblesse. Ruiné par les Anglais, le peuple se voyait en outre pillé et rançonné sans pitié par les seigneurs qui auraient dû le défendre, « Jacques Bonhomme (c’était le nom que l’on donnait par dérision au paysan), Jacques Bonhomme crie, disait la noblesse ; mais Jacques Bonhomme payera. » Au lieu de payer, le paysan, poussé à bout et mourant de faim, s’arma, égorgea, incendia. À cette guerre des paysans qu’on appelle la Jacquerie se joignirent bientôt les pilleries des soldats qui furent licenciés après là conclusion de la paix ; se voyant privés d’une solde régulière, ils dévastèrent le pays, sous le nom de Malandrins, Routiers, Tard-venus etc. ; et il fallut les combattre en règle comme on combattait l’ennemi.

199. paix de brétigny, 1380. — La guerre contre l’Angleterre se termina par la paix signée à Brétigny, près de Chartres. Aux termes de ce funeste traité, la Guienne, le Poitou, la Saintonge, le Limousin, le Périgord, l’Angoumois, Calais et le pays voisin furent abandonnés à l’Angleterre, et Édouard renonça à ses prétentions sur la couronne de France, sur la Normandie, la Touraine, le Maine et l’Anjou. Le roi Jean devait payer en six ans trois millions d’écus d’or pour sa rançon. À ces conditions, il quitta la Tour de Londres, où il était retenu prisonnier, pour revenir en France ; mais son deuxième fils le duc d’Anjou devait rester en otage Jusqu’à ce qu’on eût fourni la somme stipulée.

200. Seconde maison ducale de Bourgogne. — Ordes de l’Étoile. — De retour dans ses États, Jean donna en apanage à son quatrième fils Philippe, surnommé le Hardi, le duché de Bourgogne, devenu vacant par la mort de Philippe de Rouvres, en qui venait de s’éteindre (1361) la maison ducale issue de Robert de France, frère du roi Henri Ier Philippe-le-Hardi devint ainsi la tige de cette seconde maison des ducs de Bourgogne, qui devait jouer un rôle si important avec Jean-sans-Peur, Philippe-le-Bon et Charles-le-Téméraire. — Le roi Jean a fondé le plus ancien ordre de chevalerie qui ait existé en France, celui de l’Étoile.

201. avénement de charles v. — Le duc d’Anjou s’ètant enfui de Londres en 1364 sans que la rançon de son père fût payée, Jean-le-Bon alla se constituer de nouveau prisonnier, disant que « si la bonne foi et la justice étaient bannies du reste de la terre, elles devraient se trouver dass le cœur des rois. » il mourut la même année. Le Dauphin lui succéda sous le nom de Charles V.

202. Caractère du nouveau roi. — Charles avait acquis, avant de monter sur le trône, une grande expérience des hommes et des choses. Les malheurs de sa régence avaient mûri son esprit avant l’âge. C’était un prince maladif, dont la santé avait été, dit-on, altérée par un poison que lai avait donné Charles-le-Mauvais. Les chroniqueurs nous le représentent enfermé dans son palais, au milieu des astrologues, des savants et des livres. Il s’appliqua à relever la fortune de la France, et il y réussit avec l’aide du chevalier breton Bertrand Duguesclin, qu’il attira et attacha à son service.

203. traités de saint-denis et de guérande. — duguesclin en espagne. — Les commencements de son règne furent marqués par deux traités importants. La victoire de Cocherel, remportée par Duguesclin sur les troupes du roi de Navarre, la veille du jour où Charles V fut sacré à Reims, et la bataille d’Auray en Bretagne, où le prétendant Charles de Blois fut tué et le héros breton fait prisonnier, décidèrent en 1365 la conclusion des traites de Saint-Denis et de Guérande. Le premier stipula la renonciation de Charles-le-Mauvais à ses prétentions sur la couronne de France. Le second consacra les droits de la maison de Montfort, et mit ainsi fin à la longue et sanglante guerre de la succession de Bretagne. Duguesclin, rendu à la liberté, fut chargé de délivrer la France du fléau des Grandes compagnies : on désignait ainsi la réunion de ces bandes de pillards que le licenciement des armées avait jetées sur les campagnes ; le nombre en grossissait tous les jours. Il les conduisit en Espagne contre Pierre-le-Cruel, à qui son frère Henri de Transtamare disputait le royaume de Castille, et assura le triomphe de ce dernier.

204. suite de la guerre de cent ans. — première période de succès. — Les hostilités avec l’Angleterre furent reprises en 1368. Les nobles de Gascogne ayant porté plainte au roi de France, leur premier suzerain, contre les exactions du prince de Galles, à qui Édouard III son père avait donné le gouvernement de la Guienne, Charles V saisit volontiers ce prétexte de renouveler la guerre. Le prince Noir fut cité à comparaître devant la cour des Pairs. Il répondit fièrement qu’il ne viendrait que le bacinel (casque) en tête, avec dix mille hommes en sa compagnie. Charles fit prononcer la confiscation de la Guienne, et envoya déclarer la guerre au vieux roi d’Angleterre. Il avait compris que la valeur inconsidérée de notre chevalerie avait presque seule causé les malheurs de Grécy et de Poitiers : il avait donc résolu d’éviter désormais les grandes batailles. Ses gens avaient ordre de harceler l’ennemi par de continuelles escarmouches, et de dévaster le pays sur son passage afin de l’affamer. Par ce nouveau système de guerre, le roi, sans sortir de son palais, parvint à reconquérir ce que ses prédécesseurs avaient perdu par d’imprudentes batailles.

205. duguesclin connétable. — La guerre se fit tout d’abord au nord et au sud en même temps. Le prince Noir était dans le midi ; Robert Knolles descendit au nord avec une immense armée. On le laissa s’avancer à travers un pays déjà ruiné, dans lequel, ne trouvant ni villes ni châteaux fortifiés, il ne put brûler qu’un petit nombre de mauvais villages. « Vous n’avez que faire d’employer vos gens contre ces enragés, disait Clisson au roi ; ils ne vous mettront pas hors de votre héritage avec toutes ces fumières (incendies). » Duguesclin, que le roi venait de créer connétable, suivit seulement l’armée anglaise d’assez près, pour l’inquiéter sans cesse et l’affaiblir par de petits combats. La famine et les maladies achevèrent son œuvre ; et bientôt cette armée, qui venait de traverser une partie de la France, se trouvant réduite à un petit nombre de soldats mal armés, se dispersa presque sans avoir pu combattre. Duguesclin prit l’Aunis, la Saintonge et le Poitou, pendant qu’une flotte castillane, venue au secours de la France, battait les Anglais sur mer à la hauteur de la Rochelle. Le prince Noir, atteint d’une maladie de langueur, était hors d’état de tenir tête au connétable ; bientôt même il fut obligé de retourner à Londres, où il mourut un an avant son père (1376).

206. nouveaux succès et mort de duguesclin. — mort du roi. — La guerre recommença en 1377, après une courte trêve pendant laquelle Édouard III descendit lui-même au tombeau. Une nouvelle armée, non moins considérable que la précédente, débarqua à Calais avec trente mille chevaux ; on la laissa traverser encore sans grande bataille tout le pays de Calais à Bordeaux. En arrivant dans cette ville, elle avait perdu tous ses chevaux, et elle était réduite au tiers de ses soldats. Enfin, les Anglais ne possédaient plus en France que les places maritimes de Calais, Brest, Bordeaux et Bayonne, quand Duguesclin mourut en assiégeant Châteauneuf de Randon[1], que défendait une garnison dévouée aux Anglais. Cette place, après avoir soutenu plusieurs assauts, avait promis de se rendre, si elle n’était secourue dans un délai de quinze jours. La mort du connétable survint dans cet intervalle. Mais le gouverneur n’en fut pas moins fidèle à sa parole, et, au terme fixé, n’ayant pas reçu de renforts, il vint loyalement déposer les clefs de la place sur le cercueil de Duguesclin. Charles V mourut deux mois après son fidèle serviteur.

207. Administration de Charles V. — Non-seulement ce prince avait prévenu le retour de grands désastres comme ceux de Crécy et de Poitiers, en s’entourant de généraux tels que Duguesclin, Olivier de Clisson et Boucicaut, et en adoptant un nouveau système de guerre ; mais il sut aussi réparer les maux de la France par son habile administration. Il fut secondé dans cette noble tâche par des ministres tirés de la bourgeoisie, Bureau de la Rivière, Philippe de Savoisy, Hugues Aubriot et d’autres. Le grand nombre et l’importance de ses ordonnances témoignent du soin et de l’activité avec lesquels il chercha à fortifier l’autorité royale aux dépens de la noblesse : interdiction des guerres privées, substitution définitive des légistes aux barons dans le Parlement, qu’il rendit perpétuel[2] ; levée régulière des impôts, bonne administration des revenus de l’État, justice rendue gratuitement aux pauvres, stabilité du taux des monnaies si souvent altérées par ses prédécesseurs, création d’une marine militaire et d’une marine marchande pour favoriser les progrès du commerce extérieur, encouragements à l’agriculture et à l’industrie, il porta sur toutes les branches du gouvernement son attention et ses réformes. Sa loi sur la régence et la tutelle des rois, dont il fixa la majorité à 14 ans, est surtout célèbre. La défiance qu’il avait conçue contre les États-Généraux lui fit repousser systématiquement l’intervention de ces assemblées dans les affaires du pays : il évita avec soin de les convoquer, et leur substitua les lits de justice, ou séances solennelles du Parlement présidées par le roi.

208. Lettres et Arts. — Les lettres et les arts furent aussi encouragés par Charles V. L’hôtel Saint-Paul, qu’il fit construire prés de la Seine, sur l’emplacement actuelle la rue Saint-Antoine à Paris, était sa résidence ordinaire ; il le préférait au Louvre, qui était enfermé dans l’enceinte de Paris depuis Philippe-Auguste, mais qui était plutôt une forteresse qu’un palais. Une foule d’églises et de palais furent élevés ou embellis : on construisit la Bastille, les châteaux de Melun, de Beauté près Vincennes, et de Saint-Germain. Charles est surtout considéré comme le fondateur de la Bibliothèque ; car il réunit jusqu’à 900 volumes dans la tour du Louvre appelée la Tour de la librairie ; il n’y en avait qu’une vingtaine sous le roi Jean. Les savants et les hommes de lettres l’approchaient facilement ; il admit à sa cour le fameux astrologue Thomas de Pisan, dont la fille Christine a écrit l’histoire de Charles V. C’est à cette époque aussi que vécut le chroniqueur Froissart.

209. Grand schisme d’Occident, 1378. — Les dernières années de Charles V furent marquées au dehors par un événement qui eut de graves conséquences pour la France. Les six papes, tous français, qui avaient résidé à Avignon depuis 1309, placés sous l’influence du roi de France, avaient servi ses intérêts dans toutes les questions politiques, où ils pouvaient utilement intervenir. Le dernier d’entre eux étant retourné à Rome et y étant mort en 1378, sa succession fut partagée entre deux compétiteurs, un pape italien élu à Rome et un pape français élu à Avignon ; cette double élection donna naissance au grand schisme d’Occident, à cette nouvelle captivité de Babylone, qui dura 70 ans (1378-1449). La France, en se déclarant pour le pape français que rejetait la plus grande partie de la chrétienté, se plaça dans une fausse situation, qui fut souvent pour elle une source de graves embarras.

210. minorité de charles vii. — révoltes populaires ; les maillotins. — Charles VI, qui succéda à son père, n’était âgé que de douze ans. Ses trois oncles, les ducs d’Anjou, de Berry et de Bourgogne se disputèrent la régence. Le duc d’Anjou, qui était l’aîné, fut chargé de la tutelle ; il commença par piller le trésor qu’avait amassé le feu roi, et il le dépensa dans les préparatifs d’une expédition contre le royaume de Naples, qu’il réclamait en qualité d’héritier de la maison d’Anjou[3]. Puis il établit au nom du roi de nouveaux impôts. Ces exactions ne tardèrent pas à exciter des révoltes. Ce fut Paris qui donna le signal. La patience du peuple était à bout ; on le savait si bien, qu’on eut recours à la ruse pour faire proclamer la taxe. Le dernier jour de février 1382, un homme monta à cheval, sonna de la trompette pour attirer les curieux, et quand la foule fut nombreuse, il annonça qu’on avait volé la vaisselle du roi ; puis profitant de l’émoi causé par cette nouvelle, il ajouta qu’on commencerait le lendemain la perception de l’impôt, et s’enfuit à toute bride au milieu des malédictions populaires et des pierres qu’on lui jeta. Le 1er mars, il y eut un grand rassemblement aux halles. Un percepteur y ayant voulu exiger l’impôt d’une pauvre femme qui vendait du cresson, fut assailli par la multitude et lâchement égorgé. Les mutins se répandirent aussitôt dans tous les quartiers, pénétrèrent dans l’Hôtel-de-Ville, y enlevèrent les poignards, les épèes, les armes toute sorte qui s’y trouvaient, et jusqu’à des maillets de plomb : ce qui leur a fait donner le nom de Maillotins. Ainsi armés, ils commirent les excès les plus coupables et devinrent pendant quelques jours la terreur de la ville. Leur exemple fut suivi à Rouen, à Compiègne et dans plusieurs villes de la Picardie. Le roi châtia les rebelles en faisant jeter leurs principaux chefs à la rivière, dans des sacs de cuir, et en retirant aux villes quelques-unes de leurs libertés : ce fut là, le seul résultat de l’émeute.

211. guerre de flandre ; bataille de roosebeke, 1382. — En même temps le duc de Bourgogne, qui avait épousé la fille du comte de Flandre, décidait le jeune roi à aller combattre les Flamands révoltés contre leur seigneur. Charles VI, secondé par le connétable Olivier de Clisson, qui avait remplacé Duguesclin, gagna la bataille de Roosebeke. Cette victoire coûta la vie au chef des rebelles, Philippe d’Artevelde, et décida de la sou-mission des Flamands.

212. suite de la guerre de cent ans. — seconde période de revers. — vovage du roi dans le midi. — Charles VI, enhardi par ces succès, projeta une descente en Angleterre ; mais l’ègoïsme et la lenteur des ducs d’Orléans et de Berry firent perdre l’occasion favorable. Les Anglais eurent le temps ne venir brûler la flotte française rassemblée au port de l’Écluse. Une trêve de trois ans suivit cette funeste tentative. Le roi, devenu majeur, entreprit un voyage dans le midi pour mettre un terme aux exactions du duc de Berry, qui s’y faisait détester. Il retira à son oncle le gouvernement de la Guienne, et réprima les soulèvements partiels qui y avaient eu lieu.

213. démence du roi, 1392. — La sagesse et la fermeté du jeune roi faisaient bien augurer de son règne ; un funeste événement vint détruire ces espérances légitimes. Pierre de Craon, ayant attenté à la vie du connétable de Clisson, se réfugia en Bretagne. Le duc de ce pays Jean V refusa de livrer l’assassin à la justice du roi. Charles VI résolut de tirer vengeance de ce double affront, et se mit en marche pour la Bretagne avec une armée. Comme il traversait la forêt du Mans, par une journée dont la chaleur était étouffante, un homme d’une haute taille, couvert de haillons, l’air défait et les cheveux épars, s’élance tout à coup du taillis vers le roi, et saisissant la bride de son cheval : « Noble roi, s’écrie-t-il, ne chevauche pas plus avant ; on te trahit ! » On arrête cet homme, on l’éloigne, et l’armée reprend sa marche en silence. Mais quelques instants après, un page ayant laissé tomber son épèe à terre, le bruit du fer réveille le roi comme d’un profond assoupissement ; il tire son épée, lance son cheval à travers toute sa suite, blesse ou tue ceux qu’il rencontre. C’est à peine si l’on put le saisir par derrière, le garrotter et le ramener sur une charrette à la ville du Mans, où il resta deux jours sans connaissance. Il était fou à l’âge de 24 ans, et il avait encore trente ans à régner.

214. les oncles du roi s’emparent de l’autorité. — bataille de nicopolis. — Le duc d’Anjou était allé mourir en Italie, en voulant s’assurer la possession du royaume de Naples. Les ducs de Berry et de Bourgogne s’attribuèrent la régence à l’exclusion de Louis, duc d’Orléans, frère de Charles VI. Ils disgracièrent les anciens ministres, qu’ils qualifiaient du nom de marmousets, et ôtèrent à Clisson l’épée de connétable. Ils n’usèrent de l’autorité que pour accroître leurs richesses. La France dut cependant à leur administration dix années non pas de bonheur, mais de repos, pendant lesquelles les chevaliers français allèrent avec Jean-sans-Peur, comte de Nevers, défendre la Hongrie contre les Turcs, et furent tués ou faits prisonniers à la bataille de Nicopolis (1396).

215. misère et abandon du roi. — Quant au malheureux roi, délaissé par ses oncles et par la reine elle-même, l’indigne Isabeau de Bavière, il manquait souvent des choses les plus nécessaires ; à peine lui donnait-on de quoi changer de linge et de vêtements. Dans les premiers temps de sa maladie, on avait essayé de le guérir en l’entourant de distractions, de fêtes et d’amusements. Mais cet essai même eut les plus funestes conséquences. Une mascarade, donnée par la reine à l’hôtel royal de Saint-Paul, faillit coûter la vie à Charles VI. Le roi et cinq jeunes seigneurs y parurent déguisés en satyres, à l’aide de toiles enduites de poix et couvertes d’étoupes. Le feu prit aux costumes de ces jeunes seigneurs et ils furent brûlés vifs ; le roi ne dut la vie qu’à la présence d’esprit de la jeune duchesse de Berry, qui le sauva en le couvrant de sa robe ; mais la frayeur qu’il éprouva rendit sa folie incurable. C’est, dit-on, pour charmer ses ennuis que furent inventées les cartes à jouer.

216. guerre civile ; bourguignons et armagnacs. — Les maux du royaume furent aggravés par la sanglante rivalité qui divisa le duc d’Orléans et le nouveau duc de Bourgogne Jean-sans-Peur, fils et successeur de Philippe-le-Hardi. Cette rivalité commença une longue période de guerres civiles, marquée par les crimes les plus odieux. En 1407, Jean-sans-Peur fit traîtreusement assassiner son rival pendant la nuit, lorsqu’il sortait de l’hôtel Saint-Paul où il avait passé la soirée. La France se partagea aussitôt en deux camps, les Bourguignons et les Armagnacs : le parti de Jean-sans-Peur fut celui des bourgeois de Paris et de l’Université ; Charles d’Orléans et ses deux frères, fils du duc assassiné, eurent pour eux Isabeau de Bavière, la cour et le comte d’Armagnac, chef de toute la petite noblesse du sud de la France, dont le jeune Charles épousa la fille[4]. Les Bourguignons dominèrent d’abord dans Paris, où ils organisèrent la milice des Cabochiens ou Écorcheurs, sous la conduite du bourreau Capeluche. Mais en 1413, les Armagnacs, profitant de l’horreur qu’inspiraient les crimes de ces misérables, s’emparèrent de la capitale et firent un massacre général des Bourguignons. Les deux partis semblaient rivaliser de férocité.

217. bataille d’azincourt, 1415. — La nécessité de défendre la France contre les étrangers suspendit pour quelque temps ces atroces représailles. En 1415, le roi d’Angleterre Henri V envahit la France à la tête d’une puissante armée, et s’avança jusqu’au petit village d’Azincourt, situé sur la route de Hesdin à Saint-Omer. Là se livra une bataille aussi funeste que l’avaient été celles de Crécy et de Poitiers. Les mêmes fautes amenèrent une défaite non moins sanglante ; huit mille gentils-hommes perdirent la vie à la journée d’Azincourt ; le jeune duc d’Orléans fut au nombre des prisonniers.

218. suite de la guerre civile. — La captivité de ce prince, qui devait durer vingt-cinq ans, n’affaiblit pas son parti. Le comte d’Armagnac devint connétable, et la guerre civile recommença avec un nouvel acharnement. Les Bourguignons reprirent d’abord l’avantage, et rentrèrent dans Paris (1418), par la trahison de Perinet Leclerc, gardien de l’une des portes de la ville. Isabeau de Bavière s’unit à eux, et ils égorgèrent dans les prisons le comte d’Armagnac et tous ses partisans. Mais l’année suivante, le duc de Bourgogne ayant accepté une entrevue au pont de Montereau avec le dauphin Charles, sous prétexte d’une réconciliation solennelle, y fut traîtreusement assassiné par Tanneguy Duchâtel.

219. traité de troyes, 1420. — mort des rois de france et d’angleterre. — Ce nouveau crime jeta dans le parti des Anglais son fils et successeur Philippe-le-Bon. Le duc de Bourgogne et Isabeau firent signer au pauvre insensé, qui portait le titre de roi de France, le honteux traité de Troyes, par lequel il déshéritait son propre fils, et donnait au roi dlAngleterre, avec la main de sa fille Catherine de France, le titre de régent du royaume et d’héritier de la couronne. Le dauphin, dépouillé par son père et par sa mère, en appela à Dieu et à son épée. La mort presque simultanée de Henri V et de Charles VI prépara tout à coup de nouvelles destinées à la France (1422).

220. henri vi et charles vii proclamés rois. — Aux ternes du traité de Troyes, le fils de Henri V fut proclamé roi de France et d’Angleterre à Paris et à Londres, sous le nom de Henri VI. Mais le dauphin se fit couronner à Poitiers, sous le nom de Charles VII. Il avait à conquérir une bonne moitié de son royaume occupée les Anglais ; et cependant, laissant le connétable de Richemont combattre à sa place, il ne s’occupait que de plaisirs, perdant gaiement son royaume comme lui disait La Hire, un de ses plus vaillant capitaines. 221. siège d’orléans, 1428. — Les Anglais étaient partout vainqueurs, à Crevant sur l’Yonne, à Verneuil près d’Evreux, et leurs succès avaient presque réduit Charles VII au territoire de Bourges : aussi l’appelaient-ils par dérision le roi de Bourges. La seule place qui le défendit encore contre une invasion, Orléans, était assiégée. Si Charles laissait succomber cette ville, Bourges était pris infailliblement, et le roi de France n’avait plus d’asile dans son royaume. Dunois, Xaintrailles, La Hire s’étaient enfermés dans Orléans ; mais déjà les vivres leur manquaient ; déjà l’on parlait de se rendre, quand une jeune fille de dix-huit ans vint sauver la France.

222. seconde période de succes. — jeanne d’arc, 1429-1431. — Née à Domremy, petit village sur la frontière de la Lorraine et de la Champagne, dans l’ancien bailliage de Vaucouleurs, Jeanne d’Arc, fille d’un simple cultivateur, avait grandi au milieu des combats que se livraient sans cesse, dans ce malheureux pays, Anglais, Bourguignons et Armagnacs. Souvent elle avait vu ses frères revenir tout sanglants de quelque engagement contre un parti anglais, ou les habitants du village voisin fuir devant le pillage et l’incendie ; et elle avait puisé dans ce spectacle une ardente pitié pour le royaume de France. « Le cœur me saigne, disait-elle, quand je vois le sang d’un Français. » Simple de mœurs et d’un caractère fort doux, mais douée d’une imagination vive, elle avait une foi sincère qui s’alliait fort bien avec son amour pour la patrie et sa haine pour l’étranger. Dès l’âge de dix-sept ans, elle avait eu plus d’une fois des visions célestes. C’étaient, selon son témoignage, sainte Catherine, sainte Marguerite et saint Michel, qui lui étaient apparus et lui ordonnaient d’aller délivrer Orléans assiégé, et de faire sacrer le dauphin Charles VII à Reims. Malgré l’opposition de ses parents et la difficulté de l’entreprise, elle se présenta devant le sire de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, et elle obtint d’être envoyée vers le roi, qui tenait alors sa cour à Chinon. Elle annonça à Charles et lui prouva qu’elle était envoyée de Dieu pour le sauver, et elle se fit confier le commandement de l’armée. Tout ce qu’elle avait promis s’exécuta.

223. délivrance d’orléans. — À la tête de l’armée qu’elle enflamma de son enthousiasme, on la vit rompre les rangs des Anglais, faire pénétrer des vivres dans Orléans, y entrer elle-même, disperser les assiégeants, les poursuivre jusqu’à Patay, où elle les battit encore, et s’emparer de Beaugency. Le siège d’Orléans avait duré sept mois, du 15 octobre 1428 au 8 mai 1429 ; et dix jours avaient suffi à Jeanne pour accomplir cette délivrance miraculeuse, qui lui a valu le surnom de Pucelle d’Orléans. Le dimanche 8 mai, au moment où les Anglais abandonnaient toutes leurs positions au midi de la Loire, elle fit dresser un autel dans la plaine, et l’on y chanta presque en leur présence une messe d’action de grâces. Ce jour est resté une fête pour Orléans ; on le célèbre çar une procession solennelle du clergé de toutes les paroisses, à laquelle assistent les autorités de la ville, les troupes de la garnison et une foule considérable.

224. sacre de charles vii. — Il fallait profiter de l’effroi des Anglais pour marcher sur Reims. Les ennemis avaient commis la faute de ne point faire sacrer Henri VI. Il s’agissait de les devancer ; car, dans ces temps de désordre et d’anarchie, où toutes les notions du juste et de l’injuste, où tous les droits étaient confondus, la religion seule avait conservé quelque empire sur les esprits, et celui qui, par la cérémonie du sacre, deviendrait le premier l’élu de Dieu, l’oint du Seigneur, devait être définitivement le légitime roi de France. Quoique la longue route qui sépare Orléans de Reims fût occupée par de nombreux ennemis, Jeanne se mit en marche avec l’armée française, et partout elle fut victorieuse. Jeanne était entrée dans Orléans le 29 avril 1429 ; le sacre de Charles VIIeut lieu à Reims le 17 juillet de la même année. Elle assista à la cérémonie avec son étendard déployé. « Il avait été, disait-elle, à la peine ; c’était justice qu’il fût à l’honneur. »

225. procès et mort de jeanne d’arc. — La mission de Jeanne était finie ; elle voulut se retirer et regagner son village. On la retint malgré elle, et désormais elle n’éprouva que des malheurs. Blessée au siège de Paris, elle fut prise devant Compiègne le 24 juin 1430. Un gentilhomme bourguignon, Jean de Ligny, l’acheta à celui qui l’avait prise, et la vendit aux Anglais, qui l’enfermèrent à Rouen, et lui firent son procès comme sorcière et hérétique. Ses juges voulaient la prendre par ses parlotes, et lui faire dire quelque mot hérétique. Mais ses réponses claires, simples et d’un sublime bon sens, déjouèrent tous les pièges qu’on lui tendit : « L’espérance de vaincre était-elle fondée en votre étendard ou en vous ? — Elle était fondée en Notre-Seigœur et non ailleurs. — Faisiez-vous croire aux troupes françaises que cet étendard portait bonheur ? — Je ne faisais rien croire, je disais aux soldats français : Entrez hardiment au milieu des Anglais, et j’y entrais moi-même. — Dieu déteste-il les Anglais ? — De l’amour ou haine que Dieu à pour les Anglais et ce qu’il fait de leurs âmes, je m’en sais rien ; mais je sais bien qu’ils seront mis hors de France, sauf ceux qui y périront. » On la déclara néanmoins coupable de sorcellerie, afin de faire passer toutes ses victoires pour l’œuvre du diable. On la somma d’abjurer ses erreurs ; ce qu’on lui demandait comme abjuration, était peu de chose : ne plus porter d’habit d’homme, renoncer aux armes et laisser croître ses cheveux. Elle signa d’une croix ; mais, comme elle ne savait pas lire, il se trouva qu’elle signait une déclaration par laquelle elle se reconnaissait dissolue, hérétique, schismatique idolâtre, séditieuse, invocatrice des démons et sorcière. Elle fut donc condamnée à la captivité perpétuelle. Ce châtiment ne suffisant pas encore aux Anglais, on trouva moyen de lui faire revêtir pour un moment des habits d’homme, et, surprise en cet état par des témoins apostès, elle fut condamnée au feu comme relapse. La sentence fut exécutée sur la place du Vieux-Marché à Rouen. Jeanne expira en prononçant le nom de Jésus, 30 mai 1431.

226. fin de la guerre de cent ans, 1452. — Un secrétaire du roi d’Angleterre disait tout haut en revenant du supplice : « Nous sommes perdus ! nous avons brûlé une sainte ! » En effet, le sang de Jeanne d’Arc retomba sur les Anglais. Chartres et beaucoup de villes au nord de la Loire leur furent enlevées. Bientôt le duc de Bourgogne conclut avec Charles VII le traité d’Arras (1435) et s’attacha désormais à la cause du roi, qui était celle de la France. Enfin Charles VII lui-même, rappelé à ses devoirs par les reproches et les conseils d’Agnès Sorel, renonça aux plaisirs pour les combats. Le connétable de Richetnont et Dunois ayant chassé les Anglais de Paris, il y fit son entrée l’année suivante. La guerre, suspendue par une trêve de cinq ans, fut reprise en 1448. La Normandie et la Guienae furent reconquises à la suite des victoires de Formigny et de Castillon, et la prise de Bordeaux en 1452 ne laissa plus aux Anglais, dans tout le royaume, que la ville de Calais. Ainsi se termina la guerre de Cent ans.

227. la praguerie. — mort du roi. 1461. — Les dernières années de Charles VII furent attristées par la révolte de son fils le dauphin Louis, qui trouva un appui dans les grands vassaux, et surtout dans le duc de Bourgogne. Cette révolte, désignée sous le nom de Praguerie[5], et la conduite du dauphin à l’égard de son père, causèrent un chagrin si profond à Charles VII, qu’il se laissa, dit-on, mourir de faim, de peur d’être empoisonné par son propre fils.

228. Administration de Charles VII. — Charles VII avait préparé ses victoires par l’établissement d’une armée régulière. Une taille perpétuelle ou impôt permanent était destiné à fournir la solde de cette armée. Il rendit aussi le Parlement de Paris permanent, et le chargea d’inscrire sur ses registres les édits royaux publiés pour l’administration du royaume. Cet usage de l’enregistrement devait se transformer peu-à-peu en un droit, dont le parlement se fit plus tard une arme contre la royauté.

229. Pragmatique-Sanction de Bourges, 1438. — Au milieu des désordres de la guerre civile et de la guerre de Cent ans, des partisans de l’Angleterre avaient été plusieurs fois appelés à des sièges épiscopaux. Pour rendre de tels choix impossibles, Charles VII enleva au pape le droit de nommer directement les évéques et les autres prélats du royaume. Tel fut l’objet de l’acte connu sous le nom de Pragmatique-Sanction de Bourges et publié en 1438.

230. Commerce. — Jacques Cœur. — C’est encore au régne de Charles VII qu’il faut rapporter les premiers développements du commerce. Ils furent dus à l’influence de l’argentier du roi[6], Jacques Cœur, fils d’un orfèvre de Bourges, qui s’était enrichi par le trafic maritime. Les ennemis que lui suscita son immense fortune parvinrent à le perdre. Il fut dépouillé de ses honneurs et de ses richesses en 1453, et s’enfuit en pays étranger.


Synchronisme. — Schisme d’Occident, 1378-1449. — Avènement de la maison de Lancastre en Angleterre, 1399. — Commencement de la guerre des deux Roses, 1455. — Bulle d’Or sous l’empereur d’Allemagne Charles IV, 1356. — Conquêtes de Tamerlan en Asie, 1369-1415. — Les Turcs Ottomans en Europe ; prise de Constantinople, 1453.


  1. À 24 kil. N. de Mende (Lozère).
  2. Auparavant les conseillers étaient élus chaque année.
  3. La reine Jeanne de Naples, arrière-petite-fille de Charles d’Anjou, l’avait adopte pour fils.
  4. C’est à cause de cette alliance avec la maison d’Armagnac que les partisans du duc d’Orléan sont désignés sous le nom d’Armagnac.
  5. Allusion aux troubles incessants dont la ville de Prague en Bohème était le théâtre depuis les prédications de l’hérétique Jean Huss.
  6. L’argentier du roi administrait les revenus royaux.