Dezobry & Magdeleine (p. 75-88).

CHAPITRE IX

Le pouvoir royal se fortifie aux dépens de la féodalité. — Affranchissement des Communes ; le Tiers-État. — Rivalité de la France et de l’Angleterre.

Louis VI, dit le Gros, 1108-1137. — Louis VII, dit le Jeune, 1137-1180. — Philippe II dit Auguste, 1180-1223. — Louis VIII dit le Lion 1223-1226. — Minorité de Louis IX, 1226-1236.

132. La royauté sous Louis-le-Gros. — L’avènement du fils de Philippe Ier marque une ère nouvelle pour la royauté. Les monarques capétiens s’affranchissent peu à peu de la tutelle des seigneurs et parviennent à faire accepter leur autorité comme un pouvoir supérieur à tous les autres, chargé de veiller au maintien de la paix publique dans le royaume.

133. révoltes des vassaux. — guerre avec l’angleterre. — Louis VI, qui fut surnommé le Gros à cause de son embonpoint, ne succéda pas sans obstacle à Philippe Ier. Sa belle-mère Bertrade, qui l’avait persécuté sous le règne précèdent, excita tous les grands vassaux à la révolte, et Louis fut obligé de recommencer la lutte qu’il avait soutenue pour son père de 1099 à 1108. Pendant dix années, il guerroya sans relâche contre les rebelles, faisant raser leurs tours féodales après la victoire. Mais l’un de ces grands vassaux et le plus redoutable, le roi d’Angleterre Henri Ier, troisième fils et second successeur de Guillaume-le-Bâtard, lui fit une guerre plus longue et plus acharnée. La possession de la petite ville de Gisors (Eure) sur la rivière de l’Epte, fut l’occasion des premières hostilités. Quoiqu’il eût été convenu que cette ville resterait neutre entre les deux puissances, le roi d’Angleterre l’envahit ; Louis réclama et proposa à son mal de vider la querelle en champ clos ; sur le refus d’Henri, la guerre éclata. Le seul événement mémorable fut le combat de Brenneville[1], où trois chevaliers seulement perdirent la vie (1119). Louis-le-Gros s’enfuit aux Andelys, laissant son cheval et sa bannière au pouvoir de l’ennemi. Le roi d’Angleterre lui renvoya le lendemain son cheval de bataille, mais garda l’étendard comme trophée de la victoire.

134. l’oriflamme. — Après deux trêves de courte durée, la querelle recommença à l’occasion des secours que Louis-le-Gros avait fournis à Guillaume Cliton, fils de Robert Courte-Heuse, dépouillé de la Normandie par son oncle Henri Ier. Le roi d’Angleterre mit dans ses intérêts l’empereur d’Allemagne Henri V, son gendre, qui envahit la Champagne. Louis alla prendre à Saint-Denis la célèbre bannière de l’abbaye, appelée oriflamme (flamme d’or) : elle était de couleur rouge, fendue par le bas, et suspendue au bout d’une lance dorée. À ce signal, tous les grands vassaux de la couronne se réunirent autour du roi ; les Communes lui envoyèrent leurs milices, et Louis se vit à la tête d’une armée considérable. L’empereur effrayé battit en retraite (1124).

135. mort de louis-le-gros. — Louis-le-Gros acheva son règne, comme il l’avait commencé, par une lutte acharnée contre plusieurs barons, et notamment contre les comtes d’Auvergne et d’Evreux. Il donna en mourant de sages conseils à son fils, qu’il avait fait sacrer six ans auparavant : « Souvenez-vous, lui dit-il, que la royauté est une charge publique dont vous aurez à rendre compte à celui qui dispose des sceptres et des couronnes. »

136. Affranchissement des Communes. — C’est au XIIe siècle que se propagea sur divers points de la France le grand mouvement de la révolution communale, dont l’origine peut être fixée à l’année 1071. On désigne par ce nom de révolution communale l’affranchissement des villes, qui obtinrent, soit par la force, soit par une concession gracieuse des seigneurs dont elles relevaient, la jouissance de certaines libertés municipales et d’une sorte d’indépendance civile et politique. C’était pour un grand nombre d’entre elles le rétablissement des anciens privilèges dont elles avaient joui sous la domination romaine ; pour d’autres le régime de la liberté était chose toute nouvelle. Plusieurs historiens ont écrit que Louis-le-Gros avait suscité ce mouvement. La Charte de 1814 disait même dans son préambule que « les communes ont dû leur affranchissement à Louis-le-Gros. » Cette assertion n’est pas exacte. Les premières communes qui ont été affranchies ont fait leur révolution elles-mêmes, à leurs risques et périls, sans aucun secours, et en dehors même du domaine royal, alors fort borné. Le roi, et ce rôle fait encore l’éloge de sa prudence, se contenta d’abord de seconder ce mouvement de révolte contre la féodalité et de rechercher l’alliance des communes ; puis, comme suzerain supérieur, quoique peu obéi, il accorda volontiers, pour de l’argent, des chartes d’affranchissement. Mais, il faut bien le remarquer, cette concession n’avait lieu généralement que lorsque déjà la révolte avait réussi.

137. Ce qu’était la commune et comment elle se constituait. — Les habitants des villes qui voulaient se constituer en commune se réunissaient un jour dans la grande église ou sur la place du marché, et là, sur la croix, sur la Bible, sur les reliques des saints, ils faisaient serment de se soutenir les uns les autres, de ne point permettre qu’il fût fait à l’un d’eux quelque tort. C’était ce serment qui donnait naissance à la commune : tous ceui qui s’étaient liés de cette façon prenaient le nom de jurés ou membres de la commune ; ils instituaient des magistrats chargés de discuter et de défendre les intérêts de tous, et qu’on appelait consuls ou maires dans le midi, jurés ou échevins dans le nord. Ces magistrats se réunissaient dans la maison commune, maison de ville ou hôtel de ville ; c’est là qu’ils tenaient conseil et délibéraient. La commune avait aussi une cloche et une bannière ; au son de l’une, on se réunissait en armes pour marcher contre le seigneur ; on suivait l’autre comme un signe de ralliement au milieu des combats. Ainsi se formait la milice qui devait conquérir pour une ville les priviléges de commune, si le suzerain ne vendait pas volontiers ou s’il n’accordait pas de lui-même les droits qu’on réclamait. Pauvre, mal armée, souvent peu disciplinée, mais courageuse, patiente et passionnée pour la liberté, cette milice soutenait quelquefois de longues et sanglantes luttes, pour jouir après tout des avantages que nous assure aujourd’hui la simple police : la sûreté et le respect des propriétés la surveillance et le châtiment des malfaiteurs, le droit de s’armer pour les intérêts communs, de circuler librement dans les rues, de ne pas être emprisonné sans cause, ni condamné sans jugement.

138. Les rois favorisent les affranchissements. — Les révoltes communales furent sanglantes, surtout au nord, à Laon, à Reims, à Amiens et dans les Flandres, où la féodalité avait été constituée plus fortement que partout ailleurs. Au centre, la royauté avait de bonne heure accordé aux principales villes du domaine royal des privilèges qui prévinrent les révoltes. Au midi, beaucoup de villes avaient conservé presque intacts les restes du gouvernement municipal qu’y avaient institué les Romains. Les successeurs de Louis-le-Gros comprirent comme lui combien l’alliance des communes pouvait leur être utile ; non-seulement Ils en favorisèrent les progrés, mais ils s’appuyèrent sur la bourgeoisie qu’elles renfermaient pour combattre avec plis de succès les grands vassaux.

139. louis vii et éléonore d’aquitaine. — Les efforts de Louis-Ie Gros contre la féodalité et l’appui qu’il trouva dans les communes ne furent pas stériles pour l’affermissement du pouvoir royal. Son fils et successeur Louis-le-Jeune ne jugea pas nécessaire de se faire sacrer une seconde fois, comme ses prédécesseurs, pour légitimer son avènement au trône, et après lui Philippe-Auguste se dispensa même de faire couronner son fils de son vivant. Outre que le nouveau roi héritait d’une autorité mieux établie, il venait d’épouser une riche héritière, Eléonore d’Aquitaine, qui lui apportait en dot le Poitou, la Saintonge, l’Angoumois, le Périgord et l’Aquitaine, c’est-à-dire presque tout le pays compris entre la Loire et les Pyrénées : c’était un admirable accroissement du domaine royal ; mais il ne sut pas le conserver.

140. louis-le-jeune prend la croix. — saint bernard. la seconde croisade. Les premières armées de ce règne furent assez paisibles. Une courte guerre vint interrompre ce repos en 1142, et elle eut de funestes conséquences. Le roi ayant ordonné de mettre le feu à l’église de Vitry en Champagne, treize cents personnes qui s’y étaient réfugiées y périrent. Dévoré de remords, Louis crut expier ce meurtre en partant pour la Terre Sainte, et il entreprit la seconde croisade, de concert avec l’empereur d’Allemagne Conrad III. Ce fut saint Bernard qui prêcha cette croisade et qui fit prendre la croix à Louis-Ie-Jeune. Fondateur de l’abbaye de Clairvaux et de soixante-douze autres monastères, saint Bernard s’illustra encore par d’autres travaux apostoliques et par le zèle avec lequel il poursuivit les hérétiques, notamment Abailard, dont le nom est inséparable de celui de sa femme Héloïse, et dont les leçons attiraient des milliers d’auditeurs sur la montagne Sainte-Geneviève, à Paris. La seconde croisade ne fut pas heureuse. Les croisés, trahis par les Grecs de Constantinople, harcelés par les Musulmans et tourmentés par la famine en Asie-Mineure, attaquèrent vainement Damas. L’expédition n’aboutit qu’à un pèlerinage au tombeau de Jésus-Christ, et, après deux années de revers et de malheurs, les deux princes revinrent en Europe sans gloire et sans armée (1149). Mais ce qui fut plus funeste à la France, ce fut le divorce de Louis VII avec la reine Éléonore. Cette princesse avait accompagné son mari en Palestine ; elle lui donna de si graves sujets de plainte par sa conduite, que Louis sesépara d’elle après son retour en France (1152).

141. l’abbé suger. — Toutefois leur divorce n’eut lieu qu’apès la mort de Suger, abbé de Saint-Denis, ancien ministre de Louis-le-Gros, qui avait gouverné le royaume avec beaucoup d’habileté pendant l’absence du roi, et qui sut empêcher la rupture des deurt époux. Malheureusement pour Louis VIIe siècle, ce sage ministre mourut en 1151. Le roi et le peuple l’honorèrent en le nommant Père de la patrie, et son épitaphe, composée par un auteur du temps, attesta qu’avec lui étaient tombés la fleur et le diamant de la couronne, le drapeau, le bouclier et la plus grande gloire de l’Église.

142. henri plantagenet. — guerre avec l’angleterre. — Eléonore d’Aquitaine reprit sa dot, et, deux mois après, elle porta ce riche héritage à la maison d’Anjou, en épousant Henri Plantagenet, duc de Normandie, comte d’Anjou, de Maine et de Touraine, qui devint l’année suivante roi d’Angleterre sous le nom de Henri II, et qui fut la tige de cette redoutable maison des Plantagenets, l’ennemie acharnée de la maison de France. Il était impossible que Louis VII vît sans inquiétude une telle puissance entre les mains d’un de ses vassaux. Le roi d’Angleterre était maître en 1160 du pays compris dans quarante-sept de nos départements actuels, tandis que le roi de France en possédait à peine vingt. Louis n’évita pas les occasions de guerre. Il accueillit d’abord à sa cour l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket, qui défendait contre Henri II les libertés de l’Église d’Angleterre. Quand ce prélat eut été assassiné, Louis excita les propres fils de son rival à s’armer contre leur père et soutint leur révolte. Mais Henri II fut vainqueur à Verneuil, contraignit ses fils à la soumission, et dicta la paix de Montlouis (1174).

Depuis ce moment la bonne harmonie ne fut plus troublée entre les deux royaumes, et le roi de France descendit paisiblement au tombeau, laissant pour successeur son fils ainé Philippe, qui n’était âgé que de quinze ans.

143. Philippe-Auguste. — Sa politique. — Prudent et avisé, froid, d’un sens rassis, et peu touché de l’esprit d’aventure, Philippe-Auguste était bien le prince qu’il fallait à la France pour augmenter le domaine royal et porter de nouveaux coups à la féodalité. Quoique fort jeune encore, il voulut garder pour lui seul l’autorité souveraine, sans la partager avec sa mère et ses oncles, et il prouva qu’il était capable de suffire aux circonstances. À l’intérieur, il sut se débarrasser des intrigues des comtes de Champagne et de Flandre, à qui il enleva le Vermandois et l’Artois. À l’extérieur, il fit comme Louis VII cause commune avec les fils du roi d’Angleterre révoltés contre leur père, et imposa au vieil Henri II l’humiliant traité d’Azay-sur-Cher. Pour mieux affermir encore son pouvoir, il épousa Isabelle de Hainaut, dernier rejeton du sang carlovingien. Ce mariage confondit les droits des deux dynasties, et dès lors les Capétiens s’abstinrent de faire sacrer, de leur vivant, l’héritier présomptif de la couronne.

144. les juifs persécutés. — Le règne de Philippe-Auguste, qui devait être glorieux, commença et finit par des poursuites religieuses. Des massacres de Juifs signalèrent les premières années, et l’Église fut impuissante à protéger ces malheureux contre les excès populaires. À cette époque, les Juifs, dispersés, comme ils le sont encore, dans les grandes villes, s’y enrichissaient par le commerce ; mais, poursuivis par la haine du peuple, ils étaient séquestrés dans un certain quartier que chacune de ces villes leur assignait, qu’elle entourait de chaînes la nuit et qu’elle faisait surveiller sans cesse, afln que ces malheureux ne vinssent pas habiter parmi les chrétiens. Des affronts publics leur rappelaient trop souvent leur triste condition, et, dans certains endroits, à la fête de Pâques, la coutume était que le principal d’entre eux fût souffleté par un chrétien, en présence de tout le peuple. Ce n’était pas tout. Le roi avait-il besoin d’argent, c’était aux dépens des Juifs qu’il s’en procurait, laissant piller leurs maisons, ravager leurs biens, et déclarant par une ordonnance leurs débiteurs libres de tout engagement.

145. la dîme saladine ; troisième croisade. — On apprit vers cette époque que la puissance des Chrétiens était presque anéantie en Orient. Le sultan d’Égypte, Saladin, avait conquis le royaume de Jérusalem ; le dernier roi, Guy de Lusignan, avait été fait prisonnier à la bataille de Tibériade, où près de vingt mille chrétiens avaient perdu la vie ; Jérusalem elle-même, la ville sainte, avait été prise par les Infidèles (1187). L’archevêque de Tyr, Guillaume, précédé par ces effrayantes nouvelles, vint en personne solliciter les secours de l’Occident, et provoqua, la réunion de plusieurs conciles. Ces assemblées décrétèrent l’établissement d’une contribution universelle destinée aux frais de la guerre contre le sultan Saladin, et qu’on appela pour cette raison la dîme Saladine, et le » trois plus grands princes de la chrétienté, le roi de France, l’empereur d’Allemagne Frédéric Barberousse, et le roi d’Angleterre Richard Cœur-de-Lion, qui succéda à son père Henri II en 1189, promirent de prendre la croix. L empereur partit te premier, et périt dans l’Asie-Mineure.

146. philippe-auguste et richard-cœur-de-lion. — Philippe-Auguste, après avoir confié la régence à l’archevêque de Reims son oncle, alla à Saint-Denis prendre l’oriflamme. Puis il eut avec Richard une entrevue, dans laquelle les deux rois se jurèrent une amitié éternelle, et appelèrent l’anathème sur la tête du premier qui violerait ses serments. Ils s’embarquèrent l’un à Gènes, l’autre à Marseille, et allèrent passer l’hiver en Sicile. Ce fut dans cette île qu’ils commencèrent à se brouiller. Philppe fit voile pour Saint-Jean-d’Acre, ville de Syrie, qu’il assiégea, tandis que Richard allait soumettre l’île de Chrypre. Cette conquête achevée, le roi d’Angleterre rejoignit Philippe sous les murs de Saint-Jean-d’Acre, et ce dernier assaut les rendit maîtres de cette place. Philippe Auguste revint alors dans ses États, voulant profiter de l’absence du roi d’Angleterre pour lui reprendre quelques-unes des provinces qu’il possédait en France. Pendant que Richard signalait sa valeur en Terre Sainte, et, pour tout fruit de ses exploits, suspendait au poitrail de son cheval les têtes des Sarrasins vaincus, le roi de France attaqua la Normandie. À cette nouvelle, Richard se hâta de conclure une trêve avec Saladin, et reprit la route de ses États. Mais, jeté par la tempête sur les côtes de Dalmatie, il fut arrêté et livré à l’empereur d’Allemagne, son ennemi personnel, qui le retint prisonnier. Il lui fallut payer une rançon pour obtenir sa liberté, et il ne sortit de sa prison que quand son fidèle écuyer Blondel eut apporté la somme qu’exigeait l’empereur. 147. retour de richard ; sa mort, 1199. — Une partie de la Normandie était déjà réunie au domaine royal de France, quand Richard reparut. Son frère Jean-sans-Terre, qui avait fait alliance avec Philippe-Auguste, effrayé de son retour, massacra la garnison française d’Évreux, pour obtenir son pardon du diable qui était déchaîné : c’est ainsi qu’il désignait Richard. Le roi de France, affaibli par cette défection, fut battu à Fréteval, près de Vendôme, et cet événement mit fin aux hostilités. L’intervention du pape fit signer la paix. Richard alla terminer sa vie aventureuse au siège du château de Chalus, où on lui avait dit que le vicomte de Limoges, son vassal, avait enfoui un riche trésor.

148. jean-sans-terre cité devant la cour des pairs. — La couronne d’Angleterre revenait au fils de son frère puîné Geoffroi Plantagenet, au jeune Arthur, duc de Bretagne. Jean-sans-Terre, quatrième fils de Henri II, s’en empara au détriment du légitime héritier, et pour consolider cette usurpation, il fit disparaître son neveu. On assure qu’il le poignarda de sa propre main, et ce que l’on sait de son caractère fourbe, lâche et cruel ne justifie que trop cette horrible accusation. Le roi de France, comme suzerain de la Bretagne et de la Normandie, cita Jean-sans-Terre à comparaître devant la cour des Pairs[2]. Sur son refus, la Cour le déclara coupable de trahison, et prononça la confiscation de toutes les terres qu’il tenait comme fiefs de la couronne de France. Philippe se chargea d’exécuter lui-même la sentence, et recouvra, dans une courte et heureuse guerre, la Normandie, l’Anjou, la Touraine, le Maine et le Poitou (1204.)

149. bataille de bouvines, 1214. — Philippe songeait même à profiter des démêlés de Jean-Sans-Terre avec le Saint-Siège pour porter ses armes en Angleterre, quand il apprit qu’une ligue redoutable s’était formée contre lui. L’empereur Othon IV, le comte de Flandre Ferrand, les peuples de l’Aquitaine et ceux de l’Anjou, du Maine et de la Normandie, qui supportaient avec regret la domination française, venaient de se liguer avec Jean-sans-Terre. L’armée ennemie, forte de cent mille hommes, envahit la France par le nord-est, et rencontra l’armée de Philippe-Auguste près du pont de Bouvines, entre Lille et Tournai, 27 juillet 1214. Une tradition peu vraisemblable rapporte que Philippe-Auguste, au moment d’engager la bataille, fit dresser un autel au milieu de la plaine, y déposa sa couronne et déclara qu’il était prêt à la céder au plus digne. Ce qui est certain, c’est que l’action fut très-vive ; les milices communales, qui étaient accourues en foule pour défendre la patrie contre les étrangers, combattirent avec courage. Le roi de France fut jeté à bas de son cheval et faillit être tué. Mais la victoire se déclara enfin pour lui. L’empereur prit honteusement la fuite, et le comte de Flandre, fait prisonnier, après avoir été promené dans une cage de fer par tout le royaume, fut enfermé à la tour du Louvre.

150. expédition du prince louis en angleterre. — Non-seulement la victoire de Bouvines dissipa la ligue formée contre Philippe-Auguste et déjoua les projets des ennemis extérieurs et intérieurs de la France, mais l’Angleterre elle-même fut sur le point de tomber au pouvoir des Français. Le roi Jean, après avoir été contraint de céder aux exigences des barons anglais et de signer la Grande charte, avait révoqué les concessions qu’il leur avait faites (1215). Les barons indignés appelèrent contre lui le fils de Philippe-Auguste. Louis débarqua en Angleterre, et fut proclamé roi. Mais Jean-sans-Terre étant mort l’année suivante, les Anglais abandonnèrent le parti du prince français, pour se rallier autour de l’héritier de la couronne, qui était innocent des fautes de Son père. Ils le reconnurent pour roi sous le nom de Henri III. Louis, battu à Lincoln, revint en France.

151. quatrième croisade. empire latin de constantinople, 1204. — Pendant que ces événements se passaient dans l’Occident, une quatrième croisade avait eu lieu en Orient. Le pape Innocent III avait appelé les chrétiens aux armes ; mais l’enthousiasme pour les guerres saintes commençait à se refroidir, et aucun des souverains de l’Europe n’avait répondu à cet appel. La croisade ne fut entreprise que par des princes de second ordre. Ils donnèrent le commandement de l’expédition à Boniface, marquis de Montferrat, et firent un traité avec les Vénitiens, qui s’engagèrent à transporter l’armée en Palestine, à condition qu’on les aiderait d’abord à reprendre la ville de Zara en Dalmatie, que le roi de Hongrie leur avait enlevée. L’expédition de Zara terminée, la croisade fut encore détournée de son but par les sollicitations intéressées d’un prince grec, qui entraîna les croisés vers Constantinople. Cette ville fut prise, et les vainqueurs, maîtres de l’empire grec, s’en partagèrent les dépouilles entre eux, comme les premiers croisés s’étaient partagé la Terre Sainte. Un empire latin fut substitué à l’empire grec ; Baudouin, comte de Flandre, en fut le chef. Boniface de Montferrat devint roi de Thessalie ; d’autres seigneurs furent créés princes d’Achaïe, ducs d’Athènes, despotes d’Épire, etc. Le nouvel empire subsista un demi-siècle environ.

152. guerre des albigeois. — Une croisade d’un autre genre, entreprise contre des hérétiques, désolait à la même époque le midi de la France. Autour d’Aibi, dans tout le Languedoc et toute la Provence, vivaient des malheureux qui rejetaient la plupart des sacrements de l’Église, particulièrement le baptême et le mariage, et ne voulaient ni autels, ni temples, ni culte extérieur ; on les désignait sous le nom d’Albigeois. Le comte de Toulouse Raymond VI les soutenait et partageait peut-être leurs erreurs. Le pape Innocent III, après avoir vainement essayé de ramener ces hérétiques, les excommunia, et fit prêcher contre eux une croisade. La guerre ne fut qu’une longue suite de massacres. Les Albigeois donnèrent eux-mêmes le signal des cruautés en assassinant le légat du pape, Pierre de Castelnau ; on ne fit en quelque sorte qu’user de représailles à leur égard. Pour seconder les armes des croisés, le pape institua en 1206 à Toulouse un tribunal chargé de rechercher et de punir les hérétiques, et qui devint permanent : ce fut l’origine de l’inquisition. Le comte de Toulouse, vaincu malgré l’appui du roi d’Aragon son beau-frère, fut dépouillé de ses États, et le pape les donna au comte Simon de Montfort, qui commandait l’armée des croisés. Raymond et son fils en appelèrent de nouveau aux armes. Le comte de Montfort fut tué au siège de Toulouse, et son fils Amaury, ne pouvant se soutenir contre ses adversaires, demanda du secours à Philippe-Auguste. Le roi permit à son fils de conduire dans le midi quelques aventuriers, qui firent la guerre sans résultats importants. La croisade devait se prolonger au delà du règne de Philippe, qui mourut en 1293.

153. Accroissement du domaine royal. — Progrès de la royauté. — Par son habilité, son courage, et surtout par ses heureuses guerres contre le roi d’Angleterre, Philippe-Auguste avait beaucoup agrandi le domaine royal. Le roi ne possédait directement, à l’époque de Louis-le-Gros, que l’Ile-de-France et l’Orléanais. Philippe y avait ajouté le Vermandois, l’Artois, une partie de la Picardie, le Berry, la Normandie, le Maine, l’Anjou, la Touraine, le Poitou et l’Auvergne. Il avait su en même temps étendre l’autorité royale aux dépens de la féodalité. Il commença par déclarer que le roi ne pouvait ni ne devait faire hommage à personne ; puis, s’entourant très-fréquemment des Pairs du royaume, il fit de cette assemblée un utile instrument de ses desseins. Enfin, des officiers payés par lui et dévoués aux Intérêts de la royauté furent chargés de l’administratton dans les provinces ; ce furent les prévôts et les baillis.

154. Réformes et améliorations. — Philippe-Auguste continua la construction de l’église cathédrale da Notre-Dame à Paris, commencée par les soins de Maurice de Sully, évéque de Paris de 1160 à 1196 ; il fit payer les deux principales rues qui traversaient du N. au S. et del’E. à l’O. le vieux Paris ou la Cité, entoura la ville d’une nouvelle enceinte fortifiée, et fit construire des hôpitaux, des aqueducs, des halles et des égouts. Ce fut aussi sous son régne que Robert de Courçon, cardinal de Saint-Étienne, légat du pape donna les premiers statuts à l’Université de Paris (1215).

155. Démêlés avec le Saint-Siège. — Philippe-Auguste eut, comme Jean-sans-Terre, quelques démêles avec le Saint-Siège. Ayant répudié, en 1193, sa femme Ingeburge de Danemark, pour épouser Agnès, fille du duc de Méranie, il fut frappé d’anathème et forcé de reprendre Ingeburge. Agnès en mourut de douleur.

156. règne de louis viii. — Louis VIII continua d’abord l’œuvre de son père contre les Anglais, auxquels il enleva l’Aunis, la Saintonge, le Limousin, le Périgord et presque tout le pays jusqu’à la Garonne (1224). Il reprit ensuite la guerre contre les Albigeois. Amaury de Montfort lui avait transmis ses droits sur le comté de Toulouse. Raymond VII, qui avait succédé à son père, essaya de résister ; le nombre et la supériorité des soldats de Louis VIII l’emporta. Avignon fut pris, et cette conquête amena la réunion à la couronne de quelques provinces voisines. Mais une épidémie meurtrière vint décimer l’armée royale ; Louis VIII lui-même en fut atteint, et mourut à Montpensier, en Auvergne (3 novembre 1226).

157. fin de la guerre des albigeois, 1229. — La guerre continua pendant la minorité de Louis IX. Elle fut terminée par le traité de Meaux, qui ajouta au domaine royal les comtés de Carcassonne, de Béziers, de Nîmes, de Narbonne, d’Agde, de Maguelonne, etc. Ce traité préparait en outre la réunion du comté de Toulouse, par le mariage de Jeanne, fillee de Raymond VII, avec Alphonse de Poitiers, frère du jeune roi.

158. régence de blanche de castille. — La mort de Louis VIII avait laissé la couronne à un jeune prince de onze ans, et la reine-mère, Blanche de Castille, était chargée de la régence et de la tutelle. Les grands vassaux voulurent profiter de cette minorité pour relever leur puissance, à laquelle les règnes de Louis-le-Gros et de Philippe-Auguste avaient porté des coups funestes. Mais la régente déjoua tous leurs complots par son habileté. À la tête de la révolte étaient le duc de Bretagne Pierre de Dreux et Thibaut, comte de Champagne. Blanche sut ramener à elle ce dernier, et accabla facilement l’autre. Bientôt même le comte de Champagne acheta la protection du roi en lui cédant les comtés de Blois, de Chartres et de Châteaudun. Ainsi le domaine royal allait toujours s’agrandissant. Ce fut dans ces circonstances favorables que Louis IX, devenu majeur, prit en main les rênes de l’autorité (1236). Deux ans auparavant, il avait épousé, à l’âge de dix-neuf ans, la princesse Marguerite, fille aînée du comte de Provence.


Synchronisme. — Maison impériale de Souabe ou de Hohenstaufen en Allemagne, 1157-1254. — Lutte des Guelfes et des Gibelins. — Les républiques italiennes. — Cinquième et sixième croisade, 1217 et 1228. — Gengis-Khan, 1206-1227. — Les Mongols en Europe, 1255.


  1. Brémule est le vrai nom du champ de bataille ; c’est une ferme de la commune de Gaillardbois, prés des Andelys (Eure) Neuf cents chevaliers prirent part à l’action ; ils étaient tout bardés de fer, et se ménageaient réciproquement, cherchant moins à tuer qu’à faire des prisonniers.
  2. La cour des Pairs était composée des comtes de Champagne, de Flandre et de Toulouse ; des ducs de Normandie, d’Aquitaine ou Guienne, et de Bourgogne ; des archevêques de Reims et de Sens, des évêques de Laon, de Châlons-sur-Marne, de Langre et de Noyon. Les six premiers étaient appelées les Pairs laïques ; les six derniers, les Pairs ecclésaistiques. On les nommait Pairs, du mot latin pares, qui signifie égaux, parce que les grands fiefs qui leur appartenaient relevaient tous directement de la couronne.