Dezobry & Magdeleine (p. 64-75).

TROSIÈME PÉRIODE.
Les Capétiens directs, 987-1328.




CHAPITRE VIII


La royauté capétienne, humble et faible dans les commencement, recherche l’appui du clergé,. — La chevalerie ; les croisades.

Hugues-Capet, 987-996.. — Robert, 996-1031. — Henri I, 1031-1060. — Philippe I, 1060-1108.

111. hugues-capet roi. — Une tradition populaire de l’époque rapporte qu’en 981, alors que Hugues-Capet n’était encore que duc de France, saint Valery lui était apparu en songe, et lui avait dit : « Toi et tes descendants, vous serez rois jusqu’à la septième génération, c’est à dire à perpétuité. » La royauté nouvelle semblait pourtant ne devoir jamais être bien redoutable pour ces grands vassaux, qui l’avaient donnée à l’un de leurs pairs ou égaux, et pendant longtemps le roi n’eut pas plus d’importance qu’un duc ou un comte ordinaire. Mais ce fut cette faiblesse même de la royauté qui fit sa fortune : on ne songea pas à limiter sa puissance.

112. Caractère de cette révolution. — « L’avénement de la troisième race, dit Aug. Thierry, est, dans notre histoire, d’une bien autre importance que celui de la seconde ; c’est à proprement parler, la substitution d’une royauté nationale au gouvernement fondé sur la conquête. Dès-lors, en effet, l’histoire de France devient simple ; c’est toujours le même peuple qu’on suit et qu’on reconnaît, malgré les changements qui surviennent dans les mœurs et la civilisatation. »

113. règne peu fertile en événements. — Le règne du fondateur de la dynastie capétienne, comme celui de ses deux premiers successeurs, fut peu fertile en événements. La France était alors démembrée en une foule de grands fiefs, ayant peu de rapports entre eux, et n’en ayant surtout presque aucun avec la royauté. Le domaine royale ne comprenait que l’Ile-de-France et l’Orléanais ; encore ces territoires, qui formaient l’ancien duché de France, étaient-ils coupés par le possessions féodales de plusieurs seigneurs. Le clergé était la seule puissance qui fut partout respectée et redoutée des grands comme du peuple ; aussi Hugues-Capet eut-il soin de rechercher son alliance. On aurait dit toute l’histoire du premier Capétien, si l’on ajoute le court récit des guerres qu’il soutint contre les deux grands vassaux du midi et contre le duc de Basse-Lorraine. Adalbert, comte du Périgord, et Guillaume Fier-à-Bras, comte de Poitier et duc d’Aquitaine, qui ne voulaient pas reconnaître l’autorité royale, furent vaincus et firent leur soumission. Charles de Lorraine, frère du roi Lothaire, qui réclamait la couronne comme héritier de son neveu Louis V, fut fait prisonnier et enfermé dans la tour d’Orléans, où il mourut. Son arrière-petite-fille, dernier rejeton du sang carlovingien, devait épouser en 1180, le roi Philippe-Auguste.

114. le roi robert. — l’an mil. — Robert succéda à son père Hugues-Capet, qui l’avait fait sacrer de son vivant. On était aux approches de l’an mil, et c’était alors une croyance universelle que tout devait finir avec cette année fatale. On disait qu’on avait vu le soleil défaillir en Allemagne, et que le diable se montrait à chaque instant ; une peste désolait l’Aquitaine ; la famine dépeuplait la Grèce, l’Italie, la France, l’Angleterre ; les loups pénétraient dans les villes ; les riches se hâtaient d’affranchir leurs esclaves et d’entrer dans un cloître, pour mériter le pardon de leurs fautes ; chacun écoutait s’il n’entendait pas la trompette de l’archange annonçant la résurrection, et songeait à se mettre en règle avec le Seigneur, qui allait venir juger les vivants et les morts. L’an mil s’écoula, sans autre fait digne de remarque qu’un fertilité extraordinaire ; on s’étonna beaucoup de vivre encore ; de tous côtés, les anciennes églises furent réparées et embellies, de nouvelles furent ouvertes au culte. On eût dit que chacun dépouillait le vieil homme et que le monde allait commencer une vie nouvelle.

115. piété et bonté de robert. — Élève du savant Gerbert, qui devint pape sous le nom de Sylvestre II, le bon roi Robert, comme l’appellle les chroniques du temps, était un prince d’une piété rare et d’une bonté sans égale. Il priait Dieu fréquemment et continuellement ; souvent il se rendait à l’église de Saint-Denis, dans ses habits royaux et avec sa couronne, pour diriger le chœur à matines, à vêpres et à la messe, et chantait avec les moines : il composait même des hymnes et des proses. Son annaliste raconte qu’un jour qu’il assiégea un château près de Saint-Denis, il quitta le combat pour aller à l’abbaye faire ses dévotions accoutumées, et que pendant qu’il chantait l’Agnus Dei, ses troupes s’emparèrent du château. Il nourrissait tous les jours trois cents pauvres dans les huit villes principales de ses domaines. Les mendiants entraient librement dans sa demeure et assistaient à ses repas. Un jour, comme l’un d’entre eux, assis par terre pendant qu’il mangeait, détachait avec son couteau quelques franges d’or de sa robe royale : « Ami, lui dit Robert, laisses-en pour les autres. » Une autre fois, voulant sauver de la mort quelques rebelles, qui avaient conspiré contre lui, il les fit communier tous et communia avec eux ; puis il déclara qu’il ne pouvait ôter la vie à ceux que Jésus-Christ venait d’admettre à la Sainte-Table.

116. robert excommunié. — la reine constance et les aquitains. — Cependant ce roi si pieux encourut l’excommunication pour avoir épousé Berthe de Bourgogne, sa parente à un degré prohibé. À une époque où la pureté des mœurs domestiques n’était pas suffisamment garantie contre la licence introduite et consacrée par les lois barbares qui avaient admis la polygamie, l’autorité religieuse se montrait jalouse de maintenir avec rigueur l’observation des règles canoniques. Robert voulut résister à l’anathème ; tout le monde l’abandonna comme un pestiféré. Les deux seuls serviteurs qui lui restèrent jetaient aux chiens les reliefs de sa tables, et purifiaient par le feu les plats qui avaient été employés à son usage. Et tel fut le scandale causé par la résistance du roi, que la crédulité populaire alla, disent les chroniques, jusqu’à supposer qu’il était né au lieu d’un fils, un monstre avec des pattes d’oie. Robert se moumit enfin et renvoya la reine pour se réconcillier avec l’Église. Il épousa alors Constance, fille de Guillaume Taillefer, comte de Toulouse. Cette princesse ambitieuse et hautaine se fit détester à la cour du roi Robert en y introduisant les mœurs, la langue, les coutumes, en un mot toute cette civilisation du Midi, tellement odieuse aux homme du nord, qu’un auteur contemporain nous décrit ainsi les Aquitains qui avaient accompagné la nouvelle reine : « Leurs armes et les harnais de leurs chevaux étaient également négligés ; leur chevaux ne descendaient qu’à mi-tête ; ils se rasaient la barbe comme des comédiens, portaient des bottes et des chaussures indécentes ; enfin il n’en fallait pas attendre dans les alliances ni foi ni sureté. »

117. acquisition de la bourgogne, 1016. — Le duc de Bourgogne Henri, oncle de Robert, était mort sans enfants, son fief devait revenir au roi suivant les lis de la féodalité. Mais il fut réclamé par un fils que la duchesse de Bourgogne avait eu d’un premier mariage, et Robert se trouva ainsi engagé malgré lui dans une guerre qui dura quatorze ans. Le traité qui y mit fin assura le duché à Robert, et laissa le comté de Dijon avec la Franche-Comté au prétendant. Robert jouit de la paix pendant le reste de son règne. Il fit preuve d’une sage modération en n’acceptant pas pour son fils la couronne d’Italie qui lui était offerte, et en refusant la Lorraine pour lui-même.

118. chagrins domestiques de robert ; sa mort. — Ses dernières années furent attristés par la méchanceté de la reine Constance. Non seulement cette femme cruelle se livra à des actes de violence indignes de son rang et de son sexe ; mais elle arma deux de ses fils contre leur père, afin de se venger de ce que Robert avait désigné pour son successeur et fait sacrer son fils aîné Henri, qu’elle détestait. Robert marcha contre les rebelles, les battit et leur pardonna. Il mourut à Melun, à l’âge de soixante-dix ans (1031).

119. guerre civil sous henri i. — En montant sur le trône, Henri eut tout d’abord à combattre sa mère Constance de Toulouse, et le parti puissant qui s’était groupé autour du prince Robert, son frère cadet. Soutenu par le clergé, par le duc de Normandie Robert-le-Diable, le roi vainquit son frère à Villeneuve-Saint-Georges ; mais pour assurer la paix, il lui céda le duché de Bourgogne. Robert devint ainsi la tige de cette première maison des ducs de Bourgogne, qui devait durer jusqu’en 1361. Le second frère du roi, Eudes, enhardi par le succès de cette révolte, prit les armes à son tour ; il fut aussi vaincu. Mais moins heureux que Robert, il expia sa rébellion par une longue captivité dans la tour d’Orléans.

120. Malheurs publics. — La Trêve-Dieu, 1041. — Au fléau des guerres civiles se joignirent les horreurs de la famine, qui désola plusieurs fois le royaume, la contagion d’un mal terrible connu sous le nom de mal des ardents, et les désordres des guerres privées, que les seigneurs se faisaient sans cesse entre eux, regardant comme un de leurs principaux privilèges de pouvoir user des armes quand il leur plaisait. Le clergé, toujours empressé à faire prévaloir les idées morales, essaya de porter remède à quelques-uns de ces maux ; par son influence fut établie la Trève-Dieu, qui consacrant au Seigneur les quatre derniers jours de la semaine, sanctifiés par les mystères de la Rédemption, défendait, sous peine d’excommunication, de livrer aucun combat, de commettre aucune offense, en un mot, d’exercer le droit de guerre privée depuis le mercredi soir jusqu’au lundi matin.

121. Chevalerie. — C’est alors aussi que commença à paraître la chevalerie, qui devait prendre un si grand développement au temps des croisades, et recevoir un si grand lustre de ces expéditions lointaines. L’Église fit un acte religieux de la réception des chevaliers. Le jeune seigneur qui aspirait à devenir chevalier, après avoir jeûné, passé la nuit de la veille en prières et communié, revêtait une robe blanche, symbole de la pureté dans laquelle il promettait de vivre, et une tunique rouge, symbole du sang qu’il devait verser pour la défense de la religion, des veuves et des orphelins ; puis on lui coupait les cheveux, en signe de la servitude à laquelle il se soumettait. Son parrain lui donnait alors une épée bénite ; des chevaliers et des dames lui mettaient la cotte de mailles, la cuirasse, les brassards et les gantelets, lui ceignaient l’épée et lui chaussaient les éperons d’or. Le seigneur achevait la cérémonie en le frappant trois fois du plat de son épée sur l’épaule et lui disant : « Au nom de Dieu, de saint Georges et de saint Michel, je te fais chevalier ; sois preux, courageux et loyal. »

122. guerre avec le duc de normandie. — Henri I. eut aussi quelques démêlés avec le duc de Normandie Guillaume-le-Bâtard, fils, et successeur de Robert-Ie-Diable, qui était mort en Orient, au retour d’un pélerinage à la Terre-Sainte. Henri avait d’abord aidé le jeune duc à s’assurer la succession de son père ; mais il se brouilla plus tard avec lui, et la guerre éclata entre le suzerain et le vassal. Elle se termina àl’avantage de Guillaume, a qui le traité de Rouen assura la libre possession de son duché de Normandie (1055), Deux ans auparavant le roi avait acquis le comté de Sens.

123. mort de henri i. — Henri mourut en 1060 un an après avoir fait sacrer son fils aîné Philippe, issu de son mariage avec Anne de Russie. Cette princesse était fille, du grand-duc Iaroslaf, dont les conquêtes en Pologne et les succès contre l’empire d’Orient avaient porté le nom jusque dans les pays occidentaux.

124. régence de baudouin de flandre. — Philippe n’avait que sept an, lorsqu’il succéda à son père. Sa tutelle et la régence du royaume furent confiées à Baudouin V, comte de Flandre, beau-frère du feu roi. Pendant cette minorité, s’accomplirent deux grands événements auxquels Philippe demeura forcément étranger a causé de sa jeunesse : la conquête des Deux-Siciles par les Normands, et celle de l’Angleterre par Guillaume-le-Bâtard.

Dès le commencement da onzième siècle, des aventuriers normands, revenant de la Terre-Sainte, s’étaient fixés dans l’Italie méridionale, et y avaient fondé quelques établissements. Robert Guiscard ou l’Avisé et son frère Roger, les plus jeunes fils, d’un gentilhomme de Coutance, nommé Tancrède de Hauteville, vinrent achever la conquète du pays et y ajoutèrent celle de la Sicile. C’est dé la réunion de leurs conquêtes que fut formé en 1130 le royaume des Deux-Siciles.

En 1066, le duc de Normandie Guillaume-le-Bâtard, appuyant ses prétentions d’un testament fait en sa faveur par le dernier roi anglo-saxon, Edouard-le-Confesseur, envahit l’Angleterre, et s’en rendit maître par la victoire d’Hastings. Guillaume, surnommé dès lors le Conquérant, se trouva ainsi plus puisant que sont suzerain le roi de France, Ce fut l’origine de la longueet sanglante rivalité qui devait bientôt mettre au prises les deux grandes nations de l’Occident.

125. guerre avec la flandre et l’angleterre. — Baudouin mourut l’année suivante, et Philippe fut appelé à régner par lui-même. Le gouvernement personnel de ce prince ne fut pas plus glorieux que ne l’avait été la régence de son tuteur. Le fils de Henri I se signala par de honteux désordres et par des démêlés fâcheux abec la Flandre, l’Angleterre et le Saint-Siège, il voulut enlever la Flandre à Robert-le-Frison, fils aîné de Baudouin, et se fit battre à Cassel en 1071 ; il irrita Guillaume en soutenant contre lui le duc de Bretagne qui refusait de lui faire hommage, et en embrassant la cause de Robert Courte-Heuse, fils aîné du roi d’Angleterre, qui voulait contraindre son père à lui céder la Normandie. Mais ce que Guillaume ne pouvait surtout pardonner au roi de France, c’était ses railleries. « Quand ce gros homme accouchera-t-il ? » avait dit un jour Philippe pour se moquer de l’embonpoint excessif de son rival. Guillaume lui fit répondre qu’il irait faire ses relevailles à Paris avec dix mille lances en guise de cierges. Il s’avança en effet vers la capitale du royaume ; mais en brûlant sur son passage la ville de Mantes, qui l’avait arrêté, il fut pris de la fièvre et obligé de se faire transporter à Rouen, où il mourut en 1087[1].

126. excommunication de philippe. — Les démêlées avec le Saint-Siège remontent à l’année 1073. Le roi de France passait sa vie dans les plaisirs. Toujours pressé d’argent, il cherchait à s’enrichir par des moyens indignes ; il trafiquait des choses saintes et vendait les évêchés ; il faisait détrousser les pèlerins et les voyageurs sur les grandes routes. Malgré les avertissements du pape Grégoire VII, il persévéra dans cette vie de désordres. Il fit plus ; il renvoya sa femme Bertrade de Monfort, femme divorcée du comte d’Anjou. Alors le pape Urbain II l’excommunia solennellement au concile de Clermont, en 1095. Philippe, après avoir résisté quelque temps à anathème, se soumit et répudia Bertrade (1098).

127. guerres féodales. — Cette querelle fut le dernier acte important de la vie de Philippe I. À partir de 1099, il cessa réellement de régner ; affaibli par ses excès plus encore que par l’âge, il associa à la royauté et fit couronner son fils Louis, qu’on surnommait alors l’Éveillé à cause de son activité, et qui fut appelé depuis Louis-le-Gros. « Prends garde surtout, lui dit Philippe, prends garde, mon fils, à cette tour de Montlhèry, qui m’a fait tant vieillir. » Là en effet vivait un riche seigneur qui, comme tous ceux des environs de Paris et d’Orléans, inquiétait le roi et le tenait comme prisonnier dans son étroit domaine. Ce fut donc contre les barons de l’Ile-de-France et de l’Orléanais que le jeune Louis fit ses premières armes. Il réduisit successivement les principaux d’entre eux, notamment les sires de Montmorency et de Montlhéry, et en réprimant leurs brigandages il assura la libre communication entre les diverses parties du domaine royal.

128. les croisades. — Le règne de Philippe est pourtant l’une des époques les plus brillantes de notre histoire. Les expéditions et les succès de la chevalerie française portèrent la gloire du nom français non-seulement dans les contrées voisines, mais jusque sur les bords lointains. Nous avons raconté plus haut la conquête des Deux-Siciles et de l’Angleterre ; il nous reste à parler de ce grand mouvement des croisades qui, commencées en 1095, se terminèrent en 1270, après avoir pendant deux siècles poussé les populations de l’Europe vers l’Orient et les lieux saints.

129. pierre l’ermite. — Depuis la mort de Jésus-Christ, de nombreux pèlerins allaient visiter le saint Sépulcre à Jérusalem. Quand les infidèles se furent emparés de la Palestine, leur fureur sacrilège n’épargna point les saints Lieux, et les Chrétiens apprirent avec indignation que le tombeau du Sauveur, était chaque jour profané. En entendant les récits de ces profanations, les cœurs, des fidèles s’enflammèrent du désir d’aller châtier les ennemie de la foi. Un moine des environs d’Amiens ; Pierre l’Ermite, qui avait visité la Terre-Sainte, excita surtout un enthousiasme général par sa vive et simple éloquence. Il avait apporté au pape Urbain II des lettres de Siméon, patriarche de Jérusalem, qui implorait des secours : « Va, lui dit Urbain, prêche la guerre sainte en Italie, en Allemagne, en France ; parle en mon nom, prépare les voies à ma parole ; elle se fera entendre quand l’heure sera venue. » Le pape en effet vint lui-même prêcher la croisade dans un concile tenu à Clermont, en Auvergne (1095). Deux cents évêques, quatre mille clercs, et trente mille laïques s’étaient assemblés à ce concile ; toute cette foule s’émut au tableau des souffrances qu’enduraient les chrétiens d’Orient, et, pénétrée d’un saint zèle pour la défense des lieux où s’étaient accomplis les mystères de la Rédemption, elle s’enrôla au cri mille fois répété de « Dieu le veut ! » pour aller combattre les Infidèles. Des croix de drap rouge furent distribuées à chaque guerrier, qui fit serment de partir : de là le nom de croisés et celui de croisades.

130. départ des croisés. — prise de jérusalem. — Les pays voisins, animés du même enthousiasme, voulurent prendre part à la guerre sainte. Le départ avait été fixé au 15 août de l’année suivante ; mais le peuple et les pauvres n’attendirent pas cette époque. Ils se mirent en route sous la conduite de Pierre l’Ermite et d’un certain Gauthier-sans-Avoir, qui allait chercher fortune en Terre Sainte. Leurs bandes indisciplinées, n’ayant aucunes connaissances géographiques, demandant a chaque ville par où elles passaient si ce n’était pas là Jérusalem, ravageant et pillant tout sur leur route pour suppléer au manque de vivres, furent massacrées dans les pays qu’elles traversaient, et surtout en Hongrie. Très-peu de ces malheureux arrivèrent jusqu’en Terre Sainte. Les nobles ne partirent qu’en 1096. Les principaux chefs de la croisade étaient Godefroy de Bouillon, duc de la Basse-Lorraine, le duc de Normandie, le comte de Flandre, le comte de Toulouse, etc. On a porté le nombre des croisés à 600, 000. Parvenus à Constantinople, ils passèrent le Bosphore[2] s’emparèrent de Nicée et d’Antioche, et arrivèrent enfin sous les murs de Jérusalem, mais réduits à 25, 000 combattants. Le siège de la ville sainte dura 40 jours, au milieu de souffrances cruelles de la part des croisés. La foi soutint leur courage, et le 15 juillet 1099 ils emportèrent les murs d’assaut et entrèrent dans la cité au cri de Dieu le veut ! Le carnage fut horrible et dura huit jours. Toutefois, par un de ces contrastes que peut seule expliquer l’alliance d’une foi simple et naïve avec un zèle ardent, les croisés suspendirent leurs vengeances pendant un jour, et s’en allèrent pieds nus, sans armes, a l’église de la Résurrection verser d’abondantes larmes sur le tombeau du Rédempteur.

131. royaume de jérusalem et principautés chrétiennes en orient. — Les vainqueurs réglèrent sans délai le gouvernement de leur conquête, et y organisèrent le système féodal. Godefroy de Bouillon fut proclamé roi de Jérusalem. En acceptant le périlleux honneur de défendre la cité où le Sauveur du monde avait été couronné d’épines, le pieux guerrier rejeta les insignes de la royauté, et ne voulut jamais prendre d’autre titre que celui de Baron du Saint-Sépulcre. D’autres chefs devinrent princes d’Antioche et de Tibériade, comtes d’Edesse et de Tripoli, marquis de Tyr, seigneurs d’Ascalon, de Joppé, de Naplouse, de Sidon, etc. ; ils furent les vassaux et les arrière-vassaux de la couronne de Jérusalem. Un code, connu sous le nom d’Assises de Jérusalem, dressé par les ordres de Godefroy de Bouillon, et déposé en grande pompe dans l’église de la Résurrection, consacra l’organisation nouvelle du royaume chrétien. On peut compter aussi parmi les grands vassaux de ce royaume les trois ordres religieux militaires fondés pour défendre le pays contre les Infidèles et pour protéger les pèlerins :ce furent les Hospitaliers, qui devinrent plus tard les chevaliers de Rhodes, puis de Malte ; les Templiers, qui furent abolis en 1312, et l’ordre Teutonique, composé surtout d’Allemands, et qui, plus tard, se transporta en Allemagne, sur les bords de la Baltique. Ainsi constitué, le royaume de Jérusalem dura près d’un siècle jusqu’en 1187.


Synchronisme. — Schisme de l’Église grecque, 851-1054. Conversion du reste de l’Europe au christianisme, 1000. — Pontificat de Grégoire VII, 1073-1085. — Querelle de Investitures, 1074-1122. — Fondation du royaume du Portugal par Henri de Bourgogne, 1095.


  1. Note Wikisource : une autre édition de ce livre (malheureusement la date ce celle-ci est effacée), précise : « Son tombeau est à Caen. »
  2. On nomme ainsi le détroit sur lequel est bâtie Constantinople.