Delagrave (p. 229-250).


CHAPITRE VII

sur le « stamboul »


Le 28 janvier 1880, Georges Cardignac, descendant du train, à Bordeaux, avec le capitaine Cassaigne, veillait au débarquement des « marsouins » de son peloton, et, sabre au côté, prenait la tête de la compagnie pour se rendre au quai de Bacalan, où stationnait le paquebot. C’était le Stamboul, de la Cie Freycinet, bâtiment qui dessert la côte occidentale d’Afrique.

Une animation extraordinaire régnait sur les quais de la Garonne, ce merveilleux fleuve, qui, à cent quatre-vingt-seize kilomètres de son embouchure, est assez puissant pour livrer passage à des transatlantiques de trois mille tonneaux et donner asile à douze cents navires.

C’est toujours une heure curieuse que celui d’un départ de transport pour les pays lointains, surtout lorsque des troupes s’embarquent ; car l’opération s’exécute comme un exercice, avec la plus grande régularité, et en silence, chaque homme, muni de son sac et d’une couverture, allant occuper sa place dans l’entrepont ; les fusils seuls sont retirés aux soldats embarqués et mis en caisse, jusqu’à l’arrivée à destination. Entassés dans un espace de quelques mètres carrés, les hommes redoutent généralement ces longues traversées, surtout lorsqu’ils doivent franchir les régions équatoriales, ou certaines zones particulièrement torrides, comme la mer Rouge, où le thermomètre atteint cinquante et cinquante-cinq degrés à l’ombre.

Bien heureux encore, lorsque les effectifs embarqués n’obligent pas à laisser une partie des passagers sur le pont, exposée aux intempéries et aux coups de mer.

Ce ne fut pas le cas pour les « marsouins » qui s’embarquèrent ce jour-là : deux compagnies seulement, soit trois cent cinquante hommes, prirent place sur le Stamboul. Le hasard n’avait pas voulu séparer Zahner de Georges : c’était sa compagnie qui partait avec celle du capitaine Cassaigne ; elle était commandée par un capitaine déjà âgé, sombre et peu communicatif, nommé Brémont.

— Monsieur Cardignac ! appela un premier-maître, lorsque les deux compagnies au complet, furent à bord.

— C’est moi ! fit notre ami.

— Le commandant vous demande sur la passerelle.

Très intrigué, Georges grimpa lestement l’étroit escalier qui conduisait au réduit d’où, la jumelle à la main, le commandant et l’officier de quart embrassent, en même temps que le vaste horizon, toute la surface du bâtiment.

Le commandant Lota, du Stamboul, était un Corse, à la figure franche et énergique, hâlée par les embruns, éclairée de deux yeux noirs et expressifs, ombragés par des sourcils épais ; il tendit la main à Georges :

— Vous êtes le fils du colonel Cardignac ?

— Oui, commandant !

— Alors, cette dépêche vous concerne. Voyez. Et Georges lut le télégramme que voici :


« J’apprends au ministère Marine, que fils de mon vieil ami colonel Cardignac, mort à l’ennemi en 1870, embarque avec vous 28 janvier, pour Sénégal. Vous serais reconnaissant, l’accueillir comme moi-même et lui faciliter traversée.

« Amiral de Nessy. »


Ainsi, partout, le souvenir de son père, le nom de cette famille de soldats, planaient au-dessus de Georges Cardignac, le guidant, l’aidant, le conseillant ; et vous reconnaîtrez, mes enfants, une des beautés de la vie militaire, dans cette solidarité durable, qui résiste au temps et qui se transmet sans altération d’une génération à l’autre.


Le jeune officier, penché sur le bastingage d’arrière, eut un long regard.

— Je vous ai fait réserver une excellente cabine, reprit le commandant du Stamboul : elle est loin de la machine, pour vous en éviter la chaleur et l’odeur ; loin de l’hélice pour vous en éviter les trépidations ; elle est munie de deux hublots, qui vous donneront de l’air ; et vous verrez, quand nous serons par le travers des Canaries, que ce n’est pas à dédaigner.

— Merci, mille fois merci, commandant, dit Georges ; mais mon capitaine sera peut-être moins bien que moi, et je vous serais bien reconnaissant, si…

— J’en étais sûr ; votre capitaine est bien installé : tranquillisez-vous et renoncez à l’idée de lui offrir votre cabine. Je tiens à répondre au désir de l’amiral de Nessy qui a toujours été un père pour moi.

Georges apprit alors que cet amiral, vieil ami de Jean Cardignac, son oncle, avec qui il avait été prisonnier avant la conquête d’Alger, ami également de Henri Cardignac, son père, avait été blessé devant Orléans, en novembre 1870, avait perdu le bras droit, et, depuis huit ans, était en retraite à Lorient.

Notre ami avait le temps de lui envoyer une dépêche de remerciements avant le départ du Stamboul : il ne manqua pas à ce devoir. Mais sa satisfaction d’avoir une belle cabine était gâtée par la pensée de savoir son ami Zahner relégué dans un réduit obscur, près des chaudières ; et ce fut d’une voix presque suppliante qu’il reprit :

— Au moins, me permettez-vous, commandant, d’avoir un ami avec moi ?

— Si vous voulez, mon jeune camarade ; il y a, dans cette cabine, une couchette au-dessus de la vôtre et un canapé transformable en couchette : place pour trois, par conséquent ; vous serez donc encore au large.

Et Georges Cardignac, qui n’avait jamais fait de traversée, put apprécier par la suite l’avantage qui lui était fait.

Quelques heures après, Mme Cardignac arriva avec le lieutenant-colonel Bertigny. Elle n’avait pu prendre le même train que Georges, ce train étant exclusivement militaire ; mais du moins serait-elle là, au moment où le bateau lèverait l’ancre.

Le cœur de Georges se serra lorsque sa mère l’embrassa en pleurant. Depuis quelques mois, ses cheveux avaient blanchi : elle avait tant pleuré déjà ! Mais, cette fois, ce n’était plus la séparation momentanée qu’elle avait connue à plusieurs reprises ; c’était une absence de deux ans au moins qui commençait.

Reviendrait-il jamais de ces climats meurtriers, où s’étiolent les plus vigoureuses santés, où les plus robustes sont parfois terrassés les premiers ?

Et lorsque, vers le soir, le transport, libéré de ses amarres, glissa lentement le long du quai, sous la lente impulsion de son hélice, le jeune officier, penché sur le bastingage d’arrière, eut un long regard pour la pauvre femme en noir, qui, au bras du lieutenant-colonel Bertigny, défaillait en agitant nerveusement son mouchoir.

Lui aussi, le brave Pierre était très ému. N’était-ce pas le seul descendant des Cardignac, de cette famille à laquelle il devait tout, qui risquait de disparaître dans cet exode lointain ?

Comment, ayant eu le choix d’un régiment, Georges avait-il été, de sa propre volonté, creuser, entre sa mère et lui, ce large fossé fait de déchirements répétés ? Quelle fascination exerçait donc sur son âme cette perspective des guerres lointaines, et pourquoi, comme tant d’autres, n’avait-il pas choisi une bonne garnison, à courte distance de ceux qu’il aimait ? N’était-ce pas un mirage qu’il poursuivait, en satisfaisant cette soif d’aventures, ce besoin incessant d’activité et de mouvement ?

Toutes ces réflexions, mes enfants, Georges ne se les fit pas ; il éprouvait un amer chagrin à partir loin de sa mère, et une grosse larme coula de ses yeux lorsque, au détour du bassin à flot, le point blanc formé par le mouchoir qu’elle agitait s’estompa dans l’éloignement. Mais il obéissait à l’instinctive impulsion de sa nature. Sans doute l’esprit aventureux de son aïeul, de celui qui avait chevauché pendant vingt ans à travers l’Europe, sans doute, le sang bouillant de Jean Tapin courait dans ses veines, et la douloureuse impression de ce départ ne lui fit pas une minute regretter son choix.

Pourtant, une nouvelle fâcheuse l’avait assombri.

Comme elle l’avait craint, Mme Cardignac venait de voir les derniers lambeaux de sa fortune disparaître dans l’effondrement de la fortune de son oncle. Ce dernier luttait héroïquement, mais les commandes n’arrivaient pas, et Valentine en était réduite maintenant à sa maigre pension de veuve. Cette pensée, qu’il laissait sa mère dans une situation aussi précaire, était des plus pénibles pour Georges. Certes il savait bien que Pierre Bertigny le remplacerait auprès d’elle et ne la laisserait manquer de rien ; mais, outre que la fortune personnelle de Pierre était, elle aussi, bien diminuée depuis la guerre, Georges savait sa mère
M. d’Anthonay à bord du Stamboul.
trop fière pour accepter quoi que ce soit, même des obligés de son mari.

Mais la nouveauté du spectacle, l’animation qui régnait à bord, chassèrent vite, chez le jeune officier, les réflexions mélancoliques. Le Stamboul remontait en effet vers les plages africaines, non seulement des soldats, mais encore des fonctionnaires de toutes catégories : vice-résidents, télégraphistes, magistrats, et, avec eux, des commerçants que tentait le trafic de l’ivoire, du caoutchouc, de la gomme, de la poudre d’or et de toutes ces richesses naturelles, qui, depuis peu, se révélaient au fond du Soudan mystérieux.

Parmi ces derniers, le commandant Lota fit remarquer à Georges et à Zahner un passager d’un certain âge, à l’air noble et triste, et qui attirait particulièrement l’attention. Les traits de son visage révélaient une énergie peu commune, et toute son attitude, une trempe d’acier et une vigueur infatigables. Il avait le teint bronzé des coloniaux, les yeux noirs, grands et profonds, avec ce sombre de la paupière et ce reflet jaunâtre de la pupille qui trahit les premières atteintes de l’affection du foie, si fréquente aux pays chauds.

Grand, maigre, de tournure élégante, il allait et venait sur le pont, un livre à la main, en passager familiarisé avec les longues traversées, et sachant occuper les loisirs obligatoires de la vie à bord.

Du premier coup, M. d’Anthonay, c’était son nom, inspira au fils du colonel Cardignac une instinctive et respectueuse sympathie.

Le vieux gentilhomme s’en aperçut, et avec l’aisance que donne l’habitude des voyages, il aborda le jeune officier, au moment où celui-ci s’effaçait poliment pour lui céder le pas devant l’escalier qui conduisait aux cabines.

À bord, d’ailleurs, les relations s’ébauchent avec une étonnante facilité ; les confidences s’échangent rapidement entre gens qui s’ignoraient absolument au départ. C’est la vie concentrée dans ce petit espace, c’est le sentiment de l’immensité environnante qui rapproche les hommes et ouvre les cœurs ; et, quand Georges eut fait part à M. d’Anthonay de ses joies et de ses ambitions, ce dernier, qui l’avait écouté avec une visible sympathie, lui raconta à son tour sa vie et ses projets.

Il avait été magistrat, et il portait d’ailleurs encore l’empreinte spéciale à cette carrière, avec ses favoris courts, ses lèvres et son menton toujours soigneusement rasés. Descendant d’une vieille famille de robe, n’ayant d’autre ressource que son traitement de procureur dans une petite ville, il avait donné sa démission par suite de diverses circonstances où sa conscience s’était trouvée engagée.

Jeté soudain hors de sa voie, sans ressources personnelles, il y avait sept ans de cela, il était parti pour l’Amérique du Sud, avait appris le dur métier d’éleveur, et, avec les quelques milliers de francs qui constituaient toute sa fortune, avait acheté, aux environs de Buenos-Ayres, un petit domaine sur lequel il avait tenté l’élevage des bestiaux.

C’était justement l’époque où l’Europe commençait à devenir tributaire du Nouveau Monde pour la viande de boucherie ; où de hardis spéculateurs américains embarquaient chaque semaine, à destination du Havre, de Bordeaux et de Southampton, des milliers de bœufs, sur ces énormes cargo-boats aux flancs rebondis, qui couvrent aujourd’hui les mers. En quatre ans, M. d’Anthonay avait décuplé son petit capital, et la chance, le prenant par la main, lui avait fourni l’occasion d’acquérir, dans d’excellentes conditions, les actions d’une mine d’argent dans les environs de Parana.

C’était la fortune. En deux ans le gentilhomme était devenu millionnaire ; il aurait pu aller vivre de ses rentes en France, et il y songea un instant ; car, au milieu de ses travaux et des satisfactions qu’il en avait retirées, une chose lui avait manqué : la société de ses compatriotes, le bonheur d’entendre parler sa langue natale, et il faut avoir été privé longtemps de ce bonheur pour l’apprécier.

Mais il avait horreur de l’oisiveté ; il n’était pas de ces gentilshommes qui abritent leur paresse derrière le mensonge, en prétendant que le travail déshonore, et qui croiraient déchoir s’ils se livraient à une occupation manuelle. Il avait reconquis par lui-même une brillante situation ; il prit donc le parti de transporter ses capitaux dans une colonie française, afin d’en faire bénéficier son pays et de se retrouver au milieu de ses compatriotes.

Or c’était l’époque où quelques hommes d’État français commençaient à rêver d’expansion coloniale ; parmi les colonies naissantes dont on parlait le plus alors, M. d’Anthonay remarqua le Sénégal. Un travail de pénétration méthodique et continu s’y accomplissait, sous l’habile poussée des successeurs de Faidherbe, et le 5 mars 1878, l’ancien magistrat débarquait à Saint-Louis.

— Dieu m’avait bien inspiré, dit-il, quand il en fut à ce point de son récit, car je rencontrai là une famille française, intéressante au plus haut point, et qui, depuis 1870, se débattait contre la mauvaise fortune. Son chef était un Lorrain du pays annexé, ruiné par la guerre ; ne voulant pas devenir Allemand, il avait émigré à Saint-Louis avec ses deux filles, deux adorables enfants, vaillantes et fortes comme leur père. Il avait d’abord essayé de fonder une industrie de tissage, en souvenance de son ancienne usine de Metz ; mais comment lutter contre les cotonnades bon marché de Birmingham, dont les Anglais inondent tous les pays du monde, et même contre les tissus allemands qui commencent à leur faire concurrence ; la modeste usine avait sombré et s’était transformée en un de ces bazars où s’échangent les bimbeloteries, conserves, objets d’équipement ou de toilette, nécessaires aux colonies ; mais sous cette forme même, la maison Ramblot n’avait pas prospéré.

— La maison Ramblot ? vous connaissez M. Ramblot et ses deux filles !… s’écria Georges qui, depuis quelques instants, l’attention éveillée par les détails que donnait l’ancien magistrat, voyait poindre dans son histoire les figures connues qui avaient traversé son séjour à Dijon, pendant le mois de novembre 1870.

L’étonnement de M. d’Anthonay égala celui du jeune homme en entendant cette exclamation.

— Certes, reprit-il, je connais cette famille : je connais M. Ramblot comme le plus courageux des hommes ; c’est un des plus infatigables pionniers de cette civilisation nouvelle, poussée par la France dans les profondeurs du Soudan ; il ne pèche que par un défaut, et un défaut bien français : la témérité. Ainsi, il est un des premiers qui aient poussé jusqu’au Niger, et, dans son dernier voyage, il a pu descendre le grand fleuve africain jusqu’à Ségou.

— La capitale du sultan Ahmadou, notre allié ?

— Oh ! notre allié ! fit M. d’Anthonay, en hochant la tête ; c’est une épithète bien risquée s’appliquant à ces tyrans noirs, surtout si l’on songe que non loin de là, de Sierra-Léone, partent sans cesse des émissaires anglais, offrant à ces roitelets nègres de l’or et des armes pour se retourner contre nous. Allié aujourd’hui, ennemi demain, tel m’apparaît ce fameux sultan de Ségou, une figure peu ordinaire, j’en conviens ; et j’ai trouvé M. Ramblot bien imprudent d’avoir poussé son voyage jusque-là. Une fantaisie d’Ahmadou pouvait lui coûter la tête. Quoi qu’il en soit, ce brave et digne homme a fondé un comptoir à Kita, notre poste extrême dans l’Est, et il compte, l’an prochain, si les traités signés par le colonel Borgnis-Desbordes le permettent, en installer un autre sur le Niger même.

— Et ses deux fillettes que j’ai connues si gaies, si gentilles, en passant à Dijon ?

— Ce sont deux grandes et belles jeunes filles ; l’une, Henriette, est brune et a vingt-deux ans ; c’est elle qui tient la maison de Saint-Louis, s’occupe des achats et de la comptabilité : une maîtresse femme, je vous assure ; l’autre, Lucie, a dix-sept ans ; elle est blonde et mutine, d’un caractère très résolu sous de frêles apparences, et accompagne souvent son père dans ses explorations.

— Comme je vais être heureux de les revoir.

Et de fait, à la joie d’entrer dans l’inconnu d’une vie nouvelle et aventureuse, vint se joindre, à dater de ce jour, pour notre jeune ami, la perspective de trouver dans ces solitudes africaines des visages amis. Cette nuit-là, dans sa cabine, il revit surtout la figure éveillée de Lucie Ramblot, avec ses boucles blondes et ses grands yeux de pervenche ; il l’entendit appelant « mon colonel » le petit diable de Paul Cousturier qui lui commandait l’exercice, et tapant du talon, sur le parquet de sa chambre de convalescent, en comptant : « Une ! deux !… une ! deux ! »

Dès lors, ses entretiens avec M. d’Anthonay, pendant les longues heures de la traversée, roulèrent sur la colonie nouvelle à laquelle l’attachaient déjà des liens faits de souvenirs d’enfance, et l’attachement de l’ancien magistrat s’accrut pour celui qu’il appelait déjà son « jeune ami », en découvrant en lui, non seulement une nature ardente et avide d’émotions, mais un cœur chaud et prêt à s’épandre en saines affections.

Le malheur qui avait brisé sa carrière, et la rude vie coloniale que la nécessité lui avait fait embrasser, n’avaient pas blasé cet homme supérieur ; il en était seulement devenu très réservé, presque méfiant, il ne se jetait pas à la tête des gens et se liait difficilement ; mais en face de cette jeune âme, s’ouvrant à la vie au souffle des plus nobles sentiments, il sentit son cœur se fondre en une chaude et pénétrante affection, et s’il la témoigna en particulier à Georges, il en fit aussi bénéficier son ami Zahner, dont la rondeur et la gaieté le déridaient franchement.

La traversée fut donc tout particulièrement intéressante pour les deux jeunes officiers, car M. d’Anthonay connaissait tous les parages traversés, toutes les côtes entrevues, et se plaisait à les renseigner en même temps qu’à les instruire.

C’est ainsi que, le Stamboul ayant été obligé de traverser le détroit de Gibraltar pour embarquer à Oran une compagnie de tirailleurs, il leur fit remarquer le fameux rocher britannique, assis comme une sentinelle géante à l’extrémité de l’Europe, et regardant l’Afrique de ses cent yeux, figurés par les embrasures de ses « caves à canon ».

— C’est une erreur, dit-il aux deux jeunes officiers, de croire que l’Angleterre tient encore le passage et peut, comme à l’époque de la navigation à voiles, empêcher une escadre d’entrer dans la Méditerranée. Sans doute ses canons la menaceront, mais la vapeur permet de raser de très près la côte d’Afrique, et à moins qu’un jour les Anglais ne s’emparent de Ceutar de l’autre côté du détroit…

— Ils s’en empareront, interrompit vivement Zahner ; ils s’en empareront, soyez-en sûr !

— Il faudrait que l’Espagne fût bien bas pour se laisser enlever ce poste si important, reprit l’ancien magistrat.

— Ça ne fait rien : ils mettront la main dessus un jour, sans prévenir, par habitude. Prendre pour eux est un besoin, un vrai besoin naturel, comme de manger ; est-ce que vous ne les avez pas vus dernièrement, au Transvaal, prendre quelque chose qu’on ne les croyait pas capables de prendre ?

— Au Transvaal, fit M. d’Anthonay ; mais au contraire, ils ont été au-dessous de tout : et je ne vois pas du tout ce qu’ils ont pris !…

— Mais si… ils ont pris la fuite ! s’écria Zahner dans un franc éclat de rire.[1]

Et malgré sa gravité, l’ancien magistrat ne put s’empêcher de prendre sa part de la gaieté du jeune Alsacien. D’ailleurs, il n’aimait pas les Anglais et ne s’en cachait pas, reconnaissant leurs qualités pratiques et leur esprit de décision, mais ayant éprouvé partout leur insatiable rapacité et leur absence totale de scrupules.

Et sur ce point encore, il sympathisa avec Georges Cardignac qui, en digne petit-fils d’un soldat de la Grande Armée, ne voyait pas seulement dans l’Anglais l’adversaire hypocrite et séculaire de notre pays, mais encore le « bourreau de Sainte-Hélène ».

Un matin, les passagers du Stamboul s’éveillèrent au soleil radieux des Canaries, et M. d’Anthonay montra à Georges, au-dessus des nuages brumeux, un profil argenté, une tache d’une blancheur immaculée qui, perdue dans l’infinité de l’azur, semblait encore s’y confondre.

— C’est le pic de Ténériffe ! s’écria Georges. Que de fois j’en ai entendu parler !

— Tu veux rire, fit Zahner…, à cette hauteur dans le ciel, une montagne !

— Parfaitement, c’est bien cela, appuya M. d’Anthonay. Le Pic de Ténériffe a trois mille sept cent seize mètres ; les Pyrénées, les Alpes, l’Himalaya sont plus élevés, c’est entendu ; mais songez que leurs sommets surplombent de deux mille mètres au plus les vallées qui sont à leurs pieds. Ce pic, lui, se dresse brutalement au-dessus de la mer : voilà d’où vient votre illusion.

À ce moment, le brouillard étant dissipé, la masse imposante de la montagne entière émergea au-dessus des eaux, élevant magistralement sa cime neigeuse dans les profondeurs du ciel.

— Et notez, ajouta M. d’Anthonay, que nous en sommes encore à cent cinquante milles.

— Cent cinquante milles ! près de trois cents kilomètres !

Et cette fois, les deux officiers se récrièrent d’un commun accord ; leurs regards n’étaient pas habitués à de telles distances. En pays montagneux, la vue est forcément limitée par les sommets environnants : il n’y a que les immensités de la mer et du désert qui puissent donner à l’homme pareille impression d’éloignement.

Contrairement à l’usage, le Stamboul, qui avait perdu plusieurs jours à rallier Oran, ne fit pas escale à Ténériffe ; il continua à filer à toute vapeur vers Saint-Louis.

La terre d’Afrique était encore invisible ; mais la chaleur augmentait chaque jour d’intensité, annonçant un climat nouveau et la proximité du Sahara. Les vieux coloniaux qui étaient à bord parurent sur le pont avec les casques en liège et les vêtements de flanelle blanche ; Georges Cardignac et Zahner les imitèrent : leur vie coloniale commençait.

Un matin, les deux amis dormaient encore profondément, quand ils furent réveillés en sursaut par des bruits inaccoutumés, glissements des lourdes chaînes sur le pont, roulements intermittents et précipités du cabestan, coups de sifflet suivis de brefs commandements. Le ciel leur apparaissait radieux à travers les hublots de la cabine, et le soleil se reflétait en rayons marbrés et tremblotants contre les cloisons blanches.

Sauter du lit, s’habiller et se précipiter sur le pont fut pour eux l’affaire d’un instant.

Déjà M. d’Anthonay, toujours très matinal, les y avait précédés et se promenait avec le docteur du bord, un gros homme à la mine réjouie, au verbe haut, à la parole chantante, entremêlée de et de d’une saveur toute méridionale.

— C’est la terre, dit l’ancien magistrat aux deux jeunes gens.

La terre ! Que de fois, depuis leur entrée dans l’infanterie de marine, ils avaient rêvé de leur nouvelle patrie, du pays des tropiques, vert et brillant sous un ciel toujours bleu. Dans leur imagination, l’Afrique ne leur apparaissait que dans le cadre merveilleux d’une végétation luxuriante.

Quelle désillusion ! Ce qui s’étalait sous leurs yeux, c’était une longue bande de sable jaune et de dunes mouvantes ; des solitudes monotones et tristes ; des horizons infinis où n’apparaissait aucun vestige de vie.

— Le Sahara, dit M. d’Anthonay.

— Té ! ajouta le docteur, c’est même un Sahara plus abominable que celui qui s’étend au sud de notre Algérie, car les Maures qui le parcourent sont les êtres les plus insociables et les plus féroces que l’on connaisse. On ne cite qu’un explorateur qui ait osé aborder cette côte inhospitalière : c’est un Français, Camille Douls, et ils lui ont fait souffrir mille tortures, le laissant des journées entières sans nourriture et sans eau.

— Ils appellent eux-mêmes leur pays : Al edel ateuch, le pays de la soif, reprit M. d’Anthonay : quelques-unes de leurs tribus poussent de fréquentes incursions sur la rive droite du Sénégal, et les malheureux noirs les redoutent comme le pire des fléaux.

Pendant toute la journée, le Stamboul longea cette côte désolée, et, vers le soir seulement, les cocotiers mirent dans ce paysage monotone la verdure de leur feuillage ; puis quelques huttes en paille apparurent, bientôt suivies de milliers de cases en chaume et de cabanes aux toits pointus. Des fourmilières de noirs se montrèrent sur le rivage, et le docteur nomma les deux, grandes villes formées par ces agglomérations d’indigènes ; Guet N’dar et N’Dartoute. Derrière, au-dessus des sables, une vieille cité blanche, encore endormie sous l’ardent soleil, des maisons mauresques, une mosquée, une tour, une église émergèrent peu à peu.

C’était Saint-Louis.

Entre le navire et la plage, une longue arête de vagues soulevées et tourbillonnantes se brisaient les unes contre les autres avec un fracas de tonnerre.

— Est-ce qu’il faudra franchir ça ? demanda Zahner, vaguement inquiet, car il n’avait qu’un goût modéré pour les mouvements de tangage et de roulis.

— Té ! répondit le docteur, il le faudra bien. Tant qu’on n’aura pas terminé la voie ferrée qui, de Saint-Louis va à Dakar, seul point de la côte où cette barre n’existe pas, il n’y aura pas d’autre moyen d’aborder ici, et, à dire vrai, je ne débarque pour mon compte que quand j’y suis tout à fait obligé, car c’est un vilain moment à passer. D’ailleurs, voyez, voici une pirogue qui nous apporte les ordres du gouverneur : té ! regardez si elle saute !


Une pirogue montée par des nègres.

Tous les passagers suivaient déjà du regard une petite embarcation, montée par quatre noirs, et qui venait de se détacher du rivage. Elle se lança sur la crête écumante des lames, disparut comme engloutie, puis reparut ruisselante, bondissante et légère, par-dessus les volutes prêtes à la briser ; un instant après, elle s’accrochait au navire.

— Le capitaine du port me fait savoir que la barre est particulièrement dure à franchir aujourd’hui, annonça le commandant Lota ; cependant une vingtaine de pirogues accosteront dans une heure : avis à ceux qui ne voudront pas attendre à demain matin pour débarquer.

Georges Cardignac et Zahner, après avoir pris l’agrément de leurs capitaines, se firent inscrire aussitôt parmi ceux qui tenaient à arriver à Saint-Louis le soir même, et pour ne pas les laisser partir seuls, M. d’Anthonay se décida à débarquer avec eux.

— Mais, ajouta-t-il gravement, sachez que je n’ai jamais vu un franchissement de la barre qui ne coûtât une ou plusieurs vies humaines. D’ailleurs, les deux capitaines d’infanterie de marine, après s’être concertés, décidaient eux aussi de débarquer avec leurs compagnies. En somme le débarquement était possible ; savait-on si le lendemain un coup de vent ne le rendrait pas plus dangereux encore ? Une heure après, tous trois, prenant congé de l’excellent commandant du Stamboul, descendaient dans une pirogue qui les attendait au pied de l’escalier de tribord, que les vagues soulevaient comme une coquille de noix.


À un signe du pilote, les noirs plongent leurs rames dans les flots, les enfoncent lentement, en se penchant avec une profonde aspiration, puis les retirent et se relèvent en aspirant bruyamment. Ils se donnent la mesure et harmonisent leurs efforts avec des sifflements prolongés. La pirogue glisse d’abord doucement. Les deux jeunes gens regardent alternativement la muraille d’écume qui s’approche, et le pilote, un noir de haute taille, qui debout, impassible, fixe les yeux sur la barre.

D’un signe, ce dernier arrête soudain les rameurs, et le frêle esquif se balance un instant au milieu des flots agités.

Car il faut saisir le moment fugitif où la pirogue pourra aborder l’obstacle, se livrer à la lame et se faire enlever par elle.

Ce moment est venu !… Le pilote pousse un cri perçant. Toutes les pagaies frappent en cadence les vagues écumantes ; les noirs redoublent d’efforts ; ils sont ruisselants de sueur. Le moment est court, mais l’impression est inoubliable : un cri de triomphe va jaillir des lèvres du pilote ; la pirogue a presque franchi la terrible barre !

Soudain, Georges le voit s’élancer sur la rame d’un jeune noir qui faiblit :


Le petit noir disparut en poussant un cri.

il est trop tard, la pirogue a prêté son flanc à une haute lame, et en moins

d’une seconde, l’embarcation retournée jette à la mer ses rameurs et ses passagers.

Georges, d’ailleurs légèrement vêtu, a rapidement pris son parti de ce bain forcé : n’est-il pas excellent nageur ? Évidemment, le flux et le reflux de la mer rendent la nage plus pénible ; mais la terre est proche : une centaine de mètres à peine restent à franchir, et Zahner qui nage, lui aussi, comme un poisson, M. d’Anthonay qui les précède, et dont le casque blanc apparaît à quelque distance, tous trois riront de bon cœur de l’aventure, tout à l’heure.

Ne faut-il pas des émotions, pour corser la vie coloniale, et quelle plus curieuse émotion que cette culbute générale, ce naufrage en miniature, en guise d’arrivée au port ?

Oui, mais pour Georges, l’émotion va devenir de l’angoisse.

Et quelle angoisse !

À quelques brasses de lui nage le jeune nègre qui a été l’auteur involontaire du naufrage. C’est encore un enfant, quinze ans à peine, avec des cheveux crépus et laineux, et il nage avec une telle aisance que le haut de son corps sort de l’eau à chaque brasse.

Soudain, Georges le voit tourner la tête de son côté, et l’entend pousser un cri guttural… Qu’y a-t-il donc ? Georges, lui, ne voit rien que les volutes d’eau blanche et verte, au milieu desquelles il passe d’un vigoureux élan.

Mais le petit noir accélère ses mouvements, bat l’eau désespérément, et soudain, près de lui, une masse noire surgit, hideuse, luisante, semblable à un quartier de rocher poli par le glissement incessant des vagues ; cette masse évolue, se retourne, et Georges, les yeux agrandis par l’épouvante, aperçoit une formidable rangée de dents, une gueule qui s’ouvre, énorme, en forme de demi-lune.

Il reconnaît le requin ; car dans les récits qu’il a lus, il se rappelle cette particularité que le terrible squale, pour happer sa proie, est obligé de se retourner sur le dos, à cause de la disposition de sa gueule, placée à la partie inférieure de sa tête.

Ce souvenir lui revient au milieu d’un sentiment d’angoisse indicible : il veut pousser un cri, il ne le peut ; la terreur, une terreur folle lui emplit le cerveau, bourdonne dans ses oreilles : quelle mort !

Mais la scène tragique dont il est le témoin affolé ne dure pas trois secondes : la gueule du monstre s’est refermée. Le pauvre petit noir, happé par le « tyran des mers », comme les navigateurs appellent le requin, disparaît en jetant un cri rauque. Presque aussitôt, un bouillonnement se montre à la surface des vagues, une large tache rouge monte des profondeurs où s’achève le drame, et s’étale sur l’écume neigeuse, où se jouent les reflets irisés du soleil couchant.

Soudain, comme un adieu, une queue formidable sort de la mer à quelques mètres de Georges, bat la surface avec une violence qui fait jaillir l’eau de tous côtés en une pluie scintillante ; cette menace, la pensée qu’un autre requin va peut-être surgir à ses côtés, rendent soudain à Georges paralysé ses moyens d’action. Galvanisé, il se remet à nager avec énergie ; le voilà sorti du remous où s’est déroulée la scène abominable et mystérieuse. Mystérieuse, car nul autre que lui n’en a été le témoin ; il s’en aperçoit bien en abordant, car M. d’Anthonay est là souriant, qui le regarde prendre pied, de l’air d’un homme habitué à ces petites misères de la vie coloniale, et Zahner qui se secoue comme un chien mouillé, lui envoie, pour n’en pas perdre l’habitude, une plaisanterie un peu lourde :

— Tu arrives bon dernier ; il aurait peut-être fallu un remorqueur à Monsieur !…

Mais tous deux s’aperçoivent en même temps de l’expression convulsée de Georges… et tous deux sont secoués du même frisson, lorsque, étendant le bras vers la redoutable barre, il prononce ce seul mot :

— Un requin !…

D’ailleurs, toute explication est inutile. À quelque distance de là, les noirs qui viennent de tirer sur la plage la pirogue que la mer leur a renvoyée, s’empressent autour d’un débris sanglant qu’une lame vient d’apporter.

C’est une jambe noire, celle de l’infortuné : elle semble avoir été coupée par une scie. Aucun étonnement d’ailleurs ne se peint sur les faces aplaties de ces pauvres êtres. C’est que la mort, la mort même la plus hideuse, n’a pas pour eux l’aspect terrifiant qu’elle revêt à nos yeux.

La vie humaine est si peu de chose dans leur pays : ce qui vient d’arriver, c’est l’accident qui demain se reproduira pour tel ou tel d’entre eux ; et, en quelques minutes, grattant avec leurs mains le sable mouvant, deux d’entre eux y ont enfoui le membre coupé. Tout à l’heure peut-être la mer l’aura de nouveau découvert, et un autre requin l’emportera. Ne voit-on pas de ces squales s’échouer sur le sable, en poursuivant une proie, et regagner la mer à la vague suivante ?

D’ailleurs toute la côte en est infestée. Que signifient en effet les gestes, les chants, les contorsions de ce noir, dont les cris viennent de redoubler à la découverte du lugubre débris ? Il est là sur le rivage, aux trois quarts nu ; autour du rein, il porte une peau de léopard, à laquelle pendent des queues de chat sauvage ; sur la tête une espèce de casque, également en peau, surmonté de plumes : c’est un féticheur qui cherche à calmer le démon de la mer par ses incantations.

— Le requin, répète Georges très pâle, l’avez-vous vu ?

Nul ne lui répond, et la parole se fige sur les lèvres de Zahner qui n’a jamais vu sur le visage de son ami semblable impression d’angoisse : mais M. d’Anthonay qui a compris, prend dans ses bras le jeune officier, et sans dire un mot, le serre contre sa poitrine ; son affection pour cet enfant qui vient d’échapper à la plus affreuse des morts, se double du danger couru. Il ne songe pas à s’étonner de la terreur qui se reflète ainsi dans le regard de son jeune ami.

L’âme humaine, capable des plus grands héroïsmes, en face de périls prévus, en face de la mort apparaissant sous sa forme habituelle, sur un champ de bataille par exemple, l’âme humaine peut être soudain terrassée par la brutalité d’apparition d’une mort aussi inattendue et aussi affreuse.

Mais le pilote, qui a compris, s’est approché, et, dans un rire qui épanouit sa large face aux yeux jaunes, au nez aplati, à la bouche lippue :

— Moi content, dit-il ; requin aimer beaucoup petit noir, aimer aussi petit blanc ; mais petit noir tout nu : bonne odeur, manger mieux petit noir. Moi content pour petit blanc !

C’est l’oraison funèbre du malheureux pagayeur ; nul d’ailleurs ne songe plus à lui ; les frêles embarcations vont et viennent, franchissant le redoutable mur liquide, débarquant les « marsouins » qui se forment par compagnies sur le rivage.

Au loin le Stamboul immobile, avec le pavillon tricolore à l’arrière, est entouré d’une petite flottille de pirogues et de chalands à fond plat pour le débarquement des marchandises. Le soleil disparaît dans les flots, en un disque rouge énorme, jetant sur la blancheur de Saint-Louis des tons pourpres, et projetant à la surface de la mer une longue traînée de paillettes éblouissantes.

Et les deux officiers d’infanterie de marine prennent possession de cette terre d’Afrique : c’est bien l’Africa portentosa des Romains ; c’est-à-dire le continent mystérieux, où grouillent les monstres, où tout est danger. Il semble que, dès son premier pas, la Providence, en sauvant Georges d’un imminent péril, ait voulu lui rappeler que la vie du « marsouin » est partout et à chaque instant menacée : non seulement par les peuplades barbares que la France veut amener à la civilisation, mais encore par les ennemis naturels, engendrés par le climat : animaux sauvages errant dans la brousse ; fièvre livide dormant au fond des marécages ; soleil écrasant qui fait bouillir les crânes et use les plus viriles énergies !

  1. Au moment où se tenait cette conversation (1880), les Anglais, ayant tenté d’annexer contre toute justice le Transvaal aux domaines britanniques, venaient d’être battus par les Boers à Potchefstroom, à Laings’sneck et à Schaine-Hoogte ; quelques mois plus tard, ils allaient subir la défaite décisive de Majuba : contraints de reconnaître alors l’indépendance de la vaillante République, ils ont mis vingt ans à préparer une nouvelle agression, aussi injuste que la première.