Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil/Préface de Léry


PRÉFACE DE LÉRY
________


À illustre & puissant seigneur


FRANÇOIS, COMTE DE COLLIGNY


Seigneur de Chastillon
Gouverneur pour le Roy en la ville de Momtpelier, etc.




Monsieur, parce que l’heureuse memoire de celuy par le moyen duquel Dieu m’a fait voir les choses dont j’ay basti la presente Histoire, me convie d’en faire recognoissance : puis que luy avez succedé, ce n’est pas sans cause, que je pren maintenant la hardiesse de vous la presenter. Comme doncques mon intention est de perpetuer icy la souvenance d’un voyage fait expressement en l’Amerique, pour establir le pur service de Dieu, tant entre les François qui s’y estoient retirez, que parmi les Sauvages habitans en ce pays-là ; aussi ai-je estimé estre mon devoir de faire entendre à la posterité, combien la louange de celuy qui en fut la cause & le motif doit estre à jamais recommandable. Et de fait osant asseurer, que par toute l’antiquité il ne se trouvera, qu’il y ait jamais eu Capitaine François et Chrestien, qui tout à une fois ait estendu le regne de Jesus Christ, Roy des Roys et Seigneur des Seigneurs, et les limites de son Prince Souverain en pays si lointain, le tout consideré comme il appartient, qui pourra assez exalter une si saincte et vrayement heroïque entreprinse ? Car quoy qu’aucuns disent, veu le peu de temps que ces choses ont duré et que n’y estant à present non plus nouvelle de vraye Religion que du nom de François pour y habiter, on n’en doit faire estime, nonobstant, di-je, telles allegations, ce que j’ay dit ne laisse pas de demeurer tousjours tellement vray que, tout ainsi que l’Evangile du Fils de Dieu a esté de nos jours annoncé en ceste quarte partie du monde, dite Amerique, aussi est-il tres-certain, que si l’affaire eust esté aussi bien poursuivy, qu’il avoit esté heureusement commencé, que l’un et l’autre regne, spirituel et temporel, y avoyent si bien prins pied de nostre temps, que plus de dix mille personnes de la nation Françoise y seroyent maintenant en aussi pleine et seure possession pour nostre Roy, que les Espagnols et Portugais y sont au nom des leurs.

Parquoy sinon qu’on voulust imputer aux Apostres la destruction des Eglises qu’ils avoyent premierement dressées, et la ruine de l’Empire Romain aux braves guerriers qui y avoyent joint tant de belles Provinces, aussi, par le semblable, ceux estans louables qui avoyent posé les premiers fondemens des choses que j’ay dites en l’Amerique, il faut attribuer la faute et la discontinuation, tant à Villegagnon qu’à ceux qui avec luy, au lieu (ainsi qu’ils en avoyent le commencement, et avoyent faict promesse) d’avancer l’oeuvre, ont quitté la forteresse que nous avions bastie, et le pays qu’on avoit nommé France Antarctique, aux Portugais, lesquels s’y sont tres-bien accommodez. Tellement que pour cela il ne lairra pas d’apparoir à jamais, que feu de tres-heureuse memoire messire Gaspard de Coligny Admiral de France, vostre tres-vertueux pere, ayant executé son entreprise par ceux qu’il envoya en l’Amerique, outre ce qu’il en avoit assujetti une partie à la couronne de France, fit encore ample preuve du zele qu’il avoit que l’Evangile fust non seulement annoncé par tout ce Royaume, mais aussi par tout le monde universel.

Voila, Monsieur, comme, en premier lieu, vous considerant representer la personne de cest excellent Seigneur, auquel pour tant d’actes genereux la patrie sera perpetuellement redevable, j’ay publié ce mien petit labeur sous vostre auctorité. Joint que par ce moyen ce sera à vous auquel Thevet aura non seulement à respondre, de ce qu’en general, et autant qu’il a peu, il a condamné et calomnié la cause pour laquelle nous fismes ce voyage en l’Amerique, mais aussi de ce qu’en particulier, parlant de l’Admirauté de France en sa Cosmographie, il a osé abbayer contre la renommée, souëfve et de bonne odeur à tous gens de bien, de celuy qui en fut la cause.

Davantage, Monsieur, vostre constance et magnanimité en la defense des Eglises reformées de ce Royaume faisant journellement remarquer combien heureusement vous suyvez les traces de celuy, qui, vous ayant substitué en son lieu, soustenant ceste mesme cause, y a espandu jusques à son propre sang, cela, di-je, en second lieu m’ayant occasionné : ensemble pour recognoistre aucunement le bon et honneste accueil que vous me fistes en la ville de Berne, en laquelle, apres ma delivrance du siege famelique de Sancerre, je vous fus trouver, j’ay esté du tout induit de m’adresser droit à vous. Je sçay bien cependant qu’encores que le sujet de ceste Histoire soit tel, que s’il vous venoit quelques fois envie d’en ouir la lecture, il y a choses, où pourriez prendre plaisir, neantmoins pour l’esgard du langage, rude et mal poli, ce n’estoit pas aux oreilles d’un Seigneur si bien instruit dés son bas aage aux bonnes lettres que je le devois faire sonner. Mais m’asseurant que par vostre naturelle debonnaireté, recevant ma bonne affection, vous supporterez ce deffaut, je n’ay point fait difficulté d’offrir et dedier ce que j’ay peu, tant à la saincte memoire du pere, que pour tesmoignage du tres humble service que je desire continuer aux enfans.

Sur quoy, MONSIEUR, je prieray l’Eternel qu’avec Messieurs vos freres et Madame de Teligny vostre soeur (plantes portans fruits dignes du tronc d’où elles sont issues) vous tenant en sa saincte protection, il benisse et face prosperer de plus en plus vos vertueuses et genereuses actions. Ce vingtcinquiesme de Decembre mil cinq cens soixante et dixsept.


    Vostre tres-humble et affectionné serviteur,

J. DE LERY.