Histoire d’un pauvre homme
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XII


La fête ne fut pas gaie à Pokrofski.

Malgré un temps superbe, le peuple ne se décidait pas à se promener, les jeunes filles ne faisaient pas de rondes, les garçons ne jouaient pas de l’harmonica et de la balaïka.

Tout le monde restait dans un coin et l’on ne parlait qu’à voix basse.

Tant qu’il fit jour, cela allait encore, mais le soir, lorsque les chiens se mirent à hurler, que le vent siffla avec force, tous les paysans furent pris d’une telle terreur, qu’ils allumèrent des cierges devant les Images. Ceux qui étaient seuls allèrent demander l’hospitalité à leurs voisins. Les chevaux et les bêtes furent oubliés. Personne ne se décidait à aller dans l’obscurité de l’étable leur donner à manger. Toute l’eau bénite que l’on avait conservée dans de petits flacons à côté des Images, fut employée, cette nuit-là, pour asperger la cabane.

Akoulina et les enfants furent emmenés dans une autre maison. Seul le petit bébé restait étendu sur la table. Madame avait envoyé deux vieilles femmes et une nonne voyageuse pour faire les prières. Elles prétendirent toutes, qu’aussitôt qu’elles cessaient de prier, on entendait remuer et soupirer au grenier, mais que, dès qu’elles disaient : « Jésus, lève-toi et que tes ennemis se dispersent », le silence se rétablissait.

La femme du charpentier invita une de ses amies et passa la nuit à prendre du thé et à bavarder avec elle. Elles prétendaient aussi toutes les deux avoir entendu craquer le plancher du grenier.

Les paysans qu’on avait placés dans l’antichambre de la cabane racontaient aussi des choses extraordinaires.

En haut, chez la maîtresse, tout le monde était sur pied. Madame était malade. Trois femmes de chambre la soignait. Douniacha, la principale, s’occupait à préparer du cérat. Aussitôt que Madame était malade, on préparait du cérat.

Toutes trois, réunies à l’office, causaient à voix basse.

— Qui est-ce qui ira chercher de l’huile pour le cérat ? demanda Douniacha.

— Je n’irai pour rien au monde, répondit la seconde femme de chambre d’un air résolu.

— Voyons, prends Aksioutka avec toi.

— J’irai toute seule, je n’ai peur de rien, dit Aksioutka.

Aksioutka releva sa robe et partit comme un éclair en balançant son bras resté libre.

Dehors, elle fut prise d’une panique, et il lui semblait que, si elle rencontrait sa mère même, elle se mettrait à crier comme une folle.

Elle courut le long du chemin bien connu, les yeux fermés.