Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 5/Chapitre 5

LIVRE 5 CHAPITRE 5

CHAPITRE V.

Meurtre des fils de Clodomire, & quelques autres évenemens arrivés entre les deux guerres des enfans de Clovis contre les Bourguignons. De la seconde de ces deux guerres. Histoire de Munderic, & celle d’un Romain devenu Esclave du roi Thierri. Mort de ce Prince, & Conquête de la Bourgogne.


On ne trouve point dans Grégoire de Tours quelle fut precisément l’année dans laquelle les freres de Clodomire se défirent de ses enfans ; mais cet auteur donne à connoître par les circonstances de sa narration, que l’évenement tragique dont il est question, doit être arrivé tout au plutard en l’année cinq cens trente. Il dit que Theobalde l’aîné des fils de Clodomire avoit dix ans, et que Gonthier le second de ces fils avoit sept ans, lorsque l’un et l’autre ils furent égorgés en un même jour. Or Gontier ne sçauroit être né plutard qu’en l’année cinq cens vingt-trois. En voici la preuve. Il faut que Gontier fût né du moins un an avant la mort de Clodomire son pere, puisque ce Gontier avoit un frere cadet, sçavoir Clodoaldus, né certainement du vivant de Clodomire son pere. Gregoire de Tours[1] le dit positivement dans le passage que nous avons cité. Ainsi Clodomire ayant été tué en cinq cens vingt-quatre, il s’ensuit que Gontier fut né au plutard en cinq cens vingt-trois. Donc Gontier ayant été tué à l’âge de sept ans, il faut qu’il ait été tué tout au plûtard en cinq cens trente.

Il est vrai qu’à s’en rapporter à l’ordre dans lequel Gregoire de Tours raconte les évenemens qu’il écrit, l’évenement dont nous recherchons la date, ne seroit arrivé qu’après cinq cens trente-trois. Notre historien avant que de le narrer, parle de l’installation d’un évêque de Tours élû seulement cette année-là. Mais on sçait bien que l’historien ecclésiastique des Francs n’a pas toujours suivi l’ordre des tems. C’est sur quoi nos meilleurs historiens modernes n’ont point fait assez de réflexion, lorsqu’ils placent en cinq cens trente-trois l’évenement tragique dont il est ici question. Mais Dom Thierri Ruinart[2] n’a point fait la même faute qu’eux. Il s’est même si peu assujetti dans la question dont il s’agit ici, à suivre la chronologie que Gregoire de Tours semble supposer, que notre sçavant Benedictin place dans ses annales des Francs le meurtre des enfans de Clodomire sur l’année cinq cens vingt-six. J’adopte ce sentiment d’autant plus volontiers, qu’il doit y avoir eu très-peu d’intervalle entre la mort de Clodomire et celle de ses fils, puisqu’Agathias a crû, comme nous venons de le voir, que ce prince étoit mort sans enfans. D’ailleurs on prouve bien par l’histoire de Gregoire de Tours, que ce meurtre ne sçauroit avoir été commis plûtard que l’année cinq cens trente, mais il n’y a rien dans cet auteur qui empêche de croire, qu’il l’ait été trois ou quatre ans plûtôt.

Suivant l’apparence, le meurtre des enfans de Clodomire fut commis, lorsque la reine Clotilde, qui certainement se trouva pour lors à Paris, étoit encore dans cette ville, où la mort de Clodomire l’avoit engagée à venir, et à y faire quelque séjour. Le projet de ce meurtre aura été formé peu de tems après la mort de Clodomire tué en cinq cens vingt-quatre, et il aura été l’une des causes qui auront porté Childebert et Clotaire à faire avec le nouveau roi des Bourguignons une paix si avantageuse pour lui. Rapportons enfin ce que dit Gregoire de Tours sur ce tragique évenement que tous les bons François souhaiteroient de ne point lire dans notre histoire, à laquelle il ne fait pas plus d’honneur que le massacre de la saint Barthelemi. J’aimerois mieux qu’il y eût dix victoires de moins dans nos Fastes, et que ces deux évenemens là ne s’y trouvassent point.

» Durant que la Reine Clotilde faisoit son séjour à Paris, Childebert observa qu’elle avoit une grande prédilection pour les fils de Clodomire. Il craignit donc que la tendresse qu’elle sentoit pour eux, ne l’induisît à les mettre incessamment en pleine possession des Etats compris dans le Partage de leur pere. Prévenu de cette appréhension, Childebert envoya des personnes affidées à Clotaire son frere, pour lui représenter que certainement leur mere feroit regner les enfans de leur frere qu’elle élevoit auprès d’elle, & pour l’engager à se rendre incessamment à Paris, afin qu’ils y pussent déliberer ensemble sur leurs interêts communs ; c’est-à-dire, pour résoudre s’il ne leur convenoit pas de réduire leurs neveux à la condition de Sujets, en leur coupant les cheveux, ou s’il ne leur conviendroit pas encore mieux, dans le dessein où ils étoient, de partager également entr’eux le Royaume de leur frere, de se défaire par le fer de ses enfans. La proposition de Childebert fut bien reçûë de Clotaire, qui le rendit à Paris. Quelques jours après les deux freres firent courir le bruit que le sujet de leur entrevûë étoit le dessein de faire proclamer Rois les trois Princes leurs neveux ; & même ils envoyerent les demander à Clotilde, pour les faire élever sur le Pavois. La Reine qui ne sçavoit rien de la mauvaise intention de Childebert & de Clotaire, fit venir dans son appartement les fils de Clodomire, & après avoir eu l’attention de les faire manger, elle leur dit en les embrassant : Si je puis vous voir assis sur le trône de votre pere, j’oublierai que j’ai perdu ce cher fils. Aussi-tôt elle les envoya aux Rois leurs oncles. Les trois jeunes Princes furent à peine entrés dans le Palais, qu’on les renferma dans une chambre, & qu’on s’assura de leurs Gouverneurs & du reste de leur suite, en les faisant passer dans une autre. Quand Childebert & Clotaire se virent les maîtres absolus de la destinée de leurs neveux, ils firent porter à Clotilde par Arcadius, Sénateur de la Cité d’Auvergne, une paire de ciseaux & une épée nuë. Ce Sénateur, suivant la commission, dit à la Reine, en lui présentant les ciseaux & l’épée : Princesse, vos fils remettent à votre décision la destinée des enfans de Clodomire. Voulez-vous qu’on les laisse vivre après leur avoir coupé les cheveux, ou aimez-vous mieux qu’on les fasse mourir. Sainte Clotilde fut saisie d’horreur à ce message, auquel elle ne s’attendoit en aucune maniere, & la vûë de l’épée nuë & des ciseaux acheverent de la mettre hors d’elle-même. Elle répondit donc dans un premier mouvement, qui, ne lui laissant pas l’usage de la raison, l’empêchoit d’appercevoir les conséquences des paroles qui lui échappoient : J’aime mieux voir mes petits-fils poignardés que de les voir tondus & déchus de la Couronne. Qu’ils meurent ou qu’ils regnent. Arcadius, au lieu de faire réflexion que le discours de la Reine étoit l’effet d’un premier transport, & au lieu d’attendre qu’elle fût en état de penser à ce qu’elle avoit à répondre, vint au plus vîte dire à ceux qui l’employoient : Vous pouvez maintenant consommer votre ouvrage avec l’aveu de votre mere. Voici sa réponse, & il la leur rendit mot pour mot. Aussi-tôt Clotaire saisit par le bras Theobald l’aîné des trois freres ; & l’ayant jetté par terre, il le tua d’un coup d’épée dans la poitrine. Gonthier cadet du Prince mort, se jetta incontinent aux pieds de Childebert, & serrant entre ses bras les genoux de son oncle, il lui dit en pleurant : Mon pere, mon pere, ayez pitié de moi, & ne me laissez pas tuer comme mon frere. Childebert fut attendri véritablement, & ayant lui-même les larmes aux yeux, il dit à Clotaire : Mon cher frere, au nom de Dieu, accordez-moi la vie de cet enfant ; je consens à tout moyennant cela ; mais ne le tuons pas. La fureur de Clotaire étoit si grande, que loin de se laisser toucher, il répliqua au Roi Childebert : écartez de vous cet enfant, ou je vais vous percer vous & lui du même coup. C’est vous qui avez lié la partie, & vous voulez la rompre, quand elle n’est encore jouée qu’à moitié. A ces mots, Childebert se dégagea des bras de son neveu, qu’il poussa même à Clotaire, comme pour lui dire : Vous êtes le maître d’en user ainsi qu’il vous plaira. Clotaire saisit cet enfant, qui eut la même destinée que son frere aîné. On égorgea ensuite les Gouverneurs des fils de Clodomire, & la plupart de ceux qui étoient venus à la suite de ces Princes infortunés. Dès que la tragédie fut terminée, Cloraire monta à cheval, & sortit de Paris, se mettant peu en peine de tout ce qu’on y diroit du meurtre de ses neveux. Pour Childebert, il se renferma dans un Palais qu’il avoit aux portes de la Ville. La Reine Clotilde fit mettre les corps de ses deux petits-fils dans un même cercueil ; & suivie d’un Convoi nombreux, elle les conduisit elle-même à la Basilique de Saint Pierre, où ils furent inhumés. L’aîné de ces Princes avoit dix ans, & son cadet en avoit sept. Quant à Clodoaldus le troisiéme des fils de Clodomire, il ne périt pas dans cette catastrophe, mais il fut sauvé par des personnes qui eurent assez de courage, pour l’enlever du Palais de Childebert. Dans la suite Clodoaldus ouvrant les yeux, renonça au siecle ; & après s’être coupé les cheveux de la propre main, il entra dans l’état Ecclésiastique, où il est mort Prêtre du Seigneur, & en odeur de sainteté. » C’est la même personne qui est connuë présentement et honorée sous le nom de Saint Cloud. L’idée, qu’un prince à qui l’on avoit coupé les cheveux avoit été par cette espece de dégradation rendu inhabile à regner, et dont nous avons parlé déja plus d’une fois, subsistoit encore sous la seconde race. Lothaire pour rendre Charles-Le-Chauve incapable d’être roi, tâcha de se saisir de la personne de ce prince son frere, pour lui couper les cheveux. Les Visigots pensoient même sur ce sujet-là comme les Francs. Le dix-septiéme canon du concile de l’Eglise d’Espagne, tenu à Tolede l’année six cens trente-huit, ordonne qu’on ne pourra point choisir pour roi celui qui se sera fait couper les cheveux, ou à qui les cheveux auront été coupés par forme de punition. Gregoire de Tours reprend la parole.

» Childebert & Clotaire partagerent aussi-tôt entr’eux par égale portion, les Etats qui avoient appartenu à Clodomire. Quant à la Reine Clotilde, elle continua depuis ce malheur à vivre d’une maniere qui lui attiroit un respect sincere de tout le monde. Il n’y avoit gueres de jour qu’elle ne fît quelque aumône. Elle passoit la nuit en prieres, & on vivoit dans son Palais avec une sagesse & une modestie exemplaire. En un grand nombre d’occasions elle donna des fonds de son domaine à des Eglises & à des Monasteres. qui avoient besoin d’être dotés. Dans de semblables occasions, Clotilde se défaisoit si volontiers de ses Forêts & de ses Métairies, qu’on auroit cru plûtôr quelle ne faisoit que remettre aux Eglises enrichies par ses dons, des biens dont elle étoit Censiere, qu’on n’auroit pensé que c’étoit en se dépouillant de biens donc la proprieté lui appartenoit, qu’elle faisoit de si grandes largesses. Ainsi sa grandeur, au lieu d’être un obstacle à son salut, servit à sa sanctification. » Cette grande reine survêcut environ vingt ans au malheur de ses petits-fils, puisqu’elle ne mourut qu’en cinq cens quarante-cinq[3]. Quoique Gregoire de Tours semble dire qu’il n’y eût que Childebert et Clotaire qui eurent part à la dépouille des fils de Clodomire, il me semble néanmoins que suivant les loix de la monarchie, Thierri aura eu une portion du royaume qu’on partageoit. En effet on voit par la Vie de Saint Maur écrite par un de ses disciples, que Theodebert fils du roi Thierri, et qui mourut avant ses deux oncles Childebert et Clotaire, étoit maître dans la cité du Mans et sur-tout dans celle d’Angers, et ces cités avoient fait partie du partage de Clodomire. Ce fut par permission du roi Theodebert et sous sa protection que Saint Maur fit son établissement dans l’Anjou, et qu’il y bâtit l’abbaye de Glanfeuil. Florus bienfaicteur de ce saint religieux étoit vicomte ou gouverneur de la cité d’Angers pour le roi Theodebert, auprès duquel il étoit tout-puissant. Je reprends le fil de l’histoire.

La mort de Theodoric roi des Ostrogots arrivée en cinq cens vingt-six, ébranla un peu la puissance de cette nation qui, comme nous l’avons vû, s’étoit alliée avec les Bourguignons durant leur derniere guerre contre les Francs[4]. Nous parlerons ailleurs du partage des Etats que ce prince avoit gouvernés jusqu’à sa mort. Néanmoins, soit que les Ostrogots ne laissassent point d’être encore redoutables, bien qu’ils n’eussent plus Theodoric à leur tête, soit que les rois Francs ne fussent point en un assez bonne intelligence pour faire une grande entreprise de concert, ils ne recommencerent la guerre contre les Bourguignons que vers l’année cinq cens trente-deux, et huit ans après la derniere paix. Mon sentiment est fondé sur la chronique de l’évêque d’Avanches qui a écrit dans le sixiéme siecle, et dans une cité qui jusqu’à la fin de la monarchie des Bourguignons, a toujours été sous leur domination. Cet auteur, après avoir raconté le rétablissement de Godemar sur l’année cinq cens vingt-quatre, ne parle plus des Francs et des Bourguignons jusqu’à ce qu’il soit arrivé à l’année cinq cens trente-quatre. Il dit alors, que cette année-là, Childebert, Clotaire, et Theodebert rois des Francs, s’emparerent de la Bourgogne, et qu’après avoir obligé Godemar roi de ce pays, à se sauver, ils la partagerent entre eux. Mais comme le roi Thierri pere de Theodebert, et mort en cinq cens trente-trois, vivoit encore lorsque Childebert et Clotaire commencerent leur seconde guerre contre les Bourguignons, et qu’il eut même le loisir de faire quelques expéditions après qu’elle eut commencé et pendant sa durée. Je crois que cette seconde guerre fut entreprise dès cinq cens trente-deux, bien qu’elle n’ait été terminée qu’en cinq cens trente-quatre.

Quel fut en cinq cens trente-deux le sujet de la rupture de la paix que les Francs et les Bourguignons avoient faite en cinq cens vingt-quatre, je l’ignore. On peut croire que le motif qui fit entrer de nouveau les fils de Clovis à main armée en Bourgogne, fut uniquement le désir de s’emparer d’un pays qui étoit autant à leur bienseance que celui-là. Du moins trouve-t’on dans Procope de quoi appuyer ce sentiment. Notre historien rapporte, que quelques années après la conquête de la Bourgogne, un ministre de l’empereur Justinien dit aux Ostrogots, à qui les Francs proposoient alors une association entre les deux peuples. » Les Francs se vantent d’être fideles à leurs engagemens, mais sans se rappeller ici la maniere dont ils ont gardé la foi des Traités qu’ils avoient faits, soit avec les Turingiens, soit avec les Bourguignons, je me contenterai de dire que vous ne sçauriez avoir oublié comment ils ont observé les conventions qu’ils avoient faites avec vous. »

Voyons d’abord ce qui se trouve dans Gregoire de Tours concernant la seconde guerre des enfans de Clovis contre les Bourguignons, après avoir observé néanmoins que cet historien n’a point suivi l’ordre des tems en rapportant les évenemens. Par exemple, nous avons vû que le meurtre des enfans de Clodomire ne sçauroit jamais être arrivé plûtard qu’en cinq cens trente, et l’on vient de voir par la chronique de l’évêque d’Avanches, que les rois Francs ne conquirent la Bourgogne qu’en cinq cens trente-quatre. Gregoire De Tours cependant rapporte dès l’onziéme chapitre de son troisiéme livre la conquête de la Bourgogne, et ce n’est que dans le dix-huitiéme chapitre du même livre qu’il raconte le meurtre des enfans de Clodomire. Aussi, comme je l’ai dit plus d’une fois, nos meilleurs annalistes modernes se sont bien donné de garde de se conformer toujours à l’ordre dans lequel Gregoire de Tours narre les évenemens dont il n’enseigne point positivement la date.

Le lecteur se souviendra bien que c’est en finissant le sixiéme chapitre du troisiéme livre de son histoire que Gregoire de Tours dit que Godemar recouvra son royaume en cinq cens vingt-quatre. Voici ce qu’on trouve dans l’onziéme chapitre du même livre, et immédiatement après le récit de l’expédition que Childebert fit dans les Espagnes en cinq cens trente, ainsi que nous l’avons exposé.

» A quelque tems de-là, Childebert & Clotaire se préparerent à envahir le Pays des Bourguignons. Thierri auquel ils avoient proposé de joindre ses armes aux leurs, refusa de prendre part à l’entreprise, ce qui déplût beaucoup aux Francs qui le reconnoissoient pour Roy, Ils en vinrent même jusqu’à lui dire : Si vous ne voulez point être de l’expédition à laquelle vos freres se disposené, nous vous abandonnerons pour nous donner à ces Princes. Thierri qui regardoit les Auvergnats comme de mauvais Sujets, depuis ce qu’ils avoient fait durant la derniere campagne en Turinge, dit aux Francs domiciliés dans son Partage : Suivez-moi, & je vous menerai dans un Pays où il ne tiendra qu’à vous de faire un riche butin en bestiaux, en esclaves, en autres bons effets, & en argent comptant. Je ne vous demande qu’une chose, c’est d’attendre tranquillement dans vos foyers, que mes freres soient entrés en campagne. Les Francs Sujets de Thierri furent gagnés par ses promesses, & ils s’engagerent à ne faire que sa volonté, d’autant plus aisément qu’il les assuroit encore qu’il leur seroit permis d’emmener chez eux les esclaves qu’ils feroient, & d’y conduire aussi le bétail ; en un mot d’y transporter tout le butin qu’ils pourroient ramasser. Voilà donc Childebert & Clotaire qui se mettent en campagne & qui entrent en Bourgogne. Ils y firent le siege d’Autun, & enfin après avoir réduit Godemar à se sauver, ils se rendirent maîtres de tout son Royaume. » On voit bien que c’est par anticipation que Gregoire de Tours dit ici, que Childebert et Clotaire soumirent enfin toute la Bourgogne. Il est certain par la chronique de l’évêque d’Avanches, que les Bourguignons ne furent soumis que long-tems après le commencement de la guerre, et même qu’ils ne furent subjugués qu’après la mort de Thierri arrivée vers cinq cens trente-quatre : c’est ce qu’on va voir bien-tôt. Mais Gregoire de Tours s’est hâté de rapporter la conclusion de la guerre, afin de n’avoir plus à en parler et de pouvoir raconter ensuite sans interruption tout ce qu’il avoit à dire concernant ce que fit le roi Thierri tandis qu’elle duroit encore. En effet, notre historien ne parle plus de la conquête de la Bourgogne dans le reste de ses annales. Tite-Live, j’en tombe d’accord, en auroit usé autrement ; mais on connoît la capacité de Gregoire de Tours, qui, dans cette occasion comme dans bien d’autres, a fait du principal l’accessoire, et de l’accessoire le principal, parce que cet accessoire regardoit l’Auvergne sa patrie. Néanmoins avant que de rapporter ce que nous sçavons par d’autres auteurs touchant la conquête de la Bourgogne, voyons ce que fit Thierri en Auvergne et ailleurs, pendant la premiere campagne de la seconde guerre, que ses deux freres firent contre les Bourguignons. Les faits que nous allons déduire à cette occasion, paroîtront en quelque sorte étrangers à l’histoire de la conquête de la Bourgogne, dont il s’agit dans ce chapitre ; mais d’un autre côté, ils sont très-propres à donner l’idée de la maniere dont les rois Francs se conduisoient les uns à l’égard des autres, et principalement à faire voir combien il est faux que les Romains des Gaules fussent alors désarmés et réduits à une condition approchante de l’esclavage.

Gregoire de Tours, immédiatement après le passage que nous venons de transcrire, ajoute ce qui suit : » Thierri tint parole aux Francs ses sujets, & s’étant mis à leur tête, il les conduisit dans l’Auvergne, qu’ils saccagerent comme ils auroient pû faire un Pays ennemi. Arcadius qui étoit la premiere cause du malheur, parce que deux ans auparavant il avoit appellé Childebert dans cette contrée, se sauva à Bourges, qui pour lors étoit du Partage de ce Prince. Placidina mere d’Arcadius, & Alcima tante de ce Sénateur, furent arrêtées à Cahors, & condamnées à l’exil, comme à la confiscation de leurs biens. Cependant Thierri s’approcha de Clermont, dont Quintianus ou Saint Quintien étoit pour lors Evêque, & il vint se loger dans un Village voisin des Fauxbourgs. Durant ce campement ses troupes coururent tout le pays, où elles firent des maux infinis. Quand les Francs sujets de Thierri furent assez gorgés de butin, il sortit de l’Auvergne, emmenant avec lui les Citoyens les plus capables de remuer. Il y laissa pour Commandant un de ses de ses parens nommé Sigivaldus qui continua de maltraiter ce pauvre Pays. » Les pillards trouverent neanmoins de la résistance en attaquant quelques lieux de défense, qui étoient gardés par les Auvergnats mêmes ; ce qui fait voir que Thierri les laissoit assez sur leur bonne foi, et par conséquent, qu’il ne leur avoit pas fait un traitement qui dût leur donner envie de changer de maître.

Ce fut, autant que je puis juger, dans ce tems-là que Munderic qui prétendoit être de la maison royale, et qui peut-être étoit le fils d’un des rois Francs que Clovis avoit sacrifié à sa sureté, fit un parti dans l’Etat. » Je ne suis pas de condition, dit ce Munderic, à vivre Sujet de Thierri, étant né ce que je suis ; je dois aussi-bien que lui porter une Couronne. Il faut donc que je me fasse reconnoître pour ce que je suis par une partie des Francs, dont je formerai une Tribu, laquelle me proclamera Roi, & qu’ainsi je donne à connoître à Thierri que je suis du Sang Royal aussi-bien que lui. Munderic se mit donc en devoir de séduire le Peuple, en disant : Je suis Prince de la Maison Royale, attachez-vous à moi, & je ferai votre fortune. » Plusieurs personnes le reconnurent et lui prêterent serment de fidelité. Il est sensible que le procédé et le discours de Munderic supposent qu’une des loix du droit public des Francs étoit ; que tous les princes issus des rois devoient avoir un partage, et qu’aucun d’eux ne dût être sujet d’un autre roi que de son pere, et ne devoit être réduit à un simple apanage. Ainsi quelque nombre d’enfans qu’un roi laissât, il falloit que chacun d’eux eût son royaume, ce qui ne pouvoit se faire qu’en divisant les Etats du pere, quelque petits qu’ils pussent être, en autant de partages qu’il laissoit de garçons. Voilà pourquoi il y avoit durant le regne de Clovis tant de rois Francs, quoique la nation fût peu nombreuse, et voilà l’origine de la divisibilité de notre monarchie sous la premiere et sous la seconde race. En effet, Munderic ne s’adresse point particulierement à certains Francs, à ceux qui auroient été sujets de son pere. Il s’adresse generalement à tous ceux qu’il peut séduire, et la raison qu’il employe pour les gagner, c’est qu’étant sorti de la maison royale, il a droit d’avoir un thrône et des sujets.

Je reviens à l’histoire de Munderic. Thierri informé de ses pratiques, lui manda de venir le trouver : si vous avez quelque droit, lui fit-il dire, nous sommes très-disposés à vous rendre justice sur vos prétentions. On se doute bien quelles étoient les intentions du fils de Clovis ; aussi Munderic ne jugea-t-il point à propos de se rendre auprès de Thierri et il répondit à ceux qui lui avoient parlé de la part de ce prince : faites souvenir votre maître que je suis roi aussi-bien que lui. Thierri résolut donc d’employer la force ouverte pour étouffer la révolte. Il envoya une armée contre Munderic, qui ne se trouvant point assez fort avec ceux qu’il avoit attroupés pour tenir la campagne, se jetta dans Vitri[5]. Il y fut investi et attaqué, mais le siege tiroit en longueur : Arégisilus un des ministres de Thierri trouva moyen de l’abréger, conformément aux instructions de son maître. Il entra dans la place sur parole, et il representa si bien à Munderic que du moins les troupes de Thierri affameroient Vitri avant peu, qu’il persuada au rebelle de capituler. L’accord se fit. L’on y stipula une amnistie en faveur de Munderic, et Arégisilus en jura l’observation en mettant la main sur l’autel. Néanmoins Munderic n’eut pas plutôt mis le pied hors de la ville, que les assiégeans se jetterent sur lui ; il fut mis en pieces après avoir fait toute la résistance que peut faire un brave homme en une telle conjoncture. Tous ses effets furent ensuite confisqués. Cette révolte et les mouvemens que les Visigots faisoient en faveur des Bourguignons qui se défendoient encore, auront engagé Childebert et Clotaire à se racommoder avec Thierri : les deux premiers étoient unis alors si étroitement, qu’on peut bien croire qu’ils firent de concert toutes les démarches que Gregoire de Tours fait faire à l’un des deux. Thierri de son côté avoit un égal interêt à se reunir avec eux, quelques démêles qu’ils eussent ensemble. Aussi les trois freres se liguerent-ils dès la seconde campagne de la guerre nouvellement entreprise contre les Bourguignons. Du moins cette alliance étoit-elle déja formée lorsque Thierri qui ne vit point la fin de la guerre, mourut les derniers jours de l’année cinq cens trente-trois, ou bien au commencement de l’année suivante. Ainsi Thierri après avoir refusé en cinq cens trente-deux, comme on vient de le dire, de se liguer avec ses deux freres, aura probablement recherché leur alliance lui-même, dès qu’il aura vû qu’ils avoient la fortune favorable. Rien n’est plus ordinaire que de voir des souverains tenir une pareille conduite.

Je vais rapporter tout au long le chapitre de Gregoire de Tours, où il est fait mention de cette alliance de Thierri avec les rois ses freres, et qui dans cet auteur suit immédiatement le chapitre où il raconte l’histoire de Munderic. Il est vrai que le chapitre que je vais transcrire est un peu long, et qu’il est employé presque tout entier à narrer les avantures d’un Romain qui avoit été donné pour otage de l’exécution du traité dont il s’agit ; mais comme d’un autre côté ce chapitre est très-propre à donner une idée de la condition des Romains des Gaules sous nos premiers rois, j’ai crû que les lecteurs le trouveroient ici avec plaisir. Au reste je dois observer d’avance que les avantures de notre ôtage, c’est-à-dire sa captivité et son évasion, sont des évenemens qui ne doivent être arrivés que long-tems après le traité d’alliance dont nous venons de parler. Cet ôtage aura été déclaré esclave quelque tems après l’année cinq cens trente-quatre, et à l’occasion des brouilleries qui, après la mort de Thierri, survinrent, comme nous le dirons dans la suite, entre Theodebert son fils et son successeur, et les deux oncles de Theodebert.

» Vers ce tems-là Thierri & Childebert firent un Traité par lequel ils se promettoienr de ne rien entreprendre au préjudice l’un de l’autre ; & pour sureté de l’exécution de leur engagement, ils s’entredonnerent des ôtages, du nombre desquels furent plusieurs enfans de Sénateurs. Une brouillerie qui survint à quelque tems, de-là entre les Rois Francs, fut cause que part & d’autre on déclara les personnes de ces otages confisquées au profit de l’Etat. Ceux des nouveaux serfs qui ne trouverent pas moyen de se sauver, furent donnés en garde à differens particuliers qui les employerent aux travaux ordinaires des Esclaves. Attalus neveu de Gregorius Evêque de Langres, étoit un de nos ôtages, & sa garde fut confiée à un Franc établi dans la Cité de Tréves qui étoit du Partage de Thierri. Ce Barbare traita notre Romain comme un serf appartenant à l’Etat, & il lui donna pour sa tâche, l’emploi d’avoir soin d’un Haras. L’Evêque de Langres mit en campagne plusieurs de ses Esclaves pour avoir des nouvelles de son neveu ; & quand il eut appris par leur moyen où ce neveu étoit détenu, il les envoya traiter de la rançon d’Attalus avec le Franc qui l’avoit dans sa maison ; le Barbare refusa toutes les offres qui lui furent faites. Ce jeune homme, dit-il, est de de bonne famille, qu’il ne racheteroit pas trop chérement sa liberté, en donnant son pesant d’or. Dès qu’ils furent de retour à Langres, & qu’on y sçut qu’ils avoient fait un voyage infructueux, un autre Esclave nommé Leon qui servoit dans la cuisine de l’Evêque, demanda d’être envoyé à Tréves d’où peut-être, disoit-il, je serai assez heureux pour ramener Attalus. L’Evêque agréa la proposition de Leon, qui prit aussi-tôt le chemin de ce pays-là, où d’abord il fit plusieurs tentatives pour tirer d’esclavage le neveu de son Maître ; elles furent toutes inutiles ; mais Leon loin de se rebuter, imagina un nouvel expédient. Ce fut de se faire vendre lui-même à notre Franc par un homme aposté, qu’il avoit gagné, en lui offrant de lui laisser tout l’argent qui proviendroit du marché. Dès que Leon & son Maître supposé, se furent promis par serment d’exécuter fidelement leur convention, ce Maître prétendu vendit Leon au Barbare pour le prix de dix sols d’or. A quoi es-tu le plus propre, demanda le Franc à son nouvel Esclave ? A quoi ? répondit Leon, je sçais faire la cuisine en perfection, & personne n’apprête mieux que moi tous les plats qui peuvent se servir sur la table d’un Maître qui veut faire bonne chere ; dans l’occasion je ferois le dîner d’un Roi, sans qu’on trouvât rien à redire à mon repas : Tant mieux, répliqua le Franc, il est demain le jour du Soleil, c’est le nom que les Barbares donnent au Dimanche, & mes parens & mes voisins ont coutume de venir dîner chez moi ce jour-là ; apprêtes-nous un si bon repas que mes convives disent en s’en allant, on ne fait pas meilleure chere à la table de nos Rois. Tout ira bien, répartit Leon, donnez ordre seulement qu’on me fournisse des poulets en quantité. Le Dimanche tout le monde loua excessivement le dîner, & le Franc prit tant d’inclination pour le nouvel esclave qu’il le fit son pourvoyeur, & qu’il lui donna encore la commission de distribuer journellement la pitance aux autres serfs. Cependant il se passa une année entiere avant que Léon pût trouver l’occasion d’exécuter son grand projet ; mais voyant qu’il avoit enfin acquis toute la confiance de son Maître, il crut qu’il étoit tems de prendre son parti & de tenter l’avanture. Un jour qu’Attalus étoit dans le pré où ses chevaux paissoient, notre fidele esclave s’assit sur l’herbe, comme pour se reposer, & il dit assez haut pour être entendu de celui qu’il vouloit sauver, quoiqu’il eût affecté de lui tourner le dos ; le tems de prendre le chemin de notre Patrie est arrivé, ainsi quand vous aurez fait rentrer vos chevaux dans l’écurie, ne vous mettez point à dormir ; attendez bien éveillé que je vous appelle. Ce qui déterminoit Léon à prendre cette nuit-là pour le sauver, c’est que son Maître avoit chez lui une grande compagnie dont étoit le gendre de la maison. Sur le minuit, & quand chacun voulut se retirer, Léon accompagna ce gendre jusques à sa chambre, & là il lui presenta encore à boire. Le Barbare lui dit en plaisantant & en buvant un coup : Mon ami, le Fac-totum du beau-pere, tu as bien la mine d’être un éveillé qui par un beau matin enfourchera sans mot dire à personne, le meilleur cheval de l’écurie de la maison, dans l’intention, innocente au fond, d’aller faire admirer ta belle monture aux gens de ton Pays. Parlons plus sérieusement, quel jour t’enfuiras-tu ? Léon répondit sans s’émouvoir, bon, je pars cette nuit. L’avis est important, repartit le Franc, & vaut bien qu’on y fasse attention. Après vous en avoir remercié, je vais donner ordre à mes gens d’avoir l’œil au guet, afin qu’un aussi grand homme de bien, que tu me parois l’être, ne soit pas exposé au malheur de fourrer, en faisant sa malle sans lumiere, quelques hardes à moi, parmi les siennes. La conversation finit, comme elle avoit commencé, en plaisantant. Tout le monde étant endormi, Léon appella son compagnon de fortune, & les chevaux étant sellés, il lui demanda s’il ne s’étoit point pourvû de quelques armes qui servissent à empêcher le monde qui les rencontreroit, de les reconnoître pour des esclaves fugitifs. Si je me suis pourvû d’armes, répondit Attalus, je n’en ai pas d’autres que ma demi-pique ; Léon eut dans cette conjoncture, assez de courage & de résolution pour entrer dans la chambre de son Maître, afin de lui prendre son bouclier & sa pertuisane. Le Barbare se réveillant en sursaut, s’écria : qui va là ? C’est moi, répondit Leon, il est déja heure de mener les chevaux à la pâture, & Attalus que je veux faire lever pour les y conduire, est encore si endormi, pour avoir trop bû hier, que je ne puis tirer aucune raison de lui. Fais, comme tu voudras, répondit notre Barbare en se rendormant. Léon emporta donc avec lui les armes qu’il étoit venu chercher, & après les avoir données à Attalus, l’un & l’autre ils se mirent en devoir d’ouvrir la grande porte de la maison, qu’on avoit coutume de bien fermer tous les soirs, & à laquelle eux-mêmes ils avoient aidé à mettre les verroux à l’entrée de la nuit. Cependant elle se trouva ouverte comme par miracle. Nos fugitifs après avoir remercié le Ciel d’un présage si favorable, monterent chacun sur un bon cheval, & ils en prirent encore un troisiéme qu’ils menoient en main & qui portoit le bagage. Ils ne tinrent pas le droit chemin de Langres, dans la crainte d’être poursuivis. Lorsqu’ils furent arrivés au gué, où ils avoient compté de passer la Moselle, ils le trouverent gardé, & ils se virent ainsi contraints d’abandonner leurs chevaux & la plus grande partie de leurs hardes afin de se sauver. Le parti qu’ils prirent, fut donc celui de traverser cette riviere à la nage en s’aidant du bouclier qu’ils emportoient, & qui, comme le sont communément ceux des Barbares, étoit un simple tissu d’ozier recouvert de cuir, Dès qu’Attalus & Léon furent arrivés à l’autre bord, ils entrerent dans un bois pour y passer la nuit : là ils trouverent heureusement un prunier chargé de fruits, qui leur fut d’un grand secours, car il y avoit déja deux jours qu’ils n’avoient rien mangé. Après s’être reposés & repus, ils prirent leur chemin par la Champagne ; & précisément dans le tems qu’ils y traversoient une plaine, ils entendirent le bruit que faisoient plusieurs chevaux qui alloient un grand train & qui venoient à eux : ce bruit les obligea de se coucher par terre, afin de n’être point apperçus par les Cavaliers qui alloient passer. Il se trouva là tout-à-propos un buisson fort large & fort épais, derriere lequel nos fugitifs se mirent ventre contre terre, ayant leurs armes auprès d’eux, & bien résolus à se défendre du mieux qu’ils pourroient, s’ils étoient attaqués. Cependant les Cavaliers qui faisoient diligence, se trouverent bientôt vis-à-vis le buisson, & le hazard voulut encore que le le cheval d’un d’entr’eux pressé par un besoin qu’il est facile de deviner, s’arrêta précisément dans cet endroit-là : toute la troupe fit bride en main pour attendre celui dont le cheval s’étoit arrêté, & qui prit justement ce tems-là pour dire : Ne suis-je pas bien malheureux de ne pouvoir pas joindre nos deux coquins ; si nous les rattrappons il faudra attacher l’un au gibet & mettre l’autre en quatre quartiers. C’étoit le Maître de nos deux esclaves lui-même, qui, sans les sçavoir près de lui, expliquoit si nettement ses intentions. Il revenoit de Reims qui étoit, aussi-bien que Treves, du Partage de Thierri, & il les y avoit cherchés fort inutilement : mais le hasard les lui eût livrés si la nuit ne l’eût point empêché de les appercevoir. Aussi-tôt que la troupe qui s’étoit arrêtée eut recommencé à marcher & qu’elle fut à quelque distance du buisson, Attalus & Léon se remirent en chemin, & sur le point du jour ils entrerent dans Reims, où ils prierent la premiere personne qu’ils rencontrerent, de leur enseigner la maison de Paulellus, un Prêtre de cette Ville. On la leur indiqua, & comme pour s’y rendre ils passoient par le marché, ils entendirent sonner Matines, parce qu’il étoit Dimanche ce jour-là. Ainsi Paulellus étoit déja éveillé lorsqu’ils frapperent à sa porte qui leur fut ouverte sur le champ : Léon exposa d’abord à Paulellus en quelle situation Attalus se trouvoit. Le songe que j’ai eu cette nuit, s’écria le Saint Prêtre, n’étoit donc pas un simple rêve, c’étoit une vision véritable : en effet, j’ai songé que deux colombes, dont l’une étoit blanche & l’autre noire, se perchoient sur mon bras : mais nos voyageurs affamés lui dirent, sans vouloir raisonner sur un augure si heureux : nous croyons que le Seigneur voudra bien nous pardonner d’avoir, affamés comme nous le sommes, déjeûné avant que d’assister au service divin, quoiqu’il soit aujourd’hui Dimanche. Faites-nous donc donner à manger, car il y a quatre jours que nous n’avons vû ni pain, ni vin, ni viande. Paulellus fit manger à ses hôtes du pain trempé dans du vin, & après les avoir cachés, il s’en fut chanter Matines. Cependant le Maître d’Attalus & de Léon revint à Reims sur quelque nouvelle de ses esclaves qu’on lui avoit données, & il demanda à Paulellus qu’il eût à les lui livrer ; mais comme depuis long-tems cet Ecclésiastique avoir de grandes liaisons avec l’Evêque de Langres, il se garda bien de les lui remettre, & il fit au Franc une réponse qui le dépaïsa. Enfin nos fugitifs, après s’être reposés quelques jours dans la maison de leur protecteur, se mirent en chemin, & ils arriverent sains & saufs dans Langres. Gregorius répandit des larmes de joye quand il embrassa son neveu ; & pour récompenser le courage & la fidelité de Léon, il affranchit cet esclave, ainsi que toute sa famille, & il lui donna encore la pleine proprieté de la terre, à la culture de laquelle ils étoient attachés. »

Nous avons dit qu’un des motifs qui obligea Thierri vers l’année cinq cens trente-trois de se raccommoder avec ses freres, fut la nécessité de faire tête aux Visigots qui tentoient quelque diversion en faveur de Godemar, en un tems où il se défendoit encore, et le dessein de profiter de cette occasion pour reprendre sur ces mêmes Visigots quelque partie du pays qu’ils avoient enlevé aux Francs après la mort de Clovis, et que les Francs n’avoient point encore reconquis. Les suites qu’eut l’alliance de Thierri avec ses freres, empêchent de douter qu’elle ne contînt les conditions ordinaires de pareils traités ; de faire conjointement la guerre aux ennemis communs, et de partager tout ce qui sera conquis sur eux. Ainsi en vertu de cette alliance, les fils de Clovis firent la guerre conjointement en cinq cens trente-trois contre les Bourguignons et contre les Visigots. Nous ignorons ce que firent les rois Francs contre les Bourguignons cette campagne-là ; mais nous sçavons quelque chose de ce qu’ils firent alors contre les Visigots. Voici donc ce qu’on trouve dans Gregoire de Tours concernant les entreprises des Francs sur le pays tenu par les Visigots en cinq cens trente-trois.

» Thierri conclut le mariage de son fils Theodebert avec Visigarda fille de Wacco Roi des Lombards. Après la mort de Clovis, les Visigots avoient repris une partie de ce qu’il avoit conquis sur eux. Voilà pourquoi Thierri dans le tems dont je parle, envoya son fils Theodebert, & pourquoi Clotaire envoya son fils Gunthier pour recouvrer cette partie des acquisitions de Clovis. Gunthier s’avança jusqu’en Rouergue, mais il revint brusquement sur ses pas, sans qu’on en sçût le sujet. Pour Theodebert il entra dans la Cité de Béziers, où il prit Diou. Ensuite il envoya sommer un autre Château nommé Cabrieres, qu’il menaçoit de brûler & d’y faire tout le monde esclave, si l’on tardoit à lui en ouvrir les portes. Il y avoir dans ce Château une Matrone Romaine nommée Deuteria femme de beaucoup d’esprit & d’une grande prudence. Son mari s’étoit retiré à Béziers. Elle envoya des Députés au Roi[6]. » On sçait qu’alors les fils de roi étoient souvent traités de roi du vivant de leur pere, et avant qu’ils portassent encore la couronne. » Ces Députés dirent, suivant leur instruction, à Theodebert : On n’ignore pas, Prince débonnaire, que rien ne sçauroit résister à vos armes. Nous nous rendons à vous. Entrez dans Cabrieres, & soyez-y le maître. Theodebert prit donc paisiblement possession de la Place ; & comme il y trouva une soumission entiere à ses ordres, il n’y fit mal à personne. Il arriva même que Deuteria lui parut si belle lorsqu’elle vint au-devant de lui, qu’il en devint amoureux, & qu’il la fit entrer dans son lit. Ce Prince, au mépris des engagemens qu’il avoit pris avec Visigarda, épousa même cette Deuteria dans la suite, & quand Thierri fut mort. Mais le bruit que les Francs firent à ce sujet-là, l’obligea de répudier Deuteria avec laquelle il avoit déja vêcu durant sept ans, & donc il avoit eu Théodebal, afin de se mettre en état d’exécuter l’engagement d’épouser Visigarda, lequel il accomplit. » Je reviens à l’année cinq cens trente-trois.

Tandis que Théodebert prenoit Cabrieres, Thierri se défit de Sigivaldus son parent, le même qu’il avoit laissé pour commander en Auvergne, et il écrivit incontinent à Théodebert de se défaire aussi de Givaldus fils de ce Sigivaldus. Mais Théodebert n’en voulut rien faire, parce que Givaldus étoit son filleul. Au contraire Théodebert donna à lire la lettre de son pere à Givaldus, en lui disant : « Sauvez-vous. Voilà l’ordre de vous faire mourir que mon pere m’envoye. Quand il ne sera plus, revenez auprès de moi, et vous n’y aurez rien à craindre. » Givaldus après avoir remercié Théodebert, se réfugia dans Arles, qui bien qu’elle fût sous l’obéissance des Ostrogots, avoit donné des ôtages à ce prince pour sureté qu’elle observeroit une exacte neutralité durant la guerre, mais dans laquelle cependant les Ostrogots n’avoient point laissé de jetter des troupes. Givaldus ne s’y tint pas en sureté, et passant les Alpes, il se réfugia dans les environs de Rome où regnoit alors Athalaric roi des Ostrogots. En effet, en lisant avec réflexion la narration de Gregoire de Tours, il paroît que Théodebert étoit convenu avec le sénat d’Arles dès le commencement de cinq cens trente-trois, que cette ville demeureroit neutre durant la guerre des Francs contre les Bourguignons et les Visigots, quoiqu’elle appartînt aux Ostrogots, qui pour lors avoient pris le parti des ennemis des Francs. Les Ostrogots, bien qu’ils n’eussent plus alors, comme du vivant de Théodoric, le même souverain que les Visigots, s’étoient néanmoins déclarés pour les Visigots. Il paroît encore que, bien que les Ostrogots eussent introduit une garnison dans Arles, le sénat y étoit encore dans la volonté de tenir tout ce qu’il avoit promis aux Francs. Un article de cette convention étoit apparemment : que les transfuges seroient rendus de part et d’autre. Ainsi Givaldus, qui d’abord aura cru être en sureté dans Arles, parce qu’il étoit dans une ville occupée par les ennemis de ses ennemis, n’aura point jugé à propos, après avoir reconnu la disposition d’esprit où étoient les habitans, de continuer à y faire son séjour. Il aura cru que le parti le plus sur étoit celui de passer les Alpes, et de se réfugier dans les environs de Rome, où Athalaric roi des Ostrogots étoit plus le maître, qu’il ne l’étoit dans Arles. Reprenons la narration de Gregoire De Tours.

Il ajoute immédiatement après avoir dit que Givaldus se retira en Italie : » Tandis que toutes ces choses se palloient, Thierri tomba malade dangereusement. Aussi-tôt les serviteurs de Théodebert l’avertirent de se rendre en diligence auprès de son pere, & de prévenir à la fois les mesures que Childebert & Clotaire pourroient prendre pour lui barrer les chemins, & les menées qu’ils ne manqueroient pas de faire, pour s’emparer du Partage qui lui devoit appartenir. Théodebert abandonna donc toutes ses autres affaires pour celle-là, & laissant Deuteria en Auvergne, il se rendit auprès de Thierri qui mourut peu de jours après l’arrivée de son fils, & la vingt-troisiéme année de son regne commencé en sept cens onze. Les deux oncles de Théodebert eurent bien envie de se mettre en possession de son héritage ; mais il se conduisit avec tant de souplesse à leur égard, & les Sujets se montrerent tellement attachés à leur Roi légitime, que ces Princes se désisterent de leur projet. Dès que Théodebert se vit affermi sur le Trône, il fit venir de l’Auvergne Deuteria qu’il épousa solemnellement. »

Ce fut donc à la fin de l’année cinq cens trente-trois, ou au commencement de l’année suivante, que mourut Thierri décedé après vingt-trois ans d’un regne qu’il avoit commencé en cinq cens onze, et ce fut alors que ses freres voyant bien qu’il falloit renoncer à l’esperance de détrôner Théodebert, auront voulu l’avoir pour ami, et qu’ils auront renouvellé avec lui l’alliance qu’ils avoient contractée environ un an auparavant avec Thierri son pere. » Dès que Théodebert eut été affermi sur le Trône, dit Gregoire de Tours, il se montra & Grand Prince & bon Roi. Il faisoit regner la justice dans ses Etats. Il donnoit avec profusion aux Églises, il soulageoit volontiers les indigens, & dans toutes occasions il étoit débonnaire & bienfaisant. Il remit même aux Eglises d’Auvergne les redevances dont les biens qu’elles possedoient, étoient tenus envers le Fisc. »

Si nous en croyons Cassiodore, le roi Thierri mourut du déplaisir qu’il ressentit du peu de succès qu’avoit eu son fils Théodebert dans une campagne faite contre les Ostrogots. Nous avons déja dit qu’ils s’étoient déclarés ennemis des Francs, sans doute par les mêmes motifs qui avoient engagé les Visigots à prendre parti en faveur des Bourguignons dans la guerre dont nous faisons ici l’histoire. Voici comment s’explique cet auteur dans une lettre qu’il écrit, après avoir été fait préfet du prétoire d’Italie, au Sénat Romain, et où il fait un pompeux éloge d’Athalaric roi des Ostrogots, aussi-bien que d’Amalasonthe mere de ce prince, laquelle gouvernoit durant la minorité de son fils. » Dans quelle consternation l’armée que nos Princes ont envoyée contre les Francs, n’a-t’elle point jetté cette Nation devenuë si puissante par ses conquêtes sur les autres Peuples Barbares. Ces Francs qui dans les tems précedens avoient toujours cherché leur ennemi par tout où il se trouvoit pour le charger, n’ont point voulu accepter le combat quand nos Troupes leur ont presenté la bataille. Mais ces Guerriers audacieux en devenant si circonspects, qu’ils n’étoient plus reconnoissables, n’ont point laissé d’essuyer de grandes disgraces. Ils ont perdu leur Roi. Ce Thierri, dont le nom s’étoit rendu si célebre, est mort de douleur, en voyant notre supériorité sur les Francs. Bien qu’il ne soit pas mort les armes à la main, mais dans son lit, nous pouvons néanmoins le regarder comme un ennemi vaincu, dont la défaite honore le triomphe de nos Souverains. Le genre de sa mort est un effet particulier de la Providence, qui d’un côté n’a point voulu que notre armée, qui s’étoit mise en campagne, pour défendre une bonne cause, rentrât dans ses quartiers sans avoir cueilli quelque fruit de ses travaux, & qui d’un autre côté n’a point ausi jugé à propos de permettre que l’armée d’Amalasonthe fille d’Audeflede sœur de Clovis, répandît le sang des peuples sujets aux fils de ce Prince. Heureuse campagne pour les Gots, puisqu’ils y ont sacrifié à leur gloire une Tête couronnée, sans qu’on puisse cependant leur reprocher d’avoir trempé leurs armes dans son sang. D’ailleurs le Bourguignon, pour recouvrer ce qu’il avoit perdu, a bien voulu s’avouer dépendant de nos Maîtres. Moyennant quelques Villes qu’on lui a renduës, il a soumis à leur Empire tout le territoire dont il étoit en possession. Il a mieux aimé devenir leur Sujet sans rien perdre de ses Etats, que d’en perdre une partie en s’obstinant à demeurer dans l’indépendance. Depuis qu’il a mis bas les armes, après nous avoir pris pour Arbitres, il n’en a été que plus assuré de la possession de son pays. Sa soumission au pouvoir de nos Rois lui a même valu la restitution de plusieurs Contrées qu’il n’avoit pas pû défendre l’épée à la main. »

Il faut que la campagne de cinq cens trente-trois, à la fin de laquelle Thierri mourut probablement, ait fini par un accord, en vertu duquel les Francs auront rendu au roi Godemar quelque portion de ce qu’ils avoient déja conquis sur lui, et que cet accord se soit fait par la médiation des Ostrogots, qui pour obtenir cette restitution, auront bien voulu de leur côté remettre quelques cantons qu’ils pouvoient tenir sur la droite du Rhône, entre les mains des Francs, par quelqu’accord qui fut bien-tôt rompu.

En effet on ne sçauroit douter que sous le regne d’Athalaric, qui mourut en cinq cens trente-quatre, la nation des Ostrogots n’ait fait aux Francs une cession assez considérable, soit en leur délaissant quelque portion de territoire, soit en leur transportant les droits qu’elle prétendoit avoir sur la partie des Gaules, que les Francs tenoient déja. J’ai pour garant Jornandès ; qui a écrit environ cinquante ans après l’année cinq cens trente-trois. Voici ce que dit cet historien dans les deux ouvrages qu’il nous a laissés. Il écrit dans son Histoire des Gots : » Les Francs qui ne craignoient point un Roi enfant, & qui même le méprisoient, prirent les armes contre Athalaric, pour lui enlever quelques Contrées que son ayeul & son pere avoient acquises dans les Gaules. Ce Roi les appaisa par une cession. » Le même auteur dit dans son Histoire générale des révolutions arrivées dans les siecles et dans les Etats : » Theodoric Roi d’Italie étant mort, il eut pour successeur, conformément à la disposition qu’il avoit faite, son petit-fils Athalaric. Ce Prince quoique très-jeune par son âge & par ses inclinations, ne laissa point de regner huit ans. C’étoit sa mere Amalasonthe, qui gouvernoit. Elle céda aux Francs qui poursuivoient leurs prétentions avec chaleur, les Gaules qui depuis longtems étoient en dispute entr’eux & les Ostrogots. » Peut-on croire que Jornandés qui écrivoit dans un tems si voisin des évenemens dont il s’agit, se soit trompé assez lourdement pour écrire que la cession de la province que les Ostrogots tenoient entre le bas-Rhône et les Alpes, ainsi que la remise actuelle de cette province aux Francs, qui, comme nous le verrons, ne furent faites que plus de deux ans après la mort d’Athalaric, et même après la mort d’Amalasonthe qui survêcut son fils, ayent été faites du vivant et sur les ordres expédiés au nom de ce prince. Il n’y a point d’apparence. Il faut donc qu’Athalaric eût fait aux Francs quelqu’autre cession, soit de droits, soit de territoire, la derniere année de son regne, et que ce soit de cette cession-là que Jornandès ait voulu parler.

Nous avons encore dans le douziéme livre des Epitres de Cassiodore qui contient celles que ce grand homme écrivit au nom des successeurs de Theodoric, et par consequent après l’année cinq cens vingt-six que ce roi mourut, un acte qui fait foi que les Ostrogots étoient alliés aux Bourguignons durant la derniere guerre des Francs contre les Bourguignons ; guerre qui finit par la conquête du pays de ces derniers. C’est un édit par lequel le roi des Ostrogots informe les peuples de la Ligurie d’un avantage que les Bourguignons venoient de remporter sur les Allemands, et où il déclare à ces mêmes peuples, qu’attendu la disette où ils étoient, il leur remet la moitié des impositions annuelles, et veut bien leur permettre d’acheter du bled dans les greniers royaux. On a vû déja qu’après la bataille de Tolbiac, une partie des Allemands s’étoit soumise aux Francs, et que l’autre s’étoit soumise aux Ostrogots. Certainement ce n’est point une victoire remportée par les Bourguignons sur les Allemands soumis aux Ostrogots, que l’édit annonce comme une bonne nouvelle aux peuples de la Ligurie. Il faut donc qu’il s’agisse dans cet édit de la défaite des Allemands sujets de la monarchie Françoise, qui pour faire diversion, avoient attaqué de leur côté, c’est-à-dire, vers le Mont-Jura, les Bourguignons alliés pour lors aux Ostrogots.

Quoique Cassiodore crut encore à la fin de l’année cinq cens trente-trois, le royaume des Bourguignons en état de subsister long-tems, son terme fatal étoit néanmoins arrivé. Il fut conquis par les Francs l’année suivante. Soit qu’ils ayent pensé que la convention faite avec Athalaric ne les obligeoit plus après la mort de ce prince arrivée pour lors, soit qu’ils ayent eu d’autres raisons de ne point observer cette convention, ils acheverent en cinq cens trente-quatre la conquête de la Bourgogne, dont ils avoient déja conquis, depuis la rupture, une partie ; et ils se rendirent si bien les maîtres du pays qu’ils n’en furent plus chassés. C’est à l’évêque d’Avanches que nous avons l’obligation de sçavoir précisément cette date, qui est d’un si grand usage dans l’histoire des enfans de Clovis. Ainsi nous transcrirons encore ici le passage de la chronique de cet évêque, où il nous l’a donnée, quoique nous l’ayons déja rapporté. » Sous le Consulat de Paulin le jeune, les Rois des Francs, Childebert, Clotaire, & Theodebert se rendirent maîtres de la Bourgogne ; & après avoir réduit Le Roi Godemar à se sauver, ils partagerent entr’eux ses Etats. »

Ceux qui connoissent les monumens dont on peut se servir en écrivant notre histoire, n’attendront pas de moi une relation exacte de ce grand évenement, qui finit probablement par la prise d’Autun, dont Gregoire de Tours fait mention dans l’endroit que nous avons rapporté. Ils sçavent trop bien que la plûpart des circonstances de la conquête dont il s’agit, nous sont inconnuës, et qu’il faut se contenter de ce que nous avons vû déja, et de ce que nous en apprend un historien grec. Procope écrit donc : » Les Francs qui croyoient qu’après la mort de Theodoric Roi d’Italie, rien ne fût plus capable de leur résister, attaquerent la Turinge, & ils le défirent du Roi de cette Contrée qu’ils conquirent. Quelque tems après ils assaillirent très-vivement les Bourguignons, dont le nombre étoit fort diminué par la quantité d’hommes qu’ils avoient perdus dans les guerres précédentes. Les Francs eurent l’avantage sur leur ennemi. Le Roi des Bourguignons tomba même enfin au pouvoir des vainqueurs, qui l’enfermerent dans un Château, où ils le tinrent prisonnier. Les Francs accorderent ensuite une espece de capitulation aux vaincus. Elle portoit : que les Bourguignons continueroient à jouir des Terres dont ils étoient en possession en qualité d’Hôtes de l’Empire ; mais à condition qu’ils payeroient à l’avenir aux Rois Francs les redevances dont elles étoient chargées, & qu’ils serviroient ces Princes dans leurs guerres. » En effet dès que les Bourguignons reconnoissoient les rois Francs pour leurs souverains, c’étoit à ces princes qu’ils devoient payer les redevances qu’ils payoient auparavant à Godemar, et aux autres rois de leur nation ses prédécesseurs. Nous verrons dans la suite les Bourguignons accomplir le second article de la capitulation qu’on avoit bien voulu leur accorder, et porter les armes en Italie pour le service des rois des Francs. Nous y verrons aussi que quoique Procope n’en fasse aucune mention, il devoit se trouver dans la capitulation des Bourguignons un article, qui leur assurât le privilege de vivre selon leur loi nationale qui étoit la loi Gombette. Ils continuerent à vivre suivant cette loi jusques sous le regne de Louis Le Débonnaire.

  1. Lib. Hist. 3. cap. 6.
  2. Val. de Reb. Fran. Tom. 1. pag. 388. Daniel. Tom. pr. pag. 176. Ed. de 1722. Ed de 1696. pag. 364.
  3. Annn. Ruinart.
  4. En 514.
  5. Vales. Nor. Gall. p. 601.
  6. Vales. Rer. Franc. tom. 1. pag. 329.