Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 4/Chapitre 20

LIVRE 4 CHAPITRE 20

CHAPITRE XX.

Du Concile National assemblé à Orleans en cinq cens onze.


Nous avons déja observé que Gregoire de Tours ne disoit rien de ce concile, et nous avons même allégué le silence qu’il garde à ce sujet, comme une des preuves qui montrent qu’on ne sçauroit contredire la vérité d’aucun fait particulier, arrivé dans les tems dont il a écrit l’Histoire, en se fondant sur la raison ; que l’historien ecclésiastique des Francs, n’en a point parlé. En effet, il est si vrai, que le concile dont notre historien ne dit pas un mot, a été assemblé, que nous en avons les actes, où nous apprenons, qu’il fut tenu sous le consulat de Félix, c’est-à-dire, l’année cinq cens onze de l’ère chrétienne. On peut les voir dans le premier volume des conciles des Gaules, par le Pere Sirmond. Voici la substance de la lettre que les évêques qui se trouverent à cette assemblée, écrivirent à Clovis.

» Tous les Evêques ausquels le Roi Clovis a ordonné de s’assembler dans Orleans, à Clovis leur Seigneur, & le Fils de l’Eglise Catholique : Votre zéle pour la Religion déja si connu, & qui vous fait souhaiter avec ardeur d’en voir fleurir le culte, vous ayant engagé d’enjoindre aux Evêques de s’assembler ; nous nous trouvons de notre côté dans l’obligation de vous envoyer les Canons que nous avons rédigés, après avoir, en exécution de vos ordres, discuté tous les points sur lesquels vous souhaitiez que nous statuassions. Si vous approuvez nos Decrets, ils recevront une nouvelle force par le jugement favorable qu’en aura porté un Roi si digne de gouverner. »

Les évêques qui intervinrent au concile dont nous parlons, se trouverent au nombre de trente ; ce qui paroît par leurs signatures mises au bas des actes de cette assemblée. Du nombre de ces prélats étoient les métropolitains, et, pour parler le langage des siecles suivans, les archevêques de Bordeaux, de Bourges, de Rouen, et d’Euse. Si tous les évêques, dont les sieges étoient dans des cités soumises à l’obéissance de Clovis, se fussent trouvés au concile d’Orleans, nous ferions l’énumération des vingt-six autres prélats qui en souscrivirent les actes. Ce seroit un moyen de donner à connoître avec plus de certitude, quelles étoient alors précisément les cités comprises dans le royaume de Clovis. Mais les évêques de plusieurs cités, qui constamment étoient dans ce tems-là du royaume de Clovis, ne vinrent pas à notre concile. Saint Remy, par exemple, ne s’y trouva point. Ainsi, comme l’on ne peut inferer de l’absence d’un évêque, que sa cité ne fût point alors sous la domination de Clovis, on ne sçauroit connoître précisément par les souscriptions du concile d’Orleans, quelles étoient, quand il fut tenu, les cités renfermées dans les limites du royaume de ce prince.

Quoique nous nous soyons interdit de traiter les matieres ecclésiastiques, nous ne laisserons pas de rapporter ici quelques-uns des canons du concile d’Orleans, parce qu’ils sont très-propres à montrer quel étoit alors l’état politique des Gaules, et principalement à faire voir que Clovis laissoit vivre les Romains des Gaules suivant le droit romain, et que ce prince entendoit que les évêques qui étoient encore alors presque tous de cette nation, jouîssent paisiblement de tous les droits, distinctions, et prérogatives dont ils étoient en possession sous le regne des derniers empereurs. Voici le premier canon de notre concile.

» Conformément aux Saints Canons & aux Loix Impériales concernant les homicides, les adulteres, & les voleurs, qui se seront réfugiés dans les aziles des Eglises, ou dans la maison d’un Evêque, il fera deffendu de les en tirer par force, & de les livrer au bas séculier. On ne pourra même les remettre entre les mains de quelque personne que ce soit, avant que préalablement elle ait promis à l’Eglise en jurant sur les Saints Evangiles, que les coupables ne seront point punis ni de mort, ni par mutilation de membres, ni d’aucune autre peine afflictive, & avant que leur partie ait transigé avec eux. Si quelqu’un viole le serment qu’il aura fait à l’Eglise dans les circonstances ci-dessus énoncées, qu’il soit tenu pour excommunié, & que les Clercs, & même les Laïques s’abstiennent d’avoir aucune communication avec lui. Que si quelque coupable intimidé par le refus que feroit sa partie de composer avec lui, vient à se sauver de l’Eglise où il se seroit réfugié, & à disparoître, la susdite partie ne pourra intenter aucune action contre les Clercs de l’Eglise à raison de cette évasion. »

Il ne faut pas méditer long-tems sur ce canon, pour voir qu’il donnoit une grande considération à l’épiscopat dans un pays, où la plûpart des habitans vivoient suivant le droit Romain, qui attribuoit au simple citoyen le droit de demander et de poursuivre la mort de ceux qui étoient coupables d’un crime capital commis contre lui ou contre les siens, et qui autorisoit ainsi le particulier à requerir que le criminel fût condamné au dernier supplice ; ce qui n’est permis aujourd’hui qu’au ministere public. Il étoit encore bien aisé de faire évader le coupable de l’église où il avoit pris son azile, quand la partie refusoit d’entendre à une transaction que l’évêque jugeoit équitable.

Le second canon du concile d’Orleans dit : » Tout ravisseur qui se sera réfugié dans les aziles de l’Eglise, y amenant avec lui la personne qu’il aura ravie, sera tenu, s’il paroît qu’elle ait été enlevée contre son gré, de la mettre incontinent en pleine liberté ; & après qu’on aura pris les suretés convenables pour empêcher que le ravisseur ne soit puni de mort, ni d’aucune peine afflictive, il sera remis entre les mains de celui qui aura été lezé par le rapt, pour être son esclave. Mais si la personne ravie a été enlevée de son bon gré, elle ne sera remise au pouvoir de son pere, qu’après qu’il lui aura pardonné ; & le ravisseur, s’il n’est pas d’un état égal à celui de ce pere, sera tenu de lui donner une satisfaction. »

» L’Esclave[1], qui pour quelque sujer que ce soit, se sera retiré dans les aziles de l’Eglise, ne sera remis entre les mains de son maître, qu’après que ce maître aura juré de lui pardonner. Si dans la suite le maître châtie son esclave en haine du délit pardonné, que l’infracteur de son serment soit répuré excommunié, & qu’on l’évite comme tel. Que d’un autre côté il soit permis au maître, qui aura fait entre les mains des Ecclésiastiques, le serment de pardonner à son esclave, de tirer par force de l’Eglise cer esclave, s’il refusoit après cela de suivre volontairement son maître. » Nonobstant l’abus énorme qu’on faisoit tous les jours du droit de donner azile aux criminels contre la justice, ce droit n’a pas laissé d’être exercé jusques dans le seiziéme siecle. Les predecesseurs de François Premier avoient été obligé à se contenter de le restraindre autant qu’il avoit été possible, mais ce prince vint enfin à bout d’abolir dans son royaume le droit de pouvoir donner aucun azile contre les ministres de la justice, aux personnes qu’ils poursuivent.

Quelle considération la derniere loi que nous avons rapportée, ne devoit-elle pas, dans une societé politique où la servitude avoit lieu, donner à ceux qui étoient les dispensateurs de cette loi ? Il n’est donc pas étonnant que les ecclésiastiques eussent alors un si grand crédit. Les laïques étoient tous les jours obligés d’avoir recours à eux, même pour des interêts temporels : et d’un autre côté, les immunités et les privileges des ecclésiastiques se trouvoient être en si grand nombre, que le prince étoit réputé perdre en quelque façon celui de ses sujets qui se faisoit d’Eglise. Voilà pourquoi un laïque ne pouvoit, sans la permission expresse de son souverain, entrer dans l’état ecclésiastique. Le quatriéme canon de notre concile d’Orleans statue sur ce point-là, ce qu’on va lire.

» Quant à l’entrée dans la cléricature, nous ordonnons qu’aucun Citoyen laique ne pourra être admis à cet état, sans un ordre du Roi, ou sans le consentement du Juge du district dont sera l’Ordinant ; bien entendu néanmoins, que ceux dont les peres, les ayeuls, & les bilayeuls ont toujours » vêcu dans la cléricature, continueront d’être sous la puissan » ce des Evêques, à la jurisdiction desquels ils demeureront soumis. »

Suivant l’apparence, ce qui est dit dans ce canon : que personne ne puisse être admis à la cléricature, sans un ordre du roi, ou sans le consentement du juge, signifie que les Francs ne pourront point y être admis, sans un ordre exprès du roi, mais que les Romains y pourront être admis sur la simple permission du sénateur qui faisoit la fonction de premier magistrat dans leur cité. On voit bien que le motif qui avoit engagé les peres du concile d’Orleans à statuer concernant les Francs, ce qui étoit statué dès le tems des empereurs concernant les soldats, étoit l’interêt general de la patrie, et le respect dû au souverain. Cette loi ne regardoit-elle pas aussi les soldats Romains qui servoient sous Clovis ? Je le crois ; c’est tout ce que j’en puis dire. Ce qui est certain, c’est que dans le tems que Marculphe a compilé ses formules, c’est-à-dire, sous les derniers rois de la premiere race : l’usage general du royaume étoit encore, qu’aucun Franc ne pût s’engager dans la cléricature, sans une permission que le prince se réservoit à lui seul de pouvoir accorder. Quant à la derniere sanction de notre Canon, celle qui ordonne que les fils, les petits-fils, et les arriere-petits-fils de ceux qui avoient vêcu dans la cléricature, demeureront sous le pouvoir et sous la jurisdiction des évêques, elle s’explique suffisamment par l’usage pratiqué en France jusques à l’ordonnance renduë par le roi François Premier sur les representations du chancelier Guillaume Poyet, et qu’on appella dans le tems l’Ordonnance Guillemine. Personne n’ignore qu’avant cette ordonnance, non-seulement les juges d’Eglise connoissoient de plusieurs procès entre personnes laïques desquels ils ne connoissent plus aujourd’hui, mais que tous les clercs, dont la plûpart étoient mariés, et exerçoient plusieurs professions, même celle des armes, ne pouvoient être cités dans leurs causes personnelles que devant les tribunaux ecclésiastiques. Ces clercs solus, c’est ainsi qu’on les nommoit, pouvoient donc, sans perdre leur privilege de cléricature, se marier une fois, pourvû qu’ils épousassent une fille. Ils pouvoient encore s’habiller de toutes sortes de couleurs, pourvû qu’ils ne se bigarassent point, c’est-à-dire, pourvû qu’il n’entrât point d’étoffes de differentes couleurs dans une des pieces de leur vêtement. Un clerc solu, par exemple, pouvoit à son choix porter une robbe ou verte ou rouge, mais il ne pouvoit point, sans décheoir de son état, se vêtir d’une robbe faite en partie d’étoffe verte, et en partie d’étoffe rouge.

Je reviens au concile d’Orleans. Il paroît bien par le cinquiéme de ces Canons que Clovis n’avoit point été ingrat des services que les ecclésiastiques lui avoient rendus, et qu’il avoit employé d’autres moyens que la force et la violence pour faire reconnoître son autorité dans la partie des Gaules qui lui étoit soumise. Ce cinquiéme canon dit : » Quant aux redevances & aux fonds de terre, dont le Roi notre Souverain a fait don à des Eglises déja dotées, ou à celles, que par l’inspiration du Ciel, il a voulu doter, en daignant même octroyer que les biens qu’il donnoit fussent quittes de la taxe à laquelle ils sont cotisés dans le Canon ou Cadraste public, & que les Clercs attachés au service de ces Eglises, fussent exempts de toutes charges personnelles ; nous ordonnons qu’on prendra préférablement à toute autre dépense, sur ces biens-là, de quoi entretenir & réparer les Temples du Seigneur, & pourvoir à la subsistance des Ecclésiastiques qui les desservent, comme à la nourriture des pauvres. Si quelqu’Evêque néglige à faire son devoir sur ce point-là, ou s’il néglige d’obliger ses inferieurs à faire le leur, que ses Comprovinciaux lui en fassent confusion. L’Evêque qui ne se fera point corrigé sur leurs remontrances, sera regardé comme excommunié ; & les coupables d’un Ordre inferieur à l’Episcopat, feront destitués en la maniere la plus convenable. »

Le Canon suivant dit : » Si quelqu’un ose intenter un procès contre un Evêque ou contre une Église, il ne sera point pour cela séparé de la Communion des Fideles, pourvû qu’il s’abstienne durant le cours du procès, de dire des injures & de semer des calomnies. »

Le septiéme Canon montre bien quelle étoit pour lors l’autorité des Evêques sur tout le Clergé séculier & régulier. » Les Abbés, les Prêtres, & les Clercs, ni aucune autre personne de celles qui sont vouées au service des Eglises, ne pourront aller demander aucune sorte de bénéfices aux Souverains temporels, avant que d’avoir rendu compte à leur Evêque, du motif de leur voyage, & obtenu de lui des lettres de recommandation. Les contrevenans à ce Decret feront déchûs de leurs dignités, telles qu’elles puissent être, & ils resteront privés de la Communion jusqu’à ce qu’ils ayent fait pénitence, & donné à leurs Evêques une entiere satisfaction. »

Comme il y avoit des maîtres qui n’auroient pas voulu donner certain esclave pour le quadruple du prix que valoit au marché un esclave de même âge et de mêmes talens que le leur, soit parce que cet esclave leur avoit servi de secretaire dans des affaires délicates, soit par d’autres motifs, on jugera si le canon suivant devoit donner de la considération aux évêques lorsqu’il leur attribue en quelque façon, le pouvoir d’ordonner, et par conséquent d’affranchir, moyennant une somme modique, tous les esclaves qu’ils voudroient. » Si quelqu’Evêque confere la Prêtrise ou le Diaconat à un esclave qu’il connoît pour tel, & cela durant l’absence ou à l’insçû du Maître de l’esclave, que l’Evêque soit tenu de payer au Maître, une indemnité qui sera le double de la valeur de l’esclave ordonné, lequel demeurera en possession de son nouvel état. Si l’Evêque a ignoré la condition de l’esclave qu’il ordonnoit, qu’alors l’indemnité énoncée ci-dessus, soit payée au maître de l’esclave par ceux qui l’ont presenté aux Ordres, & par ceux qui ont déposé qu’il étoit de condition libre. » Nous pourrons voir un jour que sous la troisiéme race, les seigneurs temporels prétendoient heriter du serf qui avoit été ordonné sans leur participation, même lorsqu’il étoit parvenu à l’épiscopat, tant le droit des maîtres sur leurs esclaves, ausquels le concile d’Orleans donne une si forte atteinte, étoit alors generalement respecté.

Le neuviéme canon statue, que les prêtres convaincus de crimes capitaux, seront privés de leurs fonctions, ainsi que de la communion des fidéles ; et le neuviéme, que les clercs héretiques, qui après une conversion sincere, auront été reçus dans le giron de l’Eglise, seront habilités à faire les fonctions ecclésiastiques, en recevant d’un évêque catholique l’imposition des mains. Il statue encore, que les églises, où les Visigots ariens avoient exercé leur culte, seroient bénites de nouveau, avant qu’on y pût celebrer le service divin. Le onziéme défend aux fideles qui s’étoient mis en penitence, de quitter leur état ; et il déclare excommuniés ceux qui le quitteroient avant que d’avoir reçû l’absolution.

Il est défendu dans le treiziéme canon, aux femmes que les prêtres et les diacres avoient épousées avant que d’être engagés dans l’état ecclesiastique, et dont ensuite ils se seroient séparés pour prendre les ordres, de contracter du vivant de leur premier mari un second mariage. Le quatorziéme ordonne, que le revenu des fonds appartenans à une église, demeureront entierement à la disposition de l’évêque ; mais qu’il n’aura que la moitié des oblations, et que l’autre moitié sera partagée entre les ecclesiastiques du second ordre.

Comme je ne vois rien dans la plûpart des autres canons du concile d’Orleans qui répande aucune lumiere sur l’objet principal de mes recherches, je n’en donnerai point une notion particuliere, et je me contenterai de rapporter la substance de ceux de ces canons qui peuvent servir à l’éclaircir.

Le dix-huitiéme défend au frere d’épouser la veuve de son frere, et au mari d’épouser la sœur de la femme dont il est veuf. Le vingt-troisiéme canon dit : » Au cas que par un motif humain, quelqu’Evêque ait donné des familles serves, ou un nombre d’arpens, soit de vignes, soit de terres labourables à des Clercs ou bien à des Religieux pour en tirer le profit ; quelque reculée que soit l’année dans laquelle une pareille donation se trouvera avoir été faite, le laps de tems ne pourra porter aucun préjudice aux droits de l’Eglise à laquelle ces familles serves, & ces vignes, ces terres labourables appartenoient, & les détenteurs de ces biens ne seront pas reçûs à faire valoir contr’elle la prescription établie par le Droit Civil. » On sçait la force que le droit Romain donne à la prescription. Ainsi pour ne point penser que ce canon si hardi attentoit à l’autorité du prince, il faut se souvenir que les prelats qui composoient le concile d’Orleans, disent dans leur lettre à Clovis : que les decrets qu’ils lui communiquent ont besoin de son approbation et de son consentement. On observera encore qu’autant qu’il est possible de le sçavoir, Clovis est le premier des princes chrétiens, qui ait exempté les droits temporels appartenans aux églises de pouvoir être prescrits conformément aux loix civiles par le laps de trente années. Ce ne fut que pendant le regne des enfans de Clovis, que Justinien fit une loi pour ordonner dans les pays qui étoient encore soumis à l’autorité des empereurs ; qu’on ne pourroit plus opposer aux prétentions des églises en affaires temporelles, la prescription de trente années, et qu’on ne pourroit à l’avenir alleguer contre ces droits aucune prescription moindre que la centenaire. Procope qui nous informe de l’édit de Justinien, en fait même un sujet de reproche contre ce prince, qu’il accuse d’avoir agi par interêt dans cette occasion.

Quant au trentiéme canon de ce concile, qui défend plusieurs sortes de divinations, nous en avons déja parlé à l’occasion du présage que Clovis, lorsqu’il marchoit contre Alaric, voulut tirer de ce que verroient et entendroient ceux qu’il envoyoit porter ses offrandes au tombeau de saint Martin, dans le moment qu’ils entreroient dans l’église bâtie sur ce tombeau.

Un roi qui auroit porté une couronne héreditaire dans sa maison depuis plusieurs siécles, n’auroit pas laissé d’être obligé à de grandes déferences pour les prélats qui gouvernoient alors l’Eglise des Gaules, soit à cause du pouvoir que leur dignité leur donnoit, soit à cause du crédit que procuroit à la plûpart d’entr’eux leur mérite personnel. Comme nous l’avons déja remarqué, il n’y eut jamais en même tems parmi les évêques de ce pays-là, autant de saints et de grands personnages qu’il y en avoit durant le cinquiéme siecle et dans le commencement du sixiéme. Ainsi Clovis assis sur un trône nouvellement établi, ne pouvoit pas mieux faire que d’attacher les évêques à ses interêts, en leur donnant toutes les marques possibles d’estime et d’amitié. Voici en quels termes ce prince s’explique lui-même sur l’importance, dont il lui étoit de gagner l’affection des personnages, illustres par leur mérite et par leur sainteté. » Quand nous recherchons l’amitié des serviteurs de Dieu, dont les vertus font l’honneur de notre regne, & dont les prieres attirent sur nous la benediction du Ciel, soit en leur témoignant notre vénération, soit en relevant l’éclat de leurs dignités, nous sommes persuadés que nous travaillons à la fois à notre salut & à notre prospérité temporelle. » C’est de la chartre donnée par Clovis en faveur de l’abbé du Moustier-Saint-Jean, et dont nous avons déja rapporté plusieurs fragmens, que les paroles qu’on vient de lire sont tirées.

L’histoire de Clovis contient plusieurs marques de sa deference pour saint Remy, et l’on a tout lieu de penser, que notre prince s’étoit si bien trouvé d’avoir suivi les conseils qu’il avoit reçûs étant encore payen, de cet évêque, qu’il les suivit toute sa vie. Le lecteur n’aura point oublié que saint Remy avoit écrit dès-lors à Clovis, qu’il l’exhortoit à vivre en bonne intelligence avec les évêques dont les sieges étoient dans la province du roi des Saliens, afin de trouver plus de facilité dans l’exercice des fonctions de ses dignités. La vie de saint Vast évêque d’Arras, fait foi, que Clovis avoit beaucoup d’amitié pour lui. Nous voyons dans celle de saint Mesmin, l’affection qu’il avoit pour Euspicius premier abbé de Mici, et la vie de saint Melaine évêque de Rennes, nous apprend encore, que ce prélat fut un des conseillers les plus accredités de notre premier roi chrétien. Nous sçaurions bien d’autres faits concernant la vénération de Clovis pour les saints personnages de son tems, si nous sçavions un peu mieux l’histoire du cinquiéme et du sixiéme siécle.

  1. Troisième Canon.