Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 3/Chapitre 2

LIVRE 3 CHAPITRE 2

CHAPITRE II.

Avitus est reconnu Empereur d’Occident par l’Empereur d’Orient, & il est ensuite déposé. Il meurt et il est enterré à Brioude. Majorien qui lui succede fait Egidius Généralissime dans le Département des Gaules. Qui étoit Egidius.


Les ministres qu’Avitus avoit envoyés à Martian, pour lui demander l’unanimité, furent très-bien reçus, et l’empereur d’orient reconnut pour son collegue le nouvel empereur d’Occident. Les auteurs du cinquiéme et du sixiéme siécle nous apprennent très-peu de choses du regne d’Avitus. Voici ce qu’on peut y ramasser.

Idace dit que Theodoric second roi des Visigots, passa les Pyrenées à la tête d’une puissante armée de ses sujets, pour faire la guerre en Espagne, par ordre et sous les auspices de l’empereur Avitus, dont il avoit pris une commission. La condition de cette grande province étoit à peu près la même que celle des Gaules. Les barbares en tenoient une partie, et celle qu’ils n’occupoient pas, obéissoit aux officiers de l’empereur, ou bien à ces Bagaudes de qui nous avons déja fait mention. Mais les évenemens de la guerre que Theodoric fit en Espagne, ne sont point de notre sujet.

Ce fut encore sous le regne d’Avitus, que Ricimer battit dans l’isle de Corse un corps considérable des Vandales d’Afrique. Il y avoit mis pied à terre, afin de s’y rafraîchir, dans le dessein de se rembarquer ensuite, pour venir faire une descente sur les côtes des Gaules ou de l’Italie. Ce qui s’étoit passé à Rome, quand Maximus y fut tué, avoit rallumé la guerre entre les Vandales et les Romains. Ricimer dont nous aurons tant à parler dans la suite, et qui fut alors fait patrice, en considération du service qu’il venoit de rendre, étoit fils d’un homme de la nation des Sueves, et de la fille de Vallia, roi des Visigots, et le prédécesseur de Theodoric I. Ainsi Ricimer étoit un des officiers barbares qui servoient l’empire ; mais, comme nous le verrons dans la suite, les services de ce Sueve furent plus funestes à la monarchie Romaine que toutes les hostilités des Alaric et des Attila. Ce fut lui qui souleva contre Avitus ce qu’il y avoit alors de troupes en Italie. Le senat de Rome qui ne voyoit qu’avec répugnance sur le trône, un empereur installé par des Gaulois, profita du mécontentement des soldats, et par des moyens dont nous n’avons point connoissance, il contraignit Avitus à abdiquer en l’année quatre cens cinquante-six. L’empereur déposé prit même le parti, afin de se mettre mieux à couvert de toute sorte de violence, d’entrer dans l’état ecclesiastique. Il reçut donc les ordres, et même il fut sacré dans Plaisance, évêque d’un diocèse entier. Avant que de parler de l’interregne qui suivit l’abdication d’Avitus, et qui finit par la proclamation de Majorien, rapportons quelques circonstances de l’abdication d’Avitus, propres à donner une notion de la condition des Romains des Gaules, et à faire connoître quel y étoit alors l’esprit des peuples.

Si nous en croyons le récit de Gregoire de Tours, compatriote d’Avitus, ce prince eut avis que nonobstant le sacrifice qu’il avoit fait de ses droits et de son nouvel état, le senat de Rome vouloit le faire mourir. Là-dessus il prit le parti de venir se refugier dans les Gaules, et d’y chercher un azile dans l’église de Brioude, dédiée au martyr saint Julien l’Auvergnac, lequel y est inhumé. Avitus étoit en chemin pour s’y rendre, quand il mourut, et son corps y fut apporté pour y être déposé auprès du tombeau du saint qu’il avoit choisi pour son protecteur. On voit encore dans un caveau de cette église une grande urne de marbre, dans laquelle on croit que le corps d’Avitus fut renfermé.

Suivant l’apparence, le dessein que prit Avitus, dès qu’il eut été informé que même après son abdication ses ennemis en vouloient encore à sa vie, fut de revenir dans les Gaules, pour y engager les Visigots qui l’avoient fait empereur, à prendre sa défense. Il aura repassé les Alpes avec ce projet ; mais après que ceux qu’il avoit envoyés pour sonder les intentions du roi Theodoric, lui auront eu rapporté que ce prince étoit dans la résolution de ne point tirer l’épée contre les Romains, il aura changé ce projet en celui de se réfugier dans l’église de Brioude, où étoit le tombeau de saint Julien martyr. On sçait à quel point ces aziles étoient alors respectés, et que les puissances séculieres n’osoient rien attenter, du moins à force ouverte, sur la personne de ceux qui s’y étoient refugiés. Avitus sera mort, quand il étoit en chemin pour exécuter cette derniere résolution.

Non-seulement ce qu’Idace dit concernant la destinée d’Avitus, ne s’oppose point à notre conjecture, mais il la confirme. Le voici : » La troisiéme année après qu'Avirus eut été proclamé Empereur par les Visigots & par les Romains des Gaules, il fut déposé, & les Visigots manquant ensuite à leurs promesses, il perdit la vie. » En effet ce recit suppose qu’Avitus ayant été déposé en quatre cens cinquante-six, il eut alors recours aux Visigots qui lui avoient fait mille promesses, lorsqu’il étoit monté sur le trône ; mais qu’à cause de son malheur les Visigots refuserent de tenir ces promesses, et que la mort d’Avitus, qui est le dernier des faits contenus dans le recit d’Idace, et celui auquel la date est relative, arriva la troisiéme année après qu’Avitus eût été proclamé empereur, c’est-à-dire, vers la fin du mois d’août, ou au mois de septembre de l’année quatre cens cinquante-sept. Avitus ayant été proclamé vers la fin du mois d’août en quatre cens cinquante-cinq, la seconde année d’après cette proclamation, finissoit au mois d’août quatre cens cinquante-sept, et la troisiéme commençoit au même tems. Ainsi Cassiodore, et Marius évêque d’Avanches, auront eu raison de dire qu’Avitus fut déposé dès l’année quatre cens cinquante-six, et de son côté Idace aura eu raison de dire que cet empereur n’étoit mort qu’en quatre cens cinquante-sept, et quand l’interregne avoit déja cessé par l’élevation de Majorien à l’empire.

Peut-être le fait, dont nous allons parler, a-t-il eu quelque rapport avec la déposition d’Avitus. Marius évêque d’Avanches, dont le siege, après avoir été quelque tems à Lauzane, est présentement à Fribourg en Suisse, et auteur qui a continué les fastes de Prosper, finissans en l’année quatre cens cinquante-cinq inclusivement, dit que l’année de la déposition d’Avitus, les Bourguignons occuperent une partie des Gaules, et qu’ils y partagerent les terres avec le concours des senateurs du païs. La premiere des Lyonoises, et plusieurs cités de la premiere Aquitaine et des provinces voisines, mécontentes du traitement que le senat de Rome venoit de faire à l’empereur Avitus, dont les Gaules regardoient l’élevation comme leur ouvrage, refuserent, comme nous allons le dire, d’obéir aux ordres de ce senat lesquels Ricimer, qui gouvernoit durant l’interregne, leur envoyoit. Nous verrons même que Majorien, lorsqu’il eut été proclamé empereur, ce qui arriva en quatre cens cinquante-sept, fut obligé d’employer la force pour réduire ces mécontens à l’obéissance : ainsi Ricimer, pour gagner les Bourguignons, et pour les détacher du parti qui s’étoit formé dans les Gaules contre le senat de Rome, leur aura permis apparemment d’élargir les quartiers qu’ils avoient dans la sapaudia , et de les étendre sur le territoire des cités qui étoient entrées dans ce parti-là. L’accord aura été fait et exécuté l’année même de la déposition d’Avitus, et avant que Majorien eût encore été proclamé, c’est-à-dire, dès quatre cens cinquante-six.

Quelles furent les cités que les Bourguignons occuperent alors ? Vraisemblablement ils s’étendirent de proche en proche, et ils s’établirent dans les païs qui sont sur la droite du Rhône, et sur la gauche de la Saône, au-dessus de la ville de Lyon, où ils n’entrerent, comme on le verra, qu’après la mort de Majorien. Quant au partage des terres dont Marius fait mention, comme j’en dois parler ailleurs assez au long, je me contenterai de dire ici que ce partage fut fait par égales portions. Une moitié des terres fut laissée aux Romains, et l’autre fut abandonnée aux Bourguignons, qui pour revêtir d’une ombre d’équité l’injustice qu’ils exerçoient, auront appellé à l’assemblée, qui se tint pour regler ce partage, quelques senateurs des cités où l’on dépouilloit l’ancien habitant de la moitié de son bien. Il n’y aura point eu trop de terres à donner, eu égard au nombre des Bourguignons qui en demandoient. Premierement, cette nation étoit nombreuse. D’ailleurs, il y a de l’apparence que les essains de ce peuple-là, qui demeuroient encore au-de-là du Rhin, lorsqu’Attila fit son invasion dans les Gaules, auront presque tous quitté vers l’année quatre cens cinquante-six, leurs anciennes habitations, pour venir partager la fortune de leurs compatriotes établis sur les bords du Rhône et de la Saone. Du moins je ne me souviens pas d’avoir rien lû dans aucun auteur ancien, qui donne à croire qu’après cette année-là il y ait eu encore des Bourguignons dans la Germanie, si ce n’est un passage de la loi Gombette, rapporté ci-dessous, et qui semble supposer que dans le sixiéme siecle il vint encore de tems en tems quelque barbare de la nation des Bourguignons, demander d’être aggregé aux Bourguignons sujets de la maison de Gondebaud. Mais il n’est pas dit dans cette loi, que ces nouveaux venus arrivassent de la Germanie.

Quoiqu’Avitus eût été déposé dès l’année quatre cens cinquante-six, Majorien son successeur ne fut proclamé que l’année quatre cens cinquante-sept. Suivant une des notes du P. Sirmond sur le panegyrique de Majorien, cet empereur n’étoit encore que maître de la milice au mois de mars de l’année quatre cens cinquante-sept lorsqu’un de ses lieutenans défit aux environs de Coire un parti considérable des Allemands établis sur la droite du Danube ou dans les Alpes, et qui venoit de saccager un canton de l’Italie, d’où il emportoit un riche butin. Nous verrons en parlant d’une expédition de Childéric contre ces Allemands, qu’ils faisoient souvent de pareilles incursions en Italie. Elles leur tenoient lieu de récolte.

Ce ne fut que le premier jour du mois d’Avril quatre cens cinquante-sept, que Majorien prit la pourpre, suivant les fastes que cite le pere Sirmond. Tout le tems qui s’étoit écoulé entre la déposition d’Avitus et l’exaltation de Majorien, avoit été sans doute employé en négociations entre l’empereur d’Orient et les Romains d’Occident, qui vouloient lui faire agréer le choix auquel ils s’étoient déterminés, avant que de le consommer. Jornandès dit dans son histoire des Gots, que ce fut par ordre de Martian, empereur des Romains d’Orient, que Majorien monta sur le trône de l’empire d’Occident. Il est vrai cependant que ce fut bien par ordre de l’empereur d’Orient, mais non point par ordre de Martian, que Majorien fut proclamé empereur d’Occident. Martian mourut, et Leon I son successeur fut proclamé dès le mois de janvier de l’année quatre cens cinquante-sept. Ce qui peut avoir trompé Jornandès, qui écrivoit cent ans après l’évenement, c’est que la négociation que les Romains d’Occident firent à Constantinople, pour y faire agréer l’élevation de Majorien, aura été entamée dès le regne de Martian, quoiqu’elle n’ait été terminée que sous le regne de Leon I son successeur. En effet Jornandès lui-même a reconnu son erreur, et son histoire des révolutions arrivées dans les Etats durant le cours des siécles, dit expressément : » Leon qui étoit de la Thrace, fut proclamé Empereur d’Orient. Peu de tems après être monté sur le Trône, il donna l’Empire d’Occident, tel que Valentinien III. l’avoit tenu, à Majorien qui prit la Pourpre dans la ville de Ravenne. »

On lit aussi dans Sidonius Apollinaris, que l’empereur Leon donna son consentement au projet de faire Majorien empereur. Sidonius dit, en adressant la parole à Majorien : » Après que le Senat, le Peuple & les troupes vous eurent choisi pour regner, & que votre Collegue fut entré dans le sentiment de tous les Ordres. » On ne sçauroit douter que le collegue, dont parle ici Sidonius, ne soit Leon. En premier lieu, quelle personne pouvoit-on appeller absolument le collegue de l’empereur d’Occident, si ce n’est l’empereur d’Orient ? En second lieu, et c’est ce qui leve tout scrupule, lorsque Sidonius prononça[1] le panegyrique de Majorien en quatre cens cinquante-huit, ce prince étoit consul, et il avoit pour collegue dans cette dignité, l’empereur Leon.

Gregoire De Tours, après avoir dit que Majorien fut le successeur d’Avitus, ajoûte : Egidius qui étoit Romain, fut fait maître de la milice dans le département des Gaules.

Nous avons déja parlé de Majorien à l’occasion de l’expédition qu’Aëtius fit dans la seconde Belgique contre le roi des Francs Clodion, et même nous avons eu dès-lors occasion de remarquer que ce Romain étoit encore un jeune homme, quand il fut fait empereur. Nous avons dit aussi quelque chose d’Egidius, au sujet du siege qu’il mit devant Chinon durant la guerre d’Aëtius avec les Armoriques. Mais Egidius Syagrius, que nos historiens appellent le comte Gilles ou Gillon, et son fils connu sous le nom de Syagrius, qui étoit leur nom de famille, jouent un si grand rôle dans le commencement des annales de notre monarchie, qu’il convient de rassembler ici tout ce qui se trouve dans les auteurs contemporains, concernant la naissance et le caractere de ce maître de la milice dans le département des Gaules. Il étoit de la famille Syagria, l’une des plus illustres du diocèse de Lyon, et qui avoit eu un consul en trois cens quatre-vingt-deux. Symmachus, auteur du quatriéme siecle, dit, en parlant de ce consul, qui s’appelle dans les fastes, Afranus Syagrius ; que ce Syagrius avoit son patrimoine de l’autre côté des Alpes, par rapport à Rome, c’est-à-dire, dans les Gaules. Nous sçavons encore par une lettre de Sidonius Apollinaris, qu’Afranus Syagrius, qui avoit été consul, étoit enterré à Lyon sa patrie, et inhumé dans le monument de sa famille, qui se trouvoit à un trait d’arbalêtre du lieu, où reposoit le corps de saint Juste évêque de cette ville-là. Un auteur du cinquiéme siecle, Ennodius évêque de Pavie, dit en parlant d’un rachat d’esclaves que saint Epiphane un de ses prédécesseurs avoit fait vers l’année quatre cens quatre-vingt-douze, dans la partie des Gaules occupée par les Bourguignons : » Après que les grandes sommes d’argent, que Saint Epiphane avoit emportées avec lui, eurent été dépensées, il trouva une ressource dans la charité de Syagria qui fournit au Serviteur de Dieu de quoi continuer la redemption des Captifs. Les biens de cette pieuse Matrône Romaine sont le patrimoine le plus assuré, que l’Eglise ait dans toutes ces Contrées. »

Priscus Rhetor dit aussi qu’Egidius étoit de la Gaule, et qu’il avoit servi long-tems sous Majorien. Il n’y a point même lieu de douter que ce ne soit de notre Egidius qu’il est parlé dans l’endroit du panégyrique de Majorien, où Sidonius fait un éloge si magnifique du maître de la milice, qui commandoit sous cet empereur, l’armée à laquelle il fit passer les Alpes pour la mener dans les Gaules, à la fin de l’année quatre cens cinquante-huit. à en juger sur le passage de Gregoire de Tours, que nous venons de rapporter, Egidius fut fait maître de la milice très-peu de tems après l’élevation de Majorien, et le panegyrique où nous croyons que Sidonius Apollinaris désigne Egidius, fut prononcé environ un an après cette élevation. Voici ce qui se trouve dans ce poëme. » Qu’il y a de louanges à donner à vos Généraux, aussi bien qu’à vos Ministres ? Quel personnage sur tout, que votre Maître de la Milice, qui durant la marche a toujours été à la queuë des colomnes de l’armée, pour obliger vos troupes qui marchoient gaiment, à faire encore plus de diligence. Il sçait mettre une armée en bataille, aussi bien que l’auroit fait Sylla. Il a plus de genie pour la guerre que n’en avoit Fabius, & il sçait toutes les ruses de l’art Militaire aussi-bien quc Camille. Il a encore plus d’audace dans l’occasion que Fulvius. Enfin Metellus n’étoit pas plus débonnaire, & Appius n’étoit pas plus éloquent que lui. »

Paulin de Périgueux, l’auteur de la vie de saint Martin écrite en vers, laquelle nous avons déja citée, et qui, comme Sidonius Apollinaris, étoit contemporain d’Egidius, ne fait pas un moindre éloge de ce personnage : « Egidius si celebre par ses vertus militaires, dit ce poëte, s’est encore rendu plus illustre par ses vertus morales et chrétiennes. » D’autres auteurs du cinquiéme et du sixiéme siecle, parlent aussi très-avantageusement du mérite de ce Romain. Nous transcrirons leurs passages en parlant de ceux des évenemens où il a eu part, lesquels nous sont connus.

Le pere Sirmond n’est pas du sentiment qu’il faille entendre d’Egidius, les vers du panegyrique de Majorien par Sidonius, que nous avons rapportés. Au contraire il pense que Sidonius y veut parler ou de Ricimer ou de Népotianus, qui, suivant Idace, étoit cette année-là maître de la milice dans le département des Gaules.

Quant à Ricimer, il est bien vrai qu’il avoit été maître de la milice, mais c’étoit dans le département de l’Italie, et même il ne l’étoit déja plus à la fin de l’année quatre cens cinquante-huit, et quand Sidonius prononça son panegyrique de Majorien actuellement consul. Suivant les fastes cités par le Pere Pétau, Majorien qui fut proclamé empereur le premier jour d’avril quatre cens cinquante sept, avoit été fait maître de la milice dès le mois de février de la même année, à la place de Ricimer, qui venoit d’être élevé à la dignité de patrice, et par conséquent avancé à un grade superieur à celui qu’il laissa vacant. Ainsi ce n’est point lui que Sidonius désigne dans les vers dont il s’agit. Si cela étoit, Ricimer y seroit appellé patrice, et non pas maître de la milice. Sidonius n’a point pû se méprendre sur ces choses-là.

Quant à Népotianus, je ne crois pas non plus que ce soit lui dont notre poëte entend parler. En voici la raison. Sidonius très-certainement veut parler ici du maître de la milice, qui commandoit sous Majorien l’armée qui à la fin de l’année quatre cens cinquante-huit vint dans les Gaules, comme nous allons le dire, pour y dissiper le parti qui s’y étoit formé contre cet empereur, et pour les soumettre à son pouvoir. Or Népotianus ne sçauroit avoir été ce géneralissime. En voici la raison. On voit par la chronique d’Idace que Theodoric II roi des Visigots, qui soit à cause de la déposition d’Avitus, soit à cause de quelques circonstances de la mort de cet empereur, en étoit venu à une rupture ouverte avec le parti de Majorien, ne fit sa paix avec cet empereur qu’après avoir été battu dans un combat, et par conséquent quelque tems après que Majorien eut passé les Alpes, pour venir dans les Gaules. Cette paix n’a dû donc être concluë que l’année quatre cens cinquante-neuf. Or il paroît par Idace et par Isidore de Seville que Népotianus servit sous Theodoric durant tout le cours de cette guerre, qu’il étoit encore attaché au roi des Visigots, quand ce prince fit sa paix avec Majorien : enfin que lorsque cette paix fut faite, notre Népotianus envoya de concert avec Sunneric, qu’Idace a qualifié quatre lignes plus haut de géneral de Theodoric, une députation aux Romains de la Galice. Idace après avoir parlé de l’élevation de Majorien, et après avoir ajouté, à ce qu’il en a dit, le recit d’un grand nombre d’évenemens, écrit donc : » Les habitans de la Galice reçurent les Députés qui leur étoient envoyés par Népotianus, Maître de la Milice, & par le Comte Sunneric, pour leur donner avis que l’Empereur Majorien & le Roi Theodoric avoient fait ensemble une paix durable après que les Visigots eurent été battus dans une action. » Isidore dit aussi très-positivement, qu’alors Népotianus et Sunneric commandoient conjointement une des armées de Theodoric. Ainsi ce que nous venons de voir concernant Népotianus, et ce que nous verrons encore dans la suite, porte à croire que ce Népotianus avoit été fait maître de la milice dans le département des Gaules par Avitus. Comme ce prince étoit maître de la milice, lorsqu’il fut salué empereur, son avenement au trône aura fait vacquer l’emploi dont il s’agit, et il y aura nommé Népotianus. Il aura ensuite envoyé ce géneral en Espagne avec Theodoric, lorsque, comme nous l’avons vû, il engagea ce roi des Visigots d’y aller faire la guerre aux ennemis de l’empire. Après la déposition d’Avitus, Népotianus sera demeuré attaché à Theodoric. Népotianus aura continué de faire dans les armées des Visigots et des Romains de la Gaule, réunis contre le nouvel empereur, les fonctions de sa dignité. De son côté Majorien aura nommé un autre maître de la milice des Gaules. Il aura conferé cet emploi à Egidius. Il est donc très-probable que ce n’est point ni de Ricimer, ni de Népotianus, mais d’Egidius que parle Apollinaris dans un panegyrique fait en quatre cens cinquante-huit.

  1. Sirm. in Notisad Sid. B. 116.