Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 2/Chapitre 9

LIVRE 2 CHAPITRE 9

CHAPITRE IX.

Suite de l’Histoire depuis quatre cens trente-cinq, jusqu’à la défaite de Litorius Celsus par les Visigots en quatre cens trente-neuf.


De toutes les guerres que l’empereur d’Occident avoit alors à soutenir, celle qu’il faisoit en Afrique contre les Vandales, qui pouvoient affamer l’Italie, et y faire des descentes chaque jour, étoit la plus inquiétante. Aussi voyons-nous que dès le onziéme février de l’année quatre cens trente-cinq, Valentinien traita avec eux aux conditions qu’il les laisseroit en paisible possession d’une partie de la côte de l’Afrique, et qu’eux de leur côté, ils cesseroient tous actes d’hostilité. Suivant les apparences, Aëtius avoit attendu pour revenir dans les Gaules que cette paix fût conclue. Ce qui est certain, c’est que nous ne l’y voyons point agir avant l’année quatre cens trente-cinq. Voici en quel état il les trouva. La seconde, la troisiéme et la quatriéme Lyonnoises persistoient encore dans la confédération Armorique, et refusoient toujours d’obéir aux officiers du prince. Tibaton avoit fait révolter la Gaule ultérieure, et les Visigots occupoient le plat-païs et quelques villes de la premiere Narbonnoise, de la Novempopulanie et de la seconde Aquitaine. Ainsi Aëtius ne trouva dans les Gaules aucun païs où l’empereur fût véritablement le maître, si ce n’est quelques cités de la premiere Aquitaine, la province Sequanoise, la premiere Lyonnoise, et les provinces qui sont situées entre cette province-là, les Alpes, la Méditerrannée et le Rhône. Il y avoit plus : le peuple de ces dernieres provinces faisoit des complots en faveur des Armoriques, et Gundicaire roi des Bourguignons en avoit encore envahi une partie. Quelle étoit précisément cette partie ? Nous l’ignorons. Voici ce que fit Aëtius.

Dès l’année quatre cens trente-cinq, ce capitaine obligea Gundicaire et ses Bourguignons à se soumettre aux conditions qu’il voulut bien leur octroïer. Mais soit qu’Aëtius ne leur eût accordé la paix qu’avec l’intention de prendre mieux ses avantages pour les attaquer, soit que le hasard seul l’ait voulu ainsi, un an après le traité, Gundicaire, et tous ceux des Bourguignons qui, suivant les termes dont Prosper se sert, devoient être restés dans les Gaules avec ce roi, furent exterminés par les Huns.

J’ai deux choses à faire observer au lecteur concernant cet évenement. La premiere est qu’Idace ne marque la défaite de Gundicaire par les Huns, que sur l’année quatre cens trente-six, quoique les fastes de Prosper, pour ne point couper le récit des avantures de Gundicaire, la placent en quatre cens trente-cinq. Idace ne rapporte le massacre des Bourguignons, qu’après avoir dit qu’Aëtius fit lever le siege de Narbonne aux Visigots. Or nous verrons par les fastes mêmes de Prosper, que la rupture ouverte entre les Romains et les Visigots, qui fut suivie du siége de Narbonne et de la levée de ce siége, est un évenement arrivé seulement en quatre cens trente-six. La seconde chose que j’ai à dire au lecteur concernant le massacre de Gundicaire et de ses Bourguignons, c’est que, suivant les apparences, ce massacre fut l’ouvrage du corps nombreux d’Alains ou de Huns, qu’Aëtius fit venir alors dans les Gaules, pour l’y employer contre les ennemis de l’empire, et pour avoir auprès de lui des troupes, sur la fidelité desquelles il pût compter en toute occasion. Nous avons parlé déja de l’affection que cette nation avoit pour lui, et nous ferons mention plusieurs fois dans la suite de ce corps de troupes, dont notre géneral tira de grands services, et auquel il donna même quelques années après, des quartiers stables, ou si l’on veut des habitations le long de la Loire. Je me contenterai donc de dire ici que c’est le corps de troupes ou la peuplade, de laquelle je viens de parler, qu’on trouve désignée dans les auteurs contemporains, tantôt sous le nom des Alains de la Loire tantôt sous le nom de Huns, et quelquefois sous celui de Scythes. On peut voir dans le chapitre dix-huitiéme du premier livre de cet ouvrage, par quelle raison tous ces noms-là convenoient aux troupes auxiliaires, dont il est ici question. Apparemment que nos Alains, soit qu’ils eussent un ordre secret d’Aëtius ou non, chargerent, quand ils eurent passé le Rhin, les sujets de Gundicaire, qui après avoir fait leur paix avec Aëtius, ne se défioient point de ces barbares qui arrivoient dans les Gaules en qualité de troupes auxiliaires de l’empire. Prosper ne nous donne point précisément, il est vrai, la date de la venuë de ces Alains dans les Gaules, mais il ne laisse point de nous indiquer le tems qu’ils y vinrent, en disant dans un passage qui va être rapporté, qu’en l’année quatre cens trente-sept les Alains servirent dans les Gaules comme troupes auxiliaires de l’empire qui étoit entré en guerre avec les Visigots.

Le passage de la chronique de Prosper qui concerne la défaite des Bourguignons, étant lû, comme les sçavans pensent qu’il faut le lire, semble décider que ce fut sur un ordre d’Aëtius que les Alains attaquerent les Bourguignons, et qu’ils les défirent. » Il s’alluma pour lors, dit cette Chronique, une guerre mémorable entre l’Empire Romain & les Bourguiguons, dans laquelle le Roi de ces Barbares perdit la vie, & leur Nation fut presqu’entierement exterminée par Aëtius. »

Immédiatemehr après ces paroles, la Chronique ajoûte : » Tibaton ayant été pris, & les principaux Auteurs de la révolte ayant été ou mis à mort ou mis aux fers, tous les mouvemens qui se faisoient en faveur des Bagaudes furent appaisés. » L’endroit où Prosper place cet évenement, doit faire croire qu’il est arrivé en l’année quatre cens trente-six.

Comme l’histoire des tems posterieurs à cette année-là fait encore mention plusieurs fois des Bagaudes et des Armoriques, soit comme des alliés, soit comme des ennemis de l’empire, il est évident que le passage de la chronique de Prosper qui vient d’être rapporté, ne concerne point la république des Provinces-unies de la Gaule, qui s’étoient confédérées dès l’année quatre cens neuf ; mais uniquement les provinces de la Gaule ultérieure, voisines de cette république, et que Tibaton avoit fait révolter l’année précédente.

Après tant de succès, et après avoir reçu les secours des Huns, Aëtius auroit bien-tôt attaqué et réduit les Armoriques, si les Visigots n’eussent point rompu la paix cette année-là même, en tâchant de se rendre maîtres de Narbonne, et des autres bonnes villes qui se trouvoient au milieu de leurs quartiers. Nous avons dit à l’occasion de la premiere prise de Narbonne par les Visigots en quatre cens treize, de quelle importance il leur étoit de se rendre maîtres de cette place, et de quelle importance il étoit aux empereurs de la conserver. Voici ce qu’on lit dans les fastes de Prosper sur l’année quatre cens trente-six, concernant la nouvelle guerre des Visigots contre les Romains. » Les Gots violent les Traités, & ils s’emparent de la plûpart des Villes Capitales de Cités qui se trouvoient voisines de leurs quartiers. Ils en veulent principalement à Narbonne. Le Comte Litorius leur fait lever le siege de cette place, où les vivres manquoient, & qu’ils attaquoient vivement. Il fit prendre en croupe à chaque Cavalier deux mesures de bled ; & après avoir passé sur le ventre aux Visigots, il entra dans la ville qu’il secourut ainsi, & contre la famine & contre les efforts de l’ennemi. Idace se contente de dire : » Le siége de Nabonne est levé par les soins d’Aëtius, qui commandoit en Chef dans tout le (b) pais.

On voit donc que dès l’année quatre cens trente-six la guerre étoit rallumée dans les Gaules entre les Romains et les Visigots, qui sans doute étoient d’intelligence avec les Armoriques. Ils n’étoient pas bien éloignés les uns des autres, et ils avoient les mêmes ennemis. La guerre continua l’année suivante entre les Visigots et les Romains fortifiés par le corps d’Alains qui avoit massacré les Bourguignons. Cette guerre auroit seule suffi pour empêcher Aëtius de faire de grands progrès contre les Armoriques ; mais il se fit encore une nouvelle diversion en leur faveur. Plusieurs barbares qui servoient dans les troupes auxiliaires, déserterent ; et s’étant attroupés, ils se firent pirates. Combien de détachemens le géneral romain n’aura-t-il pas été obligé de faire, pour empêcher les descentes et les courses de ces brigands ? Aëtius avoit donc assez d’affaires, quoiqu’il ne fît aucune entreprise importante contre les Armoriques, et quoiqu’il dût tirer de grands services du corps de troupes auxiliaires composé de Huns et d’Alains qu’il avoit fait venir dans les Gaules. D’ailleurs, comme Aëtius fut consul pour la seconde fois en quatre cens trente-sept, les affaires des Gaules ne firent cette année-là qu’une partie de celles dont il étoit chargé.

Chaque nation a son mérite particulier dans la guerre. Celui des Visigots étoit de se bien battre à l’arme blanche. Ils s’aidoient parfaitement de l’espieu d’armes et de l’épée. Comme les Romains, ils avoient peu de cavalerie dans leurs armées. Au contraire, les nations scythiques fournissoient d’excellente cavalerie. Les Huns, les Alains et les autres peuples compris sous le nom de Scythes, étoient adroits à manier leurs chevaux, comme à se servir de fléches et de toute sorte de traits. On peut se figurer quel avantage un géneral aussi intelligent qu’Aëtius tiroit des Huns auxiliaires qui servoient dans son armée, quand il faisoit la guerre dans un païs de plaines et quand il avoit affaire à des ennemis qui n’avoient point une cavalerie qu’ils pussent opposer à la sienne. Voilà, suivant l’apparence, ce qui le rendit si supérieur aux Visigots, qu’il les battit plusieurs fois durant la campagne de quatre cens trente-huit, quoiqu’ils eussent alors à leur tête un des grands rois qu’ait jamais eu cette nation, Theodoric premier. Ces barbares demanderent même à traiter, et ils convinrent avec Aëtius de l’armistice que nous verrons enfraindre par les Romains en quatre cens trente-neuf. Ce qu’on peut conjecturer avec probabilité touchant les conditions de cette espece de tréve dont les historiens ne parlent qu’à l’occasion de son infraction, c’est qu’elle portoit une cessation d’armes de part et d’autre, et qu’elle renvoyoit au prince d’accorder ou de refuser les demandes que faisoient les Visigots sur les points contestés entr’eux et les officiers de l’empire. Comme les Visigots avoient interêt à ne point se séparer des Armoriques, on peut croire qu’ils les comprirent dans la tréve, et la suite de l’histoire rend cette conjecture très-plausible.

Ce qui est de certain, c’est que vers le commencement de l’année quatre cens trente-neuf, Aëtius comptoit si bien que les troubles des Gaules étoient appaisés, ou du moins qu’il affectoit tellement de le croire, qu’il en partit pour se rendre à la cour de Valentinien, où il étoit bien aise d’être present quand on y traiteroit sur les interêts des Visigots, et sur ceux des Armoriques. Mais avant que de passer les Alpes pour aller à Rome, il fit une disposition qui ralluma la guerre durant son absence, peut-être plûtôt qu’il ne s’y attendoit. Il assigna donc des quartiers stables et permanens dans les environs de la ville d’Orleans aux Scythes auxiliaires qui servoient dans son armée, et qui avoient alors pour roi, ou pour chef Sambida. Aëtius en usa ainsi, en interprétant à son avantage, suivant l’apparence, quelqu’article de la pacification qu’il avoit accordée aux Armoriques, qui de leur côté firent de leur mieux pour se défendre contre l’entreprise faite en conséquence de cette interprétation. Mais ils succomberent à la fin, comme nous le verrons ; et je crois même que ce fut alors qu’Orleans se vit contraint à rentrer sous l’obéissance de l’empereur.

Je fais ici une correction importante dans le texte de la chronique de Prosper, où je lis que ce fut autour d’Orleans qu’Aëtius donna des quartiers à ses Alains, quoique le texte de Prosper dise que ce fut autour de Valence.

Deux raisons m’engagent à la faire, et à changer Valence en Orleans, en lisant Urbis Aurelianae deserta rura, pour urbis valentinae deserta rura. La premiere est, qu’il n’est point vraisemblable que les Romains ayent voulu donner aux Alains les terres incultes de la cité de Valence, ville située sur le Rhône, entre Arles, où étoit le siege de la préfecture du prétoire des Gaules, et Lyon. Pourquoi établir sur le bas Rhône, et dans une contrée des Gaules où tout le peuple étoit soumis, une colonie suspecte, et qui pouvoit, dès que l’envie lui en prendroit, empêcher la communication de la capitale avec la premiere Lyonnoise, et les autres provinces obéissantes qui étoient au septentrion et à l’orient de celle-là ? Au contraire, il convenoit pour plusieurs raisons, de placer cette colonie dans les campagnes des environs d’Orleans, que la guerre entre les provinces obéïssantes et les provinces confédérées, avoit rendues incultes. Cette peuplade devoit encore servir de frein aux Armoriques dans le païs de qui l’on l’établissoit.

En effet, et c’est ma seconde raison, il est certain qu’Aëtius établit pour lors une colonie de ses Alains sur la Loire et dans les environs d’Orleans. On lira dix évenemens dans la suite de l’histoire qui rendent ce fait-là constant. Je crois donc que c’est de cette colonie que Prosper a voulu parler à l’endroit de sa chronique où il dit qu’Aëtius avoit établi les Alains dans les terres incultes des environs d’Orleans, quoique les copistes lui ayent fait dire, dans la suite, qu’on avoit établi les Alains dans les terres incultes des environs de Valence. Cette conjecture est bien confirmée ; par ce que dit Prosper lui-même, concernant l’histoire de l’établissement des Alains en l’année quatre cens trente-neuf, dans les quartiers qui leur avoient été assignés par Aëtius, et qui ne se fit pas sans coup férir. La résistance des habitans du païs fut même assez grande, pour donner lieu à Sidonius Apollinaris de dire dans des vers, qui seront rapportés plus bas, et dans lesquels il parle d’un évenement arrivé en quatre cens trente-neuf : que les Scythes venoient de subjuguer les Armoriques. Voici le passage de Prosper, où il est parlé de l’établissement des Alains dans leurs quartiers. » Les Alains, à qui le Patrice Aëtius avoit donné le droit de prendre la moitié des terres dans la Gaule ultérieure, à condition d’en laisser l’autre moitié aux anciens Habitans, subjuguent par les armes ceux qui leur font résistance, & ils se mettent en possession de ce qui leur avoit été donné. » Or, quel qu’ait été le point par rapport auquel on divisoit dans le cinquiéme siécle les Gaules, en Gaule citérieure et en Gaule ultérieure, on ne sçauroit mettre Valence dans la Gaule ultérieure. Au contraire, Orleans étoit de la Gaule ultérieure ; puisqu’on voit en lisant un passage de la vie de saint Eloy, écrite dans le septiéme siécle, que Limoges, ville beaucoup plus méridionale qu’Orleans, étoit cependant de la Gaule ultérieure. C’est pourquoi M. De Valois dit, en parlant du passage de la chronique de Prosper, dont il est ici question. Je ne puis être du sentiment de Prosper, lorsqu’il semble dire, que Valence fût dans la Gaule ultérieure. Au contraire, Orleans devoit être de cette Gaule-là, puisque Limoges, comme nous l’avons vû, en étoit bien.

D’un autre côté, le premier passage de la chronique de Prosper, celui où il est parlé de la concession de quartiers faite par Aëtius aux Alains de laquelle il s’agit, doit être relatif à celui qui rend compte de ce que firent les alains pour s’en mettre en possession ; et ce second passage n’est même séparé du premier que par un autre article d’une ligne et demie ; pourquoi Prosper auroit-il fait mention dans le premier de ces deux articles de sa chronique, de ceux des quartiers accordés aux Alains, dans lesquels ils seroient entrés sans coup férir, quand il n’auroit rien dit dans ce premier article, de la concession de ceux des quartiers accordés aux Alains, dans lesquels ils n’entrerent qu’après avoir livré plusieurs combats, dont notre auteur sçavoit bien qu’il seroit obligé de parler lui-même à deux lignes de-là ? En verité, quand on examine avec attention la chronique de Prosper, il paroît, nonobstant les dates tirées de l’avenement de Theodose Le Jeune au trône de l’empire d’Occident, que les copistes ont transcrites à la marge du récit de chaque fait, et qui sont démenties par les autres chronologistes, que les deux évenemens dont il est ici question ; je veux dire, la concession des quartiers faite aux Alains, et la prise de possession de ces quartiers par les Alains, sont des évenemens arrivés l’un et l’autre la même année, c’est-à-dire en quatre cens trente-neuf.

Si l’on nous fait là-dessus une objection, fondée sur ce que l’action par laquelle les Alains se mirent en possession de leurs quartiers, n’a pû arriver qu’après l’année quatre cens quarante, puisque Prosper n’en parle dans sa chronique qu’après avoir rapporté l’exaltation du pape saint Leon, qui ne se fit qu’en cette année-là, nous répondrons que, comme quelques sçavans croyent que cette chronique a été interpolée aux endroits où elle marque le regne de Pharamond, de Clodion et de Merouée ; elle peut avoir été aussi interpolée aux endroits où elle marque l’exaltation des papes. Celui qui aura écrit les lignes qui regardent l’exaltation de ces pontifes les aura mal placées, en inserant trop haut ce qu’il dit concernant l’exaltation de saint Leon ? Qu’il les ait mal placées : c’est dequoi l’on ne sçauroit douter, parce qu’il met cette mention de l’exaltation de S. Leon avant la prise de Carthage par Genséric. Or il est constant par les fastes de Prosper, par ceux de Cassiodore, et par tous les monumens les plus autentiques du cinquiéme siécle, que les Vandales prirent Carthage dès l’année quatre cens trente-neuf, et que saint Leon ne fut fait pape qu’en quatre cens quarante. Ainsi l’on ne sçauroit se fonder sur la chronique de Prosper, pour contredire la date de l’établissement des Alains dans les quartiers qu’Aëtius leur avoit donnés sur la Loire, non plus que celle des évenemens arrivés en quatre cens trente-neuf.

Mais dira-t-on, comment Prosper a-t-il pû se tromper, et mettre urbis valentinae pour urbis aurelianae. Je tombe d’accord qu’il n’y a point d’apparence qu’il ait fait cette faute. Aussi je la rejette sur quelqu’un de ses copistes présomptueux en demi-sçavant, et qui se figuroit que ce n’étoit pas l’empereur Aurelien, mais un des empereurs du nom de Valentinien qui avoit donné à Orleans, le nom qu’elle portoit dans le cinquiéme siécle. Je reprends l’histoire.

L’avantage que Litorius Celsus et les troupes auxiliaires qu’il commandoit remporterent sur les Armoriques, en violant, suivant l’apparence, la suspension d’armes, fit faire à ce géneral une réflexion séduisante, c’est qu’il étoit facile de défaire un ennemi qu’on attaque dans le tems qu’il croit n’avoir plus rien à craindre, parce que la paix vient d’être faite, et qu’un vainqueur est dispensé de rendre raison de sa conduite. Ne fut-ce point un pareil motif qui engagea le prince d’Orange à attaquer en mil six cens soixante et dix-huit les François campés près de Saint Denis en Hainault, quoiqu’il fût bien informé que la paix entre la France et la Hollande dont il commandoit l’armée, avoit été signée à Nimégue. Comme les Visigots ne s’attendoient pas d’être attaqués, soit qu’ils se flatassent que l’empereur désavoueroit les violences qui s’étoient faites contre les Armoriques, soit par d’autres raisons, Litorius se hâta de marcher contre les Visigots. Il paroît cependant qu’avant que d’aller à son expédition, il voulut s’attacher les Bourguignons qui avoient échappé au fer des Alains, et dont nous avons parlé. Litorius qui commandoit dans les Gaules sous les auspices d’Aëtius, donna donc, soit de son propre mouvement, ou en vertu d’ordres supérieurs, des quartiers dans la Sapaudie à ce reste de Bourguignons, à condition qu’ils s’y contenteroient d’une certaine portion des terres, et qu’ils laisseroient l’autre aux anciens habitans. Si l’on s’en rapporte aux chiffres marqués à côté du récit de chaque évenement dans la chronique de Prosper, ce traité n’aura été fait que vers l’année quatre cens quarante-trois, et non pas en quatre cens trente-neuf où nous le plaçons. Mais il y a certainement faute dans ce chiffre. La preuve est, que la chronique dont il s’agit, place notre traité avant la prise de Carthage par les Vandales, évenement arrivé certainement en quatre cens trente-neuf. Comme le païs appellé ici Sapaudia, n’est ni une des provinces, ni une des cités dans lesquelles la Gaule se divisoit pour lors, il est bien difficile de dire précisément quelles étoient les bornes de la concession faite aux Bourguignons. Autant qu’on en peut juger, elle leur donnoit des quartiers dans le duché de Savoye proprement dit, dans le Chablais, dans une portion de notre gouvernement de Bourgogne, et dans une partie de la Franche-Comté. On peut voir ce que dit M De Valois dans sa notice des Gaules, sur la Sapaudia.

Litorius Celsus se crut le maître des Gaules après ce traité ; et résolu de ne pas mieux garder la foi aux barbares que ceux-ci la gardoient ordinairement aux Romains, il se mit en marche pour attaquer les Visigots. Suivant les fastes de Prosper, Litorius commandoit immédiatement sous Aëtius, qui pour lors étoit patrice ; cependant aucun auteur ne qualifie Litorius de maître de la milice : que son expédition fut l’infraction de quelque nouveau traité fait entre les Romains et les Visigots, depuis la rupture arrivée en quatre cens trente-six, on n’en sçauroit douter, quoique l’histoire ne parle point, ni du tems de la conclusion, ni des conditions de ce traité. Nous avons vû qu’en quatre cens trente-huit les Visigots étoient encore en guerre ouverte avec les Romains, et nous allons voir que l’expédition que Litorius fit contre eux en quatre cens trente-neuf sous le consulat de Theodose et de Festus, est qualifiée par Jornandés, de violement de la paix. C’est ce que notre auteur n’auroit point fait, si la guerre eût toujours duré. Pour rompre un traité, il faut en avoir signé un auparavant.

Litorius Celsus, rival de la gloire d’Aëtius, et qui croyoit que rien ne pouvoit résister à une armée composée d’une infanterie romaine et d’une cavalerie scythe, marcha donc en tratraversant l’Auvergne, contre les Visigots, dès qu’il eût soumis les Armoriques, c’est-à-dire, dès qu’il les eût réduits à donner ou à laisser prendre les quartiers dont nous avons tant parlé. Voici en quels termes les fastes de Prosper rendent compte du succès de l’expédition de ce géneral. » Litorius qui commandoit sous le Patrice Aëtius les Troupes auxiliaires des Huns, voulant effacer la réputation d’Aëtius, & se confiant sur les réponses des Augures comme sur les promesses des Démons, livre mal— à-propos la bataille aux Visigots. Le succès donna bien à connoître qu’il n’y avoit rien qu’on ne dût attendre de l’Armée qui fut battue sous ses ordres, si elle avoit eu un Géneral plus sage, puisqu’ayant à sa tête ce Chef inconsideré, elle ne laissa point de rompre plusieurs Corps des ennemis, de maniere que s’il n’eût pas été fait prisonnier, on n’auroit sçû auquel des deux partis il falloit attribuer la victoire. »

Ce fut aux environs de Toulouse que se donna la bataille entre Litorius et les Visigots. Comme il les surprenoit, il avoit pénétré d’abord jusques dans le centre de leurs quartiers. » Dans la guerre faite aux Visigots sous le Regne de leur Roi Theodoric, dit Idace, Litorius qui commandoit l’Armée Romaine, ayant chargé à la tête des Troupes Auxiliaires des Huns & attaqué très-imprudemment auprès de Toulouse les Visigots ses ennemis, les Huns furent défaits, & ce Géneral fait prisonnier ; il fut même mis à mort quelques jours après sa défaite. » Salvien dans son traité de la Providence parle fort au long de la catastrophe de Litorius Celsus, véritablement c’est sans le nommer ; cependant il n’est point douteux que ce ne soit de Litorius que cet auteur entend parler. Toutes les circonstances de l’évenement qu’il rapporte, sont celles de la défaite de Litorius, et les commentateurs de Salvien l’ont remarqué. C’est dommage que notre auteur qui écrivoit quelques années après la défaite de Litorius, se soit contenté de parler de cet évenement en orateur. Il ne laïsse pas néanmoins de nous apprendre, en exposant combien le doigt du seigneur y fut sensible, que le roi Theodoric partit de l’église, où il avoit passé plusieurs heures prosterné aux pieds de l’autel, pour donner la bataille, et qu’il ne chargea l’ennemi qu’après avoir merité par son humiliation et par ses prieres que le Dieu des armées combattît pour lui. Au contraire, Salvien accuse Litorius Celsus de la même présomption que les autres écrivains lui reprochent. Nous trouverons encore en plus d’une occasion dans la conduite de Theodoric, le caractere que lui donne ici cet écrivain.