Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 2/Chapitre 11

LIVRE 2 CHAPITRE 11

CHAPITRE XI.

Les Francs se rendent maîtres vers l’année quatre cens quarante-cinq, du Cambresis, et de plusieurs autres Contrées adjacentes. En quel tems Clodion fut battu en Artois par Aëtius. Des Francs appellés, les Ripuaires.


Parlons en premier lieu de la diversion des forces de l’empereur, que les progrès des Francs dans la seconde Belgique, durent opérer. Gregoire de Tours est le seul de tous les auteurs qui ont écrit dans les deux siécles où nous prenons nos garans, qui fasse mention de l’invasion dont on va lire le récit. Nous avons déja vû qu’il avoit écrit que Clodion faisoit son séjour ordinaire à Duysborch sur les confins du diocèse de Tongres. à cela notre historien ajoûte : » Ce Prince ayant envoyé des espions à Cambray, pour prendre langue, il marcha par la route qu’ils avoient reconnuë, passa sur le ventre aux Romains, & se rendit maître de la Cité. A peine s’y fut-il reposé quelque tems, qu’il se remit aux champs, & qu’il occupa tout le païs qui est entre Cambray & la Somme. » L’abréviateur ne fait que copier cette narration.

L’auteur des Gestes des Francs que nous ne laisserons pas de citer ici, quoiqu’il n’ait pas vêcu dans nos deux siécles, enrichit de quelques détails la narration précédente. » Clodion, dit cet Ecrivain, ayant marché par les Ardennes, se rendit maître de Tournay. De-là il vint brusquement à Cambray, où il entra, & où il passa ce qu’il y trouva de troupes Romaines au fil de l’épée. Ce Prince s’empara ensuite de tout le païs qui est entre cette Ville & la Somme. » Comme Tournay a été la premiere capitale de notre monarchie, et comme elle a joüi de cet honneur durant plus de soixante ans, ainsi que nous le dirons dans la suite, il est difficile à croire que dès le septiéme siécle, on eût oublié comment et dans quel tems elle étoit venue au pouvoir de nos rois. Je pense donc qu’on peut croire ce qu’en dit ici l’auteur des gestes. D’ailleurs la narration de cet historien est par elle-même très-vraisemblable. Quand il fait passer Clodion par la forêt charbonniere, pour le faire venir de Duysborch à Tournay, il fait tenir à ce prince précisément la route qu’il devoit tenir. Cette forêt qui faisoit une partie des Ardennes, renfermoit le lieu où Louvain a été bâti depuis, et elle s’étendoit jusqu’au païs des Nerviens, c’est-à-dire, jusqu’à la cité de Tournay[1].

Suivant les apparences la conquête de Clodion ne lui fut pas bien disputée. En premier lieu il tomba sur les Romains lorsqu’ils ne s’attendoient pas d’être attaqués. En second lieu, il fut apparemment favorisé, par les Francs qui étoient établis déja dans la cité de Tournay. On a vû ci-dessus, que l’empereur Maximien y avoit donné des terres à une peuplade de cette nation.

La situation des deux cités que les Francs occuperent alors, et l’état malheureux où se trouvoit l’empire romain, rendirent l’établissement qu’ils y firent, un établissement solide. Ces cités étoient situées à l’extrêmité septentrionale des Gaules, et rien ne leur coupoit la communication ni avec le païs de Tongres, où il y avoit déja d’autres Francs cantonnés, ni avec le Wahal, et par conséquent avec l’ancienne France. Clodion ne pouvoit être attaqué par les Romains, que du côté du midi. Le païs qui s’étend depuis Tournay jusqu’au Wahal, comme jusqu’à la Meuse, et qui est aujourd’hui si peuplé, si rempli de grandes villes, et si herissé de places fortes, étoit encore dans le cinquiéme siécle dénué de villes, et plein de forêts ou de marécages. On n’avoit point encore creusé les canaux qui donnent à ce païs-là le moyen de s’égouter. Il n’étoit gueres praticable à des hommes moins accoûtumés à brosser dans les bois, et à franchir les flaques d’eaux que les sujets de Clodion. Aussi verrons-nous que lorsqu’Aëtius voulut attaquer ce prince, il l’attaqua du côté des plaines de notre Artois. On sçait bien que ç’a été seulement sous la domination de nos rois, qu’on a bien défriché le païs qui est entre l’Artois, l’ocean, le Rhin et les Ardennes, et que les grandes villes dont il est si rempli qu’elles sont en vûë les unes des autres, n’ont été bâties que dans ces tems-là. Bruges, Gand, Anvers, Bruxelles, Malines, Louvain et les autres villes de ce territoire ont été construites sous les successeurs de Clovis, et sous ceux de Charlemagne. Ainsi la prise de Tournay et celle de Cambray, les seules villes qui fussent alors dans la contrée que nous venons de désigner, en rendit Clodion le maître absolu.

Gregoire de Tours ne nous donne point la date de l’expédition de Clodion, quoique l’établissement de la monarchie françoise qui en avoit été la suite, eût rendu cette expédition très-mémorable. Le pere Petau[2] la place vers l’année quatre cens quarante-cinq. On verra dans la suite de ce chapitre sur quelles raisons il s’appuye pour fixer cette époque, au tems où il la fixe.

Aëtius qui étoit revenu dans les Gaules, tandis que S. Germain négocioit toujours à Ravenne l’accommodement des Armoriques, marcha contre les Francs, dès qu’il fut informé de ce qui venoit d’arriver au-delà de la Somme. Il fit la guerre à Clodion, et même il lui enleva auprès du vieil Hesdin un quartier qu’il surprit le jour qu’on y faisoit les réjoüissances d’une nôce. Mais Sidonius Apollinaris qui nous apprend cet évenement, ne dit point qu’Aëtius ait alors obligé les Francs à évacuer le païs qu’ils venoient d’occuper. A en juger par son récit même, les Romains ne tirerent point d’autre avantage de ce succès, que celui de faire quelques prisonniers de guerre. Si cette camisade eût été suivie d’un avantage plus réel, Sidonius en auroit fait mention ; car il n’obmet rien de ce qui pouvoit augmenter la gloire que Majorien y acquit, en combattant à côté d’Aëtius. Sidonius ne pouvoit pas même en user autrement. C’est dans le panegyrique de Majorien qui étoit parvenu à l’empire, environ dix ans après ce combat, que notre poëte parle de l’action de guerre dont il s’agit ici. Nous avons même l’obligation à l’envie que Sidonius avoit de bien loüer Majorien, du bel éloge que cet auteur fait de la bravoure des ennemis, à qui son héros avoit eu affaire. » Les Francs que vous avez battus, dit Sidonius, sont Soldats avant que d’être hommes. Si le lieu, si le nombre donnent l’avantage à leur ennemi, ils peuvent bien alors être tués, mais ils ne sçauroient être mis en fuite. Ils meurent sans perdre le courage, & ils ont encore de la valeur, quand ils n’ont presque plus de vie. »

Un auteur moderne qui a très-bien écrit l’histoire de France, mais qui veut, quoiqu’il en puisse couter à la vérité, que Clovis à son avenement à la couronne, ne possedât rien dans les Gaules, prétend que la surprise de Cambray par Clodion, et le combat où les troupes de ce prince furent battues auprès du vieil Hesdin par Aëtius et par Majorien, soient des évenemens contemporains ou antérieurs au consulat de Felix et de Taurus en l’année quatre cens vingt-huit, tems où nous avons vû qu’Aëtius réduisit les Francs qui s’étoient établis en-deçà du Rhin, à se soumettre à l’empire, ou bien à repasser ce fleuve.

Le p Daniel soutenant le systême qu’il a entrepris d’établir, a grande raison de prétendre ce qu’il prétend ; car s’il est une fois avéré que la surprise de Cambray, et le combat donné près du vieil Hesdin, sont des évenemens bien postérieurs au consulat de Felix et de Taurus, il s’ensuivra que les Francs soumis ou renvoyés au-delà du Rhin en l’année quatre cens vingt-huit, l’auront passé de nouveau avant le regne de Clovis, et dès le regne de Clodion, et que dès le regne de Clodion ils auront encore établi dans les Gaules des peuplades indépendantes des officiers de l’empereur, en un mot, un royaume. Ainsi, comme on ne lit point dans aucun auteur du cinquiéme siécle ou du sixiéme, que les Romains ayent obligé jamais ces nouvelles colonies fondées postérieurement à l’année quatre cens vingt-huit, à retourner dans la Germanie, ni à se soumettre à l’empereur, on en pourra conclure qu’elles auront sçû se maintenir dans les Gaules, et qu’elles s’y seront maintenues dans l’indépendance. Or comme on trouve d’un autre côté que les Francs étoient maîtres dès les premieres années du regne de Clovis, de Tournay et de Cambray, les deux cités conquises par Clodion, il sera facile d’inferer de tout ce qui vient d’être exposé, que Clodion avoit laissé ce païs qu’il avoit conquis aux rois Francs ses successeurs, que c’étoit en qualité d’un des successeurs de Clodion que Clovis tenoit Tournay dont on le trouve en possession, sans qu’on voye qu’il l’ait jamais conquis, et par conséquent que la monarchie françoise a eu trois rois avant Clovis. C’est ce que dit positivement Hincmar dans sa vie de saint Remi. Les Francs, écrit-il, sortis de Dispargum se rendirent maîtres de Tournay, de Cambray, comme de toute cette partie de la seconde Belgique, qui est au nord de la Somme, et ils y habiterent long-tems sous le regne de Clodion et de Mérovée. Rapportons enfin le texte du pere Daniel.

» Voici donc l’objection qu’on peut me faire[3]. Le Roi Clodion, suivant Gregoire de Tours qui l’appelle Chlogion, s’empara de Cambray & du païs d’alentour jusqu’à la Riviere de Somme. J’ajoute pour fortifier l’objection, que plusieurs Auteurs contemporains font mention aussi bien que Gregoire de Tours, de cette expédition, entr’autres l’Evêque d’Auvergne Apollinaire, dans le Panegyrique de Majorien, auquel il parle de la sorte : pugnastis pariter, &c. Prosper, Cassiodore, l’Evêque Idace s’accordent sur ce point avec Gregoire de Tours, avec Apollinaire, mais tous ajoutent ce que Gregoire de Tours n’a pas ajouté, qu’Aëtius General de l’Armée Romaine, sous lequel Majorien servoit alors, défit Clodion, & qu’il reprit sur lui tout ce qu’il avoit enlevé à l’Empire Romain en-deçà du Rhin. Pars Galliarum, dit Prosper, propinqua Rheno, quam Franci possidendam occupaverant Aëtii Comitis armis recepta. Cassiodore en dit autant dans sa Chronique.

Je réponds au pere Daniel. Il est bien vrai que Gregoire de Tours n’ajoute point au récit de l’entreprise et des succès de Clodion ce qu’on trouve dans Prosper et dans Cassiodore : Que sous le consulat de Felix et de Taurus, Aëtius recouvra la partie des Gaules voisine du Rhin, de laquelle les francs s’étoient rendus les maîtres ; mais c’est parce que Gregoire de Tours n’entend point parler du même évenement dont nos deux annalistes ont voulu parler. Gregoire de Tours, dans le passage que nous discutons, parle d’un évenement arrivé vers l’année quatre cens quarante-cinq, et dix-sept ou dix-huit ans après l’évenement dont Prosper et Cassiodore ont parlé, évenement qui étoit arrivé dès l’année quatre cens vingt-huit selon leurs fastes. Quant à Sidonius, ce n’est point aussi de l’expédition que fit Aëtius l’année quatre cens vingt-huit contre les Francs qu’il veut parler, mais bien de celle que fit ce géneral contre les Francs, après que Clodion se fût rendu maître d’une partie de la seconde Belgique ; en un mot de l’expédition d’Aëtius, laquelle suivit l’évenement dont Gregoire de Tours fait mention.

Je ne sçaurois deviner pourquoi le pere Daniel a ignoré les bonnes raisons que le pere Sirmond et le pere Petau ont alléguées, pour montrer que la camisade donnée auprès du vieil Hesdin par Aëtius à un corps de troupes de Clodion, est un évenement bien postérieur à l’année quatre cens vingt-huit. Le pere Daniel se seroit rendu à ces raisons, du moins il auroit entrepris de les réfuter.

Voici ce que dit le pere Sirmond dans ses notes sur les vers du panegyrique de Majorien : Pugnastis pariter, etc. rapportés ci-dessus. » Plusieurs voudroient placer sous le Consulat de Felix & de Taurus, c’est-à-dire, en quatre cens vingt-huit, cette guerre contre les Francs, dans laquelle Aëtius & Majorien défirent Clodion, parce qu’il est dit dans les Fastes de Prosper & dans ceux de Cassiodore, que cette année-là Aëtius recouvra la partie des Gaules voisine du Rhin, que les Francs avoient occupée. Mais comment Majorien qui fit des merveilles dans l’action de guerre dont parle Sidonius, auroit-il pû se trouver à ce combat, s’il se fût donné dès l’année quatre cens vingt-huit, lui, qui au dire de notre Poëte, étoit encore un jeune homme en quatre cens cinquante-huit ? Ce fut en cette année-là que Sidonius fit le Panegyrique de Majorien, puisqu’il fit ce Panegyrique durant le Consulat de cet Empereur, & qu’il est certain par les Fastes que ce fut en quatre cens cinquante-huit que Majorien fut Consul. Or Sidonius dit dans son panegyrique, & en parlant d’un évenement arrivé depuis un mois ou deux, que Majorien étoit encore alors Juvenis, un jeune homme. Comment accorder cela » avec la suppolition que Majorien eût trente ans auparavant fait des merveilles dans une action de guerre ? En second lieu, dit le Pere Sirmond, l’expédition qu’Aëtius fit en quatre cens vingt-huit, il la fit sur le Rhin, & le combat dont parle ici Sidonius, se donna dans l’Artois, & près du Bourg d’Helena, dont on voit encore les ruines sur le bord de la Canche, connues sous le nom du Vieil-Hesdin. Il est donc raisonnable de penser que ce combat donné en Artois, n’ait été donné qu’après l’année de Jesus-Christ quatre cens quarante-cinq, tems ou, suivant Gregoire de Tours, Sigebert & nos Annales, Clodion partit des confins de la Turinge, passa sur le ventre aux Romains qui étoient en-deçà du Rhin, traversa la Forêt Charbonniere, & le rendit maître de Tournay, de Cambray & de tous les pais qui sont au Septentrion de la Somme. Comme ces Contrées sont voisines de l’Artois, je conjecture que les Francs auront voulu s’y jetter, & qu’ils auront été contenus par l’avantage qu’Aëtius remporta sur eux, suivant la narration de Sidonius. »

Le Pere Petau est du même sentiment que le Pere Sirmond concernant la date du combat du Vieil Hesdin. » Clodion, dit-il, monta sur le Thrône en quatre cens vingt-huit ou vingt-neuf, cinq ans après la mort de l’Empereur Honorius, & il fut le premier de nos Rois qui passa le Rhin, pour s’établir dans les Gaules ; mais ayant été attaqué par Aetius, il perdit la partie des Gaules qu’il avoit occupée. Dix huit ans après, ou environ, c’est à-dire, vers quatre cens quarante-cinq, Clodion amena une Armée de Francs dans le Cambresis & dans l’Artois, il y défit les Romains, & il se rendit maître du païs qui est entre ces deux Cités & la Somme. On voit néanmoins que Clodion fut alors battu dans une rencontre où il fut poussé par Aëtius, sous qui servoit Majorien, & c’est de cette action que parle Sidonius Apollinaris dans le Panegyrique de Majorien au Vers deux cens-douze, Pugnastis pariter, Franc. Ç’aura donc été vers l’année quatre cens quarante-cinq que Clodion se sera emparé du Cambrésis, & vers quatre cens quarante-six qu’il aura eu un de les quartiers enlevé près le Vieil Hesdin, mais sans être obligé pour cela de repasser le Rhin. ç’aura été le même tems que la tribu des francs, qui a porté le nom de Ripuaire, jusques sous nos rois de la seconde race, se sera établie entre le bas Rhin, et la basse Meuse. On ne sçauroit presque douter que ce ne soit la situation du païs qu’elle occupoit entre ces deux fleuves qui lui ait fait donner par les romains ce nom tiré du mot latin Ripa, qui signifie rive. Or comme Jornandès met les Ripuaires au nombre des peuples qui joignirent Aëtius, lorsqu’en quatre cens cinquante et un il marcha contre Attila, il faut que notre tribu fût dès-lors établie dans le païs qui lui avoit donné son nom. D’un autre côté, nous ne trouvons dans aucun monument de notre histoire, en quel tems les Ripuaires se cantonnerent dans le païs, dont ils étoient en possession dès l’année quatre cens cinquante et un. Voilà ce qui me porte à supposer que cet établissement se soit fait à la faveur des désordres que dut causer parmi les troupes romaines en quartier au-dessus et au-dessous de Cologne, l’invasion de Clodion dans la seconde Belgique.

M. Eccard[4] croit que cette tribu ou plûtôt cette nation des Ripuaires étoit composée en partie de Francs, et en partie des soldats romains qui avoient leurs quartiers entre le Bas-Rhin et la basse-Meuse. Il pense que ces derniers étant coupés d’un côté par les Francs-Saliens, qui s’étoient rendus les maîtres de la portion du lit du Rhin qui est au-dessous de Cologne, et d’un autre côté, par les peuples qui s’étoient emparés de la premiere Germanique, consentirent à s’incorporer avec quelques essains de Francs. Les Francs et les Romains qui composerent dans la suite le peuple Ripuaire, s’unirent donc alors entr’eux, suivant notre auteur, à peu près comme nous verrons que les Francs-Saliens et les Armoriques s’unirent ensemble sous le regne de Clovis. M Eccard croit même que ce furent ces soldats romains qu’on appelloit dès avant cette union, des troupes ripuaires, parce qu’ils étoient spécialement destinés à garder la rive du Rhin, qui donnerent leur nom à la nouvelle nation composée d’eux-mêmes, et des Francs, avec lesquels ils s’associerent. On peut fortifier cette conjecture par plusieurs endroits de la loi des Ripuaires. Par exemple il est dit dans cette loi : Si quelque esclave a maltraité avec excès un Franc ou un Ripuaire, son maître payera une amende de trente-six sols d’or, et cela me paroît supposer que Ripuaire qui se trouve ici opposé à Franc, signifie un de nos soldats, un des Romains qui s’étoit fait citoïen de la nouvelle nation, d’autant plus que l’esclave qui avoit blessé le Romain dont il y est parlé est condamné à la même peine, que l’esclave qui auroit blessé un Franc. Tous les Romains ne sont point traités avec la même égalité par cette loi. Non-seulement elle qualifie d’ étrangers d’autres Romains, mais elle statue encore que celui qui auroit tué un de ces Romains étrangers, ne seroit condamné qu’à une amende de cent sols d’or, au lieu que celui qui auroit tué un citoïen de la societé ou de la nation des Ripuaires prise collectivement, étoit condamné par la même loi, à une amende de deux cens sols d’or. D’ailleurs tous les citoïens de toutes les provinces de la Gaule étant aussi-bien Romains, que les anciens citoïens du païs occupé par les Francs et Ripuaires ; à quel égard un Romain pouvoit-il être dit Advena, un étranger, dans le païs des Ripuaires, si ce n’est parce qu’il n’étoit pas du nombre des Romains ripuaires, c’est-à-dire du nombre de ceux qui s’étoient joints et associés avec un essain de Francs, pour composer avec lui la nation connuë ensuite sous le nom de Ripuaires ?

Comme les Francs, quelque supposition que l’on suive, faisoient du moins une partie de la nation des Ripuaires, et comme son roi étoit un prince de la maison royale parmi les Francs, la nation entiere fut réputée une des tribus du peuple Franc. Nos antiquaires conviennent que c’est la loi des Ripuaires qui est désignée par le nom de loi des Francs dans le préambule qui se trouve à la tête du code de la loi des Bavarois, de la rédaction de Dagobert I, et où il est dit que ce prince avoit mis dans une plus grande perfection la loi nationale des Francs, celle des Bavarois, et celle des Allemands, compilée par le roi Thierri I. Nous rapporterons dans le dernier livre de cet ouvrage, les raisons qui montrent que dans le préambule de la loi des Bavarois, on ne sçauroit entendre de la loi salique, ce qui s’y trouve dit de la Loi des Francs.

Lorsque Clovis parle de Sigebert, roi de Cologne, qui étoit la capitale du païs des Ripuaires, Clovis l’appelle son parent ; ce qui montre que Sigebert étoit Franc. D’ailleurs après la mort de Sigebert, les Ripuaires choisirent Clovis pour leur roi ; et quand on a quelque connoissance des mœurs des nations germaniques, et de l’idée avantageuse que chacune avoit d’elle-même, il ne paroît pas vrai-semblable qu’une nation germanique, ou une nation dont des Germains faisoient la principale partie, ait choisi volontairement pour roi un homme d’une autre nation barbare.

Enfin, la loi salique et la loi ripuaire ont tant de conformité, qu’on voit bien qu’elles sont les codes de deux tribus d’une même nation. Aussi verrons-nous qu’Eghinard, qui a fleuri sous Charlemagne, dit que de son tems la nation des Francs vivoit suivant deux loix, entendant par ces deux loix, la loi salique et la loi ripuaire.

  1. Notit. Gall. ad vocem, Sylvia carbonaria.
  2. Petav. Rat. Temp. lib. 6. p. 343.
  3. Hist. de Fr. Préface historique pag. 93. de l’Ed. de 1722.
  4. Comm. in Leg. Ripuar.