Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 1/Chapitre 13

LIVRE 1 CHAPITRE 13

CHAPITRE XIII.

Des autres impositions qui faisoient partie du Tribut public. De la maniere dont ce Tribut étoit levé. Des Maisons de Poste.


Ces charges consistoient principalement en quatre choses. Dans les corvées qu’il falloit faire pour le transport des denrées, dans celles qui se faisoient pour l’entretien des grands chemins, dans l’obligation de prêter ses chevaux aux voyageurs en certaines occasions, et enfin dans celle de fournir des hommes pour recruter les troupes.

Dès que le prince recevoit une partie de son revenu en denrées, dont il faisoit délivrer une portion aux troupes et aux ouvriers employés dans les manufactures, et dans les atteliers publics, on conçoit bien qu’il étoit souvent question de transporter des denrées du lieu de leur cru, dans celui de leur consommation. Ce transport qui se faisoit ou par eau, ou par terre, suivant la nature des païs, étoit toûjours à la charge des habitans, comme on le peut voir dans plusieurs loix qui statuënt concernant ce sujet-là. Ils étoient aussi tenus de faire les corvées nécessaires pour la réparation et l’entretien des chemins militaires, ou des chaussées construites sur toutes les grandes routes. Les empereurs Honorius et Theodose Le Jeune, avoient même ordonné que les terres, dont la proprieté leur appartenoit, ne seroient point exemptes de cette espece de corvée[1]. Mais c’est une matiere sur laquelle le sçavant livre de Bergier, intitulé l’Histoire des grands chemins de l’Empire Romain, ne laisse rien à souhaiter.

Personne n’ignore que les empereurs avoient sur toutes les grandes routes des maisons de poste, placées à une distance convenable les unes des autres, et qu’on y fournissoit, sans payer, des chevaux, des voitures, en un mot tout ce qui est nécessaire en route, à tous ceux qui étoient porteurs d’un ordre du prince expedié en forme de brevet et qui déclaroit que ces personnes voyageoient pour le service de la république. C’étoit même une espece de crime d’état que de prendre des chevaux dans une de ces maisons, sans avoir l’ordre dont je viens de parler ; et l’empereur Pertinax[2] fut condamné, dans le tems qu’il étoit déja chef de cohorte, à faire à pied une longue traite, pour s’être rendu coupable d’un pareil délit. Il seroit inutile de rapporter ici toutes les loix qui sont dans le code concernant la poste romaine[3], et je me contenterai de dire que lorsque les chevaux que le prince entretenoit dans les maisons bâties sur les voyes militaires ne suffisoient point, les habitans qui demeuroient à une certaine distance de ces maisons-là, étoient tenus de fournir des leurs, afin que le service ne souffrît point de retardement. Si le nombre de chevaux qu’on pouvoit ramasser dans cette étenduë de païs n’étoit pas encore suffisant, les habitans des contrées voisines de ce canton-là, étoient obligés subsidiairement, d’y suppléer, en donnant de leurs chevaux.

Dès le quatriéme siécle, l’empire romain se vit dans la nécessité de contraindre très-souvent les communautés à lui fournir des hommes pour recruter les troupes. Tant qu’il avoit été florissant, l’envie de se distinguer et l’espérance d’obtenir les riches récompenses qu’il distribuoit, lui avoient fait trouver presque toujours plus de soldats qu’il n’en vouloit avoir sous ses enseignes. Il ne les achetoit point alors, il les choisissoit. Mais ses disgraces ayant dégouté les sujets du service, Rome qui avoit trouvé assez de soldats pour conquérir le monde, en manquoit pour défendre l’Italie. Ainsi non-seulement, comme nous l’avons dit ailleurs, les empereurs furent contraints dès le quatriéme siécle à prendre des barbares à leur service ; il leur fallut obliger les fils des véterans à s’enrôler, et demander encore aux communautés des hommes de recruë. Nous voyons par une lettre de Symmachus, qui vivoit dans ce siécle-là, qu’on évaluoit du moins quelque fois, à une certaine somme d’argent chaque soldat qu’une communauté étoit dans l’obligation de fournir, et que cette obligation devenoit ainsi une taxe pécuniaire. Apparemment que les deniers qui en provenoient servoient à donner un engagement à ceux qui venoient s’enrôler volontairement. Symmachus se plaint dans la lettre que nous citons, et qu’il écrit à un de ses amis, pour l’exciter à lui rendre service : que les commis des décurions d’une contrée où il avoit du bien, vouloient contraindre celui qui faisoit ses affaires sur les lieux à contribuer pour faire un soldat de recruë, sans lui faire voir néanmoins aucun ordre du prince, qui les autorisât dans cette demande. Dès qu’il y avoit un pareil ordre, chacun pouvoit être contraint à son exécution. Une loi des empereurs Honorius et Theodose Le Jeune ordonne même que les fonds de terre dont ils étoient eux-mêmes proprietaires comme particuliers, en qualité de simples citoïens, payeroient leur contingent des taxes faites dans le canton, pour fournir des soldats de recruë.

Après avoir vû comment s’asseoient les impositions, et en quoi elles consistoient, voyons de quelle maniere elles étoient levées. Les décurions qui étoient chargés de la confection des differentes colomnes du canon géneral ou du canon par extension, étoient aussi chargés de la rédaction du capitulaire, ou du rôle particulier qui se signifioit à chaque citoïen, et qui contenoit la somme qu’il devoit payer, et les termes ausquels il devoit s’acquitter. On accordoit aux décurions une remise sur chaque rôle, pour les indemniser, tant des frais qu’il convenoit de faire pour contraindre les contribuables, que de l’interêt des sommes qu’il étoit nécessaire qu’ils avançassent, parce qu’il leur falloit payer le prince à jour nommé, et souvent avant qu’ils eussent encore reçu ce qu’ils devoient porter dans les caisses de l’Etat. Il est vrai que chaque contribuable pouvoit gagner lui-même cette remise, en portant au jour de l’échéance du payement de son imposition, les deniers dont il étoit débiteur dans les coffres du prince[4]. Il paroît aussi qu’en certaines occasions le prince faisoit lui-même contraindre les particuliers par des officiers de son tribunal envoyés à cet effet.

Non-seulement les décurions ont été chargés du soin de rédiger sous l’inspection des officiers du prince les colomnes du canon, et d’asseoir les taxes qui se faisoient en consequence sur chaque particulier, tant que l’empire d’Occident a subsisté, mais ils ont continué à être chargés de ces fonctions sous le gouvernement des rois barbares qui se rendirent maîtres des Gaules. Il est vrai que l’empereur Anastase changea l’ancien usage dans l’empire d’Orient. Suivant Evagrius, ce prince à la persuasion de Marinus, un Romain syrien qu’il avoit fait préfet du prétoire de Constantinople, ôta la levée des impositions aux curies des cités, pour la donner à des officiers qu’il établit à cet effet dans chaque district, et qu’on trouva bon d’appeller les défenseurs du fisc. Evagrius ajoute qu’il arriva deux inconveniens de cette nouveauté ; l’un, que les impositions furent bien-tôt augmentées. L’officier municipal qui ne doit exercer que durant un tems, la commission de faire payer par ses compatriotes leur part et portion des charges publiques, a interêt par deux raisons, de rendre le fardeau le plus leger qu’il lui est possible. Une portion de ces charges, doit être bien-tôt imposée sur lui-même par une main étrangere. En second lieu, quand l’imposition est médiocre, il l’asseoit sans peine, et il en fait sans peine le recouvrement. Ainsi l’officier municipal est toujours porté à trouver qu’il est impossible d’augmenter les impositions. Le citoïen qui n’a point d’autre profession que celle de lever les droits et les revenus du souverain, a interêt de parler et d’agir bien differemment. L’autre inconvénient qui résulta de la nouveauté introduite par Anastase, fut que les villes déchurent de leur splendeur : car avant ce changement les personnes des meilleures familles se faisoient mettre sur les rôles des curies de leur cité, parce qu’alors la curie y étoit considerée comme un second sénat, au lieu que depuis ce changement elles cesserent de se faire inscrire sur ces rôles. Mais d’autant que l’empereur Anastase qui monta sur le trône de Constantinople en quatre cens quatre-vingt-onze, et quand l’empire d’occident avoit été déja presque entierement envahi par les barbares, n’eut jamais qu’une autorité précaire dans les Gaules, on n’aura point de peine à croire que le changement qu’il lui plut de faire à l’administration des finances de l’empire d’Orient, n’eut point lieu dans cette province.

Quand bien même toutes les impositions dont nous venons de parler, et dont le produit composoit la seconde branche du revenu des empereurs, auroient été assises avec justice, et levées avec clemence, elles se montoient si haut, qu’il n’étoit pas possible qu’elles ne fussent très à charge aux peuples. Mais la maniere dont s’en faisoit le recouvrement, les eût renduës onéreuses, quelque legeres qu’elles eussent été, si les loix qui statuoient sur la maniere de les asseoir, et sur celle de les exiger, avoient été redigées par des personnes bien intentionnées, et capables de rendre le mal moins nuisible. Ces loix étoient souvent exécutées par des hommes sans probité, et par des citoïens sans consideration pour leur patrie.

En premier lieu, les officiers du prince chargés d’obliger les décurions à payer, en usoient avec une dureté barbare. Nous avons déja rapporté, en parlant de la division du peuple des Gaules en trois ordres, une partie de la loi que Majorien proclamé empereur en l’année 458, publia pour le soulagement des sujets, et qui décrit si pathétiquement la triste condition où les officiers chargés du recouvrement des revenus du prince, avoient mis les citoïens enrôlés dans les curies. On se souviendra que les vexations de ces officiers réduisoient journellement plusieurs personnes du second ordre à la nécessité d’abandonner leurs terres, et de s’exiler de leur patrie. Voici ce qui est ordonné dans cette loi faite pour le soulagement des décurions : » Les personnes chargées par nous de la commission de faire entrer nos revenus dans le trésor public, ne contraindront point les officiers Curiaux à rien payer au-delà de ce qu’il apparoîtra qu’ils auront reçu des Contribuables, & ces Officiers municipaux ne pourront être forcés, ou qu’à compter l’argent qu’ils auront touché, ou qu’à faire leurs diligences pour le restant, & à remettre entre les mains de nos susdits Commissaires un titre valable contre les particuliers qui n’auront point encore acquitté leur part & portion des charges publiques. » Le même édit ordonne encore que les biens-fonds des curiales ne pourront être vendus à l’encan pour quelque cause que ce soit, qu’avec la permission du préfet du prétoire, dans le diocèse duquel ils se trouveront situés.

Cet article de la loi de Majorien ne fut point toûjours observé : car nous verrons que sous les premiers successeurs de Clovis, les officiers du prince dans une cité, étoient quelquefois obligés à faire des emprunts, pour porter à jour nommé dans les coffres du prince, les quartiers échus du tribut public. Or cette obligation est d’une telle nature, qu’on n’y sçauroit assujettir l’officier supérieur, sans y assujettir l’officier inférieur en même tems.

En second lieu, toutes les duretés que les officiers de l’empereur exerçoient sur les décurions, les décurions les exerçoient sur ceux de leurs concitoïens dont la fortune étoit médiocre. Je ne rapporterai point ici ce que disent les auteurs du cinquiéme siécle et du sixiéme, sur la misere et sur le désespoir où les collecteurs des impôts avoient réduit le peuple, parce que je crois plus à propos de le garder pour l’endroit de cet ouvrage, où j’examinerai d’où venoit la facilité que trouverent les barbares à se cantonner dans les Gaules, et où je ferai voir qu’elle procedoit principalement du mécontentement géneral des sujets de l’empire, causé par la dureté du gouvernement, et par les concussions des officiers. En un mot, s’il n’y avoit sorte de vexation que les officiers du prince n’exerçassent sur les officiers municipaux, il n’y en avoit point aussi que ces officiers n’exerçassent à leur tour sur le pauvre, c’est-à-dire sur le troisiéme ordre. Comme ceux qui composoient cet ordre-là n’étoient jamais appellés à l’imposition et au recouvrement des deniers publics, le second ordre ne craignoit point qu’ils se vengeassent quand leur tour d’imposer et de lever ces deniers, seroit venu. Une de ces tyranies, c’étoit de refuser, dans les païemens qui se faisoient en deniers, les espéces d’or les plus communes, ou sous un prétexte ou sous un autre, et de vouloir être payé en especes d’or, frapées au coin de quelque prince mort depuis long-tems, et desquelles il ne pouvoit pas rester un grand nombre dans le commerce, de maniere que le pauvre débiteur, faute de pouvoir recouvrer la quantité de ces monnoyes dont il avoit besoin, étoit réduit à composer. Il falloit qu’il payât en autres especes l’exacteur, qui ne manquoit point d’évaluer chaque espece d’or qu’il avoit demandée, à une somme plus forte que ce qu’elle valoit suivant le prix des matieres, et conformement à la proportion qui étoit alors entre l’or et l’argent. Voici ce qui est ordonné contre cet abus dans l’édit de Majorien.

» Nous défendons à tous ceux qui font le recouvrement des impositions, de rebuter aucun sol d’or de poids, sous prétexte que le titre en est trop bas, si ce n’est les sols d’or Gaulois, où il y a trop d’alliage » [Nous expliquerons dans la suite ce qni est entendu ici par sol d’or Gaulois.] » Et pour obvier à toutes concussions, nous faisons expresse inhibition de se servir dans les demandes qui se feront aux contribuables, de termes ou de noms autres que les termes ou noms ordinairement usités, & tous ceux qui dans leurs demandes se serviroient d’autres termes & noms, soit Officiers des Prefets du Prétoire, soit Officiers de notre Palais & de nos finances, soit Gens d’affaires, seront condamnés au suplice des esclaves. Quant au poids dont doivent être les especes d’or, & sur lequel les Exacteurs commettent tous les jours des malversations, lorsqu’en abusant des noms en usage autrefois ; » ils demandent aux contribuables, des Faustines, c’est-à-dire, des especes frapées avec l’effigie des Faustines ou d’autres Princesses & Princes morts depuis long-tems, & dont les contribuables n’ont jamais oüi parler ; nous ordonnons, pour supprimer tous abus à cet égard, que les Prefets du Prétoire envoyent dans chaque Province, & même dans chaque Cité, des poids étalonnés, & que tous ceux qui manient nos deniers, & toutes autres personnes, ayent, pour peser les especes d’or, à se servir dans les recettes & payemens, de poids conformes aux susdits étalons, & ce sous peine de la vie. »

Il y a eu trois imperatrices du nom de Faustine, dont la premiere étoit femme d’Antonin Pie, la seconde de Marc Aurele, et la troisiéme, fut une des femmes d’Elagabale. Probablement c’étoit des especes d’or frapées avec l’effigie des deux premieres, que les exacteurs dont parle l’édit de Majorien, demandoient aux contribuables. Nous en avons encore aujourd’hui, et même elles ne sont pas du nombre des médailles rares. Cependant comme il y avoit déja deux-cens ans que la plus jeune de nos deux Faustines étoit morte, lorsque Majorien fit son édit, il devoit n’y avoir dans le commerce qu’une petite quantité de ces especes. Quoiqu’elles fussent encore en assez grand nombre pour devenir un jour des médailles communes, cela n’empêchoit pas qu’elles ne fussent déja une monnoye difficile à recouvrer. D’ailleurs les especes d’or, frapées avec l’effigie de ces princesses pesoient beaucoup plus que les especes d’or frapées depuis Constantin Le Grand, qui étoient alors les especes les plus communes, et celles dans lesquelles on contractoit. Le procédé des exacteurs étoit donc doublement injuste, et l’on ne doit pas être surpris que Majorien condamne au dernier supplice ceux qui commettroient à l’avenir l’espece de concussion réprimée par son édit. Elle étoit aussi onereuse aux peuples, que l’auroit été en France avant l’année mil six cens quatre-vingt-neuf, tems où les écus d’or furent mis hors de tout cours, la vexation d’un receveur des tailles qui auroit voulu que les collecteurs ne l’eussent payé qu’en écus d’or frappés au coin de Loüis XII ou de François I. Quoiqu’il y eût encore alors quelques-unes de ces espéces dans le commerce, elles y étoient en si petit nombre qu’il auroit fallu presque toujours composer avec lui et convenir d’une évaluation payable en monnoye commune.

Je ne puis me refuser de faire à l’occasion de l’édit de Majorien, l’observation suivante, quoiqu’elle soit étrangere à l’histoire de l’établissement de la monarchie françoise. La raison la plus plausible qu’alléguent, pour soutenir leur opinion, ceux des sçavans qui ne croyent pas que les médailles romaines, que nous avons aujourd’hui, ayent été la monnoye courante dans les tems où elles ont été frappées, c’est de dire qu’il est sans apparence que les empereurs eussent souffert qu’on eût mis sur leur monnoye la tête seule de leurs meres, de leurs femmes et de leurs sœurs. Ainsi on conclut que des piéces d’or et d’argent qui ne portent point d’autre effigie que celle de ces princesses, n’ont été frappées que pour être de simples médailles, et par conséquent on veut aussi que les piéces d’or et d’argent où l’effigie des empereurs est empreinte, et qui sont de même titre et de même poids que les premieres, n’ayent été faites que pour être des pieces de plaisir. Véritablement les souverains sont si jaloux aujourd’hui de leurs monnoyes, qu’ils ne souffrent plus qu’on en frappe sans leur tête, ni même qu’on y mette d’autre tête avec la leur. Du moins cela n’arrive-t-il que dans les Etats où l’usage a introduit que durant les minorités on y mette sur la monnoye la tête de la régente avec celle du souverain. Mais il paroît en lisant l’édit de Majorien, que les Romains avoient pour les femmes une complaisance plus flatteuse, et que les Antonins avoient souffert qu’on mît la tête seule des Faustines leurs femmes sur des especes d’or ayant cours. Comme l’égalité de poids et de titre qui se trouve entre les médailles des Antonins, et celle des Faustines, se trouve aussi entre les médailles des autres empereurs, et les médailles des femmes ou des parentes de ces empereurs, on ne sçauroit s’empêcher de croire qu’ils n’ayent eu aussi pour ces princesses la même complaisance que les Antonins ont euë pour les Faustines.

Je reviens à nos impositions. Comme elles excédoient ordinairement la somme que le peuple étoit en état de fournir[5], et qu’il ne pouvoit presque jamais les payer à leur échéance, les particuliers demeuroient toujours débiteurs de leurs officiers municipaux, et ceux-ci demeuroient à leur tour, débiteurs des officiers qui tenoient les caisses de l’empereur. C’est ce qui donnoit lieu à des vexations continuelles. On vendoit les héritages des particuliers débiteurs du fisc, et les communautés étoient obligées à emprunter à gros interêt l’argent des usuriers, pour n’être pas livrées à l’avidité de ceux qui en certains cas faisoient un traité public avec le prince pour le recouvrement des restes ou arrerages de ses revenus, et un marché secret avec ses officiers, par lequel ils partageoient avec eux le profit de cette entreprise à forfait. Aussi les empereurs qui cherchoient à se rendre recommandables par des actions de bonté, remettoient-ils de tems en tems aux provinces ce qu’elles leur devoient encore de vieux. On donnoit le nom d’indulgence à cette liberalité, et on voit par les médailles d’Adrien, de Severe et d’autres empereurs, qu’ils se sçavoient gré de l’avoir exercée. Tous les prédecesseurs de Justinien, dit Procope, avoient été dans l’usage de remettre non pas une fois, mais plusieurs fois durant leur regne, aux débiteurs du fisc les sommes dont ils se trouvoient reliquataires, et qu’ils étoient hors d’état de payer, afin que ces citoïens ne vêcussent pas en des allarmes continuelles, et qu’ils ne demeurassent pas toujours exposés aux poursuites des questeurs. Mais cet empereur ne fit aucune de ces remises génerales durant trente-deux ans de regne, ce qui obligea plusieurs de ses sujets qui étoient dans l’impossibilité de s’acquitter, à se condamner eux-mêmes à un éxil volontaire. Cependant ces remises n’étoient pas sans inconvenient, et ce qu’on en peut dire de mieux, c’est qu’elles étoient quelquefois si nécessaires pour empêcher l’entiere désolation d’une province, qu’il convenoit de les faire nonobstant les conséquences. En effet, l’esperance de pouvoir gagner le tems où l’on publieroit une de ces indulgences, devoit porter les citoïens qui étoient le plus en état de payer leur contingent, à differer toujours de l’acquitter. Ainsi elles tournoient plûtôt au profit du riche, qu’au soulagement des pauvres, qui étant ordinairement dénués de crédit, sont les premiers que les receveurs des impositions contraignent à payer. L’empereur Julien qui avoit une profonde intelligence des maximes du gouvernement, croyoit ces sortes d’indulgences contraires à la saine politique, et il ne voulut point en accorder aucune durant son regne.

Je n’ai plus qu’une chose à dire concernant les impositions qui faisoient la seconde branche du revenu des empereurs, c’est que la quittance qu’on délivroit à ceux qui avoient acquitté toute leur cotte-part, s’appelloit sureté, en latin securitas.

  1. Cod. Theo. lib. xi. tit. 74. leg. 4.
  2. Capitolinus in Pertinace.
  3. Lib. 12. tit. 5. De cursu publico & angariis & parangariis.
  4. Cassiod. lib. 32. Var. ep. 2.
  5. Cassiod. lib. Variat. xi. epost. 7.