Hipparchia, histoire galante/00-02

A Lampsaque, l’An de ce monde (p. i-xvi).

PRÉFACE

TRES-INTERESSANTE.



L E Public ſi favorable à tous les Traducteurs, n’aura, peut-être, pas pour moi autant d’indulgence qu’il en a eu pour ceux qui m’ont précédé dans ce genre d’écrire ; le caractère d’Hipparchia, quoique naturel, révoltera bien des gens : On veut de la bienſéance aux dépens même de la vérité ; mais ſe fâche qui voudra, je traduits les faits tels qu’ils ſont dans l’original ; ils doivent paroître d’autant moins extraordinaires, que notre ſiécle nous a fourni des exemples, ſinon ſemblables, du moins équivalens.

La galanterie a regné de tout tems, & Hipparchia n’a rien qui la diſtingue de la plûpart des femmes de ce ſiécle, que l’action remarquable qui ſe paſſa ſous le Portique d’Athénes.

Une ſeule Anecdote de la C. de P. prouve ce que je viens d’avancer. Chacun a oüi parler de la C. de R. & de ſes intrigues : Le M. de B. n’eſt pas moins connu ; ce ſont ces deux Perſonnes que je prétends oppoſer à Crates & à Hipparchia, pour juſtifier ce que l’Hiſtoire nous a conſervé de ces deux Grecs.

Le M. de B., las des plaiſirs qu’il goûtoit avec la C. de R., voulut en eſſayer de nouveaux avec la D. de S. : celle-ci, quoique jeune & belle, aimoit ſon Mari ; il eſt vrai que le réciproque ne s’y trouvoit pas ; le D. de S., peu content de ce qui auroit fait le bonheur de tout autre, papillonnoit près de toutes les Belles. Sa jeune Epouſe le ſavoit, & commençoit à en témoigner quelque dépit, quand le M. de B. témoin de toute cette conduite, réſolut d’en profiter ; & pour réûſſir, il ne trouva pas de meilleur moyen que de mettre la C. de R. dans ſes interêts. On s’étonnera que, jeune comme elle étoit, elle accepta un pareil emploi ; mais ſon zéle pour le Dieu d’Amour ne lui laiſſa enviſager que la gloire qu’il y avoit à le ſervir.

Lettres, préſens, viſites furent inutilement tentées ; la D. de S., ſoit ſageſſe, ſoit caprice fut inflexible. La C. de R., piquée d’une réſiſtance ſi opiniâtre, eut recours à un dernier moyen, qu’elle crut infaillible ; elle lui propoſa un médianoche dans les Boſquets d’Hiſphaan, & ne nomma, pour être de la partie, que M. de B., qui pour lors étoit ſon Favori.

Le rendez-vous fut accepté ; la C. & ſon Favori l’y trouverent les premiers ; la D. y vint auſſi, comptant être ſeule avec eux ; mais B. qui avoit le mot, y vint preſqu’en même-tems : il parut que ce fut par hazard, & la compagnie étoit trop polie pour refuſer un pareil convive : chacun ſe plaça ſuivant les régles. B. près de la C., & le D. de B. à côté de la D. La C., qui ne vouloit pas que ſes peines fuſſent perduës, prêchoit d’exemple, tandis que B. faiſoit quelques tentatives, mais inutilement. Les exemples & les tentatives échoüerent : ce fut alors que le M. de B., outré de tant de refus, voulut agir à force ouverte : la D. ſe défendoit avec courage ; mais la C. accourant au ſecours, terraſſa ſon Amie, & lui tenoit les mains. En cet état, B. étoit prêt à vaincre, quand la D. de S. dégagea une de ſes mains, & l’oppoſa au trait qu’on alloit lui lancer : cet obſtacle lui ſauva une partie de la bleſſure, mais ne la garantit pas tout-à-fait. Pendant que les combattans étoient ainſi animés, le malheur voulut que le C. de V. vint à paſſer ; les cris de la D. l’attirerent près du Boſquet : mais, quelle fut ſa ſurpriſe ! quand au travers du treillage il entrevit des choſes qui l’obligerent à tourner la tête ; il en apperçut cependant aſſez pour informer la Cour de cette avanture. Le ſaint Homme prit feu, auſſi zélé pour le bon ordre, que le Juge le plus ſévére de l’Aréopage, il jura d’en tirer vengeance : mais la C. de R., auſſi intrépide qu’Hipparchia, eſſuya d’un viſage aſſûré les aigres remontrances du Vieillard, & entendit, ſans ſourciller, l’ordre qui lui fut donné, de ſe retirer à D.

Je crois que la ſuite des avantures de la C. de R., comparées à celles d’Hipparchia, feroit un parallele aſſez juſte. Exilées toutes deux pour une action d’éclat, elles ſoutinrent avec une fermeté héroïque les effets de la mauvaiſe humeur de ceux, qui, ne penſant pas comme elles, ſe crurent par leurs autorités en droit de condamner leurs actions. Pour moi, qui n’ai nul pouvoir, & dont le ſuffrage en pareil cas ne ſeroit pas d’un grand poids, je me contente de donner au Public l’Hiſtoire d’Hipparchia, telle qu’elle l’a écrit. Tout le fruit que je retire de ma peine, eſt de connoître de plus en plus la reſſemblance qui ſe trouve entre tous les ſiécles. La Scéne peut changer de lieu, les Acteurs ſe ſuccédent les uns aux autres ; mais le ſujet eſt toûjours le même, & tous les tems fourniſſent au Dieu de Cythère des Dévots qui les ſolemniſent.