Hic et Hec (1798)
Grove press inc., (p. 5-52).


TOME PREMIER

HIC ET HEC



Je dois le jour à une distraction d’un R. P. jésuite d’Avignon, qui, se promenant avec ma mère, blanchisseuse de la maison, quitta dans l’obscurité le sentier étroit qu’il parcourait d’ordinaire en faveur de la grande route qui lui était peu familière.

À peine avais-je six ans que sa tendresse paternelle me fit admettre par charité dans les basses classes ; j’y rendais tous les services qu’on pouvait attendre de mon âge, et grâce aux heureuses dispositions dont la nature m’avait doué, je profitai ; à douze ans, je pus balayer la troisième et faire les commissions du père Natophile, qui en était régent.

J’étais précoce en tout, ma taille était élancée et svelte, mon visage rond et vermeil, mes cheveux châtain-brun et mes yeux noirs, grands et perçants me faisaient paraître plus âgé que je n’étais : on me prenait pour un enfant de quatorze ans.

La bassesse de mon origine, la pauvreté de ma parure, m’avaient éloigné de toute intimité avec mes camarades de classe, et par conséquent de la corruption, et je donnais tout mon temps à l’étude. Le régent, satisfait de mes progrès, me prit en affection, me chargea du soin d’arranger sa chambre, de faire son lit et de lui porter tout ce dont il avait besoin ; et pour ma récompense, il me donnait des leçons particulières après la classe, et me faisait lire dans sa chambre des auteurs qu’on n’explique pas en public.

Un jour, j’avais plus de treize ans alors, il me tenait entre ses jambes pour me suivre des yeux dans l’explication de la satire de Pétrone ; son visage s’enflammait, ses yeux étincelaient, sa respiration était précipitée et syncopée ; je l’observais avec une inquiète curiosité qui, divisant mon attention, me fit faire une méprise.

— Comment, petit drôle ! me dit-il d’un ton qui me fit trembler, un sixième ne ferait pas une pareille faute ; vous allez avoir le fouet.

J’eus beau vouloir m’excuser et demander grâce, l’arrêt était prononcé ; il fallut bien me soumettre. Il s’arme d’une poignée de verges, me fait mettre culotte bas, je me jette sur son lit, et de peur que je ne me dérobe au châtiment, il passe son bras gauche autour de mes reins, de façon que sa main empoigne un bijou dont j’ignorais encore l’usage, quoique sa dureté momentanée, depuis plus d’un an, m’eut donné à penser.

— Allons, petit coquin, je vais vous apprendre à faire des solécismes.

Et il agite légèrement les verges sur mes jumelles, de manière à les chatouiller plutôt qu’à les blesser. La peur ou le doux frottement de sa main fit grossir ce qu’il tenait.

— Ah ! petit libertin, qu’est-ce que je sens là ? Ah ! vous en aurez d’importance.

Et il continuait la douce flagellation et ses attouchements, jusqu’à ce que, enivré de volupté, un jet de nectar brûlant couronnât ses efforts et comblât ma félicité. Alors, jetant les verges :

— Ferez-vous plus attention une autre fois ?

— Ah ! je ne le crois pas, mon père, il y a trop de plaisir à être corrigé de votre main.

— Tu me pardonnes ma colère ; eh bien, applique-toi, quand tu feras bien, je te récompenserai comme je t’ai puni.

Je lui baisai la main avec transport, il m’embrassa, et passant ses mains sur mes jumelles, il me couvrit de baisers.

— Puisque tu es content de la correction, mon cher enfant, poursuivit-il, tu devrais bien récompenser mes soins de même.

— Je n’oserais jamais !… fouetter mon régent !

— Ose, il t’en prie, et, s’il le faut, il te l’ordonne.

J’allai, en rougissant, prendre les verges, il découvrit son post-face ; à peine osais-je toucher, il s’enrouait à me crier :

— Fort, plus fort ; on doit punir plus rigoureusement les fautes des maîtres que celles des écoliers.

Enfin, je m’enhardis, et, empoignant son sceptre comme il avait fait du mien, je le fustigeai si vertement qu’il versa des larmes de plaisir.

Dès ce moment la confiance s’établit ; il prétexta un rhume qui le mettait dans la nécessité d’avoir quelqu’un auprès de lui, et il fit mettre mon lit dans un petit cabinet qui touchait au sien ; mais ce n’était que pour la forme, et, dès qu’il était couché, il m’appelait et j’allais dormir ou veiller dans ses bras. Il fut mon Socrate et je fus son Alcibiade. Tour à tour agent et patient, il mit sa gloire à perfectionner mon éducation.

Ma quatorzième année finie, je possédais le grec, le latin, un commencement de logique et de philosophie, je connaissais les premiers éléments de la théologie.

Mais pour approfondir cette science qui tant de fois aiguisa les poignards du fanatisme, il fallait passer dans d’autres mains, le père Natophile étant livré presque exclusivement à la belle littérature, et je fus obligé d’aller étudier sous le professeur Aconite.

Je gardai néanmoins mon lit chez Natophile, qui, sentant que pour faire mon chemin dans cette nouvelle carrière je serais obligé d’avoir les mêmes complaisances pour Aconite, le prévint en ma faveur, et dressa lui-même les articles du traité de partage ; il fallait le consentement du supérieur pour mon admission au cours de théologie. Natophile me présenta chez lui, ma figure lui plut, et il fallut bien lui payer son droit.

Pendant l’année qui suivit, je passai les jours à l’étude et les nuits à mériter les faveurs de mes professeurs. Mes progrès m’avaient fait un nom qui me promettait les plus brillants succès, quand arriva la catastrophe qui anéantit la société. Accablés par ces revers, Natophile et Aconite prirent le parti de se retirer en Italie, et le premier, pour ne pas me laisser sans ressources me recommanda à Mme Valbouillant, pour me charger de l’éducation de son fils, âgé de sept ans et dont le professeur venait de mourir ; ma réputation, le témoignage de mes professeurs, me firent accepter malgré mon excessive jeunesse.

Mme Valbouillant pouvait avoir vingt-quatre ans, les dents blanches, l’œil noir, le nez en l’air, les cheveux bruns et fournis, la peau superbe, la gorge et la croupe rebondies, et la main d’une beauté ravissante ; elle n’avait d’enfant que mon élève, et son mari, depuis six ans, était en Italie, à la suite d’une succession qui lui était échue. Natophile me conduisit chez elle, y fit porter mon attirail d’abbé et le petit trousseau que son amitié l’avait engagé à me faire.

Cette dame me reçut avec une bienveillance attrayante et promit à Natophile de me traiter de façon à établir entre elle et moi la confiance réciproque qui devait assurer le succès de mes soins auprès de mon élève. Quand mon introducteur fut sorti, la dame me regardant d’un œil fixe et animé, je baissai les yeux et je rougis ; j’avais bien la force de soutenir les regards lascifs de mes instituteurs, mais ceux d’une femme riche et d’un rang distingué, dont ma fortune allait dépendre, m’en imposaient à un point que je ne puis exprimer.

— Que vois-je, dit-elle, vous rougissez ? Le père Natophile m’aurait-il trompée ? Vous avez bien les traits d’une jeune fille, vous en montrez la timidité, n’en auriez-vous pas le sexe !

Je rougis encore plus fort.

— Ah ! continua-t-elle en riant, je placerais là un joli gouverneur auprès de mon fils ; je veux m’en assurer.

Et passant la main dans le jabot de ma chemise, elle eut l’air de chercher par mon sein si je n’étais pas une fille ; le sien, que je voyais presque en entier, me mettait dans un état à détruire tous ses doutes ; je perdis ma timidité, et, prenant son autre main, je l’appuyai sur la preuve palpable de sa méprise.

— Ah ! dit-elle, que je m’étais trompée ! Pourquoi avoir une aussi jolie mine ? Ma méprise est bien excusable, mais si jeune… quelle grosseur ! d’honneur, l’abbé, vous êtes un monstre !

— Bien facile à apprivoiser, dis-je en me jetant à ses pieds, et je donnerais ma vie pour le bonheur de vous plaire.

— Ah ! que je m’en veux de mon erreur, sans elle il ne serait pas à mes pieds ; levez-vous donc, quelle audace !

— Non, madame, je n’en puis sortir que je n’aie obtenu mon pardon, et je l’obtiendrai si vous considérez l’empire de vos charmes et l’effet qu’ils font sur moi.

— J’en conviens, il est presque incroyable !…

Et ses yeux se fixaient sur l’insolent dont l’orgueil augmentait à vue d’œil ; il y a peu d’avocats aussi éloquents aux yeux d’une femme : je vis le succès du plaidoyer muet, et reprenant sa main, je la pressai contre l’orateur.

— Ah ! fripon, s’écria-t-elle en passant son autre bras autour de mon cou, et serrant ma tête contre son sein.

Je sentis l’énergie de cet « Ah ! fripon ! » et, profitant de la circonstance et de l’heureuse attitude, je fis tant des genoux et des mains qu’en quatre secondes tous les obstacles furent écartés, et l’union la plus intime couronna mes efforts ; ses yeux humides et à demi fermés, son sein haletant, sa bouche, collée contre la mienne, forcée au silence par la volupté ; nos langues trop occupées pour peindre nos plaisirs ; nous restâmes plusieurs moments dans cette ivresse qu’on sent trop pour pouvoir l’exprimer. Sa dernière période combla mes vœux sans affaiblir nos désirs, et le front orné de myrtes, je ne me reposai point pour courir à une nouvelle victoire.

Mon athlète, charmée de sa défaite et de ma valeur obstinée, se livra avec transport à la nouvelle lutte, qui, moins rapide et plus vivement sentie, nous plongea dans une mer de délices. Remis de notre trouble, nous couvrîmes réciproquement de baisers enflammés tous les charmes dont nous avions joui, et nous convînmes de la réserve la plus sévère devant le monde et les domestiques, et de l’abandon le plus parfait dans les tête-à-tête. Chaque jour me découvrait de nouveaux charmes dans ma conquête, qui, s’attachant de plus en plus par la jouissance, m’aimait avec la tendresse d’une amante. L’appartement de mon élève communiquait au sien par sa garde-robe ; et le soir, quand tout le monde était endormi, je passais dans son alcôve chercher le délire dans ses bras, et je rentrais chez moi avant le point du jour. Nous jouissions sans trouble de cette félicité, quand Valbouillant revint de son voyage, après avoir terminé ses affaires.

Je lui fus présenté ; je lui parus bien jeune pour un instituteur. Connaissant le tempérament de son épouse, il se douta bien qu’elle ne me laissait pas donner exclusivement tous mes soins à mon élève ; mais il n’était pas jaloux, et le séjour qu’il avait fait à Florence l’ayant accoutumé aux plaisirs socratiques, et ma figure le séduisant, il crut faire servir la faiblesse de sa femme pour moi à s’assurer de mes complaisances. Il feignit le soir un mal de tête, s’excusa de coucher seul dans son appartement, lui disant en l’embrassant tendrement qu’il espérait s’en dédommager quand cette indisposition imprévue ne le contrarierait plus. Elle me fit alors un signe, que je compris à merveille. Quand je le crus retiré, je m’introduisis dans le lit de ma belle, et nous nous hâtâmes de profiter d’une occasion que nous craignions ne pas retrouver de sitôt.

À peine étions-nous à l’œuvre, que nous vîmes paraître Valbouillant en chemise, un poignard à la main, qui, jetant la couverture et me saisissant de la main gauche, me dit :

— On ne m’outrage point impunément ; mais je suis humain, choisissez entre ces poignards.

Et brandissant celui qu’il tenait, il me montrait celui dont Jupiter frappait Ganymède. L’amour de la vie ne rendit pas mon choix douteux ; je cédai à l’impérieuse circonstance, et Mme Valbouillant, trop heureuse d’en être quitte à si bon marché, me retint assujetti dans la position où je me trouvais ; son mari devint le mien, et dans le fort de ses transports, il prodiguait mille baisers à sa femme, bénissant une infidélité qui lui procurait de si douces jouissances.

— Tu me pardonnes donc, lui dit-elle en l’embrassant.

— Comment rester fâché contre de si chers coupables ? Ce sein, dit-il en le baisant (elle l’avait superbe), et ces jumelles, ajouta-t-il en frottant de la main l’autel où il venait de sacrifier, attendriraient un tigre ; de plus, je n’ai pas compté que tu pusses rester fidèle pendant une si longue absence. J’ai gagné dans mon voyage une bonne succession et des cornes. La première me fait plus de bien que les autres ne me feront de mal. Ne prêtons point à rire, soyons discrets et jouissons sans scrupule de tous les plaisirs que notre âge et notre fortune nous offrent ; évitons le scandale et moquons-nous du reste.

Mme Valbouillant, enchantée de la manière dont il avalait la pilule, le comblait de caresses.

— Ah ! mon ami, que de bonté ! Non, plus jamais tu n’auras de reproche à me faire ! Je renonce…

— Tais-toi, point de serment, je n’y crois point. J’exige ta confiance et non ta fidélité ; ce serait demander l’impossible. Tiens, regarde notre abbé, comme il est radieux ; j’ai retardé ses plaisirs et les tiens, mais je ne veux pas vous en priver ; allons, Hic et Hec, reprenez votre besogne.

— La plaisanterie est trop amère, mon ami, quand tu vois mon repentir.

— Je ne plaisante point, j’ai donné à l’abbé ce que je te destinais, il est juste qu’il t’en dédommage ; les plaisirs que tu prendras devant moi ne peuvent m’offenser, puisque c’est de mon aveu, et que mes yeux jouiront par ce tableau.

Et tenant sa femme dans l’attitude la plus commode, il me pressa de me jeter dans ses bras. La singularité de tout ce qui venait de se passer me fit hésiter : il insista ; je cédai, et j’avoue que j’en mourais d’envie. Alors, nous serrant tous deux dans ses bras, il nous couvrit de caresses ; sa femme, d’abord embarrassée, se rassura et lui serrant la main, se livra sans réserve à mes transports, et parvint au but désiré en même temps que moi.

— Eh bien ! mes amis, dit-il, ne suis-je pas un complaisant ?

Des caresses furent notre réponse.

— Regarde, dit-il à sa femme, l’effet du spectacle que vous venez de me donner.

Et il lui découvrit son sceptre dans l’état le plus respectable.

— Qu’il est menaçant, s’écria-t-elle ; allons, mon pauvre Hic et Hec, vous allez être poignardé.

— Non, madame, c’est sur vous cette fois que ma fureur va tomber ; si, par hasard, dans neuf mois vous me rendez père, je ne veux pas avoir de certitude que l’enfant n’est pas de moi.

En disant ces mots, il use de tous ses droits et s’empare de la place dont je venais de sortir.

Valbouillant était bien fait, il avait à peine trente ans, son corps frais et rebondi était d’une blancheur éblouissante ; la vue de son post-face me rendit ma vigueur, je me précipitai sur lui, je m’introduisis sans peine, et mes mouvements secondant ses efforts, le faisaient pénétrer plus avant dans la grotte de son épouse.

— Ah ! cher abbé, s’écria-t-il, quel plaisir ! Tu doubles ma jouissance.

Je continuai avec ardeur, et bientôt une triple émission couronna notre félicité. Alors, plus calme, il me baisa avec une tendre fureur, pour me payer des délices que je lui avais fait éprouver.

— Vous m’étonnez, dit sa femme, je pensais bien qu’en socratisant, l’agent goûtait un plaisir vif par la pression qu’il éprouve dans la voie étroite ; mais je ne puis concevoir que le patient en puisse ressentir ; au contraire, la grosseur de ce qu’il admet doit lui causer une sorte de douleur qui doit émousser toute volupté.

— Ah ! ma chère, que vous êtes dans l’erreur, le rôle de patient est au moins aussi doux à jouer que celui d’agent, le chatouillement intérieur est ravissant, et j’ai vu des femmes qui préféraient recevoir leur ami de ce côté-là.

— C’est singulier, et pourquoi ne me l’avoir point fait essayer ?

— Je n’osais te le proposer, et sans les événements d’aujourd’hui, je ne t’en aurais peut-être jamais parlé.

— Je serais bien tentée d’en faire l’épreuve, si je ne craignais pas que cela me fît beaucoup de mal.

— Nous l’avons bien supporté votre mari et moi presque dès l’enfance ; avec un peu de pommade les obstacles disparaissent.

— Vous m’encouragez ; cependant comment est-il possible que ceci (touchant le sceptre de son mari) puisse entrer dans un si petit réduit ?

— Mon cœur, il faut choisir, pour commencer le défrichement, la charrue dont le soc sera le plus aigu.

À l’examen, les proportions du mien parurent plus propres pour entamer l’ouvrage, et après quelques moments de repos, mes forces s’étant ranimées, Valbouillant resta dans le lit, nous nous levâmes sa femme et moi ; je lui fis courber le corps sur le lit, son mari la retint, unissant sa bouche à la sienne et l’animant par des baisers à la florentine. Cependant sa croupe se levant, me présentait un double chemin au bonheur ; je choisis celui convenu ; après avoir préparé la voie par un liniment suffisant, la grosseur du soc lui fit d’abord jeter un cri, je m’arrêtai et poussant avec ménagement quelques secondes après, j’ouvris le sillon assez pour y cacher la moitié du fer de la charrue ; je m’arrêtai encore :

— Souffrez-vous ? lui dis-je.

— Encore un peu, mais moins.

Alors, appuyant sur les manchons, je fis le défrichement aussi profond qu’il devait l’être, allant et venant, comme l’exige ce genre d’agriculture.

— Ah ! dieux ! s’écria-t-elle ; je ne sais où je suis, la tête me tourne, je brûle ; ah ! quelle volupté, je fonds ! Ah !… ah !… je succombe… je pars encore… Quartier ! mon cher ami … je ne puis plus…

Me sentant aussi tout hors de moi, je retirai mon soc du sillon où il était, je l’enfonçai profondément dans le voisin que je trouvai inondé d’un déluge de larmes de volupté ; les miennes s’y mêlèrent et nous nous rejetâmes sur le lit dans un abattement délicieux qui succède aux plaisirs satisfaits.

— Ah ! mes amis, s’écriait madame Valbouillant, se peut-il que j’aie vécu jusqu’à présent dans l’ignorance d’un bonheur aussi grand ; bon Dieu, quelle félicité, quelle douceur ineffable !

Valbouillant, qu’elle caressait en tenant ce discours, lui proposa de lui faire répéter l’expérience dont elle s’était si bien trouvée.

— De bon cœur, quand j’aurai pris quelques moments de repos ; mais laissez-moi respirer quelques instants, et me recueillir sur une jouissance aussi parfaite et aussi nouvelle pour moi.

Elle s’assoupit un moment la tête appuyée sur mon sein, je m’endormis aussi une main sur ses reins, et l’autre enveloppant un côté de son sein. Valbouillant suivit notre exemple, nous dormîmes près de deux heures ; un songe intéressant occupait notre belle, elle agitait ses reins et m’embrassait avec un transport qui m’éveilla tout à coup. Valbouillant ouvrit aussi les yeux.

— C’est, dit-il, à mon tour de lui faire la seconde expérience socratique.

— D’accord, répondis-je, mais si vous m’en croyez, nous pouvons doubler pour elle la volupté.

— Comment ?

— Je vais me coucher sur le dos et l’établir sur moi tout physiquement, et vous vous installerez ensuite dans la voie étroite.

Tous deux applaudirent à mon idée, et nous nous mîmes sans délai à la réaliser. Je mis un coussin sous mes reins pour les élever davantage, mon héroïne se mit à cheval sur moi, enfonçant mon poignard dans sa blessure et collant sa poitrine sur la mienne, de façon qu’elle offrait dans la position la plus avantageuse le revers à son second athlète. Il ne tarda pas à battre la muraille avec son bélier, qui bientôt s’y fit jour. Enivrée de plaisir, elle me mordait, me pinçait, me baisait, m’inondait et par-dessus m’étouffait : quelque volupté que j’éprouvasse, je commençais à me repentir de mon invention, quand par bonheur Valbouillant, dont le frottement de nos chevilles ouvrières sur la mince membrane qui nous séparait accélérait le triomphe, arrosa l’intérieur de l’arrière-temple, et me débarrassa de son poids ; alors je redoublai mes mouvements, et, dardant le nectar dans le plus profond de l’antre de la volupté, l’âme de ma belle et la mienne se confondirent quelques moments. Elle avoua que de sa vie elle n’avait conçu l’idée d’un plaisir aussi ravissant ; elle nous pressait sur son sein son mari et moi, et gémissait de ce que la nature humaine accordait si peu de force pour savourer et prolonger la volupté. Ce dernier combat ayant épuisé nos ressources, nous nous retirâmes pour la laisser chercher, dans les bras du sommeil, le repos que nous allâmes prendre, chacun de notre côté, dans nos lits.

Le lendemain, je fus réveillé à onze heures par la jeune Babet, filleule de Mme Valbouillant, qui vint me dire qu’elle m’attendait pour déjeuner avec du chocolat, et que je vinsse dans l’état où je serais.

Comme j’aurai occasion de parler de Babet, et, pendant qu’elle est dans ma chambre, j’en vais crayonner le portrait. Elle avait à peine quatorze ans ; sa taille, haute et légère, aurait pu servir de modèle à l’Albane pour peindre la plus jeune des Grâces ; un sein petit et dur commençait à s’arrondir autour de deux boutons vermeils et frais comme la rose, et qui paraissaient à l’œil comme deux fraises appétissantes que le soleil n’a fait encore que rougir légèrement ; son front brillait du coloris de l’innocence ; dans ses yeux on commençait à entrevoir le plaisir d’aimer encore méconnu, et la gaîté naïve, entr’ouvrant sa bouche de corail, allait creuser dans ses joues deux fossettes charmantes.

Je l’avais peu remarquée jusqu’alors ; malgré les fatigues de la nuit, le démon du matin ne me laissa pas maître de voir sans émotion tant de charmes. Je me fis répéter trois fois le sujet de sa commission, quoique je l’eusse entendu dès la première.

— Est-ce vous, charmante Babet, lui dis-je, en jetant ma couverture pour me lever et me rendre aux ordres de sa maîtresse, est-ce vous qui préparez cet excellent chocolat ?

— Oui, monsieur, c’est moi.

— Que je voudrais bien être à sa place, comme je mousserais bien sous vos mains.

— Un abbé, mousser, cela serait plaisant.

— Et très naturel.

— Vous moquez-vous ? comment cela se peut-il ?

— Tu vas le voir, lui dis-je en l’attirant sur mon lit ; suppose que ceci est le manche du moussoir.

— Ah ! comme c’est fait ; mais non, je veux m’en aller, et feignant de vouloir sortir et de détourner la tête, je l’aperçus cependant qui glissait un regard de côté pour mieux détailler cet objet nouveau pour elle.

— On ne me quitte pas ainsi, repris-je en la retenant avec un tel effort qu’elle perdit l’équilibre et tomba de côté sur mon lit, de telle sorte que voulant se retenir, ce fut directement au manche du moussoir qu’elle s’accrocha.

Me trouvant bien du hasard de la chute, je la maintins dans cette attitude.

— Ah ! mon Dieu, que cela est dur ! dit-elle, en s’accoutumant à le considérer, et le touchant avec complaisance ; à quoi cela peut-il servir ?

— À faire ton bonheur et le mien.

— Cela serait drôle, et comment cela ?

— En le plaçant dans l’ouverture de la chocolatière.

— Elle est chez madame, au coin du feu, je vais vous la chercher.

— Ne te donnes pas tant de peines, tu portes toujours avec toi celle qu’il me faut.

Je lui fis sentir par l’attouchement d’un doigt caressant quel était le meuble qu’il me fallait.

— Comme vous me chatouillez !…

— Comment ? Quoi donc ?… Ils sont faits l’un pour l’autre, et c’est de leur union que naîtra pour nous le plus grand des plaisirs.

— Ah ! comme votre doigt seulement m’en donne, ah ! que cela est drôle ! Et vous dites que ce que je tiens là m’en donnerait davantage.

— Je t’en réponds, cela ne se ressemble pas.

— Que je le baise donc ?

Et la pauvre ingénue se mit à me le couvrir de baisers pendant que mon doigt, continuant son office obligeant, la conduisit à la dernière période de la volupté.

— Ah !… ah !… quelle ivresse, s’écriait-elle, en roulant les yeux et agitant les reins. Je n’en puis plus… Je meurs, ah !… ah !… je suis toute mouillée.

Je contemplais avec délices les effets du plaisir sur sa mine innocente et candide ; j’allais essayer de lui donner des plaisirs plus solides, quand du bruit que j’entendis dans le corridor me fit lâcher prise et remettre à un autre temps la leçon de cette charmante écolière.

— À ce soir, lui dis-je, quand tout le monde sera couché, j’irai achever de t’instruire. Tu le veux bien ?

— Si je le veux ? Je vous en prie.

— Ne dis rien à personne de ce que nous avons fait, et laisse ta porte entr’ouverte.

— Je n’y manquerai pas.

À peine était-elle sortie que Valbouillant entra.

— Comment, pas encore debout, paresseux !… Voilà ce que c’est que de vous envoyer de si jeunes émissaires, monsieur songe moins au message qu’à la messagère.

— Je dormais profondément, Babet a eu de la peine à m’éveiller.

— Elle vous tenait pourtant par l’endroit sensible.

— Que dites-vous ?

— Mais vous n’étiez pas ingrat.

— Quoi ! vous pourriez penser ?

— J’ai vu, fripon, mais je me suis retiré pour ne pas être un trouble-fête, et j’ai fait ensuite assez de bruit en revenant pour que vous ne fussiez pas surpris de ma venue.

La petite Babet est charmante, j’en raffole depuis mon retour, et je ne vous laisserai pousser tranquillement votre pointe qu’à condition que quand vous l’aurez initiée, elle sera associée à nos plaisirs.

— Soit, repris-je, laissez-moi huit jours pour la disposer et je vous la donne après pour l’effet de la société la plus aimable.

— Huit jours, ah ! monsieur l’abbé, du train dont vous y allez, le terme est trop long, la nuit prochaine passée, celle d’après, il vous plaira que tout soit commun entre nous.

Il fallut bien y consentir. Pendant ce colloque, j’avais passé des bas, un caleçon et une robe de chambre, et il m’emmena chez sa femme, où nous trouvâmes le chocolat tout préparé, qui nous fut versé par les mains de Babet, qui, sans savoir pourquoi, rougissait en emplissant ma tasse.

Valbouillant lui donna quelque ordre qui la fit sortir pour un quart d’heure, et profitant de son absence, il conta à sa femme ce qu’il avait surpris de mes arrangements avec sa filleule.

— Comment, libertin, dit-elle, déjà une infidélité !… Mais je ne serai pas si douce que mon mari, ou je dérange vos projets, ou je repaîtrai mes yeux de vos succès.

— Comment voulez-vous qu’une première fois cette jeune personne consente ?

— Laissez-moi faire, dit-elle, elle est parfaitement innocente, a pleine confiance en moi, et si les exploits de cette nuit n’ont pas mis l’abbé hors de combat…

— Hors de combat, repris-je en lui faisant voir que j’étais dans toute ma gloire.

— Ah ! ma foi, l’abbé est un héros. Eh bien, j’entends que le pucelage de Babet n’ait pas plus d’une heure à vivre et que nous assistions à ses obsèques ; j’en fais mon affaire.

— Comment prétendez-vous ?…

— Ne vous embarrassez pas, laissez-moi conduire la chose et je réponds de la réussite.

Quelques moments après, Babet rentra.

— Qu’on dise là-bas que nous sommes sortis et qu’on ne laisse monter personne, dit la marquise d’un ton sérieux mais sans dureté ; revenez aussitôt, Babet, j’ai des choses importantes à vous apprendre.

La filleule obéit et rentra.

— Asseyez-vous, Babet, continua Mme Valbouillant.

L’innocente balançait.

— Obéissez.

Elle céda.

— Je suis votre marraine, et trop instruite dans ma religion pour ignorer qu’en vous tenant sur les fonts, j’ai pris l’engagement de vous éclairer, de vous protéger et de pourvoir tant que je pourrai à vos besoins.

— Vous l’avez toujours fait, madame, et ma reconnaissance…

— Je veux continuer, l’âge en amène de nouveaux. Depuis un temps, j’ai cru remarquer que votre sein s’arrondit.

— Madame, ce n’est pas ma faute.

— Je ne vous en fais pas un reproche, mais il faut que je voie en quel état il est.

La pauvrette rougit.

— L’abbé, continua Mme Valbouillant, délacez son corset : comme vous serez son directeur, il est bon que vous jugiez par vous-même des secours dont elle peut avoir besoin.

Je me mis en devoir d’obéir ; la petite, embarrassée, interdite, ne savait s’il fallait résister ou céder.

— Vous n’êtes plus une enfant, poursuivit la marraine, je vais à présent vous parler comme à une grande fille, et vous devez vous conduire de même ; vous n’imaginez pas, je crois, que je veuille faire, ni vous faire faire quelque chose qui ne soit pas convenable. D’ailleurs la présence de mon mari devrait vous rassurer ; mais pour détruire votre timidité, je veux bien vous montrer l’exemple.

En disant cela, elle détacha son fichu elle-même et découvrit cette gorge que nous avions tant fêtée la nuit. Babet fit moins de résistance et me laissa tirer de son corset deux petits globes naissants, blancs et fermes comme l’albâtre ; je fus ébloui de leur éclat.

— Bon, dit la dame en les touchant légèrement, ceci annonce quelque chose, voyez si le reste le confirme ; vous étiez chauve, il y a quelques années, au-dessous de votre buste, l’êtes-vous encore ?

— Madame…

— Eh bien ?

— C’est que je n’ose.

— Dites, dites, ne craignez rien…

— Depuis six mois…

— Après ?

— Il m’est venu…

— Voyons ?

— Il est peut-être malhonnête.

— Bon, ce qui est naturel peut-il l’être, regardez-y, l’abbé.

Babet, au mouvement que je fis, parut bien plus confuse et résista machinalement.

— Quelle enfant, continua la maîtresse, faut-il encore que je vous donne l’exemple ? J’y consens.

Et elle leva ses jupes et nous fit voir la toison la plus brune, la mieux frisée qu’on pût voir. Alors, imitateur fidèle, j’exposai à la vue le duvet naissant qui ombrageait le portique du plus joli temple que l’amour eût jamais formé ; Mme Valbouillant y porta le doigt, et son chatouillement y eut bientôt causé les douces oscillations qui conduisent à la volupté.

— Le moment du besoin est arrivé, et pour y pourvoir, c’est, ma chère enfant, de l’abbé que j’ai fait choix. Allons, Hic et Hec, conduisez-la sur ma chaise longue et donnez-lui tous les secours qui dépendront de vous.

Valbouillant et moi brûlions de désirs à la vue de tant de charmes ; la petite n’était pas plus calme, mais la présence de sa marraine et de Valbouillant la couvrait de confusion. Mme Valbouillant, pour tirer parti de la circonstance, prenant son mari par ce qui se révoltait en lui :

— Montrons à cette enfant, dit-elle, comment il faut qu’elle fasse.

Et, par cet exemple, elle détermina bientôt l’innocente, que je plaçai dans l’attitude convenable au sacrifice.

— Ah ! mon cher abbé, me dit-elle en se plaçant comme je voulais sur la chaise longue, qui m’eût dit ce matin que, sans risquer d’être grondée, je pourrais vous abandonner ce que vous chatouillez si joliment et toucher ce qui, dites-vous, doit me donner tant de plaisirs ! Ce que c’est que d’avoir une bonne marraine !

Pendant qu’elle disait tout cela, je m’établissais, et la pointe de mon dard s’efforçait de pénétrer dans le réduit jusqu’alors insensible, dont la pudeur défend l’accès à la volupté. Le spectacle de Mme Valbouillant qui, dans ce moment, se pâmait sous les efforts de son mari, irritant ses désirs, l’empêchait de s’opposer aux miens, quelques douleurs que lui causassent mes efforts. Je profitai de ce moment d’ivresse, et passant mes mains autour de ses reins, j’appuyai si vertement que, franchissant tous les obstacles, j’établis la tête de ma colonne dans le retranchement de l’ennemi, qui céda à mon effort.

— Ah ! je suis morte, dit-elle, cruel ! Sont-ce là les plaisirs que vous me promettiez ?

Je ne lâchai pas prise.

— Le plus fort en est fait, répondis-je, encore un peu de patience, ma chère Babet, et tu verras que je ne t’ai point trompée.

Elle pleurait, gémissait, et moi je gagnais toujours du terrain ; cependant Valbouillant et sa femme ayant fini leur besogne vinrent à notre secours ; l’officieuse marraine, glissant sa main dans le champ de bataille, chatouilla cette voluptueuse excroissance qui, par sa dureté, annonce l’arrivée de la volupté, et les lèvres de Valbouillant, serrant amoureusement une des fraises de son sein, portèrent son ivresse au comble ; elle oublia sa douleur que le frottement affaiblissait.

— Ah ! dieux ! s’écria-t-elle, qu’est-ce que je sens ?… qu’est-ce que j’éprouve ?… ah !… ah ! je me meurs… serre-moi… j’expire… ah !…

À ce mot elle ferma les yeux, se raidit, et, par la plus copieuse éjaculation, me prouva le plaisir qu’elle prenait, je ne fus pas longtemps à m’acquitter, et l’abondante injection que je fis en elle du baume de la vie compléta sa félicité.

— Ah ! cher abbé, divin abbé, quel délice, quel nectar !…

Et elle perdit de nouveau la voix en même temps que je perdais mes forces. Je me retirai couronné de myrtes ensanglantés.

— Eh bien, dit la marraine, comment t’en trouves-tu, Babet ?…

— Il m’a fait bien du mal ; mais bien du plaisir.

— Va, le mal est passé et le plaisir se renouvelle souvent ; la friponne ! avec quelle abondance elle a versé les larmes de la volupté !

Et, sous prétexte de réparer le désordre de sa toilette, elle la déshabilla totalement et nous fit voir un corps dont Hébé aurait été jalouse. Aux caresses que Mme Valbouillant prodiguait à chacun des charmes de sa filleule, à mesure qu’elle les découvrait, je reconnus aisément que, quelque goût qu’elle eût pour le solide, elle pouvait, voluptueuse émule de Sapho, savourer avec une jolie nymphe les agréables dédommagements dont la Lesbienne usait en l’absence de Phaon. Je vis son front s’animer, sa gorge se gonfler et ses yeux pétiller à mesure que ses mains parcouraient les charmants contours de ce corps pétri par les Grâces.

— Qu’elle est jolie, quelle taille divine, quelle fraîcheur ! s’écria-t-elle en la serrant contre son sein ; je brûle… Ah ! ma mignonne, prête-moi ta main.

Et l’entraînant sur la duchesse, elle ranima en elle tous les désirs pendant que Babet, d’une main peu exercée, fourrageait le bosquet de Vénus.

— Suspendez ces transports, leur dis-je, vos vêtements sont un obstacle aux plaisirs que vous cherchez et à ceux de nos yeux ; dépouillez ces cruelles draperies qui contrarient vos attouchements et nos regards.

Elle y consentit, et, avec mon aide, elle parut en deux secondes comme Diane sortant du bain ; et, se précipitant de nouveau sur sa jeune proie, elle passa une jambe entre les siennes, de façon que les temples des deux athlètes frottaient voluptueusement sur la cuisse de leur adversaire, leurs bras étaient entrelacés, leurs seins se touchaient, leurs bouches collées l’une sur l’autre s’entr’ouvraient pour laisser passage à l’organe de la parole qui devenait celui de la volupté, leurs reins s’agitaient, leurs cheveux flottaient çà et là sur leurs corps dont le mouvement animait le coloris ; des soupirs enflammés se faisaient entendre ; on eût dit Vénus se consolant dans les bras d’Euphrosyne de l’absence de Mars. Tout à coup elles s’arrêtèrent, et cinq ou six mouvements convulsifs et précipités nous annoncèrent qu’elles touchaient au but, et bientôt nous vîmes les perles du plaisir couler sur le champ de bataille.

— Ah ! ma chère marraine, ah ! mon cher abbé, quel bonheur de ne plus être enfant.

Après cette exclamation et quelques caresses que la fatigue rendait plus modérées, nos belles allaient reprendre leurs habits, quand Valbouillant, que cette scène avait rendu plus brillant que jamais :

— Quoi ! dit-il, serais-je le seul qui n’aurait procuré aucun plaisir à cette charmante enfant ; non pas, s’il vous plaît, et, la serrant dans ses bras, il la renversa de nouveau sur le théâtre qu’elle allait quitter.

— Je ne puis le blâmer, reprit sa femme, jamais objet ne fut plus séduisant, mais nous, resterons-nous spectateurs oisifs ?

— Non, ma reine, non, permettez d’abord que ma bouche recueille le nectar que vous venez de répandre, pour faire place à celui que je veux y verser.

Elle y consentit, et ma langue amoureuse, furetant les recoins du parvis du temple, et savourant cette liqueur divine, ralluma ses désirs et les miens ; alors, l’entraînant sur moi à l’instant qu’elle introduisait le véritable dans la route ordinaire, j’insinuai mon doigt suffisamment mouillé dans le réduit voisin, et doublant ainsi ses sensations, nous arrivâmes ensemble au but désiré, à l’instant que Valbouillant perdait ses forces à côté de nous sur le sein de la jeune Babet. Nos soupirs se confondirent, nous restâmes quelques moments immobiles et considérant d’un œil calme et satisfait la beauté des corps qui nous touchaient ; la dame rompit le silence qui succéda à la jouissance par ces mots :

— Ah ! Valbouillant, qu’est-ce que le mariage auprès des délices que nous goûtons.

— Ah ! ma chère, reprit-il en embrassant Babet, elle, moi successivement, je ne puis trop remercier l’abbé de m’avoir fait cocu.

Nous aidâmes nos belles à se rhabiller ; la toilette fut plus gaie que décente, et nous nous séparâmes après avoir bien recommandé le secret le plus profond à Babet sur tout ce qui venait de se passer. La pauvre petite avait pris tant de plaisir que sans cette recommandation et la menace de n’en plus goûter de pareil, elle aurait indubitablement été en faire le récit à ses jeunes compagnes, mais la crainte de la privation contint sa langue. Quand j’eus donné ma leçon à mon élève, je le ramenai dîner avec ses parents ; il y avait plusieurs étrangers qui parurent surpris, à ma jeunesse, qu’on m’eût choisi pour instituteur.

— Il a reçu une parfaite éducation, dit Valbouillant, il est extrêmement instruit et nous nous trouvons très bien, madame et moi, de la confiance que nous avons mise en lui : sa jeunesse ne nous fait point de peine.

Cette réponse fit cesser les observations ; j’eus occasion de déployer un peu d’érudition et de développer des connaissances en littérature et, avant la fin du repas, les convives, charmés de mon goût, de la modestie et du ton de vertu qui régnait dans tous mes propos, devinrent mes partisans aussi zélés qu’ils avaient d’abord été prévenus contre moi.

Quand tout le monde se fut retiré, nous fîmes un tour de promenade ; nous soupâmes, et, notre élève étant couché, nous entrâmes chez Mme Valbouillant avec la jeune Babet, qui, depuis la scène du matin, devait se trouver dorénavant de tous nos plaisirs. Les travaux de la nuit et de la matinée précédente nous avaient rendus un peu plus modérés sur l’article des désirs. Valbouillant me demanda comment, si jeune, je pouvais avoir si bien approfondi les diverses ressources de la volupté. Je lui répondis par le récit de ce qui s’était passé entre le père Natophile et moi.

— Comment, s’écrièrent à la fois mes trois auditeurs, des coups de verges ont allumé vos premiers désirs ?

— Oui, certes, et à tel point que je ne pouvais plus résister à leur vivacité.

— C’est un phénomène.

— Phénomène qui ne manque jamais d’arriver, et dans l’état où nous sommes tous à présent, il ne manquerait sûrement pas son effet.

— Vous plaisantez, l’abbé ?

— Non, madame. Vous voyez mon humiliation.

— Fi donc, Hic et Hec, cachez cette misère.

— Eh bien, madame, le secours d’un balai de bouleau, en moins de deux minutes, lui rendrait toute sa gloire.

— Croyez-vous que cela fasse le même effet sur mon mari ?

— J’en suis certain.

— Si nous en faisions l’épreuve ?

— Volontiers, dîmes-nous ensemble Valbouillant et moi.

Et Babet en alla chercher un qu’on avait apporté tout frais dans la soirée ; je le partageai en plusieurs poignées ; j’armai de la plus menaçante la main de Mme Valbouillant, et découvrant mon post-face :

— Je me livre à vos coups, lui dis-je ; commencez à demi-force et frappez aussi fort que vous voudrez, et vous verrez.

Elle se mit à la besogne, mais la crainte de me blesser amortissait ses coups, au point qu’à peine en sentais-je l’atteinte.

— Plus fort, m’écriai-je, mais elle n’osait.

L’espiègle Babet lui ôtant le sceptre des mains :

— Laissez-moi faire, dit-elle, il me dira bientôt assez.

Et d’un bras vigoureux, m’appliquant plusieurs coups précipités, les esprits se portèrent dans les pays-bas, et je parus bientôt dans l’état le plus superbe. Madame Valbouillant sauta sur ma gloire, la pressa entre ses lèvres caressantes, et d’une langue amoureuse, en chatouillant le contour, me causa un plaisir si vif, que m’éloignant de la correctrice qui s’attacha alors à Valbouillant, je conduisis la dame sur la chaise longue, et, mettant mes pieds sous sa tête et ma bouche sur son temple, je pompai avec ma langue le nectar du plaisir, pendant que sa bouche me sollicitait à la volupté. Nous savourâmes quelques minutes les délices de cette attitude, qui nous procura bientôt une émission réciproque du baume précieux, sans lequel la Providence trahie cesserait de voir les espèces se reproduire ; nous le bûmes l’un et l’autre avec une ivresse qu’on ne peut exprimer. Revenus de notre trouble, nous vîmes Valbouillant, sur qui la fustigation avait fait l’effet désiré, soutenant sur ses mains les jumelles de la jeune Babet, qui, les bras autour de son cou, les jambes croisées sur ses reins, perforée par sa vigoureuse allumelle, touchait au moment du bonheur dont nous sortions. Valbouillant sentant le moment où il allait perdre ses forces, la porta dans la même attitude sur le pied du lit, l’y renversa, et presque aussitôt nous jugeâmes par leurs soupirs de la fin de leur sacrifice. Je m’approchai de Babet et lui demandai comment elle se trouvait des lumières que nous lui avions procurées.

— Je végétais, j’existe, me répondit-elle. Adieu tous autres soins, tous autres plaisirs ; je voudrais pouvoir doubler chaque jour la durée du temps et employer chaque minute aux leçons que j’ai reçues.

— Parle-nous franc, lui dit sa marraine, n’avais-tu jamais rien soupçonné qui en approchât ?

— J’avais, depuis un an, senti quelques démangeaisons là ; je le dis à ma tante, pour savoir si me gratter, comme j’avais fait, ne me ferait pas de mal.

— C’est, me répondit-elle, à ton âme que cela en ferait ; si tu continues, tu te damnes sans ressource.

Et comme nous approchions de Noël, elle en avertit le père Catonet, qui me confessait. Quand j’allai lui dire ma râtelée, il m’ordonna d’attendre, qu’il me confesserait la dernière, et que ce serait dans une petite chapelle, derrière la sacristie, dont il avait la clef. En effet, il m’y conduisit, quand il fut quitte de ses autres pénitentes. Je commençai par les misères, comme cela se pratique ; puis, comme il voyait que j’hésitais, il me questionna sur le sixième commandement. C’est à cet examen que je dois le peu de lumières que j’avais au moment où vous m’avez instruite. Quand je lui eus avoué l’article des démangeaisons et du grattement :

— À quel endroit est-ce précisément ? demanda-t-il avec des yeux qui semblaient vouloir me dévorer.

— Hélas ! lui répondis-je, c’est là, un peu plus bas que mon buste.

— C’est sûrement, dit-il, un tour de l’esprit malin ; mais je vais lui en jouer un autre. J’ai de l’eau lustrale dans ce bénitier ; il y mouilla son doigt, et, me faisant asseoir sur son genou, sous prétexte de me purifier, il me chatouilla pendant que, par son ordre, je récitais mon chapelet. Je n’étais pas au milieu de la seconde dizaine que la voix me manqua ; je pris le plaisir que je ressentis pour une bénédiction attachée à l’eau bénite : il me dit de me mettre à genoux et d’achever ma confession. J’aperçus sous sa robe quelque chose qui poussait, et auquel il donnait avec sa main de fréquentes secousses ; et l’instant d’après, retirant cette main pour me donner l’absolution, je la vis couverte d’une écume blanche et visqueuse dont une goutte tomba sur ma main. Je n’osai lui demander ce que c’était. Il me défendit de jamais mettre ma main là, m’ordonna de me donner tous les jours, pendant la neuvaine, la discipline avec un meuble de ce nom, en corde nouée, qu’il me remit, de réciter pendant que je me fesserais cinq Pater et cinq Ave, et de revenir à confesse au bout de ce temps, qu’il commencerait l’exorcisme. Vous savez à quel point va le zèle de la religion quand on est jeune ; je doublai la pénitence qu’il m’avait imposée et je me fouettai aussi fort que je pouvais le supporter ; la douleur, à mesure que je m’y accoutumais, se changeait en plaisir, et je sentais mes feux souterrains augmenter à chaque coup de discipline, mais je n’osais plus y porter le doigt. La neuvaine finie, je retournai chez mon cafard qui, après ma confession entendue, toujours dans la chapelle solitaire, me dit :

— Le démon est plus tenace que je n’aurais cru ; ce n’est pas assez du doigt pour le chasser, je vois qu’il faut le goupillon ; et, me faisant mettre à genoux en baisant la terre, et m’ordonnant de réciter le psaume Miserere, sans changer de position, il voulut y introduire son énorme goupillon ; mais la douleur fut si vive, que, poussant un cri aigu, je me jetai de côté, et mon cafard, ayant perdu son point d’appui, alla mesurer le pavé avec son nez. Entendant du bruit dans la sacristie, il se releva, me disant que puisque je ne pouvais souffrir un petit mal pour l’amour de Dieu, il perdait l’espérance de me soustraire au démon, que je revinsse cependant dans l’octave et qu’il me confesserait dans sa cellule.

Ma tante, surprise de mes fréquentes confessions, me questionna ; je lui confessai naïvement tout ce qui s’était passé ; elle me défendit de retourner chez mon carme, et mon ignorance durerait encore sans les soins que vous avez pris de mon instruction.

Le récit de Babet nous fournit des réflexions sur la papelardise des moines et des directeurs.

— Comment se peut-il, dit sa marraine, que la discipline ne te blessât point ; il me semble que cela doit faire un mal affreux.

— Oui, madame, les premiers coups, mais en les donnant doucement d’abord, rien ne cause un feu plus vif, et les derniers, quelque forts qu’ils puissent être, causent un plaisir si grand qu’il m’est arrivé quelquefois de répandre en me flagellant des larmes aussi abondantes par là, que madame vient de m’en faire verser.

— As-tu la discipline ?

— Elle est dans ma chambre, vous allez la voir tout de suite.

Elle sortit, et pendant son absence nous ne tarîmes pas sur son éloge ; jamais personne n’avait montré de plus heureuses dispositions pour tout genre de volupté. Elle rentra tenant en main le dévot instrument.

— Comment fait-on ? dit la marraine.

La petite, à ces mots, se déshabille entièrement et se met à se discipliner d’importance ; ses fesses rougies excitèrent la pitié de la dame qui la priait de cesser, quand Babet lui dit :

— Touchez, madame, où vous savez ; vous verrez si je souffre.

Elle le fit, et à l’instant une copieuse libation se répandit sur sa main.

— Ah ! dit-elle, quel déluge, si jeune !… Je veux essayer de ta recette.

Elle se dépouilla aussitôt, et prenant la discipline, les premiers coups, quoique légers, lui faisaient faire la grimace.

— Laissez-moi faire, dit Babet ; quand, avec les verges, j’aurai doucement échauffé ce beau derrière, vous verrez que tout de suite vous ne souffrirez plus.

Elle y consentit, et bientôt elle disait elle-même à sa filleule de frapper plus fort, et un instant après :

— Je n’en puis plus, s’écria-t-elle, je brûle ; ah ! quel délire… frappe toujours, frappe…

Ce spectacle nous avait rendu notre vigueur à Valbouillant et à moi ; il y avait dans la chambre deux lits jumeaux, séparés par un espace d’environ trois pieds. Madame Valbouillant, le ventre et la poitrine couchés sur un des lits, présentait la croupe à la fustigation de Babet ; le mari, prenant la place de la correctrice sans faire changer de position à la pénitente, enfonce son aiguillon le plus avant qu’il peut dans le sentier physique, et j’en fis autant à la jeune enfant, l’ayant placée sur l’autre lit dans la même position, de sorte que nos postérieurs, à chaque secousse, se rencontraient, et par ce choc étant repoussés plus vigoureusement, allaient porter la volupté plus profondément dans les sanctuaires de nos belles. Mme Valbouillant, dont la fustigation avait rassemblé tous les esprits dans la partie sensible, arriva trois fois au but pendant que son athlète fournissait une seule carrière ; pour moi, je perdis mes forces en même temps que la chère Babet, dont avec un doigt curieux je sondais cependant la voie étroite. Elle me parut avoir le degré de sensibilité désirable pour les plaisirs que j’en attendais dans un autre moment. La pauvre petite, surprise à cette double intromission, s’écriait :

— Bon Dieu ! qu’est-ce donc que cela ? que cela est drôle ! Aye, aye, cela ne me répond pas du tout ; je n’y puis plus tenir, je me meurs…

Ce fut son dernier cri en finissant le sacrifice. Nous nous étions si bien trouvés de cette réjouissance en quadrille, que nous résolûmes bien d’en faire usage. Mme Valbouillant ne cessait de faire l’éloge des verges et jurait n’avoir jamais trouvé son mari si voluptueux. Pour Babet et pour moi, qui avions de longue main contracté cette habitude, nous étions charmés de les y voir prendre goût ; le résultat de cette apologie fut de nous armer tous d’une bonne poignée de bouleau et de nous flageller réciproquement, de telle force que le post-face de nos belles avait pris la couleur de la cerise, et les nôtres, profondément sillonnés, laissaient échapper le sang par quelques endroits ; mais nous étions dans un état de fureur érotique qui nous dédommageait pleinement de cette petite souffrance.

— Tâchons, leur dis-je, de profiter de cet état heureux et d’en prolonger la durée ; lorsque nous nous sentirons sur le point de terminer le sacrifice, suspendons et retirons-nous tout doucement, nous rentrerons bientôt en lice quand les esprits seront un peu plus calmes.

Nos belles s’assirent l’une à côté de l’autre sur le bord d’un des lits, et nous, restant debout, nous nous établîmes entre elles ; leurs jambes se croisèrent sur nos reins ; dans cette heureuse attitude, nous dominions leurs charmes, nos mains pouvaient, sans se gêner, parcourir le sein de l’une et de l’autre, et même nos bouches y pouvaient prodiguer des baisers, en sucer les trésors, sans que les parties essentielles fussent déplacées. Je m’arrêtais lorsque je sentais le moment approcher, j’en faisais autant à Valbouillant, que je tenais immobile, quand la fréquence de ses soupirs m’annonçait qu’il touchait au terme. Après avoir ainsi peloté avec le plaisir pendant un gros quart d’heure :

— Troquons, lui dis-je.

Et il passa des bras de Babet dans ceux de sa femme, que je quittai pour le remplacer dans ceux de sa filleule.

Nos belles, cependant, moins économes ou plus en fonds que nous, versaient fréquemment des larmes de volupté ; enfin, comme il faut que tout se termine, j’insinuai le gros doigt de ma main gauche dans le post-face de Valbouillant, qui de sa droite me rendit le même office ; ce surcroît de chatouillement nous conduisit bientôt au but désiré, mais comme elle avait été suspendue, jamais éjaculation ne fut plus abondante ; à peine nous restait-il assez de force pour nous traîner chacun dans notre lit, où nous allâmes chercher le repos dont nous avions grand besoin.

Le lendemain, les restaurants, les cordiaux ne nous furent pas épargnés ; cependant le soir, au grand regret de nos belles, accablés de sommeil, nous allâmes chercher le repos que nous désirions, après n’avoir mis en jeu que de froids baisers et quelques mouvements de doigts officieux qui leur paraissaient de bien faibles dédommagements des services plus solides auxquels nous les avions accoutumées.

Le troisième jour, deux courriers arrivant de Rome à nos belles semblaient devoir prolonger le temps de notre repos ; mais Mme Valbouillant, que nous avions initiée aux plaisirs d’arrière-main, nous observa qu’à défaut de la porte cochère on pouvait entrer par le guichet ; nous instruisîmes Babet dans le même art et nous la formâmes à ce précieux genre de volupté ; mais la tante de Babet la voyant plus alerte, plus spirituelle, moins embarrassée, n’en recevant plus de confidences comme celle des démangeaisons, soupçonna en partie la vérité, et comme elle avait l’entrée libre dans la maison, elle se cacha près du lieu de nos orgies. Là, ses yeux et ses oreilles ne lui laissèrent aucun doute. Elle était née Italienne, partant superstitieuse, poltronne et vindicative. Elle n’osait éclater contre Valbouillant, dont elle connaissait les richesses et craignait le crédit ; elle crut qu’elle parviendrait à se venger en s’appuyant du prélat de la ville, auquel elle demanda une audience particulière et qu’elle instruisit de la communauté de nos plaisirs, s’offrant de le rendre témoin oculaire de notre débauche. Son récit mit en rut le papelard et piqua sa curiosité ; elle l’introduisit dans un cabinet près de la chambre de Valbouillant, dont une porte vitrée laissait libre passage à ses regards avides.

C’était peu de jours après le rétablissement de la santé de nos belles. Pour mieux célébrer la fête, nous nous étions dépouillés de tous ornements superflus ; il faisait chaud, nous étions dans l’état de nos premiers pères dans l’Éden : nos serpents orgueilleux levaient une tête altière, et l’aspect des pommes que nous présentaient nos Èves nous faisaient frémir de désir ; nous essayâmes mille attitudes diverses, et suspendant le dernier terme de la jouissance, nous fixions les désirs : Babet, renversée sur un lit les jambes croisées sur mes reins, se pâmait voluptueusement en serrant dans son antre brûlant le joyeux bourdon que je poussais et retirais avec une agilité qui hâtait pour elle le moment décisif, tandis que Valbouillant faisait avec sa femme, couchée sur le même lit, une épreuve anti-physique dont il redoublait les délices par le chatouillement d’un doigt obligeant à l’orifice du véritable sanctuaire.

Le prélat crevait dans ses panneaux et la jalouse tante de Babet, le tirant par la manche, lui dit :

— Monseigneur, que d’horreurs !

— Que de volupté ! répondit-il.

Nous entendîmes ces exclamations, et la circonstance nous inspirant, nous prîmes de concert, sans nous être consultés, le sage parti de rendre nos témoins nos complices ; nos belles saisirent la vieille tante, la renversèrent sur le lit de repos ; je me jetai sur elle ; aussi brave que Curtius je me précipitai dans ce gouffre pour le salut de la patrie. Le prélat était Italien : mon attitude, les deux globes que j’offrais à sa vue, ne lui permirent pas d’hésiter ; il se crut Jupiter et je fus Ganymède ; et Valbouillant, pour compléter le tableau, lui rendit ce qu’il me prêtait ; cependant Babet, voyant sa tante assujettie par le poids de trois corps, de manière à ne pouvoir se refuser à la bonne fortune imprévue qui lui arrivait, se saisit d’une des poignées de verges dont nous étions toujours pourvus, et en chatouilla le post-face de Valbouillant, pendant que sa femme, renversée sur la partie vide du lit, nous découvrant les trésors de sa gorge d’albâtre et l’ivoire de ses cuisses, se prêtait à l’intromission d’un doigt caressant que je glissai à travers l’ébène de son taillis, sans cependant que je quittasse la brèche de l’antique citadelle où j’étais logé. La vieille qui, tout d’abord, voulait me mordre, me dévisager, prit enfin son mal en patience.

— Bonté divine ! s’écria-t-elle en remuant la charnière, ah ! chien… mon doux Jésus… quel dommage que ce soit un péché…

— Dis plutôt quel bonheur ! criait le prélat, me rendant les mouvements de Valbouillant ; va, rien ne vaut le fruit défendu…

— Je me damne ! reprit la vieille toujours tordant le croupion.

— Va toujours, j’ai les cas réservés.

Sur la parole du saint prélat, la vieille se résigne, me serre, s’agite et m’arrache une libation, qu’elle me rend avec usure. L’évêque et Valbouillant arrivent au même instant au comble du plaisir. Mme Valbouillant, qui nous avait précédés, se lève alors, et va avec la jeune Babet féliciter la vieille tante de la bonne fortune inattendue qu’elle venait d’avoir ; il y avait trop de témoins du plaisir qu’elle venait de prendre pour qu’elle en pût disconvenir. Elle se prêta donc au baiser que lui donna sa nièce, et borna ses remontrances à lui dire :

— Tâche du moins que personne ne s’en doute.

— Ne craignez rien, répartis-je, vous voyez comme nous traitons les curieux.

— Je ne crois pas, dit le prélat, la méthode sûre pour les corriger.

Dès ce moment la confiance s’étant établie entre nous, la contrainte fut bannie ; le prélat fut l’âme de nos orgies : le long séjour qu’il avait fait en Italie lui avait donné une profonde théorie de tous les genres de volupté, et joignant la pratique à ses rares lumières, il nous fit essayer avec succès trente attitudes dignes d’exciter le pinceau des Clinchet et modernes. Valbouillant était dans l’ivresse et sa femme proposa au saint homme de le réconcilier avec les plaisirs naturels. La politesse l’empêcha de refuser ; pour le récompenser de sa complaisance, je le socratisai pendant sa besogne, et Babet, couchée sur Valbouillant qui s’était jeté à la renverse sur le lit à sa portée, offrait à son œil lubrique deux jumelles dont Ganymède aurait été jaloux. La tante, pour ne pas rester oisive, d’une main chatouillait les témoins de Monseigneur, et de l’autre s’escrimait à coups précipités d’une poignée de verges, qui sillonnant le bas de mes reins redoublaient ma vigueur.

— Eh bien, dit Valbouillant, à l’instant qu’il touchait à la dernière période de la volupté, que dites-vous de ma femme ?

— Que dans le Paradis elle enlèverait à Madeleine toutes ses pratiques.

La soirée s’avançait, le prélat se rhabilla et nous ayant comblés de caresses, il retourna à son palais, remerciant la tante de Babet des plaisirs que lui avaient procurés son inquiétude et ses scrupules, et avant de nous quitter, il lui fit présent d’un suppléant qu’une abbesse qu’il protégeait lui avait envoyé pour modèle, le priant d’en faire faire une douzaine pour le service de sa communauté. La bonne tante, après quelques cérémonies, l’accepta et nous lûmes dans ses yeux qu’elle en ferait plus d’usage que de son chapelet. Nous fîmes un léger repas et nous allâmes nous coucher après avoir bien ri de la fortune de la vieille.

Le lendemain, à peine étais-je éveillé, qu’on me remit une lettre du prélat.

La voici :

« Sur le compte avantageux qui nous a été rendu, monsieur, de l’application que vous avez montrée pendant vos études, des progrès que vous avez faits dans la philosophie, la physique et la morale, des dispositions que vous avez à devenir profond dans la théologie, nous croyons qu’il est de notre devoir pastoral de retirer de dessous le boisseau une lumière naissante telle que vous, et de la placer sur le chandelier. Pour vous mettre à même de développer et d’accroître vos talents, je vous offre auprès de moi la place de lecteur ; je me charge de votre sort jusqu’à ce que quelque bénéfice honnête venant à vaquer soit votre récompense. L’éducation du fils de M. Valbouillant peut être confiée à d’autres mains, et ce serait un larcin fait à l’Église que de lui dérober un sujet qui doit faire sa gloire, je ne vous renfermerai pas dans le seul emploi de lecteur ; j’ai fort à cœur un ouvrage auquel je me livre avec un zèle ardent ; vous serez mon collaborateur. Je crois l’offre trop avantageuse pour que vous la refusiez ; vous pourrez toujours continuer vos bons offices à M. et Mme Valbouillant : ce sont des gens estimables dont je chéris les mœurs, et je vous seconderai de tous mes efforts. »

L’offre, en effet, m’était avantageuse ; mais je regrettais de quitter la bonne Valbouillant, la petite Babet, le père de famille même ; ils m’aimaient tant, ils m’avaient procuré des plaisirs si vifs, si variés… J’allai donc leur montrer la lettre, m’en remettant à leur décision pour accepter ou refuser le parti ; ils furent aussi affligés que moi ; mais refuser à l’évêque dans un pays où les prêtres peuvent tout, était trop dangereux ; il fut donc arrêté que je me rendrais auprès de Sa Grandeur et que je ferais mes efforts pour m’échapper souvent et jouir avec eux des plaisirs que je leur avais fait connaître. Je ne répondis donc point à la lettre du prélat ; je m’habillai avec soin, et les yeux baissés, le front modeste, je me rendis chez le saint homme. Dès qu’il me vit, d’un air grave il me dit de passer dans son cabinet intérieur ; et se hâtant de se débarrasser du promoteur et de l’official qui l’entretenaient de quelques affaires de diocèse, il vint me rejoindre, ayant défendu qu’on l’interrompît avant qu’il sonnât. Dès que nous fûmes seuls, son visage perdit toute sa gravité épiscopale, il m’embrassa avec transport :

— Eh bien, mon ami ! mon cher Hic et Hec, me dit-il, nous vivrons donc ensemble, n’y consentez-vous pas ?

— Les désirs de Monseigneur sont des ordres pour moi.

— Bon, entrez donc en exercice de vos fonctions de lecteur.

Il me remet la satire de Pétrone, ouverte à l’endroit qui a fourni la jolie scène des amours d’été, me fait prosterner sur une pile de carreaux, et pendant que je lis, réalise avec moi la scène dont il entend le récit ; il la pousse jusqu’au dénoûement, et prenant ensuite le livre, il se met à ma place et je lui dis que je sais aussi bien attaquer que soutenir l’assaut ; nous nous rajustons et nous approchant d’un bureau, sur lequel étaient amoncelés plusieurs casuistes, il me fait asseoir, sonne, et dit au valet de chambre qui arrive, qu’il peut laisser entrer, et pendant que plusieurs personnes, grands vicaires et autres, sont introduites :

— Je suis content, me dit-il, comme en continuant une conversation. Vos principes sont les vrais, vous avez approfondi la matière et quelques années de travail encore vous vaudrez Sanchez. Messieurs, poursuivit-il, en s’adressant aux arrivants, voilà un jeune homme qui me donne de grandes espérances, depuis une heure que je l’examine pour m’assurer de ses talents, je ne l’ai pas trouvé un instant en défaut ! il pousse un argument avec force, le soutient avec fermeté, et je crois qu’il fera un grand honneur à l’Église. Je l’ai pris pour mon lecteur, et, après notre dîner, je lui donnerai les quatre mineurs ; quand on trouve des sujets il ne faut pas les faire languir.

Tout le monde me combla d’éloges pour plaire à mon patron ; je me couvris du manteau de cette modestie hypocrite qu’on aime à trouver dans un jeune homme, mais dont les gens instruits sont rarement les dupes. En sortant de table, l’évêque me tint parole, je me trouvai sous-diacre, sans avoir fait d’autre séminaire que sur les coussins de Monseigneur et dans le boudoir de Mme Valbouillant.

Le prélat me permit d’aller lui faire part de mon avancement, et me rappelant, il me dit tout bas :

— J’irai chez eux quand je serai débarrassé de nos importuns, prévenez-les pour que nous puissions n’être qu’entre nous.

Je m’inclinai avec respect et je sortis.

Je fus reçu avec transport par mes amis ; Valbouillant et sa femme m’accablaient de questions ; j’y répondis de mon mieux et je leur dis par quelle voie j’étais entré dans les ordres, ajoutant que l’évêque viendrait leur dire, dès qu’il serait libre, ce qu’il avait fait pour leur protégé. Babet qui survint me couvrit de baisers et si je m’en étais cru, je n’aurais pas différé à leur marquer ma reconnaissance de la part qu’ils prenaient à mon avancement ; mais l’incertitude du moment de l’arrivée du prélat, le désir de lui faire faire une orgie complète, nous firent suspendre nos plaisirs. Il ne se fit pas attendre ; alors la porte fut fermée pour tout le monde ; on lui fit des remerciements et des reproches (ce qu’il faisait pour moi ne dédommageait pas de ce qu’on perdait à mon absence). Le saint homme promit que je pourrais les voir souvent et qu’il joindrait ses efforts aux miens pour égayer leurs moments.

Après ces premiers propos, on fit venir Babet, qui d’abord s’était retirée par respect, et, profitant de la chaleur du climat, sur l’avis du prélat, nous quittâmes les pompes du luxe, et nous nous mîmes dans l’état où étaient nos premiers parents dans l’Éden avant que la pomme fatale leur eût appris qu’ils étaient sans vêtements. On eût dit, en regardant Mme Valbouillant, que c’était la Volupté sous la livrée de la Fraîcheur ; ce qui manquait à la légèreté de sa taille était bien compensé par la finesse de sa peau, la fermeté des chairs, l’appétissant des formes arrondies et le tempérament que ses yeux pétillants et l’humidité de ses lèvres vermeilles annonçaient ; pour Babet, l’Albane ou le Boucher l’auraient prise pour la plus jeune des Grâces, sa taille svelte et déliée n’avait pas encore la perfection des formes, mais on voyait que deux ans encore leur donneraient cette rondeur qu’on ne trouve point dans l’extrême jeunesse ; des cheveux d’un noir de jais, et tombant par grosses boucles au-dessus de ses mollets, formaient autour d’elle un voile transparent qui rendait encore plus touchants les charmes dont ils couvraient une partie. Le prélat ne put tenir contre ce charmant objet ; elle fut la première à recevoir son hommage.

— Tâchons, dit alors l’évêque, de remplir par quelque récit amusant l’intervalle que la nature exige entre le plaisir et la renaissance des désirs ; je vais vous raconter une aventure qui m’est arrivée quand j’étais au séminaire.

— Écoutons.

Et l’on s’assit autour du prélat.

FIN DU PREMIER VOLUME.