Hiéron (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
HiéronHachetteTome 1 (p. 316-318).



CHAPITRE IX.


Suite du précédent.


Pour répondre à cette sortie, Simonide reprit : « Qu’il faille prendre tous ces soins, Hiéron, c’est ce que je ne nie point. Mais parmi ces soins il en est, si je ne me trompe, qui ne peuvent manquer d’attirer la haine, et d’autres les bonnes grâces. En effet, enseigner ce qui est bien, louer et honorer celui qui le pratique le mieux, voilà un soin fait pour attirer les bonnes grâces ; mais insulter celui qui commet une faute, lui imposer un amende ou un châtiment, voilà un procédé capable de provoquer la haine. Je dis donc que, quand il faut user de rigueur, le souverain doit ordonner à d’autres de punir, et que, quand il faut récompenser, c’est lui qui doit le faire. Qu’il soit à propos d’agir ainsi, l’expérience le démontre.

« Quand nous voulons faire concourir des chœurs, l’archonte propose des prix, mais il donne aux choréges le soin de réunir les artistes, et à d’autres celui d’instruire et de soumettre à la règle ceux qui s’en écartent. Par là, tout ce qu’il y a d’agréable dans ces fonctions se fait par l’archonte, et l’inverse par les autres. Qui est-ce qui empêche de conduire les affaires civiles par le même procédé ? Toutes les villes sont divisées les unes en tribus, les autres en mores[1], en loches[2], et chacun de ces corps a des chefs. Or, si l’on établissait, comme pour les chœurs, des prix de bon campement, de bonne tenue, d’équitation, de bravoure à la guerre, de justice dans les relations, il est vraisemblable qu’on verrait se tendre le ressort de l’émulation par toutes ces récompenses. Oui, par Jupiter, on verrait au besoin chacun suivre avec empressement l’impulsion de l’honneur, contribuer promptement de sa fortune, s’il le fallait ; et, chose utile entre toutes, quoique l’émulation n’y intervienne pas d’ordinaire, l’agriculture elle-même ferait d’immenses progrès, si l’on établissait, aux champs et dans les villes, des prix pour ceux qui cultiveraient le mieux la terre ; et de la sorte, les citoyens qui s’y livreraient avec zèle en tireraient d’immenses profits : en effet, les revenus s’accroîtraient, et la tempérance se trouverait unie à l’amour à l’amour du travail, sans compter que l’idée de mal faire vient m’oins aux gens occupés.

« D’ailleurs, si le négoce enrichit un État, en honorant ceux qui s’en occupent exclusivement, on augmenterait le nombre des marchands ; et si l’on accordait ostensiblement une récompense à quiconque trouve, sans froisser personne, un revenu pour l’État, on ne laisserait pas cette recherche de côté. En un mot si, dans toutes les branches, il était avéré qu’on ne laissât pas sans honneur l’inventeur d’une bonne découverte, nombre de gens aimeraient à s’en faire une étude, et, quand plusieurs ont à cœur un projet utile, il suit nécessairement qu’on en trouve et qu’on en réalise l’application. « Si tu crains, Hiéron, que ce nombre de prix n’augmente tes dépenses, songe qu’il n’est rien qui coûte moins que ce que l’on gagne par cette voie. Tu vois dans les jeux hippiques, gymniques, chorégiques, comment de petits prix produisent de grandes dépenses, de nombreux labeurs, des soins incessants ! »



  1. Compagnie de trois ou quatre cents hommes à Sparte. Nous aurons occasion d’insister avec plus de détails sur cette expression dans le Gouvernement des Lacédémoniens.
  2. Cf. Mém. sur Socrate, III, i.