Hiéron (Trad. Talbot)/08
CHAPITRE VIII.
Simonide poursuivant : « Maintenant, Hiéron, dit-il, ton dégoût de la tyrannie ne me surprend plus, puisque, désirant d’être aimé des hommes, tu l’y crois un obstacle. Cependant, je pense pouvoir te démontrer que l’autorité suprême n’empêche pas de se faire aimer, mais qu’elle a même des avantages sur la condition privée. Afin de nous en convaincre, n’examinons pas si le pouvoir met mieux le tyran à portée d’obliger par des services éminents ; mais, en supposant toutes choses égales entre le tyran et le particulier, considère toi-même lequel des deux, sur un même objet, oblige davantage. Je commencerai par des exemples d’une médiocre importance. Et d’abord qu’un tyran et un particulier regardent et abordent affectueusement la même personne ; dans cette rencontre, lequel des deux croyez-vous qui se fasse écouter avec plus de plaisir ? Que tous les deux donnent des louanges ; de qui les éloges iront le plus directement au cœur ? Après un sacrifice, que chacun d’eux fasse une invitation ; auquel des deux penses-tu qu’on saura le plus de gré de cet honneur ? Qu’ils soignent également un malade ; n’est-il pas évident que ce sont les services du plus puissant qui causent le plus de joie ? Qu’ils donnent tous deux des choses d’une égale valeur ; n’est-il pas évident encore que les demi-faveurs du plus puissant ont bien plus de pouvoir que les grâces entières du particulier ? Je crois d’ailleurs qu’il y a un caractère de respect, une certaine grâce attachée par les dieux à la personne du souverain : non que le pouvoir le rende plus beau ; mais nous regardons comme plus beau un homme qui gouverne qu’un simple particulier, et nous éprouvons plus de charme à converser avec nos supérieurs qu’avec nos égaux.
« Quant aux mignons, qui t’ont fourni un des arguments les plus forts contre la tyrannie, il ne sont nullement choqués de la vieillesse du prince, et il n’y a point de honte attachée à ceux avec lesquels il entretient son commerce : cet honneur, au contraire, donne du relief ; tout le révoltant disparaît, et ce beau côté ne devient que plus brillant. Si donc, avec des services égaux, vous obligez bien davantage ; si même vous pouvez être beaucoup plus utile par des offices plus fréquents ; si vous avez de quoi donner plus que nous, comment ne seriez-vous pas beaucoup plus aimés que les particuliers ? »
Alors Hiéron : « Par Jupiter, Simonide, reprit-il, c’est que nous soulevons contre nous la haine des hommes en leur imposant bien plus de contraintes que les particuliers. Il faut se procurer de l’argent pour subvenir à l’urgence des dépenses, faire garder ce qui a besoin de garde, punir les torts, réprimer les velléités d’insolence ; il faut, si l’occasion se présente de faire en hâte une expédition de terre ou de mer, éviter de la confier à des lâches. De plus, une troupe de mercenaires est nécessaire à un tyran, et il n’y a point de charge qui pèse plus aux citoyens : car ils pensent que les tyrans n’entretiennent pas ces troupes pour faire respecter le droit de tous, mais dans une vue d’ambition. »