Imprimerie générale A. Côté (p. 245-250).


LES FÉES


i

On vante avec raison les progrès de notre âge.
Au passé qui vieillit le siècle dit adieu,
Et l’homme enorgueilli de son puissant ouvrage,
Moderne Prométhée, au ciel ravit le feu.



Des éléments vaincus il s’établit le maître :
Le ciel n’est plus qu’un champ qu’il mesure au compas.
Partout plonge son œil avide de connaître,
Et la foudre soumise illumine ses pas.


Cependant, au millieu de ces nobles trophées,
Il tombera parfois sous un mal inconnu…
Le temps des douces fées
Serait-il revenu ?
II
Le savant dont l’œil suit dans les célestes sphères
La course d’un soleil récemment découvert,

Le marin qui s’en va dans les deux hémisphères
Braver l’été torride et le brumeux hiver,
Ces hommes, vrais pionniers du monde qui s’éveille,
Jetant à l’avenir leurs noms prédestinés,
Orgueilleux des progrès d’une ère sans pareille.
Dédaignent du passé les récits surannés.


Pourtant, regardez-les ! Ployant sous leurs trophées,
Ils succombent aussi sous un mal inconnu…
Le temps des douces fées
Serait-il revenu ?

III
Voyez-vous s’éloigner ce superbe navire ?
Il court vers l’Orient qui lui promet de l’or.
L’espace est son domaine et la mer son empire
Des rives de Golconde aux bancs du Labrador.
Le marin ne craint plus les rochers de Sicile,
La Sirène aux accents qui font rêver les flots :
Pourtant son cœur se trouble et, conquête facile,
Son âme a des soupirs, sa gorge des sanglots.


Il confie à la mer ses plaintes étouffées.
Exilé du foyer, son cœur s’est souvenu…
Le temps des douces fées
Serait-il revenu ?

IV
Seriez-vous revenus, ô temps qu’avec délice
Dans des vers immortels les bardes ont chantés,
Sirènes aux doux chants, vous dont le sage Ulysse
A fui, mais en pleurant, les charmes redoutés ?
Revenez-vous encor, forces mystérieuses
Qui troublez la raison, bouleversez les cœurs,
Qui planez au-dessus des cimes orgueilleuses,
Sur les puissants esprits et sur les fronts vainqueurs ?


D’où viennent ces soupirs, ces plaintes étouffées,
Et ce trouble du cœur que nul n’a méconnu,
Si, temps des douces fées,
Tu n’es pas revenu ?

V
C’est que l’Être éternel fit des lois immuables,
L’esprit pour concevoir et le cœur pour aimer.
Il mit tout près de l’homme, ô desseins admirables !
Un être faible et bon pour plaire et pour charmer.
L’homme a beau voyager de l’Équateur au Pôle,
De l’aurore au couchant un charme le poursuit,
Car dans l’humble foyer, attentif à son rôle,
À travers la distance un cœur ami le suit.


Ambitieux, l’amour se rit de tes trophées.
Le mal qui nous consume est un mal bien connu…
Nos femmes sont les fées,
Et leur règne est venu !