Heures perdues/Brevis vita

Imprimerie générale A. Côté (p. 161-162).


BREVIS VITA


Mon regard éperdu sondait la mer sans borne,
Et là, seul, je songeais, l’esprit rêveur et morne,
À la vie éphémère, à nos jours qui s’en vont
Plus vite que les flots du fleuve vagabond.
Le flot pousse le flot et, de même, les hommes,
Passant sur cette terre ainsi que des fantômes,
Tombent pour faire place à ceux du lendemain.
Mobile est l’océan, ainsi le genre humain.

Les générations se succèdent, s’entassent
Sans repos d’un moment, comme les flots qui passent.
Mais ces derniers du moins n’ont-ils pas leur reflux ?
Vers leur source nos jours ne nous ramènent plus !
Toujours mûr est l’épi, la moisson toujours prête
Pour le Temps sans pitié, faucheur que rien n’arrête ;
Et comme on voit la plaine onduler sous les vents,
Son souffle cloue au sol la tourbe des vivants !
La poussière des morts couvre la terre entière
Et ce globe n’est plus qu’un vaste cimetière !
Cherchez la forêt vierge où l’on ne trouve pas
Les vestiges de l’homme et l’œuvre du trépas !
Ossuaire sans fin, les cimes et les plaines
Sont, du nord au midi, d’ossements toutes pleines ;
Et sur tout cet humus entassé par le temps,
Se croyant immortels, les humains haletants
Pour les siècles futurs élèvent leurs demeures,
Quand la mort sans merci leur dispute les heures !