Hernani (Hetzel, 1889)/Notes
NOTES
1830
PREMIÈRE ÉDITION
Shakespeare, par la bouche d’Hamlet, donne aux comédiens des conseils qui prouvent que le grand poëte était aussi un grand comédien. Molière, comédien comme Shakespeare, et non moins admirable poëte, indique en maint endroit de quelle façon il comprend que ses pièces soient jouées. Beaumarchais, qui n’est pas indigne d’être cité après de si grands noms, se complaît également à ces détails minutieux qui guident et conseillent l’acteur dans la manière de composer un rôle. Ces exemples, donnés par les maîtres de l’art, nous paraissent bons à suivre, et nous croyons que rien n’est plus utile à l’acteur que les explications, bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses, du poëte. C’était l’avis de Talma, c’est le nôtre. Pour nous, si nous avions un avis à offrir aux acteurs qui pourraient être appelés à jouer les principaux rôles de cette pièce, nous leur conseillerions de bien marquer dans Hernani l’âpreté sauvage du montagnard mêlée à la fierté native du grand d’Espagne ; dans le don Carlos des trois premiers actes, la gaîté, l’insouciance, l’esprit d’aventure et de plaisir, et qu’à travers tout cela, à la fermeté, à la hauteur, à je ne sais quoi de prudent dans l’audace, on distingue déjà en germe le Charles-Quint du quatrième acte ; enfin, dans le don Ruy Gomez, la dignité, la passion mélancolique et profonde, le respect des aïeux, de l’hospitalité et des serments, en un mot, un vieillard homérique selon le moyen âge. Au reste, nous signalons ces nuances aux comédiens qui n’auraient pas pu étudier la manière dont ces rôles sont représentés à Paris par trois excellents acteurs, M. Firmin, dont le jeu plein d’âme électrise si souvent l’auditoire ; M. Michelot, que sert une si rare intelligence ; M. Joanny, qui empreint tous ses rôles d’une originalité si vraie et si individuelle.
Quant à Mademoiselle Mars, un de nos meilleurs journaux a dit, avec raison, que le rôle de doña Sol avait été pour elle ce que Charles VI a été pour Talma, c’est-à-dire son triomphe et son chef-d’œuvre. Espérons seulement que la comparaison ne sera pas entièrement juste, et que Mademoiselle Mars, plus heureuse que Talma, ajoutera encore bien des créations à celle-ci. Il est impossible, du reste, à moins de l’avoir vue, de se faire une idée de l’effet que la grande actrice produit dans ce rôle. Dans les quatre premiers actes, c’est bien la jeune catalane, simple, grave, ardente, concentrée. Mais, au cinquième, Mademoiselle Mars donne au rôle un développement immense. Elle y parcourt en quelques instants toute la gamme de son talent, du gracieux au sublime, du sublime au pathétique le plus déchirant. Après les applaudissements elle arrache tant de larmes, que le spectateur perd jusqu’à la force d’applaudir. Arrêtons-nous à cet éloge ; car, on l’a dit spirituellement, les larmes qu’ils font verser parlent contre les rois et pour les comédiens.
ÉDITION DE 1836
NOTE I.
Nous avons jugé inutile d’indiquer, dans les deux premiers actes, les différences assez nombreuses entre le texte des précédentes éditions et le texte de l’édition actuelle. Ces différences, comme nous l’avons déjà dit, proviennent toutes des mutilations faites à la représentation. La question littéraire était encore trop peu comprise en 1830 pour que Hernani pût être représenté tel qu’il avait été écrit. Il faut dire pourtant que les retranchements n’avaient pas essentiellement altéré les deux premiers actes, mais ils avaient assez profondément modifié le troisième, pour que nous croyions nécessaire de réimprimer ici les scènes v, vi et vii de cet acte comme on les a imprimées en 1830, comme on les a jouées à cette époque, et comme on les joue encore aujourd’hui. De cette façon, le lecteur peut confronter les deux textes, l’œuvre mutilée et l’œuvre complète, et décider qui avait raison alors et qui a raison maintenant.
Scène IV.
Je vous fais compliment ! — Plus que je ne puis dire
La parure me charme, et m’enchante, et j’admire !
Il n’oserait tromper, lui qui touche au tombeau !
Couronne de duchesse, anneau d’or… — À merveille !
Grand merci de l’amour sûr, fidèle et profond !
Le précieux écrin !
Je pris au roi Carlos, lorsqu’il m’offrit un trône
Et que je refusai, pour vous qui m’outragez !
Oh ! laisse qu’à genoux, dans tes yeux affligés
J’efface tous ces pleurs amers et pleins de charmes ;
Et tu prendras après tout mon sang pour tes larmes !
Hernani ! je vous aime et vous pardonne, et n’ai
Que de l’amour pour vous.
Et m’aime ! Qui pourra faire aussi que moi-même,
Après ce que j’ai dit, je me pardonne et m’aime ?
Oh ! je voudrais savoir, ange au ciel réservé,
Où vous avez marché, pour baiser le pavé !
Croire que mon amour eût si peu de mémoire !
Que jamais ils pourraient, tous ces hommes sans gloire,
Jusqu’à d’autres amours, plus nobles à leur gré,
Rapetisser un cœur où son nom est entré !
Hélas ! j’ai blasphémé ! Si j’étais à ta place,
Doña Sol, j’en aurais assez, je serais lasse
De ce fou furieux, de ce sombre insensé
Qui ne sait caresser qu’après qu’il a blessé.
Ah ! vous ne m’aimez plus !
C’est toi ! l’ardent foyer d’où me vient toute flamme,
C’est toi ! ne m’en veux pas de fuir, être adoré !
Je ne vous en veux pas, seulement j’en mourrai.
Mourir, grand Dieu ! pour moi se peut-il que tu meures ?
Pour qui, sinon pour vous ?
Et c’est encor ma faute ! et qui me punira ?
Car tu pardonneras encor ! Qui te dira
Ce que je souffre, au moins, lorsqu’une larme noie
La flamme de tes yeux dont l’éclair est ma joie.
Oh ! mes amis sont morts ! oh ! je suis insensé !
Pardonne. Je voudrais aimer, je ne le sai !
Hélas ! j’aime pourtant d’une amour bien profonde !
Ne pleure pas ! mourons plutôt ! — Que n’ai-je un monde !
Je te le donnerais ! Je suis bien malheureux !
Vous êtes mon seigneur vaillant et généreux !
Je vous aime.
Si l’on pouvait mourir de trop aimer !
Hernani ! je vous aime et je suis toute à vous.
Oh ! qu’un coup de poignard de toi me serait doux !
Quoi ! ne craignez-vous pas que Dieu ne vous punisse
De parler de la sorte ?
Tu le veux ?… qu’il en soit ainsi ! J’ai résisté.
Scène V.
Voilà donc le paîment de l’hospitalité !
Voilà ce que céans notre hôte nous apporte.
Si la porte est bien close et l’archer dans sa tour,
De ton château pour nous fais et refais le tour,
Cherche en ton arsenal une armure à ta taille,
Ressaie à soixante ans ton harnois de bataille !
Voici la loyauté dont nous paierons ta foi !
Tu fais cela pour nous, et nous ceci pour toi. —
Saints du ciel ! j’ai vécu plus de soixante années,
J’ai bien vu des bandits aux mains empoisonnées,
J’en ai vu qui mouraient sans croix ni sans pater ;
J’ai vu Sforce, j’ai vu Borgia, je vois Luther ;
Mais je n’ai jamais vu perversité si haute
Qui n’eût craint le tonnerre en trahissant son hôte.
Ce n’est pas de mon temps. — Si notre trahison
Pétrifie un vieillard au seuil de sa maison,
Et fait que le vieux maître, en attendant qu’il tombe,
A l’air d’une statue à mettre sur sa tombe !
Maures et castillans ! quel est cet homme-ci ?
Pardon si, devant tous, pardon, si ma colère
Dit l’hospitalité mauvaise conseillère !
Oh ! je me vengerai !
Si jamais vers le ciel noble front s’éleva,
Si jamais cœur fut grand, si jamais âme haute,
C’est la vôtre, seigneur ! c’est la tienne, ô mon hôte !
Moi qui te parle ici, je suis coupable, et n’ai
Rien à dire, sinon que je suis bien damné.
Oui, j’ai voulu te prendre et t’enlever ta femme ;
Oui, j’ai voulu souiller ton lit ; oui, c’est infâme !
J’ai du sang, tu feras très bien de le verser,
D’essuyer ton épée et de n’y plus penser.
Seigneur, ce n’est pas lui ! ne frappes que moi-même !
Attendez, doña Sol. Car cette heure est suprême,
Cette heure m’appartient ; je n’ai plus qu’elle. Ainsi,
Laissez-moi m’expliquer avec le duc ici.
Duc ! crois aux derniers mots de ma bouche : j’en jure,
Je suis coupable ; mais sois tranquille, — elle est pure !
Ah ! moi seule ai tout fait. Car je l’aime.
Je l’aime, monseigneur !
Qu’est ce bruit ?
C’est le roi, monseigneur, en personne,
Avec un gros d’archers et son héraut qui sonne.
Dieu ! le roi ! dernier coup !
La porte est close, et veut qu’on ouvre.
Ouvrez au roi.
Il est perdu.
Monsieur, entrez ici.
Est à toi. Livre-la, seigneur. Je la tiens prête.
Je suis ton prisonnier.
Seigneur, pitié pour lui !
Son altesse le roi !
Scène VI
Mon cousin, que ta porte est si bien verrouillée ?
Par les saints ! je croyais ta dague plus rouillée !
Et je ne savais pas qu’elle eût hâte à ce point,
Quand nous te venons voir, de reluire à ton poing !
Avons-nous des turbans ? serait-ce qu’on me nomme
Boabdil ou Mahom, et non Carlos, répond !
Pour nous baisser la herse et nous lever le pont ?
Seigneur…
Prenez les clés ! saisissez-vous des portes !
Deux officiers sortent, plusieurs autres rangent les soldats en triple haie dans la salle. Don Carlos se tourne vers le duc.
Ah ! vous réveillez donc les rébellions mortes ?
Pardieu ! si vous prenez de ces airs avec moi,
Messieurs les ducs, le roi prendra des airs de roi,
Et j’irai par les monts, de mes mains aguerries,
Dans leurs nids crénelés, tuer les seigneuries !
Altesse, les Silva sont loyaux…
Réponds, duc, ou je fais raser tes onze tours !
De l’incendie éteint il reste une étincelle,
Des bandits morts il reste un chef. — Qui le recèle ?
C’est toi ! — Ce Hernani, rebelle empoisonneur,
Ici, dans ton château, tu le caches !
C’est vrai.
Entends-tu, mon cousin ?
Vous serez satisfait.
Chercher mon prisonnier.
C’est l’aîné, c’est l’aïeul, l’ancêtre, le grand homme,
Don Silvius, qui fut trois fois consul de Rome.
Voici Ruy Gomez De Silva,
Grand-maître de Saint-Jacque et de Calatrava.
Son armure géante irait mal à nos tailles ;
Il prit trois cents drapeaux, gagna trente batailles,
Conquit au roi Motril, Antequera, Suez,
Nijar, et mourut pauvre. — Altesse, saluez !
Près de lui, Juan, son fils, cher aux âmes loyales.
Sa main, pour un serment, valait les mains royales.
À un autre.
— Don Gaspar, de Mendoce et de Silva l’honneur !
Toute noble maison tient à Silva, seigneur.
Sandoval tour à tour nous craint ou nous épouse.
Manrique nous envie et Lara nous jalouse.
Alencastre nous hait. Nous touchons à la fois
Du pied à tous les ducs, du front à tous les rois !
— Vasquez, qui soixante ans garda la foi jurée.
J’en passe, et des meilleurs. — Cette tête sacrée,
C’est mon père. Il fut grand, quoiqu’il vînt le dernier.
Les maures de Grenade avaient fait prisonnier
Le comte Alvar Giron son ami. Mais mon père
Prit pour l’aller chercher six cents hommes de guerre,
Il fit tailler en pierre un comte Alvar Giron
Qu’à sa suite il traîna, jurant par son patron
De ne point reculer que le comte de pierre
Ne tournât front lui-même et n’allât en arrière.
Il combattit, puis vint au comte, et le sauva.
Mon prisonnier !
Voilà donc ce qu’on dit quand dans cette demeure
On voit tous ces héros…
Mon prisonnier, sur l’heure !
Ce portrait, c’est le mien. — Roi don Carlos, merci !
Car vous voulez qu’on dise en le voyant ici :
« Ce dernier, digne fils d’une race si haute,
Fut un traître, et vendit la tête de son hôte ! »
Duc, ton château me gêne et je le mettrai bas.
Car vous me la paîriez, altesse, n’est-ce pas ?
Duc, j’en ferai raser les tours pour tant d’audace,
Et je ferai semer du chanvre sur la place.
Mieux voir croître du chanvre où ma tour s’éleva,
Qu’une tache ronger le vieux nom de Silva.
Aux portraits.
N’est-il pas vrai, vous tous ?
Et tu m’avais promis…
Est à bout. Livre-moi cet homme.
J’ai dit.
De cave, ni de tour…
Comme moi. Seul il sait le secret avec moi.
Nous le garderons bien tous deux.
Je suis le roi.
Hors que de mon château démoli pierre à pierre,
On ne fasse ma tombe, on n’aura rien.
Prière,
Menace, tout est vain ? — Livre-moi le bandit,
Duc ! ou tête et château, j’abattrai tout.
J’ai dit.
Eh bien donc, au lieu d’une, alors j’aurai deux têtes.
Au duc d’Alcala.
Jorge, arrêtez le duc.
NOTE II.
Basse-cour, où le roi mendié sans pudeur,
À tous ces affamés émiette la grandeur !
Ces deux vers furent supprimés par la censure, qui n’était pas moins plate et moins inepte en 1830 qu’en 1836, et qui n’a jamais su échapper à l’odieux que par le ridicule. À la représentation, on disait les deux vers que voici :
Pour un titre ils vendraient leur âme, en vérité !
Vanité ! vanité ! tout n’est que vanité !
Oui, tout est vanité, tout, jusqu’aux révolutions prometteuses qui aboutissent en trois jours à la république et en trois mois à la censure.
NOTE III.
Toujours trois voix de moins ! Ah ! ce sont ceux qui l’ont, etc.
Tout ce développement du caractère de Charles-Quint jusqu’à Va-t’en ! c’est l’heure où vont venir les conjurés, est donné ici au public pour la première fois.
NOTE IV.
Par les raisons exprimées dans la note I, nous croyons devoir réimprimer ici le monologue tronqué qui se disait et qui se dit encore sur le théâtre :
Scène II.
Charlemagne, pardon ! ces voûtes solitaires
Ne devraient répéter que paroles austères.
Tu t’indignes sans doute à ce bourdonnement
Que nos ambitions font sur ton monument.
— Ah ! c’est un beau spectacle à ravir la pensée
Que l’Europe ainsi faite et comme il l’a laissée !
Un édifice avec deux hommes au sommet,
Deux chefs élus auxquels tout roi né se soumet.
Presque tous les états, duchés, fiefs militaires,
Royaumes, marquisats, tous sont héréditaires ;
Mais le peuple a parfois son pape ou son césar,
Tout marche, et le hasard corrige le hasard.
De là vient l’équilibre, et toujours l’ordre éclate ;
Électeurs de drap d’or, cardinaux d’écarlate,
Double sénat sacré dont la terre s’émeut,
Ne sont là qu’en parade, et Dieu veut ce qu’il veut.
Qu’une idée, au besoin des temps, un jour éclose,
Elle grandit, va, court, se mêle à toute chose,
Se fait homme, saisit les cœurs, creuse un sillon,
Maint roi la foule aux pieds ou lui met un bâillon ;
Mais qu’elle entre un matin à la diète, au conclave,
Et tous les rois soudain verront l’idée esclave
Sur leurs têtes de rois que ses pieds courberont
Surgir, le globe en main ou la tiare au front.
Le pape et l’empereur sont tout. Rien n’est sur terre
Que par eux et pour eux. Un suprême mystère
Vit en eux ; et le ciel, dont ils ont tous les droits,
Leur fait un grand festin des peuples et des rois.
Le monde au-dessous d’eux s’échelonne et se groupe.
Ils font et défont. L’un délie, et l’autre coupe.
L’un est la vérité, l’autre est la force. Ils ont
Leur raison en eux-même, et sont parce qu’ils sont.
Quand ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire,
L’un dans sa pourpre, et l’autre avec son blanc suaire,
L’univers ébloui contemple avec terreur
Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l’empereur.
— L’empereur ! l’empereur ! être empereur ! — Ô rage,
Ne pas l’être ! et sentir son cœur plein de courage !
Qu’il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau !
Qu’il fut grand ! De son temps c’était encor plus beau.
Oh ! quel destin ! — Pourtant cette tombe est la sienne !
Tout est-il donc si peu que ce soit là qu’on vienne ?
Quoi donc ! avoir été prince, empereur et roi !
Avoir été l’épée, avoir été la loi !
Vivant, pour piédestal avoir eu l’Allemagne !
Quoi ! pour titre césar, et pour nom Charlemagne !
Avoir été plus grand qu’Annibal, qu’Attila,
Aussi grand que le monde !… Et que tout tienne là !
Ah ! briguez donc l’empire ! et voyez la poussière
Que fait un empereur ! Couvrez la terre entière
De bruit et de tumulte. Élevez, bâtissez
Votre empire, et jamais ne dites : C’est assez !
Si haut que soit le but où votre orgueil aspire,
Voilà le dernier terme !… — Oh ! l’empire ! l’empire !
Que m’importe ? j’y touche, et le trouve à mon gré.
Quelque chose me dit : Tu l’auras ! Je l’aurai.
Si je l’avais !… — Ô ciel ! être ce qui commence !
Seul, debout, au plus haut de la spirale immense !
D’une foule d’états l’un sur l’autre étagés
Être la clef de voûte, et voir sous soi rangés
Les rois, et sur leur tête essuyer ses sandales :
Voir au-dessous des rois les maisons féodales,
Margraves, cardinaux, doges, ducs à fleurons ;
Puis évêques, abbés, chefs de clan, hauts barons ;
Puis clercs et soldats ; puis, loin du faîte où nous sommes,
Dans l’ombre, tout au fond de l’abîme, — les hommes.
Les hommes ; c’est-à-dire une foule, une mer,
Un grand bruit ; pleurs et cris ; parfois un rire amer.
Ah ! le peuple ! océan ! onde sans cesse émue,
Où l’on ne jette rien sans que tout ne remue !
Vague qui broie un trône et qui berce un tombeau !
Miroir où rarement un roi se voit en beau !
Ah ! si l’on regardait parfois dans ce flot sombre,
On y verrait au fond des empires sans nombre,
Grands vaisseaux naufragés, que son flux et reflux
Roule, et qui le gênaient, et qu’il ne connaît plus !
Gouverner tout cela ! monter, si l’on vous nomme,
À ce faîte ! y monter, sachant qu’on n’est qu’un homme
Avoir l’abîme là ! — Malheureux ! qu’ai-je en moi ?
Être empereur ? mon Dieu ! j’avais trop d’être roi !
Certe, il n’est qu’un mortel de race peu commune
Dont puisse s’élargir l’âme avec la fortune.
Mais, moi ! qui me fera grand ? qui sera ma loi ?
Qui me conseillera ?
Ah ! puisque Dieu, pour qui tout obstacle s’efface,
Prend nos deux majestés et les met face à face,
Verse-moi dans le cœur, du fond de ce tombeau,
Quelque chose de grand, de sublime et de beau !
Oh ! par tous ses côtés fais-moi voir toute chose !
Montre-moi que le monde est petit, car je n’ose
Y toucher. Apprends-moi ton secret de régner,
Et dis-moi qu’il vaut mieux punir que pardonner !
— N’est-ce pas ? — Ombre auguste, empereur d’Allemagne !
Oh ! dis-moi ce qu’on peut faire après Charlemagne !
Parle ! dût en parlant ton souffle souverain
Me briser sur le front cette porte d’airain !
Ou, si tu ne dis rien, laisse en ta paix profonds
Carlos étudier ta tête comme un monde ;
Laisse qu’il te mesure à loisir, ô géant !
Car rien n’est ici-bas si grand que ton néant !
Que la cendre à défaut de l’ombre me conseille !
ÉDITION DÉFINITIVE
1880
NOTE I.
LE MANUSCRIT ORIGINAL.
Le manuscrit original d’Hernani porte, sur la première page, cette épigraphe : Tres para una.
Chaque acte est daté au commencement et à la fin.
Le premier acte a été commencé le 29 août 1829. Le second acte, commencé le 3 septembre, terminé le 6. Le troisième acte, commencé le 8 septembre, terminé le 14. Le quatrième acte, commencé le 15 septembre, terminé le 20. Le cinquième, commencé le 21, terminé le 25.
Voici, d’après le manuscrit, les variantes et les fragments inédits, vers remplacés et vers supprimés.
ACTE I.
Scène II.
Cachons-nous.
Dans l’armoire ?
Nous y tiendrons tous deux.
Monsieur, est-ce une gaîne à mettre des chrétiens ?
Voyons, nous nous serrons, vous y tenez, j’y tiens,
Le duc ouvre en entrant cette boîte où nous sommes
Pour y prendre un cigare, il y trouve deux hommes !
ACTE II.
Scène I.
Que j’achèterais bien de trois de mes Espagnes
Trois espagnols pareils à ce roi des montagnes !
Vous gagneriez peut-être au marché. Car on dit
Qu’un grand nom est caché sous son nom de bandit.
Ce que si haut en lui j’estime et je proclame,
Ce n’est pas le grand nom, marquis, c’est la grande âme.
Mais quel est ce grand nom ? — Ce doit être un de ceux
Qui pour m’avouer roi furent si paresseux
Que je n’ai jamais vu leurs visages…
Enfin, dans tous ces bruits qu’on invente et qu’on forge,
Ce Hernani, dit-on, n’est autre que don Jorge
D’Aragon, se disant duc de Segorbe, né
Dans l’exil, fils proscrit d’un père infortuné
Qui, pour avoir aimé la reine comme une autre,
Finit sur l’échafaud sa lutte avec le vôtre.
Et, lui, veut se tailler, dit-on, le déloyal,
Un bon manteau de duc dans le manteau royal.
Oui, voilà qui ressemble à mon homme !
Rien encore ! Il faut pourtant finir,
Messieurs. À tout moment l’autre peut survenir.
Quelle heure est-il ?
Seigneur, je ne sais.
Qui brille ainsi là-bas ?
C’est le crieur qui passe.
Il dit l’heure. Écoutons. Paix !
Pour les âmes des morts !
Mon Dieu ! pardonnez-leur leurs péchés et leurs fautes !
De votre paradis les murailles sont hautes,
Laissez-les-leur franchir, Seigneur, ainsi qu’à nous !
Faut-il aussi franchir celles-là ?
Vous êtes un impie !…
........Allez tous trois dans l’ombre,
Là-bas, épier l’autre, et faites de façon
Qu’il ne puisse mêler sa flûte à ma chanson.
Ce qui gâterait l’air.
ACTE III.
Scène III.
........Viens, toi ! Tu gagneras la somme.
Moi, je donne ma tête ; eux, ils en veulent bien.
C’est pour eux. Ils iront la vendre à Saragosse,
Si vous n’en voulez pas pour le cadeau de noce !
Scène IV.
Êtes-vous insensé ? Quelle étrange démence !
Je vous revois, la vie en mon cœur recommence,
Et vous voulez vous perdre ! Et quel est mon forfait ?
Ah ! vous êtes sauvé malgré vous. C’est bien fait !
Vous mériteriez bien que de vous je me venge,
Mais je suis bonne. — Hélas ! mon Hernani, mon ange,
Que je baise à genoux le bord de ton manteau !
Ah ! tu m’es donc rendu !
Quoi, pas même un couteau !
Quel bonheur ! c’est bien lui ! c’est bien lui ! Quelle joie !
Dieu permet qu’il soit là, près de moi ! que je voie
Encor ses yeux, son front, sa brave et noble main !
Hélas ! il était temps ! c’était trop tard demain !
Ah ! qu’un coup de poignard de toi me serait doux !
Hernani !
Mon pas dans ton sentier, ma cendre dans ta flamme !
Tu le veux. Qu’il en soit ainsi ! J’ai résisté.
Scène V.
....................
Avez-vous de vos jours vu rien de pareil ? Non !
Don Manuel ! toi qui vis les frères Transtamare
Blas ! qui vis de Luna déchirer la simarre !
Sanchez ! toi qui connus les assassins d’Inès !
Nuño ! toi qui fus pris par les maures !…
Seigneur duc…
Voyez-vous ? il veut parler, l’infâme !…
Scène VI.
....................
Christoval prit la plume et donna son cheval.
Il y mourut. — Cet autre est don Nuño, le père
De Sanchez que voici. Tous deux dans son repaire
Tuèrent Mauregat, l’usurpateur maudit.
— Celui-ci, c’est don Juan de Silva, qui vendit
Ses terres pour payer la rançon de Ramire…
Duc, que dis-tu du roi ?
Laide ou jolie ! au lieu d’une épée, une aiguille !
Gomez et le bandit se tirent de ce pas,
Mais l’altesse est dupée ! et moi je ne vois pas
Que monseigneur le roi dans tout ce qui se passe
Ait son compte.
Le duc a la vue un peu basse !
ACTE IV.
Scène III.
… Ma vie, à vous, la sienne, à moi !
Elle ! je te la cède, et te rends ce cor.
La vie et doña Sol ! — Non ! je tiens ma vengeance !
Avec Dieu dans ceci je suis d’intelligence.
J’ai mon père à venger… peut-être plus encor !
Elle ! je te la donne, et je te rends ce cor.
Scène IV.
........Ah ! ma haine s’en va !
Mon Dieu ! n’interromps pas ce rêve, ce beau rêve
Commencé !
C’en est un funèbre qui s’achève !
Non ! c’est trop de bonheur, et j’en ai du remords.
— Doña Sol ! doña Sol ! mon père est chez les morts.
Mon père veut du sang, mon père veut sa proie.
— Me voici ton époux. Fêtes, fanfares, joie !
Me voici duc, puissant, riche, envié de tous,
Et surtout, ô bonheur ! me voici ton époux !
C’est bien. — Mais tout cela ne venge pas mon père !
Que dis-tu ?
Il faudrait refuser, et frapper !
Hernani !
Ah ! Dieu me punira de n’avoir pas puni
ACTE V.
Scène II.
......Ô Dieu !
C’est le vieillard !
Que je chantais le soir à mes jeunes compagnes…
— Mais l’aubade est pour vous. C’est le cor des montagnes.
Gageons que c’est pour vous.
Pour moi ?
Le cor recommence.
Encor !
Scène III.
... Je te trouve en retard.
Le poison ? le poignard ? Parle.
À mon dernier banquet, mon hôte, je t’invite.
Ce que tu laisseras sera pour moi. Fais vite.
— Que prends-tu ?
Le poison.
....................
Puisque ton honneur fait aux serments banqueroute,
Créancier mal payé, je me remets en route.
Scène IV.
Je n’en ai pu trouver la clef.
Inutile.
Es-tu mieux ?
Oui, — le front moins pesant.
Jésus ! qu’est-ce que c’est que cette fiole noire ?
C’est un calmant, — qu’on m’a donné, — que je vais boire.
....................
Je suis de votre sang, mon oncle ! prenez garde !
— Mais non — c’est un fantôme ! et, plus je vous regarde…
Vous n’êtes pas le duc ! Il est en Flandre. Ainsi !
Mensonge, trahison, magie en tout ceci !
À l’essai de ce fer je mettrai le prestige.
Mais, fussiez-vous mon oncle, et mon père, oui, vous dis-je,
Malheur, si vous portez la main sur mon époux !
....................
Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée ?
Oh ! tes traits par la mort encor sont embellis !
— Souffres-tu ?
Non, plus rien. Mais toi ? — Dieu ! tu pâlis !
Hélas ! c’est de te voir souffrir !
Je suis bien. N’es-tu pas mon don Juan, mon asile ?
Près de toi la douleur me quitte. Près de toi
Je ne sens plus qu’amour et joie… — Oh ! sauve-mol !
Sauve-moi ! Je l’ai là qui brûle mes entrailles !
Ah ! c’est à se jeter le front sur les murailles !
Je te l’assure, ami ! je souffre trop ! — Mon Dieu !
Toi qui m’aimes, don Juan, sauve-moi ! c’est du feu !
....................
NOTE II.
LA PREMIÈRE ÉDITION. (1830.)
Dans l’édition princeps de 1830, le drame a un sous-titre, il est intitulé : Hernani, ou l’Honneur castillan. En revanche, les actes n’ont pas de titre.
Cette première édition contient quelques vers qui ont été changés et remplacés depuis. Acte I, scène iii, don Ruy Gomez ne dit pas :
Ah ! vous l’avez brisé, le hochet. Mais Dieu fasse
Qu’il vous puisse en éclats rejaillir à la face !
Il dit :
Ah ! vous l’avez brisé, le hochet !…
Et, Hernani l’interrompant une seconde fois :
Excellence !
Don Ruy Gomez s’écrie :
Qui donc ose parler lorsque j’ai dit : Silence !
Ces vers ont été repris dans les Burgraves.
Acte II, scène ii, doña Sol dit à don Carlos :
Roi, je proclame,
Que si l’homme naissait où le place son âme,
Si le cœur seul faisait le brigand et le roi,
À lui serait le sceptre et le poignard à toi.
NOTE III.
LES REPRÉSENTATONS
Hernani a été représenté pour la première fois sur le Théâtre-Français le 25 février 1830.
Après une première série de représentations, le drame n’a plus été repris qu’en 1838, et s’est maintenu au répertoire jusqu’en 1851.
Interrompu pendant seize ans, sous l’empire, Hernani a été repris en 1867, et joué plus de cent fois pendant l’Exposition universelle, puis remonté en 1877. Il n’a pas quitté, depuis, le répertoire.
Le cinquantième anniversaire de la première représentation, 25 février 1880, était la 341e représentation du drame.
Ci-joint le tableau des distributions successives d’Hernani.
1830 | 1838 | |||
Commissaire royal | Directeur | |||
M. le baron Taylor. | M. Védel. | |||
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PERSONNAGES. | ACTEURS. | ACTEURS. | ||
HERNANI. | MM. | Firmin. | MM. | Firmin. |
DON CARLOS. | Michelet. | Ligier. | ||
DON RUY GOMEZ DE SILVA. | Joanny. | Joanny. | ||
DOÑA SOL DE SILVA. | Mlle | Mars. | Mme | Dorval. |
LE DUC DE BAVIÈRE. | MM. | Saint-Aulaire. | MM. | Saint-Aulaire. |
LE DUC DE GOTHA. | Geoffroy. | Monlaur. | ||
LE DUC DE LUTZELBOURG. | Faure. | Faure. | ||
DON SANCHO. | Menjaud. | Marius. | ||
DON MATIAS. | Bouchet. | Leroy. | ||
DON RICARDO. | Samson. | Regnier. | ||
DON GARCI SUAREZ. | Geoffroy. | Mirecour. | ||
DON FRANCISCO. | Mirecour. | Monlaur. | ||
DON JUAN DE HARO. | Casaneuve. | Arsène. | ||
DON GIL TELLEZ GIRON. | Montigny. | Fonta. | ||
Premier Conjuré. | Menjaud. | Brévanne. | ||
Un Montagnard. | Montigny. | Fonta. | ||
IAQUEZ. | Mlle | Despréaux. | Mlle | Weiss. |
DOÑA JOSEFA DUARTE. | Mme | Tousez. | Mme | Tousez. |
Une Dame. | Mlle | Thénard. | Mlle | Larché. |
1841 | 1867 | 1877 | ||||
Commissaire royal | Administrat. général | Administrat. général | ||||
M. Bulas. | M. Édouard Thierry. | M. Émile Perrin. | ||||
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PERSONNAGES. | ACTEURS. | ACTEURS. | ACTEURS. | |||
HERNANI. | MM. | Beauvallet. | MM. | Delaunay. | MM. | Mounet-Sully. |
DON CARLOS. | Ligier. | Bressant. | Worms. | |||
DON RUY GOMEZ DE SILVA. | Guyon. | Maubant. | Maubant. | |||
DOÑA SOL DE SILVA. | Mlle | Émilie Guyon. | Mlle | Favart. | Mlle | Sarah Bernhardt. |
LE DUC DE BAVIÈRE. | MM. | Darcourt. | MM. | Chéry. | MM. | Richard. |
LE DUC DE GOTHA. | Rey. | Garraud. | Villain. | |||
LE DUC DE LUTZELBOURG. | Laba. | Gibaud. | Joliet. | |||
DON SANCHO. | Marius. | Sénéchal. | Baillet. | |||
DON MATIAS. | Mathieu. | Garraud. | Prudhon. | |||
DON RICARDO. | Regnier. | Masset. | Dupont-Vernon. | |||
DON GARCI SUAREZ. | Drouville. | Boucher. | Boucher. | |||
DON FRANCISCO. | Robert. | Prudhon. | Davrigny. | |||
DON JUAN DE HARO. | Robert. | Gibaud. | Martel. | |||
DON GIL TELLEZ GIRON. | Lefèvre. | Boucher. | Joliet. | |||
IAQUEZ. | Mlle | Denain. | Mlle | Lloyd. | Mmes | Martin. |
DOÑA JOSEFA DUARTE. | Mmes | Tousez. | Mme | Jouassain. | Thénard. | |
Une Dame. | Payne. | Mlle | Rose Barretta. | Léonne. |
1889 | ||
Administrateur général | ||
M. Jules Claretie. | ||
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PERSONNAGES. | ACTEURS. | |
HERNANI. | MM. | Mounet-Sully. |
DON CARLOS. | Le Bargy. | |
DON RUY GOMEZ DE SILVA. | Silvain. | |
DOÑA SOL DE SILVA. | Mlle | A. Dudlay. |
LE DUC DE LUTZELBOURG. | MM. | Martel. |
LE DUC DE HOHENBOURG. | Joliet. | |
LE DUC DE GOTHA. | Villain. | |
DON MATIAS. | H. Samary. | |
DON GIL TELLEZ GIRON. | Falconnier. | |
LE DUC DE BAVIÈRE. | Hamel. | |
DON FRANCISCO. | Gravollet. | |
DON RICARDO. | Pierre Laugier. | |
DON GARCI SUAREZ. | Georges Berr. | |
DON SANCHO. | Leitner. | |
DOÑA JOSEFA DUARTE. | Mmes | Amel. |
LA MARQUISE. | Jamaux. | |
UN PAGE. | Laurence. |