Hernani (Hetzel, 1889)/Acte V
ACTE CINQUIÈME
LA NOCE
Scène Première
Ma foi, vive la joie et vive l’épousée !
Saragosse ce soir se met à la croisée.
Et fait bien ! on ne vit jamais noce aux flambeaux
Plus gaie, et nuit plus douce, et mariés plus beaux !
Bon empereur !
Nous allions avec lui tous deux cherchant fortune,
Qui nous eût dit qu’un jour tout finirait ainsi ?
J’en étais.
Aux autres.
Écoutez l’histoire que voici.
Trois galants, un bandit que l’échafaud réclame,
Puis un duc, puis un roi, d’un même cœur de femme
Font le siège à la fois. L’assaut donné, qui l’a ?
C’est le bandit.
L’amour et la fortune, ailleurs comme en Espagne,
Sont jeux de dés pipés. C’est le voleur qui gagne !
Moi, j’ai fait ma fortune à voir faire l’amour.
D’abord comte, puis grand, puis alcade de cour,
J’ai fort bien employé mon temps, sans qu’on s’en doute.
Le secret de monsieur, c’est d’être sur la route
Du roi…
Faisant valoir mes droits, mes actions.
Vous avez profité de ses distractions.
Que devient le vieux duc ? Fait-il clouer sa bière ?
Marquis, ne riez pas ! car c’est une âme fière.
Il aimait doña Sol, ce vieillard. Soixante ans
Ont fait ses cheveux gris, un jour les a faits blancs.
Il n’a pas reparu, dit-on, à Saragosse.
Vouliez-vous pas qu’il mît son cercueil de la noce ?
Et que fait l’empereur ?
Est triste. Le Luther lui donne de l’ennui.
Ce Luther, beau sujet de soucis et d’alarmes !
Que j’en finirais vite avec quatre gendarmes !
Le Soliman aussi lui fait ombre.
Soliman, Neptunus, le diable et Jupiter,
Que me font ces gens là ? Les femmes sont jolies,
La mascarade est rare, et j’ai dit cent folies !
Voilà l’essentiel.
Je ne suis plus le même un jour de fête, et croi
Qu’un masque que je mets me fait une autre tête,
En vérité !
Que n’est-ce alors tous les jours fête ?
Messeigneurs, n’est-ce pas la chambre des époux ?
Nous les verrons venir dans l’instant.
Croyez-vous ?
Hé ! sans doute !
Tant mieux. L’épousée est si belle !
Que l’empereur est bon ! Hernani, ce rebelle
Avoir la toison d’or ! marié ! pardonné !
Loin de là, s’il m’eût cru, l’empereur eût donné
Lit de pierre au galant, lit de plume à la dame.
Que je le crèverais volontiers de ma lame,
Faux seigneur de clinquant recousu de gros fil !
Pourpoint de comte, empli de conseils d’alguazil !
Que dites-vous là ?
À don Ricardo.
Il me chante un sonnet de Pétrarque à sa belle.
Avez-vous remarqué, messieurs, parmi les fleurs,
Les femmes, les habits de toutes les couleurs,
Ce spectre, qui, debout contre une balustrade,
De son domino noir tachait la mascarade ?
Oui, pardieu !
Qu’est-ce donc ?
C’est don Prancasio, général de la mer.
Non.
Il n’a pas quitté son masque.
C’est le duc de Soma qui veut qu’on le regarde.
Rien de plus.
Non. Le duc m’a parlé.
Que ce masque ? — Tenez, le voilà.
Marchent, voici leur pas.
Messeigneurs, dans ses yeux j’ai vu luire une flamme !
Si c’est le diable, il trouve à qui parler.
Nous viens-tu de l’enfer ?
Je n’en viens pas, j’y vais.
Tous le suivent des yeux avec une sorte d’effroi.
La voix est sépulcrale autant qu’on le peut dire.
Baste ! ce qui fait peur ailleurs, au bal fait rire.
Quelque mauvais plaisant !
Qui vient nous voir danser, en attendant l’enfer,
Dansons !
C’est à coup sûr quelque bouffonnerie.
Nous le saurons demain.
Que devient-il ?
Plus rien.
Rêvant.
C’est singulier.
Marquise, dansons-nous celle-ci ?
Vous savez, avec vous, que mon mari les compte.
Raison de plus. Cela l’amuse apparemment.
C’est son plaisir. Il compte, et nous dansons.
C’est singulier !
Voici les mariés. Silence !
Scène II
Chers amis !
Ton bonheur fait le nôtre, excellence !
Saint Jacques, monseigneur ! C’est Vénus qu’il conduit !
D’honneur, on est heureux un pareil jour la nuit !
Qu’il va se passer là de gracieuses choses !
Être fée, et tout voir, feux éteints, portes closes,
Serait-ce charmant ?
Il est tard. Partons-nous ?
Dieu vous garde !
Soyez heureux !
<span style title="Hernani et Doña sol restent seuls. Bruit de pas et de voix qui s’éloignent, puis cessent tout à fait. Pendant tout le commencement de la scène qui suit, les fanfares et les lumières éloignées s’éteignent par degrés. La nuit et le silence reviennent peu à peu." style="cursor: help">{{{2}}}
Scène III
Enfin !
Cher amour !
C’est… qu’il est tard, ce me semble.
Ange ! il est toujours tard pour être seuls ensemble.
Ce bruit me fatiguait. N’est-ce pas, cher seigneur,
Que toute cette joie étourdit le bonheur ?
Tu dis vrai. Le bonheur, amie, est chose grave.
Il veut des cœurs de bronze et lentement s’y grave.
Le plaisir l’effarouche en lui jetant des fleurs.
Son sourire est moins près du rire que des pleurs.
Dans vos yeux, ce sourire est le jour.
Oh ! je suis ton esclave ! Oui, demeure, demeure !
Fais ce que tu voudras. Je ne demande rien.
Tu sais ce que tu fais ! ce que tu fais est bien !
Je rirai si tu veux, je chanterai. Mon âme
Brûle. Eh ! dis au volcan qu’il étouffe sa flamme,
Le volcan fermera ses gouffres entr’ouverts,
Et n’aura sur ses flancs que fleurs et gazons verts.
Car le géant est pris, le Vésuve est esclave,
Et que t’importe à toi son cœur rongé de lave ?
Tu veux des fleurs ? c’est bien ! Il faut que de son mieux
Le volcan tout brûlé s’épanouisse aux yeux !
Oh ! que vous êtes bon pour une pauvre femme,
Hernani de mon cœur !
Ah ! ne me nomme plus de ce nom, par pitié !
Tu me fais souvenir que j’ai tout oublié !
Je sais qu’il existait autrefois, dans un rêve,
Un Hernani dont l’œil avait l’éclair du glaive,
Un homme de la nuit et des monts, un proscrit,
Sur qui le mot vengeance était partout écrit,
Un malheureux traînant après lui l’anathème !
Mais je ne connais pas ce Hernani. — Moi, j’aime
Les prés, les fleurs, les bois, le chant du rossignol.
Je suis Jean d’Aragon, mari de doña Sol !
Je suis heureux !
Je suis heureuse !
Les haillons qu’en entrant j’ai laissés à la porte ?
Voici que je reviens à mon palais en deuil.
Un ange du Seigneur m’attendait sur le seuil.
J’entre, et remets debout les colonnes brisées,
Je rallume les feux, je rouvre les croisées,
Je fais arracher l’herbe au pavé de la cour,
Je ne suis plus que joie, enchantement, amour.
Qu’on me rende mes tours, mes donjons, mes bastilles,
Mon panache, mon siège au conseil des Castilles,
Vienne ma doña Sol rouge et le front baissé,
Qu’on nous laisse tous deux, et le reste est passé !
Je n’ai rien vu, rien dit, rien fait. Je recommence,
J’efface tout, j’oublie ! Ou sagesse ou démence,
Je vous ai, je vous aime, et vous êtes mon bien !
Que sur ce velours noir ce collier d’or fait bien !
Vous vîtes avant moi le roi mis de la sorte.
Je n’ai pas remarqué. Tout autre, que m’importe ?
Puis, est-ce le velours ou le satin encor ?
Non, mon duc, c’est ton cou qui sied au collier d’or.
Vous êtes noble et fier, monseigneur.
Un moment ! — Vois-tu bien, c’est la joie ! et je pleure !
Viens voir la belle nuit.
Le temps de respirer et de voir seulement.
Tout s’est éteint, flambeaux et musique de fête.
Rien que la nuit et nous. Félicité parfaite !
Dis, ne le crois-tu pas ? sur nous, tout en dormant,
La nature à demi veille amoureusement.
Pas un nuage au ciel. Tout, comme nous, repose.
Viens, respire avec moi l’air embaumé de rose !
Regarde. Plus de feux, plus de bruit. Tout se tait.
La lune tout à l’heure à l’horizon montait
Tandis que tu parlais, sa lumière qui tremble
Et ta voix, toutes deux m’allaient au cœur ensemble,
Je me sentais joyeuse et calme, ô mon amant,
Et j’aurais bien voulu mourir en ce moment !
Ah ! qui n’oublierait tout à cette voix céleste ?
Ta parole est un chant où rien d’humain ne reste.
Et, comme un voyageur, sur un fleuve emporté,
Qui glisse sur les eaux par un beau soir d’été
Et voit fuir sous ses yeux mille plaines fleuries,
Ma pensée entraînée erre en tes rêveries !
Ce silence est trop noir, ce calme est trop profond.
Dis, ne voudrais-tu point voir une étoile au fond ?
Ou qu’une voix des nuits, tendre et délicieuse,
S’élevant tout à coup, chantât ?…
Tout à l’heure on fuyait la lumière et les chants !
Le bal ! mais un oiseau qui chanterait aux champs !
Un rossignol perdu dans l’ombre et dans la mousse,
Ou quelque flûte au loin !… Car la musique est douce,
Fait l’âme harmonieuse, et, comme un divin chœur,
Éveille mille voix qui chantent dans le cœur !
Ah ! Ce serait charmant !
Ah ! malheureuse !
Ton bon ange, sans doute !
Don Juan, je reconnais le son de votre cor !
N’est-ce pas ?
De moitié ?
De moitié, tu l’as dit.
Oh ! que j’aime bien mieux le cor au fond des bois !
Et puis, c’est votre cor, c’est comme votre voix.
Ah ! le tigre est en bas qui hurle, et veut sa proie !
Don Juan, cette harmonie emplit le cœur de joie.
Nommez-moi Hernani ! nommez-moi Hernani !
Avec ce nom fatal je n’en ai pas fini !
Qu’avez-vous ?
Le vieillard !
Qu’avez-vous ?
— Ne le voyez-vous pas ?
Qu’est-ce que ce vieillard ?
Le vieillard !
Je t’en supplie, oh ! dis, quel secret te déchire ?
Qu’as-tu ?
Je l’ai juré !
Juré ?
Il s’arrête tout à coup, et passe la main sur son front.
Épargnons-la.
Haut.
Moi, rien. De quoi t’ai-je parlé ?
Vous avez dit…
Je souffre un peu, vois-tu. N’en prends pas d’épouvante.
Te faut-il quelque chose ? ordonne à ta servante.
Il le veut ! il le veut ! Il a mon serment !
Ce devrait être fait ! — Ah !…
Tu souffres donc bien ?
Une blessure ancienne, et qui semblait fermée,
Se rouvre…
À part.
Éloignons-la.
Écoute. Ce coffret qu’en des jours — moins heureux —
Je portais avec moi…
Eh bien, qu’en veux-tu faire ?
Un flacon qu’il renferme
Contient un élixir qui pourra mettre un terme
Au mal que je ressens. — Va !
J’y vais, mon seigneur.
Scène IV
Voilà donc ce qu’il vient faire de mon bonheur !
Voici le doigt fatal qui luit sur la muraille !
Oh ! Que la destinée amèrement me raille !
Hé bien ?… — Mais tout se tait. Je n’entends rien venir.
Si je m’étais trompé ?…
Hernani s’arrête pétrifié.
Scène V
« Quand tu voudras, vieillard, quel que soit le lieu, l’heure,
« S’il te passe à l’esprit qu’il est temps que je meure,
« Viens, sonne de ce cor, et ne prends d’autres soins.
« Tout sera fait. » — Ce pacte eut les morts pour témoins.
Eh bien, tout est-il fait ?
C’est lui !
Je viens, et je te dis qu’il est temps. C’est mon heure.
Je te trouve en retard.
Que feras-tu de moi ? Parle.
Du fer ou du poison. Ce qu’il faut, je l’apporte.
Nous partirons tous deux.
Soit.
Prions-nous ?
Qu’importe ?
Que prends-tu ?
Le poison.
Oh ! s’il te reste un cœur, duc, ou du moins une âme,
Si tu n’es pas un spectre échappé de la flamme,
Un mort damné, fantôme ou démon désormais,
Si Dieu n’a point encor mis sur ton front : jamais !
Si tu sais ce que c’est que ce bonheur suprême
D’aimer, d’avoir vingt ans, d’épouser quand on aime,
Si jamais femme aimée a tremblé dans tes bras,
Attends jusqu’à demain ! Demain tu reviendras !
Simple qui parle ainsi ! Demain ! demain ! — Tu railles !
Ta cloche a ce matin sonné tes funérailles !
Et que ferais-je, moi, cette nuit ? J’en mourrais.
Et qui viendrait te prendre et t’emporter après ?
Seul descendre au tombeau ! Jeune homme, il faut me suivre !
Eh bien, non ! et de toi, démon, je me délivre !
Je n’obéirai pas.
Sur quoi donc m’as-tu fait ce serment ? — Ah, sur rien.
Peu de chose après tout ! La tête de ton père !
Cela peut s’oublier. La jeunesse est légère.
Mon père ! Mon père !… — Ah ! j’en perdrai la raison !
Non, ce n’est qu’un parjure et qu’une trahison.
Duc !
Se font jeu maintenant de fausser leurs paroles,
Adieu !
Ne t’en va pas.
Alors…
Scène VI.
Je n’ai pu le trouver, ce coffret.
Dans quel moment !
À ma voix ! — Que tiens-tu dans ta main ? quel soupçon !
Que tiens-tu dans ta main ? réponds.
Grand Dieu !
Vous me trompiez, don Juan !
J’ai promis de mourir au duc qui me sauva.
Aragon doit payer cette dette à Silva.
Vous n’êtes pas à lui, mais à moi. Que m’importe
Tous vos autres serments ?
À don Ruy Gomez.
Duc, l’amour me rend forte.
Contre vous, contre tous, duc, je le défendrai.
Défends-le, si tu peux, contre un serment juré.
Quel serment ?
J’ai juré.
Cela ne se peut pas ! Crime ! attentat ! folie !
Allons, duc !
Le duc a ma parole, et mon père est là-haut !
Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres même
Arracher leurs petits qu’à moi celui que j’aime !
Savez-vous ce que c’est que doña Sol ? Longtemps,
Par pitié pour votre âge et pour vos soixante ans,
J’ai fait la fille douce, innocente et timide,
Mais voyez-vous cet œil de pleurs de rage humide ?
Craignez-vous pas le fer quand l’œil a menacé ?
Prenez garde, don Ruy ! — Je suis de la famille,
Mon oncle ! Écoutez-moi. Fussé-je votre fille,
Malheur si vous portez la main sur mon époux !
Grâce ! Hélas ! monseigneur, je ne suis qu’une femme,
Je suis faible, ma force avorte dans mon âme,
Je me brise aisément. Je tombe à vos genoux !
Ah ! je vous en supplie, ayez pitié de nous !
Doña Sol !
Notre douleur s’emporte à de vives paroles,
Vous le savez. Hélas ! vous n’étiez pas méchant !
Pitié ! vous me tuez, mon oncle, en le touchant !
Pitié ; je l’aime tant !
Vous l’aimez trop !
Tu pleures !
Non, non, je ne veux pas, mon amour, que tu meures !
Non, je ne le veux pas.
Je vous aimerai bien aussi, vous.
De ces restes d’amour, d’amitié, — moins encore,
Croyez-vous apaiser la soif qui me dévore ?
Montrant Hernani.
Il est seul ! il est tout ! Mais moi, belle pitié !
Qu’est-ce que je peux faire avec votre amitié ?
Ô rage ! il aurait, lui, le cœur, l’amour, le trône,
Et d’un regard de vous il me ferait l’aumône !
Et s’il fallait un mot à mes vœux insensés,
C’est lui qui vous dirait : — Dis cela, c’est assez ! —
En maudissant tout bas le mendiant avide
Auquel il faut jeter le fond du verre vide !
Honte ! dérision ! Non. Il faut en finir,
Bois !
Il a ma parole, et je dois la tenir.
Allons !
Oh ! pas encor ! Daignez tous deux m’entendre.
Le sépulcre est ouvert, et je ne puis attendre.
Un instant ! — Mon seigneur ! Mon don Juan ! — Ah ! tous deux,
Vous êtes bien cruels ! Qu’est-ce que je veux d’eux ?
Un instant ! voilà tout, tout ce que je réclame ! —
Enfin, on laisse dire à cette pauvre femme
Ce qu’elle a dans le cœur !… — Oh ! laissez-moi parler !
J’ai hâte.
Que vous ai-je donc fait ?
Ah ! son cri me déchire.
Vous voyez bien que j’ai mille choses à dire !
Il faut mourir.
Tout ce que tu voudras, tu le feras.
Puisque je n’ai céans affaire qu’à deux femmes,
Don Juan, il faut qu’ailleurs j’aille chercher des âmes.
Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors,
Et je vais à ton père en parler chez les morts !
— Adieu…
Veux-tu me voir faussaire, et félon, et parjure ?
Veux-tu que partout j’aille avec la trahison
Écrite sur le front ? Par pitié, ce poison.
Rends-le-moi ! Par l’amour, par notre âme immortelle !…
Tu veux ?
Elle boit.
Tiens, maintenant !
Ah ! c’était donc pour elle ?
Prends, te dis-je !
Vois-tu, misérable vieillard ?
Ne te plains pas de moi, je t’ai gardé ta part.
Dieu !
Toi ! Tu n’as pas le cœur d’une épouse chrétienne.
Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva.
Mais j’ai bu la première et suis tranquille. — Va !
Bois si tu veux !
Hélas ! qu’as-tu fait, malheureuse ?
C’est toi qui l’as voulu.
C’est une mort affreuse !
Non. Pourquoi donc ?
Ce philtre au sépulcre conduit.
Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ?
Qu’importe dans quel lit ?
Mon père, tu te venges
Sur moi qui t’oubliais !
Ah ! jette loin de toi ce philtre ! — Ma raison
S’égare. Arrête ! Hélas ! mon don Juan, ce poison
Est vivant ! ce poison dans le cœur fait éclore
Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore !
Oh ! je ne savais pas qu’on souffrît à ce point !
Qu’est-ce donc que cela ? c’est du feu ! Ne bois point !
Oh ! tu souffrirais trop !
Pouvais-tu pas choisir d’autre poison pour elle ?
Que fais-tu ?
Qu’as-tu fait ?
Dans mes bras.
Non.
Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée ?
Ah !
La fatalité s’accomplit.
Ô tourment ! doña Sol souffrir, et moi le voir !
Calme-toi. Je suis mieux. — Vers des clartés nouvelles
Nous allons tout à l’heure ensemble ouvrir nos ailes.
Partons d’un vol égal vers un monde meilleur.
Un baiser seulement, un baiser !
Ô douleur !
Oh ! béni soit le ciel qui m’a fait une vie
D’abîmes entourée et de spectres suivie,
Mais qui permet que, las d’un si rude chemin,
Je puisse m’endormir, ma bouche sur ta main !
Qu’ils sont heureux !
Souffres-tu ?
Rien, plus rien.
Vois-tu des feux dans l’ombre ?
Pas encor.
Voici…
Mort !
Il dort. C’est mon époux, vois-tu. Nous nous aimons.
Nous sommes couchés là. C’est notre nuit de noce.
D’une voix qui s’éteint.
Ne le réveillez pas, seigneur duc de Mendoce.
Il est las.
Plus près… plus près encor…
Morte ! — Oh ! je suis damné !