E. Fasquelle (p. 145-148).
◄  XXVIII
XXX  ►


XXIX


Quat’sous, en effet, connut la fin de ses maux.

À quelque temps de là, au moment des labours de l’hiver, on la trouva morte, étendue sur le dos, dans le creux d’un sillon, les mains crispées, la face verte.

Harassée par la maladie, elle avait marché comme elle avait pu vers l’hôpital. Là, on refusa de la prendre. Pas de lit ! D’ailleurs, elle pourrait sortir guérie, mais non corrigée, et elle aurait volé la place d’un plus malade qu’elle.

Quat’sous partit sans répondre un mot. Pas de lit ! Elle aurait pourtant bien voulu s’étendre sur un drap frais, dans une chambre tiède. Elle avait connu ce repos une fois, à l’infirmerie de la prison. On lui avait brûlé le dos et la poitrine avec des mèches, on lui avait fait boire du sirop et de la tisane, et puis, au bout de quelques jours de bouillon et d’œufs, elle avait mangé à sa faim du pain et de la viande. Après cela, on l’avait renvoyée, avec du linge propre et des souliers aux pieds.

Cette fois-là, elle était partie sans regrets, heureuse de retrouver sa grande route. Mais, cette fois-ci, elle aurait bien voulu entrer à l’hospice, ne fût-ce qu’une heure. Elle était brûlante de fièvre dans l’air glacial. Puisqu’on ne voulait pas d’elle, autant rester où elle était : elle se laissa choir au seuil de la porte, sur le pavé.

Elle resta couchée devant la grille, inerte, n’entendant pas les paroles de ceux qui s’arrêtaient, se penchaient vers elle :

— C’est Quat’sous !

— Elle a l’air malade.

— Elle est peut-être morte !…

— Mais non, elle a bu.

— Comme tréjous !

— Si on la recevait, elle en prendrait vite l’habitude.

— Y a cinq ans, elle a eu la chance d’être soignée, guérie et nippée, ma foi ! Et deux jours après, elle était aussi pouilleuse qu’avant !

Et tout le monde passe. Quat’sous, enfin, sort de sa torpeur, se lève, s’en va, disparaît au tournant de la route. Elle est dans les champs, c’est le soir. Elle marche au hasard, trébuche dans la terre labourée, tombe, et reste là.

La dernière flamme qui vacillait encore en elle s’éteint. Personne n’est à ses côtés pour l’aider à franchir le seuil obscur de la mort. Sous le grand ciel illuminé de toutes ses étoiles, elle n’est plus qu’une chose informe qui va se confondre avec la terre et l’herbe et retourner à la grande inconscience de la nature.

On raconta cela devant Hermine, qui se souvint de la prédiction de Quat’sous : « Vous serez comme moi !… Vous finirez comme moi !… »