E. Fasquelle (p. 231-234).
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XLV


Un matin, après une nuit d’insomnie, Hermine eut de la peine à se lever, à s’habiller. Elle fut forcée de s’y reprendre à plusieurs fois pour mettre ses bas, ses jupes, pour se laver le visage. Il lui fallut fréquemment s’asseoir, puis s’approcher de la porte pour retrouver sa respiration. Elle eut recours à son remède ordinaire, les compresses d’eau froide, se trouva comme toujours soulagée, mais elle dut reconnaître que ses forces diminuaient.

Elle se pencha vers un petit miroir qui était au fond de son coffret, vit un visage vieilli, ravagé, qu’elle ne reconnaissait pas. Des sillons s’étaient creusés sous ses yeux, de noires cernures de fièvre, et d’autres coupaient ses joues, abaissaient les coins de ses lèvres. Il y avait toujours, pourtant, dans son regard, sa douceur pensive de jeune fille, cette expression profonde et charmante qui la faisait si jolie. La poésie des yeux est celle qui s’en va la dernière. Et sa bouche avait toujours le trait pur qui s’animait délicieusement pour le sourire et pour la parole. Mais cela était perdu dans la chair grise, envahie par la cendre du temps : il n’y avait plus là-dessous que des étincelles difficiles à raviver.

Il y avait encore autre chose, malgré tant de désarroi. Il y avait une pensée qui veillait à travers tout, la pensée de sauver sa maison, son bien, ce qui avait été la vie des siens et sa vie à elle, la pensée d’enlever cela à ce François Jarry, qui était venu camper là en conquérant, pour faire sa fortune du malheur d’Hermine.

Elle prit son encrier, son papier, écrivit longtemps. Elle avait encore une enveloppe, des timbres. Elle inscrivit l’adresse de Me Philipon, notaire.

Il restait maintenant à faire partir la lettre.

Qui se chargerait de cela ?

La petite Zélie ? Il n’y fallait pas penser. Elle n’avait pas osé revenir auprès d’Hermine, après sa dernière mauvaise action, elle se contentait de regarder le grenier de loin. Ou elle était foncièrement mauvaise, ou elle était terrorisée. Pour Hermine, le résultat était le même. Si la lettre lui était confiée, elle irait la porter à Jarry pour se faire valoir, ou bien elle la détruirait, si elle n’osait pas aborder ce féroce.

La vieille servante ? Peut-être ! Pourtant, Agathe était bien débile, ne comprendrait pas, était capable, sans malice aucune, de laisser voir la lettre entre ses mains. Sa bonté machinale se bornait à soigner Hermine comme elle aurait soigné une bête à l’étable, il y avait en elle de l’habitude, un reste de l’ancien respect pour la demoiselle Gilquin. Enfin ! Hermine essaierait de lui expliquer ce qu’elle attendait d’elle. Elle n’allait pas tarder à venir : il était onze heures du matin.