E. Fasquelle (p. 227-230).
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XLIV


Hermine ne quitta plus le grenier, vécut là en séquestrée.

L’espoir revenait parfois en elle, quand ses douleurs s’apaisaient sous l’eau glacée. Elle décidait alors qu’elle allait profiter de cette accalmie pour s’enfuir, mais toujours surgissait quelqu’un pouvant mettre l’interdit sur son entreprise, ou bien l’échelle était retirée. Elle mesurait l’espace qui la séparait du sol, avait l’idée de sauter, puis se disait qu’elle resterait à terre, les jambes brisées.

Ainsi, elle put apprendre quelles petites causes jouent des rôles décisifs pour précipiter ou empêcher l’avenir. Il n’y a plus qu’un pas à faire, la main va toucher le but marqué, et brusquement, le pied trébuche sur un caillou invisible, la main recule devant un souffle hostile. Il est trop tard, l’occasion qui existait tout à l’heure n’existe plus.

La prisonnière eut souvent un compagnon. Pyrame s’élança un jour en deux bonds jusqu’à elle. Il refusa de descendre, montra des crocs terribles à la servante qui voulait le forcer à s’en venir avec elle. Celle-ci, Agathe, la vieille bonne, oubliée là, qui avait connu le père et la mère Gilquin, montait deux fois par jour sa soupe et sa cruche d’eau à la recluse, faisait sa couchette. Peut-être avait-elle gardé le souvenir des jours anciens, et avait-elle pitié de cette femme fanée et vaincue avant l’âge, qu’elle avait vue petite fille. Toujours est-il que dans la mesure de son humble pouvoir, elle cherchait à alléger son malheur. Elle facilita les rentrées au grenier de Pyrame, le détachant lorsqu’il geignait à la chaîne.

Quand le mal ne torturait pas trop Hermine, elle s’accommodait de cette vie, entre le chien qui la regardait comme si elle avait été pour lui tout l’univers, et cette servante qui ne lui disait jamais rien, et chez laquelle elle apercevait une bonté complaisante. Surtout la pensée de Jean la faisait vivre avec héroïsme et joie cette existence de solitaire et de martyre.

Pendant les jours qui se passèrent ainsi, sa sensibilité alla s’exaltant. Elle devint une possédée de l’idée fixe, perdue dans le songe, écrivant parfois, pensant à Jean. Son mari, qui avait voulu la mortifier et la torturer, ne se douta pas que les heures qu’elle vivait là étaient les plus chers instants de sa vie de femme.

Il ne se gêna plus, installa définitivement la servante qui avait toute autorité dans la maison, et qui fut alors, pour tout le monde, Mme Jarry. Hermine, elle, était devenue la « mère Caillère ».