Hermès Trismégiste (trad. Ménard)/Fragments divers

Traduction par Louis Ménard.
Didier et Cie, libraires-éditeurs (p. 271-284).


FRAGMENTS DIVERS

I


Il y a donc l’essence, la raison, l’intelligence, la perception. L’opinion et la sensation se portent vers la perception, la raison vers l’essence, la pensée marche par elle-même. La pensée est associée à la perception. Unies l’une à l’autre, elles deviennent une seule forme, qui est celle de l’âme. L’opinion et la sensation se portent aussi vers la perfection, mais elles ne restent pas dans le même état, il y a excès, défaut, différence. En se séparant de la perception elles se détériorent, en s’en rapprochant et la suivant, elles participent de la raison intellectuelle par les sciences. Nous avons le choix, il dépend de nous de choisir le meilleur ou le pire par notre volonté. Le choix du mal nous rapproche de la nature corporelle et nous soumet à la destinée. L’essence intellectuelle qui est en nous étant libre, la raison intellectuelle est libre aussi, toujours identique à elle-même, et indépendante de la destinée. En suivant la raison première et intelligente, établie par le premier Dieu, elle est au-dessus de l’ordre établi par la nature sur les êtres créés, mais l’âme qui s’attache à ceux-ci participe à leur destinée, quoique étrangère à leur nature.

(Stobée, Éclogues morales, viii, 31.)


II
FRAGMENT DU LIVRE D’ISIS

Un reproche accepté, ô grand roi, inspire le désir de ce qu’on ignorait auparavant.

(Stobée, Florilegium, xiii.)

III
FRAGMENT DU LIVRE D’APHRODITE

Pourquoi les enfants naissent-ils semblables à leurs parents ? Est-ce l’effet de la parenté ? J’en dirai la raison. Quand la génération tire la semence du sang le plus pur, il arrive qu’une certaine essence s’échappe de tout le corps par une divine énergie, comme si le même homme était engendré. La même chose arrive dans la femme. Quand l’effluve de l’homme domine et demeure intact, l’enfant ressemble au père ; dans le cas contraire, à la mère. Si quelque partie est plus abondante, la ressemblance se produit dans cette partie. Il arrive que pendant une longue suite de générations les enfants ressemblent à celui qui les a engendrés, quand le même Décan a présidé à l’heure de la conception.

(Stobée, Ecl. phys., xlv, 2.)

IV


Il y a donc une préexistence au-dessus de tous les êtres et de ce qui est réellement. La préexistence est ce par quoi l’essentialité universelle est commune à tous les êtres intelligibles véritablement existants, et aux êtres pensés en eux-mêmes. Leurs contraires, conçus par opposition, sont aussi en eux-mêmes (?). La nature est l’essence sensible ayant en elle-même tous les objets sensibles. Au milieu sont les Dieux intellectuels et les Dieux sensibles. Les concepts de l’intelligence sont en rapport avec les Dieux intelligibles, les choses d’opinions avec les Dieux sensibles, qui sont les images des intelligences ; par exemple, le soleil est l’image du Dieu céleste et créateur. Car, de même que celui-ci a créé l’univers, le soleil crée les animaux, produit les plantes [et gouverne les fluides ? ].

(Stobée, Ecl. phys., xliii, 11.)
C’est pourquoi, que l’œil incorporel sorte du corps pour contempler le beau ; qu’il s’élève et contemple non la figure, non le corps, non l’apparence, mais ce qui peut tout, ce qui est calme, tranquille, solide, immuable, ce qui est tout, seul et unique, ce qui est par soi-même et en soi-même, semblable à soi-même et non différent.

Si tu comprends cet unique et seul bien, tu ne trouveras rien impossible, car il est toute vertu. Ne pense pas qu’il soit dans quelqu’un, ne dis pas qu’il est hors de quelqu’un. Il est sans terme, il est le terme de tout. Rien ne le contient, il contient tout en lui. Quelle différence y a-t-il entre le corps et l’incorporel, le créé et l’incréé, ce qui est soumis à la nécessité et ce qui est libre, entre les choses terrestres et les choses célestes, les choses corruptibles et les choses éternelles ? N’est-ce pas que les unes existent librement et que les autres sont soumises à la nécessité ? Ce qui est en bas est imparfait et corruptible.

(Cyrille, Contre Julien.)

V
FRAGMENT DU LIVRE Ier DES DIGRESSIONS

Veux-tu nous expliquer la naissance du soleil, et d’où il est venu ?

— Le Seigneur de toutes choses cria tout à coup de sa parole sainte, intelligente et créatrice : « Que le soleil soit ! » Et en même temps qu’il parlait, la nature suscita par son souffle et fit sortir de l’eau le feu pur, brillant, actif et fécond.

Et, continua-t-il, Osiris dit : Ensuite, ô très-grand bon Démon, comment apparut toute la terre ? Et le grand bon Démon dit : La concrétion et le dessèchement des éléments dont j’ai parlé, et l’ordre donné à la masse des eaux par l’Intelligence de se retirer sur elles-mêmes, fit paraître toute la terre, bourbeuse et tremblante. Le soleil continuant à briller et ne cessant pas de chauffer et de dessécher, la terre s’affermit dans les eaux qui l’enveloppaient. Et Dieu dit de sa sainte parole : « Croissez en accroissement et multipliez en nombre[1], toutes mes œuvres et mes créations. »

(Cyrille, Contre Julien.)

VI


La pyramide est placée sous la nature et le monde idéal. Elle a un chef établi au-dessus d’elle, le verbe créateur du maître universel, qui est après lui la première puissance incréée, infinie, sortie de lui et préposée à toutes ses créations. Il est le rejeton du très-parfait, le fécond, le fils légitime, [mais tu ne l’as pas compris[2]]. La nature de ce verbe intelligent est une nature génératrice et créatrice. C’est comme sa génération, ou sa nature, ou son caractère, appelle-le comme tu voudras. Pense seulement ceci, qu’il est parfait dans le parfait et sorti du parfait, qu’il fait des œuvres parfaitement bonnes, et qu’il est l’auteur de la création et de la vie. Puisque telle est sa nature, il est bien nommé.


Sans la providence du seigneur de l’univers qui me fait révéler ce discours, vous n’auriez pas un si grand désir de rechercher ces choses. Maintenant, écoutez la fin de ce discours. Cet esprit dont j’ai souvent parlé est nécessaire à tout ; car il porte tout, il donne la vie à tout, il nourrit tout. Il coule de la source sainte et vient sans cesse en aide aux esprits et à tous les êtres vivants.

(Cyrille, Contre Julien.)

VII


On lit dans le Lexique de Suidas :
Hermès Trismégiste. C’était un sage égyptien antérieur à Pharaon. Il fut appelé Trismégiste (trois fois très-grand), parce qu’il a dit que dans la triade (trinité) il y a une seule divinité :

« Ainsi était la lumière idéale avant la lumière idéale, et toujours était l’intelligence lumineuse de l’intelligence, et son unité n’était pas autre chose que le fluide (esprit) enveloppant l’univers. Hors de lui, ni Dieu, ni anges, ni aucune autre essence, car il est le seigneur de toutes choses et le père et le Dieu[3], et tout dépend de lui et est en lui. Son verbe parfait, générateur et créateur étant tombé dans la nature génératrice et dans l’eau génératrice, rendit l’eau féconde… »

Ayant ainsi parlé, il se leva et dit : « Je t’adjure, ciel, œuvre sage du grand Dieu, je t’adjure, voix du père, qu’il a prononcée la première quand il a fabriqué le monde universel ; je t’adjure par le verbe, fils unique du père qui embrasse toutes choses, sois propice, sois propice. »

Ce fragment, dans l’édition de Patrizzi (XX, page 51), est précédé par cette phrase :

Il n’est pas permis de communiquer de tels mystères à ceux qui ne sont pas initiés. Écoutez avec l’intelligence.

Dans la suite du morceau, Patrizzi introduit encore d’après Cyrille et Cédrenus, quelques variantes qui rendent la pensée un peu plus obscure. Dans l’invocation qui termine le fragment, il est facile de reconnaître, sous une forme altérée, des vers orphiques cités par saint Justin et qu’on trouve dans le fragment V des Poésies orphiques.

VIII


Sept astres errants circulent dans les routes de l’Olympe, et avec eux est filée l’éternité. La Lune qui brille la nuit, le lugubre Kronos, le doux Soleil, la Paphienne, protectrice de l’hymen, le courageux Arès, le fécond Hermès, et Zeus, principe de la naissance, source de la nature. Les mêmes ont reçu en partage la race humaine, et il y a en nous la Lune, Zeus, Arès, Aphrodite, Kronos, le Soleil, Hermès. Aussi tirons-nous du fluide éthéré les larmes, le rire, la colère, la parole, la génération, le sommeil, le désir. Les larmes c’est Kronos, Zeus la génération, Hermès la parole. Arès le courage, la Lune le sommeil, Kythérée le désir, le Soleil le rire, car c’est lui qui égaie la pensée humaine et le monde infini.

(Stobée, Ecl. phys., vi, 14.)
Ce morceau est en vers, ce qui fait supposer à Heeren que c’est un fragment orphique. Il me semble qu’on pourrait plutôt le rapprocher des Apotélesmatiques de Manéthon.

IX


On lit dans les Institutions divines de Lactance, II, 15 :

« Hermès affirme que ceux qui connaissent Dieu sont à l’abri des attaques du démon, et qu’ils ne sont pas même soumis au destin :

Le seul préservatif, dit-il, est la piété ; ni le mauvais démon, ni la destinée n’ont de pouvoir sur l’homme pieux, car Dieu le garantit de tout mal ; le seul et unique bien pour l’homme est la piété.

« Ce que c’est que la piété, il l’explique ailleurs en ces termes :

La piété est la connaissance de Dieu.

« Asclèpios, son disciple, expose plus longuement la même pensée dans le discours d’initiation qu’il adresse au roi. L’un et l’autre affirment que les démons sont ennemis de l’homme et lui font du mal. Aussi Trismégiste les appelait-il les mauvais anges. »
Les autres passages cités par Stobée, Lactance et Cyrille sont empruntés aux écrits hermétiques qui nous sont parvenus et qui forment les deux premiers livres de cette traduction. Les deux fragments donnés par Patrizzi, page 51, et dont Fabricius n’indique pas l’origine, sont des citations faites par Lactance du Discours d’initiation.
  1. Le même pléonasme se retrouve dans deux autres livres hermétiques, le Poimandrès et le Discours sacré. La Genèse dit simplement : « Croissez et multipliez. »
  2. Cette phrase paraît la remarque d’un chrétien, transportée dans le texte par un copiste.
  3. Variante : et la source et la vie, et la puissance et la lumière, et l’intelligence et l’esprit.