Hegel et la Philosophie allemande/Introduction

INTRODUCTION



CHAPITRE Ier.

KANT, FIGHTE ET SGHELLING.

La philosophie, ainsi que les autres sciences, dépend des circonstances historiques au sein desquelles elle se développe. Si les problèmes qui lui sont posés dérivent de la nature même de l’homme et de l’ordre des rapports universels, les solutions qu’elle y apporte sont un fruit du temps et portent l’empreinte profonde de l’époque qui les a vus naître. De toutes les influences qui la dominent, la plus puissante et la plus directe est celle de la religion ; car le terrain des questions religieuses est le même que celui des questions philosophiques. C’est ainsi que les cosmogonies et les théories métaphysiques des anciens décèlent les souvenirs des traditions primitives de l’humanité ; c’est ainsi que de nos jours la philosophie ne fait que reproduire et expliquer les dogmes essentiels du christianisme. Lors même qu’elle prétend s’affranchir des croyances révélées, elle tourne dans le cercle que ces croyances ont tracé à l’intelligence humaine ; elle compte parmi ses plus hauts mérites de s’être rencontrée avec elles, d’avoir prouvé, par exemple, l’existence de Dieu, la Trinité, l’immortalité de l’âme ; et quand elle leur est complètement hostile, quand elle tend à les renverser et à prendre leur place, elle n’a de puissance que pour détruire, elle ne parvient qu’à opposer des négations stériles aux affirmations pleines de vie dans lesquelles les nations chrétiennes puisent leur force et leur grandeur.

Les croyances chrétiennes constituent en effet la raison commune de notre temps. En elles est le principe de la civilisation moderne, la cause des progrès accomplis depuis dix-huit siècles, le germe des progrès futurs. En elles se trouvent la loi et la mesure de tout ce qui peut être bon et utile à l’avenir de l’humanité ; c’est en elles aussi que nous chercherons la règle suivant laquelle nous apprécierons la philosophie allemande.

Loin de nous, cependant, la pensée de juger les doctrines philosophiques au nom des dogmes de l’Église, de vouloir que la raison se soumette aveuglément à la foi. Toute la vérité est dans le catholicisme sans doute ; mais l’opinion générale exige avec justice et comme un droit des temps modernes que la foi porte ses preuves avec elle, et qu’elle s’établisse par une discussion libre et éclairée. Pourquoi nous engager, d’ailleurs, sur le terrain dogmatique quand les croyances communes nous en offrent un autre, parfaitement approprié au but que nous voulons atteindre ?

Ce terrain est celui de la morale. La morale chrétienne, en effet, l’ensemble des règles pratiques de l’Évangile, n’est mise en doute par personne, pas même par ceux qui ne la croient pas révélée et qui veulent la reconstruire au nom de la raison ; elle est le point commun où se rencontrent les opinions les plus divergentes, elle est la base inébranlable que nul n’ose attaquer. Les masses ne fondent leurs jugements que sur elle, et c’est à cause de la certitude profonde qu’elles y puisent que la voix du peuple a été appelée la voix de Dieu. Ce critérium du peuple sera le nôtre ; il sera pour nous le principe premier, admis sans preuve, au nom duquel nous examinerons la philosophie allemande. Il peut paraître étrange que nous jugions des questions métaphysiques au nom de la morale ; il serait bien plus étrange encore que la morale fût indifférente aux notions sur Dieu, sur le libre arbitre, sur l’immortalité de l’âme. Or, si dans cet ordre de connaissances la morale est d’un poids décisif, comment serait-elle sans rapport aux notions plus abstraites de causalité, de substance, d’infini, etc., qui servent de fondement aux premières ? Tout ce qui peut être ramené directement ou indirectement à la morale tombe sous sa compétence, et nous aurons l’occasion de faire voir qu’il n’est pas une seule des questions importantes de la métaphysique qui ne trouve en elle sa solution[1].

D’ailleurs le sujet qui doit nous occuper est plus que tout autre de son domaine. La doctrine de Hegel est une systématisation du panthéisme. C’est encore, sous une forme nouvelle, cette ancienne doctrine de l’unité de substance, de l’identité de tous les êtres en Dieu, qui si souvent a envahi la philosophie. Or il est un fait qui doit frapper tout homme sérieux, c’est que cette doctrine, qui a été tant de fois reproduite, qui fut nettement formulée dès plus haute antiquité, qui dans les temps anciens et modernes s’est représentée cent fois sous des aspects divers, c’est que cette doctrine a constamment été repoussée par l’humanité, qu’elle a le plus souvent soulevé contre elle l’opinion publique, que toujours ses auteurs sont restés isolés au milieu d’un petit nombre d’adeptes. Les progrès accomplis pendant les siècles ont été accomplis hors d’elle et malgré elle. Vis-à-vis des doctrines fécondes et productives qui ont successivement dominé l’activité des peuples, elle a été le principe éternellement identique à lui-même de la négation et de l’immobilité. Dans l’Inde, le panthéisme a anéanti toutes les forces actives de la nationalité indoue, dont tant de monuments attestent la puissance passée ; en Grèce, les éléates n’ont abouti qu’aux sophistes, les néo-platoniciens à la négation du christianisme. À une époque plus récente, Spinosa a attiré sur lui l’indignation universelle. Ces jugements de l’humanité sont de quelque poids dans la balance, et le sentiment moral qui les a dictés y a fait éclater sa haute intelligence et son autorité.

Avant d’exposer le système de Hegel, nous devons parler de ses prédécesseurs ; car dans la philosophie allemande moderne, les systèmes se sont succédé suivant un ordre logique et nécessaire, et chacun d’eux procédait en ligne directe du précédent. La clef de la doctrine de Hegel se trouve dans Kant, Fichte et Schelling ; il importe donc avant tout de faire connaître les résultats ou ceux-ci étaient arrivés.


Le système de Kant est un grand événement dans l’histoire de la philosophie ; c’est le résultat de l’activité de tout un peuple, le résumé de la pensée de toute une religion. Ce peuple, c’est l’Allemagne ; cette religion, c’est le protestantisme. Kant a été dans la haute philosophie l’initiateur d’un mouvement nouveau : il a transporté dans la métaphysique le principe du protestantisme ; il a créé la philosophie protestante ; il a fait plus : comme c’était un penseur profond et un logicien sévère, il a poussé aussitôt son principe au bout, il l’a élevé à la hauteur la plus périlleuse ; tellement périlleuse, qu’il n’était plus possible de s’y tenir après lui, et que ceux qui ont voulu le suivre ont été entraînés dans l’abime où la philosophie perd tout caractère historique, dans l’hérésie de tous les temps et de tous les lieux, dans le néant du panthéisme.

Ce qui distingue le protestantisme, c’est la négation de toute autorité supérieure à la raison individuelle, « Je ne croirai que je me suis trompé, que lorsqu’on me l’aura prouvé, » a dit Luther à la diète de Worms : nul n’était donc tenu d’accepter les croyances des autres, de se soumettre aux mêmes devoirs qu’eux ; chacun était juge suprême et infaillible en toutes choses ; le moi se faisait centre et coordonnait tout de son point de vue. Or, ce que Luther a fait en religion, Kant l’a fait en philosophie. Jusque-là il avait existé un fonds commun de faits acquis, de notions reçues ; il était une base de la discussion hors de discussion elle-même ; personne n’avait porté le doute sur les moyens mêmes du raisonnement ; une partie des règles de la logique, les idées générales de la métaphysique, certaines données ontologiques et morales, étaient restées à l’abri de toute attaque ; les nier, c’était nier le langage dont on se servait, c’était s’interdire la faculté de penser. Kant les jugea au point de vue du moi, et elles s’écroulèrent toutes comme un vain échafaudage. Descartes aussi avait fait du cogito, ergo sum, le commencement de la philosophie ; mais malgré sa prétention de faire table rase, il n’avait renoncé ni au langage ni aux notions métaphysiques qui lui sont inhérentes. Dans l’idée du moi il voyait celle de l’être et de la pensée, et il ne s’en servait que pour passer immédiatement à l’idée de Dieu, la véritable base de sa philosophie. La formule première de Descartes était protestante, mais le sentiment qui la développa fut tout catholique. Kant raisonna plus rigoureusement ; il s’est dit : J’existe et je pense ; donc je ne puis connaître que mon existence et ma pensée.

Le système de Kant est assez connu en France pour que nous puissions nous dispenser d’une exposition détaillée ; il suffira d’en rappeler les conclusions générales.

Kant reconnut qu’il existe des idées a priori, des idées générales et nécessaires, qui ne peuvent être fournies par l’expérience ; mais il voulut démontrer que ces idées n’étaient que des formes, des conditions de la pensée, et qu’elles ne prouvaient rien quant aux objets extérieurs. Il tenta, à l’égard de la métaphysique, ce que Copernic avait tenté avec succès à l’égard du système du monde. De même que celui-ci avait prouvé que c’était nous qui tournions au lieu du ciel, Kant essaya de démontrer que c’étaient les propriétés de notre propre esprit que nous attribuions aux objets extérieurs. Toutes nos idées a priori sont des modes d’activité du sujet pensant, toutes sont subjectives ; nécessaires pour que l’expérience soit possible, elles n’ont aussi d’autre but que de rendre l’expérience possible ; mais elles ne nous apprennent rien quant aux objets de l’expérience, elles n’ont aucune valeur objective.

Pour vérifier son hypothèse, Kant analyse toutes les notions a priori.

Ce sont d’abord celles qui accompagnent toute perception sensible, les notions qui résultent de l’espace et du temps. Tout objet est nécessairement dans un lieu, tout phénomène se passe dans un temps. Le temps et l’espace sont les conditions de toutes nos perceptions sensibles ; or, le temps et l’espace ne peuvent être des réalités hors de nous ; ils ne peuvent être non plus des résultats de l’expérience. Ce sont donc des formes mêmes de notre esprit, les formes du sens extérieur.

Viennent ensuite les notions inhérentes à notre faculté de juger. Le jugement a pour but de résumer sous une unité des aperceptions multiples. L’intuition d’une rose, par exemple, fournira une diversité d’impressions ; par un jugement, nous placerons l’unité dans ces impressions en les comprenant sous l’idée de substance : l’idée de substance est donc inhérente à notre faculté de juger même. Il est autant d’idées de ce genre, de catégories, qu’il est de formes du jugement. Kant le réduit à douze principales.

Aucune de ces idées n’est objective, car elles précèdent nécessairement les impressions des objets qu’elles sont destinées à lier. Toutes sont résumées, dans ce que Kant appelle l’aperception pure ou l’unité transcendantale de la conscience, c’est-à-dire dans l’idée je pense qui accompagne toutes nos représentations, qui est le lien primitif, la synthèse véritable, et dont les jugements ne sont que des formes et des modes.

Par cette déduction, Kant niait donc la réalité extérieure des rapports métaphysiques sur lesquels reposent toutes nos connaissances, des idées d’unité, de pluralité, d’existence, de réalité, de négation, de substance et d’accident, de cause et d’effet, de possibilité, de nécessité, de contingence, etc.

Ce n’est pas seulement la perception sensible et le jugement qui fournissent des idées a priori que nous appliquons indûment aux objets ; le raisonnement en produit aussi une partie, ce que Kant appelle proprement idées. La raison, dans son usage logique, a constamment pour but de ramener chaque principe sous un principe plus élevé, de ranger chaque connaissance sous une connaissance plus générale qui soit la condition de la première. Or, le raisonnement affecte trois formes, toutes trois soumises à cette loi générale : suivant l’une, on cherche un sujet qui ne soit pas lui-même attribut ; suivant la seconde, une causalité qui ne soit pas effet ; suivant la troisième, un être qui ne soit pas une subdivision d’un autre être, l’Être des êtres. À la première correspond l’idée du sujet pensant, de la substance une et immatérielle ; à la seconde, celle de l’ensemble de tous les phénomènes, du monde ; à la troisième, celle de l’Être absolu, de Dieu.

Or, ces idées sont aussi subjectives que les intuitions sensibles et les notions métaphysiques. Elles sont le produit de sophismes nécessaires, le résultat de la loi imposée à la raison de s’élever à des conditions de plus en plus hautes. Il est impossible d’affirmer la réalité objective de l’unité de l’âme, de la création du monde et de l’existence de Dieu.

Telle fuit la méthode par laquelle Kant entreprit de renverser les fondements de la logique humaine. Le moi servit de point de départ ; toute la déduction roula sur le moi ; le moi se retrouve à la fin, posé seul en face de lui-même, après avoir détruit son unité, Dieu et le monde. Chacun était en droit de conclure de ce système qu’il n’était d autre certitude que celle de son existence et de sa raison personnelle. Le sentiment qui avait guidé les maîtres du protestantisme était élaboré théoriquement.

Kant essaya, il est vrai, de reconstruire les idées de Dieu et de l’immortalité de l’âme sur des bases morales ; mais combien son édifice est peu solide ! Le but que, suivant lui, la morale propose à l’homme, c’est d’arriver à une liberté complète, à un état où l’esprit ne se détermine que par lui-même, par le sentiment de sa liberté et indépendamment de toutes les impulsions étrangères. Or, suivant lui, c’est là un idéal placé à l’infini et qui suppose une vie infinie ; et comme la nature est indépendante et que le bien suprême suppose nécessairement l’harmonie entre la vertu qui est de l’homme et le bonheur dont les conditions sont dans la nature, il faut pour établir cette harmonie un être qui soit en même temps cause de la nature et de l’homme, Dieu. Ces affirmations du système pratique étaient bien faibles à côté des négations de la théorie critique ; les résultats étaient absolument contradictoires ; et du point de vue philosophique, la raison du logicien devait prévaloir sur les convictions de l’honnête homme. Nous aussi nous croyons que l’ontologie peut être déduite de la morale ; mais c’est en commençant par la morale, et non après l’avoir rendue impossible en ruinant la logique au profit du moi.

Le défaut du système de Kant, et, à sa suite, de toute la philosophie allemande, réside dans le point de départ même. C’est parce qu’on a supposé que la conscience de soi-même était un fait primitif, universel et absolu, un fait qui ne manque dans aucun homme, et qui emporte toujours sa certitude avec lui, c’est à cause de cette supposition, si bien en rapport avec le dogme fondamental du protestantisme, la suprématie de la raison individuelle, qu’on a concentré les recherches sur cette conscience, et qu’on s’est trouvé enfermé dans le cercle qu’on s’était tracé. Or c’était à tort ; la conscience de soi n’est pas un fait de conscience plus primitif, plus certain que tous les autres faits de conscience ; il est un résultat de l’enseignement ; il dépend de conditions organiques, et peut manquer quelquefois. D’ailleurs la philosophie allemande l’a dépassé elle-même, et s’est vue forcée, comme nous le verrons, de revenir sur la valeur qu’elle lui accordait d’abord. Ce fait était donc dans le cas de tous les principes premiers qui servent de fondement aux systèmes philosophiques, il était accepté de foi. Une philosophie catholique aurait choisi une autre croyance pour point de départ.


Dans la pensée de Kant, son système était définitif ; mais il était évident qu’on ne s’arrêterait pas à cette simple négation. Aujourd’hui que mille héritiers se sont partagé la succession, il ne subsiste qu’un résultat de son travail, c’est la question posée. Le criticisme pur a été repoussé ; mais la direction qu’il avait imprimée a été suivie, la question a été maintenue rigoureusement dans les termes nouveaux qui en étaient la conséquence. C’est de là que le système de Kant tire sa grande importance ; c’est par là qu’il a exercé une influence dominante sur la philosophie allemande.

Voici, en effet, les termes généraux sur lesquels la discussion ne cessa de rouler depuis :

1o La question du rapport entre le sujet et l’objet, de la subjectivité et de l’objectivité devint la question fondamentale, la donnée primitive dont on ne sortit plus.

2o Pour résoudre ce problème, il était nécessaire de pénétrer l’essence même des choses, et toutes les recherches furent portées sur ce point.

3o Le but pratique de la philosophie fut donc complètement perdu de vue, et la science absolue devint le but à atteindre.

4o On considéra comme non avenus tous les résultats de la philosophie antérieure, comme problématiques toutes les notions reçues par le langage universel ; l’œuvre proposée fut de reconstruire a priori tout le système des connaissances humaines.

5o Le moi fut accepté comme la base nécessaire de ce nouvel édifice.

6o La seule solution possible d’une question ainsi posée était le panthéisme.

Chacun de ces points demande quelques mots d’explication.

L’attaque dirigée par Kant contre l’objectivité de nos connaissances était rude, et certes la force et l’habileté qu’il y avait déployées pouvaient porter le trouble dans les esprits. Cependant il était dur d’accepter ce résultat, et le sentiment naturel de chacun devait y répugner. On conçoit donc que cette solution ait soulevé de vives résistances ; le tort qu’on eut fut d’accepter la question ; il est évident que du point de vue moral et pratique elle ne peut même être posée. Il est vrai que nous n’entendons pas la morale exactement comme les philosophes allemands ; ainsi que nous le verrons plus tard, la morale a un sens bien vague pour eux ; c’est une manière d’agir conforme à la raison, et dont l’expression est dans les mœurs. Pour nous la morale c’est l’ensemble des préceptes sur lesquels nous devons régler notre conduite, c’est avant tout une loi qui nous oblige. Or il est impossible de concevoir une obligation sans admettre au moins deux êtres, l’un qui doit l’obligation, l’autre à qui elle est due ; une obligation envers soi-même est un non-sens, et si la morale comprend des devoirs envers nous-mêmes, c’est que ces devoirs nous sont imposés par Dieu. Il suffit donc d’accepter la morale comme obligatoire, de concevoir qu’elle est une loi, pour être forcé de reconnaître l’existence d’un législateur placé hors de nous. Si, comme le veut l’école allemande, on en fait une manière d’agir, on la pose inhérente à notre raison même ; elle cesse d’être loi morale, elle devient une loi fatale et nécessaire, une impulsion pour ainsi dire physique ; mais ceci n’est possible qu’en théorie. De fait, la morale est toujours proposée à des êtres libres, on peut lui obéir ou lui désobéir, et la théorie fataliste n’a d’autre conséquence pratique que de faire croire à ceux qui l’admettent qu’ils ne sont obligés vis-à-vis de personne. La morale bien comprise pose donc l’objectivité en se posant elle-même ; elle suppose aussi l’objectivité du législateur, de Dieu ; elle pose aussi celle de l’homme et du monde, car elle détermine des actes relatifs à un milieu donné ; et si l’activité et le milieu n’existaient pas, ses préceptes seraient impossibles. Pour l’homme qui veut agir, la question de l’objectivité est donc parfaitement oiseuse. Aussi je ne sache pas qu’elle ait fortement préoccupé les esprits en France, quoiqu’on y soit familiarisé depuis assez longtemps avec la doctrine de Kant. En Allemagne, on s’y est jeté à corps perdu. Pendant près de cinquante ans on s’est épuisé en efforts contre ces barrières infranchissables ; tout le langage philosophique a été bouleversé dans cette stérile élaboration, et aujourd’hui encore, quoique les termes de la question aient tant soit peu changé, le problème posé est toujours le même au fond, on tourne toujours dans ce cercle sans issue.

La solution demandée poussait à s’enquérir de l’essence des choses. Le phénomène était donné, mais le substratum du phénomène était déplacé ; au lieu du monde, c’était le moi qui le supportait, une incertitude complète remplaçait toutes les notions reçues sur les fondements de l’être. Il Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/34 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/35 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/36 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/37 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/38 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/39 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/40 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/41 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/42 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/43 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/44 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/45 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/46 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/47 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/48 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/49 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/50 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/51 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/52 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/53 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/54 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/55 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/56 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/57 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/58 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/59 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/60 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/61 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/62 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/63 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/64 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/65 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/66 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/67 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/68 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/69 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/70 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/71 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/72 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/73 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/74 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/75 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/76 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/77 Page:Ott - Hegel et la Philosophie allemande, 1844.djvu/78 continuel entre le magnétisme et l’électricité. La nature cherche à établir l’unité dans son sein, mais n’y parvient pas dans cette modification incessante. Ce n’est que lorsque la lumière la pénètre à une puissance plus haute, lorsque le souffle vital est donné, que le processus chimique conclut à une réalité plus élevée. Ainsi la nature s’élève à la troisième puissance, A3 à la vie, à l’organisation. Dans l’organisme, le principe positif est représenté par l’irritabilité, le principe négatif par la sensibilité. Tous les deux sont résumés dans l’instinct, la plus haute expression de la réalité objective.

Dans l’organisme le plus parfait, dans l’homme, c’est l’esprit, la raison, le côté idéel qui se présente comme dernier produit, et ainsi l’ordre objectif aboutit à l’ordre idéel et y rentre.

À côté des puissances de l’ordre objectif se place le système général du monde, qui n’est pas une puissance particulière, mais un ensemble de toutes. Il en est de même pour l’homme, qui est le microcosme.

Le système de la nature était l’object de prédilection de Schelling, et il y revint à plusieurs reprises. Il ne consacra pas les mêmes études au côté idéel de sa philosophie, si ce n’est dans les derniers temps. Le système des puissances n’y fut pas transporté de la même manière ; cependant on établit aussi une série correspondant aux puissances de l’ordre objectif. En voici les termes :

1o L’idée, la connaissance ; elle a sa réalisation dans la science.

2o L’action, la volonté, auxquelles répondent la société et l’histoire.

3o L’art, qui constitue le point de passage idéel entre la subjectivité et l’objectivité ; l’art qui spiritualise la matière et matérialise l’esprit.

Dans un ouvrage postérieur on donne pour premier terme la vérité avec la science ; pour deuxième, la bonté avec la religion ; pour troisième, la beauté avec l’art ; l’histoire et la société sont placées en dehors, comme l’univers et l’homme dans le côté objectif.

Au-dessus de tout ordre, et dominant l’idéel et l’objectif, apparaissent la raison et la philosophie, expressions de l’absolu lui-même, moments du retour dernier, de la réunion suprême des parties dispersées de l’unité universelle.

Tel est l’ensemble de l’ancien système de Schelling. Une école nombreuse le développa et relit les sciences physiques et naturelles d’après ses données générales. Mais cette application ne consista qu’à soumettre toute chose à la formule de la polarité et des puissances ; elle dégénéra en un schématisme vide et monotone qui finit par dégoûter ceux mêmes qui en avaient donné l’initiative. Quant à des applications morales et sociales il n’en contenait pas ; c’était le fatalisme le plus rigoureux et le plus inflexible ; toute pensée était reportée sur l’absolu, et les buts matériels de cette vie disparaissaient dans cette lumière de l’intuition divine.

Il est certain que ce système primitif de Schelling est le panthéisme complet, le panthéisme avec toutes ses conséquences : la personnalité de Dieu et l’immortalité de l’âme sont niées ; la nécessité préside à toutes les manifestations existantes ; la question du mal, cette grande question posée sans cesse à l’homme, la question du mal est effacée. Sous une forme différente, avec une apparence scientifique et une enveloppe sentimentale de plus, la conclusion en est la même que celle du matérialisme le plus vulgaire.

Schelling ne s’en tint pas là. Sous l’influence de la réaction religieuse et mystique qui se fit en Allemagne pendant le règne impérial, il revêtit son hypothèse d’une couleur chrétienne et mystique. Ses écrits de cette époque se ressentent de la lecture de Platon et du panthéiste allemand du seizième siècle, de Jacob Böhme. La manifestation actuelle de l’absolu se trouve précédée d’une manifestation plus pure, plus vraie, plus idéelle, qui rappelle l’idée archétype de Platon. La génération actuelle des hommes a été précédée d’une génération d’esprits supérieurs qui ont guidé les premiers pas de l’humanité. La manifestation de l’absolu dans la nature et dans l’humanité actuelle est une chute ; elle est la dispersion, l’aliénation de l’absolu ; celui-ci revient à lui-même par le développement spirituel de l’humanité, par les révélations dont tous les grands hommes sont l’instrument, et dont l’apparition du Christ est la manifestation suprême, l’expression absolue. En même temps Schelling commença à traiter les questions de la liberté, du mal y de la personnalité, et essaya de rattacher les affirmations fondamentales du Christianisme à son système. Ce système nouveau, qui, suivant l’auteur, est toujours le même que l’ancien, et où il prétend n’avoir sacrifié aucune de ses idées fondamentales, n’est pas encore connu. C’est celui qu’il expose actuellement dans les cours qu’il fait à Berlin. Depuis trente ans il l’élabore ; certes ce n’est pas trop pour le but qu’il se propose, pour concilier l’inconciliable et lier la négation catégorique et l’affirmation catégorique en une seule unité.

Mais toute cette seconde partie du développement philosophique de Schelling n’est pas de notre sujet. Nous n’avons voulu faire connaître que les précédents de Hegel. La philosophie protestante, la philosophie du moi avait suivi l’impulsion donnée par Kant ; elle aboutissait à l’affirmation du panthéisme, c’était sa conséquence dernière. Mais si par Schelling le panthéisme était posé nettement et franchement, il n’était que posé ; c’était une affirmation sans preuve, établie seulement en vertu d’une intuition contemplative. Il fallait le démontrer aussi : ce fut l’œuvre que se proposa Hegel.

  1. Nous n’avons l’intention ici que de déclarer notre critérium et non de le démontrer. Cette démonstration a été donnée avec tous les développements nécessaires, par M.  Bûchez, Essai d’un traité de Philosophie, t. II.