Han d’Islande/Chapitre XL

Han d’Islande, Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; OllendorffRoman, tome I (p. 266-273).
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XL


Brûle donc qui voudra sous ces feux couverts !
Brantôme[1]



— Ma fille, ouvrez cette fenêtre ; ces vitraux sont bien sombres, je voudrais voir un peu le jour.

— Voyez le jour, mon père ! la nuit approche à grands pas.

— Il y a encore des rayons de soleil sur les collines qui bordent le golfe. J’ai besoin de respirer cet air libre à travers les barreaux de mon cachot. — Le ciel est si pur !

— Mon père, un orage vient derrière l’horizon.

— Un orage, Éthel ! où le voyez-vous ?

— C’est parce que le ciel est pur, mon père, que j’attends un orage.

Le vieillard jeta un regard surpris sur la jeune fille.

— Si j’avais pensé cela dès ma jeunesse, je ne serais point ici.

Puis il ajouta d’un ton moins ému :

— Ce que vous dites est juste, mais n’est pas de votre âge. Je ne comprends point comment il se fait que votre jeune raison ressemble à ma vieille expérience.

Éthel baissa les yeux, comme troublée par cette réflexion grave et simple. Ses deux mains se joignirent douloureusement, et un soupir profond souleva sa poitrine.

— Ma fille, dit le vieux captif, depuis quelques jours vous êtes pâle, comme si jamais la vie n’avait échauffé le sang de vos veines. Voilà plusieurs matins que vous m’abordez avec des paupières rouges et gonflées, avec des yeux qui ont pleuré et veillé. Voilà plusieurs journées, Éthel, que je passe dans le silence, sans que votre voix essaie de m’arracher à la sombre méditation de mon passé. Vous êtes auprès de moi plus triste que moi ; et cependant vous n’avez pas, comme votre père, le fardeau de toute une vie de néant et de vide qui pèse sur votre âme. L’affliction entoure votre jeunesse, mais ne peut pénétrer jusqu’à votre cœur. Les nuages du matin se dissipent promptement. Vous êtes à cette époque de l’existence où l’on se choisit dans ses rêves un avenir indépendant du présent, quel qu’il soit. Qu’avez-vous donc, ma fille ? Grâce à cette monotone captivité, vous êtes à l’abri des malheurs imprévus. Quelle faute avez-vous commise ? — Je ne puis croire que ce soit sur moi que vous vous affligiez : vous devez être accoutumée à mon irrémédiable infortune. L’espérance, à la vérité, n’est plus dans mes discours ; mais ce n’est pas un motif pour que je lise le désespoir dans vos yeux.

En parlant ainsi, la voix sévère du prisonnier s’était attendrie presque jusqu’à l’accent paternel. Éthel, muette, se tenait debout devant lui. Tout à coup, elle se détourna d’un mouvement presque convulsif, tomba à genoux sur la pierre, et cacha son visage dans ses mains, comme pour étouffer les larmes et les sanglots qui s’échappaient tumultueusement de son sein.

Trop de douleur gonflait le cœur de l’infortunée jeune fille. Qu’avait-elle donc fait à cette fatale étrangère, pour lui révéler le secret qui détruisait toute sa vie ? Hélas ! depuis que le nom de son Ordener lui était connu tout entier, la pauvre enfant n’avait pas encore pu livrer ses yeux au sommeil, ni son âme au repos. La nuit elle n’éprouvait d’autre soulagement que celui de pouvoir pleurer en liberté. C’en était donc fait ! il n’était point à elle, celui qui lui appartenait par tous ses souvenirs, par toutes ses douleurs, par toutes ses prières ; celui dont elle s’était crue l’épouse sur la foi de ses rêves. Car la soirée où Ordener l’avait si tendrement serrée dans ses bras n’était plus dans sa pensée que comme un songe. Et, en effet, ce doux songe, chacune de ses nuits le lui avait rendu depuis. C’était donc une tendresse coupable que celle qu’elle conservait encore malgré elle à cet ami absent ! Son Ordener était le fiancé d’une autre ! Et qui peut dire ce qu’éprouva ce cœur virginal quand le sentiment étrange et inconnu de la jalousie vint s’y glisser comme une vipère ? quand elle s’agita pendant les longues heures de l’insomnie sur son lit brûlant, se figurant son Ordener, peut-être en ce moment même, dans les bras d’une autre femme plus belle, plus riche et plus noble qu’elle ? — Car, se disait-elle, j’étais bien folle de croire qu’il avait été chercher la mort pour moi. Ordener est le fils d’un vice-roi, d’un puissant seigneur, et moi, je ne suis rien qu’une pauvre prisonnière ; rien, que l’enfant méprisée d’un proscrit. Il est parti, lui qui est libre ! et parti, sans doute, pour aller épouser sa belle fiancée, la fille d’un chancelier, d’un ministre, d’un orgueilleux comte ! — Mais il m’a donc trompée, mon Ordener ? ô Dieu ! qui m’eût dit que cette voix pût tromper ?

Et la malheureuse Éthel pleurait et pleurait encore, et elle voyait devant ses yeux son Ordener, celui dont elle avait fait le dieu ignoré de tout son être, cet Ordener paré de l’éclat de son rang, marchant à l’autel au milieu d’une fête, et se tournant vers l’autre avec ce sourire qui était jadis sa joie.

Cependant, au sein de son inexprimable désolation, elle n’avait pas un moment oublié sa tendresse filiale. Cette faible fille avait fait les plus héroïques efforts pour dérober son malheur à son infortuné père ; car c’est ce qu’il y a de plus douloureux dans la douleur que d’en comprimer l’explosion extérieure, et les larmes qu’on dévore sont bien plus amères que celles que l’on répand. Il avait fallu plusieurs jours pour que le silencieux vieillard s’aperçût du changement de son Éthel, et les questions presque affectueuses qu’il venait de lui adresser avaient enfin fait jaillir tout à coup ses larmes trop longtemps renfermées dans son cœur.

Le père regarda quelque temps sa fille pleurer avec un sourire amer, et en secouant la tête.

— Éthel, dit-il enfin, toi qui ne vis pas parmi les hommes, pourquoi pleures-tu ?

Il achevait à peine ces paroles que la noble et douce fille se releva. Elle avait, par je ne sais quelle puissance, arrêté les larmes dans ses yeux, qu’elle essuyait avec son écharpe.

— Mon père, dit-elle avec force, mon seigneur et père, pardonnez-moi ; c’était un moment de faiblesse.

Puis elle leva sur lui des regards qui s’efforçaient de sourire.

Elle alla au fond de la chambre chercher l’Edda, vint se rasseoir près de son père taciturne, et ouvrit le livre au hasard. Alors, calmant l’émotion de sa voix, elle se mit à lire ; mais sa lecture inutile passait sans être écoutée, ni d’elle, ni du vieillard.

Celui-ci fit un geste de la main.

— Assez, assez, ma fille.

Elle ferma le livre.

— Éthel, ajouta Schumacker, songez-vous encore quelquefois à Ordener ?

La jeune fille, interdite, tressaillit.

— Oui, continua-t-il ; à cet Ordener, qui est parti…

— Mon seigneur et père, interrompit Éthel, pourquoi nous occuper de lui ? Je pense, comme vous, qu’il est parti pour ne pas revenir.

— Pour ne pas revenir, ma fille ! Je n’ai pu dire cela. Je ne sais quel pressentiment m’avertit au contraire qu’il reviendra.

— Telle n’était point votre pensée, mon noble père, quand vous me parliez avec tant de défiance de ce jeune homme.

— En ai-je donc parlé avec défiance ?

— Oui, mon père, et je me range en cela de votre avis ; je pense qu’il nous a trompés.

— Qu’il nous a trompés, ma fille ! Si je l’ai jugé ainsi, j’ai agi comme tous les hommes qui condamnent sans preuve. Je n’ai reçu de cet Ordener que des témoignages de dévouement.

— Et savez-vous, mon vénérable père, si ces paroles cordiales ne cachaient pas des pensées perfides ?

— D’ordinaire, les hommes ne s’empressent point autour du malheur et de la disgrâce. Si cet Ordener ne m’était point attaché, il ne serait pas ainsi venu dans ma prison sans but.

— Êtes-vous sûr, reprit Éthel d’une voix faible, qu’en venant ici il n’ait eu aucun but ?

— Et lequel ? demanda vivement le vieillard.

Éthel se tut.

L’effort était trop grand pour elle de continuer à accuser le bien-aimé Ordener, qu’elle défendait autrefois contre son père.

— Je ne suis plus le comte de Griffenfeld, poursuivit celui-ci, je ne suis plus le grand-chancelier de Danemark et de Norvège, le dispensateur favori des grâces royales, le tout-puissant ministre. Je suis un misérable prisonnier d’état, un proscrit, un pestiféré politique. C’est déjà du courage que de parler de moi sans exécration à tous ces hommes que j’ai comblés d’honneurs et de biens ; c’est du dévouement que de franchir le seuil de ce cachot, si l’on n’est pas un geôlier ou un bourreau ; c’est de l’héroïsme, ma fille, que de le franchir en se disant mon ami. — Non, je ne serai point ingrat comme toute cette race humaine. Ce jeune homme a mérité ma reconnaissance, ne fût-ce que pour m’avoir montré un visage bienveillant et fait entendre une voix consolatrice.

Éthel écoutait péniblement ce langage, qui l’eût ravie quelques jours plus tôt, lorsque cet Ordener était encore dans son cœur son Ordener. Le vieillard, après s’être arrêté un moment, reprit d’une voix solennelle :

— Écoutez-moi, ma fille, car ce que je vais vous dire est grave. Je me sens dépérir lentement ; la vie se retire peu à peu de moi ; oui, ma fille, ma fin approche.

Éthel l’interrompit par un gémissement étouffé.

— Ô Dieu, mon père, ne parlez pas ainsi ! de grâce, épargnez votre pauvre fille ! Hélas ! est-ce que vous voulez l’abandonner aussi ? Que deviendra-t-elle, seule au monde, quand votre protection lui manquera ?

— La protection d’un proscrit ! dit le père en remuant la tête. — Au reste, c’est à cela que j’ai pensé. Oui, votre bonheur futur m’occupe plus encore que mes malheurs passés. — Écoutez-moi donc, et ne m’interrompez plus. Cet Ordener ne mérite pas d’être jugé aussi sévèrement par vous, ma fille, et j’avais cru jusqu’ici que vous n’aviez point tant d’aversion pour lui. Ses dehors sont francs et nobles, ce qui ne prouve rien à la vérité ; mais je dois dire qu’il ne me paraît pas peut-être sans quelques vertus, bien qu’il lui suffise de porter une âme d’homme pour renfermer en lui le germe de tous les vices et de tous les crimes. Toute flamme donne sa fumée.

Le vieillard s’arrêta encore une fois, et, fixant son regard sur sa fille, il ajouta :

— Averti intérieurement de l’approche de ma mort, j’ai médité sur lui et sur vous, Éthel ; et s’il revient, comme j’en ai l’espérance, — je vous le donne pour protecteur et pour mari.

Éthel pâlit, trembla ; c’était au moment où son rêve de bonheur venait de s’envoler pour jamais, que son père essayait de le réaliser. Cette pensée si amère : J’aurais donc pu être heureuse ! vint rendre à son désespoir toute sa violence. Elle resta un moment sans pouvoir parler, de peur de laisser échapper les larmes brûlantes qui roulaient dans ses yeux.

Le père attendait.

— Quoi ! dit-elle enfin d’une voix éteinte, vous me le destiniez pour mari, mon seigneur et père, sans connaître sa naissance, sa famille, son nom ?

— Je ne vous le destinais point, ma fille, je vous le destine.

Le ton du vieillard était presque impérieux ; Éthel soupira.

— …Je vous le destine, dis-je ; et que m’importe sa naissance ? je n’ai pas besoin de connaître sa famille, puisque je connais sa personne. Songez-y ; c’est la seule ancre de salut qui vous reste. Je crois qu’il n’a heureusement pas pour vous la même répugnance que vous montrez pour lui.

La pauvre jeune fille leva les yeux au ciel.

— Vous m’entendez, Éthel ; je le répète, que me fait sa naissance ? Il est sans doute d’un rang obscur, car on n’enseigne pas à ceux qui naissent dans les palais à fréquenter les prisons. Oui, et ne manifestez pas d’orgueilleux regrets, ma fille ; n’oubliez pas qu’Éthel Schumacker n’est plus princesse de Wollin et comtesse de Tonsberg ; vous êtes redescendue plus bas que le point d’où votre père s’est élevé. Soyez donc heureuse si cet homme accepte votre main, quelle que soit sa famille. S’il est d’une humble naissance, tant mieux, ma fille ; vos jours du moins seront à l’abri des orages qui ont tourmenté les jours de votre père. Vous coulerez, loin de l’envie et de la haine des hommes, sous quelque nom inconnu, une existence ignorée, bien différente de la mienne, car elle s’achèvera mieux qu’elle n’aura commencé.

Éthel était tombée à genoux devant le prisonnier.

— Ô mon père ! grâce !

Il ouvrit ses bras avec surprise.

— Que voulez-vous dire, ma fille ?

— Au nom du ciel, ne me peignez pas ce bonheur, il n’est pas fait pour moi !

— Éthel, reprit sévèrement le vieillard, ne vous jouez pas de toute votre vie. J’ai refusé la main d’une princesse de sang royal, d’une princesse de Holstein-Augustenbourg, entendez-vous cela ? Et mon orgueil a été cruellement puni. Vous dédaignez celle d’un homme obscur, mais loyal ; tremblez que le vôtre ne soit aussi tristement châtié.

— Plût au ciel, murmura Éthel, que ce fût un homme obscur et loyal !

Le vieillard se leva et fit quelques pas dans l’appartement avec agitation.

— Ma fille, dit-il, c’est votre pauvre père qui vous en prie et qui vous l’ordonne. Ne me laissez pas à ma mort une inquiétude sur votre avenir ; promettez-moi d’accepter cet étranger pour époux.

— Je vous obéirai toujours, mon père, mais n’espérez pas son retour.

— J’ai pesé les probabilités, et je pense, d’après l’accent dont cet Ordener prononçait votre nom…

— Qu’il m’aime ! interrompit Éthel amèrement ; oh ! non, ne le croyez pas.

Le père répondit froidement :

— J’ignore si, pour employer votre expression de jeune fille, il vous aime ; mais je sais qu’il reviendra.

— Abandonnez cette idée, mon noble père. D’ailleurs, vous ne voudriez peut-être pas qu’il fût votre gendre, si vous le connaissiez.

— Éthel, il le sera, quels que soient son nom et son rang.

— Eh bien ! reprit-elle, si ce jeune homme, en qui vous avez vu un consolateur, en qui vous voulez voir un soutien pour votre fille, mon seigneur et père, si c’était le fils d’un de vos mortels ennemis, du vice-roi de Norvège, du comte de Guldenlew ?

Schumacker recula de deux pas.

— Que dites-vous, grand dieu ! Ordener ! cet Ordener ! — Cela est impossible !…

L’indicible expression de haine qui venait de s’allumer dans les yeux ternes du vieillard glaça le cœur tremblant d’Éthel, qui se repentit vainement de la parole imprudente qu’elle venait de prononcer.

Le coup était porté. Schumacker resta quelques instants immobile et les bras croisés ; tout son corps tressaillait comme s’il avait été sur un gril ardent, ses prunelles flamboyantes sortaient de leur orbite, et son regard, fixé sur les dalles de pierre, paraissait vouloir les enfoncer. Enfin quelques paroles sortirent de ses lèvres bleues, prononcées d’une voix aussi faible que celle d’un homme qui rêve.

— Ordener ! — Oui, c’est cela, Ordener Guldenlew ! — C’est bien. Allons ! Schumacker, vieux insensé, ouvre-lui donc tes bras, ce loyal jeune homme vient pour te poignarder.

Tout à coup il frappa le sol du pied, et sa voix devint tonnante.

— Ils m’ont donc envoyé toute leur infâme race pour m’insulter dans ma chute et dans ma captivité ! j’avais déjà vu un d’Ahlefeld ; j’ai presque souri à un Guldenlew ! Les monstres ! Qui eût dit cela de cet Ordener, qu’il portait une pareille âme et un pareil nom ! Malheur à moi ! malheur à lui !

Puis il tomba anéanti sur son fauteuil, et tandis que sa poitrine oppressée se dégonflait par de longs soupirs, la pauvre Éthel, palpitante d’effroi, pleurait à ses pieds.

— Ne pleure pas, ma fille, dit-il d’une voix sinistre, viens, oh ! viens sur mon cœur.

Et il la pressa dans ses bras.

Éthel ne savait comment s’expliquer cette caresse dans un moment de rage, lorsqu’il reprit :

— Du moins, jeune fille, tu as été plus clairvoyante que ton vieux père. Tu n’as point été trompée par le serpent aux yeux doux et venimeux. Viens, que je te remercie de la haine que tu m’as fait voir pour cet exécrable Ordener.

Elle frémit de cet éloge, hélas ! si peu mérité.

— Mon seigneur et père, dit-elle, calmez-vous !

— Promets-moi, poursuivait Schumacker, de vouer toujours les mêmes sentiments au fils de Guldenlew ; jure-le-moi.

— Dieu défend le serment, mon père.

— Jure-le, ma fille, répéta Schumacker avec véhémence. N’est-il pas vrai que tu conserveras toujours le même cœur pour cet Ordener Guldenlew ?

Éthel n’eut pas de peine à répondre :

— Toujours.

Le vieillard l’attira sur sa poitrine.

— Bien, ma fille ! que je te lègue au moins ma haine pour eux ; si je ne puis te léguer les biens et les honneurs qu’ils m’ont ravis. Écoute, ils ont enlevé à ton vieux père son rang et sa gloire, ils l’ont traîné d’un échafaud dans les fers, comme pour le souiller de toutes les infamies en le faisant passer par tous les supplices. Les misérables ! Et c’est à moi qu’ils devaient le pouvoir qu’ils ont tourné contre moi ! Oh ! que le ciel et l’enfer m’entendent, et qu’ils soient tous maudits dans leur existence, et maudits dans leur postérité !

Il se tut un moment ; puis, embrassant sa pauvre fille, épouvantée de ses imprécations :

— Mais, mon Éthel, toi qui es ma seule gloire et mon seul bien, dis-moi, comment ton instinct a-t-il été plus habile que le mien ? Comment as-tu découvert que ce traître portait l’un des noms abhorrés qui sont écrits au fond de mon cœur avec du fiel ? Comment as-tu pénétré ce secret ?

Elle rassemblait toutes ses forces pour répondre, quand la porte s’ouvrit.

Un homme vêtu de noir, portant à sa main une verge d’ébène et à son cou une chaîne d’acier bruni, parut sur le seuil, environné de hallebardiers également vêtus de noir.

— Que me veux-tu ? demanda le captif avec aigreur et étonnement.

L’homme, sans lui répondre et sans le regarder, déroula un long parchemin, auquel pendait, à des fils de soie, un sceau de cire verte, et lut à haute voix :

— Au nom de sa majesté notre miséricordieux souverain et seigneur, Christiern, roi,

Il est enjoint à Schumacker, prisonnier d’état dans la forteresse royale de Munckholm, et à sa fille, de suivre le porteur dudit ordre. —

Schumacker répéta sa question :

— Que me veux-tu ?

L’homme noir, toujours impassible, se mit en devoir de recommencer sa lecture.

— Il suffit, dit le vieillard.

Alors, se levant, il fit signe à Éthel, surprise et épouvantée, de suivre avec lui cette lugubre escorte.


  1. Voici l’épigraphe de l’édition originale :

    Des plaines de la mer quand l’ouragan vainqueur
    Au sein d’un naufragé pousse avec violence
    Le reste du vaisseau vers lequel il s’élance,
    Le malheureux soudain s’enfonce et s’engloutit ;
    Telle, au choc imprévu du nom qui retentit,
    Se brise de Raymond la dernière espérance.

    J. Lefèvre, Parisina.