Hélène de Tournon. Celle qui mourut d’amour et l’Ophélie d’Hamlet/1

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Note de Wikisource

Illustration de Daniel Némoz non incluse, dans le domaine public en 2031



I



Au derniers mois de l’année 1576, Marguerite de Valois, désireuse d’aller rejoindre en Béarn le roi de Navarre, son mari, n’attendait qu’une occasion favorable pour quitter la cour de France, où elle vivait à demi-captive ; mais toujours les plus sérieux obstacles venaient gêner l’accomplissement de son dessein. En chaque circonstance, Henri III, d’accord en cela avec la reine mère, Catherine de Médicis, manifestait une opposition absolue aux projets de départ de sa sœur, les déclarant dangereux au premier chef pour la sécurité même de la princesse. Cependant, lorsque s’ouvrit l’année 1577, les hostilités recommencèrent entre les troupes d’Henri de Navarre et celles de son beau-frère le roi de France. Cet état de guerre, en rendant la situation de Marguerite intenable à la cour, l’amena à tenter des démarches plus pressantes encore. Ses amis s’entendirent, de leur côté, pour représenter partout son éloignement comme une mesure indispensable, imposée par les nouvelles circonstances politiques. Puisqu’il ne pouvait plus être question d’un voyage dans le midi, dont le roi écartait formellement la seule pensée, il importait à la reine de Navarre de découvrir un prétexte plausible qui lui permît de sortir du royaume, par exemple sous couleur d’accomplir un pèlerinage ou de visiter quelque parente. Or, il arriva qu’au cours d’une réunion où s’agitait cette question délicate, en présence du duc d’Anjou, frère du roi, de sa sœur et de plusieurs personnages et grandes dames de la cour, on vint à parler des visées politiques qu’entretenait le duc du côté de la Flandre, puis à déviser du prochain départ de la princesse de la La Roche-sur-Yon qui s’apprêtait à aller prendre les eaux de Spa. Mondoucet, qui revenait de Flandre en qualité d’agent du roi, et comptait y retourner bientôt, en apparence pour accompagner la princesse, savait le désir qu’avait Marguerite de s’éloigner de Paris à tout prix. Il imagina aussitôt de dire tout bas au frère du roi : « Monsieur, si la reine de Navarre pouvait feindre avoir quelque mal à quoi les eaux de Spa, où va Mme la princesse de La Roche-sur-Yon, pussent servir, cela viendrait bien à propos pour votre entreprise de Flandre, où elle pourrait frapper un grand coup. » Un petit complot s’organisa séance tenante, dont le résultat final fut l’acceptation de Catherine et du roi, qui donnèrent à Marguerite le congé tant souhaité.

Quelques jours plus tard, la reine de Navarre se mettait en route pour « les Flandres », dûment pourvue des instructions du duc son frère. Elle était accompagnée, d’après le témoignage de ses Mémoires, de la princesse de La Roche-sur-Yon, de Mme de Tournon, sa dame d’honneur, de Mme de Mouy de Picardie, de Mme la castellane de Milan[1], de Mlle d’Atrie, de Mlle de Tournon, fille de sa dame d’honneur, et de sept ou huit autres « filles ». Du côté des hommes, la reine cite le cardinal de Lenoncourt, l’évêque de Langres, M. de Mouy, puis son premier maître d’hôtel, ses premiers écuyers et divers autres gentilshommes de sa maison. « Cette compagnie, observe la jeune reine, plut tant aux étrangers qui la virent et la trouvèrent si leste, qu’ils en eurent la France en beaucoup plus d’admiration. »

Marguerite ouvrait la marche dans une superbe litière toute vitrée, faite à piliers doublés de velours incarnadin d’Espagne, en broderie d’or et de soie, et ornée de nombreuses devises. Les litières de la princesse et de Mme de Tournon suivaient la sienne. Venaient ensuite dix filles à cheval avec leur gouvernante, puis six carrosses ou chariots, dans lesquels se tenaient les autres dames et filles.

C’est ainsi qu’on traversa la Picardie, puis le Cambrésis, le pays de Mons et Namur, au milieu de merveilleuses fêtes et réceptions dont Marguerite nous a laissé, dans ses Mémoires, un récit pittoresque et charmant. Le séjour de la reine et de sa petite cour, dans la ville de Liège, où l’eau de Spa lui était apportée chaque jour, fut marqué par un triste événement que la reine s’est plu à raconter avec une précision de détails et un accent d’émotion qui rendent ces pages des Mémoires attrayantes entre toutes[2]. Laissons ici la parole à Marguerite.


  1. L’édition de 1628 porte : la Castelaine de Millon.
  2. Première édition en 1628, que nous avons utilisée. Rééditions nombreuses depuis. On peut consulter les éditions modernes de Guessard, Lalanne (1858), dans la Bibliothèque elzévirienne, Paul Bonnefon (1920) dans la Collection des chefs-d’œuvre méconnus. Nous croyons avoir amélioré le texte cité ici en plus d’un endroit.