Tallandier (p. 249-254).


XVII


Dans la matinée du lendemain, une voiture s’arrêta devant Coatbez. Un Hindou, assis près du chauffeur malais, descendit, sonna et présenta une enveloppe au domestique en disant :

— Veuillez remettre ceci à M. Dourzen.

Hervé, dans la salle à manger, commençait la lecture de son journal. Il ouvrit l’enveloppe et parcourut le court billet ainsi conçu :


« Je voudrais vous parler, mon cousin. Ma voiture va vous conduire à Kermazenc.

« Avec l’assurance de mes meilleurs sentiments.

« Dougual de Penanscoët. »

Comme Hervé demeurait là, fort perplexe, la carte à la main, Mme Dourzen qui venait de voir la voiture entra précipitamment.

— Qu’est-ce, Hervé ?

Quand elle eut pris connaissance du billet, elle déclara :

— Il faut y aller !

— Tu crois ?… Qu’a-t-il à me dire ?

— Tu le verras bien… Sans doute veut-il te parler de Gwen. Arrange cette affaire-là pour que nous n’ayons pas d’ennuis. J’ai bien compris qu’Émile ne verrait pas d’un bon œil une histoire dans la famille. Ils sont pas mal collet monté chez les Chevignon. Alors, si Dougual est disposé à faire régulariser son mariage civilement, donne-lui toute facilité pour le faire.

— Mais que dira Ivor ?

— Ah ! tant pis ! Je ne veux pas avoir d’ennuis à cause de lui. C’est déjà assez désagréable, la mort de ce Willy, qu’il prétend due à un serviteur de Dougual. J’espère qu’on ne découvrira rien du tout de ce côté… Allons, habille-toi vite et pars !

Une heure plus tard, Hervé revenait du château, la mine moins soucieuse qu’au départ. Dougual l’avait bien reçu. Il s’agissait, en effet, comme le pensait Blanche, d’épouser civilement Gwen pour se mettre en règle avec la loi française. Il lui avait montré la copie de l’acte du mariage religieux célébré à Pavala. Tous deux étaient convenus que le mariage civil aurait lieu dans trois semaines.

— Mais où est Gwen ?

— Il ne me l’a pas dit.

— Tu ne le lui as pas demandé ?

— J’ai fait une allusion… Il m’a répondu en souriant ironiquement : « Elle n’est pas loin d’ici. »

— C’est tout ?

— C’est tout… Ce jeune Penanscoët ne dit que ce qu’il veut et l’on comprend aussitôt qu’il est inutile d’insister.

— Oh ! j’aurais bien su le faire parler, moi ! grommela Blanche.

Elle s’en alla aussitôt recommander au domestique de répondre qu’elle et M. Dourzen étaient sortis, si le comte Ivor de Penanscoët se présentait.

Vers ce même moment, des serviteurs de Dougual, ayant creusé une fosse dans un coin du parc, y déposaient le corps sans vie de l’homme satanique qui s’était complu dans le mal. Ils tassèrent dessus de la terre et s’en allèrent, le laissant là comme un maudit.

D’autres, pendant ce temps, confectionnaient pour Mme de Penanscoët un cercueil avec des panneaux de cèdre autrefois rapportés d’Orient par un ancêtre de Dougual.

Celui-ci, aidé d’Ajamil, y coucha la morte que Sanda avait revêtue d’un de ses costumes hindous et parée d’étincelants joyaux. La tombe était creusée près du petit temple hindou, non loin du parc. Ajamil, Wou et deux autres serviteurs y portèrent le cercueil, sur lequel la fidèle Sanda, ravagée par la douleur, jeta des brassées de fleurs. Gwen, au bras de son mari, pleurait silencieusement, car elle avait aimé cette femme mystérieuse qui, toujours, avait été bonne pour elle.

Avec son mari, elle revint vers le château. Maintenant, il n’y avait pas besoin de se cacher. Dougual dit avec émotion :

— Nous devons beaucoup à ma tante. Je lui dois ta vie, quand elle m’avertit du danger que tu courais à Pavala… et la mienne, car, si elle ne m’avait écarté pour se mettre à ma place, c’était moi qu’Ivor atteignait.

— Que Dieu la reçoive en l’éternelle paix ! dit Gwen en levant au ciel son regard fervent.


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Trois semaines plus tard, M. Dourzen, en qualité de maire de Lesmélenc, procéda aux formalités du mariage civil. Il fut passablement étonné en voyant, près de Gwen, sa cousine Herminie.

— Mais oui, c’est moi, mon cher, dit-elle en lui souriant narquoisement. Gwen m’a demandé d’être son témoin et j’ai accepté avec joie, car j’ai la plus grande sympathie pour elle.

— Ah !… Je… je croyais que vous ne la connaissiez guère ?

— Je la connais très bien, au contraire… et je puis dire que, sans moi, ces deux jeunes gens ne se seraient probablement jamais rencontrés.

Ce propos, rapporté par Hervé à sa femme, — car, à son secret dépit, elle n’avait pas été invitée à Kermazenc, — l’intrigua fortement. Elle en chercha, en vain, l’explication. Ce fut Mlle Herminie qui la lui donna, quelques jours plus tard, en lui apprenant son départ avec Dougual et Gwen qui allaient s’embarquer sur leur yacht, à destination de Pavala.

— Mais enfin, je ne comprends pas du tout, ma cousine… Cette intimité…

— Ces chers enfants me sont très reconnaissants de les avoir fait connaître l’un à l’autre.

— Comment ?… Je ne vois pas…

— Mais oui, ma bonne, c’est moi qui ai prêté à Gwen le costume hindou de mon arrière-grand-mère, pour qu’elle puisse se rendre à la fête masquée de Kermazenc.

— C’est vous… c’est vous qui ?…

Blanche paraissait prête à suffoquer de stupéfaction.

— Hein ! n’était-ce pas charmant ?… Et n’ai-je pas bien réussi ?… dit Mlle Herminie avec un petit rire sarcastique.

Là-dessus, voyant que la surprise — ou la colère — coupait momentanément la parole à Mme Dourzen, elle s’en alla, ravie de sa petite vengeance.

Le surlendemain, le beau yacht blanc qui était venu mouiller près de Kermazenc appareillait, emmenant Dougual qui, pour un temps, allait redevenir prince d’Orient, et sa chère princesse enfin délivrée de leur infernal ennemi. Debout sur le pont, ils tenaient leur regard attaché sur Kermazenc, et tous deux songeaient à celle qui reposait près du temple hindou, la princesse Nouhourmal, victime d’Ivor, elle aussi — sa dernière victime.


FIN