Tallandier (p. 169-175).


X


Tsang, le médecin chinois, avait dit, après avoir examiné la blessure de Dougual :

— Il y a une chance sur cinq de le sauver.

Ce Tsang, qui avait fait en France ses études médicales, était un praticien remarquable. En outre, son dévouement à Dougual était absolu. Il câbla immédiatement à Nouhourmal la nouvelle de la catastrophe. Quelques jours plus tard, Mme de Penanscoët arrivait par avion avec Ajamil et Sanda et s’installait au chevet de son neveu.

Dès le lendemain, elle tint conseil avec Tsang. Ajamil et le fidèle Wou furent appelés pour prendre part à cet entretien. Il fallait chercher un moyen de connaître ce qu’Ivor avait fait de Gwen. Car, naturellement, aucun doute ne pouvait subsister quant à l’auteur de l’attentat.

— Ce sera une tâche difficile, déclara Tsang. M. de Penanscoët avait en tous pays des complices. Comment savoir chez lequel il a pu cacher la jeune comtesse ?

Nouhourmal déclara :

— Ajamil seul le pourra peut-être. Ivor en avait fait un de ses confidents, et il lui a été possible de pénétrer ainsi quelques-uns de ses secrets.

L’Hindou inclina lentement la tête.

— J’essaierai du moins de savoir. Il n’a pas de méfiance contre moi, car, il y a peu de temps, un de ses espions m’a offert de sa part une forte somme pour empoisonner la princesse Nouhourmal.

Tsang et Wou eurent un haut-le-corps.

— Oh ! le misérable a osé ?… dit Tsang.

Nouhourmal eut un sourire de mépris.

— Rien ne l’arrête, souvenez-vous-en… Ajamil a feint d’accepter en disant qu’il choisirait le moment favorable. S’il lui est nécessaire, pour atteindre au but, de rentrer en rapport avec cet homme, il lui racontera que sa tentative a été déjouée par moi et qu’il a dû s’enfuir. Enfin, nous n’avons que cela à essayer, pour le moment du moins, et Ajamil peut seul remplir cette tâche.

Voyant que Wou secouait la tête, Mme de Penanscoët demanda :

— Tu ne crois pas que cela réussisse ?

— Non, madame. M. de Penanscoët se méfiera, en voyant arriver Ajamil en ce moment. Cela lui semblera une coïncidence bien singulière.

— Alors, que faire ?

— Si nous savions où le trouver, on pourrait le faire épier, dans toutes ses démarches, ainsi que son fils.

— Mais nous ne pouvons pas le savoir, si Ajamil ne se met pas en rapport avec l’intermédiaire qu’il lui a envoyé.

— Qui était-ce ? demanda Tsang.

— Un commerçant de Canton, Li-Hoang-Tseng.

— Ah ! Li-Hoang !… Je le connais. On pourrait l’acheter, car il aime l’or par-dessus tout.

Ajamil eut un geste approbateur.

— J’ai entendu M. de Penanscoët le dire un jour à Appadjy.

— Eh bien ! il faut voir cela sans tarder.

C’était Mme de Penanscoët qui parlait. Elle ajouta, s’adressant à l’ancien serviteur de son mari :

— Tu vas t’en occuper, Ajamil ?… Et tu as tout crédit pour traiter avec cet homme.

— Je serai prêt à partir dans une heure.

Et, s’inclinant profondément, l’Hindou quitta la pièce.

Nouhourmal retourna auprès de son neveu. Elle fut, tous les jours qui suivirent, la plus admirable des infirmières. Avec le docteur Tsang, elle lutta contre la mort qui rôdait autour de Dougual. Un jour vint enfin où Tsang déclara qu’il était sauvé.

Mais quand on dut lui apprendre la disparition de Gwen, qu’il s’étonnait et s’inquiétait de ne pas voir, une rechute se produisit, si grave que le médecin désespéra pendant quelques jours. Puis l’amélioration survint et avec elle reparut l’énergie habituelle chez Dougual. Sur sa demande, Mme de Penanscoët lui apprit ce qu’on avait fait pour essayer de retrouver la disparue et d’abord pour connaître où se trouvait son ravisseur. Ajamil, à l’aide d’un chèque de très grosse valeur, avait pu savoir qu’il avait un domicile à Paris. C’est là que le Chinois Li Hoang devait lui envoyer toutes communications utiles.

— … Pour être sûr que cet homme ne nous trahirait pas ensuite, après avoir été payé, Ajamil l’a fait enlever et transporter à Pavala, où il sera gardé en prison jusqu’à ce que tu donnes l’ordre de sa délivrance.

Dougual approuva d’un signe de tête. Nouhourmal ajouta :

— Ajamil est en ce moment à Paris et fait suivre par des hommes de confiance toutes les démarches d’Ivor. Celui-ci reçoit beaucoup de gens à mine équivoque, des Orientaux surtout. Il vit retiré dans un petit hôtel d’Auteuil et en sort surtout le soir pour aller se distraire dans des boîtes de nuit. Là aussi, il a des entrevues avec des Hindous, Chinois, Malais…

Dougual dit, avec un pli de mépris aux lèvres :

— Il voudrait peut-être poursuivre son dessein pour lui-même, ou, qui sait, pour Willy ?

— Oh ! crois-tu ?

— C’est un terrible ambitieux !… Mais qu’a-t-il fait de ma Gwen ? Où est-elle ? Que devient-elle depuis lors ?

Pendant un moment, Nouhourmal crut que son neveu allait défaillir sous cette poussée d’angoisse. Mais il se reprit aussitôt et dit en serrant la main de Mme de Penanscoët :

— Vous avez fait le nécessaire pour elle… Il faut attendre… Personne, mieux qu’Ajamil, ne pouvait réussir dans semblable tâche. Car il lui fallait une habileté peu commune pour avoir pu se maintenir, depuis des années, dans la confiance d’Ivor, si méfiant, pour avoir pu lui faire croire que Sanda, elle aussi, lui était toute dévouée. Oui, il ne nous reste qu’à attendre, puisque je suis encore trop faible pour agir. Mais c’est terrible !… terrible !

— Dougual, il faut que je t’apprenne aussi une autre chose… Il y a deux jours, on a essayé d’enlever ton fils, après avoir à moitié étranglé la nourrice.

Dougual sursauta.

— Mon petit Armaël ?… Quoi ! lui, après sa mère ?

— Wou a pu heureusement surprendre le ravisseur. Mais celui-ci, en se débattant, a réussi à s’enfuir.

— C’est abominable !… Il faut que l’enfant soit gardé, jour et nuit !

— Nous avons fait le nécessaire. Il est maintenant dans une pièce de ton appartement que j’ai mise sous la surveillance de fidèles serviteurs bien armés.

— Ah ! ce bandit, quand le tiendrai-je pour lui faire payer tous ses crimes ! dit sourdement Dougual.

Il eut encore une assez forte fièvre, les jours suivants. Le docteur Tsang préconisait un changement d’air, dès que les forces seraient un peu revenues. Comme, un jour, Mme de Penanscoët et le médecin s’en entretenaient devant lui, il dit tout à coup :

— Il n’y a qu’un endroit au monde où je veux aller en ce moment.

— Et lequel ? demanda sa tante.

— Celui où j’ai connu Gwen.

— À Kermazenc ?

— Oui. J’aime cette demeure de mes ancêtres et il me semble que l’air de cette côte armoricaine me rendra plus vite les forces perdues… Qu’en dites-vous, Tsang ?

— Je n’ai pas d’objection à opposer, pourvu que ce voyage n’ait lieu que dans quelques jours.

— Soit, dans cinq jours, dit Dougual du ton de décision qui lui était habituel.

Il y avait alors cinq semaines que Gwen se trouvait à Ti-Carrec.