Guerre et Paix (trad. Bienstock)/App/02

Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 12p. 476-480).


VI

L’œuvre Guerre et Paix parut en français en 1884, chez Hachette, sous le titre La Guerre et la Paix roman historique, traduit par une Russe. Cette édition en trois volumes n’est pas complète[1], ainsi elle ne contient pas la deuxième partie de l’épilogue et les cinq premiers chapitres de la première partie. Dans divers endroits, des phrases et des pages entières sont omises. Cette édition ne parut qu’après de longues instances de M. Melchior de Vogüé, comme on peut le voir par la lettre du 5 mars 1902 qu’il nous a adressée, lettre déjà publiée dans le tome II des Œuvres complètes, et que nous croyons nécessaire de reproduire ici :


« 5 mars 1902.

» Je vous remercie, monsieur, pour l’envoi du premier volume de la traduction des Œuvres complètes de Tolstoï. Je suivrai avec un vif intérêt cette grande entreprise.

» Je vous signale une petite inexactitude dans la préface de M. Birukov. La traduction de Guerre et Paix par la princesse Irène Paskevitch n’a pas été imprimée à Paris, mais à Saint-Pétersbourg, imprimerie du Journal de Saint-Pétersbourg, par les soins de M. Hovyn de Tranchèse. Si je ne me trompe, quatre cents exemplaires furent envoyés en dépôt chez Hachette. L’édition tirée sur ce texte par la maison Hachette ne fut imprimée à Paris qu’en 1884, après de longues sollicitations de ma part et de longues instances pour qu’il n’y eût point de nouvelles suppressions dans l’œuvre que l’on voulait éditer au début dans un seul volume.

» Agréez, etc.

» E.-M. de Vogüé. »


Il est bon de citer aussi les lettres échangées entre Ivan Tourgueneff, Léon Tolstoï et Gustave Flaubert, à propos de cette traduction de Guerre et Paix.

En décembre 1879 Tourgueneff écrivait à Flaubert :


« … Je vous enverrai sous peu un roman en trois volumes de Léon Tolstoï, que je regarde comme le premier écrivain contemporain. Vous savez quel est dans mon opinion celui qui pourrait lui disputer ce rang. Malheureusement la traduction est faite par une dame russe, et je crains en général les dames qui traduisent, surtout quand il s’agit d’un écrivain aussi énergique que l’est Tolstoï[2]… »


Le 12 janvier 1880, Tourgueneff communique dans une lettre à Tolstoï la réponse suivante de Flaubert :


« 12 janvier 1880.

» Cher Léon Nikolaïevitch,

» Je copie pour vous, avec une exactitude diplomatique, l’extrait de la lettre que M. Flaubert m’a adressée. Je lui ai envoyé la traduction de Guerre et Paix (malheureusement assez pâle) :

« Merci de m’avoir fait lire le roman de Tolstoï. C’est de premier ordre ! Quel peintre et quel psychologue ! Les deux premiers volumes sont sublimes ; mais le troisième dégringole affreusement. Il se répète et il philosophise ! Enfin on voit le monsieur, l’auteur et le Russe, tandis que jusque-là on n’avait vu que la nature et l’humanité.

» Il me semble qu’il y a parfois des choses à la Shakespeare ! Je poussais des cris d’admiration pendant cette lecture… et elle est longue !

» Oui, c’est fort ! bien fort ! »

« Je suppose qu’en somme vous serez content.

» Guerre et Paix a été envoyé par moi aux principaux critiques. Il n’y a pas eu encore d’article sérieux… Mais trois cents exemplaires sont déjà vendus. (On en avait envoyé en tout cinq cents exemplaires)[3]. »


Tourgueneff, de son côté, répondit ainsi à Flaubert :


« 24 janvier 1880.

» Mon bon vieux,

« Vous ne pouvez vous imaginer quel plaisir m’a fait votre lettre et ce que vous dites du roman de Tolstoï. Votre approbation fortifie mes idées sur lui. Oui, c’est un homme très fort, et pourtant vous avez mis le doigt sur la plaie. Il s’est fait aussi un système de philosophie à la fois mystique, enfantine et outrecuidante qui a diablement gâté son second roman qu’il a écrit après Guerre et Paix et où il se trouve aussi des choses absolument de premier ordre. Je ne sais ce que diront MM. les critiques (j’ai envoyé aussi Guerre et Paix à Daudet et à Zola), mais pour moi la chose est décidée : « Flaubertus dixit. » Le reste n’a pas d’importance.

» Votre

» Ivan Tourgueneff[4]. »




La deuxième partie de l’épilogue a paru à part chez l’éditeur Flammarion, dans la collection des Auteurs célèbres, n° 377, sous le titre Napoléon et la Campagne de Russie. Plusieurs chapitres de Guerre et Paix sont entrés dans l’édition des Pages choisies des auteurs contemporains (Tolstoï) publiée chez Armand Colin.

P. Birukov.




fin du sixième et dernier volume de Guerre et Paix.


FIN DU TOME DOUZIÈME
DES ŒUVRES COMPLÈTES DU Cte LÉON TOLSTOÏ




ÉMILE COLIN, IMPRIMERIE DE LAGNY (S.-ET-M.)

  1. C’est ainsi, par exemple qu’à la page 38 du troisième volume de l’édition Hachette, le traducteur — ou la traductrice — a placé la note suivante, au commencement de l’épilogue :
    « Malgré le talent hors ligne déployé par l’auteur dans l’exposé philosophique de la première partie de cet épilogue, nous avons cru pouvoir l’omettre dans notre traduction, sans inconvénient pour la marche et la clarté du récit. »
  2. Halpérine-Kaminsky : Ivan Tourgueneff d’après sa correspondance. Paris, 1901, page 130.
  3. Recueil des lettres de Tourgueneff. Saint-Pétersbourg, 1885, page 354.
  4. Halpérine-Kaminsky : Ivan Tourgueneff d’après sa correspondance. Paris, 1901, page 131.