Poésies de André LemoyneAlphonse Lemerre, éditeur1855-1870 (p. 255-258).

Guérillas

 



Tu marches soucieux, mon pauvre capitaine.
Par les noirs défilés d’une sierra lointaine,
Bien au delà des mers, dans un pays perdu.
Une larme parfois roule au creux de tes joues
Tandis que, grelottant de fièvre, tu secoues
Ton caban lourd de pluie et par les vents tordu.


Simple comme un héros des antiques légendes,
Jeune homme vénéré de ceux que tu commandes.
Tu sais qu’à ton exemple ils vont résolument.
Avec ton geste sobre et ta parole brève,
Un éclair de tes yeux les charme et les enlève,
Car il jaillit d’un cœur pur comme un diamant.

Tu marches soucieux, mon pauvre capitaine,
Harcelant, nuit et jour, la victoire incertaine,
À la crête d’un pic, dans le fond d’un ravin ;
Car ce n’est pas toujours le plus brave qui gagne,
Pans cette guerre aveugle, en pays de montagne,
Où souvent deux ou trois se heurtent contre vingt.

Si de tels jeux sanglants à ton cœur ne vont guère…
Tu songes qu’après tout la guerre, c’est la guerre :
Les plus graves penseurs n’y peuvent rien changer.
5ur la pauvre planète orageuse où nous sommes,
Hélas ! on se battra tant qu’elle aura des hommes.
Et tu fais ton devoir en pays étranger.

Sans arrière-pensée, où la France t’envoie
Tu marches. — Ton drapeau n’est qu’un chiffon de « 
Écharpé, noir de poudre : il n’en est que plus beau.


Ce cher débris flottant, pour toi c’est la patrie.
Si loin d’elle, on s’attache avec idolâtrie,
Des regards et du cœur à ce dernier lambeau !

Implacable et nombreux, l’ennemi t’enveloppe. —
Tu ne reverras plus tes grands chênes d’Europe.
Ni ta fraîche rivière, et l’antique maison
Où les tiens se pressaient à la haute fenêtre
Le jour de ton départ, quand on vit disparaître
L’or de ton épaulette au bord de l’horizon.

En octobre, là-bas, quand ta chère vallée.
Au déclin des soleils, par la brume est voilée,
Quand on se réunit aux premiers feux du soir.
Voyant ta place vide au foyer qui pétille,
Quelqu’un y parlera d’un grand deuil de famille :
Trois femmes, ce jour-là, s’habilleront de noir.

La belle jeune fille à ton cœur fiancée,
Et ta mère, et ta sœur, dans la même pensée,
Ne comprendront jamais d’impossible retour.
Tu leur apparaîtras, la nuit, dans plus d’un rêve.
Les bras ouverts, sautant du canot sur la grève.
Et leur brûlant les mains de tes larmes d’amour.


Humbles femmes longtemps à vivre condamnées,
Des heures et des jours, des mois et des années !
Ah ! qu’elle sera froide et grande la maison !
Elles chemineront tristement dans la vie,
En aveugles pleurant une clarté ravie
Et murmurant pour toi quelque sainte oraison.