Poésies de André LemoyneAlphonse Lemerre, éditeur1855-1870 (p. 261-262).
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Grèves normandes

 
À Alphonse Lemerre.



Ce soir, la pleine lune éclaire notre monde.
De l’abîme des flots elle sort large et ronde.
Presque au ras de la mer, elle est rouge d’abord ;
Mais son orbe jaunit, et la grande marée
Dans son rayonnement monte en houle dorée,
Et roule ses lueurs jusqu’aux grèves du bord.

On voit comme en plein jour sur la courbe des plages
Les dernières maisons des bourgs et des villages,


Villages de marins et de pêcheurs normands.
Les enfants sont couchés dans le charme des rêves :
Ce long bruit cadencé du flot qui bat ses grèves
Semble un chant de berceuse aux chers petits dormants

Un vent tout parfumé m’apporte des prairies,
Où les reines des prés restent longtemps fleuries,
Quelque chose à la fois de suave et d’amer ;
Tandis qu’un grand troupeau, débouchant des vallées,
Mêle une odeur d’étable aux effluves salées
Qui montent, jour et nuit, des embruns de la mer.

J’aime à vous retrouver, grèves de Normandie,
Où travaille une race âpre au gain, mais hardie.
Fille des conquérants qui vinrent les premiers,
Sous les pommiers en fleurs que le roi Charlemagne
Avait plantés pour eux en revenant d’Espagne,
Se faire un paradis au pays des pommiers.