Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/abominable adj.

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 24).

ABOMINABLE adj. (a-bo-mi-na-ble — lat. abominabilis ; de ab, marquant l’origine, et omen, présage. Omen a signifié d’abord en latin ventre. Comme on consultait les entrailles des animaux pour y lire l’avenir, on exprima le mot présage par le mot omen : de là se forma ominosus, de mauvais augure, puis abominabilis, avec le sens qu’exprime notre mot abominable). Exécrable ; qui mérite l’abomination ; qui est en horreur : Action abominable. Calomnie abominable. Le parricide est un crime abominable. (Trévoux.) Néron fut un monstre abominable. (Trévoux.) Eh ! qu’y a-t-il de plus abominable au monde que de mettre l’injustice et la violence en système ? (J.-J. Rouss.) Tacite s’épuise à louer les barbares Germains, qui pillaient les Gaules et qui immolaient des hommes à leurs abominables dieux. (Volt.) Quant au pouvoir de l’Inquisition, je le tiens abominable devant Dieu. (St-Simon.)

Quel crime abominable ensanglante vos mains !
M.-J. Chénier

— Famil. Mauvais en son genre, qui déplaît aux sens et à l’esprit : Voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais ouï parler. (La Bruy.) Ah ! quel abominable maître je suis obligé de servir ! (Mol.) Plombières est un vilain trou ; le séjour est abominable, mais il sera pour moi le jardin d’Armide. (Volt.) Ôtez aux tableaux flamands et hollandais la magie de l’art, et ce seront des croûtes abominables. (Diderot.) On nous donne des tragédies, des romans abominables, et qui ne laissent pas d’avoir des admirateurs ; le goût est perdu. (Mme du Deff.)

Je m’en vais le griser d’abominable sorte.
E. Augier.
Ah ! malheureuse engeance, apanage du diable,
C’est toi qui m’as joué ce tour abominable.
Regnard.


|| Fort laid : Figure abominable. J’allai chez le préfet, où je trouvai toutes les femmes abominables et mises comme des revendeuses de chansons. (F. Soulié.)

— Substantiv. Personne abominable : Constantin Copronyme, fils de Léon l’Isaurien, détestait tellement les moines qu’il ne les appelait jamais que les abominables. (Bayle.)

L’abominable, s. m. Ce qui est abominable : La fortune peut jeter cent et cent incidents dans une affaire de cette nature, qui couronnent l’abominable par le ridicule, quand elle ne réussit pas. (De Retz.)

Syn. Abominable, détestable, exécrable. Ce qui est détestable excite l’animadversion et le mépris : La forme de l’injustice la plus odieuse et la plus détestable est la fraude et la perfidie. (Roll.) Ce qui est abominable doit être haï comme contraire à la religion et à la morale : La traite des nègres et leur esclavage sont abominables devant Dieu et devant les hommes. (La Harpe.) Ce qui est exécrable excite l’indignation et l’horreur : Que tous les maux horribles de la guerre retombent sur la tête parjure et exécrable de l’ambitieux qui foulera aux pieds les droits sacrés de cette alliance ! (Fén.) Ces adjectifs sont souvent employés dans un sens moins rigoureux ; ainsi détestable est, pour ainsi dire, le superlatif de mauvais : Je trouve que le style de La Calprenède est détestable. (Mme de Sév.) ; abominable, celui de détestable : Cette comédie est abominable (Acad.) ; exécrable, celui d’abominable : Cela est d’un style et d’un goût exécrables. (D’Alemb.)

Allus. littér. Voilà, je vous l’avoue, un abominable homme ! Exclamation que fait entendre Orgon dans Tartuffe, acte V, scène vi, quand il sort de dessous la table, convaincu enfin de la profonde perversité de l’hypocrite. Dans l’application, ce vers est le cri qu’arrache un sentiment de colère et d’indignation à la vue d’une action infâme :

« Nous ne ferons pas à nos lecteurs l’injure de réfuter de pareilles tirades ; en les lisant leur bile s’émeut, ils disent comme Orgon : Voilà, je vous l’avoue, un abominable homme. »

                    C. Desmoulins.

Allus. littér. Quel crime abominable ! Allusion à un hémistiche de la fable les Animaux malades de la peste. V. Animal.